Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le demandeur a renvoyé un grief à l’arbitrage concernant les congés 699 accordés pendant la pandémie de COVID-19 – le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission, alléguant que le grief était hors délai – le demandeur a déclaré qu’il avait renvoyé son grief après que la Commission eut publié sa décision dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, et il a prétendu que cette décision équivalait à un changement de circonstances qui réinitialisait le délai de dépôt d’un grief – subsidiairement, il a demandé une prorogation du délai dans le cas où la Commission déterminerait que son grief était hors délai – la Commission a conclu que la publication de Bowden constituait un changement de circonstances et que le grief était opportun – elle a conclu que même si elle avait jugé le grief hors délai, elle aurait accordé une prorogation de délai, par souci d’équité – il y avait une raison claire et convaincante pour laquelle le grief a été déposé en retard, à savoir que la publication de Bowden constituait un changement de circonstances – le délai de trois mois n’était pas excessif – le demandeur et son agent négociateur ont fait preuve de diligence après avoir déposé le grief – le défendeur n’a pas démontré comment il serait lésé par la progression du grief jusqu’à l’arbitrage – les chances de succès du grief étaient impossibles à déterminer – la Commission a rejeté l’objection relative au respect des délais et a accordé une prorogation du délai.
Objection rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20240730
Dossier: 568-02-49695
Référence: 2024 CRTESPF 99
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
|
Entre
Patrick Ready
et
CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Anciens Combattants)
Ready c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens Combattants)
Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le demandeur : Chantale Mercier, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour le défendeur : John Mendonça, analyste
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 20 décembre 2023 et les 3, 14 et 23 mai 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Demande devant la Commission
[1] Le 11 avril 2023, Patrick Ready (le « demandeur ») a renvoyé un grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») concernant des congés pris pendant la pandémie de COVID-19. Le 25 avril 2023, le Conseil du Trésor (le « défendeur ») s’est opposé au renvoi, car le grief n’aurait pas été déposé en temps opportun. Le Conseil du Trésor est l’employeur légal; le demandeur travaille pour le ministère des Anciens Combattants, auquel le Conseil du Trésor a délégué les pouvoirs en matière de ressources humaines. Dans la présente décision, le ministère des Anciens Combattants est également considéré comme le défendeur.
[2] Le demandeur a répondu à l’opposition et il a demandé une prorogation du délai pour déposer le grief.
[3] En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), la Commission peut, par souci d’équité, prolonger le délai prescrit par la partie 2 du Règlement ou prévu dans une procédure de règlement des griefs contenue dans une convention collective pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier quelconque de la procédure de règlement des griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document.
[4] Pour les motifs qui suivent, l’objection du défendeur est rejetée. Je conclus que le grief a été présenté en temps opportun et, dans la négative, la prorogation du délai est accordée.
II. Contexte
[5] Le demandeur est commis au traitement (classifié CR-04) à Anciens Combattants Canada. Il est père célibataire de cinq enfants, dont quatre avaient moins de sept ans en décembre 2021. Le 7 décembre 2021, un de ses enfants est tombé malade et tous ses enfants ont été renvoyés de l’école à la maison. Ils ont dû se mettre en quarantaine pendant quatre jours en raison du protocole COVID-19 de l’école. Le demandeur a demandé un congé payé pour d’autres raisons (congé 699). La demande a été rejetée le 14 décembre 2021.
[6] Il a pris ses trois derniers jours de vacances comme congé, une demi-journée comme congé non payé, et a rattrapé la demi-journée restante plus tard.
[7] Le demandeur a pris connaissance au printemps 2022 d’une décision rendue par la Commission le 7 mars 2022 (Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2022 CRTESPF 12; la « décision de mars 2022 ») sur la question du congé 699. Le 22 avril 2022, il s’est plaint du fait qu’il avait dû utiliser des crédits de congé pour couvrir le temps pris pour s’occuper de ses enfants, qui ont été mis en quarantaine à la maison en vertu des protocoles de santé liés à la COVID-19. Selon son interprétation de la décision de mars 2022, le défendeur aurait dû lui accorder un congé 699.
[8] Le défendeur s’est opposé au renvoi, puisque le grief n’avait pas été déposé dans le délai de 25 jours prévu dans la convention collective pertinente. Dans chacune de ses réponses au grief, le défendeur l’a rejeté en invoquant le respect des délais.
[9] Le défendeur a également abordé le fond du grief dans ses réponses, déclarant que le congé 699 n’avait pas été refusé de façon déraisonnable, puisque d’autres types de congés payés étaient disponibles pour s’acquitter de responsabilités familiales.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour le demandeur
[10] Après avoir pris connaissance de la décision de mars 2022 sur l’utilisation du congé 699 dans les circonstances liées à la pandémie de COVID-19, le demandeur a demandé que les crédits de vacances qu’il avait utilisés en décembre 2021 lui soient restitués. Cette demande a été rejetée. Selon lui, le refus devrait être le point de départ pour le calcul du délai du grief.
[11] Le demandeur a soutenu qu’il s’agit d’un grief continu et que, par conséquent, il est opportun. En citant la décision de la Commission dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, le demandeur soutient que la décision de mars 2022 équivalait à un changement de circonstances qui a réinitialisé le délai.
[12] Si la Commission conclut que le grief est hors délai, le demandeur a soutenu qu’elle devrait lui accorder une prorogation de délai, conformément à l’alinéa 61b) du Règlement, par souci d’équité.
[13] À l’appui de sa demande de prorogation du délai pour déposer le grief, le demandeur a présenté les arguments suivants : le délai (de décembre 2021 à avril 2022) n’était pas excessif, il a été diligent à l’égard de son grief une fois le processus entamé, il risque de subir un préjudice beaucoup plus important si la prorogation du délai est refusée que celui que subirait le défendeur si elle était accordée, et le grief n’est ni frivole ni vexatoire.
B. Pour le défendeur
[14] Le défendeur a repris l’analyse bien connue énoncée dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, afin d’examiner les cinq critères dont la Commission tient habituellement compte pour déterminer si une prorogation de délai devrait être accordée.
1. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard
[15] Le demandeur a invoqué la décision de mars 2022 comme ayant donné lieu au grief lié au refus du congé 699 en décembre 2021. La décision de mars 2022 ne traite pas de l’indemnisation rétroactive et n’offre donc pas de raison pour le retard dans le dépôt de son grief. Il n’existe aucune explication claire, logique et convaincante à ce retard.
2. La durée du retard
[16] Le défendeur n’a pas contesté que le délai, compte tenu de la jurisprudence, n’est pas excessif. Cependant, il reste inexpliqué.
3. Diligence raisonnable du demandeur
[17] Selon le défendeur, le demandeur n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Le grief a été soulevé seulement lorsqu’il a pris connaissance de la décision de mars 2022.
4. L’équilibre entre l’injustice causée au demandeur si la prorogation est refusée et le préjudice que subit le défendeur si elle est accordée
[18] Le défendeur ne voit aucune injustice à conclure que le grief est hors délai. La décision de mars 2022 sur laquelle le demandeur s’est fondé ne soutient pas nécessairement sa position.
5. Les chances de succès du grief
[19] Le défendeur est d’avis que le grief n’a aucune chance de succès puisque la décision de mars 2022 ne prétend pas avoir un effet rétroactif.
IV. Analyse
[20] Il est clair que, sans la décision de mars 2022, le demandeur n’aurait pas déposé de grief contre le refus de son congé 699 qu’il avait demandé. Il voit le changement apporté par la décision de mars 2022 comme un tremplin pour son grief.
[21] Bien que le demandeur ait qualifié son grief de « grief continu », je pense que la situation est mieux décrite comme un changement de circonstances. Les demandes répétées de réexamen d’un fonctionnaire s’estimant lésé ne réinitialisent pas automatiquement les délais; cependant, ce sera le cas lorsque « […] cette demande est fondée sur des circonstances différentes ou si l’employeur tient compte de renseignements supplémentaires pour parvenir à sa décision » (voir Bowden, au par. 49). Je conclus que la publication de la décision de mars 2022 constitue un tel changement de circonstances. Compte tenu de cette conclusion, je suis d’avis que le grief est opportun.
[22] J’ajouterais que si le grief est hors délai parce qu’il devait être lié à l’action du défendeur survenue en décembre 2021, je pense qu’une prorogation du délai est justifiée et je l’accorderais dans l’intérêt de l’équité.
[23] Il y a une raison claire et convaincante pour laquelle le grief a été déposé trois mois en retard, à savoir un changement de circonstances, soit la publication d’une décision de la Commission qui pourrait avoir une incidence sur la décision du défendeur.
[24] Le retard de trois mois, comme le concède le défendeur, n’est pas excessif.
[25] Il n’y a aucune raison de douter de la diligence du demandeur et de son agent négociateur après le dépôt du grief.
[26] L’équilibre entre les intérêts respectifs est l’une des raisons les plus convaincantes d’accorder la prorogation – le demandeur a demandé que ses crédits de vacances soient remboursés; ils sont une ressource précieuse pour un père célibataire de cinq enfants. Le défendeur n’a rien avancé pour montrer comment il serait lésé par le fait que le grief soit renvoyé à l’arbitrage.
[27] Enfin, les chances de succès du grief sont, comme dans la plupart des cas, impossibles à déterminer à ce stade. Toute application rétroactive de la décision de mars 2022 n’a pas encore été examinée par la Commission.
[28] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[29] L’objection du défendeur concernant le respect des délais est rejetée.
[30] La prorogation du délai de dépôt du grief est accordée. Une audience sera prévue en temps opportun.
Le 30 juillet 2024.
Traduction de la CRTESPF
Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral