Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a licencié la fonctionnaire s’estimant lésée pour des raisons disciplinaires – elle a allégué que sa négligence avait entraîné une perte de droits qu’elle aurait pu imposer à une société pour l’importation de certains produits de plus de 25 000 000 $ – la Commission a conclu que rien n’indiquait que la fonctionnaire s’estimant lésée s’était acquittée de ses responsabilités avec négligence – elle a conclu que l’employeur n’avait pas prouvé une inconduite ou que le licenciement était justifié ou pour un motif valable – le processus disciplinaire de l’employeur était profondément inopportun – il a omis d’enquêter sur les allégations, ce qui a été aggravé par le fait que la personne qui avait dirigé le processus disciplinaire était directement impliquée dans le dossier de la société de la même façon que la fonctionnaire s’estimant lésée, mais leur surveillance et leur préséance avaient dépassé les siennes – presque tous les droits perdus se sont produits après son départ et l’autre cadre était responsable – le fait que l’employeur n’ait pas enquêté a également protégé d’autres personnes de toute responsabilité et n’a pas déterminé les véritables raisons de ce qui s’était passé avec les droits perdus – la Commission a déterminé qu’une indemnité au sommet de la fourchette typique des dommages majorés était appropriée, au montant de 35 000 $ – la Commission a également conclu que la mauvaise foi de l’employeur dans le processus disciplinaire méritait des dommages punitifs, pour le punir – lorsqu’elle a calculé le montant approprié des dommages punitifs, la Commission a tenu compte de la nature délibérée, insensible, soutenue et de mauvaise foi de la conduite de l’employeur dans le cadre du licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée – elle a accordé une indemnité de 75 000 $ à l’échelon supérieur de l’échelle.
Grief accueilli.
Réintégration, dommages et intérêts accordés.
Contenu de la décision
Date: 20240816
Dossier: 566-02-38923
Référence: 2024 CRTESPF 115
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
|
|
entre
ANNE KLINE
fonctionnaire s’estimant lésée
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)
Répertorié
Kline c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Edith Bramwell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Morgan Rowe et Kundera Provost-Yombo, avocats
Pour le défendeur : Jena Montgomery, avocate
Affaire entendue par vidéoconférence
du 5 au 8 juillet 2022, et du 23 au 26 janvier, du 1er au 3 février et le 8 février 2023.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
|
(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
|
I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
II. Questions préliminaires : la mise sous scellés et l’anonymisation des documents
A. Les témoins et la preuve documentaire
B. Les fonctions de la fonctionnaire
D. Le dossier de l’entreprise avant la fusion
F. Le dossier de l’entreprise au sein de la DPCA
G. Le dossier de l’entreprise après le départ de la fonctionnaire
H. Les évaluations du rendement de la fonctionnaire
A. Les actions de la fonctionnaire constituaient-elles une inconduite?
B. Allégations de négligence grave et de manque de jugement
2. La fonctionnaire a-t-elle omis de se conformer à ces normes?
a. L’omission alléguée de faire produire le rapport de vérification
b. La règle de quatre ans en tant que délai implicite
c. Le fait que M. McRoberts se soit fié à la fonctionnaire
d. Le mépris allégué de la fonctionnaire concernant les recommandations de l’UOF
f. L’omission alléguée de faire un suivi des demandes et d’établir les prochaines étapes
i. La conduite et la motivation de la fonctionnaire
C. Conclusion concernant l’inconduite
A. Dommages-intérêts compensatoires
B. Dommages-intérêts majorés et dommages-intérêts punitifs : aperçu
1. La conduite de l’employeur était-elle inacceptable?
a. La rapidité d’exécution du processus disciplinaire
b. Le défaut d’enquêter, la partialité et le manque d’équité procédurale
c. La prise en considération d’allégations non fondées
2. La demande de dommages-intérêts majorés de la fonctionnaire
a. Quel préjudice prévisible a été causé par la conduite de l’employeur?
b. Le préjudice était-il plus important que la détresse prévisible à la suite d’un licenciement?
c. Le montant approprié des dommages-intérêts majorés
3. La demande de dommages-intérêts punitifs de la fonctionnaire
a. Existe-t-il une faute indépendante et donnant ouverture à action qui justifie une sanction?
c. Quel est le montant approprié des dommages-intérêts punitifs?
I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] Le 12 mars 2018, Anne Kline, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a été licenciée par son employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC, l’« employeur » ou le « défendeur ») pour des motifs disciplinaires. Deux motifs, dont l’un a été retiré au début de l’audience, étaient précisés dans la lettre de licenciement. Le motif maintenu est le suivant :
[Traduction]
[…]
[…] vous n’avez pas produit ou vous n’avez pas fait en sorte que soit produit le rapport de vérification final ayant trait au classement tarifaire de certaines marchandises importées par [l’entreprise] en temps opportun, malgré le fait qu’il vous incombait de le faire, ce qui a entraîné une perte de droits supérieure à 25 000 000 $ en raison de l’expiration du délai de prescription prévu par la loi pour le recouvrement […]
[…]
[2] La lettre se terminait ensuite par la conclusion suivante : [traduction] « […] en raison de cette négligence grave, de ce manque de jugement grave et important et de cette l’insubordination [de la fonctionnaire], le lien de confiance a été rompu de manière irréparable […] ». Mme Kline a présenté un grief contre son licenciement le 26 mars 2018, et ce grief a par la suite été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage.
[3] Pour les motifs qui suivent, le grief est accueilli.
II. Questions préliminaires : la mise sous scellés et l’anonymisation des documents
[4] L’employeur a demandé une ordonnance de mise sous scellés des registres commerciaux du tiers et l’anonymisation du nom du tiers. La fonctionnaire a demandé une ordonnance de mise sous scellés de ses dossiers fiscaux et le caviardage de son numéro d’assurance sociale (NAS) et de son code d’identification de dossier personnel (CIDP). Personne ne s’est opposé à ces demandes.
[5] Le « critère établi dans les arrêts Dagenais et Mentuck » (voir Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76) exige qu’un document ne soit mis sous scellés que si les effets préjudiciables éventuels de la divulgation l’emportent de loin sur ses effets bénéfiques (voir Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; et Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41). Plus récemment, la Cour suprême du Canada a reformulé le critère dans la décision Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, au paragraphe 38, de manière à exiger que la partie qui demande une ordonnance de confidentialité établisse que 1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important; 2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; 3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
[6] Dans le présent cas, l’identification d’une entreprise et la divulgation de ses registres peuvent lui causer un préjudice. Les registres contiennent des renseignements financiers et manufacturiers confidentiels qui pourraient donner un avantage injuste à ses concurrents. Le raisonnement dans la présente affaire ne dépend pas de ces registres ni de l’identité de l’entreprise. Par conséquent, les effets bénéfiques des ordonnances de mise sous scellés et de caviardage l’emportent sur l’intérêt public de la publicité des débats judiciaires. Lors d’une conférence préparatoire à l’audience tenue le 17 août 2020, j’ai ordonné la mise sous scellés des registres de l’entreprise et l’anonymisation du nom du tiers. Dans la présente décision, le tiers est appelé « l’entreprise ». De même, le risque pour la fonctionnaire de divulguer son CIDP, son NAS et ses dossiers fiscaux l’emporte sur tout intérêt public quant à la divulgation. Il a été ordonné que ses dossiers fiscaux soient mis sous scellés et que son NAS et son CIDP soient caviardés.
III. Résumé de la preuve
A. Les témoins et la preuve documentaire
[7] Les événements en litige sont survenus de juin 2012 à mars 2018, d’abord au sein de la Direction des programmes commerciaux (DPC, qui ne doit pas être confondue avec la Division des politiques commerciales (la « Division des politiques »), une division au sein de la DPC) et de son Unité de l’orientation fonctionnelle (UOF) puis, à la suite d’une réorganisation en 2014, au cours de laquelle la DPC a été fusionnée avec une autre direction, au sein de la nouvelle Direction des programmes commerciaux et antidumping (DPCA). La majeure partie de la preuve concernant la structure et les activités de la DPC et de la DPCA ainsi que les changements organisationnels ayant eu lieu pendant les événements en litige, n’est pas contestée.
[8] J’ai accueilli une demande conjointe visant l’exclusion de témoins. Il s’agissait des témoins suivants de l’employeur :
· Susan Hague (au moment des événements en litige; afin d’éviter toute confusion, tout au long de la présente décision, elle est appelée Mme Leblanc), directrice, Division des politiques, DPC/DPCA, de décembre 2012 à mai 2014, qui relevait de la fonctionnaire.
· Dino Pezoulas, conseiller principal, UOF, d’août 2012 à novembre 2014, et gestionnaire par intérim, UOF, Division des politiques, DPC/DPCA, de janvier 2013 à janvier 2014 et de mai 2014 à novembre 2014, qui relevait de Mme Leblanc alors qu’il était gestionnaire par intérim.
· Kelly Bartlett, agente principale des programmes (par la suite conseillère principale des programmes), Politique de classement tarifaire (secteur des aliments, des végétaux et des animaux), Division des politiques, DPC/DPCA, de novembre 2007 à juillet 2018, qui relevait de M. Pezoulas, puis de Mark Grant, gestionnaire.
· Shawn Riel, conseiller spécial du directeur général et de la directrice exécutive, DPCA, d’avril à décembre 2014.
· Brent McRoberts, directeur général, DPCA, de mars 2014 à mars 2017.
· John Ossowski, président, ASFC, de décembre 2016 à juin 2022.
· Michel Séguin, BMCI Consulting Inc. (BMCI).
[9] Par souci de clarté, les renseignements sur les employés de l’ASFC qui n’ont pas témoigné, mais qui ont été mentionnés souvent, sont présentés dans le tableau suivant :
Nom
|
Titre
|
Périodes pertinentes
|
---|---|---|
Manon Gilbert
|
Conseillère stratégique, Bureau du directeur général, DPC et DPCA
|
De juillet 2013 à décembre 2014
|
Mark Grant
|
Gestionnaire, UOF, Division des politiques, DPCA
|
De février à avril 2014 et de décembre 2014 à février 2017
|
Brad Loynachan
|
Directeur, Division des politiques, DPCA, qui a succédé à Mme Leblanc
|
De juin 2014 à août 2018
|
Catarina Ardito-Toffolo
|
Directrice, Division de l’observation des programmes commerciaux, DPCA
|
De mars 2014 à mars 2016
|
Richard Wex
|
Vice-président associé, Direction générale des programmes
Vice-président, Direction générale des programmes
|
De février à décembre 2013
De décembre 2013 à septembre 2015
|
Peter Hill
|
Vice-président associé, Direction générale des programmes
|
De décembre 2013 à juillet 2018
|
B. Les fonctions de la fonctionnaire
[10] Les motifs de licenciement ont trait à un dossier traité tantôt par le personnel d’un bureau régional de l’ASFC, tantôt par la fonctionnaire et différents employés de la DPC/DPCA. Le dossier concernait l’importation par l’entreprise de deux produits semblables désignés sous les appellations techniques « BF11 » et « PC/SS » et tous deux appelés officieusement [traduction] « crème plastique », car ils contiennent un produit qui correspond également à cette description.
[11] En 1992, la fonctionnaire a été nommée au poste d’inspectrice des douanes au groupe et au niveau PM-01 à Revenu Canada. Elle a gravi les échelons de l’ASFC pendant plus de 20 ans, pour assumer, en 2005, son premier rôle de gestion au sein de l’Unité des importations prohibées. En 2007, elle est devenue directrice au groupe et au niveau EX-01. En décembre 2012, elle est devenue la directrice générale de la DPC, un poste de groupe et de niveau EX‑02.
[12] Avant la création de la DPCA, la fonctionnaire était responsable d’une équipe composée de 114 employés, dont six relevaient directement d’elle, à savoir deux directeurs (y compris le directeur de l’UOF), un gestionnaire et trois membres du personnel administratif. Elle gérait un budget de 65 millions de dollars et supervisait les aspects liés aux politiques, à la conformité et à l’assurance de la qualité des programmes commerciaux de l’Agence.
[13] La fonctionnaire traitait régulièrement des dossiers de nature délicate. Un dossier pouvait être de nature délicate pour de nombreuses raisons, notamment un montant élevé de droits ou la possibilité d’une attention médiatique, de répercussions économiques ou de litiges. Son approche à l’égard de ces dossiers consistait à s’assurer que tout était en ordre, que les séances d’information étaient bien menées, que la position de l’ASFC était appuyée par les faits et que la haute direction de l’ASFC était au courant du cas, afin d’être prête à répondre aux questions posées par le public et les médias ou aux questions d’ordre juridique ou politique découlant d’un dossier de nature délicate. La fonctionnaire examinait et approuvait les notes d’information lorsqu’il était nécessaire d’informer le président de l’ASFC et d’autres personnes d’une question ou d’un dossier. Lorsqu’elle a présenté son témoignage, elle l’a fait de manière claire et précise et elle semblait bien connaître les travaux de sa direction, bien qu’elle ait reconnu qu’elle ne possédait pas l’expertise technique d’un expert en la matière.
C. Les travaux de l’UOF
[14] L’UOF fournissait des orientations d’experts sur le classement des marchandises importées, ce qui constitue un élément essentiel pour déterminer les droits applicables. Aux fins du classement d’une marchandise importée, l’état de celle-ci au moment où elle franchit la frontière constitue une considération centrale. Les employés de l’UOF possèdent une expertise à l’égard de marchandises particulières et ils donnent des conseils aux agents régionaux de l’ASFC.
[15] Après l’importation, le personnel des bureaux régionaux de l’ASFC peut effectuer des vérifications de l’observation tarifaire (les « vérifications ») afin de confirmer qu’un importateur a appliqué le bon classement. Les décisions de vérification sont communiquées par le bureau régional et peuvent faire augmenter ou diminuer les droits dus si le classement initial était erroné. Au cours de la période où se sont produits les événements en litige, l’ASFC entreprenait de 2 000 à 3 000 vérifications par année. Les décisions de vérification peuvent faire l’objet d’un appel, mais tous les droits dus doivent être payés avant qu’un appel ne soit interjeté. Si une décision de vérification fait en sorte que des droits sont dus, l’ASFC peut percevoir rétroactivement les droits pour une période allant jusqu’à quatre ans avant la date de la décision. Cette règle des quatre ans revêt une importance cruciale pour le présent grief.
[16] L’UOF fournissait un soutien consultatif lorsque les agents régionaux avaient des questions relativement aux vérifications. Afin de parvenir au bon classement, il pouvait être nécessaire d’effectuer des analyses de laboratoire, des recherches et des examens des décisions de vérification antérieures. Mme Bartlett, une experte en produits laitiers de l’UOF, fournissait un soutien technique lorsqu’il s’agissait de déterminer ce qui constituait un produit laitier, une question récurrente.
[17] Les importateurs ont également l’option de demander une décision anticipée pour faire confirmer un classement avant de procéder à l’importation. Contrairement aux décisions de vérifications, les décisions anticipées sont communiquées par l’UOF et, à l’époque, elles étaient assorties d’une norme de service de 120 jours. L’UOF n’avait aucune norme de service relativement à son soutien à la vérification.
[18] Le gestionnaire de l’UOF (un poste occupé par M. Pezoulas par intérim de façon intermittente, puis, après février 2014, par M. Grant, également par intérim de façon intermittente) relevait du directeur de la Division des politiques (de décembre 2012 à mai 2014, Mme Leblanc, et de juin 2014 à août 2018, M. Loynachan), lequel relevait de la fonctionnaire, en tant que directrice exécutive de la DPC, puis de la fonctionnaire et de M. McRoberts, en tant que membres de l’équipe de direction de la DPCA.
[19] Mme Leblanc a été franche au sujet de son expérience limitée en matière de politiques commerciales. Elle a admis avec honnêteté qu’elle se sentait submergée par le travail et la courbe d’apprentissage dans son nouveau rôle. Contrairement à M. Pezoulas, à Mme Bartlett et à la fonctionnaire, elle n’a pas parlé de manière claire ni précise du dossier de l’entreprise ou des travaux de l’UOF. À titre d’exemple des nombreuses imprécisions factuelles, en contre-interrogatoire, Mme Leblanc a d’abord dit penser que l’entreprise contestait une décision anticipée, puis elle s’est ravisée. Comparativement à d’autres témoins, Mme Leblanc ne comprenait pas très bien les questions liées aux marchandises importées, même si elle se souvenait que M. Pezoulas et Mme Bartlett [traduction] « avaient tenté [de lui] expliquer la crème plastique ». Sa capacité de se souvenir des faits différait grandement de celle des témoins de l’UOF et de la fonctionnaire qui, malgré leurs points de vue divergents quant au meilleur plan d’action à suivre relativement au dossier de l’entreprise, avaient des souvenirs semblables des événements, outre des incohérences mineures attribuables au passage du temps. La mémoire défaillante de Mme Leblanc semblait découler de sa compréhension limitée du dossier de l’entreprise et des travaux de l’UOF plutôt que d’un manque de transparence ou d’honnêteté de sa part.
[20] Dans son témoignage, Mme Leblanc a décrit une relation parfois tendue avec la fonctionnaire, qui, selon elle, l’avait exclue des réunions. Elle a expliqué que ni elle ni la fonctionnaire ne participaient aux travaux quotidiens de l’UOF, dont les travaux liés au dossier de l’entreprise. Mmes Leblanc et Bartlett ont confirmé que les dossiers de l’UOF n’étaient pas habituellement transmis à la fonctionnaire avant ou après la fusion, à moins qu’une intervention soit nécessaire. Mme Leblanc a confirmé que, lorsque la fonctionnaire formulait des commentaires, c’était souvent au sujet de dossiers de nature délicate.
[21] En ce qui concerne les dossiers de nature délicate de l’UOF, la fonctionnaire pouvait donner des orientations à l’UOF, diriger les étapes suivantes à l’UOF ou approuver un plan d’action proposé. Mme Bartlett a reconnu que, dans le cadre de son rôle, elle ne décidait pas à quel moment une note d’information était prête à être envoyée. Elle estimait qu’elle et la fonctionnaire avaient collaboré pour produire environ 25 notes d’information au cours des années pendant lesquelles elles avaient travaillé ensemble.
D. Le dossier de l’entreprise avant la fusion
[22] Dans une lettre de juin 2012, l’ASFC a informé l’entreprise de la tenue d’une vérification de ses importations de crème plastique en 2011. L’entreprise avait classé ces importations comme des produits non laitiers. L’ASFC a demandé à l’entreprise de fournir des échantillons du produit, des renseignements sur la façon dont les produits importés étaient fabriqués, utilisés et entreposés et des renseignements sur la transformation effectuée après l’importation. L’entreprise a fourni des renseignements supplémentaires en août 2012. Le personnel du bureau de l’ASFC de la région du Grand Toronto a demandé des orientations fonctionnelles pour la vérification de l’entreprise en septembre 2012. En octobre 2012, une analyse de laboratoire a également été demandée. Toutes ces démarches ont eu lieu avant que la fonctionnaire ne traite le dossier de l’entreprise.
[23] En novembre 2012, il était proposé dans un rapport provisoire que les importations de crème plastique de l’entreprise soient classées dans la catégorie des produits laitiers, ce qui risquait de faire augmenter les droits perçus, éventuellement de dizaines de millions de dollars, à partir de 2011 et par la suite. Tous les témoins ont affirmé que cette somme était exceptionnellement élevée. L’entreprise a répondu le 18 janvier 2013 et a présenté un rapport provenant de M. Art Hill, directeur du Département des sciences de l’alimentation à l’Université de Guelph (à ne pas confondre avec Peter Hill, vice-président associé, Direction générale des programmes, ASFC, qui sera mentionné plus loin). M. Art Hill a souligné ce qu’il a appelé des [traduction] « incertitudes » dans l’analyse de l’ASFC, dont il contestait les conclusions.
[24] M. Pezoulas et Mme Leblanc ont commencé à traiter le dossier de l’entreprise au début de 2013, environ en même temps que leur arrivée à l’UOF. Des orientations fonctionnelles supplémentaires ont été demandées en mai 2013. M. Pezoulas a insisté à maintes reprises dans son témoignage sur le fait que tous les travaux nécessaires avaient été accomplis à l’égard du dossier de l’entreprise et que l’UOF avait déjà donné des orientations fonctionnelles avant son arrivée en tant que gestionnaire. À son avis, l’agente de vérification avait fait preuve de diligence raisonnable et avait consulté l’UOF pour faire confirmer ses constatations. M. Pezoulas a informé Mme Leblanc au sujet du dossier de l’entreprise et, au cours du premier semestre de 2013, ils en ont discuté lors de réunions. À un moment donné en 2013, Mme Leblanc a commencé à inclure le dossier de l’entreprise dans les sujets de ses réunions bilatérales récurrentes avec la fonctionnaire.
[25] Au printemps 2013, l’entreprise a demandé une réunion avec l’ASFC. Le 11 juillet 2013, la fonctionnaire, M. Pezoulas, Mme Bartlett et d’autres employés de l’ASFC ont rencontré le président de l’entreprise, l’avocat de celui-ci et M. Art Hill. Les réunions avec les importateurs sont rares et concernent habituellement des droits très élevés. Il s’agissait pour M. Pezoulas de la première réunion de cette nature avec un importateur. Lors de la réunion, les représentants de l’entreprise ont insisté sur le fait que le classement proposé aurait des répercussions catastrophiques sur les affaires de l’entreprise et sur la communauté. Ils ont fait valoir que le procédé de fabrication modifiait les marchandises importées d’une manière qui avait une incidence sur son classement et ont renvoyé à des décisions de vérification antérieures. À leur avis, le rapport de M. Art Hill confirmait que les marchandises importées n’étaient pas de la crème ni des préparations de crème, mais bien des préparations alimentaires d’autres matières grasses, dérivées du lait. Par conséquent, les représentants de l’entreprise étaient d’avis qu’il ne s’agissait pas de produits laitiers.
[26] Mme Bartlett a témoigné au sujet des désaccords entre l’ASFC et l’entreprise quant au classement approprié de la crème plastique, qui reposait sur des facteurs comme les ingrédients du produit et la façon dont ils pouvaient être entreposés, séparés et utilisés. Pour simplifier certaines des considérations techniques, la fonctionnaire a fait l’analogie suivante : si le pain contient des œufs, il est toujours classé comme du pain parce que les œufs sont mélangés indistinctement dans la miche. Toutefois, si un pain tressé de fête, décoré d’œufs durs dans leurs coquilles, est importé, il sera classé à la fois comme pain et comme ovoproduit parce que les œufs peuvent être distingués et séparés. En ce qui concerne la crème plastique, les considérations techniques portaient en partie sur la question de savoir si les produits laitiers dans la crème plastique étaient intégraux ou séparables et, s’ils étaient séparables, à quelle température et dans quelles proportions.
[27] Après la réunion, Mme Bartlett a examiné le rapport de M. Art Hill afin de s’assurer que les conclusions de l’ASFC étaient conformes à ces nouveaux renseignements. Le laboratoire de l’ASFC et l’UOF ont tous deux convenu que les nouveaux renseignements ne modifiaient pas le classement proposé. Toutefois, la fonctionnaire était d’avis qu’il manquait encore des renseignements, de sorte qu’il était impossible de régler de manière définitive les divergences de vues entre l’ASFC et l’entreprise. Elle estimait que l’UOF était bien placée pour obtenir les renseignements nécessaires pour combler les lacunes.
[28] Compte tenu des millions de dollars de droits en jeu, il fallait produire une note d’information avant que le personnel du bureau régional puisse rendre une décision de vérification. Comme l’avaient souligné les représentants de l’entreprise à la réunion de juillet 2013, les droits rétroactifs risquaient d’avoir des répercussions de grande envergure, notamment la faillite de l’entreprise, des mises à pied massives, des ralentissements économiques régionaux, une attention de la classe politique, un examen minutieux du vérificateur général et une éventuelle attention médiatique à l’égard de laquelle l’ASFC pourrait être appelée à formuler des commentaires. Avant d’être envoyées au président de l’ASFC, les notes d’information étaient soigneusement vérifiées, puis approuvées par les cadres désignés. C’était la fonctionnaire ou, après son arrivée, M. McRoberts, qui signait la note d’information. Les travaux relatifs à la note d’information ont commencé à l’automne 2013.
[29] Au début de l’automne 2013, M. Pezoulas s’est rendu au bureau de Mme Leblanc. Il s’inquiétait du fait que le dossier ne progressait pas. Il n’estimait pas que le rapport provisoire de l’ASFC comportait des erreurs ou qu’il y aurait des problèmes si la décision de vérification était rendue. Mme Leblanc a proposé qu’ils en parlent directement à la fonctionnaire. Le 26 septembre 2013, M. Pezoulas a envoyé un courriel à la fonctionnaire, avec copie conforme à Mmes Leblanc et Bartlett et à d’autres personnes, où il affirmait que lui et Mme Bartlett avaient conclu que les nouveaux renseignements de l’entreprise ne modifiaient pas le classement proposé par l’ASFC. Il était inhabituel qu’une personne du niveau de M. Pezoulas écrive directement à un directeur général, mais il craignait que le délai de quatre ans pour les droits de 2011 (qui prendrait fin à partir du 1er janvier 2015) ne soit pas respecté. Il a recommandé que le bureau régional rende la décision de vérification et a fait valoir que l’entreprise avait le droit d’interjeter appel.
[30] La fonctionnaire a répondu qu’elle ne souscrivait [traduction] « absolument » pas à cette proposition. Elle a fait observer qu’il s’agissait d’une vérification très importante qui susciterait l’attention. Elle n’estimait pas que l’ASFC avait pris toutes les mesures nécessaires. M. Pezoulas a ensuite demandé à la rencontrer rapidement pour discuter des étapes suivantes. Elle a refusé, affirmant que sa présence n’était pas nécessaire, et a plutôt demandé à [traduction] « vous » (en faisant vraisemblablement référence aux personnes qui avaient reçu une copie conforme) un plan que Mme Leblanc lui présenterait ensuite. Plus tard dans le même échange de courriels, la fonctionnaire a écrit ce qui suit à Mme Leblanc : [traduction] « Ce sont vos dossiers et je m’attends à ce que vous et vos employés les suiviez de près et les gériez comme il se doit. »
[31] La fonctionnaire a demandé à l’UOF d’obtenir plus de renseignements sur le procédé de fabrication de la crème plastique. À son avis, il n’y avait pas de réponse définitive aux questions en suspens sur la façon dont la crème plastique était fabriquée et utilisée. Par conséquent, elle ne comprenait pas que l’UOF puisse recommander la fermeture du dossier. Afin de régler ces préoccupations, elle a recommandé de communiquer directement avec l’entreprise et les deux fabricants américains des produits importés.
[32] M. Pezoulas se souvenait d’une discussion informelle tenue à l’automne 2013 avec la fonctionnaire et Mme Bartlett au sujet des étapes suivantes. La fonctionnaire avait affirmé qu’ils pouvaient appeler les fabricants américains ou aller leur rendre visite, conformément aux dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Dans son témoignage, Mme Bartlett a clairement affirmé qu’elle avait estimé que la communication avec les fabricants américains constituait une solution inhabituelle. Elle doutait qu’ils aident volontiers l’ASFC et ne voyait pas comment les dispositions de l’ALENA pourraient être invoquées, point de vue qu’elle avait confirmé auprès de ses collègues à l’époque. En octobre 2013, la fonctionnaire a demandé une mise à jour et a convoqué une réunion interne entre elle-même, M. Pezoulas et d’autres personnes, afin que le plan puisse être mis au point. Malgré les doutes de Mme Bartlett, le 30 octobre 2013, des lettres ont été envoyées aux deux fabricants américains pour leur demander des détails sur le procédé de fabrication.
[33] Mme Leblanc avait l’impression, tout au long de cette période, que la fonctionnaire estimait que les membres du personnel devaient [traduction] « faire leurs devoirs » et a jugé que la fonctionnaire avait adopté un ton très négatif dans le commentaire formulé dans un courriel qui lui était adressé, selon lequel les membres du personnel devaient accomplir [traduction] « le travail proprement dit ». Mme Bartlett se rappelle que la fonctionnaire lui avait dit que l’équipe devait [traduction] « creuser davantage ».
[34] Les réponses des fabricants américains ont été reçues à la fin de 2013. La fonctionnaire les a jugées non concluantes. Les deux fabricants ont proposé que l’ASFC communique avec l’entreprise pour obtenir de plus amples renseignements. En décembre 2013, Mme Leblanc a dit à la fonctionnaire que son équipe était convaincue qu’elle pouvait mettre la dernière main à la note d’information et l’envoyer afin que le personnel du bureau régional puisse rendre la décision de vérification.
[35] L’UOF a de nouveau demandé l’avis du laboratoire de l’ASFC en décembre 2013. En janvier 2014, le laboratoire et l’UOF ont affirmé qu’aucun des renseignements reçus n’avait changé leur opinion initiale selon laquelle la crème plastique était un produit laitier. Une fois que tout cela a été fait, M. Pezoulas et Mme Bartlett ont estimé qu’il y avait suffisamment de renseignements pour faire transmettre la note d’information. La fonctionnaire n’était pas du même avis.
[36] Quelque temps après avoir reçu les réponses des fabricants américains, Mme Bartlett et M. Pezoulas se sont rendus au bureau de la fonctionnaire et ont fini par l’accompagner alors qu’elle marchait pour aller prendre un taxi. Elle leur a parlé de façon informelle des renseignements toujours manquants et des moyens de les obtenir. Elle a évoqué la possibilité de rendre visite en personne aux fabricants, en faisant le trajet en voiture, même si les démarches à faire pour organiser cette visite prendraient peut-être des mois. L’entreprise était peut- être en mesure d’organiser une invitation à l’intention des fabricants. Pendant qu’ils lançaient des idées, la fonctionnaire a de nouveau laissé entendre qu’il serait peut-être possible d’invoquer les dispositions de l’ALENA. Elle s’attendait à ce que l’UOF trouve une façon d’obtenir les renseignements nécessaires. Même si le laboratoire connaissait déjà les ingrédients des produits importés, il lui manquait les étapes du procédé de fabrication. La fonctionnaire jugeait qu’il s’agissait là d’un point vulnérable central soulevé par l’entreprise à la réunion de juillet.
[37] Selon le compte rendu des événements de l’agente de vérification de l’observation, les 4 et 7 février 2014, le bureau régional a été informé par courriel que l’UOF avait des questions en suspens et qu’elle était en train de rédiger une lettre à l’intention de l’entreprise pour clarifier le procédé. La note d’information a également été modifiée en février 2014. Mme Bartlett a affirmé qu’il était souvent difficile de travailler sur des notes d’information avec la fonctionnaire, car celle-ci apportait de multiples modifications et procédait à des révisions stylistiques (une tendance également soulignée par d’autres personnes), mais Mme Bartlett a également fait remarquer que cette façon de faire n’avait pas constitué un problème pour la note d’information sur l’entreprise. Elle a confirmé que, en ce qui concerne le dossier de l’entreprise, la fonctionnaire n’estimait tout simplement pas que l’ASFC disposait de tous les renseignements requis. Mme Bartlett a examiné les options de suivi avec M. Pezoulas. Elle a affirmé que, avec Eric Trudel, gestionnaire de la vérification, ils avaient envisagé une visite sur place. Elle ne se rappelait pas si la fonctionnaire avait été informée que l’UOF n’envisageait pas d’autres options de suivi. La préparation de la note d’information a été suspendue, dans l’attente de la réception de plus amples renseignements.
[38] L’UOF avait déjà commencé à travailler sur des produits de communication pour la décision de vérification. Selon Mme Bartlett, rien ne permettait vraiment d’expliquer que la note d’information n’ait pas été envoyée après janvier 2014. Selon Mme Leblanc, lorsqu’une ébauche de la note d’information a été envoyée à la fonctionnaire en février 2014, il ne restait plus rien à faire dans le dossier. Ce témoignage était tout à fait conforme à plusieurs courriels produits en preuve. Les courriels indiquent également que la fonctionnaire ne souscrivait pas à ces opinions. Toutefois, aucun élément de preuve n’indique que Mme Leblanc ou quiconque avait informé la fonctionnaire qu’aucun autre travail n’était accompli à l’égard du dossier de l’entreprise.
E. La création de la DPCA
[39] Dans le cadre d’une réorganisation en 2014, certaines directions de l’ASFC ont été fusionnées et devaient être [traduction] « gérées en équipe » par des pairs de cadres au groupe et aux niveaux EX-03 et EX-02. Neuf directions ont été fusionnées pour former des directions gérées conjointement par un EX-02 et un EX-03. En mars 2014, M. McRoberts a été nommé directeur général de la nouvelle DPCA résultant de la fusion de la DPC précédente et d’une autre direction. La nouvelle direction comptait 183 employés. L’UOF est demeurée au sein de la DPCA.
[40] La fonctionnaire était directrice générale au groupe et au niveau EX-02 de la DPC. Après la fusion, elle est devenue directrice exécutive au groupe et au niveau EX‑02 de la DPCA et, à ce titre, elle gérait la DPCA avec M. McRoberts. Ses objectifs de rendement et ceux de M. McRoberts étaient identiques. Son ancien bureau a été attribué à M. McRoberts. Plusieurs témoins, dont la fonctionnaire, ont fait remarquer que, même si son groupe et son niveau n’avaient pas changé, son leadership s’en était trouvé diminué dans les faits. Elle n’approuvait plus les notes d’information; cette responsabilité ayant été transférée à M. McRoberts, qui donnait l’approbation finale pour tous les dossiers de la DPCA.
[41] D’autres changements de personnel ont eu lieu à peu près au même moment. En mars 2014, Mme Ardito-Toffolo est devenue directrice de la Division de l’observation commerciale. À ce titre, elle avait des réunions bilatérales régulières avec M. McRoberts et la fonctionnaire pour discuter des dossiers en cours. En juin 2014, Mme Leblanc a été remplacée par M. Loynachan.
[42] M. McRoberts a expliqué que, [traduction] « sur le plan fonctionnel », lui et la fonctionnaire relevaient tous les deux de M. Wex, mais il a également affirmé que la fonctionnaire relevait de lui et que c’était lui seul qui fournissait les orientations pour la DPCA. En contre-interrogatoire, M. McRoberts a admis que la fonctionnaire relevait de M. Wex aux fins de son évaluation du rendement, mais il a continué d’affirmer qu’il était le seul responsable de la DPCA. Il a dit que, lors de sa première discussion sur la DPCA avec M. Wex, celui-ci lui avait dit que la DPCA avait [traduction] « beaucoup de problèmes, selon le bureau du SMA ». M. McRoberts ne savait pas si ces problèmes avaient déjà fait l’objet d’une discussion avec la fonctionnaire. Selon son témoignage, il avait entendu dire que la DPC avait le [traduction] « plus faible rendement » à l’ASFC en ce qui a trait à l’exécution des tâches en temps opportun (bien qu’il n’ait eu aucune connaissance directe de la source ou du fondement de cette remarque) et que la fonctionnaire avait des lacunes sur le plan des compétences interpersonnelles ainsi que des problèmes de rendement. Par conséquent, M. Wex souhaitait avoir un système de [traduction] « freins et de contrepoids », même si M. McRoberts n’avait pas précisé en quoi cela consistait.
[43] M. McRoberts a souligné à maintes reprises dans son témoignage que la fonctionnaire s’était présentée comme une experte en commerce et qu’elle était reconnue comme telle par ses pairs. Il a souligné qu’il se fiait à elle. Son but était de [traduction] « tirer parti » de son expertise tout en essayant de combler ses lacunes en matière de rendement. Comme premier exemple de ces lacunes, M. McRoberts a dit que la fonctionnaire insistait pour examiner personnellement des [traduction] « choses comme » les communiqués d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP), qui finissaient par s’accumuler sur son bureau.
[44] La fonctionnaire a déclaré que le retard pris dans les dossiers d’AIPRP découlait d’une augmentation des demandes d’AIPRP en 2014. M. McRoberts a admis que c’était effectivement le cas. Il a ajouté que la fonctionnaire ne faisait aucunement confiance à ses directeurs ou aux gestionnaires qui relevaient d’elle et qu’elle examinait tout leur travail, page par page. Ces déclarations contredisaient les courriels produits en preuve et les témoignages d’autres personnes, selon lesquels la fonctionnaire déléguait et demandait à d’autres personnes d’élaborer des plans et d’accomplir des travaux. M. McRoberts a ajouté qu’il avait changé la façon dont la DPCA fonctionnait, ce qui avait permis d’éliminer le retard pris dans les dossiers d’AIPRP. Aucun élément de preuve n’étayait cette déclaration et aucun document n’a été présenté pour démontrer les changements opérationnels ou les effets positifs décrits par M. McRoberts.
[45] À titre de deuxième exemple du rendement lacunaire de la fonctionnaire, M. McRoberts a déclaré que, souvent, elle interrogeait les gens au sujet des détails du formulaire de sécurité, comme les coordonnées de leur famille. À son avis, cela démontrait qu’elle cernait mal les priorités et déléguait peu. Lorsqu’il a été porté à son attention que la fonctionnaire avait environ 10 formulaires de sécurité à examiner chaque année et qu’elle était légalement tenue de les approuver personnellement, M. McRoberts a fait des commentaires vagues sur la cote « Protégé B » des formulaires signifiant [traduction] « peut-être » que ceux-ci devaient être acheminés directement à la sécurité une fois remplis, au lieu d’être examinés par la fonctionnaire. Aucun autre renseignement n’a été fourni.
[46] M. McRoberts a laissé entendre à maintes reprises que la fusion de la DPCA était soit exclusivement, soit en grande partie, attribuable à des problèmes propres à la fonctionnaire. Lorsqu’on lui a demandé si la fusion faisait partie d’une restructuration plus vaste, il a répondu qu’il ne s’en souvenait pas. Lorsque son attention a été attirée sur un rapport trimestriel traitant d’une restructuration plus vaste, il a d’abord maintenu fermement qu’il n’avait aucun souvenir des autres fusions ministérielles de l’ASFC. Prié de s’expliquer, M. McRoberts a affirmé à contrecœur se souvenir de quelques-uns des changements, puis il a déclaré en réinterrogatoire qu’aucun des autres changements ne concernait des fusions, même à la lumière de renvois à des documents faisant état de [traduction] « regroupements » ministériels. Il s’agit là d’un de plusieurs moments, dont d’autres sont détaillés plus loin dans la présente décision, où les déclarations de M. McRoberts manquaient de cohérence et de transparence.
F. Le dossier de l’entreprise au sein de la DPCA
[47] Le dossier de l’entreprise figurait sur plusieurs listes de rappel tout au long de 2014. Au début de 2014, Mme Leblanc a commencé à relever de M. McRoberts et à participer à des réunions bilatérales avec lui au lieu de la fonctionnaire. Elle a fourni à M. McRoberts un compte rendu complet qui, selon elle, comprenait probablement le dossier de l’entreprise, pendant que la fonctionnaire était en vacances. Il y a eu une autre réunion technique concernant le dossier de l’entreprise après le retour de la fonctionnaire. En raison de l’expérience de la fonctionnaire, celle-ci a continué de donner des directives, au besoin, à l’égard du dossier de l’entreprise et d’autres dossiers complexes.
[48] Mme Leblanc croyait que la fonctionnaire était contrariée par la fusion et qu’elle se sentait mise de côté. Pour Mme Leblanc, le fait de retarder sans cesse la note d’information de l’entreprise semblait être une obstruction délibérée. Selon Mme Leblanc, chaque fois que le dossier de l’entreprise était inscrit à l’ordre du jour d’une réunion, la fonctionnaire et elle se retrouvaient [traduction] « dans une séance de défoulement personnel », et [traduction] « aucune mesure de suivi n’était prise ».
[49] D’avril à décembre 2014, M. Riel a été conseiller spécial de la fonctionnaire et de M. McRoberts. Il considérait également que le dossier de l’entreprise faisait du sur place. En collaboration avec Mme Gilbert, dont les listes de rappel pour la fonctionnaire comprenaient l’entreprise, il a tenté d’aider à faire aboutir le dossier de l’entreprise, en partie en ayant des conversations avec la fonctionnaire. Lorsque Mme Leblanc est partie, en mai 2014, la note d’information était toujours en suspens.
[50] M. Riel a témoigné qu’en 2014, il participait à des réunions avec la fonctionnaire, Mme Gilbert et M. McRoberts au cours desquelles le dossier de l’entreprise a été mentionné et qu’il ressortait à son avis de ces réunions qu’il existait une question en suspens sur le procédé de fabrication. M. McRoberts a témoigné qu’il n’avait aucun souvenir de ces discussions. Cela semble très improbable, pour plusieurs raisons. Le dossier de l’entreprise était suffisamment important pour que M. McRoberts soit informé de la situation à son arrivée à la DPCA. Une note d’information était déjà en cours de préparation et le montant des droits concernés était très élevé. M. Riel s’est souvenu que M. McRoberts s’inquiétait de l’avancement du dossier de l’entreprise et il a décrit davantage les pressions exercées pour faire progresser le dossier. Cette affirmation contredit celle de M. McRoberts, qui a dit ne pas se souvenir de discussions sur le dossier de l’entreprise lors de réunions qu’il avait eues avec la fonctionnaire. Selon M. Riel, lors des réunions bilatérales, lorsque M. McRoberts insistait pour que la fonctionnaire rende compte des progrès réalisés dans le dossier, elle répondait toujours qu’elle attendait des renseignements. M. McRoberts n’avait aucun souvenir de cette situation. Il a éprouvé de nombreuses difficultés à se souvenir d’éléments décrits par d’autres témoins, dans ce cas-ci comme dans d’autres.
[51] De même, M. McRoberts n’avait que peu de souvenirs de certains sujets ou alors ne les comprenait pas bien, notamment concernant la question de savoir si les droits devaient être payés avant qu’un dossier ne fasse l’objet d’un appel, les types de dossiers qui étaient habituellement traités par l’UOF et l’existence ou non d’une question en suspens dans le dossier de l’entreprise au moment où la fonctionnaire était finalement partie pour travailler au projet Gestion des cotisations et des recettes (GCRA) de l’ASFC ou au moment de son départ ultérieur en congé payé.
[52] À un certain moment avant qu’il ne quitte l’UOF à l’automne 2014, M. Pezoulas a pris la mesure inhabituelle de communiquer directement avec M. McRoberts pour exprimer sa crainte que le délai de quatre ans relativement aux droits rétroactifs puisse ne pas être respecté. Il a contourné son gestionnaire, qui était alors M. Loynachan, et la fonctionnaire, qui était la supérieure de M. Loynachan. Il a expliqué à M. McRoberts que, à son avis, le dossier était complet et défendable, et que la note d’information était prête à être envoyée.
[53] Dans son témoignage, M. McRoberts a affirmé qu’il comprenait que la fonctionnaire [traduction] « dirigeait le dossier avec l’aide de l’équipe » tout en [traduction] « jouant du bâton » (une métaphore du hockey renvoyant au contrôle, à la manœuvre ou au contact direct) dans le dossier. À la question de savoir s’il aurait pu faire progresser le dossier à partir du moment où M. Pezoulas lui a fait part de ses préoccupations en 2014, M. McRoberts a déclaré qu’il n’était pas du tout certain de la date à laquelle il avait été informé des préoccupations, même si, la veille, il avait évoqué le moment où M. Pezoulas lui avait fait part de ses préoccupations. Lorsque son attention a été attirée sur la contradiction avec son témoignage de la veille, il a fait marche arrière et a dit qu’il n’était pas certain de la nature des préoccupations qui avaient réellement été soulevées.
[54] M. McRoberts a également affirmé que, pendant la majeure partie de 2014, il ignorait la façon dont la règle des quatre ans fonctionnait. Cette affirmation concorde avec la faible compréhension qu’il semble avoir de nombreux sujets, ainsi qu’avec ses souvenirs fragmentaires, mais elle est difficile à croire; M. McRoberts avait été informé du dossier et celui-ci avait fait l’objet de discussions avec lui à de nombreux moments par de nombreux intervenants. Il est improbable qu’aucune de ces discussions n’ait fait mention de la règle cruciale des quatre ans avant la fin de 2014.
[55] Le témoignage de M. McRoberts sur son pouvoir de faire progresser la note d’information comportait également des incohérences. En répondant à la question de savoir s’il aurait pu faire progresser le dossier de l’entreprise en réponse aux préoccupations de M. Pezoulas en 2014, ou même à tout moment, il a dit qu’il souhaitait d’abord obtenir l’approbation de la fonctionnaire avant de transmettre la note d’information. Il a ensuite fait vaguement référence à l’importance politique et à la nature délicate du dossier pour justifier le fait qu’il attendait l’approbation de la fonctionnaire. En contre-interrogatoire, il a admis qu’il relevait de son rôle de gestionnaire d’examiner ces questions et d’en tirer des conclusions. M. Riel a expliqué que M. McRoberts [traduction] « cherchait à obtenir l’approbation de la fonctionnaire » parce que le dossier [traduction] « était sa responsabilité à elle ». M. Riel a également fait remarquer que, si M. McRoberts avait acheminé la note d’information, le dossier aurait été réglé plus tôt.
[56] Dans son témoignage, M. McRoberts a souligné qu’une partie de la raison pour laquelle il n’a pas fait progresser le dossier était que la fonctionnaire avait déclaré qu’elle seule possédait les connaissances requises pour le dossier [traduction] « parce qu’elle connaissait les partenaires et les intervenants ». À son avis, même s’ils recevaient les mêmes renseignements au sujet du dossier (un fait corroboré par d’autres témoins), elle traitait le dossier de l’entreprise comme si c’était le sien. Il avait confiance en son expertise. Selon lui, la fonctionnaire était perfectionniste; elle déléguait à contrecœur et aimait contrôler l’information.
[57] Le témoignage de la fonctionnaire, qui concordait avec celui de Mmes Leblanc et Bartlett et de M. Pezoulas sur cette question, était tout à fait à l’opposé. Ces témoins ont convenu que la fonctionnaire n’accomplissait elle-même aucun des travaux de fond dans le dossier, y compris la rédaction de la note d’information. Elle guidait plutôt ceux qui accomplissaient et supervisaient les travaux de fond, elle corrigeait les lacunes qu’elle relevait lorsqu’elle était mise à contribution et elle s’attendait à ce que le directeur de l’UOF et les gestionnaires de l’UOF la tiennent informée au fur et à mesure que le dossier progressait.
[58] En octobre 2014, M. McRoberts est parti en vacances et la fonctionnaire assumait le rôle de directrice générale par intérim. Les éléments de preuve diffèrent quant à la signification d’un courriel du 10 octobre 2014 dans lequel le dossier de l’entreprise figurait parmi une liste de 24 dossiers. Ces dossiers devaient [traduction] « être achevés » avant que M. McRoberts ne revienne de vacances. Aucun détail sur ce qu’il était demandé de faire ne figure sur la liste pour les dossiers mentionnés, même si le courriel de trois phrases indique que [traduction] « Manon [Gilbert] connaît le contexte et les détails pour la plupart des éléments ».
[59] Selon M. McRoberts, ce courriel signifiait que la note d’information aurait dû être terminée et prête à être approuvée à son retour. Toutefois, il a également expliqué que certains des éléments de la liste étaient des projets en cours qui ne devaient être achevés qu’après son retour de vacances. La fonctionnaire a affirmé qu’elle avait compris que le fait que l’entreprise figurait sur la liste signifiait que des progrès ou une mise à jour étaient attendus dans ce dossier.
[60] Le 14 novembre 2014, la fonctionnaire a constaté que son dossier sur l’entreprise n’était pas dans son bureau. Elle a envoyé un court courriel à Mme Gilbert et à M. Riel avec la mention suivante : [traduction] « Est-ce que nous avons fermé le dossier [de l’entreprise]? » Dans le courriel, elle affirmait avoir demandé un suivi auprès des fabricants. M. Riel a répondu que ni lui ni Mme Gilbert ne se rappelaient qu’il fallait communiquer avec les exportateurs. M. Riel s’est engagé à faire un suivi auprès de M. Loynachan. Après avoir retiré la fonctionnaire de la chaîne de courriels, Mme Gilbert a demandé à M. Pezoulas à quel moment la fonctionnaire avait demandé aux exportateurs de fournir des renseignements et si elle l’avait fait verbalement ou par courriel. M. Pezoulas a répondu que des lettres avaient déjà été envoyées aux exportateurs.
[61] L’année 2014 arrivant à sa fin, tel était aussi le cas de la possibilité de percevoir rétroactivement la totalité des droits pour l’année civile 2011. Si la décision de vérification avait été rendue en 2014, il aurait encore été possible de percevoir les droits rétroactifs pour toute l’année civile 2011. M. McRoberts a affirmé que, à la fin de 2014, la fonctionnaire avait déclaré que le dossier de l’entreprise était presque achevé, qu’ils travaillaient encore avec le laboratoire et qu’ils attendaient d’autres tests. Rien dans le témoignage de la fonctionnaire ni dans celui de n’importe quel autre témoin ne laisse entendre que les résultats de laboratoire ou d’autres tests étaient attendus ou demandés à ce moment-là. Les témoins qui auraient pu corroborer la déclaration de M. McRoberts, comme MM. Loynachan et Grant, n’ont pas été cités à comparaître. De plus, les souvenirs de M. McRoberts étaient incohérents ou inexacts à d’autres moments, comme je l’ai déjà mentionné. Par conséquent, je ne trouve aucun élément de preuve qui étaye de façon significative une conclusion selon laquelle la fonctionnaire aurait dit à M. McRoberts que des résultats de laboratoire ou des tests étaient encore en attente à la fin de 2014.
[62] M. McRoberts a affirmé que les retards dans le dossier de l’entreprise étaient attribuables à [traduction] « quelque chose ressemblant à » un sabotage de la part de la fonctionnaire, peut-être en raison de la rétrogradation du titre de son poste. Il estimait qu’il n’avait pas reçu tous les renseignements sur les dossiers. Il a fait allusion à des réunions et à de la correspondance dont il n’était pas au courant, sans fournir de détails. Il estimait qu’il avait donné à la fonctionnaire de nombreuses occasions [traduction] « de s’entendre avec lui et de faire en sorte qu’ils soient sur la même longueur d’onde ». Or, cela n’a pas fonctionné, et il a alors dû s’affirmer davantage et examiner attentivement tous les produits livrables. Encore une fois, aucun détail n’a été fourni.
[63] En janvier 2015, la fonctionnaire a été convoquée à une réunion, sans préavis, et elle a été informée qu’elle commencerait immédiatement à travailler à temps plein sur le projet GCRA. Elle n’a apporté aucun dossier ni aucune charge de travail avec elle lorsqu’elle a commencé son travail sur le projet GCRA; elle n’a pas non plus reçu comme consigne de continuer à traiter les questions de la DPCA, même si ses communications avec M. McRoberts se sont poursuivies. Dans son témoignage, M. McRoberts a décrit la réaffectation de la fonctionnaire au projet GCRA comme une dernière chance pour elle de faire ses preuves, compte tenu de ses difficultés et de son rendement lacunaire. Sa participation au dossier de l’entreprise a pris fin. Chaque jour qui s’écoulait en 2015 éliminait la possibilité de percevoir des droits rétroactifs sur les importations effectuées avant la date correspondante en 2011.
G. Le dossier de l’entreprise après le départ de la fonctionnaire
[64] Un peu plus de 10 mois après l’affectation de la fonctionnaire au projet GCRA, le dossier de la DPCA concernant l’entreprise a été fermé. La décision de vérification a été rendue le 17 novembre 2015, peu après la transmission de la note d’information au président de l’ASFC. Les droits perdus ont été évalués à 26 006 621 $.
[65] M. McRoberts a expliqué que Mme Ardito-Toffolo, qui avait commencé à travailler sur le dossier de l’entreprise en octobre 2014, [traduction] « avait reconstitué le dossier » après le départ de la fonctionnaire et que de nombreuses réunions avaient eu lieu avant que la décision de vérification ne soit rendue, car il fallait [traduction] « examiner les questions et les problèmes ». Dans son témoignage, il a fait l’éloge de Mme Ardito-Toffolo pour les longues heures qu’elle a consacrées au dossier. Mme Ardito-Toffolo n’a pas témoigné. M. McRoberts a ajouté que, après le départ de la fonctionnaire, il avait fallu 10 mois pour rendre la décision parce qu’ils [traduction] « avaient dû réexaminer tout le dossier » et que le [traduction] « dossier était un véritable fouillis ». Prié de donner des précisions, M. McRoberts a répondu qu’ils [traduction] « n’arrivaient pas à trouver » les lettres de l’avocat, les rapports de laboratoire ou les registres des appels et des réunions. Il a également affirmé que la fonctionnaire avait aussi laissé d’autres dossiers en désordre. La fonctionnaire a nié cette affirmation.
[66] Les déclarations au sujet du désordre dans le dossier de l’entreprise ne concordent pas avec les témoignages d’autres témoins. Selon les témoignages d’autres témoins de l’ASFC, le dossier de fond relevait de l’UOF plutôt que de la fonctionnaire. Le « dossier » dont disposait cette dernière incluait vraisemblablement ses notes et ses courriels personnels, dont bon nombre avaient été envoyés à Mme Leblanc, à M. Loynachan ou au personnel de l’UOF ou provenaient de ces personnes. De plus, les documents mentionnés par M. McRoberts existaient ailleurs, soit à l’endroit où ils avaient été produits. Le laboratoire avait copie de son propre rapport et l’UOF, qui disposait du dossier en cours de traitement, avait des copies de sa correspondance, tout comme le bureau régional. M. McRoberts lui-même avait accès à tous les documents que la fonctionnaire avait reçus ou les avait en main. Même si j’acceptais que le dossier de la fonctionnaire n’était pas organisé et que des documents étaient manquants, il est très difficile de comprendre comment il a pu falloir 10 mois pour recueillir de nouveau les documents. À différents moments, M. McRoberts a déclaré que la perte de 26 millions de dollars s’était produite parce que la note d’information n’avait pas été communiquée en 2013, alors que la note d’information et le dossier étaient prêts à être acheminés.
[67] La décision de vérification a fait l’objet de demandes au Tribunal canadien du commerce extérieur et à la Cour fédérale. Elles ont été abandonnées avant que des décisions sur le fond ne soient rendues. Il n’a pas été contesté que le montant des droits perdus aurait pu, en fin de compte, faire l’objet de discussions en vue d’un règlement entre l’ASFC et l’entreprise.
H. Les évaluations du rendement de la fonctionnaire
[68] M. McRoberts a confirmé en contre-interrogatoire que, à sa connaissance, la fonctionnaire n’avait jamais été informée que l’établissement des priorités et la délégation étaient des aspects problématiques de son rendement. Il n’en est pas fait mention non plus dans ses évaluations du rendement. L’exercice d’évaluation du rendement comprenait l’attribution d’une cote de rendement annuelle fondée sur une entente de gestion du rendement (EGR) et une réunion de mi-exercice au cours de laquelle il était question des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs annuels. Les documents sur la rémunération au rendement (fondés sur des examens du rendement qui ont également été présentés en preuve) indiquaient les cotes de rendement suivantes :
· 2008-2009 : « Satisfait à tous »
· 2009-2010 : « Réussi »
· 2010-2011 : « Surpassé »
· 2011-2012 : « Surpassé »
· 2012-2013 : « Réussi »
· 2013-2014 : « Réussi moins »
[69] Pour l’exercice 2014-2015, la fonctionnaire a obtenu la cote de rendement « N’a pas atteint », qui lui a été envoyée par la poste chez elle pendant son congé payé.
[70] Il n’a pas été contesté que la cote « Surpassé » est attribuée à moins de 5 p. 100 des cadres. Dans l’entente de gestion du rendement du 17 juin 2014, à côté de la question [traduction] « Selon la présente évaluation, un plan d’amélioration du rendement est-il nécessaire? », la réponse « Non » a été cochée. Sur le même formulaire, la cote individuelle de la fonctionnaire était « Réussi moins », et sa cote ministérielle était « Réussi ». Le document indique qu’une cote « Réussi moins » peut s’appliquer aux cadres nouvellement nommés. Dans son témoignage, la fonctionnaire a expliqué sa cote par le fait que, au cours de leur première année, une année partielle, il est possible que les nouveaux cadres ne puissent pas atteindre tous leurs objectifs. Toutefois, il est également clair, d’après le formulaire, que ce n’était pas la seule raison pour laquelle une cote « Réussi moins » pouvait être attribuée. Cette cote peut également indiquer que les attentes en matière de rendement n’ont pas été entièrement satisfaites. En outre, le formulaire énumère d’autres possibilités en plus de ces deux possibilités. M. Wex, qui aurait pu dissiper cette ambiguïté, n’a pas été cité à comparaître.
[71] La rétroaction de fin d’année 2012-2013 de la fonctionnaire indique que, à l’examen de mi-exercice, la gestion des personnes et l’ouverture à la transformation des programmes commerciaux avaient été abordées en tant que domaines de perfectionnement. Il indique en outre que la fonctionnaire avait depuis manifesté sa volonté de perfectionner davantage ces compétences en leadership. La fonctionnaire a expliqué que, lors de la réunion tenue pour discuter de l’entente de gestion du rendement de 2012-2013, quelque temps avant la signature en juin du document lui-même, M. Wex lui avait fait part de ses commentaires positifs et elle s’était sentie satisfaite de ce qu’elle avait accompli au cours de sa première année dans son nouveau rôle.
[72] Lors d’une réunion sur le rendement tenue le 31 mars 2015 en présence de MM. Wex et Hill, la fonctionnaire avait reçu des commentaires positifs sur son rendement, y compris son arrivée au projet GCRA, pour lequel elle avait fourni ses commentaires à l’avance. Rien n’avait été dit au sujet du dossier de l’entreprise. Dans son témoignage, M. McRoberts a confirmé qu’il ne lui avait donné aucun avertissement formel ou informel concernant le dossier de l’entreprise ou toute autre question et qu’aucune mesure disciplinaire n’avait été prise et aucun plan d’amélioration du rendement n’avait été élaboré, à sa connaissance, relativement à son rendement en général ou à l’égard du dossier de l’entreprise. Il a indiqué qu’il s’agissait de questions auxquelles MM. Hill ou Wex devaient répondre. M. Wex était chargé des évaluations du rendement de la fonctionnaire. Aucune de ces personnes n’a témoigné.
I. Le processus disciplinaire
[73] Le 8 avril 2015, la fonctionnaire a été convoquée à une réunion en présence de MM. Wex et Hill, qui a eu lieu immédiatement. Elle a été informée que son comportement lors d’une réunion dans le contexte du projet GCRA était inacceptable. M. Wex lui a dit de rentrer chez elle immédiatement et de faire ce qui suit : [traduction] « réfléchissez à votre comportement », tandis que l’ASFC envisageait les prochaines étapes. Aucun détail sur son comportement problématique ne lui a été fourni. Le dossier de l’entreprise n’a pas été abordé, et la réunion s’est limitée aux questions relatives au projet GCRA.
[74] La réunion a été un choc pour la fonctionnaire. Elle n’avait reçu aucun préavis de l’ordre du jour et ne savait pas au départ quel était le sujet de la discussion. Elle a vu M. McRoberts immédiatement après la réunion, et celui-ci lui a dit de garder une distance avec les employés de l’ASFC, ce qui était difficile, puisque la majeure partie de son cercle social était formé de gens de l’ASFC. Au cours des jours suivants, elle a subi une intervention chirurgicale et a pris un congé de maladie. Pendant qu’elle était à l’hôpital, M. Wex l’a appelée pour lui dire de rester chez elle après la fin de son congé de maladie.
[75] Le 27 avril 2015, M. McRoberts a joint une [traduction] « chronologie des problèmes de gestion » à un courriel qui a finalement été acheminé à l’unité des enquêtes internes de l’ASFC. Ce document portait sur le style de gestion de la fonctionnaire et ses interactions avec le personnel, ainsi que sur les questions liées au projet GCRA. L’entreprise n’était pas mentionnée dans le résumé des problèmes de gestion.
[76] Au cours de l’été 2015, la fonctionnaire a reçu sa première cote « N’a pas atteint » dans le cadre de son évaluation du rendement, qui visait l’exercice 2014-2015. Aucune rétroaction ni aucune évaluation à l’appui de cette cote n’étaient fournies. En août 2015, la fonctionnaire a retenu les services d’un avocat. Une fois rétablie, elle a appelé M. Wex et a déclaré qu’elle était prête à retourner au travail. On lui a dit d’attendre d’autres renseignements, qu’elle devait recevoir au plus tard le 30 octobre 2015. Le mois d’octobre est arrivé et a passé, mais aucun nouveau renseignement ne lui a été communiqué.
[77] M. McRoberts a affirmé dans son témoignage que M. Wex, qui a quitté l’ASFC en septembre 2015, lui avait demandé de présenter un rapport sur les problèmes de rendement de la fonctionnaire avant son départ. M. McRoberts a répondu que l’ASFC [traduction] « devait embaucher un tiers indépendant ». Selon M. McRoberts, M. Wex était du même avis. M. McRoberts a également mentionné des consultations avec M. Hill et la Direction générale des relations de travail de l’ASFC. Au début de 2016, Michel Séguin, président de BMCI et enquêteur tiers indépendant chevronné, a été embauché pour rédiger un [traduction] « rapport sur le rendement ». M. McRoberts a décrit M. Séguin comme une personne qui travaillait de façon très autonome et professionnelle.
[78] Bien que, d’après les éléments de preuve et son témoignage, le travail de M. Séguin semble avoir été bien organisé, documenté avec précision et hautement professionnel, il est difficile de savoir s’il avait été fait de manière indépendante ou autonome. Dans l’énoncé des travaux, il n’est pas question d’une enquête indépendante. Le 21 mars 2016, au cours d’une première discussion, M. McRoberts a dit à M. Séguin que, en raison du mauvais rendement de la fonctionnaire, des dizaines de millions de dollars avaient été perdus. Il lui a également dit que, en mars, il y avait eu une enquête interne sur le harcèlement, l’intimidation et l’abus de pouvoir perpétrés par la fonctionnaire. M. McRoberts a également dit à M. Séguin que la fonctionnaire vivait pour travailler et qu’elle était financièrement indépendante. Le fonctionnaire a témoigné que, après son licenciement, elle a eu du mal à payer les services d’aide psychologique qui étaient auparavant inclus dans ses avantages sociaux, ce qui contredisait directement cette affirmation et n’a pas été contesté par l’employeur.
[79] Selon M. Séguin, la portée des tâches que M. McRoberts lui avait confiées comprenait l’examen [traduction] « d’une pile de quelques centimètres » de documents que lui a remis l’adjointe de M. McRoberts, leur mise en ordre et le choix de ceux qui portaient sur les problèmes que M. McRoberts avait relevés. Ces documents n’incluaient pas le dossier complet de l’entreprise ni le dossier ou les notes de la fonctionnaire. Sur cette base, M. Séguin a présenté une chronologie des événements et interrogé les huit témoins suivants, qui avaient été proposés par M. McRoberts : Marion Whitford, Janice Jacquard, MM. Riel, Pezoulas et McRoberts, Zaina Sovani, Mme Ardito-Toffolo et Ray Bonnell. M. Bonnell était un employé de l’unité d’enquête interne de l’employeur qui avait enquêté sur les allégations de harcèlement qui avaient été déposées contre la fonctionnaire et qui s’étaient finalement avérées sans fondement. La pertinence du travail de cet employé relativement au dossier de l’entreprise, aux allégations concernant le projet GCRA ou aux allégations liées au rendement n’a jamais été expliquée.
[80] M. Séguin a témoigné que sa tâche ne consistait pas à enquêter sur les actes répréhensibles, mais plutôt à compiler des documents auxquels étaient joints les résumés d’entrevue des témoins. Ces résumés n’ont pas été joints à la version finale du rapport et n’ont pas été présentés en preuve. En fin de compte, l’avocat interne de l’ASFC a décrit la tâche de BMCI comme suit : [traduction] « […] aider à la production du rapport. »
[81] Une grande partie du travail de M. Séguin portait sur des motifs de licenciement que l’employeur a depuis retirés. Il n’a pas interrogé la fonctionnaire, Mme Leblanc ni MM. Loynachan, Hill et Grant. Il n’a pas non plus obtenu de renseignements de ces personnes sur leur participation au dossier de l’entreprise. Malgré cela, M. McRoberts a décrit à maintes reprises M. Séguin comme [traduction] « un tiers indépendant ». Cette description ne correspond pas à la preuve présentée à l’audience.
[82] Dans un autre cas de mémoire défaillante, M. McRoberts a affirmé qu’il ignorait totalement que la fonctionnaire n’avait jamais été interrogée par M. Séguin. M. McRoberts n’avait pas mené d’entrevues lui-même, et il n’avait pas non plus demandé à la fonctionnaire de fournir de renseignements ni de documents supplémentaires ou de lui fournir le nom de témoins qu’elle aurait pu juger pertinents. Il n’a pas confirmé la déclaration de M. Séguin selon laquelle Mme Jacquard, son adjointe administrative, avait fourni des documents à M. Séguin. Au départ, il ne se souvenait aucunement que le personnel de son bureau ait jamais fourni de documents. M. McRoberts a finalement admis qu’il était possible que Mme Jacquard ait remis des documents à M. Séguin, mais il a soutenu qu’il n’avait aucun souvenir de lui avoir demandé de le faire et qu’il ne voyait pas qui d’autre aurait pu donner ces directives.
[83] M. McRoberts a reconnu que M. Séguin avait affirmé qu’il n’estimait pas que son travail pouvait être décrit comme une enquête, et qu’il s’agissait plutôt d produire un rapport fondé sur les documents fournis. Malgré cela, M. McRoberts a témoigné qu’il [traduction] « était resté en dehors » de l’ensemble du processus et qu’il avait adopté une [traduction] « position ferme » (ce qui laisse sous-entendre une opposition à cette idée, à l’égard de laquelle il n’y avait aucune preuve) quant à son absence de participation à la rédaction du [traduction] « rapport d’enquête ». M. McRoberts a ajouté, dans son témoignage, qu’il n’avait pas voulu intervenir dans la [traduction] « méthodologie d’enquête » de M. Séguin. À d’autres moments, il a décrit le document de M. Séguin comme un [traduction] « rapport d’établissement des faits et un rapport sur le rendement » plutôt que comme une enquête sur l’inconduite.
[84] M. Séguin a rédigé un rapport (le « rapport McRoberts ») qu’il a remis à M. McRoberts et qu’il a ensuite modifié, selon les directives de M. McRoberts, lequel a signé le rapport McRoberts. Le nom de M. Séguin ne figure pas sur le rapport. Selon le préambule du rapport McRoberts, l’objectif du document est de [traduction] « fournir une chronologie des événements ». M. McRoberts a témoigné qu’il avait été [traduction] « complètement à l’écart des activités » après la [traduction] « publication » du rapport McRoberts daté du 14 avril 2016. Le rapport McRoberts comporte trois sections : le dossier de l’entreprise (résumé dans un récit de 4 pages renvoyant à 15 pièces jointes), le projet GCRA et l’achèvement des tâches en temps opportun. La lettre de licenciement ne mentionne pas l’achèvement des tâches en temps opportun. Les motifs de licenciement liés au projet GCRA ont été retirés à l’audience.
[85] Le 19 avril 2016, l’avocat de la fonctionnaire a reçu les premiers détails relatifs aux allégations portées contre elle, y compris les allégations de harcèlement qui ont finalement été jugées non fondées et les allégations concernant son rendement que l’employeur n’avait pas invoquées dans sa lettre de licenciement. La chronologie des tâches en retard qui étaient jointes au rapport McRoberts était incluse dans la lettre. La fonctionnaire n’avait jamais eu connaissance des allégations formulées dans le rapport McRoberts et a appris l’existence des allégations de harcèlement dans son bref appel à M. Séguin le 24 mars 2016, à la surprise des deux. M. Séguin avait supposé que la fonctionnaire devait être au courant des allégations de harcèlement dont elle faisait l’objet. La fonctionnaire n’avait jamais été interrogée au sujet des allégations de harcèlement ou du rapport McRoberts. Finalement, elle a reçu une lettre l’informant que ces allégations n’étaient pas fondées.
[86] La fonctionnaire a également été surprise par les préoccupations mentionnées dans le rapport McRoberts au sujet de son rendement. Elle savait déjà qu’il y avait un problème relatif à son affectation au projet GCRA, parce qu’elle en avait été informée à la réunion du 8 avril 2015 avec M. Wex, mais il s’agissait de la première fois qu’elle était informée de problèmes liés au dossier de l’entreprise. Elle n’estimait pas qu’elle avait mal géré le dossier et elle ne savait pas ce qu’il était advenu du dossier après son départ. Pour elle, le rapport McRoberts était blessant et bouleversant. Elle estime qu’il est heureux qu’elle recevait déjà du soutien professionnel à ce moment-là, compte tenu des répercussions personnelles qu’elle a subies.
[87] Quelque temps après que son avocat a envoyé une lettre à l’ASFC, en juillet 2016, la fonctionnaire a rencontré l’avocat général de l’ASFC et le vice-président des Ressources humaines dans les bureaux de son avocat. Plusieurs fois avant son licenciement, elle a demandé à rencontrer le président de l’ASFC, une demande qui n’a jamais été accordée. Elle a expliqué que, même à ce stade tardif, elle espérait que, si elle pouvait donner sa version de l’histoire, elle bénéficierait d’une audience équitable et ses déclarations seraient prises en considération.
[88] La fonctionnaire a été licenciée le 12 mars 2018, après avoir été en congé payé pendant près de trois ans (à partir du 8 avril 2015). M. Ossowski a témoigné que les manquements de la fonctionnaire dans le dossier de l’entreprise étaient les suivants :
· elle était le cadre responsable lorsque des droits de « 25 millions de dollars » ont été perdus;
· même s’il existait suffisamment d’éléments de preuve pour envoyer la [traduction] « cotisation », elle avait persisté à poser davantage de questions;
· un grand nombre de ses dossiers n’ont pas été bien gérés;
· elle ne faisait pas confiance à son personnel et avait de faibles compétences en communication.
[89] M. Ossowski a indiqué que la fonctionnaire avait tergiversé et avait [traduction] « tricoté avec la rondelle » (une métaphore de hockey faisant allusion au retard). À son avis, tout le monde s’entendait sur la nature du produit importé et sur son classement. La fonctionnaire aurait dû faire confiance à l’équipe, compte tenu du montant dû. Elle a plutôt a choisi de ne rien faire. Il y a eu un manque de communication avec ses supérieurs et elle a fait preuve de négligence grave.
[90] M. Ossowski a compris que les membres du personnel ne faisaient pas confiance à la fonctionnaire et la craignaient. Il a estimé qu’il était raisonnable de déduire que le blocage du dossier était délibéré. Il a mentionné l’incidence sur la réputation de l’ASFC, ainsi que l’incidence sur l’entreprise et l’absence de règles du jeu équitables au sein de ce secteur commercial en général. Il a compris que la fonctionnaire avait tendance à ne pas prendre les mesures qu’il fallait, ce qui, selon lui, transparaissait dans ses évaluations du rendement. Que l’affaire de harcèlement ait été fondée ou non, en ce qui le concerne, il était clair que la fonctionnaire n’avait pas bien reçu la rétroaction sur ces questions. M. Ossowski n’a fourni aucun exemple de rétroaction sur le dossier de l’entreprise ni aucun autre dossier datant de la période précédant le départ de la fonctionnaire du lieu de travail, et aucun autre témoin n’a fourni de tels exemples.
[91] Selon M. Ossowski, il n’y avait aucunement place aux remords ou à une réadaptation. La fonctionnaire avait déjà eu la possibilité de changer, notamment au moment de la réorganisation de la DPC et du [traduction] « nouveau départ » au projet GCRA, mais elle n’avait fait preuve ni de conscience de soi ni d’introspection, malgré le fait qu’elle [traduction] « avait reçu de la rétroaction à maintes reprises ». M. Ossowski a fait remarquer que ses évaluations du rendement s’étaient dégradées lorsqu’elle était devenue EX-02. Ses années de service avaient été prises en considération, mais, compte tenu de ce qu’il a décrit comme de l’insubordination dans le dossier du projet GCRA, ainsi que de l’intimidation et du style de leadership musclé dont elle avait fait preuve, le licenciement était approprié.
[92] M. Ossowski s’est appuyé sur ce qu’il a appelé [traduction] « l’enquête McRoberts » (qu’il a décrite comme [traduction] « appropriée et approfondie ») et sur la réaction de la fonctionnaire lorsqu’il a décidé de la licencier, ainsi que sur les renseignements fournis par son équipe juridique. Il a admis n’avoir eu aucune connaissance directe des éléments suivants :
· la raison pour laquelle la fusion a eu lieu et ce qui, le cas échéant, a été dit à la fonctionnaire au sujet de son rendement à ce moment-là;
· qui dirigeait l’UOF ou le rôle de la fonctionnaire relativement aux travaux de l’UOF, ou la question de savoir si les employés de l’unité avaient informé la fonctionnaire qu’ils ne suivaient pas ses directives;
· la véracité des allégations de harcèlement ou la question de savoir si les préoccupations en matière de harcèlement avaient été communiquées à la fonctionnaire avant la production du rapport sur le harcèlement.
[93] M. Ossowski ne savait pas la raison pour laquelle le dossier de l’entreprise avait été signalé aux fins de vérification, la position qu’avait adoptée l’UOF ni si et comment la fonctionnaire y avait participé. Il n’a fourni aucun commentaire ni aucune explication au sujet de l’absence de conséquences disciplinaires pour M. McRoberts et Mme Ardito-Toffolo, malgré le fait que, de janvier à novembre 2015, ils n’avaient pas non plus pris de mesures pour communiquer la note d’information, et malgré le fait que la majorité des 26 millions de dollars en droits perdus était liée à des périodes postérieures à la mutation de la fonctionnaire au projet GCRA.
[94] M. Ossowski a admis que le licenciement de la fonctionnaire était fondé à la fois sur l’incident du projet GCRA et sur le traitement du dossier de l’entreprise et qu’il avait tenu compte des autres allégations formulées dans le rapport McRoberts, ainsi que des allégations de harcèlement. Il ne se rappelait pas s’il était au courant, au moment de licenciement de la fonctionnaire, que les allégations de harcèlement avaient été jugées non fondées. Il a admis savoir que la fonctionnaire ne faisait pas l’objet d’un plan de rendement, mais il a néanmoins soutenu qu’elle avait des problèmes de rendement.
[95] M. Ossowski a affirmé qu’il ignorait que la fonctionnaire n’avait pas été interrogée dans le cadre de l’enquête McRoberts. Il a affirmé que, si M. McRoberts et la fonctionnaire n’étaient pas du même avis, il préférait la version de M. McRoberts, puisque d’autres étaient du même avis que M. McRoberts, et il a donc supposé que l’opinion de M. McRoberts devait être exacte. Il ne savait pas que M. McRoberts n’avait pas rédigé le rapport McRoberts. Il ne savait pas non plus que le consultant n’avait pas eu accès aux notes et aux courriels de la fonctionnaire. M. Ossowski a affirmé qu’il n’avait jamais vu la lettre du 15 juillet 2016 dans laquelle l’avocat de la fonctionnaire sollicitait une rencontre avec lui et qu’il n’était toujours pas au courant de cette demande. Il ignorait en outre que la fonctionnaire avait été informée que cette demande avait été refusée.
[96] La fonctionnaire a expliqué qu’elle s’était sentie complètement prise au dépourvu par les événements qui se sont produits pendant toute cette période, à partir du moment où elle a été renvoyée chez elle en avril 2014. À partir de ce moment-là, elle a passé son temps à la maison à réfléchir à ce qu’elle aurait pu faire différemment, sans aucun contact avec les anciens collègues qui avaient été ses amis. Elle a passé une longue et très solitaire année à attendre que les allégations lui soient communiquées. Elle se sentait isolée et démoralisée. Les mois, puis les années, pendant lesquels elle a continué de réfléchir et d’attendre se sont succédés, puis elle a finalement été informée de son licenciement. Tout ce temps, elle a eu recours à de l’aide professionnelle pour traverser ce qui est devenu [traduction] « une période extrêmement sombre » de sa vie.
[97] Sa vie avait été principalement axée sur son travail, et sa carrière à l’ASFC lui importait profondément. Elle continue d’éprouver des problèmes de confiance en soi. Elle doute de ses décisions et a du mal à faire confiance aux autres. Elle craint toujours que ce qu’elle a vécu puisse se reproduire et cette crainte continue de l’affecter au travail. Elle a décrit cette crainte comme un niveau déraisonnable de paranoïa.
[98] La fonctionnaire a également éprouvé un sentiment de perte. Sa progression avait été constante, elle avait gagné des prix et avait été sélectionnée pour des programmes spéciaux. Elle avait encore des objectifs et des ambitions qu’elle a maintenant peu de chances de réaliser, à son avis. Comme elle l’a dit, en raison des années perdues, [traduction] « il ne lui reste pas suffisamment de temps ». Elle a décrit toutes ces répercussions comme profondes et durables. Elle a depuis trouvé un nouvel emploi au sein de la fonction publique fédérale. Sa recherche d’emploi a été entravée par le fait qu’elle était franche au sujet de son licenciement de l’ASFC.
[99] Personne d’autre que la fonctionnaire n’a fait l’objet d’une mesure disciplinaire à l’égard du dossier de l’entreprise. M. McRoberts a eu ce qu’il a décrit comme [traduction] « une des réunions les moins agréables de [sa] carrière » avec le président de l’ASFC et d’autres personnes, à la suite de l’achèvement du dossier de l’entreprise. Tenu de fournir des renseignements sur cette réunion, M. McRoberts a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne veux pas en discuter en raison de questions politiques ». Il a seulement ajouté qu’il avait été question de veiller au respect des délais.
IV. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
1. Inconduite
[100] L’employeur a prouvé l’existence d’une inconduite grave qui justifie le licenciement de la fonctionnaire. Subsidiairement, une suspension non payée de longue durée serait appropriée. Il n’y a aucun fondement pour des dommages-intérêts majorés ou des dommages-intérêts punitifs. Les avantages découlant de la réintégration suffiront si la réintégration est ordonnée.
[101] La fonctionnaire n’était pas cadre depuis longtemps. Dans son évaluation du rendement de 2013-2014, la gestion des personnes et la transformation des échanges commerciaux étaient mentionnées en tant que domaines de perfectionnement. Selon l’employeur, la cote « Réussi moins » de 2013-2014 témoignait de son rendement. Selon le témoignage de M. McRoberts, le nouveau modèle de gestion avait été mis en place pour réduire la responsabilité de la fonctionnaire, en partie en raison de problèmes de rendement, comme la gestion des personnes. Ses courriels au personnel avaient parfois un ton brusque, comme le démontrent son commentaire selon lequel [traduction] « […] le personnel doit accomplir le travail proprement dit […] » et son utilisation occasionnelle de lettres majuscules. Le rejet des recommandations du personnel faisait partie intégrante de ces mauvaises pratiques de communication. Ces problèmes de rendement ont contribué au non-respect de délais. Comme l’ont démontré les courriels produits en preuve, on lui rappelait constamment les délais à respecter, et ce, à compter de 2014.
[102] Toute la situation aurait pu être évitée en 2013, lorsque l’entreprise a été informée qu’elle devait fournir des renseignements sur le procédé de fabrication. L’entreprise aurait dû être motivée à fournir des renseignements qui mettraient fin au reclassement, afin d’éviter des droits. S’il existait des éléments de preuve de nature à convaincre l’ASFC, l’entreprise aurait dû les fournir et les aurait fournis. La fonctionnaire n’a pas tenu compte de cela.
[103] En septembre 2013, M. Pezoulas a informé la fonctionnaire que les renseignements de l’entreprise ne modifiaient pas le reclassement. Il connaissait bien le dossier. Il souhaitait que la décision de vérification définitive soit rendue. Il a affirmé que l’entreprise pouvait toujours porter la décision en appel. La fonctionnaire souhaitait attendre d’obtenir des renseignements plus complets sur le procédé de fabrication, mais les fabricants américains ont refusé de fournir volontairement ces renseignements. À ce moment-là, la fonctionnaire aurait dû se fier à la recommandation interne et l’accepter.
[104] À compter de janvier 2014 et par la suite, le dossier de l’entreprise figurait dans un système hebdomadaire de rappel. Mme Bartlett, spécialiste des produits laitiers, a déclaré que, au début de 2014, une fois les nouveaux résultats de laboratoire communiqués, ceux-ci ne changeaient en rien le reclassement, et ce, même si M. Art Hill avait eu raison au sujet des globules de matière grasse qui se séparent au cours de la fabrication. À ce stade, la note d’information aurait dû être envoyée. Il n’y avait aucune raison d’attendre. Pour la deuxième fois, la fonctionnaire a continué de demander des renseignements sans importance. La seule façon d’obtenir ces renseignements – c’est-à-dire qu’un fabricant américain ppermette à l’ASFC de faire une visite sur place – était irréaliste. Le 28 février 2014, Mme Leblanc a envoyé à la fonctionnaire une ébauche de la note d’information. Il s’agissait là d’une nouvelle occasion de rendre la décision de vérification. La décision de chercher des renseignements inutiles sans effectuer de suivi n’était pas compatible avec le rôle de cadre de la fonctionnaire. La demande de renseignements supplémentaires constituait une erreur de jugement.
[105] La fonctionnaire a manqué d’honnêteté et a fait preuve de négligence au sujet des renseignements qu’elle a fournis à M. McRoberts de janvier à novembre 2014. En novembre 2014, elle a demandé à Mme Gilbert et à M. Riel si l’ASFC avait déjà fermé le dossier de l’entreprise, laissant ainsi entendre qu’elle n’était pas au courant de l’état d’avancement du dossier. Malgré cela, elle a continué à agir comme si le dossier était sur la bonne voie et qu’elle attendait simplement des renseignements supplémentaires. Elle aurait dû savoir que l’échéance de quatre ans approchait. Elle aurait dû savoir pertinemment qu’une décision devait être rendue sans plus tarder. Il aurait été préférable de disposer d’un bon dossier qui aurait permis le recouvrement complet des droits que d’un dossier parfait qui ne respectait pas la date limite de recouvrement.
[106] Dans son témoignage, la fonctionnaire a dit qu’elle voulait vérifier la véracité des renseignements reçus. Cette affirmation différait de ce qu’elle avait dit à l’UOF au moment où les événements en litige sont survenus. Il en va de sa fiabilité et de son jugement. Il y a une grande différence entre demander des renseignements qu’une personne n’a pas et vérifier des renseignements qu’une personne a.
[107] Au moment où la fonctionnaire a été mutée au projet GCRA, le dossier de l’entreprise relevait de sa responsabilité depuis deux ans. Elle aurait dû communiquer la note d’information avant son départ. Elle est responsable de toutes les pertes jusqu’à la date de la décision de vérification, parce que son inaction a été à l’origine des pertes survenues dans les mois ayant suivi son départ pour le projet GCRA. M. McRoberts n’aurait pas dû avoir à prendre la relève du dossier. Il n’était pas un expert en commerce. Il n’avait pas participé aux discussions avec Mme Leblanc ou l’entreprise. C’est la fonctionnaire qui occupait le rôle de leadership et c’est donc elle qui est responsable, comme il a été mentionné.
[108] Quant à la raison pour laquelle il a fallu environ 10 mois après le départ de la fonctionnaire pour rendre la décision de vérification, M. McRoberts a affirmé que le dossier devait être reconstitué et que les délais avaient été touchés parce qu’elle avait laissé d’autres dossiers en désordre. Même si d’autres personnes avaient accès à son dossier, celles-ci ne pouvaient pas simplement reprendre le travail au point où elle avait laissé le dossier.
[109] Le rapport McRoberts n’a été publié qu’environ un an après le départ de la fonctionnaire, parce que la décision de vérification n’a pas été rendue avant novembre 2015. L’employeur ne pouvait pas connaître l’étendue des dommages avant cette date-là. Quelques mois seulement après l’achèvement du dossier de l’entreprise en novembre 2015, on a communiqué avec M. Séguin.
[110] L’employeur peut évaluer la conduite dans son contexte et en fonction d’une norme de décision raisonnable. Dans le présent cas, le contexte et la norme sont énoncés dans la Loi sur les douanes (L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.) et la Politique sur l’établissement d’une nouvelle cotisation de l’employeur, qui énonce que l’obligation de l’importateur de corriger les droits sur les marchandises importées prend fin quatre ans après l’importation. En l’absence d’une norme de service précisément définie, le bon sens s’applique. L’absence de responsabilité de la fonctionnaire et la façon dont elle a tenté de rejeter le blâme sur d’autres personnes sont toutes deux préoccupantes.
[111] Il existe peu de jurisprudence en droit du travail sur la question de la négligence grave, soit le principe applicable en l’espèce. La décision Hildebrand v. Fox, 2008 BCCA 434 (« Hildebrand »), une action en common law lancée pour une faute commise dans un contexte d’emploi, met en évidence que, lorsque l’inconduite ne découle pas d’une faute consciente, il peut tout de même s’agir d’une négligence grave lorsque des écarts sont constatés par rapport aux normes de conduite normales. De tels écarts peuvent inclure des pertes de vie, des blessures graves ou des dommages graves. La décision Stevenson v. First Nations University of Canada Inc., 2015 SKQB 122 (« Stevenson »), qui portait sur de multiples cas de criminalité, de fraude et d’irrégularité financière de la part d’une personne occupant un poste de direction et de confiance, confirme les mêmes concepts. L’inconduite dans ce cas soulevait des questions quant à l’honnêteté, et les mêmes questions se posent dans le présent cas. Il y a lieu de se demander si les actions de la fonctionnaire constituaient un écart marqué par rapport à la norme.
[112] Le concept de travail bâclé s’apparente à la négligence grave. Si des dommages ou des perturbations surviennent dans le secteur de l’employé, celui-ci doit en expliquer les causes. Dans le cas présent, la volonté, l’insouciance et la négligence militaient toutes en faveur de l’imposition d’une sanction sévère. Un manque profond de jugement équivaut à la négligence grave.
[113] Les manquements de la fonctionnaire dans le dossier de l’entreprise comprenaient ce qui suit :
· ne pas tenir compte des recommandations de l’UOF à l’automne 2013 et à l’hiver 2014 et continuer de tenter de vérifier le procédé de fabrication;
· accorder trop d’importance à l’opinion de l’entreprise et accepter les arguments de celle-ci lorsque les experts en la matière de l’ASFC n’étaient pas du même avis;
· ne pas assurer de suivi sur sa demande de renseignements supplémentaires ou ne pas établir les étapes suivantes;
· ne pas accepter la responsabilité, compte tenu des sommes en jeu, et ne prendre aucune mesure pour accélérer le processus, y compris pendant qu’elle était affectée au projet GCRA et en congé.
[114] Même si la fonctionnaire n’était pas entièrement responsable, elle l’était suffisamment pour que son licenciement soit justifié. Elle a présenté un témoignage changeant pour minimiser sa responsabilité, ce qui a une incidence sur sa crédibilité. La fonctionnaire a tenté de transférer la responsabilité des suivis à M. Riel. Elle a dit qu’elle avait foi en son personnel, mais elle n’a pas accepté ses recommandations. Elle ne savait pas si les employés avaient fermé le dossier de l’entreprise, bien qu’elle ait dit à M. McRoberts que c’était sur la bonne voie. MM. Pezoulas, Riel et McRoberts et Mmes Bartlett et Leblanc ont tous convenu qu’il n’y avait aucune autre mesure à prendre dans ce dossier.
[115] M. McRoberts savait qu’une date limite approchait, mais il ne savait pas qu’elle ne serait pas respectée, d’après ce que la fonctionnaire lui avait assuré. Il croyait que le dossier de l’entreprise serait achevé à temps. La fonctionnaire ne lui a pas fourni de renseignements précis sur le dossier. C’est elle qui était l’experte respectée en matière d’échanges commerciaux. Il ne comprenait pas les risques avant d’en être pleinement informé. Il ne l’a pas mise en garde ni ne lui a donné de conseil parce qu’il croyait qu’elle maîtrisait bien le dossier. Le manque de franchise, la propension à minimiser, l’absence inacceptable de suivi et l’incapacité à accepter la responsabilité de la fonctionnaire ont irrémédiablement rompu le lien de confiance.
2. Dommages-intérêts
[116] Selon l’arrêt Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, au paragraphe 59 (« Honda »), les dommages-intérêts majorés s’appliquent au préjudice moral prévisible découlant de la manière dont le licenciement a été effectué. Ces dommages-intérêts peuvent également servir à sanctionner les comportements malveillants ou inacceptables, qui doivent être considérés comme une faute indépendante donnant ouverture à action en soi pour que soient imposés des dommages-intérêts punitifs (voir Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18 (« Whiten »), aux paragraphes 79, 82 et 83). Des dommages-intérêts punitifs sont accordés pour sanctionner l’injustice et la mauvaise foi et une inconduite si malveillante et inacceptable qu’elle justifie une sanction (voir Honda aux paragraphes 56, 57 et 62; et Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30 (« Fidler »), au par. 63).
[117] Dans la décision Spruce Hollow Heavy Haul Ltd. c. Madill, 2015 CF 1182 (« Spruce Hollow ») est énoncé le critère des dommages-intérêts majorés et des dommages-intérêts punitifs aux paragraphes 81, 82 et 119 à 121. Le licenciement est intrinsèquement désagréable. Ce désagrément prévisible ne constitue pas un fondement pour des dommages-intérêts majorés ou des dommages-intérêts punitifs. La détresse de la fonctionnaire correspondait à ce qui est prévisible lors d’un licenciement. Même si la preuve médicale ne constitue pas une condition préalable pour l’octroi de dommages-intérêts majorés, la fonctionnaire doit fournir plus d’éléments que ce qu’elle a présenté, notamment une liste détaillée des préjudices qu’elle a subis.
[118] Pour l’octroi de dommages-intérêts punitifs, il faut prendre en considération le montant minimal rationnellement requis pour être dissuasif. Les dommages-intérêts compensatoires peuvent également punir un employeur. La proportionnalité englobe les considérations de dommages-intérêts compensatoires, de dommages-intérêts majorés et de dommages-intérêts punitifs (voir Whiten, aux paragraphes 74 et 109 à 119; Greater Toronto Airports Authority v. Public Service Alliance Canada Local 004, 2011 ONSC 487, aux paragraphes 125 à 127).
[119] La fonctionnaire n’a évoqué aucun préjudice précis. Elle était en congé payé lorsqu’elle ne travaillait pas. Il y a des raisons pour lesquelles il a fallu une année complète pour achever le processus disciplinaire. Il n’existe aucun élément de preuve indiquant que sa capacité de répondre aux allégations de l’employeur a été entravée ni aucun élément de preuve selon lequel l’employeur a prolongé l’enquête. Il y a eu de longues discussions sur le règlement.
[120] Le licenciement a suivi de près la fin de l’enquête sur le harcèlement. Les faits de l’espèce se distinguent de ceux d’autres cas concernant des dommages-intérêts majorés et des dommages-intérêts punitifs. Dans la décision Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 95 (« Lyons »), aux paragraphes 12 à 14, la Commission a conclu que l’employeur avait délibérément causé un préjudice à la fonctionnaire s’estimant lésée en induisant la Commission en erreur. La conduite de l’employeur était la principale cause de ses graves problèmes de santé et de son incapacité de retourner au travail. Aucun de ces éléments ne s’applique au présent cas. Les décisions Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2010 CRTFP 70 (« Robitaille CRTFP ») (confirmée dans 2011 CF 1218 (« Robitaille »)); et Greater Toronto Airports Authority se distinguent également.
[121] L’employeur renvoie aux décisions suivantes à l’appui de sa position : Alberta Treasury Branches v. Cam Holdings LP, 2016 ABQB 33; Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107; Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24; Boucher v. Wal-Mart Canada Corp., 2014 ONCA 419; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62 (« Brazeau »); D’Cunha c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 78; Fidler; Finlay c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 59; Gannon c. Canada (Défense nationale), 2002 CRTFP 32 (annulée pour d’autres motifs dans 2004 CAF 417) (« Gannon »); Greater Toronto Airports Authority; Hildebrand; Honda; Prinzo v. Baycrest Centre for Geriatric Care, 2002 CanLII 45005 (ON CA); Spruce Hollow; Robitaille CRTFP); Robitaille; Stevenson; Stokaluk c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 24 (« Stokaluk »); Viner c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2022 CRTESPF 74; Whiten; et Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd. (2019) au ch. 7, par. 36.
B. Pour la fonctionnaire
1. Inconduite
[122] L’employeur n’a pas établi qu’il y a eu inconduite de la part de la fonctionnaire, laquelle n’a jamais été conseillée, prévenue ou informée qu’elle avait mal géré le dossier de l’entreprise ni n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires. La décision Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72 (« Touchette »), souligne qu’il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de l’employeur ou du processus d’enquête d’un employeur, même lorsqu’une enquête a été effectuée. La fonctionnaire devrait être réintégrée à son poste, avec tous les avantages sociaux, et se voir octroyer des dommages-intérêts majorés et des dommages-intérêts punitifs pour le comportement insensible et inacceptable de l’employeur. Si la Commission tire une autre conclusion, au mieux, une courte suspension devrait s’appliquer, compte tenu des multiples circonstances atténuantes, soit le service de longue date, l’absence de mesure disciplinaire, l’incident isolé et l’excellent rendement.
[123] Le processus disciplinaire de l’employeur violait les principes fondamentaux de la mesure disciplinaire reposant sur un motif valable. Dans la décision Ontario Store Fixtures v. C.J.A., Loc. 1072 (Phinn), 1993 CanLII 16809 (ON LA) (« Ontario Store Fixtures »), l’accent est mis sur l’importance des mesures disciplinaires progressives (aux paragraphes 29 et 30). Il est essentiel que la mesure disciplinaire soit prise en temps opportun, sans quoi il peut y avoir perte de documents et de souvenirs, et la fonction corrective est perdue. Lorsque d’autres employés concernés ne font l’objet d’aucune sanction pour des actions qui méritent une mesure disciplinaire, le résultat discriminatoire est incompatible avec un motif valable.
[124] L’employeur est tenu strictement responsable de ses motifs disciplinaires. La lettre de licenciement indique que le défaut d’agir de la fonctionnaire a entraîné une [traduction] « perte de 25 millions de dollars » et mentionne la négligence grave et le manque de jugement de sa part. M. Ossowski a affirmé dans son témoignage que le licenciement était fondé non seulement sur le dossier de l’entreprise, mais également sur le mauvais rendement de la fonctionnaire et sur des problèmes liés au projet GCRA, ainsi que sur les allégations de harcèlement. Il était inapproprié de sa part de même tenir compte de certains de ces facteurs.
[125] Étant donné que la négligence grave exige un écart marqué par rapport à la norme, il est important de comprendre quelles étaient les pratiques normales de la DPCA. Le rôle de la fonctionnaire n’incluait pas de travail sur les dossiers, puisque son poste, un poste de direction, se situait à deux échelons au-dessus des postes auxquels ce type de tâches était affectées. Elle assurait un leadership et veillait à ce que les dossiers de nature délicate soient bien traités. C’était Mme Bartlett, qui relevait de MM. Pezoulas ou Grant, qui effectuait le travail quotidien relatif aux dossiers. Lorsqu’elle a été tenue de préciser ses réponses, Mme Bartlett a convenu qu’elle n’avait pas à tenir compte de certaines considérations dans son travail, comme l’incidence politique ou économique. Ces considérations relevaient de la direction.
[126] Dans ce contexte, le comportement de la fonctionnaire dans le dossier de l’entreprise constituait-il un écart marqué par rapport à la norme? La fonctionnaire était informée de la progression des travaux et donnait des orientations, comme cela était habituellement le cas pour les dossiers à incidence élevée. Elle discutait du dossier lors de réunions bilatérales avec Mme Leblanc et avait dit à cette dernière que le dossier nécessitait plus de travail, afin d’assurer une diligence raisonnable. Elle a dit à Mme Leblanc de demander au personnel d’accomplir ce travail. Toutes ces tâches étaient conformes avec son rôle. Elle s’attendait à ce que l’équipe donne suite à ses directives et réponde à ses préoccupations. Tout au long du traitement du dossier, elle a toujours cherché à obtenir les mêmes renseignements.
[127] Mme Leblanc avait très peu de souvenirs de ses conversations en 2014 avec la fonctionnaire, de la nature des directives en matière de suivi ou de ce qu’elle a fait pour y donner suite. M. Pezoulas s’est rappelé qu’il devait obtenir une réponse plus complète des fabricants et tenir une réunion d’équipe. Mme Bartlett savait que la fonctionnaire souhaitait obtenir des renseignements supplémentaires. Mme Bartlett et M. Pezoulas avaient eu d’autres réunions. Mme Bartlett a affirmé que MM. Pezoulas et Trudel avaient examiné la possibilité d’une visite sur place. Mme Bartlett n’a pas cherché d’autres options pour tenter d’en savoir plus sur le procédé de fabrication.
[128] Lorsqu’on a rappelé à Mme Bartlett que, en février 2014, elle avait compris qu’elle devait en faire plus pour régler la question liée à la fabrication, elle a reconnu que cela était vrai. Malgré tous les éléments de preuve concernant les suivis et les réunions bilatérales auxquelles ont participé diverses personnes, notamment la fonctionnaire, Mme Gilbert et MM. McRoberts et Riel, aucun élément de preuve n’indique que l’UOF avait cessé de traiter le dossier de l’entreprise. Fait tout aussi important, la fonctionnaire n’a jamais été informée que l’UOF avait décidé de cesser de traiter le dossier.
[129] Aucun élément de preuve n’étaye une mauvaise gestion du dossier ou la négligence grave. M. Grant a traité le dossier à compter de février 2014. Il n’a pas été cité à comparaître. En juin 2014, M. Loynachan a remplacé Mme Leblanc. À partir de ce moment-là, il a participé à des réunions avec la fonctionnaire et M. McRoberts. Il n’a pas témoigné. M. Wex aurait dit que la fonctionnaire avait reçu des commentaires et qu’elle avait eu des occasions de s’améliorer. Il n’a pas témoigné, et les cotes de rendement attribuées à la fonctionnaire ne correspondent pas à cette affirmation. Rien de ce qui lui a été communiqué oralement ne laissait entendre que son rendement était problématique, et les éléments de preuve n’indiquent pas non plus que M. McRoberts a effectué un suivi de son rendement. La fonctionnaire a affirmé clairement que les dossiers de l’entreprise n’ont jamais été mentionnés dans ces évaluations. L’employeur aurait pu citer à comparaître des témoins ayant une connaissance directe des problèmes de rendement ou des problèmes de gestion des dossiers, mais il ne l’a pas fait.
[130] La fonctionnaire a expliqué dans son témoignage qu’elle avait donné à M. McRoberts tous les renseignements requis lorsqu’il était arrivé à la DPCA. Ils se rencontraient régulièrement pour discuter des dossiers compris dans la liste de rappel gérée par Mme Gilbert et M. Riel. Il s’agissait d’une pratique standard. La fonctionnaire croyait que les mesures nécessaires pour faire progresser le dossier étaient prises et que Mme Gilbert et M. Riel favorisaient la progression du dossier. La fonctionnaire attendait une réponse qui lui aurait permis de recommander que M. McRoberts signe la note d’information. Le choix du moment de l’approbation a toujours relevé de lui, Il aurait pu l’approuver à tout moment. Il était d’accord pour dire que le dossier était de nature très sensible et qu’il devait être examiné de manière approfondie. Comme elle, il savait que la décision de vérification devait être bien étayée et que l’entreprise était susceptible d’intenter une action en justice. Il a refusé d’approuver la note d’information sans l’approbation de la fonctionnaire. Toutefois, c’est là la responsabilité d’un cadre supérieur : évaluer les risques et prendre la décision définitive.
[131] M. McRoberts a eu des conversations avec la fonctionnaire tout au long de 2014. Il ne se souvenait pas de séances d’information sur le dossier de l’entreprise, et il ne comprenait pas clairement ce que la fonctionnaire attendait, mais il se rappelait que des directives avaient été données à l’UOF pour qu’elle accomplisse davantage de travail. Cette déclaration n’appuie pas l’argument selon lequel la fonctionnaire aurait mal décrit l’état d’avancement du dossier. À un moment donné à l’automne 2014, M. McRoberts a appris l’existence de la règle de quatre ans, mais n’a pris aucune mesure en fonction de ces renseignements critiques. Il n’a donné aucune directive, précise ou non, à la fonctionnaire, et il n’existe pas non plus de preuve attestant qu’il lui ait posé des questions au sujet de la date limite. À un moment donné en 2014, M. Pezoulas a fait part à M. McRoberts de ses préoccupations concernant l’achèvement du dossier. Pourtant, rien n’indique que M. McRoberts a fait un suivi auprès de la fonctionnaire après cette date. Il s’est contenté de laisser les événements suivre leur cours.
[132] M. McRoberts savait déjà que les droits seraient perdus si la décision n’était pas rendue avant le 1er janvier 2015, mais il lui a tout de même fallu près de 10 mois supplémentaires après le départ de la fonctionnaire pour envoyer la note d’information. Comme elle, il souhaitait avoir un dossier complet et défendable. Il a dit que Mme Ardito-Toffolo devait savoir quel travail avait été accompli au cours de ces 10 mois. Toutefois, l’employeur a choisi de ne pas exiger son témoignage.
[133] M. Ossowski a affirmé que les pertes de droits constituaient un facteur important du licenciement. Ces pertes découlaient presque toutes des mois pendant lesquels M. McRoberts attendait et pendant lesquels la fonctionnaire ne participait pas au dossier. Les témoins de l’employeur se sont vu demander si une décision rendue plus tôt aurait entraîné un recouvrement de droits plus complet. Cette question a été posée à MM. Pezoulas et McRoberts et à Mme Bartlett, et ils ont tous répondu par l’affirmative. C’est M. McRoberts qui est responsable de la perte des droits. Malgré cela, l’employeur attribue la responsabilité des droits perdus à la fonctionnaire seule.
[134] Peu d’éléments de preuve ont été produits quant au processus disciplinaire. Le 31 mars 2015, la fonctionnaire a eu une réunion positive sur le rendement. Le dossier de l’entreprise n’a pas été mentionné et, à ce moment-là, sa participation au dossier avait déjà pris fin. Une semaine plus tard, elle a été convoquée par M. Wex à une réunion et, en raison de problèmes liés au projet GCRA, elle a été renvoyée chez elle. M. Wex ne lui a donné aucun détail, aucune explication ni aucune rétroaction supplémentaire. Elle a quitté la réunion en état de choc. Au cours de l’été 2015, elle a reçu une évaluation du rendement « N’a pas atteint », sans aucune explication, et ce, malgré la réunion positive sur le rendement de mars qui avait eu lieu juste avant son renvoi chez elle. En septembre 2015, elle a reçu des documents comportant des allégations vagues d’inconduite et de problèmes de rendement. Il s’agissait de la première fois qu’un problème sans lien avec le projet GCRA était porté à son attention.
[135] Malgré le fait qu’elle avait retenu les services d’un avocat et avait demandé des renseignements, la fonctionnaire n’a eu aucune nouvelle avant le 14 avril 2016, date à laquelle elle a reçu deux rapports définitifs. Le premier comprenait de multiples allégations de harcèlement, allégations dont elle n’avait encore jamais eu connaissance. Le deuxième était le rapport McRoberts.
[136] Le rapport McRoberts n’est pas un rapport d’enquête. M. McRoberts a informé M. Séguin dès le début que la fonctionnaire avait occasionné la perte de millions de dollars pour l’employeur. On a remis à M. Séguin les documents choisis par M. McRoberts et on lui a dit de les remettre en ordre et d’en faire un rapport. M. Séguin appelait les employés si leur témoignage semblait pertinent au vu des documents qui lui avaient été remis ou si un document n’était pas clair. Il n’a pas interrogé la fonctionnaire ni MM. Loynachan, Hill, Wex ou Grant. M. Séguin n’a pas examiné le dossier au complet, pas plus qu’il n’a examiné le dossier de la fonctionnaire. Ces deux dossiers étaient très pertinents. Il ne s’agissait pas d’un processus équitable ni d’un processus d’enquête, mais M. Ossowski s’y est néanmoins fié, estimant à tort qu’il s’agissait d’une enquête. Le fait de fonder une conclusion sur un exercice inapproprié démontre une indifférence totale, laquelle a été exacerbée par un retard injustifié. Il s’agit là d’un manquement à l’équité procédurale.
[137] Lorsque les deux rapports lui ont été transmis, en avril 2016, la fonctionnaire a été prise au dépourvu. Elle venait de passer une longue année, seule, à formuler des hypothèses, à se poser des questions et à s’inquiéter. La lecture des allégations de harcèlement et du rapport McRoberts l’a profondément bouleversée. La première mesure qu’elle a prise a été d’envoyer la réponse écrite de son avocat au rapport rédigé. M. Ossowski l’a rejetée d’emblée parce qu’elle ne correspondait pas au rapport McRoberts. Lorsque la fonctionnaire a demandé à rencontrer M. Ossowski, sa demande a été refusée. Elle a eu l’occasion de rencontrer un représentant de la Direction générale des ressources humaines de l’ASFC. Six semaines plus tard, la lettre de licenciement qui lui a été envoyée énonçait des allégations de harcèlement parce que M. Ossowski avait indiqué qu’elles étaient [traduction] « graves », même si ces allégations avaient déjà été rejetées.
[138] La fonctionnaire a subi d’énormes répercussions d’ordre professionnel, émotionnel et financier. Les répercussions de l’ensemble du processus ont été profondes. Elle remet maintenant tout en question, elle éprouve des problèmes de confiance et craint qu’une situation similaire puisse se reproduire. Elle manque de confiance en elle. Compte tenu de son âge, en raison des années perdues, certaines occasions d’occuper un poste de direction auparavant à sa portée ne lui seront jamais offertes.
[139] La négligence n’est généralement pas un concept en droit du travail. Dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2002 CRTFP 62 (« Schenkman »), le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié pour négligence grave. Le grief a été accueilli parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les allégations. Dans la décision Manitoba v. Manitoba Government and General Employees’ Union, [2002] M.G.A.D. No 56 (QL) (« Manitoba »), un employé comptant 30 ans de service avait été licencié en raison d’un arriéré de dossiers, d’un retard et du défaut de fermer les dossiers. L’employeur avait essayé les suspensions et la gestion du rendement avant de procéder au licenciement. L’arbitre de différends a fait remarquer que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fourni des éléments de preuve incontestés attestant que ses explications n’étaient pas déraisonnables et que le seul défaut d’absorber la charge de travail ne constituait pas une inconduite. Les événements justifiant la prise d’une mesure disciplinaire liée au rendement ne s’étaient pas produits dans cette affaire.
[140] La décision Pugh c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 123 (« Pugh »), portait sur deux suspensions. Il existait un document écrit énonçant les attentes en matière de rendement, mais celles-ci étaient déraisonnables. L’employeur n’a pas tenu compte de l’explication du fonctionnaire s’estimant lésé. Dans la décision, des préoccupations quant aux hypothèses et à la preuve par ouï‑dire ont été exprimées. Dans la décision Saint-Amour c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossier de la CRTFP no 166-02-27502 (19971104) (« Saint-Amour »), le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu pour négligence. L’arbitre de grief a fait remarquer que les erreurs de jugement ne justifient pas nécessairement l’imposition de mesures disciplinaires. En ce qui concerne la négligence, le cas portait sur un pouvoir discrétionnaire qui avait été exercé d’une manière qui avait finalement déplu à l’employeur. Les questions ne peuvent être évaluées de manière claire rétrospectivement; elles ne devraient pas non plus être assujetties à des suppositions.
[141] La négligence grave exige un écart marqué par rapport aux normes habituelles, ce qui comprend généralement une conduite arbitraire et délibérée, ainsi qu’une insouciance totale. Les normes doivent être claires et raisonnables. Les cas auxquels l’employeur a renvoyés précisent à quel point l’écart par rapport aux normes habituelles doit être grave. La décision Brazeau abordait la fraude et la dissimulation. La décision Stokaluk portait sur une activité criminelle. Dans la décision Gannon, il était question de mensonges délibérés quant aux qualifications et, enfin, l’affaire Stevenson portait sur la fraude et une conduite malhonnête. Aucune de ces décisions ne s’applique au présent cas. La conduite de la fonctionnaire était conforme aux pratiques courantes de l’ASFC et relevait de l’exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.
[142] Il fallait soupeser plusieurs considérations dans le dossier de l’entreprise. La fonctionnaire s’est acquittée de son rôle de surveillance et a pris au sérieux les sujets de préoccupation. Elle a été informée du dossier et en a discuté. Elle a donné des directives et a fait confiance au personnel pour accomplir les travaux dans le dossier. Elle a adopté la démarche de suivi standard. Elle a veillé à ce que la note d’information soit prête dès la réception de nouveaux renseignements. Lorsque son dossier personnel a disparu, elle a immédiatement fait un suivi. Elle n’a jamais été informée que les travaux relatifs au dossier avaient cessé et n’avait aucun moyen de savoir que ses directives n’avaient pas été suivies.
[143] Signe que son approche était raisonnable, M. McRoberts et Mme Ardito-Toffolo ont adopté essentiellement la même approche après que la fonctionnaire a cessé de participer au dossier. S’il avait été essentiel de rendre la décision de vérification sans délai et si le dossier avait été prêt à être acheminé depuis 2013, comme il a été allégué, M. McRoberts aurait pu envoyer la note d’information sans attendre, et les pertes de droits auraient été presque entièrement évités. En ce sens, la sanction imposée à la fonctionnaire était discriminatoire et incohérente. Cela va également à l’encontre de l’argument de l’employeur selon lequel l’approche adoptée par la fonctionnaire constituait un écart marqué par rapport aux procédures normales. Il est plus logique de conclure que le dossier n’était pas encore achevé en janvier 2015 et qu’il était plus important de faire preuve de minutie et d’exactitude que de faire passer le dossier rapidement à l’étape suivante. Aucun élément de preuve n’atteste que les actions de la fonctionnaire ont coûté des millions de dollars aux contribuables, ce qui est essentiellement l’argument invoqué contre elle.
[144] Avant d’envisager une mesure disciplinaire fondée sur la négligence, l’employeur doit fournir à l’employé des conseils et des avertissements. Dans le présent cas, il n’y en a pas eu. La fonctionnaire a eu à traiter le dossier de la façon qu’elle jugeait préférable, ce qu’elle a fait, et elle l’a fait avec transparence. Ses actions étaient conformes à son niveau de responsabilité et reposaient sur des préoccupations légitimes. L’employeur savait ce qu’elle attendait et savait ce qu’elle disait à l’équipe et lui donnait l’impression que son travail était acceptable. S’il n’était pas satisfait de son travail, il aurait pu l’aider en lui donnant des avertissements ou des directives pour l’amener à traiter le dossier différemment. Au contraire, au cours de multiples séances d’évaluation du rendement, le dossier de l’entreprise n’a jamais été évoqué. L’employeur ne peut pas maintenant affirmer que les actions de la fonctionnaire dans le dossier de l’entreprise constituaient de l’inconduite.
2. Dommages-intérêts
[145] Récemment, dans la décision Lyons, la Commission a examiné des questions liées aux dommages-intérêts majorés et aux dommages-intérêts punitifs. Les faits de l’espèce amènent à penser que le montant des dommages-intérêts devrait être inférieur à celui qui a été octroyé dans la décision Lyons, mais les principes sont les mêmes. Les principes énoncés dans la décision Honda s’appliquent, en raison de la mauvaise foi et de la conduite inéquitable et indûment implacable de l’employeur, qui a porté atteinte au droit de la fonctionnaire à la justice naturelle. La décision Lyons évoque le fait de tirer des conclusions hâtives et de s’appuyer sur des allégations sérieuses, mais qui, en fin de compte, ne sont pas fondées. Il y est également question de motifs et d’intention contestés et d’un processus disciplinaire qui s’étend sur des mois et des années.
[146] La décision Lyons traite aussi des préjudices causés par les actions de l’employeur. Dans les cas ne comportant aucune preuve médicale, l’étendue des dommages-intérêts est généralement de l’ordre de 25 000 $ à 35 000 $. Ces dommages-intérêts sont fondés sur la frustration, les blessures morales et le stress plutôt que les problèmes médicaux. Les dommages-intérêts majorés liés à l’épuisement physique et psychologique ont été établis à 20 000 $ dans la décision Mattalah c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2018 CRTESPF 13 (« Mattalah »).
[147] L’acte répréhensible dans le présent cas était l’approche inéquitable, insensible et de mauvaise foi en matière de discipline. L’équité procédurale a fait défaut dans l’ensemble du processus. L’employeur a formulé toutes les allégations qu’il pouvait à l’encontre de la fonctionnaire, sans étayer les faits, et a formulé des attaques personnelles au sujet de l’intimidation et de l’abus. Une seule de ces allégations a été présentée à la Commission. Le licenciement était fondé sur un rapport narratif dont la conclusion avait été déterminée d’avance. Les commentaires de la fonctionnaire n’ont jamais été sérieusement pris en considération. Elle a été licenciée en partie en raison d’allégations de harcèlement non fondées et de simples affirmations qui ont été répétées à l’audience. Sans fondement, M. Ossowski a qualifié le comportement de la fonctionnaire de délibéré, tandis que M. McRoberts l’a qualifié de sabotage.
[148] La fonctionnaire a décrit en détail les préjudices causés par ces actions. Ces préjudices sont-ils pires que ce qui est prévisible à la suite d’un licenciement habituel? Lorsqu’elle a été renvoyée chez elle pour la première fois, elle était dévastée. Elle a été prise au dépourvu et elle était seule et isolée. Elle a eu recours à des services d’aide psychologique. Elle travaille toujours à regagner sa confiance, comme ce fut le cas dans l’affaire Mattalah. La fourchette de 25 000 $ à 35 000 $ pour les dommages-intérêts majorés est appropriée dans le présent cas.
[149] Si l’employeur avait vraiment voulu comprendre le dossier de l’entreprise, il aurait pu enquêter comme il se doit sur la conduite et les actions de toutes les personnes concernées. La seule conclusion logique à tirer du plan d’action de l’employeur est qu’il connaissait déjà la réponse qu’il souhaitait obtenir. C’est ce qui ressort clairement de la façon dont le rapport McRoberts a été préparé. Contrairement à l’affaire Robitaille, la fonctionnaire en l’espèce n’a jamais été interrogée. Le défaut d’entreprendre une enquête et le fait d’avoir inclus parmi les motifs de licenciement les allégations de harcèlement, qui, selon l’employeur, n’étaient pas fondées, méritent une réprimande. Il s’agit d’un employeur averti qui connaît bien les procédures de licenciement pour motif valable et qui a choisi de ne pas les suivre. Les répercussions ont touché directement à l’identité de la fonctionnaire. Par conséquent, les dommages-intérêts punitifs appropriés sont de l’ordre de 50 000 $ à 75 000 $. La fonctionnaire a demandé que la Commission demeure saisie de l’affaire concernant toute somme accordée, et elle demande le salaire, la rémunération au rendement, les intérêts, les indemnités de vacances et de départ, les avantages sociaux, les congés de maladie et les dépenses personnelles engagées pour le rachat des heures de service ouvrant droit à pension après le licenciement.
[150] La fonctionnaire a invoqué les décisions suivantes : Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. No 98 (QL) (« Wm. Scott »); Touchette; Ontario Store Fixtures Inc.; Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd., aux paragraphes 7:7 et 7:70; Aerocide Dispensers Ltd. v. United Steelworkers of America, [1965] O.L.A.A. No 1 (QL); Schenkman; Manitoba; Pugh; Saint-Amour; Beaulne c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1997] C.R.T.F.P.C. no 100 (QL) (« Beaulne »); Lyons; Mattalah; Robitaille CRTFP; Robitaille; Saadati c. Moorhead, [2017] 1 R.C.S. 543; Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 110; Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services Gouvernementaux), 2010 CRTFP 83; Knight v. Parrish & Heinbecker, Ltd., [2006] C.L.A.D. No 293 (QL); et Paquette v. TeraGo Networks Inc., 2016 ONCA 618.
C. Réponse de l’employeur
[151] L’allégation d’une mesure disciplinaire discriminatoire en tant que circonstance atténuante, qui confère à M. McRoberts la coresponsabilité à l’égard du dossier de l’entreprise, n’est pas étayée par les éléments de preuve. Le rôle de M. McRoberts consistait à mettre en œuvre la fusion. Il s’est concentré sur les questions opérationnelles comme la gestion des personnes, les relations avec les intervenants et les questions financières. Dans ce contexte, il souhaitait tirer parti des connaissances et de l’expertise de la fonctionnaire. Il n’a jamais dit qu’il était conjointement responsable des dossiers. Aucun élément de preuve ne permet d’établir que M. McRoberts était aussi responsable que la fonctionnaire des pertes subies. La fonctionnaire était la gestionnaire chargée du dossier de l’entreprise.
[152] La vigueur avec laquelle MM. McRoberts et Ossowski ont déclaré que la fonctionnaire se livrait à l’intimidation a été surestimée. M. Ossowski a bel et bien reconnu dans son témoignage que les allégations de harcèlement ont, en fin de compte, été abandonnées.
[153] Dans son témoignage, la fonctionnaire a mentionné que le dossier de l’entreprise figurait sur sa liste de tâches. Or, à chaque réunion de 2014 portant sur la liste de rappel, l’état d’avancement du dossier est demeuré le même. Il ressort clairement des courriels de novembre 2014 que ni M. Riel ni Mme Gilbert n’avaient eu connaissance de la demande de renseignements supplémentaires auprès du fabricant, de sorte que la fonctionnaire a ensuite expliqué à M. Riel ce qu’elle avait demandé. Si elle le lui avait déjà dit, pourquoi aurait-elle dû l’expliquer à nouveau? En ce qui concerne l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle personne ne l’avait informée que les renseignements qu’elle avait demandés sur les dossiers ne seraient pas fournis, les éléments de preuve sont insuffisants pour l’étayer. La Commission n’a pas entendu le témoignage de M. Grant à l’audience. Or ce témoignage aurait pu permettre d’établir que personne n’avait informé la fonctionnaire. La fonctionnaire aurait dû compter sur Mme Bartlett et faire confiance à son expertise.
[154] La Commission n’a pas compétence pour examiner les questions soulevées dans l’enquête disciplinaire qui n’ont pas été présentées à l’audience comme motifs de discipline.
[155] Les mesures disciplinaires progressives ne sont pas appropriées dans le présent cas parce que de telles mesures ne doivent être envisagées que lorsque l’inconduite est insuffisante pour justifier le licenciement. En l’espèce, le licenciement était justifié.
V. Motifs
[156] Aux termes du paragraphe 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11), les mesures disciplinaires et le licenciement doivent être motivés. Le critère qui a été appliqué de façon systématique dans les affaires concernant les mesures disciplinaires et le licenciement devant la Commission a été établi dans la décision Wm. Scott. Lorsque j’applique ce critère, je dois déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur a établi l’inconduite invoquée pour justifier une mesure disciplinaire. Si l’inconduite est établie, je dois juger si la mesure disciplinaire était excessive et, dans l’affirmative, décider quelle est la sanction appropriée.
A. Les actions de la fonctionnaire constituaient-elles une inconduite?
[157] Selon les motifs de la mesure disciplinaire, la fonctionnaire :
[Traduction]
[…]
[…] n’a pas produit ou n’a pas fait produire le rapport de vérification final ayant trait au classement tarifaire de certaines marchandises importées par [l’entreprise] en temps opportun, malgré le fait qu’il [lui] incombait de le faire, ce qui a entraîné une perte de droits supérieure à 25 000 000 $ en raison de l’expiration des délais de prescription prévus par la loi pour le recouvrement […]
[…]
[158] La lettre de licenciement mentionne également la négligence grave, le manque de jugement grave et important et l’insubordination. À l’audience, l’employeur a précisé que les motifs d’insubordination ne concernaient que le dossier du projet GCRA et n’étaient pas liés aux allégations concernant le dossier de l’entreprise. Comme je l’ai déjà mentionné, les motifs de licenciement liés au projet GCRA ont été retirés à l’audience.
B. Allégations de négligence grave et de manque de jugement
[159] Habituellement, les manquements coupables à l’obligation de se conformer aux ordres en milieu de travail sont qualifiés d’insubordination (voir Chauvin c. Administrateur général (Commissariats à l’information et à la protection de la vie privée du Canada), 2012 CRTFP 66; et Samson c. Administrateur général (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 40). Dans le présent cas, l’employeur fait valoir que la négligence grave et le manque de jugement de la fonctionnaire ont entraîné des pertes évitables dans le dossier de l’entreprise.
[160] Les concepts de négligence grave et de manque de jugement surviennent rarement en droit du travail et de l’emploi. Comme il a été établi dans l’affaire Stevenson, au paragraphe 33, la négligence [traduction] « […] n’est pas un terme qui serait normalement utilisé pour englober les nombreuses obligations qui existent et tous les manquements qui pourraient survenir dans une relation de travail […] ». La décision Stevenson comportait un examen de l’expression [traduction] « négligence grave dans l’exercice des fonctions » uniquement parce qu’elle figurait dans le contrat de travail en litige en tant que motif possible de licenciement. Les arguments des deux parties, qui renvoyaient à la jurisprudence, traitaient du fait que la négligence pouvait se traduire par un écart marqué par rapport à la norme. Il est également expliqué dans la décision Stevenson que le [traduction] « critère de l’“écart marqué” » (Stevenson, au par. 35) a été mentionné avec approbation dans plusieurs cas. Pour décider s’il y avait eu négligence grave dans le contexte de l’emploi, la Cour, dans l’affaire Stevenson, a déclaré ce qui suit au paragraphe 38 :
[Traduction]
[38] […] Les considérations pertinentes comprendraient à bon droit non seulement la mesure dans laquelle [l’employé] ne s’est pas conformé à l’obligation en litige, mais également l’incidence possible de ce manquement, qui touche aussi la norme de rendement ou de conduite qui s’applique aux actions en litige […]
[161] Selon la jurisprudence limitée en la matière, pour qu’il soit conclu que l’employé a commis une inconduite fondée sur la négligence, il faut la preuve d’un écart marqué par rapport aux normes établies de conduite en milieu de travail. Cette exigence ressort dans la première des trois considérations pertinentes établies dans la décision Stevenson, soit [traduction] « […] la mesure dans laquelle [l’employé] ne s’est pas conformé à l’obligation en litige […] ». Un grand nombre des cas portant sur la négligence ou des concepts connexes comportaient également les notions de tromperie, de malhonnêteté, de fraude ou de criminalité. Par exemple, en concluant que le défendeur dans la décision Stevenson avait été négligent, la Cour a jugé que la fraude, la falsification et les dépenses non autorisées avaient directement profité au demandeur. Des questions semblables ont été soulevées dans la décision Beaulne (où sont mentionnés la négligence et le manque de jugement), et dans les décisions Gannon et Stokaluk (où, dans les deux cas, le manque de jugement est mentionné, mais pas la négligence). Parmi les autres indicateurs de négligence figurent l’insouciance et une conduite déréglée, volontaire ou délibérée.
[162] Les normes en milieu de travail doivent être claires et raisonnables. Il n’est pas nécessaire que l’exercice du jugement par l’employé dans le respect des normes soit parfait. Il ne faut pas non plus que l’exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’employé soit réprimé (voir Saint-Amour, à la p. 12). Comme dans tous les cas concernant des mesures disciplinaires, même lorsqu’il y a eu une catastrophe ou une perturbation sous la « surveillance » de l’employé, il incombe toujours à l’employeur d’établir que l’employé a commis un acte coupable dans les circonstances (voir Pugh, au par. 171, Schenkman, aux paragraphes 57 à 59). Ce n’est que lorsque ce fait a été établi, comme il est indiqué dans les passages de Canadian Labour Arbitration auxquels l’employeur a renvoyé, que l’employé peut alors être appelé pour expliquer en quoi la situation n’a pas été causée par son inconduite. Si l’explication de l’employé est raisonnable et n’est pas contestée, la négligence ne sera pas établie (voir Manitoba, au par. 29).
[163] Par conséquent, afin de déterminer si l’employeur a établi une inconduite fondée sur la négligence, je dois examiner les questions suivantes :
1) Quelles normes en milieu de travail s’appliquaient aux responsabilités de la fonctionnaire relativement au dossier de l’entreprise?
2) La fonctionnaire a-t-elle omis de se conformer à ces normes?
3) Si la fonctionnaire a omis de s’y conformer, l’omission constituait-elle un écart si marqué par rapport aux normes de conduite en milieu de travail qu’il s’agissait d’une inconduite?
1. Quelles normes en milieu de travail s’appliquaient aux responsabilités de la fonctionnaire relativement au dossier de l’entreprise?
[164] Pour répondre à cette question, il faut examiner en quoi consistait le travail de la fonctionnaire relatif au dossier de l’entreprise. La fonctionnaire n’était pas chargée du travail quotidien dans les dossiers de l’UOF, y compris le dossier de l’entreprise. Les seuls éléments de preuve qui ont laissé entendre le contraire provenaient de M. McRoberts. L’affirmation de ce dernier selon laquelle la fonctionnaire dirigeait ou exécutait le travail quotidien dans le dossier de l’entreprise ne concorde avec aucun autre élément de preuve. La fonctionnaire a refusé de participer à une réunion sur les détails du dossier parce qu’elle estimait que c’était le personnel de l’UOF qui aurait dû s’en charger. Elle était convaincue que l’UOF appliquait ses directives et donnait suite à ses préoccupations. Elle avait expliqué clairement ce qu’elle voulait et elle s’attendait à ce que ses directives soient suivies. La façon d’y parvenir relevait des membres du personnel de l’UOF et de leurs superviseurs.
[165] Le rôle de la fonctionnaire en ce qui a trait au travail de l’UOF consistait à conseiller et à guider les gestionnaires qui surveillaient le travail de l’unité. Deux niveaux de gestion se situaient entre elle et le travail quotidien de l’UOF. Les directeurs comme Mmes Leblanc et Ardito-Toffolo et M. Loynachan étaient les plus proches d’elle dans la hiérarchie. Au niveau suivant, il y avait des gestionnaires d’unité, comme MM. Grant et Pezoulas. Enfin, les personnes qui travaillaient au sein de l’UOF étaient des experts en la matière, comme Mme Bartlett.
[166] Même si la fonctionnaire n’était pas chargée du travail quotidien dans le dossier, elle disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire sur de nombreux aspects de l’orientation du dossier de l’entreprise. Jusqu’à l’arrivée de M. McRoberts, ce pouvoir discrétionnaire comprenait la capacité d’effectuer ce qui suit :
· décider s’il y a lieu de modifier la note d’information rédigée par le personnel de l’UOF;
· décider si des renseignements supplémentaires sont nécessaires avant de mettre la dernière main à une note d’information;
· décider s’il y a lieu de retarder l’envoi d’une note d’information, dans l’attente de renseignements supplémentaires;
· donner des directives à d’autres personnes en ce qui concerne les tâches en suspens ou les renseignements manquants;
· décider de signer ou non une note d’information et de la transmettre aux cadres supérieurs de l’ASFC.
[167] La fonctionnaire a conservé une grande partie de ce pouvoir discrétionnaire après l’arrivée de M. McRoberts, mais ce n’était plus elle qui avait le pouvoir suprême au sein de la DPCA. La portée de son pouvoir discrétionnaire et de ses responsabilités était assujettie aux directives de M. McRoberts, et elle n’était plus la signataire finale des notes d’information. Même si M. McRoberts n’était pas chargé d’évaluer son rendement, plusieurs des courriels produits en preuve montraient qu’il lui avait donné des directives et qu’il avait fixé des attentes, ce qui démontrait leur lien hiérarchique.
[168] Certaines des normes qui s’appliquaient à ces responsabilités peuvent être dégagées des EGR produites en preuve pour les rôles de la fonctionnaire au sein de la DPC et de la DPCA. La fonctionnaire a été nommée à un poste au groupe et au niveau EX-02 à la DPC en décembre 2012. Parmi de nombreuses autres mesures du rendement, son EGR pour l’exercice 2011-2012 mentionne la formulation en temps opportun de conseils stratégiques de haute qualité et cohérents. Les EGR de 2011-2012 et de 2012-2013 font toutes deux référence à l’appui fourni aux agents régionaux relativement aux cas complexes, et ce, de manière rentable. L’EGR de 2012-2013 renvoie également à la nécessité de formuler des conseils de qualité et en temps opportun à l’intention du président et du vice-président exécutif.
2. La fonctionnaire a-t-elle omis de se conformer à ces normes?
a. L’omission alléguée de faire produire le rapport de vérification
[169] L’employeur soutient que l’omission par négligence de la fonctionnaire de faire produire le rapport de vérification en temps opportun a entraîné d’importantes pertes financières. Lorsque j’examine si cette inconduite a été établie, je dois déterminer s’il y avait des normes en milieu de travail qui l’auraient obligée à rendre la décision de vérification afin qu’il n’y ait pas de pertes (ou moins de pertes), de sorte qu’une omission de se conformer à ces normes constituerait un écart marqué par rapport à la norme.
[170] Comme je l’ai déjà mentionné, il n’y a eu aucune directive ni aucun ordre clairement communiqué à la fonctionnaire au sujet du dossier de l’entreprise. Malgré cela, l’employeur affirme qu’un examen des listes de rappel, des inscriptions au calendrier, des courriels et de la règle de quatre ans permet de déduire qu’il incombait à la fonctionnaire d’éviter toute perte de droits en mettant la dernière main à la note d’information nécessaire pour clore le dossier de l’entreprise. Cet argument ne me convainc pas.
[171] Les listes de rappel et les inscriptions au calendrier correspondent aux procédures de suivi courantes trouvées au sein de nombreux lieux de travail. Ces listes et inscriptions fournissent peu de renseignements sur les tâches à achever, l’échéance prévue ou la personne désignée pour les accomplir. Le courriel du 16 juillet 2014 de Mme Gilbert énumérait les éléments nécessitant l’attention de la fonctionnaire, dont le dossier de l’entreprise. Dans ce courriel, une autre note d’information est signalée comme urgente; le point concernant le dossier de l’entreprise ne contient aucune étiquette urgente. De plus, le courriel ne comprend aucune directive claire d’achever le dossier de l’entreprise ou les autres dossiers énumérés avant une date donnée. Le courriel fait plutôt vaguement référence à des [traduction] « éléments qui nécessitent l’attention d’Anne ». Cela ne peut pas être considéré comme un ordre ou une attente relativement à l’envoi de la note d’information qui aurait amené le personnel du bureau régional à rendre la décision de vérification.
[172] Le courriel de M. McRoberts du 10 octobre 2014 ne concorde pas avec l’argument de l’employeur selon lequel, à ce moment-là, la fonctionnaire aurait dû clairement saisir l’urgence du dossier de l’entreprise compte tenu de la règle de quatre ans, de sorte que son omission d’agir rapidement constituait de la négligence en raison du non-respect des délais. Rien dans le courriel n’indique une urgence particulière relativement au dossier de l’entreprise. La liste de tâches jointes comprenait 24 éléments. M. McRoberts a expliqué dans son témoignage que certains des dossiers figurant sur la liste étaient des projets en cours auxquels n’était associée aucune exigence de clore le dossier.
[173] Bien qu’un certain progrès ait été attendu pour chaque dossier et que le courriel montre clairement que M. McRoberts dirigeait le travail de la fonctionnaire relativement à plusieurs dossiers, le niveau d’avancement et les tâches à accomplir n’étaient pas précisés. Le courriel indique que [traduction] « Manon [Gilbert] a le contexte et les détails pour la plupart des éléments ». Évidemment, une certaine mise en contexte était nécessaire pour comprendre les travaux attendus relativement aux dossiers énumérés. Ce contexte n’a pas été clarifié à l’audience. Mme Gilbert est décédée. Le courriel ne précise pas si le dossier de l’entreprise devait être achevé dans son intégralité ou si une tâche particulière devait être effectuée dans le dossier de l’entreprise, comme la communication avec l’UOF, le suivi des plans de communication avec le fabricant ou la réception des renseignements tant attendus sur le procédé de fabrication.
[174] M. McRoberts et la fonctionnaire interprètent différemment les directives données dans le courriel pour le dossier de l’entreprise. M. McRoberts a déclaré que le courriel indiquait une exigence d’achever le dossier. La fonctionnaire a affirmé qu’elle avait compris que cela signifiait que des progrès devaient être réalisés dans le dossier. J’estime que le témoignage de la fonctionnaire au sujet de sa compréhension est tout à fait crédible. J’estime en outre qu’il s’agit de l’interprétation la plus raisonnable des directives données dans le courriel en ce qui a trait au dossier de l’entreprise. Cette conclusion concorde à la fois avec le témoignage de M. McRoberts selon lequel il estimait que la fonctionnaire attendait des renseignements supplémentaires et son témoignage selon lequel il lui faisait confiance. Cette conclusion concorde en outre avec le fait reconnu que M. McRoberts n’a pris aucune mesure dans le dossier après son retour et n’a pas non plus ordonné à la fonctionnaire de le faire. Le courriel d’octobre 2014 ne permet pas d’établir qu’il était attendu de la fonctionnaire qu’elle close le dossier avant la date de retour de M. McRoberts.
b. La règle de quatre ans en tant que délai implicite
[175] L’employeur fait valoir qu’il y avait une obligation implicite de clore le dossier de manière à respecter le délai prescrit de quatre ans. Les mentions constantes de l’employeur d’un délai à respecter méritent d’être examinées, car ce délai est au cœur de l’argument de l’employeur selon lequel la fonctionnaire n’a pas réglé le dossier en temps opportun et qu’il s’agissait d’un écart marqué par rapport aux normes en milieu de travail. Toutefois, il n’y a guère d’éléments de preuve concrets de ce qui était considéré comme en temps opportun dans le contexte du dossier de l’entreprise. Il est juste de supposer que l’ASFC souhaitait réduire au minimum les droits perdus. M. Riel a fourni des éléments de preuve crédibles au sujet de la [traduction] « pression » exercée par M. McRoberts pour faire progresser le dossier (même si M. McRoberts lui-même ne s’en souvenait pas). Mais il est également clair qu’il y a des considérations à multiples facettes qui auraient pu limiter la perte de certains droits rétroactifs, à plus forte raison que, lorsque la fonctionnaire a cessé de travailler au dossier, les pertes de droits rétroactifs étaient encore relativement minimes, par rapport aux pertes qui ont finalement été accumulées et qui lui ont été attribuées une fois son travail terminé dans le dossier de l’entreprise.
[176] Dans son témoignage, la fonctionnaire a déclaré qu’il n’existe aucun délai prévu par la loi s’appliquant aux décisions de vérification et qu’il n’y en avait donc pas pour le dossier de l’entreprise. L’employeur a jugé que cette déclaration témoignait de sa mauvaise gestion du dossier. Toutefois, elle avait raison. Il n’existe aucun délai prévu par la loi pour rendre une décision de vérification. Plutôt que d’imposer un délai à respecter, la Politique sur l’établissement d’une nouvelle cotisation, qui mentionne les restrictions prévues par la loi pour les corrections de la valeur en douanes, décrit les conséquences sur les droits rétroactifs en fonction des dates. Aucune perception de droits n’est possible pour les importations effectuées plus de quatre ans avant la date à laquelle la décision de vérification est rendue. Il s’agit là d’une conséquence. Une conséquence n’est pas un délai.
[177] Un employeur peut fixer un délai pour le travail à effectuer même si la loi n’en prévoit pas. Toutefois, il n’existait aucune norme de service pour les conseils et le soutien de l’UOF aux bureaux régionaux. De plus, comme je l’ai déjà mentionné, l’employeur n’a pas précisé expressément le délai à respecter pour fermer le dossier de l’entreprise. Du 1er janvier au 17 novembre 2015, les droits rétroactifs qui auraient pu être perçus diminuaient progressivement chaque fois que passait la date correspondante de 2011 de l’une des importations de l’entreprise. Rien n’indique qu’il y a eu un ordre ou une directive selon lesquels aucun droit rétroactif ne devait être perdu, ce qui aurait signifié que le délai était fixé au 31 décembre 2014. Il n’y a pas non plus d’éléments de preuve qui indiquent un montant maximal acceptable de droits perdus, ce qui aurait donné lieu à un délai quelque part en 2015.
[178] L’argument de l’employeur selon lequel une norme implicite découlait de la règle de quatre ans présente une autre difficulté, en ce que cette norme se serait également appliquée à M. McRoberts et lui aurait peut-être même imposé une obligation encore plus importante, étant donné son rôle dans la hiérarchie et le fait que presque toutes les pertes se sont produites une fois le travail de la fonctionnaire terminé dans le dossier de l’entreprise.
[179] M. McRoberts a admis qu’il avait appris l’existence de la règle de quatre ans à un moment donné à la fin de 2014. À mon avis, les éléments de preuve laissent fortement entendre qu’il connaissait peut-être l’existence de la règle de quatre ans avant cette date. Mme Leblanc l’a informé du dossier au début de 2014. Le sujet du dossier a été abordé à maintes reprises lors de conversations avec plusieurs membres du personnel de la DPCA, dont Mme Leblanc, qui donnait des renseignements sur le dossier simultanément à la fonctionnaire et à M. McRoberts, ainsi que M. Riel et Mme Gilbert, selon les témoignages de plusieurs témoins. M. Riel se souvenait clairement que M. McRoberts insistait pour que la fonctionnaire le renseigne sur la date à laquelle le dossier de l’entreprise serait achevé lorsqu’ils en discutaient pendant les réunions bilatérales. Il semble très improbable que la règle critique de quatre ans n’ait jamais été mentionnée lors de ces conversations. De plus, les souvenirs de M. McRoberts relativement à plusieurs aspects du dossier de l’entreprise et à la structure de la DPCA étaient vagues et sélectifs. Malheureusement, MM. Grant et Loynachan, qui auraient pu donner davantage de précisions sur les discussions concernant la règle de quatre ans et la connaissance de M. McRoberts à cet égard, n’ont pas été appelés à témoigner.
[180] Même si j’acceptais que M. McRoberts, comme il l’a affirmé, n’a pas appris l’existence de la règle de quatre ans avant la fin de 2014, il convient de noter qu’aucune mesure n’a été prise une fois que, selon sa déclaration, il a été mis au courant de l’existence de cette règle. Il n’a pas ordonné expressément la clôture du dossier, afin de veiller à ce qu’aucun droit ne soit perdu. Même si j’acceptais l’argument de l’employeur selon lequel le courriel d’octobre constituait un ordre direct de fermer le dossier (ce qui n’est pas le cas), cela n’explique pas la raison pour laquelle M. McRoberts n’a pas simplement signé la note d’information, ce qu’il aurait facilement pu faire, selon tous les témoins qui se sont exprimés à ce sujet, avant la fin de 2014 ou après la mutation de la fonctionnaire au projet GCRA. C’est ce qui aurait été nécessaire et attendu de sa part si l’omission de le faire avait véritablement constitué un écart marqué par rapport aux normes établies en milieu de travail. Aucun élément de preuve n’indique qu’il ait même demandé à la fonctionnaire de fournir plus de détails sur le dossier de l’entreprise ou d’expliquer ou de justifier son approche. Aucun de ces éléments n’est compatible avec le récit de l’employeur selon lequel la fonctionnaire a enfreint une norme en milieu de travail, étant donné les éléments de preuve non contestés selon lesquels M. McRoberts aurait été au courant de ce manquement, au plus tard, à l’automne 2014.
[181] Lors de la réunion sur le rendement de la fonctionnaire de mars 2014 avec M. Wex, le dossier de l’entreprise n’a même pas été mentionné, même si, à ce moment-là, les droits rétroactifs perdus s’accumulaient, comme plusieurs intervenants de la DPCA, dont M. McRoberts, le savaient bien. Rien dans ces faits ne laisse croire que les personnes en mesure donner des directives à la fonctionnaire ont conclu que ses actes étaient incompatibles avec les normes en vigueur en milieu de travail. Les faits laissent plutôt entendre le contraire, soit que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la fonctionnaire était conforme à ces normes.
c. Le fait que M. McRoberts se soit fié à la fonctionnaire
[182] Certains des arguments présentés par l’employeur donnaient à penser que M. McRoberts n’avait pas donné d’ordres directs concernant le dossier de l’entreprise parce qu’il n’avait pas la compréhension requise pour le faire. Son rôle consistait à [traduction] « mettre en œuvre » la fusion plutôt qu’à comprendre les travaux de la DPCA ou de l’UOF. L’employeur fait valoir que M. McRoberts aurait pu dire à la fonctionnaire que son approche concernant le dossier de l’entreprise n’était plus acceptable et que la note d’information devait être transmise immédiatement, mais il ne l’a pas fait parce qu’il la croyait lorsqu’elle se présentait comme une experte en matière d’échanges commerciaux. L’expertise de la fonctionnaire dans ce domaine était un fait convenu. L’EGR de 2013-2014 indique, en ce qui concerne la fonctionnaire, que [traduction] « [l]a haute direction s’en remet régulièrement à sa vaste expertise en matière d’échanges commerciaux ».
[183] Cette argumentation est problématique à deux égards. Premièrement, il est impossible de concilier cette confiance totale avec le rôle de cadre de M. McRoberts et les éléments de preuve clairs de la surveillance de direction qu’il exerçait sur la fonctionnaire. Les gestionnaires ne reçoivent pas de directives des personnes qui leur sont subordonnées.
[184] Le deuxième aspect est plus complexe. M. McRoberts a présenté deux explications de la confiance qu’il avait envers la fonctionnaire. Selon la première explication, la fonctionnaire l’encourageait à lui faire confiance. Par exemple, il a dit que la raison pour laquelle il n’avait pas fait progresser le dossier était que la fonctionnaire avait déclaré qu’elle seule possédait les connaissances requises pour le dossier, [traduction] « parce qu’elle connaissait les partenaires et les intervenants ».
[185] Je conclus, pour plusieurs motifs, que le témoignage de M. McRoberts sur ce point n’est pas crédible. Rien dans le témoignage de la fonctionnaire ni dans celui d’autres personnes n’indique que son traitement du dossier l’obligeait à connaître [traduction] « les partenaires ou les intervenants ». Seul M. McRoberts a qualifié de cette façon l’approche de la fonctionnaire. En outre, la fonctionnaire voulait que l’UOF se charge des travaux, et non les accomplir elle-même. Aucun élément de preuve contemporain ni aucun témoignage à l’audience n’indiquaient que la fonctionnaire s’était présentée comme une experte en sciences laitières ou en procédés de fabrication. Elle se fiait aux autres pour cette expertise. De plus, après sa mutation au projet GCRA, la fonctionnaire a volontiers transféré le dossier de l’entreprise. Elle n’a jamais laissé entendre que sa participation devait se poursuivre. Le témoignage de M. McRoberts au sujet des déclarations de la fonctionnaire semble avoir été présenté dans le but d’expliquer et d’excuser son propre défaut de prendre des mesures dans le dossier.
[186] Dans le même ordre d’idées, selon la deuxième explication de M. McRoberts quant à la confiance qu’il accordait à la fonctionnaire, cette dernière était une experte en échanges commerciaux, tandis que lui ne l’était pas, ce qui revient à dire qu’il devait se fier à elle parce qu’il ne comprenait pas le travail à accomplir. De nombreux éléments de preuve laissent entendre que M. McRoberts avait une connaissance tellement faible du dossier de l’entreprise, des travaux de l’UOF et de la structure de la DPCA qu’il avait choisi de s’en remettre à autrui, notamment à la fonctionnaire. Selon ces éléments de preuve, il serait donc possible de conclure qu’il n’a pas ordonné à la fonctionnaire de fermer le dossier de l’entreprise parce que sa compréhension du dossier était floue. Il se pourrait bien que, avec le recul nécessaire, il regrette maintenant de ne pas avoir agi différemment. La responsabilité de ses choix ne relève pas de la fonctionnaire, contrairement à ce qu’a soutenu l’employeur.
d. Le mépris allégué de la fonctionnaire concernant les recommandations de l’UOF
[187] Je ne suis pas convaincue par l’argument selon lequel la fonctionnaire aurait dû accepter les conseils et les recommandations de personnes occupant des postes situés à un, deux ou trois niveaux sous le sien dans la chaîne de commandement, étant donné qu’il aurait fallu pour ce faire inverser la hiérarchie du milieu de travail. Cet argument ne tient pas compte de son mandat consistant à diriger des subordonnés. Son rôle était de fournir des conseils aux autres employés, avant et après la fusion. Les directives qu’elle a données à ses subordonnés lorsqu’elle leur a demandé d’accomplir des travaux supplémentaires qu’ils auraient préféré ne pas faire, même si cette préférence était fondée sur une évaluation et un jugement honnêtes, ne constituent pas la preuve de sa négligence ou de son manque de jugement. Il s’agit plutôt d’une indication que leurs points de vue différaient. À titre de gestionnaire, la fonctionnaire avait le pouvoir discrétionnaire de régler ces différends d’une manière raisonnable et dans le but de protéger les intérêts de l’ASFC. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait.
[188] Ma conclusion aurait peut-être été différente si les directives de la fonctionnaire à l’UOF ou ses préoccupations quant au procédé de fabrication avaient semblé être déraisonnables ou viser à faire de l’obstruction. Toutefois, de nombreux éléments de preuve à ma disposition indiquent le caractère raisonnable de ces directives. Des renseignements sur le procédé de fabrication ont été demandés dans la lettre de l’ASFC du 25 juin 2012 à l’intention de l’entreprise, au début de la vérification, bien avant que la fonctionnaire ne participe au dossier. Dans cette lettre, l’ASFC posait les questions suivantes : [traduction] « Comment chaque produit est-il fabriqué? À quoi sert chaque produit? Comment chaque échantillon est-il entreposé? » Toutes ces questions ont trait, directement ou indirectement, à la fabrication. Il ressort clairement de la lettre que les renseignements sur le procédé de fabrication étaient importants et pertinents.
[189] D’autres caractéristiques indiquent qu’il était raisonnable de la part de la fonctionnaire de continuer de chercher à obtenir ces renseignements supplémentaires. Son explication selon laquelle elle devait s’assurer que la décision définitive de l’ASFC était défendable concorde avec les éléments de preuve non contestés attestant que ce dossier de nature délicate nécessitait une approche prudente et minutieuse. L’entreprise ne s’est pas contentée de présenter un argument non étayé au sujet de ses importations. Elle a demandé l’avis de M. Art Hill, un expert reconnu, et a renvoyé à des décisions antérieures de l’ASFC. Dans son témoignage, la fonctionnaire a reconnu de façon transparente qu’elle savait que la position de l’UOF pouvait prévaloir à long terme. Elle n’avait aucune préférence quant à un résultat particulier, mais elle devait s’assurer que l’ASFC aurait un dossier défendable dans l’éventualité d’un examen par le public, les tribunaux ou la classe politique. Tous les témoins de l’ASFC ont dit qu’il s’agissait là d’une possibilité. La formulation de recommandations sur des questions de cette nature faisait partie de son rôle de cadre. Compte tenu de tout cela, je ne peux pas conclure que ses actes dénotaient de l’insouciance ou avaient pour but de bloquer le dossier. Les éléments de preuve indiquent le contraire, c’est-à-dire qu’elle souhaitait adopter une approche prudente et exhaustive.
[190] L’argument de l’employeur selon lequel la fonctionnaire n’a pas suivi les directives de ses subordonnés dispense également M. McRoberts de la responsabilité de gestion de diriger la fonctionnaire. Les membres du personnel de la DPCA avaient des points de vue divergents quant au dossier de l’entreprise. La fonctionnaire voulait obtenir des renseignements supplémentaires; l’UOF souhaitait passer à la prochaine étape sans ces renseignements. M. McRoberts a décidé de s’en remettre complètement à la fonctionnaire, car il estimait qu’elle s’était présentée comme une experte en échanges commerciaux. Même si le fait que M. McRoberts s’en remette à la fonctionnaire concorde avec l’argument de l’employeur selon lequel elle aurait dû aussi se fier aux personnes qui occupaient un poste inférieur au sien dans la chaîne de commandement, cet argument n’était compatible ni avec le rôle de cadre de M. McRoberts ni avec la structure habituelle des hiérarchies en milieu de travail.
[191] Comme M. McRoberts en a convenu en contre-interrogatoire, il lui incombait, en tant que gestionnaire supérieur, de trancher entre les points de vue divergents concernant le dossier de l’entreprise. Il ne peut pas blâmer la fonctionnaire pour son défaut à lui d’avoir pris cette responsabilité, à plus forte raison que les actions de la fonctionnaire dans le dossier de l’entreprise étaient transparentes et relevaient de la portée de son rôle à elle. Si l’ASFC ne souscrivait pas aux choix de la fonctionnaire, il aurait fallu que M. Wex ou le seul employé de la DPCA occupant un poste supérieur au sien, c’est-à-dire M. McRoberts, lui donne une directive pour qu’elle traite le dossier différemment. Il ne peut être reproché à la fonctionnaire de ne pas avoir suivi les directives des subordonnés auxquels elle était censée donner des orientations.
[192] L’employeur a également tenté de faire valoir l’idée qu’il y avait une différence entre demander des renseignements qu’une personne ne possède pas et vérifier les renseignements qu’une personne possède déjà, et que le témoignage de la fonctionnaire était incohérent à cet égard. Selon le témoignage de plusieurs témoins, la fonctionnaire avait demandé des renseignements qu’elle ne possédait pas, afin de vérifier ou de confirmer les renseignements dont elle disposait et la position adoptée par l’UOF en fonction de ces renseignements. Les petites variations de formulation employées à différents moments n’ont eu aucune incidence sur la crédibilité ou la fiabilité de la fonctionnaire.
e. L’allégation selon laquelle la fonctionnaire a accordé trop d’importance à l’opinion de l’entreprise
[193] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait accepté l’argument de l’entreprise selon lequel l’ASFC était susceptible de faire l’objet de critiques, même si les experts en la matière de l’ASFC n’étaient pas du même avis. Il est difficile de faire le lien entre cet argument et les éléments de preuve. Plusieurs témoins ont confirmé que l’ASFC aurait effectivement pu recevoir diverses critiques à la suite d’un reclassement ayant une incidence financière aussi importante; la nécessité non contestée d’une note d’information sur le dossier de l’entreprise constituait la preuve que tout le monde souhaitait s’assurer que l’ASFC était prête à y faire face. Je ne juge pas qu’il était déraisonnable de la part de la fonctionnaire de demander des renseignements supplémentaires pour s’assurer que les arguments éventuellement valables de l’entreprise n’avaient pas été indûment écartés.
[194] Encore une fois, si la fonctionnaire avait dissimulé son plan d’action ou l’incidence financière potentielle associée au défaut de respecter, en tout ou en partie, la période de quatre ans, ma conclusion aurait pu être différente. Je n’ai vu aucun élément de preuve indiquant que la fonctionnaire n’avait pas été franche quant à l’état d’avancement du dossier ou à ses répercussions financières. Les témoins qui auraient pu témoigner au sujet de son manque de transparence n’ont pas été cités à comparaître.
f. L’omission alléguée de faire un suivi des demandes et d’établir les prochaines étapes
[195] Dans l’ensemble, l’employeur considère simultanément la fonctionnaire comme une employée de première ligne chargée des détails et du maniement du dossier de l’entreprise, une gestionnaire intermédiaire chargée de fournir les orientations courantes, une adjointe exécutive chargée de suivre les dates de rappel et un chef de la direction chargé de l’approbation. Avant la fusion, elle était en effet chef de la direction, mais ce rôle a pris fin début de 2014. Après la fusion, elle n’exerçait plus aucun de ces rôles.
[196] Cet argument ne concorde pas avec les éléments de preuve. Il y avait deux niveaux de gestion entre la fonctionnaire et les experts en la matière de l’UOF, qui avaient tous un rôle à jouer dans l’application de ses directives. Une liste de suivi régulière était gérée par les deux adjoints exécutifs. La fonctionnaire a expliqué la raison pour laquelle elle ne s’attendait pas à obtenir des résultats rapides à la suite de ses demandes. Elle savait qu’il faudrait du temps et de la planification pour communiquer avec les fabricants américains. De plus, sa directive aux subordonnés consistait simplement à leur demander d’obtenir les renseignements manquants. C’était aux employés de l’UOF qu’il incombait de concevoir un plan pour ce faire. Son hypothèse selon laquelle ses directives étaient appliquées ne semble pas déraisonnable, étant donné son rôle et le suivi qui était en place au sein de la DPC, puis de la DPCA.
g. L’allégation concernant la responsabilité, étant donné les sommes en jeu, et le défaut d’accélérer le processus, alors que la fonctionnaire était affectée au projet GCRA et en congé
[197] Pour commencer par la deuxième partie de cet argument, il est très difficile de comprendre pourquoi la fonctionnaire aurait été responsable du dossier de l’entreprise après son affectation au projet GCRA. Il n’était pas contesté que, à ce moment-là, elle n’avait plus aucun rôle à jouer dans le dossier de l’entreprise et elle ne traitait plus ses dossiers antérieurs de la DPCA. Il aurait été inapproprié de sa part de tenter de continuer à diriger ce travail. La fonctionnaire savait que M. McRoberts et d’autres personnes connaissaient bien le dossier et la règle de quatre ans. M. McRoberts avait discuté de l’achèvement du dossier lors de réunions. Il était raisonnable de la part de la fonctionnaire de tenir pour acquis que ce serait M. McRoberts, plutôt qu’elle, qui continuerait à travailler à la clôture du dossier avec quiconque assumait son rôle antérieur ou avec le personnel de l’UOF. Il est difficile de voir comment une autre conclusion pourrait être tirée. La plupart des droits perdus se rapportent à des mois où elle était affectée au projet GCRA ou en congé.
[198] En ce qui concerne la première affirmation, il aurait été loisible à l’ASFC de dire à la fonctionnaire de cesser de demander des renseignements supplémentaires et d’accélérer le processus. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit. L’ASFC, connaissant les mesures que prenait la fonctionnaire, ne pouvait pas lui permettre de persister dans cette voie pendant des mois et s’attendre à ce qu’elle devine que cette voie serait, en fin de compte, jugée inacceptable.
[199] Les sommes en jeu servent à étayer cette conclusion. Selon le témoignage de la fonctionnaire, l’une des raisons pour lesquelles elle souhaitait recueillir les renseignements manquants dans le dossier était le montant exceptionnel des droits rétroactifs qui risquait de mener l’entreprise à la faillite et d’occasionner des pertes d’emploi dans la région, si bien que la décision de vérification serait susceptible d’attirer l’attention des politiciens et des médias. Un litige était également envisageable. Cela est conforme aux témoignages d’autres témoins, dont M. McRoberts, qui ont indiqué que le dossier devait être traité avec prudence. La fonctionnaire a choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour que la position de l’ASFC soit exhaustive et puisse être défendue. Les sommes en question, et leur incidence possible, font ressortir le caractère raisonnable de son approche plutôt que la négligence, le manque de jugement ou l’insouciance.
h. Les allégations concernant les retards dans le dossier de l’entreprise après le départ de la fonctionnaire
[200] L’employeur soutient que le dossier de l’entreprise traité par la fonctionnaire a été laissé dans un tel état qu’il a fallu 10 mois de travail pour le [traduction] « reconstituer » après son départ, un exercice qui a été retardé parce que plusieurs autres dossiers qu’elle avaient laissés n’avaient pas été traités en temps opportun. Aucun détail n’a été fourni à l’égard des autres dossiers, et aucune des évaluations ou discussions du rendement de la fonctionnaire avant son départ du lieu de travail ne faisait mention de retards dans d’autres dossiers. Cette mention de retards dans le traitement des dossiers est essentiellement une reformulation de la section du rapport McRoberts intitulée [traduction] « Achèvement des tâches en temps opportun », qui n’a pas été incluse en tant que motif de licenciement dans la lettre de licenciement. Étant donné que l’employeur a choisi de ne pas invoquer le retard dans l’achèvement des tâches en tant que motif de licenciement, il ne peut pas soulever ce motif de façon détournée lorsqu’il est question du dossier de l’entreprise.
[201] Il n’est pas contesté que M. McRoberts et Mme Ardito-Toffolo étaient tous les deux au courant du dossier de l’entreprise à l’automne 2014. Si, après cette date, ils ont finalement choisi de concentrer leur attention sur d’autres dossiers, y compris les dossiers qui avaient été traités auparavant par la fonctionnaire, la responsabilité de ce choix n’est pas celle de la fonctionnaire.
[202] De plus, il est difficile de comprendre comment un dossier aurait pu être prêt à passer à la prochaine étape à l’automne 2013, comme le prétend l’employeur, mais qu’il ait été laissé dans un état tel par la fonctionnaire en janvier 2015 qu’il a fallu 10 mois de travaux supplémentaires pour le régler, dans un contexte où la fonctionnaire n’avait pas été la personne chargée du travail de fond dans le dossier. Tous les témoins employés par l’ASFC (à l’exception de M. McRoberts) ont clairement affirmé que c’était le personnel de l’UOF qui avait effectué le travail quotidien dans le dossier de l’entreprise. Plusieurs courriels corroborent ce témoignage, et aucun ne le contredit. C’est à l’UOF que se trouvait le dossier orientant le travail de vérification de fond de l’entreprise. Il est très difficile de comprendre en quoi il était nécessaire de reconstituer le dossier de la fonctionnaire.
i. La conduite et la motivation de la fonctionnaire
[203] À différents moments, l’employeur a inclus dans les éléments de preuve et l’argumentation des références aux mauvaises pratiques de communication de la fonctionnaire, comme le fait qu’elle utilisait [traduction] « parfois » des majuscules dans les courriels (ce qui n’était pas fréquent, d’après les courriels produits en preuve). Le licenciement n’était pas fondé sur son comportement ou son ton et, à cet égard, ces observations n’étaient pas pertinentes.
[204] L’approche transparente et cohérente de la fonctionnaire relativement au dossier ne correspond pas au récit de l’employeur évoquant le sabotage ou la négligence motivés par une perte de pouvoir après la fusion, ou le fait qu’elle n’assumait plus des fonctions et un rôle dans la hiérarchie de la DPCA. La fonctionnaire a traité le dossier de la même manière après la fusion qu’avant. Cette approche avait été communiquée ouvertement dans des réunions et de multiples courriels. Elle n’a jamais changé. Ces faits n’étayent pas les allégations selon lesquelles ses actions constituaient un sabotage ou étaient motivées par une frustration découlant de la fusion.
C. Conclusion concernant l’inconduite
[205] Aucun des éléments de preuve dont je dispose n’indique que la fonctionnaire s’est acquittée de ses responsabilités dans le dossier de l’entreprise d’une manière qui était négligente ou qui témoignait d’un manque de jugement. Puisque j’ai conclu que la fonctionnaire n’a pas omis de se conformer aux normes en milieu de travail, je n’ai pas à examiner la question de savoir si ses manquements constituaient un écart si marqué par rapport aux normes qu’ils équivalaient à une inconduite. L’employeur n’a pas établi une inconduite de sa part. Par conséquent, l’employeur n’a pas établi que le licenciement était justifié ou qu’il a été effectué pour un motif valable, et le grief est accueilli.
VI. Réparation
[206] Dans l’éventualité où le grief serait accueilli, les parties m’ont demandé de ne pas scinder l’audience et de demeurer saisie de toute question en suspens que les parties n’auraient pas été en mesure de régler.
A. Dommages-intérêts compensatoires
[207] La fonctionnaire est réintégrée dans son poste rétroactivement à la date de son licenciement, comme il est précisé dans l’ordonnance, de façon à ce qu’elle soit compensée pour les pertes financières qui ont découlé de son licenciement.
[208] La rémunération de la fonctionnaire comprenait des primes au rendement. Pendant quatre des cinq années précédant son renvoi chez elle, elle a obtenu deux cotes de rendement « Surpassé », une « Réussi » et une « Réussi moins ». J’accepte son explication de sa cote « Réussi moins », qui était obligatoirement attribuée aux nouveaux cadres, comme il est indiqué sur le formulaire. Essentiellement, il s’agit de l’équivalent d’une cote « Réussi ». La cote « N’a pas atteint » pour 2014-2015 est survenue dans un contexte global d’iniquité procédurale (décrite en détail sous la rubrique « La conduite de l’employeur était-elle inacceptable? »). Elle n’est donc pas fiable pour ce motif, de même qu’en raison de son incompatibilité avec l’évaluation de rendement préliminaire qui avait été faite pour la même période.
[209] M. Wex aurait pu témoigner au sujet du rendement de la fonctionnaire en 2014‑2015, mais il n’a pas été cité à comparaître. Les seuls indicateurs de rendement futurs et fiables sont les quatre évaluations annuelles antérieures. Il est raisonnable de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, elle aurait continué d’obtenir des cotes « Surpassé » la moitié du temps et des cotes « Réussi » pour l’autre moitié. Sa prime rétroactive doit être calculée sur cette base.
[210] Aux termes de l’alinéa 226(2)c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), l’arbitre de grief peut, pour instruire toute affaire dont il est saisi, adjuger des intérêts dans les cas de griefs concernant le licenciement au taux et pour la période que la Commission estime justifiés. Compte tenu de la longue période pendant laquelle la fonctionnaire a été privée de son salaire, il convient d’adjuger des intérêts sur les sommes dues pour la perte de salaire et la rémunération au rendement, après déduction du revenu au titre de l’atténuation des dommages. Le caractère adéquat des efforts d’atténuation de la fonctionnaire n’a pas été contesté par l’employeur.
B. Dommages-intérêts majorés et dommages-intérêts punitifs : aperçu
[211] Les dommages-intérêts majorés et les dommages-intérêts punitifs sont des conséquences distinctes qui ont la même origine, c’est-à-dire la conduite inacceptable de l’employeur. Les deux ne s’appliquent qu’à titre exceptionnel (voir Lyons, au par. 153). Dans les deux cas, il faut veiller à ce que les dommages-intérêts accordés ne soient pas excessivement élevés. Ces dommages-intérêts doivent également être proportionnels par rapport aux circonstances de l’affaire et dans le contexte de l’indemnisation totale et de la jurisprudence similaire (voir Spruce Hollow, au par. 82 et Whiten, au par. 110). Toutefois, il existe des différences importantes entre ces deux types de dommages-intérêts.
[212] Les dommages-intérêts majorés remettent un fonctionnaire s’estimant lésé dans la position dans laquelle il aurait été, n’eût été la conduite inacceptable de l’employeur, en compensant les dommages intangibles causés par cette conduite. En revanche, les dommages-intérêts punitifs ne compensent pas; ils ont pour objet le châtiment, la dissuasion et la dénonciation (voir Whiten, au par. 43). À partir de maintenant, j’utiliserai le terme « sanction » pour désigner les trois objectifs.
[213] Il n’est plus nécessaire d’établir l’existence d’une faute indépendante donnant ouverture à action lorsque des dommages-intérêts majorés sont demandés (voir Fidler, au par. 55, Honda, au par. 59 et Spruce Hollow, au par. 121). Lorsqu’on évalue si des dommages-intérêts majorés s’appliquent, l’accent est mis sur le fonctionnaire s’estimant lésé. Si le contrat de travail donnait lieu à des attentes raisonnables et que l’employeur, par sa conduite inacceptable, a violé ce contrat, des dommages-intérêts majorés peuvent s’appliquer. La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le préjudice allégué par le fonctionnaire a vraisemblablement été causé par la conduite inacceptable de l’employeur. Le préjudice doit dépasser la détresse prévisible qui suit un licenciement (voir Spruce Hollow, au par. 79 et Honda, aux paragraphes 50 à 57).
[214] Les types de préjudice qui peuvent être compensés par des dommages-intérêts majorés comprennent la souffrance morale, la faible estime de soi, la perte de réputation et de moral, les sentiments blessés, les sentiments de trahison et de frustration (voir Spruce Hollow, au par. 80, Mattalah, au par. 164). La preuve médicale peut étayer une demande de dommages-intérêts majorés, mais elle n’est pas requise (voir Spruce Hollow, au par. 109, Lyons, au par. 101).
[215] Lorsqu’on détermine si des dommages-intérêts punitifs s’appliquent, l’accent est mis sur l’employeur (voir Whiten, au par. 127). Ces dommages-intérêts servent à punir le comportement inacceptable de l’employeur (voir Spruce Hollow, au par. 83). Si les dommages-intérêts compensatoires et les dommages-intérêts majorés accordés réalisent déjà cet objectif, aucun objectif rationnel n’est réalisé par l’octroi d’autres dommages-intérêts (voir Prinzo, au par. 74, Whiten, aux paragraphes 109, 110 et 123). C’est pourquoi les dommages-intérêts compensatoires et les dommages-intérêts majorés sont déterminés avant que des dommages-intérêts punitifs ne soient envisagés. Afin de déterminer le montant approprié des dommages-intérêts punitifs, je dois tenir compte de ce qu’il est convenu d’appeler les « aspects » de la proportionnalité, tels qu’ils sont établis dans la décision Whiten (aux paragraphes 111 à 128), en vue de veiller à ce que toute indemnité accordée soit rationnellement proportionnelle aux objectifs réalisés par les dommages-intérêts punitifs.
[216] En ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs, une faute indépendante et donnant ouverture à action est toujours requise (voir Honda, au par. 68, Fidler, au par. 63 et Spruce Hollow, au par. 121). Une faute indépendante et donnant ouverture à action est souvent constatée dans un comportement qui contrevient à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi (voir Honda, au par. 62). Cette conduite, dans les milieux d’emploi et ailleurs, a été décrite comme suit :
· se comporter de façon inéquitable ou en faisant preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteur, trompeur ou trop implacable (voir Honda, au par. 57);
· adopter une conduite malveillante, opprimante et abusive (voir Prinzo, au par. 74, citant Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130];
· agir de manière malhonnête, diffamatoire et trompeuse (voir Spruce Hollow, aux paragraphes 80 et 124).
· s’écarter des normes ordinaires de bonne conduite (voir Fidler, au par. 63);
· avoir une conduite malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible (voir Whiten, au par. 94);
· afficher des comportements durs, vengeurs, répréhensibles et malicieux (voir Robitaille CRTFP, au par. 344).
[217] Par conséquent, voici les questions à examiner dans l’évaluation des dommages-intérêts majorés :
· La conduite de l’employeur était-elle inacceptable?
· Dans l’affirmative, quel est, le cas échéant, le préjudice prévisible causé par la conduite inacceptable?
· Le préjudice est-il plus important que la détresse prévisible découlant d’un licenciement?
· Dans l’affirmative, quel est le montant approprié des dommages-intérêts majorés?
[218] Voici les questions à examiner dans l’évaluation des dommages-intérêts punitifs :
· Une faute indépendante et donnant ouverture à action justifie-t-elle une sanction?
· Les dommages-intérêts compensatoires et les dommages-intérêts majorés sont-ils suffisants comme sanction?
· Dans la négative, quels autres dommages-intérêts sont appropriés?
· Le montant global des dommages-intérêts est-il approprié, raisonnable et rationnel?
1. La conduite de l’employeur était-elle inacceptable?
[219] Tous les employés ont une attente raisonnable d’équité et de bonne foi en matière de discipline. Cette attente est particulièrement pertinente et il serait raisonnable qu’elle soit élevée dans le contexte d’un grand employeur de la fonction publique qui comporte une fonction d’enquête et d’arbitrage. Avant qu’une mesure disciplinaire ne soit imposée, il faut un processus disciplinaire bien mené qui comporte les étapes suivantes : déterminer de façon juste les faits de l’incident pour lequel une mesure disciplinaire a été envisagée, formuler des allégations d’inconduite claires et en temps opportun, et donner une réelle occasion de répondre à ces allégations. Ce n’est qu’une fois ces étapes de base de la procédure régulière effectuées que l’employeur pourrait envisager de prendre une mesure disciplinaire appropriée, s’il y a eu inconduite. Aucune de ces mesures n’a été prise.
a. La rapidité d’exécution du processus disciplinaire
[220] Le processus disciplinaire n’a pas du tout été effectué avec diligence, tant en ce qui concerne l’allégation invoquée par l’employeur que l’autre allégation citée dans la lettre de licenciement. Bien que les allégations concernant le projet GCRA et les préoccupations relatives au retard dans le traitement des dossiers ne soient pas pertinentes pour l’évaluation de l’inconduite, puisqu’elles n’ont pas été invoquées, elles le sont quant à la question de savoir s’il y a eu mauvaise foi dans la façon dont le processus disciplinaire a été mené dans son ensemble.
[221] M. McRoberts a expliqué qu’il avait attendu jusqu’en 2016 pour entamer le processus disciplinaire parce que ce travail ne pouvait être accompli avant la fermeture du dossier de l’entreprise. Cette explication ne concorde pas avec les faits. Lorsque la fonctionnaire a été renvoyée chez elle en raison d’événements qui ont eu lieu dans le cadre du projet GCRA, il n’y a eu aucune mention du dossier de l’entreprise. À ce stade, au minimum, toute préoccupation de l’employeur au sujet du désordre dans lequel la fonctionnaire avait laissé son dossier se serait déjà formée. Il est très difficile de comprendre pourquoi ces préoccupations n’ont pas été mentionnées avant que la fonctionnaire soit renvoyée chez elle ni n’ont fait l’objet d’une enquête rapide. Selon le témoignage de M. McRoberts, M. Wex, qui a quitté l’ASFC en septembre 2015, lui avait demandé de préparer un rapport sur le rendement de la fonctionnaire. Les services de BMCI n’ont pas été retenus pour préparer un rapport avant la fin de janvier ou le début de février 2016, soit plus de dix mois après le renvoi de la fonctionnaire chez elle et cinq mois après le départ de M. Wex.
[222] Toute inconduite de la part de la fonctionnaire relativement au dossier de l’entreprise aurait cessé en janvier 2015, lorsqu’elle a été mutée au projet GCRA et a quitté son rôle relatif au dossier de l’entreprise. Au moment où la fonctionnaire a été renvoyée chez elle en congé payé en avril 2015, l’employeur devait savoir ou aurait pu savoir que plus de trois mois de droits rétroactifs dans le dossier de l’entreprise avaient été perdus. Malgré cela, le dossier de l’entreprise n’a jamais été mentionné à la réunion d’avril 2015. En ce qui a trait au retard dans le traitement des dossiers, 26 des 36 incidents dont il est question dans la chronologie des tâches en retard étaient liés à l’exercice 2013-2014, mais l’EGR de la fonctionnaire pour l’exercice 2013-2014 ne mentionne pas de préoccupations relatives aux tâches en retard. Tant pour le dossier de l’entreprise que pour les deux allégations de la lettre de licenciement qui ont été retirées, la fonctionnaire n’en a pas été informée avant le 19 avril 2016, soit plus de 15 mois après avoir cessé de travailler au dossier de l’entreprise et près de 12 mois après que l’employeur lui a fait part pour la première fois, le 8 avril 2015, de préoccupations non précisées au sujet d’une réunion du projet GCRA. Tout cela est inquiétant. Il semble que l’employeur ait reculé dans le temps pour recueillir de multiples allégations, sans se soucier de savoir si les allégations avaient été formulées en temps opportun ou étaient justes. Ce comportement ne concorde pas avec un processus disciplinaire mené de bonne foi.
[223] Aucune explication plausible ne justifie ces retards. L’employeur avait promis de communiquer ses allégations dans le cadre du processus disciplinaire au plus tard en octobre 2015, mais il ne l’a fait que plusieurs mois plus tard. Cette conduite opprimante a eu des conséquences néfastes pour la fonctionnaire. Aucun des éléments de preuve à ma disposition ne me permet de conclure que l’employeur avait même formulé des allégations en octobre, soit plus de six mois après le renvoi de la fonctionnaire chez elle. Encore une fois, cela est très préoccupant et donne à penser qu’il existait des raisons autres que la discipline de bonne foi pour retirer la fonctionnaire du lieu de travail. Ce comportement témoignait d’une grande insensibilité à l’égard de la fonctionnaire, tant sur le plan professionnel que personnel, ce qui est répréhensible et représente un écart par rapport aux normes ordinaires de bonne conduite. Cette situation était à la fois dure et abusive.
b. Le défaut d’enquêter, la partialité et le manque d’équité procédurale
[224] Le défaut d’enquêter sur les allégations qui ont finalement été formulées est encore plus préoccupant. Cette omission est aggravée par le fait que la personne qui a dirigé le processus disciplinaire participait directement, au moment des événements, au dossier de l’entreprise pratiquement de la même façon que la fonctionnaire, soit en tant que cadre chargé du dossier, mais dont le pouvoir de surveillance et l’autorité dépassaient ceux de la fonctionnaire. De plus, presque toutes les pertes subies se sont produites après le départ de la fonctionnaire, lorsque M. McRoberts était le responsable.
[225] Malgré cela, M. McRoberts a choisi M. Séguin et lui a fait un compte rendu des événements, ce qui lui a permis de présenter une conclusion erronée de culpabilité et de soulever les allégations d’intimidation et de harcèlement qui ont, en fin de compte, été jugées non fondées, ainsi que de faire son étrange référence à l’indépendance financière de la fonctionnaire. M. McRoberts a choisi les documents, mais, fait digne de mention, il a décidé de ne pas inclure les notes ni le dossier soi-disant en désordre de la fonctionnaire, dossier qui, à son avis, est à l’origine des retards qui se sont produits après le départ de la fonctionnaire du lieu de travail. Ces actions peuvent être qualifiées d’abusives.
[226] Une autre préoccupation concernant le rapport McRoberts est le recours à M. Bonnell (l’employé de l’ASFC qui a enquêté sur les allégations de harcèlement non fondées contre la fonctionnaire) en tant que témoin. M. Bonnell n’a participé ni au dossier de l’entreprise, ni au projet GCRA, ni à l’évaluation du rendement de la fonctionnaire. Les seules questions sur lesquelles il aurait pu fournir des renseignements étaient liées aux allégations de harcèlement, pour lesquelles l’enquête était toujours en cours au moment où M. Séguin achevait le rapport McRoberts. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre à quoi aurait pu servir le témoignage de M. Bonnell ou la raison pour laquelle il a été inclus dans le processus donnant lieu au rapport McRoberts. Toutefois, il est possible que l’inclusion d’un témoin dont le seul lien avec la fonctionnaire était par l’intermédiaire de l’enquête sur les allégations de harcèlement par la suite jugées non fondées ait injustement teinté l’évaluation du rendement de la fonctionnaire (même si telle n’était pas l’intention de M. Bonnell). Il convient de préciser qu’aucune déclaration de témoin n’a été déposée en preuve et qu’aucune ne semble avoir été jointe à la version définitive du rapport McRoberts. Tous les témoins dans le cadre du rapport McRoberts avaient été proposés par M. McRoberts.
[227] À de nombreux égards, le rapport McRoberts est trompeur, même en ce qui concerne les pièces jointes auxquelles il renvoie. Par exemple, le rapport cite le courriel de Mme Gilbert, qui mentionne que M. Pezoulas a déclaré que la fonctionnaire ne voulait pas participer à la réunion de juillet 2013 avec l’entreprise. Il cite ensuite la réponse envoyée par courriel par la fonctionnaire le 3 juillet 2013, mais omet l’explication plausible qu’elle a donnée pour nier qu’elle avait tenté de se soustraire à la réunion, et qui est libellée comme suit :
[Traduction]
[…]
Je parlerai à Glenn [l’avocat de l’entreprise] demain à 16 h 30, du SRS, pour confirmer les détails de la réunion. Dino a mal compris. Je n’essayais pas d’éviter la réunion. J’ai bien dit que j’espérais que nous pourrions nous contenter d’un appel téléphonique, mais une fois que Glenn a expliqué qu’il voulait la participation du propriétaire et d’un « expert en fromage », j’ai convenu d’une réunion en personne.
[…]
[228] Il est ensuite indiqué dans le rapport McRoberts qu’une réunion en personne a été demandée le 11 juillet 2013. Le courriel qui vient d’être cité indique clairement qu’au moins une version de cette demande devait avoir été communiquée plus tôt.
[229] Un autre exemple de déclaration trompeuse dans le rapport McRoberts est qu’il fait vaguement référence à des priorités concurrentes, ce qui laisse au lecteur la possibilité de conclure que la fonctionnaire était responsable des priorités concurrentes et qu’elle ne les gérait pas de manière appropriée. La pièce jointe au rapport indique clairement que les priorités concurrentes mentionnées se sont produites au laboratoire de l’ASFC.
[230] La partie du rapport McRoberts portant sur la recherche des faits n’a pas tenu compte des éléments de preuve et des faits directement pertinents, notamment en raison du fait que la fonctionnaire n’a pas été interrogée et que ses notes n’ont pas été examinées, ce qui était inéquitable. Cet exercice n’était pas une enquête. Il s’orientait plutôt vers une conclusion décidée d’avance, fondée sur un jugement hâtif. Il s’agit là de mauvaise foi.
[231] Malgré ces lacunes, dont beaucoup sont évidentes même pour le lecteur non averti, M. Ossowski s’est appuyé sur le rapport McRoberts, qui n’est pas fondé sur un processus équitable et qui semble faire fi des causes réelles à l’origine des pertes de millions de dollars en droits qui ne pourront être perçus.
[232] Compte tenu du témoignage de M. McRoberts selon lequel il avait [traduction] « insisté », pendant ses discussions avec M. Wex, sur l’embauche d’un tiers indépendant et autonome, il aurait pu être possible de conclure que M. Ossowski avait supposé, en fonction des comptes rendus de ces conversations, qu’il y avait effectivement eu une enquête indépendante, en dépit du fait que M. McRoberts est nommé comme seul auteur. Ce fait à lui seul aurait dû être source d’inquiétude, étant donné le rôle de M. McRoberts relativement au dossier de l’entreprise, mais il ne semble pas avoir troublé M. Ossowski. À la question de savoir pourquoi il n’avait pas discuté avec la fonctionnaire avant de la licencier, comme il lui avait été demandé, M. Ossowski a répondu franchement et sans hésitation que, quoi qu’elle ait pu dire, il aurait toujours préféré la version des événements de M. McRoberts à la sienne. Dans la mesure où il savait que leurs versions pouvaient différer, il a dit qu’il préférait la version de M. McRoberts, même sans avoir entendu la version des événements de la fonctionnaire. Il s’agit de la définition même de la partialité et de l’idée préconçue.
[233] Le défaut de déployer des efforts raisonnables et de bonne foi pour vérifier les faits concernant les allégations d’inconduite serait problématique dans tout processus disciplinaire. Il est particulièrement alarmant dans le contexte de ce que l’employeur décrit comme une perte de plusieurs millions de dollars. Bien que les raisons à l’origine du défaut d’enquêter ne soient toujours pas claires, il est manifeste que les choix de l’employeur permettaient de protéger les personnes autres que la fonctionnaire et ne permettaient pas de déterminer les motifs réels des événements survenus chronologiquement dans le dossier de l’entreprise. Ces raisons sont demeurées opaques même après 11 jours d’audience.
[234] À l’audience, M. McRoberts a continué de désigner le rapport McRoberts comme une enquête et M. Séguin comme un enquêteur, même après avoir reconnu qu’il savait que c’était inexact. Ces références ne peuvent être interprétées que comme des tentatives délibérées, bien que peu convaincantes, pour camoufler ce qui s’est réellement passé : ce sont des mensonges. Le témoignage de M. Ossowski reprenait les mêmes termes inexacts et, même si leur inexactitude ne provenait pas de lui, la façon insouciante et négligente dont il les a adoptés, au mépris du véritable processus de licenciement vicié ou de l’incidence sur la fonctionnaire, est très préoccupante. L’employeur a camouflé de façon trompeuse son défaut de mener une enquête en bonne et due forme pour lui donner l’apparence d’une procédure régulière. Il s’agit de mauvaise foi.
c. La prise en considération d’allégations non fondées
[235] De plus, même s’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant, il est troublant de constater que les allégations qui avaient été accumulées à l’origine contre la fonctionnaire, uniquement pour être abandonnées ou retirées plus tard, semblaient être l’équivalent d’un fourre-tout. Il convient de préciser clairement que le simple retrait de motifs à l’origine d’une mesure disciplinaire ne constitue pas, en soi, une preuve de mauvaise foi dans le cadre d’un processus disciplinaire mené correctement. Toutefois, en l’espèce, les motifs non fondés n’ont été que symboliquement abandonnés ou retirés. M. Ossowski a affirmé dans son témoignage que bon nombre des motifs non fondés avaient été pris en compte dans la décision de licenciement, même s’il était connu que les allégations de harcèlement n’étaient pas fondées au moment où la décision a été prise de licencier la fonctionnaire.
[236] Il n’est pas acceptable d’écarter une allégation pour ensuite continuer à l’invoquer par des insinuations. À l’audience, M. Ossowski a affirmé au sujet de la fonctionnaire qu’il fallait s’en méfier, qu’elle était crainte, qu’elle ne collaborait pas et qu’elle était difficile. S’il s’était arrêté là, cela n’aurait été qu’une opinion, mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Il a présenté ces qualificatifs comme des justifications continuelles du licenciement. À ce moment-là, les qualificatifs sont passés d’opinions à attaques personnelles sans fondement. Il s’agit de mauvaise foi.
[237] Les témoignages présentés par MM. McRoberts et Ossowski mentionnaient tous deux des actes délibérés commis par la fonctionnaire contre les intérêts de l’employeur. M. Ossowski a affirmé qu’il serait raisonnable de conclure que les pertes de droits constituaient un acte délibéré. M. McRoberts a dit que la fonctionnaire s’était livrée à [traduction] « quelque chose ressemblant à du sabotage ». Pour seule explication, il a fait de vagues réflexions selon lesquelles elle n’était pas [traduction] « sur la même longueur d’onde » que lui et qu’elle [traduction] « ne s’entendait pas avec lui ». Cela ne suffit pas à étayer une allégation de sabotage. Mme Leblanc a affirmé qu’elle et la fonctionnaire se retrouvaient souvent dans des [traduction] « séances de défoulement personnel » au cours de leurs rencontres bilatérales. Bien que je ne doute pas de sa sincérité, cela ne suffit pas à établir un manque de diligence délibéré ou un sabotage. Il se peut bien que l’expression de frustrations à un employé subalterne soit inappropriée, selon le ton et la teneur des propos, mais elle ne permet pas d’établir son intention de causer un préjudice. Il y a tout un pas entre le fait de ne pas être sur la même longueur d’onde ou de ne pas s’entendre et le sabotage, et le franchir traduit un jugement hâtif.
[238] Dans l’ensemble, la conduite inacceptable de l’employeur dans le présent cas englobait la mauvaise foi, y compris le défaut de mener un processus disciplinaire en temps opportun ou équitable sur le plan procédural et d’enquêter (manquements que l’employeur a tenté de dissimuler), le jugement hâtif, le fait de s’appuyer sur des allégations non fondées et la présentation d’allégations non étayées de mauvaise foi contre la fonctionnaire.
2. La demande de dommages-intérêts majorés de la fonctionnaire
a. Quel préjudice prévisible a été causé par la conduite de l’employeur?
[239] En tant qu’employée de la fonction publique, la fonctionnaire s’attendait raisonnablement à ce que son rendement soit évalué équitablement et à ce que, si l’employeur envisageait une mesure disciplinaire, il le fasse de bonne foi, de façon transparente et honnête, tout en respectant la procédure régulière. Aucune de ces attentes n’a été satisfaite. Dans son témoignage, la fonctionnaire a décrit en détail les répercussions de la conduite inacceptable de l’employeur, notamment la détresse qui l’a poussée à obtenir des services d’aide psychologique lorsqu’elle était en congé payé (ce que l’employeur n’a pas contesté) et ses difficultés persistantes liées à la confiance professionnelle, aux constantes remises en question et à sa méfiance par rapport aux autres.
[240] La fonctionnaire a témoigné qu’elle s’était sentie complètement prise au dépourvu par les événements qui se sont produits pendant toute la période visée par le litige, à partir du moment où elle a été renvoyée chez elle en avril 2014. Comme de nombreux cadres, une grande partie de sa vie, y compris son cercle social, était axée sur son travail. Elle se sentait isolée et démoralisée. Elle a eu besoin d’aide professionnelle pour traverser cette période extrêmement sombre. Elle continue d’éprouver des problèmes de confiance en soi dans son nouvel emploi. Elle a évoqué un niveau déraisonnable de paranoïa. Selon ma compréhension, elle n’a pas utilisé ce mot dans un sens clinique. J’ai plutôt compris qu’elle évoquait une insécurité et une crainte constantes et omniprésentes.
[241] Ces répercussions profondes et durables sont directement liées au manque d’équité dans le cadre du processus disciplinaire déraisonnablement long et aux accusations sans fondement, y compris les accusations de mauvaise foi, portées contre elle. La fonctionnaire a également éprouvé un sentiment de perte. Son travail à l’ASFC lui importait beaucoup. Encore une fois, cela est conforme à son rôle de cadre. Elle est maintenant peu susceptible de réaliser les objectifs et les ambitions qu’elle entretenait depuis longtemps parce [traduction] « [qu’]il ne lui reste pas suffisamment de temps ». Ces répercussions n’étaient pas étayées par une preuve médicale, mais elles n’ont pas non plus été contestées.
b. Le préjudice était-il plus important que la détresse prévisible à la suite d’un licenciement?
[242] Ces répercussions ne constituaient pas les conséquences normales d’un licenciement. Elles sont liées à la façon inacceptable dont la fonctionnaire a été traitée plutôt qu’à ce qui devait être prévu à la suite d’une enquête disciplinaire équitable ou d’un licenciement. La fonctionnaire s’attendait raisonnablement à ce que toute mesure disciplinaire soit prise de façon équitable et, au minimum, de bonne foi. Les manquements de l’employeur à cette attente ont été importants. La paranoïa et le manque de confiance que la fonctionnaire décrit constituaient une conséquence prévisible des manquements à l’équité et à la confiance commis par son employeur. Au cours du processus disciplinaire, l’employeur a fait preuve d’un mépris et d’une insensibilité quant aux répercussions de ses actions sur la fonctionnaire, comme en témoigne en particulier la durée étonnamment longue du processus vicié. Pendant près de trois ans, la fonctionnaire a été laissée à la maison, se demandant ce qui adviendrait de sa carrière et de sa réputation. Jusqu’à la fin, elle a espéré que, en fin de compte, l’ASFC agirait de manière équitable.
[243] L’utilisation répétée par l’employeur de termes trompeurs qu’il savait incorrects comme [traduction] « enquêteur », « rapport d’enquête », « méthodologie d’enquête », « sans lien de dépendance » et « tiers indépendant » a aggravé le tort fait à la fonctionnaire par le défaut d’enquêter. La banalité conférée par la répétition peut avoir rendu ces mensonges plus acceptables à ceux qui les ont fabriqués, mais elle ne les a pas transformés en vérités. Toutefois, on peut raisonnablement supposer que ces répétitions, qui ont débuté au cours du processus disciplinaire et se sont poursuivies à l’audience devant la Commission de nombreuses années plus tard, ont aggravé le préjudice continuel subi par la fonctionnaire. Encore une fois, ce préjudice est la conséquence de la mauvaise foi et de l’insensibilité de l’employeur et ne constitue pas la conséquence prévisible d’un processus disciplinaire ou d’un licenciement mené de manière équitable.
c. Le montant approprié des dommages-intérêts majorés
[244] Étant donné que les dommages-intérêts majorés compensent des souffrances intangibles, leur calcul est une science inexacte. Il est utile de se reporter à la jurisprudence pour déterminer le montant des dommages-intérêts. Dans la jurisprudence portant sur des dommages-intérêts majorés présentée par les parties, les décisions Mattalah et Lyons sont les plus pertinentes, puisqu’il s’agit de cas d’emploi dans la fonction publique fédérale. Dans la décision Lyons, la Commission a fait remarquer qu’il avait récemment été conclu dans d’autres affaires que les dommages-intérêts, en l’absence de preuve médicale, se situaient dans une fourchette de 25 000 à 35 000 dollars, même si des indemnités supérieures et inférieures ont aussi été accordées (par. 136).
[245] Dans la décision Mattalah, des dommages-intérêts majorés de 20 000 $ ont été octroyés dans le contexte d’un plan de rendement imposé de manière injuste qui a entraîné un manque de confiance, des sentiments blessés, une faible estime de soi, de l’humiliation, du stress, de l’angoisse et un sentiment de trahison (par. 164). Ces préjudices ont été éprouvés dans le contexte d’une affectation perdue, plutôt que d’un licenciement. En l’espèce, les éléments de mauvaise foi sont semblables, mais les préjudices sont plus graves.
[246] Dans l’affaire Lyons, la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu 135 000 $ en dommages-intérêts majorés pour un préjudice psychologique important et continu lié en partie à un processus disciplinaire vicié. Comme dans la décision Lyons, une partie du préjudice psychologique subi par la fonctionnaire dans le présent cas se rapporte à la perte d’un emploi pour lequel elle avait consacré des années à développer des compétences et des connaissances spécialisées. Toutefois, la demande présentée dans l’affaire Lyons était étayée par des éléments de preuve médicaux et comportait des préjudices plus extrêmes que ceux que la fonctionnaire a subis, y compris des préjudices graves à long terme touchant la santé physique et psychologique.
[247] Compte tenu de l’ampleur du mépris à l’égard d’une procédure équitable dans le présent cas, il était prévisible que le préjudice qui en découle soit grave. La résilience de la fonctionnaire, malgré ce préjudice, l’ayant amenée à trouver un autre emploi et à poursuivre sa vie professionnelle ne signifie pas que le préjudice a disparu. D’après son témoignage, il est clair que, même huit ans après le début du processus disciplinaire vicié de l’employeur, elle subit encore des conséquences sur les plans personnel et professionnel. L’octroi d’une indemnité à l’extrémité supérieure de la fourchette est donc indiqué. Le montant approprié des dommages-intérêts majorés est de 35 000 $.
3. La demande de dommages-intérêts punitifs de la fonctionnaire
a. Existe-t-il une faute indépendante et donnant ouverture à action qui justifie une sanction?
[248] La mauvaise foi de l’employeur dans le cadre du processus disciplinaire constitue une faute indépendante et donnant ouverture à action. Dans mon examen visant à déterminer s’il convient d’octroyer des dommages-intérêts punitifs pour sanctionner l’employeur, j’ai tenu compte des « aspects » de la proportionnalité suivants qui ont été énoncés dans la décision Whiten :
1) le caractère répréhensible de la conduite du défendeur;
2) la vulnérabilité du demandeur;
3) le préjudice infligé par le comportement au demandeur;
4) le besoin de dissuasion;
5) l’enrichissement injuste du défendeur;
6) le montant des autres dommages-intérêts accordés pour la même faute (voir Whiten, aux paragraphes 112 à 126, Spruce Hallow, au par. 122).
[249] Le caractère répréhensible de la conduite de l’employeur est clair, selon les principes énoncés dans la décision Whiten. La mauvaise foi, la tromperie et le recours à des allégations qui sont dénuées de fondement et qui ont été retirées donnent lieu à un simulacre de mesure disciplinaire pour motif valable et d’attentes d’équité et de bonne conduite. L’employeur a persisté dans cette voie pendant les trois années du processus disciplinaire, et de nombreux éléments de sa mauvaise foi étaient évidents à l’audience dans ses renvois continus à un processus d’enquête inexistant. La vulnérabilité de la fonctionnaire est également manifeste. Pendant les trois années durant lesquelles elle était à la maison, elle était complètement soumise à la prétention continue de l’employeur selon laquelle il menait une procédure disciplinaire appropriée. En tant qu’employée de la fonction publique qui n’était pas syndiquée et qui recevait une rémunération complète, elle n’avait aucun recours à la procédure de règlement des griefs avant de faire l’objet d’une mesure disciplinaire. L’employeur tenait la vie professionnelle de la fonctionnaire entre ses mains et l’a traitée de manière négligente, sans respect de la procédure régulière ni des normes ordinaires de bonne conduite, ce qui lui a causé un préjudice durable. Le comportement de l’employeur mérite d’être dénoncé et puni, et il faut le dissuader d’agir à nouveau de la sorte.
[250] Bien que l’employeur n’ait reçu aucun avantage financier direct de son comportement, le rapport McRoberts fait abstraction du rôle et des responsabilités de M. McRoberts relativement au dossier de l’entreprise, même s’il a eu [traduction] « l’une des réunions les moins agréables » de sa carrière à la suite de l’achèvement du dossier. Sa responsabilité ou sa culpabilité potentielles sont entièrement écartées dans le rapport McRoberts. Il s’agit là d’un fait important. Non seulement le rapport McRoberts a-t-il manqué à la procédure régulière, mais il a également fourni un avantage direct à M. McRoberts (et peut-être à d’autres) en éliminant sa responsabilité et en détournant l’attention du rôle qu’il a joué dans le choix du moment où a été rendue la décision de vérification. Cela lui a procuré un avantage assimilable à un enrichissement injuste.
b. Les dommages-intérêts compensatoires et les dommages-intérêts majorés sont-ils suffisants comme sanction?
[251] Il n’est pas contesté que la fonctionnaire s’est acquittée de son obligation d’atténuer rapidement ses pertes. Son nouvel emploi est moins bien rémunéré que son rôle précédent, mais l’écart salarial n’est pas énorme. Le nouvel emploi de la fonctionnaire coïncide avec la plus grande partie de la période de réintégration. Les dommages compensatoires seront grandement réduits en raison de ses efforts et de sa résilience considérable, malgré la façon dont le processus de licenciement de mauvaise foi de l’employeur a compromis ses capacités de recherche d’emploi. Par conséquent, les dommages-intérêts compensatoires en soi seront relativement modestes, compte tenu de ce qu’ils auraient pu être, et n’auront probablement aucune incidence punitive. Cette incidence est l’objectif rationnel que peuvent avoir les dommages-intérêts punitifs.
[252] Les dommages-intérêts majorés supplémentaires de 35 000 $, ajoutés aux dommages-intérêts compensatoires, sont-ils suffisants pour dissuader, dénoncer et punir l’employeur? L’objectif dissuasif des dommages-intérêts punitifs a été comparé à une amende (voir Lyons, au par. 156) et, à ce titre, ils doivent s’élever à plus que de simples frais de licence pour la mauvaise foi d’un employeur. L’employeur était prêt à retarder le début de son processus disciplinaire jusqu’à ce que la fonctionnaire soit en congé depuis près d’un an, ce qui représentait un salaire de plus de 100 000 $. Ces coûts salariaux continuaient de s’accumuler pour s’élever à plus de 300 000 $ à mesure que l’employeur progressait lentement vers une conclusion décidée d’avance, mais ce montant ne l’a pas dissuadé de continuer de faire preuve de mauvaise foi. De plus, aucun élément de preuve ne laisse entendre que la possibilité d’éviter ou de réduire la perte de 26 000 000 $ en droits rétroactifs aurait pu inciter l’employeur à enquêter en bonne et due forme sur le traitement global du dossier de l’entreprise. Les frais de licence que l’ASFC semblait être prête à payer pour mener un processus disciplinaire de mauvaise foi prolongé étaient très élevés.
[253] Pour ces raisons, il est peu probable que les dommages-intérêts compensatoires et les dommages-intérêts majorés combinés soient suffisants comme moyen de dissuasion.
c. Quel est le montant approprié des dommages-intérêts punitifs?
[254] La décision Robitaille CRTFP est directement pertinente, étant donné l’enquête lancée sans vérification des faits, l’utilisation d’allégations non prouvées, la tentative de l’employeur d’éviter la responsabilité et les constatations de manquement à la transparence, à la diligence, à la prudence et à l’impartialité, qui sont semblables dans le présent cas. Toutefois, la décision Robitaille CRTFP remonte à presque 15 ans et le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire et non d’un licenciement. En l’espèce, la fonctionnaire a été placée dans des circonstances plus précaires en raison de la conduite inacceptable de l’employeur. La valeur de l’argent a été considérablement touchée par l’inflation des dernières années. Il faut prendre tous ces facteurs en considération pour déterminer si la même indemnité (50 000 $) pourrait encore servir une fin punitive.
[255] La décision Lyons est plus récente. Comme dans l’affaire Lyons, où une indemnité de 75 000 $ a été accordée en dommages-intérêts punitifs, l’approche répréhensible de l’employeur à l’égard du processus disciplinaire en l’espèce était consciente et délibérée. Son comportement protégeait les personnes dont la conduite aurait pu par ailleurs faire l’objet d’un examen approfondi. Plus important encore, comme dans la décision Lyons, l’employeur savait qu’il faisait de fausses déclarations au sujet du processus disciplinaire. Même si l’approche de l’employeur à l’égard du processus disciplinaire était peut-être un peu moins éhontée dans le présent cas, les lacunes des deux processus sont semblables dans leur nature falsifiée.
[256] Pour parvenir au montant approprié de dommages-intérêts punitifs, j’ai également tenu compte du caractère délibéré, insensible, soutenu et de mauvaise foi de la conduite de l’employeur lorsqu’il a licencié la fonctionnaire. L’octroi d’une indemnité punitive à l’extrémité supérieure de la fourchette est approprié. Une somme de 75 000 $ en dommages-intérêts punitifs est accordée à la fonctionnaire.
[257] Le montant global des dommages-intérêts qui en résulte tient raisonnablement compte du montant minimal nécessaire pour punir et dénoncer l’employeur et le dissuader de faire à nouveau preuve de mauvaise foi. Compte tenu des épreuves subies par la fonctionnaire pendant plusieurs années, ainsi que de ses pertes financières et des répercussions durables sur sa vie et sa carrière, les dommages-intérêts punitifs n’auront pas pour effet de l’enrichir injustement.
[258] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[259] Le grief est accueilli.
[260] J’ordonne la mise sous scellés des onglets 1 à 8, 10, 11, 13 et 14 du « Recueil de documents de l’employeur » (pièce E-1) et des onglets 14 et 16 du « Recueil de documents de la fonctionnaire » (pièce G-1) et des pièces E-3 et G-3. De plus, conformément à l’ordonnance de mise sous scellés et de confidentialité, des sections des onglets 12 et 15 de la pièce E-1 et de la pièce E-2 ont été caviardées.
[261] La fonctionnaire est réintégrée rétroactivement à son groupe et niveau professionnel précédent à compter de la date de son licenciement, avec l’intégralité de son salaire et toutes les autres indemnités liées à l’emploi (y compris les congés et la rémunération fondée sur le rendement), et tous les avantages sociaux, y compris toutes les prestations pour soins dentaires et soins de la vue et les prestations d’assurance-maladie complémentaires. Ses congés de maladie accumulés sont rétablis.
[262] Tout revenu d’emploi reçu d’autres sources après la date de licenciement de la fonctionnaire sera déduit du salaire qui lui est dû.
[263] La rémunération fondée sur le rendement sera établie en fonction des cotes de rendement « Surpassé » pour la moitié de la période rétroactive et « Réussi » pour l’autre moitié.
[264] La fonctionnaire sera indemnisée pour les dépenses qu’elle a engagées pour le rachat d’une période ouvrant droit à pension après le licenciement, qui ne lui seront pas remboursées par ailleurs dans le cadre du processus de sa réintégration.
[265] L’employeur versera à la fonctionnaire des dommages-intérêts majorés s’élevant à 35 000 $.
[266] L’employeur versera à la fonctionnaire des dommages-intérêts punitifs s’élevant à 75 000 $.
[267] Les intérêts sur les montants figurant aux paragraphes 261 à 264 doivent être calculés, conformément à ce qui est énoncé dans la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7), selon le taux avant jugement en vigueur à la date des présents motifs. Le taux après jugement s’applique par la suite et sera également accordé sur les montants des dommages-intérêts majorés et des dommages-intérêts punitifs.
[268] La Commission demeure saisie de la présente affaire pendant 120 jours, afin de répondre aux questions découlant de la publication de la présente ordonnance.
Le 16 août 2024.
Traduction de la CRTESPF
Edith Bramwell,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral