Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le 18 mai 2023, l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP) et le Conseil du Trésor ont conclu une entente de principe pour le renouvellement de la convention collective du groupe EC – l’entente comprenait le versement d’un montant forfaitaire unique de 2 500 $ pour les fonctionnaires occupant un poste EC au moment de la signature de la convention collective – l’ACEP a publicisé l’entente à maintes reprises sur son site Web et sur les réseaux sociaux, dont le 9 juin 2023 dans la foire aux questions sur son site Web indiquant que les personnes à la retraite à la date de la signature de la convention collective n’étaient pas admissibles à recevoir le montant de 2 500$ – la convention collective a été signée le 29 juin 2023 – la plaignante était alors une fonctionnaire retraitée qui avait occupé un poste de classification EC pendant les années 2021-2022 et une ancienne membre de l’ACEP – la plaignante a déposé une plainte alléguant que l’ACEP avait contrevenu à l’article 106, au paragraphe 110(3) et aux alinéas 190(1)b), d) et g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en ne négociant pas de bonne foi l’entente concernant le montant de 2 500 $ – la plaignante a également allégué que l’ACEP avait manqué à son devoir de représentation équitable envers ses ex-membres retraités – l’ACEP a soulevé des objections préliminaires – elle a avancé que l’article 106 et le paragraphe 110(3) de la Loi n’avaient aucune application relativement à une plainte quant à l’obligation de négocier de bonne foi – la Commission a conclu que la plaignante n’avait pas le statut juridique requis pour présenter une plainte en vertu de ces dispositions – l’obligation de négocier de bonne foi qui y est prévue existe entre les parties qui sont liées par ces dispositions, soit l’agent négociateur et l’employeur ou l’administrateur général – l’ACEP a soulevé que la plainte quant au devoir de représentation équitable était hors délai – la plaignante a soutenu qu’elle avait été informée du paiement du montant forfaitaire uniquement le 8 novembre 2023, soit la date où le paiement avait été effectué pour les fonctionnaires occupant un poste de classification EC – la Commission a conclu que la plainte avait été déposée tardivement – l’ACEP a démontré que l’information avait été largement diffusée – les commentaires de la plaignante en réplique à l’objection de l’ACEP durant la procédure confirmaient que la plaignante était au courant de l’entente de principe entre l’ACEP et le Conseil du Trésor, y compris le versement du montant forfaitaire, bien avant les 90 jours précédant le dépôt de la plainte – aucun motif n’appuyait une prorogation du délai.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20240911

Dossier: 561-02-48818

 

Référence: 2024 CRTESPF 125

Loi sur la Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Sylvie MADELEINE Gauthier

plaignante

 

et

 

Association canadienne des employés professionnels

 

défenderesse

Répertorié

Gauthier c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour la défenderesse : Jean-Michel Corbeil, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 8 et 14 mai 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Sylvie Madeleine Gauthier, la plaignante, allègue que l’Association canadienne des employés professionnels (la « défenderesse » ou ACEP) a violé l’article 106 et les paragraphes 110(3), 190(1)b), d) et g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] L’énoncé de la plainte indique entre autres ce qui suit :

[…]

Lors des récentes négociations [de la convention collective expirant en 2026], l’ACEP a manqué à son devoir de représentation juste de ses ex-membres retraités qui étaient actifs en 2021-2022. L’entente qui compense les EC en poste au 29 juin 2023, avec un montant forfaitaire unique de 2500$ ouvrant droit à pension, a été négociée de mauvaise foi. De plus, aucun document officiel détaillant les paramètres de cette entente n’est disponible (cette entente n’est pas inscrite dans la convention collective 2022-2026).

[…]

 

[3] La plaignante demande que la Commission exige que l’entente officielle entre l’ACEP et l’employeur, soit le Conseil du Trésor, sur le montant forfaitaire, et tous les documents afférents, soient rendus publics, et que les parties confirment le contexte dans lequel cette indemnisation a été négociée. Finalement, elle demande que la Commission détermine s’il y avait de la mauvaise foi et un motif discriminatoire de ne pas avoir versé le paiement forfaitaire aux ex-membres de l’ACEP qui étaient actifs en 2021-2022.

[4] En réponse à la plainte, la défenderesse a soulevé trois objections préliminaires. Dans un premier temps, elle avance que l’article 106 et le paragraphe 110(3) de la Loi n’ont aucune application. Par conséquent, la Commission devrait rejeter toute allégation d’infraction à ces dispositions. Subsidiairement, elle demande le rejet sommaire de la plainte, sans audience, parce que la plainte a été déposée en retard, et parce qu’elle ne révèle aucune cause défendable de violation au devoir de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi.

[5] L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) permet à la Commission de trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience. Par souci de transparence et d’équité procédurale, dans un courriel du 25 avril 2024, j’ai informé les parties que les objections préliminaires procéderaient par voie d’arguments écrits au dossier de la Commission et j’ai offert aux parties la possibilité, si elles le désirent, d’émettre des arguments écrits supplémentaires.

[6] Pour les raisons qui suivent, je conclus que la plaignante n’a pas le statut juridique requis pour présenter une plainte en vertu de l’article 106 et du paragraphe 110(3) de la Loi. Je conclus que la plainte a été déposée de façon tardive et qu’il n’y a aucun motif qui viendrait appuyer la prorogation du délai. Par conséquent, la plainte est rejetée.

II. Résumé des faits

[7] Les faits sous-jacents à la plainte ne sont pas contestés. La plaignante est une ancienne employée du groupe EC. Elle était membre de l’ACEP pendant les années 2021 et 2022. À la date du dépôt de la plainte le 27 novembre 2023, elle était à la retraite. Elle soutient qu’elle a été informée du paiement du montant forfaitaire le 8 novembre 2023.

[8] Il appert des arguments écrits que la plaignante n’était pas membre de l’ACEP quand la convention collective actuelle entre l’ACEP et le Conseil du Trésor pour le groupe EC a été signée, le 29 juin 2023. Ce fait n’a pas été contesté par la plaignante.

[9] La convention collective précédente est arrivée à échéance le 21 juin 2022. Les équipes de négociation pour l’ACEP et le Conseil du Trésor se sont rencontrées le 17 et le 18 mars pour commencer le processus de négociation pour le renouvellement de la convention collective.

[10] Une séance de médiation dans le contexte des négociations collectives entre l’ACEP et le Conseil du Trésor a eu lieu les 3 et 4 novembre 2022. Les parties sont arrivées à une impasse, et l’ACEP a présenté une demande pour que la nouvelle convention collective soit réglée par arbitrage de différends. La Commission a fixé une date d’arbitrage pour le 19 juin 2023.

[11] Plusieurs agents négociateurs de la fonction publique fédérale étaient en processus de négociation collective en même temps que l’ACEP. Le 19 avril 2023, plus de 155 000 membres de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) relevant du Conseil du Trésor et de l’Agence du revenu du Canada ont entamé une grève illimitée.

[12] Le 1er mai 2023, l’AFPC a annoncé avoir conclu une entente de principe pour 120 000 membres travaillant pour le Conseil du Trésor. Cette entente de principe prévoyait le versement d’un montant forfaitaire unique de 2 500 $ ouvrant droit à pension. L’AFPC a indiqué sur son site Web que ce montant forfaitaire unique serait consenti à toutes les personnes qui étaient membres de l’unité de négociation à la date de la signature de la convention collective.

[13] Au début mai 2023, l’ACEP et l’employeur ont convenu de tenir des discussions visant à régler les questions en litige qui demeuraient entre les parties avant l’arbitrage de différends qui était prévu pour le 19 juin 2023.

[14] Dans le cadre des discussions en mai 2023, le Conseil du Trésor a proposé les mêmes augmentations salariales qui avaient été accordées à l’AFPC, y compris le montant forfaitaire unique ouvrant droit à pension de 2 500 $.

[15] L’ACEP était consciente qu’il était peu probable que le Conseil du Trésor offre des propositions monétaires plus avantageuses que celles que l’AFPC avait obtenues au terme d’une grève de 11 jours. Selon l’ACEP, l’alternative à une entente négociée était l’arbitrage de différends qui était prévu le 19 juin 2023. Il était probable qu’un conseil d’arbitrage accorde des propositions monétaires semblables à celles négociées entre l’AFPC et le Conseil du Trésor. Il y a donc eu très peu de discussions concernant le montant forfaitaire ou les conditions selon lesquelles il serait versé.

[16] Le 18 mai 2023, l’ACEP et le Conseil du Trésor ont conclu une entente de principe réglant toutes les questions en litige pour le renouvellement de la convention collective du groupe EC. Cette entente de principe a été confirmée dans un protocole d’entente signé par les parties. L’entente prévoyait les mêmes augmentations salariales que celles consenties à l’AFPC, incluant le montant forfaitaire unique ouvrant droit à pension de 2 500 $. Les conditions entourant le versement du montant forfaitaire étaient les mêmes que celles dans l’entente entre l’AFPC et le Conseil du Trésor. Le montant forfaitaire serait versé aux membres de l’unité de négociation actifs à la date de signature de la convention collective. L’entente devait être ratifiée par les membres de l’ACEP.

[17] Le 18 mai 2023, l’ACEP a annoncé publiquement qu’une entente de principe avait été conclue. Les termes de l’entente étaient disponibles sur le site Web de l’ACEP et sur les réseaux sociaux. L’information a été envoyée par courriel à tous les membres inscrits sur la liste de diffusion de l’ACEP. L’annonce de l’entente a été publiée dans plusieurs médias en ligne, incluant CTV News, La Presse, et Ottawa Citizen. La défenderesse a fourni les hyperliens de tous les sites où l’annonce a été faite.

[18] Le 24 mai 2023, l’ACEP a annoncé sur son site Web et sur les réseaux sociaux qu’elle allait organiser deux webinaires pour les membres du groupe EC le 30 mai 2023, un en anglais et un en français. L’équipe de négociation a été présente à ces séances d’information virtuelles, qui ont été tenues dans le but d’offrir aux membres plus de détails concernant l’entente et de répondre aux questions des membres. L’entente a été présentée en détail, y compris les augmentations salariales et le montant forfaitaire.

[19] Le 9 juin 2023, l’ACEP a publié sur son site Web des informations destinées aux membres pour le vote de ratification de la nouvelle convention collective. L’entente ainsi qu’une foire aux questions étaient accessibles à partir du site Web. La foire aux questions indiquait clairement que « [l]es personnes à la retraite à la date de la signature de la convention collective ne sont pas admissibles à recevoir le paiement ».

[20] Le vote de ratification a eu lieu entre le 5 et le 16 juin 2023. Le 17 juin 2023, l’ACEP a annoncé que les membres avaient voté en faveur de la ratification de l’entente de principe. La convention collective a été signée le 29 juin 2023. Le paiement du montant forfaitaire a été versé aux membres le 8 novembre 2023.

[21] La plaignante n’a pas reçu le montant forfaitaire, car elle était à la retraite au moment de la signature de la convention collective. La plaignante soutient qu’elle a été informée du paiement du montant forfaitaire le 8 novembre 2023, la date du paiement forfaitaire aux EC en poste.

III. Motifs

A. La plaignante n’a pas le statut juridique requis pour déposer une plainte en vertu de l’article 106 et du paragraphe 110(3) de la Loi

[22] La plaignante a déposé sa plainte en vertu de l’article 190(1) de la Loi, qui prévoit que la Commission « [...] instruit toute plainte dont elle est saisie [...] » pour, entre autres, une plainte énumérée à l’alinéa 190(1)b) selon laquelle « l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi) » ainsi qu’une plainte énumérée à l’alinéa 190(1)d) selon laquelle « l’employeur, l’agent négociateur ou l’administrateur général a contrevenu au paragraphe 110(3) (obligation de négocier de bonne foi) » .

[23] Le régime de négociation de la convention collective est bien étayé dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2023 CRTESPF 31 (voir les paragraphes 100 et 101). Dans ce cas, a Commission a examiné le régime de négociation des conventions collectives prévue à la Loi. La Commission a statué que l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article 106 de la Loi découle directement des dispositions de l’article 105 relatives à la notification d’un avis de négocier. Ces deux dispositions se lisent comme suit :

Négociation des conventions collectives

Negotiation of Collective Agreements

Avis de négocier collectivement

Notice to bargain collectively

[…]

105 (1) Une fois l’accréditation obtenue par l’organisation syndicale et le mode de règlement des différends enregistré par la Commission, l’agent négociateur ou l’employeur peut, par avis écrit, requérir l’autre partie d’entamer des négociations collectives en vue de la conclusion, du renouvellement ou de la révision d’une convention collective.

105 (1) After the Board has certified an employee organization as the bargaining agent for a bargaining unit and the process for the resolution of a dispute applicable to that bargaining unit has been recorded by the Board, the bargaining agent or the employer may, by notice in writing, require the other to commence bargaining collectively with a view to entering into, renewing or revising a collective agreement.

Date de l’avis

When notice may be given

(2) L’avis de négocier collectivement peut être donné :

(2) The notice to bargain collectively may be given

a) n’importe quand, si aucune convention collective ni aucune décision arbitrale n’est en vigueur et si aucune des parties n’a présenté de demande d’arbitrage au titre de la présente partie;

(a) at any time, if no collective agreement or arbitral award is in force and no request for arbitration has been made by either of the parties in accordance with this Part; or

b) dans les quatre derniers mois d’application de la convention ou de la décision qui est alors en vigueur.

(b) if a collective agreement or arbitral award is in force, within the four months before it ceases to be in force.

Copie à la Commission

Copy of notice to Board

(3) Copie de l’avis est adressée à la Commission par la partie qui a donné l’avis.

(3) A party that has given a notice to bargain collectively to another party must send a copy of the notice to the Board.

Effet de l’avis

Effect of Notice

Obligation de négocier de bonne foi

Duty to bargain in good faith

106 Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

106 After the notice to bargain collectively is given, the bargaining agent and the employer must, without delay, and in any case within 20 days after the notice is given unless the parties otherwise agree,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(a) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith; and

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

(b) make every reasonable effort to enter into a collective agreement.

 

[24] Dans Alliance de la Fonction publique du Canada, la Commission a poursuivi son analyse en précisant que l’article 105 de la Loi renvoie à la négociation d’une convention collective, et que la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi prévoit qu’une convention collective écrite conclue en application de la partie 1 entre l’employeur et un agent négociateur donné renferme les dispositions relatives aux conditions d’emploi et à des questions connexes. La Commission a noté ce qui suit, au par. 103 :

[103] Il est également important de noter que les articles 105 et 106 sont contenus dans la partie 1 de la Loi, qui concerne les relations de travail en général. Cette partie de la Loi définit le cadre de la négociation collective dans la fonction publique fédérale, en commençant par l’établissement des unités de négociation, l’accréditation des agents négociateurs, le choix de la procédure de règlement des différends et le processus de négociation collective. Les dispositions relatives aux services essentiels, à l’arbitrage, à la conciliation et aux votes de grève figurent également dans cette partie.

 

[25] Le paragraphe 110(3) de la Loi porte spécifiquement sur cette même obligation pour les négociations à deux niveaux, c’est-à-dire entre un agent négociateur, l’employeur et l’administrateur général responsable d’un ministère ou un autre secteur de l’administration publique fédérale en vertu du paragraphe 110(1). Il y a violation de cette obligation lorsque l’une des parties se comporte de façon à entraver le processus de négociation.

[26] Je suis d’accord avec la défenderesse que ces dispositions ne créent pas une obligation de la part d’un agent négociateur envers ses membres. L’obligation prévue par l’article 106 et le paragraphe 110(3) de la Loi de négocier de bonne foi existe entre les parties qui sont liées par ces dispositions, c’est-à-dire entre l’agent négociateur et l’employeur ou l’administrateur général.

[27] Ce que la plaignante conteste est le contenu de la convention collective négociée par l’ACEP. Dans sa plainte, elle fait valoir que « […] le 2 500 $ [montant forfaitaire] a été négocié pour compenser l’écart entre l’augmentation salariale de 2021-2022 (1,5 %) et l’ indice des prix à la consommation qui est passé de 3,10 % (juin 2021) à 8,10 % (juin 2022) ». Elle questionne pourquoi le montant serait ouvert à pension s’il n’indemnise pas des heures travaillées. Elle accuse l’ACEP d’avoir accepté cette offre de mauvaise foi, en sachant que ses ex-membres n’avaient plus le droit de vote parce que l’employeur avait proposé de verser le montant forfaitaire seulement aux EC en poste, en date de la signature de la convention collective.

[28] En réponse à cette allégation, la défenderesse soutient le fait que les parties ont conclu une convention collective démontre que l’ACEP n’a pas enfreint ses obligations en vertu de la Loi. La défenderesse affirme que, dans la mesure où l’ACEP aurait agi de mauvaise foi envers ses membres, ce qu’elle nie, en acceptant certaines propositions dans le cadre de la négociation collective, il s’agirait d’une violation du devoir de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi. Je suis d’accord.

[29] Les alinéas 190(1)b) et d) de la Loi sont fondés sur des dispositions législatives qui se rapportent exclusivement aux obligations entre l’employeur et l’agent négociateur. Ces alinéas ne prévoient pas un droit de recours individuel. Il n’y a aucune preuve que l’ACEP aurait manqué à ses obligations qui lui sont imposées par l’article 106 et le paragraphe 110(3) de la Loi, soit de négocier de bonne foi et de conclure une convention collective le plus rapidement possible. À la lecture des allégations de la plaignante, je n’ai aucune raison de douter que la convention collective a été négociée dans l’intérêt de tous les fonctionnaires et qu’elle est en tout point conforme aux exigences de la Loi.

[30] Dans Najem c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 83, la Commission était saisie d’une plainte déposée par un membre qui alléguait que l’AFPC avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi en acceptant la proposition de l’employeur visant à mettre fin au paiement de l’indemnité de départ prévue dans la convention collective. La Commission a statué ce qui suit au paragraphe 18 :

[18] Les dispositions de la LRTFP sont fondées sur les obligations exclusives et mutuelles de l’agent négociateur et de l’employeur d’entamer des négociations collectives en vue de conclure une convention collective. Cela signifie que tout recours relatif à l’obligation de négocier de bonne foi en vertu des alinéas 190(1)b) et d) ne peut être exercé que par ces parties et que les fonctionnaires représentés par l’agent négociateur ne peuvent pas se prévaloir de droits individuels pour se plaindre du processus de négociation collective […]

 

[31] Tout comme dans Najem, les alinéas 190(1)b) et d) ne permettent pas à la plaignante de présenter une plainte à la Commission, à titre de membre particulier de l’unité de négociation, pour contester le processus de négociation collective entre l’ACEP et son ancien employeur. La plaignante n’a donc pas le statut juridique requis pour déposer une plainte de pratique déloyale en vertu de l’article 106 et du paragraphe 110(3) de la Loi. Il s’ensuit que la Commission n’a pas compétence pour instruire cette partie de la plainte. Pour ces raisons, je rejette cette partie de la plainte. Passons maintenant à la prochaine question, qui est de savoir si la plainte a été déposée conformément au délai prescrit dans le paragraphe 190(2) de la Loi.

B. La plainte concernant le devoir de représentation équitable a été déposée en retard, contrairement au paragraphe 190(2) de la Loi

[32] La plainte a été déposée le 27 novembre 2023. La plaignante maintient qu’elle a été informée du paiement du montant forfaitaire le 8 novembre 2023. Elle allègue que l’ACEP a fait preuve de mauvaise foi et de discrimination lorsqu’elle a négocié les conditions applicables au paiement du montant forfaitaire. En résumé, la plaignante s’oppose au fait que seuls les employés membres de l’unité de négociation au moment de la signature de la convention collective y étaient admissibles.

[33] La défenderesse demande que la plainte soit rejetée parce qu’elle a été déposée en retard, contrairement au paragraphe 190(2) de la Loi qui prévoit que les plaintes en vertu du paragraphe 190(1) de la Loi doivent être présentées dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances y ayant donné lieu.

[34] La défenderesse fait valoir que la plaignante a eu, ou devrait avoir eu, connaissance de l’action à l’origine de la plainte bien avant le 8 novembre 2023. L’ACEP publiait abondamment les détails de l’entente de principe conclue pour le renouvellement de la convention collective, incluant le montant forfaitaire, dès le 18 mai 2023. Ces informations étaient publiées sur le site Web de l’ACEP, ainsi que sur différents sites de médias, dont Facebook. De plus, si la plaignante avait demandé à être inscrite sur la liste de distribution de l’ACEP, elle aurait aussi reçu plusieurs courriels contenant l’information pertinente. La défenderesse affirme que la foire aux questions publiée le 9 juin 2023 sur le site Web de l’ACEP indiquait clairement et explicitement que les personnes à la retraite à la date de la signature de la convention collective ne seraient pas admissibles à recevoir le paiement.

[35] La défenderesse soutient que le délai de 90 jours est obligatoire et que la Commission ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour le prolonger. Le seul pouvoir discrétionnaire dont jouit la Commission est de déterminer à quel moment la plaignante « aurait dû » avoir connaissance des mesures ou circonstances donnant lieu à la plainte. Pour que la plainte soit présentée dans le délai prescrit par la Loi, les circonstances donnant lieu à la plainte auraient dû avoir lieu le 29 août 2023 ou après cette date. À l’appui de ces prétentions, la défenderesse m’a renvoyée à la décision Nemish c. King, Walker et Syndicat des employées et employés nationaux (Alliance de la Fonction publique du Canada), 2020 CRTESPF 76, aux paragraphes 32 à 36.

[36] En réponse à l’objection de la défenderesse, la plaignante a précisé qu’elle a été membre de l’ACEP jusqu’au 31 mars 2023. Avant cette date, elle n’a jamais été informée par l’ACEP qu’une entente finale officielle concernant le montant de 2 500 $ ouvrant droit à pension avait été signée entre les parties. Lorsque la convention collective a été signée et rendue publique, la plaignante a cherché la clause dans la convention collective concernant le montant forfaitaire, mais elle n’a rien trouvé. Elle attendait que l’entente officielle relative au montant forfaitaire de 2 500 $ ouvrant droit à pension soit rendue publique, mais elle ne l’a jamais été. Lorsque le montant forfaitaire a été versé aux membres de l’ACEP en poste en novembre 2023, la plaignante a demandé à l’ACEP une copie de l’entente officielle. Toutefois, elle n’a jamais pu l’obtenir. Selon elle, une entente de principe n’est pas une entente officielle. C’est la raison pour laquelle elle a déposé sa plainte à la date du paiement du montant forfaitaire le 8 novembre 2023.

[37] La défenderesse m’a démontré que l’entente et le montant forfaitaire avaient été le sujet d’au moins huit annonces sur le site Web de l’ACEP, entre le 18 mai 2023 et le 29 juin 2023. Il y a eu de nombreuses annonces dans les médias qu’une entente avait été conclue. L’ACEP a démontré que l’information avait largement été diffusée sur son site Web, sur les réseaux sociaux et par courriel. L’ACEP a rendu les détails de l’entente disponibles sur son site Web et lors de rencontres virtuelles. J’accepte la position de la défenderesse qu’il serait déraisonnable de prendre la date du 8 novembre 2023 comme étant la date à laquelle la plaignante a eu connaissance des faits qui ont donné lieu à la plainte pour le calcul du délai de 90 jours. Il incombait à la plaignante de faire le nécessaire pour s’informer des termes de l’entente qui la concernait bien avant le 29 août 2023.

[38] J’accepte l’argument de la défenderesse que tout individu intéressé au résultat des négociations collectives entre l’ACEP et le Conseil du Trésor pour le groupe EC, qu’il soit membre de l’unité de négociation ou non, aurait raisonnablement été informé à ce sujet bien avant le 29 août 2023. La défenderesse a raison en indiquant qu’une entente de principe est exécutoire. La plaignante était au courant bien avant le 29 août 2023 du fait que seuls les membres qui travaillaient au moment de la signature de l’entente auraient droit au montant forfaitaire.

[39] Je suis d’accord avec la défenderesse que les commentaires de la plaignante en réplique à l’objection de l’ACEP pour que la plainte soit rejetée confirment que la plaignante était au courant de l’entente de principe entre l’ACEP et le Conseil du Trésor, y compris le versement du montant forfaitaire, bien avant les 90 jours précédant le dépôt de la plainte. En effet, dans sa réplique du 26 février 2024, la plaignante a indiqué que lorsque la convention collective a été signée et rendue publique, elle a cherché la clause dans la convention collective mais n’a rien trouvé. La nouvelle convention collective a été signée le 29 juin 2023. Le fardeau de la preuve appartient à la plaignante de démontrer que la plainte a été déposée dans le délai prescrit par la Loi. De plus, la plaignante n’a fourni aucune explication satisfaisante qui viendrait justifier pourquoi elle ne pouvait pas déposer sa plainte dans le délai prescrit.

[40] Dans la décision rendue récemment par la Commission, Beaulieu c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 100, aux paras. 38 et 44, le plaignant avait demandé à la Commission de proroger le délai pour déposer sa plainte contre son syndicat. La Commission s’est d’abord demandé si elle avait le pouvoir de proroger le délai en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi. S’écartant de la jurisprudence, la Commission a conclu qu’elle avait effectivement un pouvoir implicite, limité, de libérer une partie des conséquences du non-respect du délai s’il existe un motif valable justifiant le retard qui n’aurait pu être ni prévu ni contrôlé par le plaignant. La Commission a poursuivi son raisonnement en indiquant que ce pouvoir ne devait être exercé que dans des circonstances exceptionnelles ou inusitées. Compte tenu des faits dans cette affaire, le plaignant n’a pas satisfait à cette norme très exigeante puisque les circonstances qu’il invoquait n’étaient ni inusitées ni exceptionnelles. Tout comme dans Beaulieu, je conclus qu’il n’existe aucune circonstance inusitée ou exceptionnelle qui a empêché la plaignante de déposer sa plainte avant le 29 août 2023. La plainte a été déposée hors délai et la Commission n’a pas compétence pour procéder sur le fond de l’affaire.

[41] Puisque la plainte est hors délai, je n’aborderai pas la question à savoir si la plainte établit une cause défendable de violation au devoir de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi.

[42] Par conséquent, la plainte est rejetée.

[43] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[44] La plainte est rejetée.

Le 11 septembre 2024.

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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