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Date: 20240802

Dossier: EMP-2017-10936

 

Référence: 2024 CRTESPF 106

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Stéphanie Harnois

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Harnois c. Administrateur général (Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée aux termes de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Guy Giguère, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Francis Chaput, Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada

Pour l’intimé : Simon Ferrand, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 23 et 24 octobre et le 2 novembre 2023.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

[1] Le 18 janvier 2017, Stéphanie Harnois (la « plaignante ») dépose une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP), portant sur deux nominations concernant le processus de nomination annoncé 16-MOT-IA-HRS-85093 (le « processus de 2016 »).

[2] Le 19 juin 2017, le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique est modifié pour devenir la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») (voir la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9)).

[3] La plaignante allègue que le Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (l’« intimé ») a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature et a fait preuve de partialité lors de l’utilisation des références pour l’évaluation de la qualification « Travail d’équipe ». De plus, elle soutient que la capacité de travailler avec des collègues de travail était déjà évaluée par la qualification « Entregent ».

[4] En réponse aux allégations, l’intimé soutient que l’information à la disposition du comité de sélection a permis d’évaluer les qualifications de la plaignante de façon juste et impartiale. L’information obtenue par les références n’a pas démontré qu’elle satisfaisait à la qualification « Travail d’équipe ». De plus, la qualification « Entregent » ne permettait d’évaluer que la capacité de travailler avec le public.

[5] Pour répondre à la plainte, je dois premièrement déterminer si le comité de sélection a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des références de la plaignante. Par la suite, je dois déterminer si la qualification « Entregent » permettait d’évaluer la capacité de travailler avec le public ou avec les collègues de travail. Finalement, je dois juger si le comité de sélection a fait preuve de partialité dans l’évaluation des réponses des références pour la qualification « Travail d’équipe ».

[6] Pour les raisons qui suivent, j’estime que le comité de sélection a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des références de la plaignante. De plus, je conclus que la capacité de travailler avec des collègues au travail était évaluée par la qualification « Entregent » et que le comité de sélection a fait preuve de partialité dans son évaluation des réponses des références pour la qualification « Travail d’équipe ».

II. Contexte

[7] En 2014, la plaignante pose sa candidature dans un processus de nomination externe pour un poste d’analyste de renseignement, soutien opérationnel, de groupe et niveau PM-04 (le « poste d’analyste ») à Transports Canada. La plaignante procède à toutes les étapes du processus. Le 1er mai 2015, elle se qualifie dans le bassin 15-MOT-EA-HRS-82680 (le « processus de 2015 »).

[8] Dans un courriel du 7 août 2015, Émilie Bérubé, agente principale des opérations, offre le poste d’analyste à la plaignante qui l’accepte le lendemain. Le 11 août 2015, Mme Bérubé l’informe que la date du début de l’emploi est le 15 septembre 2015 et que la lettre d’offre sera signée à ce moment. Par la suite, la plaignante entreprend des recherches à Ottawa pour se trouver un appartement.

[9] Le 12 août 2015, la plaignante avise sa superviseure, Amine Janbayne, qu’elle quitte son emploi à Service Canada. Elle fait alors des démarches pour se trouver un appartement à Ottawa, et communique avec SGR Brookfield, qui est responsable de la réinstallation de fonctionnaires fédéraux.

[10] Le 26 août 2015, la plaignante avise Mme Bérubé qu’elle ira à Ottawa pendant la fin de semaine pour signer un bail pour un logement débutant le 30 août 2015. Un conseiller de SGR Brookfield lui envoie un courriel pour l’ouverture de son dossier de réinstallation à Ottawa.

[11] Le lendemain, le 27 août 2015, Pierre Mondor, gestionnaire, Opérations, Préparatifs d’urgence, appelle la plaignante pour lui annoncer le retrait de l’offre du poste d’analyste pour des raisons budgétaires. Il lui indique que son nom reste dans le bassin et qu’il communiquera avec elle pour le poste lorsque la situation budgétaire sera meilleure.

[12] Par la suite, M. Mondor quitte son emploi et, à l’automne 2015, Laurent Bertrand, analyste principal, Opérations, Préparatifs d’urgence, le remplace de façon intérimaire. Ce dernier a de l’expérience au niveau administratif dans les processus de dotation.

III. Processus de 2016

[13] En janvier 2016, la décision est prise de lancer un nouveau processus pour le poste d’analyste. C’est le premier processus que fait M. Bertrand comme gestionnaire intérimaire. Le guide de cotation et l’énoncé des critères de mérite de 2015 doivent être amendés puisqu’il s’agit maintenant d’un processus interne annoncé, ouvert uniquement aux fonctionnaires fédéraux de la région de la capitale nationale (le processus de 2016).

[14] M. Bertrand ajoute aussi deux qualifications à l’énoncé des critères de mérite : le travail d’équipe et la connaissance du continuum de la gestion des urgences de la Sécurité publique (le « continuum d’urgence »). L’énoncé des critères de mérite et le guide de cotation sont amendés et transmis le 3 février 2016 par courriel à Shelley Palmer, conseillère en ressources humaines.

[15] Le 21 avril 2016, on annonce le processus de 2016. La plaignante y postule. Le 12 mai 2016, Victoria McGuire, adjointe en ressources humaines, l’avise qu’elle n’est pas dans la zone de sélection, qui est la capitale nationale. La plaignante clarifie qu’elle est dans la zone de sélection puisqu’elle occupe de façon intérimaire un poste au groupe et au niveau AS-04 à Emploi et Développement social Canada à Ottawa. Toutefois, elle effectue les tâches à distance.

[16] Le 16 juin 2016, la plaignante reçoit une invitation pour l’examen. Elle y répond en indiquant qu’elle s’est déjà qualifiée dans le processus de 2015. Annie Grenier, conseillère spécialiste en ressources humaines, informe alors la plaignante qu’elle n’aura pas à se présenter à l’examen. Mme Grenier lui indique qu’elle va comparer les guides de cotation des processus afin de déterminer si les résultats du processus de 2015 peuvent être utilisés pour le processus de 2016. Le 15 juillet 2016, Mme McGuire avise la plaignante que le comité de sélection a déterminé qu’elle est qualifiée dans le processus de 2016, et que son nom est mis dans le bassin.

[17] Le 23 septembre 2016, Nancy Lindor, conseillère en ressources humaines, avise la plaignante qu’il y a eu une erreur. Deux nouvelles qualifications du processus de 2016 n’ont pas été évaluées : le travail d’équipe et le continuum d’urgence. Mme Lindor indique que ces qualifications sont évaluées par un examen écrit.

[18] Le 12 octobre 2016, la plaignante écrit à Michael Keenan, sous-ministre de Transports Canada (le « sous-ministre »), pour se plaindre que les Ressources humaines veulent fermer le bassin du processus de 2015 après qu’on lui a offert le poste d’analyste en août 2015. De plus, deux qualifications supplémentaires doivent être évaluées pour le processus de 2016. Selon elle, le vrai motif de ces qualifications supplémentaires est de faire obstacle à sa nomination dans le poste d’analyste.

[19] Le 26 octobre 2016, la plaignante complète l’examen écrit. Elle obtient une note de 7 sur 10 pour la qualification « Travail d’équipe ».

[20] Le 1er novembre 2016, Julie Spallin, directrice exécutive, Préparatifs d’urgence, répond à la plaignante pour faire suite à son courriel du 12 octobre 2016 au sous-ministre. Elle indique qu’en raison de contraintes budgétaires, Transports Canada n’a pu finaliser une offre formelle pour le poste d’analyste en 2015. Toutefois, comme elle est une participante active dans le processus de 2016, les Ressources humaines vont communiquer avec elle prochainement.

A. Évaluation des références

[21] Le 2 novembre 2016, Mme Lindor indique à la plaignante que, dans le cadre du processus de 2016, elle doit fournir trois références de superviseurs actuels et précédents. La plaignante lui répond qu’elle travaille à distance et qu’elle a rarement vu sa superviseure actuelle. Elle lui donne comme références ses superviseurs précédents (les « répondants ») pour les postes suivants : Amine Janbayne, Service Canada, pour le poste d’agente de service à la clientèle d’une période de six mois; Jocelyne Dupuis, Transports Canada, pour le poste d’adjointe administrative d’une période de quatre mois; Karine Lebel, Santé Canada, pour le poste de réceptionniste au laboratoire d’une période de huit mois. À la fin novembre 2016, M. Bertrand appelle les répondants de la plaignante pour évaluer la qualification « Travail d’équipe ». M. Bertrand leur fait premièrement la lecture de la définition suivante pour le travail d’équipe :

· favorise l’innovation et la créativité;

 

· crée un esprit d’équipe;

 

· établit et entretient de bonnes relations de travail fondées sur la confiance;

 

· favorise la collaboration et l’interaction avec les autres;

 

· partage l’information;

 

· tient compte des besoins, des sentiments et de l’opinion des autres;

 

· donne la priorité aux intérêts de l’équipe et à sa cohésion;

 

· écoute le point de vue des autres et tient compte de leur opinion; et

 

· participe à la prise de décisions en groupe.

 

[22] Puis, M. Bertrand leur lit le préambule suivant : « Il est souvent nécessaire de travailler en équipe pour mener une tâche à bien. Pouvez-vous nous parler de l’expérience la plus récente du candidat dans du travail en groupe? » M. Bertrand pose alors les quatre questions suivantes :

· Quelle était la tâche à exécuter?

 

· Qui faisait partie du groupe de travail?

 

· Quelles difficultés se sont posées au groupe, s’il y en avait?

 

· Quel rôle est-ce que le candidat a joué dans la résolution de ces difficultés?

 

[23] Par la suite, M. Bertrand retranscrit ses notes manuscrites et envoie les réponses aux répondants pour confirmation.

[24] Mme Janbayne répond d’abord que la plaignante n’a pas travaillé en équipe car elle travaillait avec le public en tant qu’agente de service à la clientèle. Mais elle ajoute les éléments négatifs suivants. Lors de la vérification de dossiers, certaines difficultés d’interaction ont été rencontrées entre la plaignante et ses collègues. La plaignante démontrait beaucoup d’assurance dans son travail, mais elle n’écoutait pas toujours le point de vue de ses collègues à moins d’avoir des exemples concrets.

[25] Mme Lebel indique que la plaignante travaillait à la réception et qu’il n’y avait pas beaucoup de travail d’équipe. Toutefois, elle ajoute les éléments positifs suivants. La plaignante posait des questions afin de bien comprendre les besoins et tenait compte des réponses. Tous savaient pouvoir lui faire confiance et être à l’aise avec elle. Elle se portait volontaire pour aider lors d’absences de collègues; elle prenait bien les critiques et elle n’hésitait pas à proposer des solutions; elle cherchait par elle-même à en apprendre plus sur le ministère.

[26] L’échelle de cotation est divisée en cinq points avec un pointage maximal pour chaque niveau. Elle a été établie pour évaluer les réponses des candidats et des répondants : Excellent – 5 points, Très bon – 4 points, Bon – 3 points, Faible – 2 points, Insatisfaisant – 1 point. La cote « Excellent » était attribuée pour des qualifications exceptionnelles. La cote « Très bon » était attribuée pour des qualifications supérieures à la moyenne. La cote « Bon » était attribuée lorsque les qualifications correspondaient au minimum requis pour fournir un rendement adéquat. La cote « Faible » était attribuée lorsque les qualifications étaient inadéquates sur certains plans, de sorte que la personne évaluée risque de ne pas fournir un rendement adéquat et la cote « Insatisfaisant » était attribuée pour des qualifications insuffisantes pour un rendement efficace.

[27] M. Bertrand évalue la référence de Mme Janbayne comme étant neutre-négative. Il lui accorde la note de 1.5 – Faible, car il considère que ses réponses ne démontrent pas la qualification « Travail d’équipe ». Par ailleurs, il évalue aussi la référence de Mme Lebel comme étant neutre. Il lui accorde la même note de 1.5 – Faible, car il estime qu’elle ne démontre pas la qualification « Travail d’équipe ».

[28] Mme Dupuis tarde à retourner l’appel de M. Bertrand. Puisque deux références sur trois suffisent pour signer le guide de cotation, M. Bertrand décide de procéder à compléter l’évaluation de la plaignante. Le 1er décembre 2016, les deux membres du comité de sélection, M. Bertrand et Mme Spallin, se réunissent. La décision sur le pointage est prise par consensus.

[29] La note de passage est de 6 points, ce qui démontre l’expérience et la qualification « Travail d’équipe ». Le comité de sélection attribue la note de 3 sur 10 – Faible, en additionnant les points accordés aux réponses des deux répondants de la plaignante. Le comité de sélection indique dans le guide de cotation que les réponses des répondants sont insuffisantes et ne démontrent pas le travail d’équipe. Le comité de sélection signe le guide de cotation.

[30] Le 9 décembre 2016, Mme Dupuis retourne l’appel de M. Bertrand. Ce dernier prend en note ses réponses aux questions, bien que le guide de cotation soit déjà signé. M. Bertrand est ouvert à modifier le résultat si Mme Dupuis démontre que la plaignante satisfait à la qualification.

[31] Mme Dupuis répond en donnant un exemple d’une tâche d’équipe et en identifiant les difficultés rencontrées et le rôle de la plaignante dans la résolution du problème. Elle explique que la plaignante devait préparer un tableau avec une collègue pour une présentation. Comme elles avaient les deux de forts caractères, la plaignante a trouvé une façon afin qu’elles travaillent bien ensemble. Grâce à ses efforts, la présentation a été un succès.

[32] Toutefois, M. Bertrand décide de ne pas considérer la référence de Mme Dupuis car il estime qu’elle ne démontre pas que la plaignante satisfait à la qualification « Travail d’équipe ». Il évalue que la réponse donnée par Mme Dupuis ne mérite pas plus que 1.5 – Faible, soit la note attribuée pour les deux autres références.

B. Élimination de la plaignante

[33] Le 16 décembre 2016, un courriel informe la plaignante qu’elle a échoué à la qualification « Travail d’équipe ». Le 21 décembre 2016, Mme Lindor l’avise que l’évaluation de la qualification « Travail d’équipe » a aussi été faite par des questions aux répondants et qu’elle n’a pas obtenu la note de passage. Mme Lindor lui indique qu’elle peut communiquer avec Mme Spallin si elle veut en discuter.

[34] Le 21 décembre 2016, la plaignante écrit à Mme Spallin pour lui demander pourquoi elle n’a pas obtenu la note de passage. Mme Spallin lui répond le 23 décembre que la qualification « Travail d’équipe » a été évaluée par une question d’examen et par les références. Elle lui fournit la définition de « travail d’équipe » utilisée dans le guide de cotation. Le 28 décembre 2016, la plaignante écrit à Mme Spallin pour obtenir plus de détails sur sa note et sur la note de passage. Le 10 janvier 2017, la plaignante lui écrit de nouveau car elle n’a pas eu de réponse.

[35] Ce n’est que le 24 janvier 2017 que Mme Spallin lui répond simplement que la note de passage pour la qualification « Travail d’équipe » était de 12 sur 20 et qu’elle n’a obtenu que 10 sur 20.

C. Affichage sur GCconnex

[36] Le 9 janvier 2017, M. Bertrand annonce sur la plateforme GCconnex qu’il est à la recherche de personnes qualifiées pour occuper des postes d’analyste. Ces postes sont pour un détachement ou une affectation pour des personnes déjà au niveau PM-04.

[37] Le 16 janvier 2017, la plaignante écrit à M. Bertrand pour lui signifier son intérêt pour cette affectation. Elle indique qu’elle est dans un poste au groupe et au niveau AS-04 équivalent au niveau PM-04. Elle lui demande si le bassin du processus de 2015 est toujours ouvert et s’il est possible pour lui de doter le poste à partir de ce bassin.

[38] Le 24 janvier 2017, M. Bertrand répond à la plaignante que le bassin du processus de 2015 est fermé depuis le 30 novembre 2016 et qu’il n’est pas possible de doter à partir de ce bassin.

[39] La plaignante témoigne de l’impact qu’ont eu ces évènements sur son moral et sur sa santé. Elle explique que sa réputation a été entachée, comme elle l’a constaté lors d’un processus de dotation en 2018 (le « processus de 2018 »), car le monde de l’aviation à Transports Canada est un petit milieu où tout le monde se connaît. Elle n’a pu par la suite travailler dans le domaine de l’aviation bien qu’elle se soit qualifiée dans le processus de 2018. Son objectif et son rêve en débutant sa carrière dans la fonction publique fédérale était de travailler dans le domaine de l’aviation, mais elle a dû réorienter sa carrière dans le transport maritime.

D. Processus de 2018

[40] La plaignante a voulu présenter de la preuve concernant un processus de nomination qui a eu lieu en 2018. Cette preuve, bien que postérieure à la plainte, a été autorisée pour des fins de contexte aux allégations de la plaignante.

[41] La plaignante participe en décembre 2018 au processus de sélection 18-MOT-EA-HRS-93101 pour un poste d’inspecteur régional, Sûreté des transports (le processus de 2018). Ce processus a pour but d’établir un bassin de personnes qualifiées pour des postes au groupe et aux niveaux TI-05 et TI-06, au bureau régional de Dorval, au Québec.

[42] Le 20 septembre 2019, la plaignante est avisée qu’elle a réussi toutes les étapes de la sélection. Le 25 septembre 2019, Marie-Josée Lépine, des Ressources humaines, l’appelle pour lui offrir un poste permanent à temps plein au groupe et au niveau TI-06 débutant le 4 novembre 2019. La plaignante lui explique qu’elle vient d’éprouver de sérieux problèmes financiers par suite d’erreurs de paye en raison du système de paye Phénix. Ces erreurs ne sont toujours pas réglées. Elle demande à Mme Lépine s’il serait possible, au début, d’être en détachement dans le poste pour lui permettre de régler les erreurs de paye avec le système de paye Phénix avant d’être nommée dans le poste.

[43] La plaignante informe son gestionnaire à l’Agence des services frontaliers du Canada de cette offre d’emploi. Le 30 septembre 2019, son détachement est autorisé pour une période de quatre mois. Le 1er octobre 2019, la plaignante en avise Mme Lépine, qui lui indique qu’un détachement de quatre mois est trop court. Le 2 octobre 2019, la plaignante appelle Mme Lépine pour lui indiquer qu’elle n’a pas reçu le formulaire pour l’examen médical. La plaignante perçoit que le ton de Mme Lépine a changé et qu’elle est pressée de terminer l’appel.

[44] Le 3 octobre 2019, Mme Lépine indique à la plaignante que la direction veut procéder à une nomination pour une période indéterminée pour des raisons de budget et de priorité. La plaignante exprime à Mme Lépine qu’elle veut le poste, que ce soit en détachement ou pour une période indéterminée. Mme Lépine lui indique que l’offre est conditionnelle à un examen médical satisfaisant et à la côte de sécurité Secret. La plaignante lui explique qu’elle a déjà cette côte et une très bonne santé. La plaignante sent alors dans les réponses de Mme Lépine moins d’intérêt pour sa nomination.

[45] Le lendemain, le 4 octobre 2019, Mme Lépine informe la plaignante que la direction a décidé de retirer l’offre pour cet emploi. Le nom de la plaignante reste dans le bassin. La plaignante témoigne que Mme Lépine lui a indiqué que la direction considérait qu’elle n’avait pas démontré assez d’enthousiasme pour le poste et qu’elle n’avait pas l’esprit d’équipe.

[46] Le 30 juin 2023, la plaignante est finalement nommée inspectrice régionale de la Sûreté des transports (TI-06), Sécurité et sûreté maritimes, par suite du processus 23-MOT-IA-HRS-01174.

IV. Analyse

[47] Selon la plaignante, le comité de sélection a commis deux types d’abus de pouvoir dans l’évaluation de ses références. Ceux-ci sont identifiés au paragraphe 70 de la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, catégories 1 et 2, c’est-à-dire que l’intimé a abusé de son pouvoir en se fondant sur des éléments insuffisants et en faisant preuve de partialité à l’encontre de la plaignante. À l’appui de ses arguments, la plaignante a soumis plusieurs décisions portant sur l’abus de pouvoir, notamment dans l’évaluation des références (voir Bazinet c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 82; Hammond c. Canada (Procureur général), 2009 CF 570; Rizqy c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 CRTESPF 12; Laviolette c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2015 CRTEFP 6).

[48] Selon l’intimé, la plaignante n’a pas rencontré le fardeau d’une preuve prépondérante d’abus de pouvoir. Ses références n’ont pas démontré que cette dernière avait fait du travail d’équipe. De plus, le comité de sélection n’a pas agi de mauvaise foi et aucune intention à cet effet ne peut lui être attribuée.

[49] L’intimé soutient qu’il n’était pas nécessaire que M. Bertrand aille plus loin dans la recherche d’information sur les références. Ce dernier ne l’a pas fait pour les autres et il n’aurait pas été approprié de le faire pour la plaignante. À l’appui de ses arguments, l’intimé a soumis plusieurs décisions portant sur l’abus de pouvoir, notamment dans l’évaluation des références (voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24; Ben Jab c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2013 TDFP 22; Oddie c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 30; Dionne c. le Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 11).

[50] Question 1 : Est-ce que l’évaluation des références de la plaignante permettait d’évaluer si la plaignante possédait ou non la capacité de travail d’équipe?

[51] La plaignante soutient que le comité de sélection s’est basé sur des renseignements insuffisants pour évaluer la qualification « Travail d’équipe ». Cela met en cause la deuxième catégorie d’abus de pouvoir identifiée dans la jurisprudence en matière de dotation, notamment dans Tibbs, lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants, notamment lorsqu’il ne dispose d’aucune preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents.

[52] La plaignante indique que le courriel du 2 novembre 2016 portait à confusion car elle croyait être pleinement qualifiée à la suite de l’examen. Elle croyait que les références demandées étaient de nature générale et n’a jamais été informée que le travail d’équipe allait être évalué par les références. Si elle l’avait su, elle aurait donné d’autres références pour des postes où elle avait travaillé en équipe.

[53] M. Bertrand témoigne qu’il a évalué les réponses des répondants selon qu’ils reprenaient des éléments de la définition de travail d’équipe et qu’ils démontraient à partir de la réponse que c’était du travail d’équipe.

[54] Les consignes données aux candidats sur les références ne spécifiaient pas qu’elles serviraient à évaluer la qualification « Travail d’équipe ». En fait, le 23 septembre 2016, Mme Lindor avait indiqué à la plaignante que le travail d’équipe serait évalué par un examen écrit, sans spécifier que cette qualification le serait aussi par les références.

[55] C’est ainsi que Mme Janbayne indique dès le départ que la plaignante ne faisait pas de travail d’équipe. Mme Lebel répond aussi qu’il y avait très peu de travail d’équipe à la réception.

[56] Dans Hammond, la Cour fédérale indique que, lorsqu’un comité de sélection évalue par des références si les candidats possèdent ou non les qualifications recherchées, il doit s’assurer d’avoir les éléments nécessaires pour faire cette évaluation. C’est-à-dire si les références permettent d’évaluer que le candidat possède ou non la qualification recherchée. Si le comité de sélection s’aperçoit que les références qu’il a en main ne permettent pas de faire cette évaluation, il doit chercher d’autres références.

[57] Or, M. Bertrand se retrouve avec des renseignements insuffisants pour évaluer cette qualification chez la plaignante. Face à cette erreur, il pouvait la corriger en demandant à la plaignante de fournir des références d’emplois où elle a fait du travail d’équipe. Toutefois, il ne le fait pas et évalue la qualification sur la base de renseignements insuffisants.

A. Référence de Mme Janbayne

[58] La plaignante soumet que, lors de conversations avec Mme Lindor, elle a mentionné les problèmes rencontrés avec la gestion de Service Canada. À la suite du retrait de l’offre d’emploi dans le processus de 2015, la plaignante a dû aviser sa superviseure qu’elle ne quittait plus son emploi à Service Canada. La gestion, par la suite, lui a manifesté son mécontentement de ce changement. Mme Lindor connaissait ces problèmes et le comité de sélection aurait dû en tenir compte dans l’évaluation de la référence de Mme Janbayne.

[59] Selon l’intimé, la plaignante avait des problèmes avec la gestion et non avec Mme Janbayne. Il indique que si la plaignante avait des réserves face à la référence de Mme Janbayne, elle n’aurait pas dû l’inclure dans la liste des répondants. M. Bertrand témoigne qu’il n’a pas été avisé que la plaignante avait des inquiétudes concernant ses répondants.

[60] Sur ce point, la preuve prépondérante est que le comité de sélection n’était pas au courant des difficultés de la plaignante avec la gestion de Service Canada ni avec Mme Janbayne.

[61] Néanmoins, la référence négative de Mme Janbayne est isolée et est à l’opposé de la référence positive de Mme Lebel, ainsi que toutes les références fournies pour le processus de 2015 afin d’évaluer les qualifications de la plaignante. M. Bertrand devait tenir compte de ce fait, qui remettrait en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant. M. Bertrand devait concilier ces différences dans les références et il ne pouvait attribuer plus de poids à la référence négative qu’aux autres références (voir Ostermann c. le sous ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2012 TDFP 28, aux paragraphes 33 à 41, et Ben Jab, au par. 41).

[62] M. Bertrand aurait dû aller plus loin et chercher plus d’information afin d’évaluer la qualité de la référence reçue de Mme Janbayne (voir Bazinet et Laviolette). Il aurait été avisé de discuter avec Mme Janbayne et de lire l’évaluation de rendement que cette dernière avait faite de la plaignante. Dans cette évaluation, Mme Janbayne considérait que la plaignante, après 10 mois à l’emploi, satisfaisait pleinement à ses objectifs et démontrait fréquemment les qualifications recherchées. Bien qu’elle l’invitait à être plus tolérante envers elle-même et ses collègues, Mme Janbayne était plus nuancée sur la compétence au travail d’équipe de la plaignante. M. Bertrand aurait été alors en meilleure position pour évaluer la référence de Mme Janbayne.

[63] Ces éléments démontrent que M. Bertrand n’a pas été diligent dans l’évaluation des réponses de Mme Janbayne. Il a abusé de son pouvoir en évaluant cette référence sur la base de renseignements insuffisants.

B. Référence de Mme Lebel

[64] M. Bertrand a noté les réponses de Mme Janbayne en accordant la note de 1.5, car il jugeait que sa réponse ne reprenait pas les éléments de la définition de travail d’équipe. Il a accordé la même note de 1.5 pour les réponses de Mme Lebel. Il jugeait la réponse faible, car elle ne reprenait pas les éléments de la définition. Bien qu’il n’ait pas noté celle de Mme Dupuis, il témoigne qu’il aurait accordé la note de 1.5, soit la même que pour les autres références.

[65] Il est clair que les réponses de Mme Janbayne étaient négatives et ne démontraient pas la qualification « Travail d’équipe ». M. Bertrand explique que les réponses de Mme Lebel ne reprenaient pas les éléments de la définition et ne démontraient pas la qualification ainsi que l’expérience du travail d’équipe. Il a évalué la référence comme faible, en lui attribuant la note de 1.5 points.

[66] Ceci est étonnant alors que les réponses de Mme Lebel énumèrent plusieurs éléments de la définition de travail d’équipe tel que demandé dans le guide de cotation. Bien qu’à la réception il n’y avait pas beaucoup de travail d’équipe, Mme Lebel indiquait dans ses réponses que la plaignante démontrait plusieurs éléments de la définition avec ses collègues et dans son équipe.

[67] M. Bertrand indique aussi qu’il n’a pas considéré ses réponses parce que le travail d’équipe ne faisait pas partie des fonctions de la plaignante à la réception. Il a aussi témoigné que ses réponses ne démontraient pas de l’expérience de travail d’équipe. Pourtant, le guide de cotation ne l’exigeait pas. Au contraire, il indiquait qu’il est souvent nécessaire de travailler en équipe pour accomplir une tâche. Ceci permettait d’évaluer des candidats qui avaient, à l’occasion, à faire un travail d’équipe sans que cela fasse partie de leurs fonctions principales.

[68] Surtout, le guide de cotation prévoyait que les réponses étaient évaluées selon les éléments de la définition de travail d’équipe. Ces éléments étaient pertinents pour l’évaluation des réponses afin de permettre une évaluation équitable et transparente. M. Bertrand n’a pas tenu compte des éléments pertinents pourtant identifiés dans la définition de travail d’équipe.

[69] Le législateur a accordé aux gestionnaires beaucoup de discrétion en matière de dotation. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’ils peuvent prendre n’importe quelle mesure pour n’importe quel motif ni sous n’importe quel prétexte. Ce pouvoir discrétionnaire s’exerce dans le cadre de pratiques d’emploi et de dotation équitables et transparentes (voir Visca, au par. 34).

[70] Le rôle de la Commission n’est pas de réévaluer les candidats, mais d’examiner l’évaluation qui a été faite pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir. La Commission tient compte de la façon dont la vérification des références a été administrée. Ici, le comité de sélection a commis une erreur grave en ne tenant pas compte de facteurs pertinents lors de son évaluation des réponses de Mme Lebel. Son évaluation de ses réponses était arbitraire (voir Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 42 à 46, et Elazzouzi c. le sous-ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 11, aux paragraphes 49 à 53).

[71] La Commission conclut que M. Bertrand a abusé de son pouvoir et a agi de façon déraisonnable en ne tenant pas compte des facteurs pertinents dans son évaluation des réponses de Mme Lebel. Cette façon d’agir en matière de dotation n’était ni équitable ni transparente.

C. Référence de Mme Dupuis

[72] M. Bertrand témoigne qu’il aurait retenu la référence de Mme Dupuis et changé le résultat de l’évaluation si elle avait démontré que la plaignante avait de l’expérience de travail d’équipe. Aussi, les réponses de Mme Dupuis ne reprenaient pas les éléments retrouvés dans la définition de travail d’équipe.

[73] Mme Dupuis reprenait dans ses réponses quelques points de la définition de travail d’équipe, mais ses réponses étaient plus brèves que celles de Mme Lebel. Elle expliquait que la plaignante devait préparer un tableau avec une collègue pour une présentation. Comme elles avaient toutes deux de forts caractères, la plaignante a trouvé une façon qu’elles travaillent bien ensemble. Grâce à ses efforts, la présentation a été un succès.

[74] M. Bertrand témoigne qu’il s’attendait que les répondants reprennent dans leurs réponses les éléments de la définition de travail d’équipe. Il déterminait que la personne possédait la qualification « Travail d’équipe » seulement si les éléments de la définition se retrouvaient dans les réponses des répondants. Toutefois, il n’y avait aucune consigne spécifiant ceci aux répondants, et il ne l’indiquait pas verbalement lors de la prise de références. Si les réponses étaient brèves ou incomplètes, il ne demandait pas aux répondants d’élaborer, car il ne l’avait pas fait pour les autres candidats.

[75] En contre-interrogatoire, M. Bertrand indique aussi qu’il n’avait pas demandé à Mme Dupuis d’élaborer sa réponse parce qu’il ne l’avait pas fait pour les autres candidats.

[76] Bien que tous les candidats soient traités de la même façon, cela n’exclut pas qu’il peut y avoir abus de pouvoir dans un cas individuel. Si l’évaluation des références comporte un vice fondamental affectant certains cas individuels, le gestionnaire délégué doit s’assurer que cette erreur soit rectifiée le plus tôt possible et sans préjudice à ces candidats (voir Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien, 2008 TDFP 27, au par. 56 et suivants).

[77] Dans le présent cas, une candidate, bien que possédant la qualification, se trouve pénalisée parce qu’une répondante n’a pas fourni de détail, ni élaboré et n’a pas repris les éléments de la définition. Le problème avec cette approche, comme le souligne la décision Rizqy, au par. 66, c’est que le comité de sélection qui évalue les références évalue la qualité des réponses des répondants plutôt que les qualifications des candidats. Même s’ils possèdent la qualification, les candidats sont évalués comme ne la rencontrant pas parce que le répondant n’a pas donné d’exemple, a répondu trop brièvement ou n’a pas repris les éléments de la définition (voir aussi Bowman c. le Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 12).

[78] M. Bertrand a entravé son propre pouvoir discrétionnaire en refusant de reconnaître que les instructions aux candidats et aux répondants présentaient de sérieuses failles, et en omettant de prendre des mesures pour atténuer l’incidence de son erreur sur la candidature de la plaignante parce qu’il ne l’avait pas fait pour les autres candidats. La candidature de la plaignante a par la suite été éliminée sur la base de renseignements insuffisants quant à la qualification « Travail d’équipe » (voir Bowman et Poirier c. le sous-ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 3).

[79] La Commission juge que M. Bertrand a abusé de son pouvoir en faisant reposer son évaluation sur des renseignements insuffisants et en adoptant une règle rigide qui l’empêchait d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui était délégué.

[80] Question 2 : Est-ce que la qualification « Entregent » permettait d’évaluer la capacité de travailler avec le public ou avec les collègues de travail?

[81] Il y a deux versions relatives quant à la portée de la qualification « Entregent » et la nécessité d’ajouter la qualification « Travail d’équipe » au processus de 2016. Selon l’intimé, M. Bertrand a ajouté la qualification « Travail d’équipe », car il jugeait que cela était nécessaire puisque cela n’avait pas été évalué dans le processus de 2015. Selon la plaignante, le travail d’équipe avait déjà été évalué par la qualification « Entregent » lors du processus de 2015.

[82] Je dois évaluer la crédibilité de ces deux versions des faits et déterminer laquelle doit être retenue. Le critère à appliquer est bien établi lorsque la crédibilité est en cause. En effet, je dois déterminer, selon la prépondérance des probabilités, laquelle des versions une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable dans les circonstances (voir Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35, au par. 102; Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 45 et 46; Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36; Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 122, au par. 300; Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.), à la page 357).

[83] M. Bertrand a témoigné qu’il a ajouté la qualification « Travail d’équipe » au processus de 2016 parce qu’elle évalue la capacité de travailler avec les collègues, qui est très importante dans un centre d’intervention du gouvernement. Il explique en contre-interrogatoire que ce n’était pas le cas avec la qualification « Entregent », qui permettait d’évaluer que la capacité de travailler avec le public.

[84] D’emblée, le témoignage de M. Bertrand sur ce point n’est pas crédible et est contraire à ce que le guide de cotation indique. La définition de la qualification « Entregent » ainsi que les questions posées aux répondants portaient sur la capacité de travailler avec les collègues au travail. La définition et les questions étaient de la même nature que celles qu’il avait ajoutées pour la qualification « Travail d’équipe ».

[85] La version anglaise de cette qualification indiquait « Effective Interpersonal Relationships » ce qui englobe certainement les relations avec les collègues au travail. La traduction en français par « Entregent » était peut-être moins claire pour certains. Cependant, ça ne pourrait être l’explication d’une erreur de M. Bertrand qui est très à l’aise en anglais. Il a témoigné qu’il prenait ses notes en anglais même lorsque la prise de référence s’était déroulée en français.

[86] M. Bertrand connaissait bien la définition et les questions pour l’entregent, qui était aussi une qualification pour le processus de 2016. C’est lui qui vérifiait les références des candidats et qui a lu la définition et poser les questions à tous les répondants. Il ne pouvait alors ignorer que la définition d’entregent spécifiait au tout début : « Établit et maintient de bonnes relations de travail fondées sur l’écoute et le respect, de manière à faire progresser l’organisation. »

[87] La définition indiquait ensuite des éléments généraux de l’entregent : « Reconnaît l’aspect humain des questions et le besoin d’entretenir de bons rapports avec les gens. Obtient de bons résultats grâce à l’interaction et à la collaboration avec autrui. Traite avec autrui dans des situations difficiles, évite les risques de dissension et facilite l’atteinte d’un objectif commun. » Pour conclure que l’entregent pouvait aussi se démonter avec les clients avec lesquels le centre d’intervention transigeait : « Crée et entretient des relations solides et productives avec les clients. »

[88] Il est raisonnable de croire que les gestionnaires précédents M. Bertrand ont établi initialement et conservé la qualification « Entregent » car elle permettait d’identifier des candidats qui travaillaient bien avec leurs collègues de travail. Ceci était important et est demeuré important au centre d’intervention du gouvernement. Mais rien n’a changé dans l’importance de travailler avec les collègues lorsque M. Bertrand en est devenu gestionnaire.

[89] La question demandée aux répondants pour l’entregent était de donner un exemple où le candidat avait été impliqué dans une situation de conflit. Alors que pour le travail d’équipe, on demandait aux répondants d’identifier quelles difficultés se sont posées au groupe, s’il y en avait, et quel rôle le candidat a joué dans la résolution de ces difficultés.

[90] Il était raisonnable de s’attendre que les répondants, par la nature de leur relation avec les candidats, décriraient généralement pour les deux qualifications des situations avec des collègues de travail. D’ailleurs, les répondants de la plaignante ont répondu aux questions sur l’entregent et sur le travail d’équipe en décrivant des situations avec les collègues de travail.

[91] Mme Dupuis était une des deux répondants de la plaignante en 2015 pour la qualification « Entregent ». M. Bertrand a témoigné en contre-interrogatoire que la réponse de Mme Dupuis en 2015 était une bonne réponse démontrant le travail d’équipe.

[92] Mme Dupuis, dans sa réponse à la question sur l’entregent, indiquait que la plaignante était dans une équipe de six personnes et qu’elle s’était toujours bien entendue avec ses collègues, bien qu’elles ne partageaient pas les mêmes intérêts. Elle a répondu que la plaignante était joviale et qu’elle aimait travailler avec les gens. Les réponses de Mme Dupuis et l’autre répondant pour l’entregent avaient été notées 6 sur 10 – Bon.

[93] Une personne informée et douée de sens pratique conclurait aussi d’emblée comme raisonnable dans les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, que la qualification « Entregent » évaluait la capacité de travailler avec des collègues et non la capacité de travailler avec le public, comme le prétend M. Bertrand. De plus, une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable dans les circonstances, selon la prépondérance des probabilités, que les références de la plaignante pour l’entregent démontraient que cette dernière travaillait bien avec ses collègues de travail.

[94] J’estime pour ces raisons que le témoignage de M. Bertrand n’est pas crédible sur la nécessité d’ajouter la qualification « Travail d’équipe » puisque la qualification « Entregent » évaluait déjà la capacité de travailler avec des collègues au travail.

[95] Question 3 : Est-ce que l’intimé a fait preuve de partialité dans l’évaluation des références de la plaignante sur la qualification « Travail d’équipe »?

[96] La plaignante plaide que le comité de sélection a fait preuve de partialité dans l’évaluation de ses références parce qu’il ne voulait pas d’elle et qu’il était vexé de sa plainte au sous-ministre. Selon la plaignante, le ton de Mme Spallin, dans sa réponse du 1er novembre 2016, démontrait son mécontentement de sa plainte au sous-ministre. La plaignante a eu l’impression qu’elle dérangeait et agaçait Mme Spallin.

[97] La plaignante soutient que le comité de sélection n’a pas considéré les réponses de Mme Lebel alors qu’elle reprenait plusieurs éléments de la définition de travail d’équipe. Il semble incongru que le comité de sélection n’ait pas considéré les réponses de Mme Dupuis alors qu’elle donnait des exemples comprenant des éléments du travail d’équipe.

[98] Selon l’intimé, le comité de sélection a agi de façon impartiale et que la plaignante n’a pas établi qu’il avait agi de mauvaise foi. L’intimé plaide que toute allégation impliquant la mauvaise foi requiert la preuve d’une intention, ce que la plaignante n’a pas établi (voir Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684).

[99] D’après l’ancienne interprétation des tribunaux, la mauvaise foi supposait l’existence d’une intention illégitime ou malhonnête. Toutefois, le sens accordé par la jurisprudence à la mauvaise foi est depuis longtemps élargi. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada, elle ne nécessite pas la preuve d’une intention illégitime lorsque les faits révèlent une incurie ou une insouciance grave (voir notamment Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, aux paragraphes 37 et 39; Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10; Chase c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2010 TDFP 2; Campbell c. le sous ministre de Transports Canada, 2010 TDFP 14).

[100] Par ailleurs, la jurisprudence en matière de dotation est unanime que la crainte raisonnable de partialité est une forme de mauvaise foi qui ne nécessite pas d’établir une intention pour la démontrer (voir Gignac; Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29; Ryan c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2014 TDFP 9; Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 33; Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37).

[101] Les personnes chargées de l’évaluation ont le devoir de procéder à une évaluation impartiale ne donnant pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Un test a été établi pour démontrer s’il y a crainte raisonnable de partialité. Il consiste à déterminer si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un ou plusieurs membres du comité de sélection (voir Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC) et Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), 1992 CanLII 84 (CSC)).

[102] Mme Lebel a indiqué dans ses réponses que la plaignante démontrait un esprit d’équipe lorsqu’elle travaillait à la réception. Plusieurs des éléments de la définition de travail d’équipe se retrouvaient dans ses réponses. Ainsi, la plaignante favorisait la collaboration et l’interaction en posant des questions pour connaître les besoins, en tenant compte des réponses et en proposant des solutions. En prenant bien les critiques et en y voyant une occasion de s’améliorer, la plaignante tenait compte des besoins des autres, de leurs sentiments et de leurs opinions. Elle établissait de bonnes relations de travail car tous savaient pouvoir lui faire confiance et étaient à l’aise avec elle. En se portant volontaire pour aider lors d’absences de collègues, elle donnait priorité aux intérêts de l’équipe et à sa cohésion. En demandant plus de renseignements à ses collègues sur le ministère, elle écoutait le point de vue des autres.

[103] Mme Dupuis a répondu brièvement mais directement aux questions demandées en donnant un exemple tel que demandé de tâche d’équipe, les difficultés rencontrées et le rôle de la plaignante. Ainsi, elle a expliqué que la plaignante travaillait en équipe avec sa collègue pour préparer une présentation qui a été un succès. En trouvant une façon de bien travailler ensemble malgré leurs caractères, elle avait démontré qu’elle entretenait de bonnes relations de travail, tenait compte des besoins, du point de vue et des sentiments de l’autre, tout en favorisant la collaboration. Par ailleurs, M. Bertrand n’est pas crédible lorsqu’il témoigne que la qualification « Entregent » évaluait la capacité de travailler avec le public et non la capacité de travailler avec des collègues. Son témoignage n’est pas crédible et démontre sa partialité lorsqu’il affirme qu’il a ajouté la qualification « Travail d’équipe » parce que la capacité de travailler avec les collègues de travail n’avait pas été évaluée dans le processus de 2015.

[104] Dans le processus de 2016, c’est M. Bertrand qui lisait la définition d’entregent et posait les questions à tous les répondants. Un membre impartial d’un comité de sélection ne pouvait ignorer comme il l’a fait que la définition d’entregent spécifiait : « Établit et maintient de bonnes relations de travail fondées sur l’écoute et le respect, de manière à faire progresser l’organisation. »

[105] La plaignante soutient que le comité de sélection ne voulait pas d’elle à la suite de sa plainte au sous-ministre. La prépondérance de la preuve démontre effectivement que le comité de sélection ne voulait pas d’elle et a fait preuve de partialité à son encontre. Le témoignage de M. Bertrand n’est pas crédible lorsqu’il explique que la qualification « Entregent » évaluait la capacité de travailler avec le public et non celle de travailler avec les collègues de travail. En ajoutant la qualification « Travail d’équipe », cela permettait au comité de sélection d’évaluer à nouveau la plaignante et ses références. M. Bertrand a alors fait preuve de partialité en ignorant les réponses de Mme Lebel et de Mme Dupuis alors qu’elles reprenaient les éléments de la définition du travail d’équipe. De plus, M. Bertrand n’a pas respecté le guide de cotation.

[106] Un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part de M. Bertrand qui n’a pas respecté le guide de cotation et n’a pas tenu compte que plusieurs éléments de la définition du travail d’équipe se retrouvaient dans les réponses de Mme Lebel et de Mme Dupuis.

[107] Pour ces raisons, j’estime que M. Bertrand a abusé de son pouvoir en faisant preuve de partialité dans son évaluation des réponses des répondants pour la qualification « Travail d’équipe ».

V. Conclusion

[108] Seul M. Bertrand a témoigné, bien que le comité de sélection était constitué de Mme Spallin et de M. Bertrand. Ce dernier a expliqué que c’est lui qui avait évalué les références, mais qu’il tenait Mme Spallin au courant du processus. Il lui a fait rapport de ses évaluations et ils ont attribué par consensus les points sur ces évaluations des références. Finalement, ils ont signé ensemble le guide de cotation.

[109] J’estime que M. Bertrand était délégué pour faire certaines des tâches dans le processus de 2016, mais, en fin de compte, c’est le comité de sélection qui a avalisé les évaluations des références, attribué les points et signé le guide de cotation.

[110] Par conséquent, la Commission juge que le comité de sélection a abusé de son pouvoir en faisant reposer son évaluation des réponses des répondants sur des renseignements insuffisants. Le comité de sélection a aussi abusé de son pouvoir en adoptant une règle rigide qui l’empêchait de reconnaître que les instructions aux candidats et aux répondants présentaient de sérieuses failles et en omettant de prendre des mesures pour atténuer l’incidence de son erreur. De plus, la Commission considère que le comité de sélection a fait preuve de partialité dans l’évaluation des références sur la qualification « Travail d’équipe ».

A. Recommandations

[111] Il est bien établi que la Commission peut faire part à l’intimé des préoccupations qui ressortent de l’audience d’une plainte d’abus de pouvoir. Des recommandations peuvent alors être faites à l’intimé pour éviter la répétition d’un problème sous-jacent (voir Ayotte c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 16 et Canada (Procureur Général) c. Beyak, 2011 CF 629).

[112] Je suis d’avis que la structure et le mode d’opération du comité de sélection du processus de 2016 ont favorisé les abus de pouvoir qui y ont été commis. M. Bertrand évaluait seul les références et rapportait son évaluation à Mme Spallin pour qu’ils décident en consensus du pointage à accorder. Aucun conseiller en ressources humaines ne participait au comité de sélection et la preuve ne démontre pas qu’un conseiller a été consulté à cette étape.

[113] Je recommande à l’intimé de revoir cette façon de fonctionner pour y intégrer régulièrement la participation de conseillers en ressources humaines dans les comités de sélection ou sinon qu’ils soient consultés à l’étape des références et de leurs évaluations. Les conseillers pourraient notamment guider les gestionnaires pour assurer de saines pratiques en matière de dotation et leur signaler celles qui pourraient être perçues comme un abus de pouvoir.

[114] De plus, j’estime qu’un manque de formation des gestionnaires peut aussi être à l’origine des abus de pouvoir commis dans cette affaire. Je recommande que la formation des gestionnaires soit revue afin de mettre plus l’accent sur les types d’abus de pouvoir identifiés dans la jurisprudence.

B. Mesures correctives

[115] La plaignante demande comme mesures correctives une déclaration qu’il y a eu abus de pouvoir et le paiement de dommages au montant de 35 000 $. Cette demande porte notamment sur des dommages pour préjudices moraux tels que pour atteinte à sa réputation et impact sur sa santé psychologique, ainsi que des dommages punitifs. À l’appui de cette demande de dommages, la plaignante se fonde sur la décision Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 95 (« Lyons 2022 »).

[116] L’intimé indique que le bassin des personnes qualifiées n’existe plus. Il souligne aussi que la plaignante a été nommée en 2023 dans un poste au groupe et au niveau TI-06 avec une différence salariale supérieure avec celui du poste PM-04.

[117] J’estime que la révocation de ses nominations n’est pas appropriée. La plaignante ne l’a pas demandé. Il n’y a aucune indication que les personnes nommées ne satisfaisaient pas aux critères de mérite.

[118] Je considère également que la réintégration de la plaignante dans le bassin des personnes qualifiées n’est pas envisageable après autant d’années. Le bassin n’existe plus et la plaignante occupe depuis 2023 un poste TI-06 avec une rémunération supérieure.

[119] L’intimé plaide que la décision Lyons 2022 ne peut s’appliquer dans le présent cas car elle portait sur le congédiement d’une fonctionnaire s’estimant lésée dans des circonstances extraordinaires. Selon l’intimé, la situation de la plaignante ne se prête pas à une telle compensation. Le préjudice qu’aurait subi la plaignante n’est pas proportionnel à celui de la fonctionnaire s’estimant lésée dans Lyons 2022. De plus, il n’y a pas ici d’intention ou de mauvaise foi qui a été établie.

[120] L’attribution de dommages comme mesure corrective dans le cadre de la LEFP a rarement été demandée ou considérée. J’estime que les circonstances de ce dossier sont si particulières et les abus de pouvoir si flagrants que cette demande requiert de s’y pencher sérieusement. Je suis d’avis que les parties devraient revenir pour une deuxième audience, comme dans Lyons 2022, portant sur cette question uniquement et en y présentant des arguments plus approfondis.

[121] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[122] La plainte est accueillie. La Commission déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante.

[123] Les parties seront convoquées dans les prochains mois à une audience portant sur la possibilité d’attribuer des dommages comme mesure corrective dans la présente plainte.

Le 2 août 2024.

Guy Giguère,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

 

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