Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La plainte portait sur un processus de sélection non annoncé pour une nomination au poste de directeur de la Division de la réglementation des explosifs de Ressources naturelles Canada – le plaignant a allégué qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le choix du processus parce que l’intimé n’avait pas utilisé le processus de sélection le plus vaste pour combler le poste – il a prétendu que le poste aurait dû être comblé par une personne ayant un diplôme en sciences ou en génie et plus de 10 ans d’expérience dans l’industrie des explosifs – il a déclaré qu’il n’aurait pas posé sa candidature au poste si celui-ci avait été annoncé – l’intimé s’est opposé à la compétence de la Commission au motif que le plaignant n’avait pas d’intérêt personnel dans la nomination et ne pouvait donc pas présenter de plainte – le plaignant a affirmé que son intérêt à l’égard de la nomination était fondé sur la protection et la sécurité des collègues, des travailleurs du secteur privé et du public canadien – la Commission a conclu qu’il n’avait pas d’intérêt personnel, puisqu’un plaignant ne peut pas porter plainte au nom d’autres personnes – elle a déterminé qu’elle n’avait pas compétence pour entendre la plainte – elle a accueilli la requête en rejet et rejeté la plainte.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20240820
Dossier: 771-02-43196
Référence: 2024 CRTESPF 117
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
fonction publique
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Entre
Gregory Choryhanna
plaignant
et
Administrateur général
(ministère des Ressources naturelles)
et
AUTRES PARTIES
Choryhanna c. Administrateur général (ministère des Ressources naturelles)
Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant : Lui-même
Pour l’intimé : Monisha Ambwani, avocate
Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, analyste principale
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 24 septembre 2021, les 1er et 15 février, et le 12 juillet 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Plainte devant la Commission
[1] Le 24 juin 2021, un avis a été affiché concernant une nomination pour une période indéterminée non annoncée à un poste EX-01, directeur de la Division de la réglementation des explosifs (« DRE »), de Ressources naturelles Canada (l’« intimé ») dans le cadre du processus de nomination 2020-RSN-INA-PROM-LMS-201418. Gregory Choryhanna (le « plaignant ») a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; « LEFP ») alléguant que l’administrateur général avait abusé de son pouvoir dans le choix du processus.
[2] Le plaignant a soutenu que le poste aurait dû être occupé par une personne ayant un diplôme en sciences ou en génie, ayant plus de 10 ans d’expérience dans l’industrie des explosifs et qui aurait pu être nommée en vertu de la Loi sur les explosifs (L.R.C. (1985), ch. E-17) par le ministre à titre d’inspecteur en chef des explosifs (« ICE ») pour le Canada, ce qui avait toujours été le cas pour les directeurs précédents de la DRE. Il a soutenu que le directeur général (« DG ») agissant à titre d’ICE n’avait ni de diplôme scientifique ou d’ingénieur ni plus de 10 ans d’expérience dans l’industrie des explosifs et, n’étant pas « technique », n’avait pas correctement évalué les exigences du poste de directeur.
[3] Le facteur prépondérant qui a été ignoré était que la capacité de la DRE serait considérablement affaiblie par la nomination et que la sécurité de tous les Canadiens et Canadiennes serait plus à risque, par conséquent. De l’avis du plaignant, ni le DG ni le directeur nouvellement nommé n’étaient qualifiés pour prendre des décisions critiques et techniques, et l’industrie était préoccupée par la nécessité de placer la bonne personne dans le poste. Avoir accès aux conseils d’experts techniques n’était pas suffisant; pour prendre des décisions appropriées, il faut avoir plus de connaissances et d’expertise que ses conseillers. De l’avis du plaignant, le poste de directeur de la DRE exige des compétences techniques hautement spécialisées, ainsi que des compétences en leadership, pour s’assurer que la sécurité n’est pas compromise.
[4] Par conséquent, le choix d’un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir parce que le gestionnaire d’embauche n’a pas utilisé le processus le plus vaste pour trouver la meilleure personne pour remplir le rôle en question. Le plaignant a reconnu que la LEFP accordait beaucoup de pouvoir discrétionnaire au gestionnaire responsable de l’embauche et qu’un processus de nomination non annoncé pouvait être approprié dans certaines circonstances. Toutefois, il a soutenu que la sécurité des Canadiens et Canadiennes n’a pas été prise en considération et qu’un processus non annoncé n’est pas approprié pour un poste qui exige des compétences techniques hautement spécialisées.
[5] L’intimé a déclaré que le DG, qui était également le gestionnaire responsable de l’embauche, a déterminé les critères de mérite en fonction des besoins opérationnels actuels de l’intimé, ce qui nécessitait moins d’insistance sur les compétences techniques et plus d’insistance sur les compétences clés en leadership requises d’un cadre supérieur nouvellement nommé. Il a soutenu que le DG et le directeur avaient à leur disposition des experts techniques, des scientifiques et des ingénieurs pour fournir des conseils, des directives et des recommandations lorsque des décisions devaient être prises conformément à la Loi sur les explosifs. Il a souligné que le rôle de ICE n’est pas une exigence du poste.
[6] L’énoncé des critères de mérite énonce les qualités requises pour exécuter les fonctions actuelles du poste, y compris les normes de qualification du Secrétariat du Conseil du Trésor pour le groupe professionnel de la direction (« EX »). La personne nommée a été pleinement évaluée et a satisfait à toutes les qualifications essentielles établies pour le poste.
[7] On a déterminé qu’un processus de nomination non annoncé constituait le mécanisme de dotation approprié en raison de problèmes de relations de travail importants antérieurs. La nécessité d’un directeur ayant de l’expérience en gestion des personnes et des compétences en leadership a été jugée primordiale. La personne nommée occupait le poste de façon intérimaire depuis avril 2020 et avait rempli les fonctions avec succès. Il avait une solide expérience de la prestation de programmes et d’organismes centraux, ainsi que de solides compétences en leadership. De plus, le choix d’un processus de nomination non annoncé a permis d’assurer la continuité opérationnelle du rôle et de ses produits livrables.
II. Objection à la compétence - aucun intérêt personnel dans une nomination au poste
[8] Lors de la conférence préparatoire à l’audience tenue le 22 décembre 2023, le plaignant a confirmé qu’il n’aurait pas posé sa candidature au poste s’il avait été annoncé. Il a dit qu’il ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques et qu’il n’aurait pas pu être considéré pour le poste.
[9] Il a expliqué que son intérêt personnel ne portait pas sur le poste, mais plutôt sur la personne nommée à ce poste. À son avis, la sûreté et la sécurité des Canadiens et Canadiennes n’avaient pas été prises en considération, ce qui est la faille du processus de nomination qui a touché tous les Canadiens et Canadiennes sur le plan personnel. Il était personnellement impliqué car il estimait qu’il avait une responsabilité morale et éthique de se plaindre en leur nom.
[10] L’intimé a soulevé une objection, soutenant que le paragraphe 77(1) et la jurisprudence montrent clairement que la Commission n’a pas compétence pour trancher la présente plainte puisque le plaignant n’avait pas d’intérêt personnel à être nommé au poste.
[11] Le plaignant a répondu à l’objection à la compétence en qualifiant son intérêt personnel de « très clair ». Plus précisément, il déclare ce qui suit :
[Traduction]
[...]
Mon intérêt personnel est très clair. Au moment de la plainte, en tant que fonctionnaire et ancien inspecteur des explosifs, mon rôle principal est d’assurer la sécurité des Canadiens et Canadiennes. Sinon, j’enfreindrais la responsabilité fondamentale du gouvernement du Canada en vertu de la Loi de 2017 sur la sécurité nationale.
[...]
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[12] Il réitère que son intérêt est fondé sur la protection de la sécurité de ses collègues, des travailleurs du secteur privé et du public canadien, affirmant que la nomination en question met en péril la sécurité des Canadiens et Canadiennes.
[13] Par conséquent, la présente décision ne traite que de l’objection préliminaire soulevée par l’intimé.
III. Analyse
[14] Le paragraphe 77(1) prévoit qu’une personne qui « [...] n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination [...] en raison d’un abus de pouvoir [...] » [je mets en évidence] peut demander un recours auprès de la Commission. Par conséquent, seules les personnes qui ont un intérêt personnel à être nommées à un poste peuvent présenter une plainte.
[15] La jurisprudence de la Commission et de son prédécesseur, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») l’a confirmé à maintes reprises. Voir, par exemple, Lau c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires, 2023 CRTESPF 13, au par. 49; Lafrance c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2022 CRTESPF 36, au par. 38; Doraiswamy c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 35, aux paragraphes 11 à 16; Silke c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 9, au par. 68; Visca c. le sous-ministre de la Justice, 2006 TDFP 16, au par. 24; Evans c. le sous‐ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2007 TDFP 4, aux paragraphes 10 à 17.
[16] Dans Doraiswamy, par exemple, le Tribunal a rejeté une plainte dans laquelle le plaignant alléguait que les qualifications de la personne nommée étaient insuffisantes et que d’autres candidats auraient dû être pris en considération, mais dans laquelle le plaignant n’avait aucun intérêt. Le Tribunal a déclaré ce qui suit :
[...]
8 Durant la téléconférence, le plaignant a affirmé qu’il n’était pas intéressé par le poste ni par une nomination à celui‐ci. Il a indiqué avoir déposé la plainte parce qu’il estimait que les qualifications n’étaient pas appropriées. Dans l’intervalle, le plaignant a quitté le poste TI-07 qu’il occupait dans la fonction publique pour prendre sa retraite.
[...]
16 À la lumière des faits non contestés qui lui sont présentés, le Tribunal conclut que la plainte en l’espèce ne répond pas au critère d’intérêt personnel. Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve réfutant la position de l’intimé et il a explicitement indiqué au Tribunal qu’il n’avait aucun intérêt à l’égard du poste. La plainte ne porte pas sur le fait que le plaignant n’a pas été nommé. Le plaignant semble plutôt indiquer qu’il souhaiterait que la possibilité de nomination intérimaire soit offerte à un plus large éventail de candidats. Toutefois, une plainte reposant sur de tels fondements ne satisfait pas aux critères énoncés à l’article 77. En effet, une allégation selon laquelle d’autres fonctionnaires auraient peut-être été intéressés par la nomination intérimaire ne répond pas aux critères établis à l’article 77(1) de la LEFP. Une personne ne peut pas présenter une plainte au motif que d’autres personnes n’ont pas été nommées ou qu’elles auraient pu être nommées dans le cadre d’un processus de nomination.
[...]
[17] L’un des plaignants dans Silke a été jugé irrecevable pour déposer une plainte, car il n’avait aucun intérêt personnel dans le poste et s’était plaint au nom d’autres personnes. Tout comme le plaignant dans le présent cas, il n’a pas soutenu que la personne nommée ne possédait pas les qualités requises pour le poste, mais plutôt que la personne nommée ne possédait pas les qualités qui auraient dû être exigées. Il s’est concentré sur ce qu’il considérait comme la rétrogradation des qualifications, comme suit :
[...]
36 À sa connaissance, la personne nommée ne possède aucun certificat de métier. Sa formation lui permet de répondre aux besoins des locataires des logements, mais elle ne possède aucune formation en matière de structure. À titre d’homme de métier qualifié, il considère qu’il est très important que le travail soit accompli correctement et en entier. À son avis, même si n’importe qui peut réaliser une inspection, seule une personne de métier qualifiée peut déterminer si le travail a été exécuté de façon appropriée ou conformément au code. Il ne croit pas qu’un AST sans certificat de métier puisse fournir le travail de qualité auquel l’ALFC s’attend.
37 Durant le contre‐interrogatoire, M. Johnston a indiqué qu’il n’avait aucun intérêt personnel pour le poste d’AST à Trenton, mais que d’autres personnes auraient pu être intéressées. Il a reconnu que les exigences du poste peuvent changer, mais que les exigences d’un poste technique devraient être haussées et non abaissées. Il est d’avis que les normes ont été abaissées.
[...]
[18] Aux paragraphes 69 à 71, le Tribunal a conclu ce qui suit :
69 Comme il a été mentionné dans la décision Beyak c. le sous-ministre des Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 0035, le critère permettant d’établir l’existence d’un intérêt personnel pour un poste n’est pas plus rigoureux dans le cas d’un processus non annoncé que dans celui d’un processus annoncé. Dans le cas d’un processus non annoncé, il est impossible pour un employé de manifester son intérêt à l’égard d’un poste en posant sa candidature, comme il le ferait à l’occasion d’un processus de nomination annoncé. C’est en présentant une plainte au motif qu’il n’a pas été nommé qu’il peut exprimer son intérêt.
70 Tous les plaignants sont bien dans la zone de recours. Étant donné que l’intimé conteste leur droit de déposer une plainte, le Tribunal doit s’en remettre aux éléments de preuve et à l’argumentation des parties.
71 M. Johnston a déclaré qu’il n’avait pas envie de travailler à Trenton, mais que d’autres personnes auraient pu être intéressées. Il ne présente pas une plainte au motif qu’il n’a pas été nommé, parce qu’il n’aurait pas fait acte de candidature dans ce processus s’il en avait eu la possibilité. Pour ce qui est de son affirmation selon laquelle d’autres employés auraient pu être intéressés, elle va à l’encontre des exigences de l’art. 77(1) de la LEFP : une personne ne peut porter plainte contre le fait que d’autres personnes n’ont pas été nommées ou qu’elles auraient pu l’être à l’occasion d’un processus de nomination. En conséquence, le Tribunal conclut que M. Johnston n’avait aucun intérêt pour le poste d’AST à Trenton et qu’en fait, il a présenté une plainte au nom d’autres personnes. Le Tribunal conclut que le plaignant n’avait pas qualité pour agir en l’espèce et par conséquent, qu’il n’avait pas le droit de présenter une plainte au Tribunal aux termes de l’art. 77 de la LEFP. La demande visant à faire rejeter la plainte de M. Johnston est accueillie.
[19] Le plaignant cherche à soulever ce qu’il considère comme des préoccupations sérieuses concernant la sécurité des Canadiens et Canadiennes, mais la question qu’il soulève ne relève pas de la portée d’une plainte relative à la dotation en vertu de l’article 77 de la LEFP. La Commission ne peut pas exercer sa compétence sur des questions qui ne relèvent pas de son mandat.
[20] Le paragraphe 77(1) ne prévoit de recours que pour les personnes qui n’ont pas été nommées ou dont la nomination n’a pas été proposée en raison d’un abus de pouvoir. Le plaignant était une telle personne; cependant, il n’avait aucun intérêt personnel à être nommé au poste. Le but déclaré de sa plainte était d’exprimer ses préoccupations au sujet du processus de nomination, compte tenu de son obligation morale sincère et pressante envers la population canadienne.
[21] En se fondant sur les renseignements dont elle disposait, la Commission conclut que le plaignant n’avait pas qualité pour présenter cette plainte et que la Commission n’a pas compétence pour l’examiner et la trancher.
[22] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
IV. Ordonnance
[23] La requête en rejet de la plainte est accueillie.
[24] La plainte est rejetée.
Le 20 août 2024.
Traduction de la CRTESPF
Nancy Rosenberg,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral