Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le plaignant est l’agent négociateur de la seule unité de négociation au sein du défendeur – tous les autres employés du défendeur ne sont pas représentés – les parties ont conclu une entente de principe et, environ une semaine plus tard, il a été annoncé que les employés non représentés recevraient un « paiement forfaitaire de reconnaissance temporaire » (PFRT) – le PFRT n’a pas été étendu aux employés représentés – le défendeur a mis près de huit mois à ratifier l’entente de principe, puis cinq autres mois à la finaliser – la Commission a conclu que le défendeur avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi lorsqu’il a retardé la ratification et la signature de la convention collective et lorsqu’il a versé le PFRT – bon nombre des conditions accordées aux employés non représentés ont servi de points de référence dans le cadre des négociations – au cours des négociations, le défendeur a fourni des renseignements sur les conditions qui avaient été mises en œuvre pour les employés non représentés – pourtant, il n’y a pas eu de dialogue sur l’octroi soudain du PFRT – bien qu’il n’y avait pas d’obligation d’offrir le PFRT, il y avait une obligation de fournir suffisamment d’information pour s’assurer que des discussions rationnelles et éclairées puissent avoir lieu – il n’y a pas eu de tentative d’expliquer le moment où le PFRT a été accordé ou pourquoi sa raison d’être ne s’appliquerait pas aux employés représentés – il n’y avait pas non plus de justification pour les retards dans la finalisation de la convention collective, en particulier le temps écoulé entre la conclusion d'une entente de principe et sa ratification par l'employeur – la Commission a conclu que le défendeur avait commis une pratique déloyale de travail en sapant les relations du plaignant avec ses membres, ce qui équivalait à une ingérence dans la représentation des employés, et qu'il avait exercé une discrimination à l'encontre des membres de l'unité de négociation en ce qui concerne leur emploi, leur rémunération ou leurs conditions d'emploi – la Commission a accordé le PFRT aux membres de l’unité de négociation et 100 $ à chaque membre de l’unité de négociation pour le retard injustifié dans la conclusion de la convention collective, et elle a ordonné que cette décision soit affichée dans un endroit bien en vue pendant une période d’au moins 90 jours.
Plainte accueillie.
Contenu de la décision
Date: 20240827
Dossier: 561-20-45918
Référence: 2024 CRTESPF 120
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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entre
Alliance de la Fonction publique du Canada
plaignante
et
Service canadien du renseignement de sécurité
Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Service canadien du renseignement de sécurité
Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Kim Patenaude, avocate
Pour le défendeur : Marc Séguin, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 27 mars, le 17 avril et le 1er mai 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Plainte devant la Commission
[1] La question dans le présent cas est la négociation de bonne foi.
[2] Le 24 octobre 2022, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou la « plaignante ») a présenté une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), dans laquelle elle allègue que le Service canadien du renseignement de sécurité (le « défendeur »), en tant qu’employeur, a manqué à son obligation de négocier de bonne foi et a commis une pratique déloyale de travail en retardant la ratification et la signature d’une convention collective qui avait été approuvée à titre provisoire, et en versant un avantage pécuniaire à ses employés non représentés peu après que les employés représentés ont ratifié la convention collective provisoire (qui a en fin de compte été signée le 3 mai 2023).
[3] Les parties ont convenu de procéder par voie d’arguments écrits. Les faits ne sont pas contestés. Le différend porte sur la façon dont ces faits devraient être perçus à la lumière des textes législatifs et de la jurisprudence pertinents.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le défendeur a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, qu’il est intervenu dans la représentation des employés et qu’il a fait preuve de discrimination à l’égard des employés représentés.
II. Contexte
[5] Les parties ont fourni un énoncé conjoint des faits pour expliquer le contexte dans lequel s’inscrit la plainte. Le résumé qui suit est entièrement tiré de cet énoncé.
[6] Le défendeur est l’organisme du gouvernement fédéral à qui incombe la responsabilité d’enquêter sur les menaces à la sécurité nationale. La plaignante est l’agent négociateur accrédité de la seule unité de négociation au sein du défendeur; il s’agit d’environ 74 employés effectuant des tâches administratives et de bureau.
[7] Tous les autres employés du défendeur ne sont pas représentés. Ils sont peut‑être représentés par une association syndicale, mais il ne s’agit pas d’un agent négociateur accrédité au sens de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).
[8] Les parties ont signé leur première convention collective le 20 octobre 1986. La plus récente a expiré le 31 mars 2018. Le 18 décembre 2018, la plaignante a signifié un avis de négociation.
[9] Le 1er avril 2021, un représentant du défendeur a fourni à la plaignante des renseignements sur les conditions d’emploi que le défendeur avait instaurées pour ses employés non représentés. Ces renseignements portaient notamment sur les conditions relatives aux augmentations de salaire et aux modifications de la rémunération (rétroactives et prospectives).
[10] Lors des négociations avec le défendeur, les conditions consenties aux employés non représentés ont servi de référence pour les revendications de la plaignante.
[11] Le 17 février 2022, les parties ont signé une entente provisoire qui comprenait un protocole d’entente sur la mise en œuvre (le « PE sur la mise en œuvre »), dans lequel figuraient les dispositions suivantes :
· Le défendeur était tenu de verser tout salaire rétroactif dans les 180 jours suivant la signature de la convention collective par les parties.
· Chaque membre de l’unité de négociation devait recevoir la somme de 500 $, payable dans les 180 jours suivant la signature de la convention collective par les parties.
· Si la convention collective n’était pas mise en œuvre dans les 180 jours suivant sa signature, une somme de 50 $ devait être versée à chaque membre de l’unité de négociation, et une somme supplémentaire de 50 $ devait être versée pour chaque période subséquente de 90 jours au cours de laquelle la convention collective n’avait pas été mise en œuvre.
[12] La plaignante a tenu des séances de ratification et a ratifié la convention collective avant le 13 avril 2022.
[13] Le 26 avril 2022, le défendeur a annoncé que les employés non représentés recevraient un [traduction] « paiement forfaitaire de reconnaissance temporaire » (PFRT), équivalant à 2,5 % de leur salaire de base, en mars et en septembre de chaque année, et ce, jusqu’au mois de mars 2024.
[14] Le 4 mai 2022, le négociateur de la plaignante, John Eustace, Ph. D., a envoyé un courriel à Marc Thibodeau, le négociateur du défendeur, pour lui faire part de la consternation des employés représentés de ne pas être visés par le PFRT et lui proposer de signer un PE qui permettrait au défendeur de verser ce paiement aux employés représentés.
[15] MM. Eustace et Thibodeau ont échangé des courriels à ce sujet et au sujet de la ratification de la convention collective. Enfin, le 13 août 2022, M. Thibodeau a informé M. Eustace que le défendeur ne verserait pas le PFRT aux employés représentés.
[16] Le 1er décembre 2022, le défendeur a informé la Commission et la plaignante que le ministre avait approuvé l’entente provisoire signée le 17 février 2022 et qu’elle serait transmise au Secrétariat du Conseil du Trésor pour approbation. Le 10 février 2023, le gouverneur en conseil (GEC) a approuvé la convention collective.
[17] Le chef des relations de travail du défendeur et un vice-président du Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice ont échangé plusieurs courriels sur le processus de signature de la convention collective, qui est intervenue le 3 mai 2023. Les salaires de l’unité de négociation ont été ajustés le 21 juin 2023; les paiements rétroactifs ont été effectués en août 2023.
III. Les positions des parties
[18] Pour étayer leurs arguments, les deux parties ont invoqué la jurisprudence. Je reviendrai sur les décisions pertinentes dans le cadre de mon analyse.
A. La position de la plaignante
[19] La plaignante soutient que le défendeur n’a pas respecté l’article 106 de la Loi (obligation de négocier de bonne foi) et qu’il a commis une pratique déloyale de travail au sens de l’article 186 de la Loi.
[20] Selon la plaignante, le refus du défendeur de ratifier la convention collective pendant près de 14 mois, sans aucune explication raisonnable, constitue une violation des principes de la négociation de bonne foi, en particulier de l’obligation de « faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective », conformément à l’alinéa 106b).
[21] La plaignante soutient en outre qu’en refusant aux membres de l’unité de négociation le versement du PFRT accordé aux employés non représentés, le défendeur a commis une pratique déloyale de travail. Cette mesure était discriminatoire à l’égard des membres de l’unité de négociation pour le seul motif de leur appartenance à l’unité de négociation, en violation du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi. Le défendeur a expliqué que toutes les formes d’indemnisation devaient être négociées dans le cadre de la négociation collective, mais il n’a pas tenu compte de l’offre de la plaignante de signer un PE. Cela signifiait que la plaignante était rendue responsable du refus du versement du PFRT, ce qui constituait une intervention dans la représentation de ses membres, contraire à l’alinéa 186(1)a).
[22] La plaignante a présenté ses arguments sur les quatre questions qui, selon elle, devaient être tranchées par la Commission.
1. Le défendeur a-t-il manqué à son obligation de négocier de bonne foi, définie à l’alinéa 106a) de la Loi?
[23] Le défendeur a manqué à son obligation de négocier de bonne foi en refusant de ratifier la convention collective pendant 14 mois. De février à décembre 2022, il a attendu l’approbation du ministre. Puis, en mars 2023, il a indiqué dans un courriel qu’il ne savait pas comment signer la convention, bien que les parties entretiennent une relation en matière de négociation collective depuis 1986. La plaignante, elle, a ratifié l’accord dans les deux mois suivant la signature de l’entente provisoire.
[24] Le fait que le défendeur n’ait pas ratifié la convention collective a privé les membres de l’unité de négociation des avantages qui avaient été négociés et a rendu inutile le PE de mise en œuvre qui avait été négocié pour garantir la mise en œuvre de la convention collective dans les délais impartis.
[25] Autre acte de négociation de mauvaise foi : l’annonce du versement du PFRT aux employés non représentés, moins de deux semaines après la ratification de la convention collective par la plaignante. Dans un message adressé à l’ensemble du personnel, y compris aux membres de l’unité de négociation, l’employeur a fait savoir qu’un tel avantage ne pouvait être obtenu que par la négociation collective; le défendeur a refusé d’envisager un PE, prétextant qu’un tel mécanisme ne pouvait viser le PFRT, puisqu’il était temporaire. Il s’agit là d’une affirmation erronée.
[26] La plaignante affirme que le fait d’accorder à des employés non représentés un avantage refusé à des employés représentés effectuant un travail comparable alors que des négociations collectives sont en cours est contraire à l’obligation de négocier de bonne foi.
2. Le défendeur a-t-il fait tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, comme le prescrit l’alinéa 106b) de la Loi?
[27] Le défendeur a retardé la ratification sans aucune explication. L’approbation du ministre n’a été obtenue qu’en décembre 2022 et, le 21 mars 2023, soit plus d’un an après la signature de l’entente provisoire, le défendeur s’est enquis de la façon dont il devait procéder pour signer la convention. La signature n’est intervenue qu’en mai 2023. Selon la plaignante, [traduction] « l’employeur n’a pas fait tout effort raisonnable pour conclure la convention collective et n’a pas communiqué avec l’AFPC pour donner des explications raisonnables au sujet du retard ».
3. Le défendeur est-il intervenu dans l’administration de la plaignante et dans la représentation de ses membres, en violation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi?
[28] En déclarant aux employés représentés que le versement du PFRT ne pouvait être négocié que dans le cadre de la négociation collective, le défendeur a donné aux employés concernés la fausse impression que leur agent négociateur était responsable du fait qu’ils n’avaient pas droit au PFRT. De plus, le temps que le défendeur a mis à ratifier la convention collective n’a pu qu’engendrer de l’insatisfaction à l’égard de la représentation.
[29] Selon la plaignante, [traduction] « [l]’ensemble des circonstances, la réticence du défendeur à ratifier la convention collective et l’octroi concomitant d’un avantage unique à ses employés non représentés, révèle clairement une hostilité au syndicat ».
4. Le défendeur a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard des membres de l’unité de négociation en ce qui concerne leur emploi, leur salaire ou toute autre condition d’emploi parce qu’ils sont membres de l’unité de négociation, en violation du sous-alinéa 186(2)a)(i)?
[30] La plaignante soutient que le défendeur a fait preuve de discrimination à son égard de deux façons : en annonçant un paiement exceptionnel réservé aux employés non représentés et en refusant les avantages de la négociation collective en retardant la ratification de la convention collective. Il s’agit clairement d’actes discriminatoires dirigés contre les employés représentés par un agent négociateur. Le moment choisi indique clairement qu’il s’agit d’une discrimination à l’égard des employés représentés.
[31] Le paragraphe 191(3) de la Loi établit que la présentation par écrit d’une plainte en vertu du paragraphe 186(2) constitue une preuve de la violation de cette disposition et qu’il incombe au défendeur d’établir le contraire. La plaignante soutient qu’elle a établi que la violation s’est produite et que le défendeur n’a pas fourni d’explication raisonnable à ce sujet.
[32] La plaignante demande les mesures correctives suivantes :
[Traduction]
a. [Une déclaration] selon laquelle le défendeur a contrevenu aux alinéas 106a), 106b), 186(1)a) et au sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi;
b. Une ordonnance exigeant que le défendeur verse une somme de 100 $ en dommages à chaque membre [de l’unité de négociation] pour avoir omis de ratifier la convention collective dans les 180 jours suivant la ratification de la convention collective par l’AFPC, ainsi qu’une somme supplémentaire de 100 $ en dommages à chaque membre pour chaque période de 90 jours subséquente;
c. Une ordonnance enjoignant au défendeur de verser le paiement forfaitaire de reconnaissance temporaire à chaque membre de l’unité de négociation;
d. Une ordonnance enjoignant à l’employeur d’afficher la présente décision dans un espace bien en vue dans tous les lieux de travail où travaillent les membres de l’unité de négociation, et ce, pour une période d’au moins 90 jours.
B. La position du défendeur
[33] Le défendeur présente les questions en litige de manière quelque peu différente, comme nous le verrons dans la présentation de ses arguments.
1. Quelles sont les charges de preuve à retenir?
[34] Selon le défendeur, il incombe à la plaignante d’établir que le défendeur a manqué à son obligation de négocier en vertu de l’article 106 de la Loi, ainsi que d’établir que le défendeur est intervenu dans la représentation des employés de la plaignante, en violation du paragraphe 186(1).
[35] Une allégation de violation du paragraphe 186(2) entraîne un possible renversement de la charge de la preuve, à condition qu’il soit possible d’établir qu’il y a eu violation.
2. Y a-t-il eu violation de l’article 106 de la Loi?
[36] Selon le défendeur, rien ne démontre que celui-ci avait l’intention de retarder ou d’éviter la signature de la convention collective. En vertu de l’article 112 de la Loi, un organisme distinct comme le défendeur doit obtenir l’approbation du GEC pour conclure une convention collective, laquelle a été obtenue en février 2023.
[37] Le défendeur affirme qu’il [traduction] « a fait preuve de transparence et de sens de la communication » puisqu’il a répondu aux courriels de la plaignante et lui a fourni des mises à jour. Il n’a jamais manifesté de réticence à signer la convention collective. Il n’a pas refusé de ratifier la convention. Il a signé la convention collective le 3 mai 2023.
[38] Rien ne prouve un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi.
[39] Le défendeur reconnaît qu’environ 12 mois se sont écoulés entre sa ratification et celle de la plaignante. Pendant cette période, selon le défendeur, ce dernier a demandé l’approbation du GEC, comme le prévoit l’article 112 de la Loi. Une fois l’approbation obtenue, le défendeur a signé la convention collective dans un délai raisonnable.
[40] Le défendeur fait remarquer que les seuls délais pertinents dans la Loi ont trait à la mise en œuvre d’une convention collective une fois qu’elle a été signée; le PE sur la mise en œuvre traitait également de la mise en œuvre une fois que la convention a été signée. Le défendeur a respecté ces délais.
[41] La plaignante n’a pas démontré qu’elle avait subi un préjudice en raison de la signature de la convention collective le 3 mai 2023. Tous les engagements salariaux ont été honorés en temps voulu.
3. Y a-t-il eu violation du paragraphe 186(1)?
[42] Le défendeur nie toute intervention dans la représentation des membres de l’unité de négociation par la plaignante en ne leur versant pas le PFRT. Il ne s’agissait pas d’une prime ou d’une indemnité de maintien en poste; il s’agissait plutôt d’un paiement temporaire destiné à reconnaître une intensification des initiatives de transformation et l’engagement des employés à l’appui de ces changements. Il ne faisait pas partie du processus de négociation collective.
[43] Le défendeur soutient que le fait de proposer des conditions différentes aux employés syndiqués et non syndiqués n’est pas en soi un acte discriminatoire; un employeur n’est pas non plus tenu de justifier le fait de proposer des conditions différentes à différents groupes d’employés.
[44] Le défendeur soutient qu’il a le droit de fixer les conditions d’emploi de ses employés non représentés. Quant aux employés représentés, leurs conditions d’emploi sont le fruit du processus de négociation collective. Le renversement de la charge de la preuve ne s’applique pas à une plainte présentée en vertu du paragraphe 186(1). Une telle plainte exige la preuve d’une hostilité envers le syndicat. Il n’y a aucune preuve d’une quelconque hostilité envers le syndicat, et aucune preuve d’une quelconque conséquence quant à la représentation de ses membres par le syndicat.
4. Y a-t-il eu violation du paragraphe 186(2)?
[45] Selon le défendeur, il n’y a pas de cause défendable selon laquelle les membres de l’unité de négociation ont fait l’objet d’une discrimination.
[46] En ce qui concerne le PFRT, la plainte a été présentée en dehors du délai obligatoire de 90 jours prévu à l’article 190; le PFRT a été annoncé le 26 avril 2022, et la plainte a été présentée en octobre 2022. Même si la Commission devait considérer que la plainte a été présentée dans les délais, rien n’empêche un employeur d’accorder des conditions d’emploi différentes aux employés représentés et aux employés non représentés.
IV. Analyse
[47] Au-delà de la question de savoir si le défendeur a enfreint les articles 106 et 186 de la Loi, je dois traiter des deux questions préliminaires qu’il a soulevées dans ses arguments : le respect des délais et la charge de la preuve.
[48] Je commence par l’objection du défendeur concernant le délai, selon laquelle la plaignante a présenté une plainte au sujet du PFRT au-delà du délai de 90 jours.
[49] L’objection n’a pas été soulevée avant que les parties ne s’engagent dans l’échange des arguments écrits et, en tout état de cause, je ne pense pas qu’elle soit fondée.
[50] En octobre 2022, le défendeur n’avait toujours pas ratifié la convention collective. Tant qu’une convention collective n’est pas signée, les négociations sont toujours possibles. Ainsi, il n’était pas exclu que le défendeur accepte de rouvrir les négociations afin de consentir au versement du PFRT aux employés représentés. De plus, le refus définitif d’envisager l’ajout d’un PE à la convention collective pour traiter de la question du PFRT est intervenu en août 2022, c’est-à-dire dans le délai imparti pour présenter une plainte.
[51] Je suis d’accord avec le défendeur que la charge de la preuve de la plainte incombait à la plaignante. Cependant, la charge de la preuve est renversée dans le cas du paragraphe 186(2), à condition que la plaignante établisse au moins une cause défendable quant à la violation.
[52] Je vais maintenant examiner chacune des violations alléguées par la plaignante.
A. Le défendeur a-t-il violé l’obligation de négocier de bonne foi telle que définie à l’article 106 de la Loi?
[53] L’article 106 de la Loi se lit comme suit :
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[54] Dans le cas d’un manquement allégué à l’obligation de négocier de bonne foi, la Commission procède à un examen de l’ensemble du processus de négociation et du comportement des parties pour déterminer si la plainte est fondée (voir Canadian Union of Public Employees (Airline Division), Local 4027 v. Iberia Airlines of Spain (1990), 80 di 165 (C.L.R.B.), à la p. 170 (« Iberia »); Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78, au par. 56; Conseil du Trésor c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2023 CRTESPF 7 (« GMMC »), aux paragraphes 64 et 68).
[55] Comme il a été indiqué dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2023 CRTESPF 31 (« AFPC 2023 »), on retrouve un condensé concis des principes régissant l’obligation de négocier de bonne foi et celle de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective dans GMMC, au par. 66, où la Commission cite comme suit les lignes directrices établies dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 148-02-16 (19770630), [1977] C.R.T.F.P.C. no 16 (QL), au par. 11 :
[…]
a) L’employeur doit reconnaître le syndicat comme l’agent négociateur de ses employés.
b) L’employeur et l’agent négociateur doivent avoir tous deux l’intention de conclure une convention collective, même si les parties sont en désaccord sur le contenu de la convention.
c) L’employeur doit fournir suffisamment de renseignements pour faire en sorte que les discussions soient documentées et rationnelles. La raison sous-jacente à une telle obligation a été exprimée comme suit :
En tant que question générale de politique, si les parties sont sur le point de s’engager dans un conflit économique, leurs divergences doivent être réelles et bien définies.
d) Le processus de la négociation collective doit être considéré comme un tout.
[56] Lorsqu’il est établi que les actes d’un employeur ont pour objectif de miner la confiance accordée à un syndicat ou à un agent négociateur, on peut conclure à une violation de l’obligation de négocier de bonne foi (voir AFPC 2023, au par. 242). Comme la Commission l’a précisé dans AFPC 2023, le dialogue et la discussion rationnels sont également des éléments clés de l’obligation de négocier de bonne foi (au par. 243). L’importance de ce principe a été soulignée dans GMMC, au par. 65, qui reprend un extrait de United Steelworkers of America on behalf of Local 13704 v. Canadian Industries Limited, [1976] OLRB Rep. May 199, au par. 19 (« United Steelworkers »), une décision dans laquelle la Commission des relations de travail de l’Ontario a indiqué ceci :
[Traduction]
19. L’exigence de tenir une discussion rationnelle impose aux parties l’obligation de communiquer entre elles, de reconnaître qu’une négociation collective adéquate repose sur des communications efficaces. Bien que le défaut de communiquer puisse ne pas sembler être le même genre de faute que le refus de reconnaître l’autre partie, en réalité il a des conséquences très graves pour le processus de négociation collective dans son ensemble. L’interruption des rapports de négociation établis, en raison du refus de s’engager dans une discussion exhaustive avec l’autre partie, est susceptible de favoriser le recours plus fréquent aux sanctions pécuniaires et d’entraîner une plus grande insatisfaction à l’égard du processus de négociation collective. L’obligation de négocier de bonne foi reconnaît l’importance de la négociation collective en tant que structure permettant à un syndicat et un employeur de dialoguer pleinement.
[57] En examinant l’ensemble du processus de négociation dans le présent cas, les deux parties ont reconnu dans l’énoncé conjoint des faits que bon nombre des conditions accordées aux employés non représentés ont été utilisées comme référence lors des négociations, y compris en ce qui concerne les salaires. Au cours des négociations, le défendeur a fourni à l’AFPC des renseignements sur les conditions qui avaient été mises en œuvre pour les employés non représentés. Pourtant, les parties n’ont pas [traduction] « dialogué pleinement » au sujet de l’octroi soudain du PFRT immédiatement après la ratification de l’entente provisoire par la plaignante.
[58] Un employeur n’est pas tenu de présenter des conditions à la table des négociations et est libre de proposer des conditions d’emploi différentes à différentes catégories d’employés (voir Canada (Procureur Général) c. Association des employé(e)s en sciences sociales, 2004 CAF 165). Toutefois, comme cela a été indiqué dans Iberia, la situation spécifique des parties doit être prise en considération. Dans ce cas, l’ancien Conseil canadien des relations du travail a conclu que l’obligation de négocier de bonne foi avait été violée parce qu’un traitement préférentiel avait été réservé à des employés non syndiqués de niveau comparable pendant la période de négociation.
[59] Bien qu’une entente provisoire ait été conclue au moment où le défendeur a annoncé le PFRT, la convention collective n’avait pas encore été signée, même si la plaignante l’avait déjà ratifiée. Selon la jurisprudence en matière d’arbitrage, l’obligation de négocier de bonne foi s’applique jusqu’à la signature définitive de la convention collective (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Listuguj Mi’gmaq First Nation Council, 2021 CCRI 975, au par. 110).
[60] Même si le défendeur n’était pas tenu de proposer le PFRT aux employés représentés, il avait l’obligation de fournir suffisamment de renseignements à l’AFPC pour assurer des discussions rationnelles et éclairées, surtout dans un contexte où la situation des employés non représentés faisait office de point de référence dans le cadre des négociations. Encore une fois, il n’a pas été fait mention du PFRT au cours des négociations menant à l’entente provisoire, avant la ratification, et l’AFPC n’a pas été informée du PFRT avant qu’il ne soit annoncé à tous les employés. Tout cela s’est produit en l’espace d’environ deux mois. Le défendeur n’a pas tenté d’expliquer le moment où il a décidé du versement du PFRT ou de son annonce, que ce soit à l’agent négociateur ou à la Commission.
[61] De même, aucune explication raisonnable n’a été fournie pour expliquer pourquoi le PFRT a été offert à tous les employés, à l’exception de ceux qui étaient représentés. Selon l’employeur, il s’agissait d’un paiement temporaire destiné à reconnaître l’intensification des initiatives de transformation et l’engagement des employés à l’appui de ces changements. On voit mal pourquoi ce même raisonnement ne s’appliquerait pas également à l’ensemble du groupe de soutien administratif et de bureau. Encore une fois, aucune tentative n’a été faite pour démontrer que les employés non représentés ont participé à ces initiatives de transformation et que les employés représentés ne l’ont pas fait.
[62] Comme il est indiqué dans United Steelworkers, un manque de communication peut s’avérer tout aussi préjudiciable qu’un refus de reconnaître l’autre partie pour ce qui est de son incidence sur la relation de négociation et sur le processus de négociation collective. Tout indique que le refus du défendeur de communiquer avec l’AFPC au sujet du PFRT et de la ratification de la convention collective a eu une telle incidence sur le processus de négociation et sur la conclusion de la convention collective, ce qui a donné lieu à la présentation de la présente plainte.
[63] À la suite de l’annonce du PFRT, l’AFPC a proposé de signer un PE qui permettrait au défendeur de verser cette somme aux employés représentés. Entre mai et juin 2022, l’AFPC a également effectué un suivi auprès du défendeur au sujet de la ratification de la convention collective. Ce n’est qu’en août 2022 que l’AFPC a reçu une réponse à sa proposition de PE concernant le PFRT. Cette réponse n’offrait pas de discuter de la question avec l’AFPC, le défendeur se contentant de déclarer qu’il s’agissait [traduction] « […] d’un élément que nous ne pouvons pas intégrer dans l’entente provisoire […] » et que [traduction] « […] l’employeur n’est pas en mesure de faire bénéficier les membres de l’unité de négociation d’une telle mesure […] ». En conséquence, la plainte a été présentée le 24 octobre 2022. L’approbation par le ministre de l’entente provisoire n’est intervenue qu’en décembre 2022.
[64] Aucune explication n’a été fournie pour justifier le retard dans l’obtention de l’approbation du ministre. L’entente provisoire a été conclue le 17 février 2022; l’approbation est intervenue le 1er décembre 2022. Pendant la période qui s’est écoulée entre février 2022 et décembre 2022 sans qu’aucune explication n’ait été donnée, le défendeur a décidé du versement du PFRT et n’a pas engagé de dialogue avec l’AFPC sur cette question.
[65] Par la suite, il a fallu cinq mois de plus pour adopter de façon définitive la convention collective, qui a été signée le 3 mai 2023. Le défendeur soutient qu’il a informé la plaignante que les retards dans la conclusion définitive de la convention collective étaient dus à la nécessité d’obtenir les approbations nécessaires du ministre, du Conseil du Trésor et de se renseigner sur la procédure de signature à suivre. Cependant, le seul argument fourni par le défendeur pour expliquer ces retards est l’obligation d’obtenir l’approbation du GEC en vertu de l’article 112 de la Loi. Étant donné que le défendeur ne contrôle pas les actes du GEC, le retard de trois mois pour obtenir son approbation en février 2023 n’est pas en cause. Par ailleurs, le défendeur n’a fourni aucune explication quant à la nature des autres retards. À titre de comparaison, l’agent négociateur a ratifié la convention collective avec ses membres en moins de deux mois.
[66] Après examen de l’ensemble du processus de négociation et du comportement des parties au cours de celui-ci, j’estime que le défendeur a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, notamment en ne faisant pas tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.
B. Le défendeur est-il intervenu dans l’administration de la plaignante et dans la représentation de ses membres, en violation de l’alinéa 186(1)a)?
[67] L’alinéa 186(1)a) de la Loi interdit à un employeur d’intervenir dans l’administration d’une organisation syndicale ou dans la représentation de ses membres. Dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2008 CRTFP 13, au par. 58, l’ancienne Commission a conclu qu’il n’était pas nécessaire de prouver l’incidence réelle sur la capacité de l’agent négociateur de représenter les employés ou d’établir que les actes de l’employeur étaient motivés par une hostilité envers le syndicat. Si l’agent négociateur n’a pas à prouver l’existence d’une telle hostilité, il lui incombe néanmoins d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur est intervenu dans son administration ou dans la représentation de ses membres. Des preuves circonstancielles, telles que les perceptions des employés, peuvent suffire à satisfaire à ce fardeau (voir Lala c. Les travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2017 CRTESPF 42, aux paragraphes 60 à 69).
[68] Dans le présent cas, alors que les employés de l’unité de négociation attendaient la signature de leur convention collective, ils ont été informés que leurs collègues non représentés se verraient accorder un avantage pécuniaire important auquel ils n’avaient pas droit parce que cet avantage n’avait pas été négocié dans le cadre de la négociation collective. En outre, après avoir ratifié la convention collective, ils ont attendu environ 10 mois pour que l’employeur ratifie la convention collective et plus d’un an pour que la convention collective soit définitivement adoptée.
[69] Peu importe que les actes de l’employeur aient été ou non motivés par une hostilité envers le syndicat, j’accepte les arguments de la plaignante selon lesquels cela a créé de la frustration parmi ses membres et donné l’impression qu’elle était responsable de l’échec de la négociation de conditions de rémunération comparables pour l’unité de négociation. Parallèlement à ces perceptions des employés, je tiens de nouveau compte du fait que le défendeur n’a fourni aucune explication sur le moment où il a décidé du versement du PFRT ou de son annonce, qu’il n’a pas voulu engager le dialogue avec la plaignante sur cette question et qu’il n’a pas fourni d’explication sur le retard dans l’obtention de l’approbation ministérielle.
[70] Dans l’ensemble, j’estime qu’en décidant du versement du PFRT et en retardant la ratification de la convention collective, le défendeur a sapé la relation entre la plaignante et les employés qu’elle représente. Il s’agit d’une intervention dans la représentation des membres de l’unité de négociation.
C. Le défendeur a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard des membres de l’unité de négociation en ce qui concerne leur emploi, leur salaire ou toute autre condition d’emploi parce qu’ils sont membres de l’unité de négociation, en violation du sous-alinéa 186(2)a)(i)?
[71] Nous l’avons indiqué : cette disposition prévoit un renversement de la charge de la preuve. Pour que ce renversement intervienne, l’existence d’une cause défendable doit être établie (voir Quadrini c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 37, au par. 32).
[72] J’estime que la plaignante a établi l’existence d’une cause défendable de discrimination.
[73] L’intimé a invoqué comme suit Association des employé(e)s en sciences sociales pour appuyer la proposition selon laquelle il n’est pas discriminatoire en soi d’accorder des conditions différentes aux employés syndiqués et non syndiqués et qu’un employeur n’est pas tenu de se justifier d’avoir agi de la sorte :
[…]
[42] Il s’ensuit donc que les distinctions faites entre les conditions d’emploi des employés syndiqués et celles des employés non syndiqués sont parfaitement légitimes et ne peuvent donner lieu à une plainte de discrimination fondée sur les articles 8 et 9 de la Loi, sauf s’il est démontré que l’objet de la distinction est de nuire aux syndicats et à leurs membres. Dans Re Ontario Hydro and Canadian Union of Public Employees, Local 1000 (1/994), 40 L.A.C. (4th) 135, aux pages 146 et 147, la Commission dit clairement :
[traduction] Il est surprenant qu’il y ait si peu d’affaires de ce genre, mais cela résulte peut-être tout simplement du fait qu’on a généralement accepté que les clauses actuelles de non-discrimination, interprétées strictement ou largement, n’avaient jamais été conçues pour interdire le traitement préférentiel des membres d’une unité de négociation par rapport à ceux d’une autre unité, ni celui des employés exclus par rapport à ceux d’une ou de plusieurs unités de négociation. L’essence même de la négociation collective fait que ces différences doivent être négociées séparément à l’égard de chaque unité de négociation et qu’elles relèvent de la politique de l’entreprise en ce qui concerne les employés non syndiqués. Dans un contexte juridique comme celui-là, c’est un fait patent qu’il y a des résultats très différents pour des groupes représentés différemment. Dans le cas d’Hydro Ontario, cela se manifeste déjà clairement en raison des différences entre la convention collective de la société et celle du syndicat ainsi que des conditions d’emploi très différentes qui s’appliquent aux non-syndiqués et aux syndiqués.
On n’a jamais interprété ni même proposé d’interpréter les clauses interdisant la discrimination en raison de l’adhésion à un syndicat de façon à interdire à l’employeur d’offrir aux employés non syndiqués des conditions d’emploi très différentes de celles des membres des unités de négociation, même si elles sont effectivement beaucoup plus avantageuses pour les non-syndiqués. […]
[…]
[74] Je conviens qu’un employeur peut proposer des conditions différentes à différents groupes d’employés. Toutefois, les faits de ce cas sont très différents de la situation qui s’est produite dans Association des employé(e)s en sciences sociales. Il s’agissait de calculer les paiements rétroactifs en vertu de la convention collective, qui étaient supposés être défavorables si on les comparait à ceux calculés pour les employés non couverts par une convention collective. Le raisonnement de la Cour semble être que les conditions négociées ne sont pas en soi discriminatoires.
[75] Dans le présent cas, les circonstances sont différentes. Ce ne sont pas les conditions négociées dans le cadre de la convention collective qui sont en cause, mais plutôt la différence de traitement entre les employés, la seule raison invoquée pour expliquer cette différence étant la représentation par un agent négociateur.
[76] La plaignante a avancé deux motifs pour démontrer qu’il y a eu discrimination : le retard dans la signature de la convention collective, qui a privé les employés représentés des avantages obtenus lors des négociations collectives après avoir accordé les mêmes avantages aux employés non représentés, et le versement d’une importante somme forfaitaire temporaire à tous les employés, à l’exception de ceux qui sont représentés. Si l’on tient pour avérés tous les faits allégués dans la plainte, y compris le moment où a été mis en place le PFRT, les raisons communiquées par l’employeur pour le justifier et pour en exclure les employés représentés, et l’absence de réaction de l’employeur sur cette question et dans la finalisation de la convention collective, j’estime qu’une cause défendable de discrimination a été établie.
[77] Par conséquent, il incombait au défendeur de démontrer que ses actes ne visaient pas à exercer une discrimination à l’encontre de l’agent négociateur ou de ses membres. Il ne l’a pas fait.
[78] Outre l’argument selon lequel la plaignante n’a pas établi une cause défendable, le défendeur a fourni peu de réponses à la plainte déposée en vertu du paragraphe 186(2) de la Loi. Il a déclaré, sans explication, qu’il n’y avait pas d’intention ou de motif de discrimination. Il n’a fourni aucune explication sur le moment choisi pour verser le PFRT ou sur le fait que les employés représentés en ont été exclus, y compris après l’intervention de l’agent négociateur. À cet égard, il a fait valoir que le fait d’offrir aux employés non syndiqués des conditions différentes de celles négociées par le syndicat pour ses membres, après la fin des négociations, ne constitue pas une violation du paragraphe 186(2).
[79] Le premier problème que soulève cet argument est que le défendeur ne tient pas compte du fait que les conditions accordées aux employés non représentés ont été utilisées comme point de référence dans les négociations. Deuxièmement, les négociations n’étaient pas terminées, puisque la convention collective n’avait pas encore été finalisée. En réalité, la convention collective n’a été finalisée qu’un an après l’annonce du PFRT.
V. Mesures correctives
[80] J’ai conclu que le défendeur avait enfreint les articles 106 et 186. Je vais maintenant examiner tour à tour les mesures correctives demandées par la plaignante :
[Traduction]
a. [Une déclaration] selon laquelle le défendeur a contrevenu aux alinéas 106a), 106b), 186(1)a) et au sous-alinéa 186 (2)a)(i) de la Loi;
b. Une ordonnance exigeant que le défendeur verse une somme de 100 $ en dommages à chaque membre [de l’unité de négociation] pour avoir omis de ratifier la convention collective dans les 180 jours suivant la ratification de la convention collective par l’AFPC, ainsi qu’une somme supplémentaire de 100 $ en dommages à chaque membre pour chaque période de 90 jours subséquente;
c. Une ordonnance enjoignant au défendeur de verser le paiement forfaitaire de reconnaissance temporaire à chaque membre de l’unité de négociation;
d. Une ordonnance enjoignant à l’employeur d’afficher la présente décision dans un espace bien en vue dans tous les lieux de travail où travaillent les membres de l’unité de négociation, et ce, pour une période d’au moins 90 jours.
[81] L’article 192 de la Loi établit que la Commission peut rendre toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances si elle détermine que la plainte visée au paragraphe 190(1) est fondée. Y sont également énumérés des exemples d’ordonnances, sans que la Commission ne soit tenue de s’y limiter. Par exemple, en cas de non-respect de l’alinéa 186(2)a), le sous-alinéa 192(1)b)(ii) prévoit une indemnité ne dépassant pas la rémunération qui aurait été versée n’eût été le manquement en question.
[82] Dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 139, l’ancienne Commission a conclu que le paragraphe 192(1) permet d’accorder des dommages pour une perte non pécuniaire et que de tels dommages sont accordés « […] lorsqu’il existe un droit important et intrinsèque à protéger ou à appliquer, ou lorsque la dissuasion est un facteur important » (au par. 38). L’ancienne Commission a ajouté qu’« [i]l est impossible d’établir des relations patronales-syndicales harmonieuses, ce qui est l’un des objets de la LRTFP [aujourd’hui la Loi], lorsque l’une des parties n’hésite pas à faire fi des dispositions de la LRTFP, lesquelles visent à assurer la paix dans les relations de travail » (au par. 38). Comme dans ce cas, j’estime que l’octroi de dommages dans les circonstances du présent cas est nécessaire pour souligner que les dispositions de la Loi doivent être respectées et que leur violation entraîne des conséquences.
[83] J’ai conclu que le défendeur n’avait pas respecté l’article 106 de la Loi et qu’il avait commis une pratique déloyale de travail au sens de l’alinéa 186(1)a) et du sous‑alinéa 186(2)a)(i). Deux des principaux facteurs de ces conclusions sont les mesures prises par le défendeur dans le cadre du PFRT et le fait qu’il n’ait pas finalisé la convention collective dans les délais impartis. Les mesures correctives demandées par l’agent négociateur portent sur ces deux points principaux.
[84] J’estime qu’il est nécessaire d’accorder le PFRT aux membres de l’unité de négociation. Encore une fois, les conditions accordées aux employés non représentés ont servi de point de référence lors des négociations. La justification avancée pour accorder le PFRT aux employés non représentés, en reconnaissance de l’augmentation des initiatives de transformation et de l’appui continu des employés aux changements, s’applique également au travail des membres de l’unité de négociation. Comme dans Association des chefs d’équipe des chantiers maritimes du gouvernement fédéral, cette mesure corrective touche à « […] l’essence même de la relation entre les parties, et le défaut de corriger ce manquement de manière significative pourrait engendrer du cynisme à l’égard des relations patronales-syndicales et miner la capacité du syndicat de représenter efficacement ses membres » (au par. 41).
[85] Le fait que la convention collective n’ait pas été finalisée dans les délais signifie également que les employés de l’unité de négociation n’ont pas reçu les augmentations de salaire et d’avantages sociaux au moment où ils auraient dû les recevoir. Bien que je reconnaisse qu’une partie du retard dans la finalisation de la convention collective peut être attribuée à la recherche des approbations nécessaires, j’estime également que l’employeur n’a pas fourni de justification suffisante pour les retards conséquents dans le processus.
[86] J’estime que le défendeur a indûment retardé la ratification de la convention collective, mais je ne suis pas disposée à rendre une ordonnance qui corresponde au PE de mise en œuvre que les parties ont conclu pour la convention collective, car il semble qu’une fois la convention collective signée, les paiements dus ont été effectués à temps.
[87] La plaignante a demandé le versement d’une somme de 100 $ pour chaque membre de l’unité de négociation en raison de l’absence de ratification dans les 180 jours suivant la ratification de la plaignante, et d’une somme supplémentaire de 100 $ pour chaque période subséquente de 90 jours. Je reconnais qu’il y a eu un retard injustifié et un manque flagrant d’explications, mais le retard n’est pas aussi facile à calculer. D’autres échanges sont intervenus entre les parties au sujet du PFRT, l’approbation ministérielle était nécessaire, de même que l’approbation du GEC. J’ai déjà jugé que certains délais semblaient indûment prolongés, notamment en ce qui concerne l’obtention de l’approbation ministérielle en décembre 2022 alors que l’entente provisoire avait été conclue en février 2022. L’entente a été ratifiée par l’agent négociateur dans un délai de deux mois.
[88] Par conséquent, j’accorde un paiement de 100 $ à chaque employé de l’unité de négociation pour le retard injustifié dans la conclusion de la convention collective.
[89] Enfin, j’ordonne au défendeur d’afficher la présente décision dans un espace bien en vue pendant une période d’au moins 90 jours.
[90] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[91] La plainte est accueillie.
[92] Je déclare que le Service canadien du renseignement de sécurité (le défendeur) a enfreint l’article 106, l’alinéa 186(1)a) et le sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi.
[93] Le défendeur doit verser une somme de 100 $ à titre de dommages à chaque membre de l’unité de négociation pour le retard injustifié dans la ratification de la convention collective.
[94] Le défendeur doit verser le paiement forfaitaire de reconnaissance temporaire à chaque membre de l’unité de négociation.
[95] Le défendeur doit afficher la présente décision dans un espace bien en vue dans tous les lieux de travail où travaillent les membres de l’unité de négociation pendant une période d’au moins 90 jours.
Le 27 août 2024.
Traduction de la CRTESPF
Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral