Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’Agence du revenu du Canada (ARC) a demandé à exclure 14 postes d’une unité de négociation en vertu de l’al. 59(1)e) de la Loi parce que ces postes avaient été désignés comme étant les décideurs au premier palier de la procédure de règlement des griefs – la Commission devait déterminer si la désignation d’un poste comme palier de la procédure de règlement des griefs est suffisante pour exclure ce poste ou si le fait de trancher des griefs doit constituer une partie importante ou régulière des fonctions du poste – elle a conclu que la simple désignation d’un poste comme palier de la procédure de règlement des griefs est suffisante pour que le poste soit exclu de l’unité de négociation – la Commission a conclu que l’exclusion ne pouvait pas être fondée sur la fréquence ou le caractère récent du traitement des griefs, car les postes pourraient alors passer d’une exclusion à une non-exclusion, ce qui serait incompatible avec le préambule de la Loi visant à favoriser des relations de travail harmonieuses – de plus, l’objectif du par. 59(1) est de régler les conflits d’intérêts qui découleraient des loyautés partagées qui résulteraient de l’exercice de fonctions pour l’employeur et de l’appartenance à l’unité de négociation, ce qui est au cœur de la négociation collective – la Commission a accueilli la demande et a exclu les postes.

Demande accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20240717

Dossiers: 572-34-40456 à 40467, 44012 et 47207

 

Référence: 2024 CRTESPF 91

 

Loi sur la Commission

des relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations de

travail dans le secteur public

fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Agence du revenu du Canada

demanderesse

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

Répertorié

Agence du revenu du Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une demande de déclaration qu’un poste est un poste de direction ou de confiance, prévue au paragraphe 71(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Natalie Atherton, représentante

Pour le défendeur : Vance Coulas, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 28
février et les 20 et 27 mars 2024.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] L’Agence du revenu du Canada (ARC) a présenté une demande pour exclure 14 postes de l’unité de négociation Vérification, finances et sciences représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). L’ARC a demandé d’exclure ces postes parce qu’ils ont tous été désignés comme décideur (appelé « représentant » de l’employeur dans la convention collective pertinente) au premier palier de la procédure de règlement des griefs. La question en litige dans la présente demande est de savoir si la désignation d’un poste comme palier dans la procédure de règlement des griefs est suffisante pour exclure ce poste ou, subsidiairement, si un employeur doit démontrer que la décision de griefs constitue une partie importante ou régulière des fonctions de ce poste.

[2] J’ai conclu que la désignation d’un poste comme palier dans la procédure de règlement des griefs signifie automatiquement que le poste est exclu de l’unité de négociation. Puisque l’IPFPC reconnaît que les 14 postes ont tous été désignés comme un palier dans la procédure de règlement des griefs, j’accueille la demande de l’ARC.

II. Les positions en litige

[3] L’ARC a demandé à exclure les 14 postes dont les numéros sont les suivants : 30180218, 30196653, 30233553, 30239574, 30303228, 30303229, 30313905, 30320760, 30322915, 30322916, 30338702, 30342281, 30370907 et 30413535. Les 14 postes sont classifiés au groupe et au niveau MG-06. Plus important encore, les 14 postes ont tous été désignés comme un palier dans la procédure de règlement des griefs à l’ARC.

[4] Les parties m’ont fourni une copie des descriptions de travail pour chaque poste. Comme l’IPFPC me l’a signalé dans son argument écrit, une seule description de travail indique que le poste est un palier dans la procédure de règlement des griefs – les autres ne mentionnent pas du tout les griefs. Je n’ai aucune preuve indiquant que l’un ou l’autre des occupants de ces postes a effectivement tranché des griefs ou, le cas échéant, la fréquence à laquelle ils l’ont fait. Toutefois, j’ai une copie du certificat de nomination du fonctionnaire occupant chaque poste comme premier palier de la procédure de règlement des griefs à l’ARC, et l’IPFPC convient que chaque poste est le premier palier de la procédure de règlement des griefs.

III. Procédure suivie pour statuer sur cette demande par écrit

[5] Cette décision est rendue en même temps que cinq autres décisions concernant des demandes présentées par un employeur en vue d’exclure un poste ou un groupe de postes mentionnés au paragraphe 59(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Les six décisions portent les références 2024 CRTESPF 90 à 95.

[6] Pour le contexte, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est autorisée à trancher toute affaire sans tenir d’audience; voir la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), à l’art. 22, et Walcott c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2024 CAF 68. Lorsque la Commission planifie une audience orale pour un cas d’exclusion, elle dure généralement un ou deux jours au plus. Cependant, un grand nombre de demandes d’exclusion ont été déposées avant 2023. Par conséquent, la Commission a recensé 53 dossiers plus anciens qu’il serait peut-être approprié de déterminer par écrit.

[7] Les employeurs et les agents négociateurs ont tous deux intérêt à ce que les décisions soient prises rapidement dans les cas d’exclusion. Le fait de prévoir 53 jours d’audience retarderait les décisions relatives à bon nombre de ces cas d’exclusion, ainsi que les audiences relatives à d’autres cas que la Commission n’a pas encore prévus. Les cas d’exclusion sont également bien adaptés à une audience par écrit, car, la plupart du temps, la preuve concernant les fonctions exercées par le poste en question n’est pas contestée et peut être fournie par l’employeur au moyen d’une combinaison de documents (y compris une description de travail) et de preuves par témoignages.

[8] Par conséquent, la Commission a écrit à 3 employeurs et à 2 agents négociateurs impliqués dans ces 53 dossiers. Une paire d’employeurs et d’agents négociateurs a identifié une demande plus récente qui était semblable à d’autres demandes existantes, de sorte que la Commission a émis des directives concernant environ 54 dossiers, dont certains concernaient plusieurs fonctionnaires. Les directives fournissaient à l’employeur et à l’agent négociateur, dans chaque cas, un échéancier pour le dépôt des arguments écrits. Dans chaque cas, les parties ont également eu la possibilité de demander une audition orale; aucune ne l’a fait. Dans de nombreux cas, la Commission a prolongé la période prévue pour les arguments initiaux de l’employeur afin de permettre aux parties de discuter de ces demandes d’exclusion. À la suite de ces discussions, la Commission n’a eu à se prononcer que sur 21 dossiers impliquant 2 employeurs et 2 agents négociateurs. Deux groupes constitués de ces 21 dossiers ont été regroupés parce qu’ils soulevaient tous la même question : ce groupe de 14 et un groupe de 3 (dans 2024 CRTESPF 90).

[9] Pour expliquer davantage ce cas, après avoir examiné les documents déposés par l’ARC et les objections de l’IPFPC dans ces 14 dossiers, j’ai déterminé que le fondement de toutes les demandes et objections était le même. Par conséquent, j’ai ordonné aux parties d’examiner ces 14 cas ensemble, auxquels je vais maintenant faire référence au singulier. J’ai également ordonné aux parties de répondre à cette demande par écrit. J’ai établi un échéancier pour ces arguments écrits, que j’ai rajusté pour permettre aux parties de discuter de la demande entre elles. Les parties ont finalement déposé des arguments écrits. Après avoir examiné les documents déposés avec la demande initiale de l’ARC, le document supplémentaire soumis par l’IPFPC et les arguments des parties, je demeure convaincu que cette demande peut être traitée par écrit. Comme je l’ai dit dans l’aperçu, le seul fait important dans le présent cas est que ces 14 postes ont été désignés comme un palier dans la procédure de règlement des griefs. Cette demande soulève une question juridique : la désignation d’un poste comme palier dans la procédure de règlement des griefs est-elle suffisante pour obliger la Commission à l’exclure d’une unité de négociation? Cette question juridique peut être tranchée par écrit.

[10] Enfin, je tiens à remercier toutes les parties (les deux employeurs et les deux agents négociateurs) pour la qualité de leurs arguments. Il était clair que les employeurs et les agents négociateurs avaient travaillé fort pour résoudre la majorité de ces cas par eux-mêmes et que les cas restants soulevaient d’importants points de principe (comme celui-ci) ou étaient des cas limites fondés sur les faits. Ces cas n’ont pas été faciles; les arguments des parties les ont rendus plus faciles. Je les en remercie.

IV. La présente demande porte sur une question d’interprétation législative

[11] Pour mettre les choses en contexte, la plupart des lois sur les relations de travail au Canada excluent de leur champ d’application les gestionnaires ou les fonctionnaires qui détiennent des renseignements confidentiels sur la négociation collective. La Loi est inhabituelle en ce sens qu’elle précise en détail les types de postes qui devraient être exclus d’une unité de négociation parce qu’ils exercent des fonctions de gestion ou de confiance.

[12] L’ARC présente cette demande en fonction de l’alinéa 59(1)e) de la Loi. Par conséquent, je dois prendre une décision en fonction du texte, du contexte et de l’objectif derrière l’alinéa 59(1)e). Je le ferai en examinant d’abord les décisions antérieures qui interprètent l’alinéa 59(1)e), puis en examinant son texte, son contexte et son objet à la lumière de ces décisions.

[13] L’ensemble du paragraphe 59(1) de la Loi se lit comme suit (la partie sur laquelle l’ARC s’appuie étant mise en relief) :

59 (1) Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

59 (1) After being notified of an application for certification made in accordance with this Part or Division 1 of Part 2.1, the employer may apply to the Board for an order declaring that any position of an employee in the proposed bargaining unit is a managerial or confidential position on the grounds that

a) poste de confiance occupé auprès du gouverneur général, d’un ministre fédéral, d’un juge de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale ou de la Cour canadienne de l’impôt, ou d’un administrateur général;

a) the position is confidential to the Governor General, a Minister of the Crown, a judge of the Supreme Court of Canada, the Federal Court of Appeal, the Federal Court or the Tax Court of Canada, or a deputy head;

b) poste classé par l’employeur dans le groupe de la direction, quelle qu’en soit la dénomination;

b) the position is classified by the employer as being in the executive group, by whatever name called;

c) poste dont le titulaire dispense des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification;

c) the occupant of the position provides advice on labour relations, staffing or classification;

d) poste dont le titulaire a des attributions l’amenant à participer, dans une proportion notable, à l’élaboration d’orientations ou de programmes du gouvernement du Canada;

d) the occupant of the position has substantial duties and responsibilities in the formulation and determination of any policy or program of the Government of Canada;

e) poste dont le titulaire exerce, dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires ou des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure établie en application de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1;

e) the occupant of the position has substantial management duties, responsibilities and authority over employees or has duties and responsibilities dealing formally on behalf of the employer with grievances presented in accordance with the grievance process provided for under Part 2 or Division 2 of Part 2.1;

f) poste dont le titulaire participe directement aux négociations collectives pour le compte de l’employeur;

f) the occupant of the position is directly involved in the process of collective bargaining on behalf of the employer;

g) poste dont le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur;

g) the occupant of the position has duties and responsibilities not otherwise described in this subsection and should not be included in a bargaining unit for reasons of conflict of interest or by reason of the person’s duties and responsibilities to the employer; or

h) poste de confiance occupé, en matière de relations de travail, auprès des titulaires des postes visés aux alinéas b), c), d) et f).

h) the occupant of the position has, in relation to labour relations matters, duties and responsibilities confidential to the occupant of a position described in paragraph (b), (c), (d) or (f).

[Je mets en évidence]

 

A. Décisions antérieures de tribunaux et de la Commission interprétant cette disposition

[14] La Commission et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux interprété la deuxième partie de l’alinéa 59(1)e) de la Loi et son prédécesseur, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-35; la « LRTFP »), c’est-à-dire qu’une fois que l’employeur a attribué à un poste l’obligation de recevoir et de traiter officiellement un grief, le poste doit être exclu de l’unité de négociation.

[15] Dans La Reine du chef du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1984] 2 CF 998 (C.A.), la Commission n’a pas accepté la demande de l’employeur d’exclure 260 postes qui constituaient le premier palier de la procédure de règlement des griefs au motif que la direction n’avait pas justifié la décision de désigner autant de fonctionnaires comme premier palier de la procédure de règlement des griefs. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision en déclarant :

[…]

[…] À mon avis, la définition de "personne préposée à la gestion ou à des fonctions confidentielles" (précitée), comprend manifestement les personnes à qui l'employeur a effectivement assigné la tâche de s’occuper de griefs en application de la Loi. Ainsi que nous l’avons déjà dit, la Commission a, en l’espèce, tiré une conclusion de fait affirmative à cet égard. J’affirme, avec l’avocat de la requérante, que cette conclusion a pour effet de régler le litige opposant les parties et que la Commission aurait dû s’arrêter là et trancher la question en faveur de l’employeur. […]

[…]

 

[16] La disposition de la LRTFP en vigueur à l’époque était légèrement différente de l’actuel alinéa 59(1)e) de la Loi. À l’époque, la LRTFP excluait les fonctionnaires plutôt que les postes. Tel qu’il était libellé à l’époque, il excluait un fonctionnaire « […] s’occupant officiellement pour le compte de l’employeur, en raison de ses attributions, d’un grief présenté selon la procédure établie en application de la présente partie […] ». Le Parlement a modifié la LRTFP en 1992 (entrée en vigueur en 1993) pour y ajouter l’art. 5.1 à cette loi. L’alinéa 5.1(1)b) de la LRTFP modifiée est identique à l’alinéa 59(1)e) de la Loi actuelle (à l’exception de certains termes techniques qui ne sont pas pertinents au présent cas).

[17] Dans Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, [1998] C.R.T.F.P.C. no 61 (QL), l’IPFPC a soutenu que les modifications apportées à la LRTFP avaient changé son sens. Essentiellement, l’IPFPC a soutenu dans ce cas que les mots « dans une proportion notable » dans ce qui est maintenant l’alinéa 59(1)e) a modifié les deux clauses de l’alinéa 59(1)e) – à savoir, le poste doit exercer des fonctions de gestion ou des fonctions de grief dans une proportion notable. La Commission a rejeté cet argument, concluant au paragraphe 18 de sa décision que la LRTFP n’exigeait pas que l’occupant d’un poste traite de façon notable les griefs pour que son poste soit exclu. La Commission s’est également préoccupée des conséquences pratiques de l’argument de l’IPFPC dans ce cas, déclarant que l’acceptation de cette interprétation « […] entraînerait de l’incertitude dans le processus de qualification, faisant en sorte que les mêmes postes pourraient ou non être qualifiés en vertu de la Loi, tout dépendant des fluctuations dans le volume des griefs dont leurs titulaires doivent traiter ».

[18] La Commission a également confirmé cette approche en vertu de la Loi actuelle. Dans Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2008 CRTFP 55, la Commission a accueilli la demande de l’employeur d’exclure un poste parce qu’il s’agissait du premier palier de la procédure de règlement des griefs, déclarant :

[…]

21 La jurisprudence est claire. La Commission n’a pas compétence pour remettre en question les motifs pour lesquels un employeur décide de désigner un employé comme représentant à un palier de la procédure applicable aux griefs. Ce principe a d’abord été établi dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1984] 2 C.F. 998. Ont suivi nombre de décisions de l’ancienne Commission qui abondait dans le même sens. Ces décisions ont toutes été rendues en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Cependant, il n’y a pas assez de différence entre les dispositions de l’ancienne Loi et celles de la nouvelle pour qu’il me soit permis de faire fi de l’abondante jurisprudence déjà établie.

[…]

 

[19] J’ai suivi ces décisions antérieures pour en arriver à ma conclusion.

B. Le texte de l’alinéa 59(1)e) de la Loi

[20] Je suis également d’accord avec les décisions antérieures selon lesquelles le texte de l’alinéa 59(1)e) de la Loi est clair. Il exige seulement que l’employeur démontre que le poste a « […] des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs […] » [je mets en évidence]. Rien dans ce paragraphe n’indique que le poste doit exercer ces fonctions fréquemment ou que les fonctions constituent une partie importante de l’emploi.

C. Le contexte législatif

[21] Compte tenu du contexte législatif, l’alinéa 59(1)e) de la Loi prévoit deux motifs d’exclusion. Le deuxième motif exige que la Commission exclue un poste qui a « […] des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs […] » [je mets en évidence]. En revanche, dans le premier motif, les mots « dans une proportion notable » modifient l’expression « […] attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires […] ». La fréquence à laquelle les fonctions sont exercées est pertinente pour le premier motif, mais pas pour le second. D’autres dispositions du paragraphe 59(1) de la Loi contiennent également un libellé qui accorde à la Commission un pouvoir discrétionnaire (comme le mot « doit » à l’alinéa 59(1)g)) ou qualifie le motif d’exclusion d’une manière qui oblige la Commission à faire une évaluation factuelle (comme « dans une proportion notable » à l’alinéa 59(1)d)).

[22] Il n’y a pas de qualification pour le deuxième motif de l’alinéa 59(1)e). C’est une indication que le Parlement a délibérément rendu ce motif automatique une fois qu’un poste a été désigné comme palier dans la procédure de règlement des griefs. Si le Parlement avait voulu que l’expression « exerce des attributions » signifie « exerce des attributions dans une proportion notable », il l’aurait dit explicitement, comme il l’a fait dans d’autres alinéas du paragraphe 59(1) de la Loi.

D. L’objet de l’alinéa 59(1)e)

[23] Enfin, pour ce qui est de l’objet, je suis d’accord avec la préoccupation antérieure de la Commission au sujet des conséquences pratiques de l’examen de la fréquence à laquelle un poste entend les griefs. La fréquence des griefs peut fluctuer et dépendre de facteurs indépendants de la volonté de l’employeur ou du fonctionnaire qui occupe le poste. Le fait de faire dépendre l’exclusion d’un poste de la fréquence et de l’ancienneté des griefs signifierait que les postes pourraient passer du statut d’exclu à celui de non exclu. Cette incertitude est incompatible avec l’objet de la Loi, qui est d’assurer des relations de travail harmonieuses (énoncé dans son préambule), parce que des relations de travail harmonieuses dépendent d’une certaine stabilité dans la compréhension de qui fait partie d’une unité de négociation et de qui n’en fait pas partie.

[24] De plus, l’objectif derrière le paragraphe 59(1) vise à régler le conflit d’intérêts qui découlerait de l’existence de loyautés partagées découlant des fonctions exercées pour l’employeur et de l’appartenance à l’unité de négociation qui est au cœur du régime de négociation collective (voir Cowichan Home Support Society v. U.F.C.W., Local 1518, [1997] B.C.L.R.B.D. no 28 (QL), au par. 115, cité dans Conseil du Trésor c. Fédération de la police nationale, 2023 CRTESPF 110, au par. 152). Les gestionnaires qui tranchent les griefs peuvent être appelés à interpréter et à appliquer une convention collective. Si les décideurs du grief (appelés « représentants » de l’employeur dans la convention collective entre l’ARC et l’IPFPC pour le groupe Vérification, finances et sciences qui expire le 21 décembre 2026) étaient autorisés à demeurer dans l’unité de négociation, ils pourraient être invités à interpréter et à appliquer leur propre convention collective ou des conventions collectives rédigées dans un langage similaire. Franchement, le conflit d’intérêts est évident : un fonctionnaire ne devrait pas avoir le pouvoir de rendre des décisions exécutoires au nom de l’employeur qui ont une incidence sur ses propres conditions d’emploi parce que la tentation de prendre une décision contraire aux intérêts de l’employeur (et favorable à ses propres intérêts) est trop grande. L’interprétation que me demande l’ARC dans ce cas est conforme à l’objet du paragraphe 59(1) de la Loi pour prévenir les conflits d’intérêts.

E. Les cas invoqués par l’IPFPC ne portent pas sur le deuxième motif énoncé à l’alinéa 59(1)e)

[25] L’IPFPC s’appuie sur l’adoption antérieure par la Commission du critère « Canada Safeway » pour exclure les fonctionnaires. Ce critère, tiré de l’arrêt Labour Relations Board v. Canada Safeway Ltd., [1953] 2 SCR 46, comporte trois volets et est appliqué pour déterminer si un fonctionnaire ou un poste devrait être exclu en raison de préoccupations relatives à la confidentialité des questions relatives aux relations industrielles – à savoir que les questions confidentielles doivent être liées aux relations industrielles, que leur divulgation aurait un effet préjudiciable sur l’employeur et que la personne doit avoir accès à ces renseignements dans le cadre d’une partie importante et régulière de ses fonctions. Le critère Canada Safeway n’est pas pertinent au deuxième motif de l’alinéa 59(1)e) de la Loi. Il peut être pertinent au premier motif lorsqu’il s’agit d’évaluer si un poste exerce des fonctions de gestion dans une proportion notable parce que l’idée d’une partie régulière des fonctions d’un fonctionnaire est semblable à celle de déterminer si ces fonctions sont dans une proportion notable; il peut également être pertinent lorsqu’il s’agit de trancher des demandes présentées en vertu de l’alinéa 59(1)c), g) ou h) de la Loi parce qu’il s’agit de confidentialité et de relations de travail. Mais ce n’est pas pertinent ici parce que ce n’est pas une question de confidentialité ou de sens du terme « relations de travail ».

[26] L’IPFPC se fonde également sur Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe des services correctionnels), [1979] C.R.T.F.P.C. n9 (QL), pour prétendre qu’un employeur doit répartir les tâches de manière à ce que le plus grand nombre possible de fonctionnaires puissent jouir de la liberté et du droit de participer à la négociation collective. L’IPFPC soutient en outre que cela signifie que la Commission peut enquêter pour déterminer si l’employeur a réparti ses agents des griefs de façon appropriée, en s’appuyant sur le passage suivant de ce cas :

[…]

56 […] Si l’employeur, au lieu de confier la responsabilité d’enquêter sur les griefs au plus petit nombre de personnes possible, répartit cette responsabilité de telle sorte qu’un nombre plus important d’employés se trouvent occasionnellement devant un conflit d’intérêts, il ne peut s’attendre à ce que la Commission approuve une telle mesure. […]

[…]

 

[27] Toutefois, il ne s’agissait pas d’un cas de savoir s’il fallait exclure un fonctionnaire qui était un palier de la procédure de règlement des griefs; il s’agissait d’un cas d’exclure un fonctionnaire qui était (prétendument) confidentiel pour le fonctionnaire qui était le premier palier de la procédure de règlement des griefs. Par conséquent, la demande a été présentée en vertu de l’alinéa de la LRTFP qui se rapproche le plus de ce qui est maintenant l’alinéa 59(1)h) de la Loi – non en vertu de l’alinéa 59(1)e). Je ne peux pas appliquer les principes énoncés dans ce cas au deuxième motif de l’alinéa 59(1)e).

F. La Commission ne peut pas appliquer les valeurs de la Charte dans ce cas

[28] Enfin, l’IPFPC se fonde sur le fait que la négociation collective et l’adhésion syndicale sont protégées en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (adoptée comme annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.); la « Charte »). Je suis d’accord. Toutefois, l’IPFPC n’a pas contesté la constitutionnalité de l’alinéa 59(1)e) de la Loi. Son argument (même s’il n’est pas tout à fait formulé de cette façon) est que je devrais trancher ce cas en tenant compte de ces droits constitutionnels. Comme la Commission l’a déclaré dans Fédération de la police nationale, au par. 157 : « La Cour suprême du Canada a conclu que les décideurs administratifs doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire conféré par la loi d’une manière compatible avec les valeurs qui sous‑tendent l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire, y compris les valeurs de la Charte […] » [je mets en évidence]. Cela est conforme à la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest c. Territoires du Nord-Ouest (Éducation, Culture et Formation), 2023 CSC 31, au par. 65, soit que les décisions discrétionnaires doivent tenir compte des valeurs de la Charte.

[29] Comme je l’ai expliqué, je n’ai aucun pouvoir discrétionnaire dans le présent cas. L’alinéa 59(1)e) est clair. Il ne donne pas à la Commission le pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande une fois que l’employeur a démontré que le poste avait été désigné comme un palier dans la procédure de règlement des griefs (c.‑à-d. qu’il « s’occupe officiellement » de griefs). Comme je n’ai aucun pouvoir discrétionnaire, je ne peux pas appliquer les valeurs de la Charte au présent cas.

[30] Pour ces raisons, j’accueille la demande de l’ARC. Même si je n’ai aucune preuve indiquant que les postes ont une participation importante et régulière à la procédure de règlement des griefs, leur désignation comme premier palier de la procédure de règlement des griefs est suffisante pour justifier leur exclusion en vertu de la Loi. Par conséquent, je déclare que les postes sont exclus. Chaque ordonnance entre en vigueur à la date de la demande de l’ARC.

[31] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[32] La demande est accueillie.

[33] Je déclare que les postes portant les numéros 30180218, 30196653, 30233553, 30239574, 30303228, 30303229, 30313905, 30320760, 30322915, 30322916, 30338702 et 30342281, intitulés « Gestionnaire, Finances » et classés au groupe et au niveau MG-06 à l’Agence du revenu du Canada, sont des postes exclus à compter du 24 avril 2019.

[34] Je déclare que le poste portant le numéro 30370907, intitulé « Directeur adjoint, Programmes régionaux » et classifié au groupe et au niveau MG-06 à l’Agence du revenu du Canada, est un poste exclu, à compter du 23 décembre 2021.

[35] Je déclare que le poste portant le numéro 30413535, intitulé « Gestionnaire, Développement des programmes et analyse et rapports d’affaires » et classifié au groupe et au niveau MG-06 à l’Agence du revenu du Canada, est un poste exclu, à compter du 19 avril 2023.

Le 17 juillet 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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