Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le plaignant a allégué un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite dans le cadre d’un processus de sélection interne annoncé – il a été éliminé à la présélection, car l’intimé a déterminé que sa lettre d’accompagnement ne satisfaisait pas aux exigences de la compétence C1, « Gestion des conflits » – le plaignant a soutenu que l’évaluation de sa réponse était erronée – il a allégué que sa lettre d’accompagnement satisfaisait à deux des trois éléments requis pour la résolution des conflits, soit la prévention et la résolution – il a déclaré que l’utilisation de « et/ou » dans la définition de « Gestion des conflits » comme étant [traduction] « […] la prévention, la gestion et/ou la résolution des conflits » était trompeuse – l’intimé a fait valoir que la réponse du plaignant n’articulait pas les deux côtés du conflit bilatéral et qu'elle était donc insuffisante – la Commission a conclu que l’attente voulant que les candidats décrivent un conflit bilatéral et la façon dont ils le géraient constituait une application raisonnable de la compétence C1 et que l’évaluation de la réponse par l’intimé relevait de sa marge de manœuvre – de plus, l’utilisation de « et/ou » permettait à l’intimé d’exiger que tous les éléments soient satisfaits – la Commission a conclu que la candidature du plaignant avait correctement été rejetée et elle a rejeté la plainte.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20240718
Dossier: 771-02-45227
Référence: 2024 CRTESPF 96
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur l’emploi dans la fonction
publique
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Entre
Anthony Chaston
plaignant
et
Administrateur général
(Agence des services frontaliers du Canada)
intimé
et
AUTRES PARTIES
Chaston c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)
Devant : Joanne Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant : Lui-même
Pour l’intimé : Amanda Neudorf, avocate
Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale
Affaire entendue par vidéoconférence,
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Introduction
[1] Le plaignant, Anthony Chaston, a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; « LEFP »). Il a allégué un abus de pouvoir de la part de l’intimé, l’administrateur général de l’Agence des services frontaliers du Canada, dans l’application du mérite pour le poste de surintendant, classifié FB-05, situé à plusieurs endroits en Ontario. Le numéro du processus de nomination interne annoncé était 2021-IA-SOR-FB_05-638 (« le processus de nomination »).
[2] L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans le processus de nomination.
[3] La Commission de la fonction publique n’a pas assisté à l’audience et elle a présenté des arguments écrits portant sur les politiques et les lignes directrices applicables. Elle n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte.
[4] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.
II. Résumé de la preuve
[5] Le plaignant a présenté une demande dans le cadre du processus de nomination. L’affiche annonçant le processus de nomination comprenait la disposition suivante, reproduite telle qu’elle apparaissait sur l’affiche :
[Traduction]
[...]
Une lettre d’accompagnement est requise et sera utilisée pour évaluer les compétences suivantes : C1 - Gestion des conflits, C5 - Collaboration avec les partenaires et les intervenants et C6 - Promouvoir l’innovation et guider le changement.
Aux fins de ce processus de sélection, le comité d’évaluation a défini la « gestion des conflits » comme la capacité de faciliter la prévention, la gestion et/ou la résolution des conflits.
Dans votre lettre d’accompagnement d’environ 750 mots, qui décrit de façon CLAIRE et CONCISE un exemple lié au travail où vous avez démontré des comportements attendus à l’appui de la « gestion des conflits » [...]
[...]
[6] Le comité d’évaluation a déterminé que la lettre du plaignant ne satisfaisait pas aux exigences de la compétence C1, « Gestion des conflits », et il a été éliminé de la liste des candidats.
A. Pour le plaignant
[7] Le plaignant a déclaré qu’il avait 20 ans d’expérience à titre d’agent des services frontaliers. Il croit que le comité d’évaluation a agi de façon irrégulière et non dans le respect des règles qui exigent que les qualifications soient exprimées dans un langage simple.
[8] La réponse du plaignant pour C1 était la suivante :
[Traduction]
En août 2021, alors que je travaillais à la zone secondaire des douanes, un surintendant par intérim a dirigé un voyageur en attente vers mon comptoir alors que j’étais encore en train d’entrer un récit sur un bloc-notes pour mon passager précédent, qui était sur avis de surveillance du CNC pour la sécurité nationale. Lorsque le voyageur est arrivé à mon comptoir, je n’étais manifestement pas prêt à le recevoir, car je tapais encore mon rapport dans le SIED et il y avait de multiples photocopies et documents de référence éparpillés sur mon comptoir. J’ai trouvé très peu professionnelle et frustrante cette façon d’agir du surintendant qui dirigeait un voyageur à mon comptoir à l’improviste, et cela m’a fait paraître non professionnel et complètement compromis.
J’ai soigneusement mis de côté et cachés les documents de mon ancien voyageur, je me suis excusé auprès du voyageur qui se trouvait maintenant devant moi parce qu’il était « pré-occupé », puis je l’ai traité conformément aux procédures douanières normales jusqu’à ce qu’il soit libre de partir.
Une fois que le passager avait quitté le Secondaire, j’ai approché le surintendant et j’ai demandé de lui parler en privé, et nous avons marché jusqu’au côté le plus éloigné du Secondaire à l’insu de tous les autres employés. J’ai alors expliqué au surintendant que je n’aurais jamais de problème à ce qu’il dirige les voyageurs vers mon comptoir pour examen, au contraire, je l’encouragerais même, car je pourrais parfois ne pas savoir qu’il y a des voyageurs qui font la queue, mais avant qu’il ne le fasse à l’avenir, j’apprécierais la courtoisie commune d’un « avertissement » à l’avance pour m’assurer que je ne suis pas déjà occupé par quelque chose et que je suis prêt à recevoir mon prochain voyageur.
J’ai également expliqué que le fait de diriger le voyageur vers mon comptoir sans m’assurer au préalable que je suis inoccupé m’a peut-être mis un peu dans l’embarras en tant qu’agent parce que cela nous a fait paraître non professionnels et peu préparés à remplir mes fonctions.
Le surintendant a compris mon raisonnement et ma demande, et a accepté de vérifier auprès de moi ou de me conseiller avant de diriger un voyageur vers mon comptoir à l’avenir, et je l’ai remercié de son temps et de sa coopération pour corriger ce problème à l’avenir.
En réglant ce conflit de cette façon, j’ai pu i) prévenir toute autre occurrence ou escalade de cette question en réglant la situation en temps opportun et de façon appropriée, ii) gérer le problème en décrivant calmement ce qui s’est produit et en discutant de la façon dont la situation a eu une incidence négative sur l’exercice de mes fonctions, mais aussi sur l’optique du professionnalisme de l’Agence à l’égard du voyageur dirigé, iii) être en mesure de trouver une solution au problème à l’avenir, que les deux parties pourraient accepter et qui empêcherait que ce problème ne se reproduise et préviendrait tout conflit de cette nature à l’avenir.
[...]
[9] De l’avis du plaignant, sa réponse portait sur deux des trois éléments de la résolution des conflits, en particulier la prévention et la résolution. Au cours d’une discussion informelle après la fin du processus de nomination, le comité d’évaluation lui a dit qu’il n’avait pas établi qu’un conflit s’était produit. Il était d’accord, affirmant que sa réponse démontrait qu’il avait empêché un conflit de se produire.
[10] Le plaignant a témoigné qu’il aurait pu choisir parmi de nombreux exemples de conflit. Il a décrit la prévention des conflits dans sa réponse et il a estimé que son exemple était compatible avec la formation qu’il avait suivie sur la gestion informelle des conflits. La prévention était mentionnée dans la définition de C1. De par sa nature, la prévention doit avoir lieu avant qu’un conflit n’éclate. Toutefois, le comité d’évaluation n’accepterait qu’un exemple de gestion de conflit dans un conflit actif.
[11] Le plaignant a décrit son scénario comme étant la prévention d’une escalade qui aurait mené à un conflit. Il a expliqué qu’un conflit se serait produit si le superviseur avait continué à lui diriger des voyageurs alors qu’il était en plein examen. Il a ajouté qu’il s’agissait de résoudre des problèmes.
[12] Au cours du contre-interrogatoire, le plaignant a insisté sur l’utilisation de « et/ou » dans la définition de C1. Selon lui, cela signifiait que la gestion d’un conflit pouvait être démontrée par l’un ou plusieurs des moyens de prévention, de gestion ou de résolution d’un conflit. Il s’est souvenu qu’au cours de la discussion informelle, le comité d’évaluation lui avait dit que s’il avait écrit à propos des sentiments du surintendant, il aurait établi qu’il y avait eu un conflit entre eux. Il a répondu que ses mesures avaient été prises pour prévenir l’escalade et pour régler la question au niveau le plus bas possible.
B. Pour l’intimé
[13] Paul Boakye-Cofie (le « membre du comité d’évaluation ») a témoigné qu’il était membre du comité d’évaluation. Il a passé en revue son expérience et sa formation d'évaluateur. Il a confirmé que le comité d’évaluation avait conçu l’affiche, les outils d’évaluation et le guide de cotation pour le processus de nomination.
[14] Les documents montrent que plus de 300 demandes ont été reçues. Selon le membre du comité d’évaluation, les demandes étaient réparties entre les membres du comité d’évaluation. Il était chargé d’évaluer la réponse du plaignant à la question C1.
[15] L’évaluation écrite du membre du comité d’évaluation de la réponse du plaignant est la suivante :
[Traduction]
- bien que l’exemple fourni aurait pu être approprié et que le candidat ait clairement expliqué en quoi il était en conflit avec le surintendant, la nature bilatérale du conflit n’était pas suffisamment articulée.
- aucune information n’a été fournie sur la façon dont le surintendant se sentait, le surintendant était-il en conflit avec le candidat? Cela ne semblait pas être le cas...
- il n’y avait pas d’articulation quant à un suivi de la situation, le surintendant avait-il un historique de ce genre de comportement auparavant avec le candidat ou d’autres agents?
- il ne semble pas qu’il y ait eu un conflit réel nécessitant une gestion, mais plutôt que le candidat était contrarié, a donné ses raisons et le surintendant a simplement acquiescé
[16] Le membre du comité d’évaluation a expliqué son évaluation de C1. Le comité d’évaluation s’attendait à ce que les candidats décrivent un conflit bilatéral. Il n’était pas nécessaire que le plaignant soit impliqué en tant que partie au conflit. Le comité d’évaluation a cherché à savoir si les candidats avaient établi qu’un conflit s’était produit et s’ils avaient fourni des détails.
[17] Dans le présent cas, la réponse du plaignant ne contenait pas d’expression d’un conflit bilatéral. Il semble qu’il ait exprimé une opinion et que le surintendant était d’accord avec lui. Sur la base des informations présentées, le membre du comité d’évaluation ne pouvait pas déduire qu’un conflit s’était produit. Il a fait remarquer que la note minimale requise pour C1 était de 6 sur 10, ou « passable ». Le plaignant n’a pas obtenu cette note.
[18] Après avoir conclu que la réponse du plaignant ne satisfaisait pas à l’exigence minimale de réussite, le membre du comité d’évaluation s’est entretenu avec d’autres membres du comité d’évaluation pour s’assurer que les réponses étaient notées de façon uniforme.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour le plaignant
[19] Le plaignant a soutenu que l’évaluation de C1 par le comité d’évaluation ne correspondait pas à la définition figurant sur l’affiche, ce qui, à son avis, était trompeur. Selon la définition de C1, une réponse acceptable aurait pu comporter un, deux ou trois éléments de gestion des conflits.
[20] Le comité d’évaluation a fait erreur en exigeant des candidats qu’ils démontrent la gestion d’un conflit établi ou en cours. Cela a affaibli à tort la validité de son argument selon lequel son intervention auprès du surintendant avait empêché que la question ne dégénère en conflit.
B. Pour l’intimé
[21] L’intimé a soutenu que le plaignant ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer une erreur grave, une omission grave ou un acte répréhensible dans la décision du comité d’évaluation. Il n’a pas suffisamment expliqué la nature bilatérale d’un conflit. Il n’a pas satisfait aux exigences de C1, car il n’a pas expliqué ni décrit le conflit sous tous ses angles ni, s’il y avait un conflit, comment il avait été évité.
IV. Motifs
[22] Cette plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP. Il prévoit ce qui suit :
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[23] Lorsqu’un plaignant comparaît devant la Commission, il lui incombe de prouver ses allégations selon la prépondérance des probabilités. (Voir Tibbs c. Canada (Défense nationale), 2006 TDFP 8.)
[24] Dans le présent cas, le plaignant a allégué que l’évaluation de sa réponse pour C1 était erronée. Il a reconnu dans son témoignage qu’il ne présentait aucun conflit dans son exemple. Il a proposé que son intervention pour éviter le développement d’un conflit aurait dû être envisagée parce qu’elle avait permis de prévenir et de résoudre une situation avant qu’elle ne se transforme en conflit.
[25] Le plaignant peut être d’avis que le comité d’évaluation a indûment restreint C1 lorsqu’il n’a pas tenu compte de ses actions pour prévenir un conflit. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question du resserrement d’une qualification dans Bambrough c. Commission de la Fonction publique, 1975 CanLII 2207, dans laquelle elle a déclaré que le fait de modifier une qualification en la resserrant n’a aucun effet négatif sur le principe de la sélection au mérite. L’utilisation de « et/ou » au sens conjonctif ou disjonctif a également été discutée dans Henry c. Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 10.
[26] La preuve de l’intimé démontre que le comité d’évaluation s’attendait à ce que les candidats décrivent un conflit bilatéral et comment ils l’ont géré. Je suis convaincue qu’il s’agissait d’une application raisonnable de C1 et que la décision du comité d’évaluation s’inscrivait dans le cadre de sa « [...] liberté pour déterminer ce qui constitue des réponses satisfaisantes et la mesure selon laquelle les réponses tiennent compte des qualités recherchées [...] ». (Voir Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 33, au par. 36.)
[27] La position du plaignant obligerait le comité d’évaluation à évaluer C1 sans aucune indication de conflit. Cela pourrait mener à la conclusion qu’un candidat satisfaisait aux exigences de la qualification de gestion des conflits parce qu’il ou elle avait évité un conflit.
[28] Il me semble évident, d’après la définition et l’évaluation de C1, que ce n’était pas l’intention du comité d’évaluation. L’intimé a fait preuve d’une approche logique, cohérente et raisonnée pour évaluer la gestion d’un conflit dans le contexte d’un conflit. Il était insuffisant pour un candidat de démontrer qu’il avait empêché un conflit. Je ne suis pas convaincue par l’argument du plaignant selon lequel la conjonction « et/ou » dans la définition de C1 a ouvert la porte à un candidat pour démontrer la gestion d’un conflit en décrivant une situation qui ne présentait pas de conflit. Bien que la définition de C1 ait pu être exprimée avec plus de précision au début, il était raisonnable que le comité d’évaluation considère que l’évaluation de la gestion des conflits exigeait la présence d’un conflit.
[29] Tel qu’il est énoncé au paragraphe 30(2) de la LEFP, la personne nommée doit posséder les qualifications essentielles établies pour un poste. Dans le présent cas, le plaignant n’a pas fourni d’exemple qui satisfaisait à la note minimale pour C1 ou la dépassait. Par conséquent, le comité d’évaluation n’a pas pu conclure qu’il satisfaisait à C1. Pour cette raison, il a été à juste titre exclu de la liste.
[30] À mon avis, le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’il y avait eu abus de pouvoir dans l’application du mérite.
[31] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[32] La plainte est rejetée.
Le 18 juillet 2024.
Traduction de la CRTESPF
Joanne Archibald,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral