Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé un grief de principe, alléguant que l’employeur avait contrevenu à la convention collective en ne versant pas aux agents des pêches une indemnité de transfert en mer de 10 $ lorsqu’ils montaient sur un bateau de pêche pour inspection à partir d’un Zodiac et une autre indemnité de 10 $ lorsqu’ils remontaient à bord du Zodiac – la Commission a conclu que le fait de monter à bord d'un bateau de pêche à partir d'un Zodiac correspondait à la définition du dictionnaire du verbe « transférer » – le contexte de la négociation n’était pas utile à l’interprétation de la clause – une proposition de négociation ultérieure ne pouvait pas servir d’aide à l’interprétation de la clause en question – aucune information sur les pratiques antérieures n'a été présentée – la description du poste ne pouvait pas être utilisée pour interpréter la clause, puisque l'employeur est le seul à l'avoir créée – la Commission a émis une déclaration et ordonné à l’employeur de verser rétroactivement l’indemnité de transfert en mer aux agents des pêches.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20240917

Dossier: 569-02-42490

 

Référence: 2024 CRTESPF 129

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Alliance de la Fonction publique du Canada

agent négociateur

 

et

 

Conseil du Trésor

(ministère des Pêches et des Océans)

 

employeur

Répertorié

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Marie-Pier Dupont, avocate

Pour l’employeur : Simon Ferrand, avocat

 

Affaire entendue par vidéoconférence
du 4 au 7 juin 2024.

(Arguments écrits déposés le 11 juin 2024.)

(Traduction de la CRTESPF)

 


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu

[1] Le présent grief de principe concerne le droit des agents des pêches à une indemnité de transbordement en mer de 10,00 $ lorsqu’ils montent sur un bateau de pêche, à partir d’une embarcation pneumatique, ou un Zodiac, pour l’inspecter, ainsi qu’à une autre indemnité de 10,00 $ lorsqu’ils remontent dans leur embarcation pneumatique.

[2] J’ai conclu qu’ils ont droit à l’indemnité de transbordement en mer dans la situation susmentionnée.

[3] L’interprétation de la convention collective consiste à discerner l’intention des parties en se fondant sur le libellé de la convention et en tenant compte du contexte de celle-ci. Dans le présent cas, le contexte n’a guère aidé à interpréter la clause qui crée l’indemnité. Les parties n’ont pas discuté de la façon dont la clause s’appliquerait aux agents des pêches lors de sa négociation, et il n’y avait aucune preuve de la façon dont la clause avait été appliquée aux autres employés qui la reçoivent. Bien que le fait de la désigner comme une indemnité (qui est un terme défini) aurait pu laisser entendre son sens, les parties à cette convention collective utilisent ce terme de différentes manières, lesquelles ne sont pas compatibles avec sa définition, de sorte que la définition de l’indemnité ne peut pas laisser entendre le sens de cette clause. Enfin, il n’y a aucun autre contexte textuel dans le reste de la convention collective qui laisse entendre le sens de cette clause.

[4] Par conséquent, le présent cas se résume à la définition de dictionnaire du mot « transbordement ». Après avoir examiné cette définition et les arguments des parties, j’ai conclu que monter à bord d’un bateau de pêche à partir d’un Zodiac correspond au sens du verbe « transborder ». J’ai accueilli le grief, rendu une déclaration à cet effet et ordonné au Conseil du Trésor (l’« employeur ») de verser cette indemnité. Les motifs détaillés qui m’ont amené à tirer cette conclusion sont les suivants.

II. Objection préliminaire à l’admission en preuve d’une proposition de négociation

[5] Cinq témoins ont témoigné dans le présent cas : trois pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et deux pour l’employeur. Plutôt que de résumer le témoignage de chaque témoin tour à tour, j’exposerai les faits présentés par les témoins lorsque cela est approprié dans la présente décision. Les parties ont également présenté des documents à titre d’éléments de preuve, auxquels je reverrai également, mais uniquement si cela est utile.

[6] L’employeur s’est opposé à l’admission de l’un des documents proposés par l’AFPC. Les parties ont soulevé cette objection dès le début de l’audience. J’ai informé les parties que j’accueillais l’objection de l’employeur. J’ai simultanément fourni de brefs motifs oraux et j’ai indiqué aux parties que je fournirais des motifs plus longs dans la présente décision.

[7] L’AFPC souhaitait déposer en preuve une proposition présentée par l’employeur lors des négociations collectives. La proposition de l’employeur visait à exclure particulièrement les agents des pêches de l’application de l’indemnité de transbordement en mer lorsqu’ils montent à bord de navires dans le cadre de leurs fonctions normales. La proposition de l’employeur visait essentiellement à modifier la convention collective de sorte qu’elle exprime clairement le sens que l’employeur cherchait à attribuer au terme.

[8] L’employeur s’est initialement opposé à l’admission du document parce que celui-ci porte la mention [traduction] « sous toutes réserves ». Cependant, les parties ont signé une convention collective après que la proposition ait été présentée, sans qu’elle soit acceptée. Le privilège relatif aux règlements ne protège pas un document portant la mention [traduction] « sous toutes réserves » lorsque le document est présenté pour prouver l’existence d’une convention ou aider à interpréter ses modalités; voir City of Ottawa v. IATSE, Local 471, 2017 CanLII 142568 (ON LA), au par. 9, et Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35, au par. 35. Le document aurait été admissible même s’il portait la mention « sous toutes réserves ».

[9] Néanmoins, je n’ai pas autorisé l’AFPC à présenter cette pièce, car il s’agissait d’une proposition présentée en 2021. Comme je l’expliquerai ci-dessous, l’AFPC et l’employeur ont convenu du libellé que je dois interpréter en 1989. Ils ont convenu d’étendre son application aux agents des pêches en 2017. L’AFPC et l’employeur ont négocié le renouvellement de la convention collective signée en 2020 (qui a expiré le 21 juin 2021) et le renouvellement de la convention collective signée en 2023 (qui expirera le 21 juin 2025). La proposition a été présentée dans le cadre de la ronde de négociations qui a mené à la convention collective signée en 2023.

[10] La partie de la clause que je dois interpréter est demeurée inchangée depuis 1989. Si l’employeur avait présenté sa proposition en 1989, ou même en 2017, lorsqu’il a accepté d’étendre l’indemnité en cause aux agents des pêches, sa proposition aurait été pertinente pour discerner la compréhension commune des parties du sens de son libellé. Cependant, une proposition présentée en 2021 ne m’éclaire pas sur ce que les parties avaient l’intention de faire en 1989 ou en 2017. Comme il est indiqué dans Bendix Home Systems Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America, Local 3054, 1975 CanLII 2149 (ON LA), [traduction] « [i]l serait impossible et inapproprié de conclure que tout article de la nouvelle convention donne nécessairement des indices sur le sens de tout article de l’ancien accord ». Il en va de même pour les propositions de négociation : il est impossible de conclure qu’une proposition présentée en 2021 laisse entendre quoi que ce soit concernant le sens d’un article convenu en 1989 et en 2017. C’est particulièrement vrai dans le présent cas, car l’AFPC a déposé le présent grief de principe en 2018, soit trois ans avant que l’employeur ne présente sa proposition.

[11] L’AFPC a souligné que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, renvoie également à l’un des prédécesseurs actuels de la Commission), dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil national de recherches du Canada, 2013 CRTFP 88, au par. 85, a renvoyé à une proposition présentée par un agent négociateur en 2011 (et qui a été utilisée contre lui) pour interpréter une convention collective signée en 2009. Cependant, le paragraphe cité n’était pas pertinent pour la décision, puisque la Commission avait déjà jugé que la convention collective était claire et qu’elle l’avait interprétée à l’encontre de l’agent négociateur. La Commission soulignait simplement que, même si elle avait tenu compte des éléments de preuve extrinsèques (qui comprenaient, sans toutefois s’y limiter, la présente proposition), cela n’aurait aucunement aidé l’agent négociateur. De plus, aucune des parties dans ce cas ne semble avoir argumenté sur l’admissibilité de cet élément de preuve. Je ne peux pas considérer ce paragraphe comme une jurisprudence justifiant l’admission en preuve d’une proposition présentée des années après la signature d’une convention.

[12] En ce qui concerne un dernier point de procédure, les parties ont déposé, ensemble, 48 cas de jurisprudence. Elles ne les ont pas tous mentionnés lors de leurs arguments. Je ne les ai pas tous énumérés, mais je les ai tous lus, bien que je n’ai entendu aucun argument sur l’ensemble de cette jurisprudence; je ne renverrai ou citerai que celui que j’ai jugé le plus utile pour trancher le présent cas.

III. Approche analytique pour interpréter la clause K-4.01

[13] Les parties conviennent que l’interprétation d’une convention collective est un exercice contextuel. Pour citer Ewaniuk c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CRTESPF 96, au par. 45, le libellé d’une convention collective « […] doit être interprété dans son contexte intégral, selon son sens grammatical et ordinaire et en conformité avec l’économie et l’objet de la convention et avec l’intention des parties ». Comme l’arbitre Burkett l’a déclaré dans Air Canada v. Air Canada Pilots Assn., [2012] O.L.A.A. No. 164 (QL), au par. 39, un arbitre ou un arbitre de grief est [traduction] « plus qu’un technicien linguistique » et il est [traduction] « […] tenu d’apporter une connaissance spécialisée des relations de travail, en général, et des demandes de convention collective, en particulier, afin de discerner le sens du libellé contesté, lu dans son contexte ».

[14] Mon rôle commence par le libellé, puis par son contexte. Dans le présent cas, ce contexte comprend le contexte factuel, le contexte des négociations et le contexte textuel (c.-à-d. les autres dispositions de la convention collective). J’examinerai chaque élément tour à tour, puis je les combinerai pour interpréter la convention collective.

IV. Libellé de la disposition en cause de la convention collective

[15] Le présent grief concerne l’indemnité de transbordement en mer, prévue à l’appendice K de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’AFPC pour le groupe Services techniques (TC), laquelle a expiré le 21 juin 2018 (la « convention collective »). Il se lit comme suit :

**Appendice K

**Appendix K

Dispositions spéciales pour les employé‑e‑s concernant l’indemnité de plongée, le congé annuel payé, le comité national de consultation et le transbordement en mer

Special Provisions for Employees Concerning Diving Duty Allowance, Vacation Leave With Pay, National Consultation Committee and Transfer at Sea

[…]

K-4 Indemnité de transbordement en mer

K-4 : Transfer at Sea Allowance

K-4.01 Lorsqu’un employé-e doit être transbordé sur un navire, un sous-marin ou une péniche (non accostée) par hélicoptère, embarcation de navire, bâtiment de servitude ou bâtiment auxiliaire, il ou elle touche une indemnité de transbordement de dix dollars (10 $), sauf lorsqu’il ou elle est transbordé entre des navires ou des plates-formes de travail amarrées les uns aux autres afin d’effectuer une tâche particulière telle que la démagnétisation. Si l’employé-e quitte le navire, le sous-marin ou la péniche par un transbordement semblable, il ou elle touche dix dollars (10 $) de plus.

K-4.01 When an employee is required to transfer to a skip, submarine or barge (not berthed) from a helicopter, ship’s boat, yardcraft or auxiliary vessel, the employee shall be paid a transfer allowance of ten dollars ($10) except when transferring between vessels and/or work platforms which are in a secured state to each other for the purpose of performing a specific task such as de-perming. If the employee leaves the ship, submarine or barge by a similar transfer, the employee shall be paid an additional ten dollars ($10).

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[16] Les parties ont convenu que le mot « skip » dans la première ligne de la version anglaise de la clause K-4.01 était une erreur typographique et qu’il devrait être remplacé par le mot « ship ». Les parties ont renouvelé cette clause dans les conventions collectives subséquentes de l’unité de négociation, dont les dates d’expiration sont le 21 juin 2021 et le 21 juin 2025, respectivement. Le libellé est demeuré inchangé, sauf pour corriger l’erreur typographique; cependant, les parties ont supprimé ce qui était autrefois l’article K-2, de sorte que la clause K-4.01 est maintenant la clause K-3.01.

V. Contexte factuel qui sous-tend le présent grief et la convention collective

A. Fonctions des agents des pêches

[17] Le présent grief de principe concerne les agents des pêches qui travaillent pour le ministère des Pêches et Océans (« MPO »). Le MPO emploie environ 900 agents des pêches. Ils sont classés dans le groupe professionnel Techniciens divers (« GT »). Les agents des pêches remplissent diverses fonctions en lien avec les inspections et l’application de la Loi sur les pêches (L.R.C. (1985), ch. F-14) et de ses règlements. Certains travaillent sur un navire, d’autres dans un avion et d’autres dans un bureau. Chaque jour, jusqu’à 200 agents des pêches effectuent des inspections et font respecter la réglementation sur les pêches en eau libre.

[18] Afin de comprendre le présent grief de principe, les parties ont chacune appelé un témoin pour décrire le travail des agents des pêches en eau libre. Leurs éléments de preuve ne différaient pas de manière significative.

[19] Un agent des pêches habite pendant deux semaines continues sur un grand navire de la garde côtière. Chaque jour, lorsque les conditions météorologiques le permettent, la garde côtière fait descendre un bateau dans l’eau à l’aide d’une grue. Le bateau utilisé est un bateau pneumatique rigide de 22 à 27 pieds de long, communément appelé un « Zodiac ». Zodiac est une marque si célèbre qu’elle est devenue couramment utilisée pour renvoyer à ce type de produit – comme « BandAid ».

[20] Les agents des pêches passent ensuite une partie de leur journée à conduire le Zodiac dans une certaine zone maritime. La plupart du temps, il y a deux agents des pêches dans un Zodiac, conduit par un capitaine de la garde côtière. Parfois, c’est l’un des deux agents des pêches qui conduit le Zodiac, ou il peut y avoir trois agents des pêches à bord du Zodiac. Les agents des pêches inspectent ensuite les navires de pêche dans une zone maritime suffisamment proche du navire de la garde côtière pour maintenir le contact radio.

[21] Les bateaux de pêche en eau libre doivent s’inscrire à l’avance pour indiquer où, quand et ce qu’ils pêcheront, conformément à leur permis de pêche. La plupart des bateaux de pêche récréative sont relativement petits et faciles à inspecter. L’agent des pêches responsable du Zodiac choisit un bateau à inspecter, et le capitaine conduit le Zodiac à côté du bateau de pêche récréative. L’agent des pêches observe le bateau de pêche récréative et discute avec les pêcheurs pour s’assurer que le bateau se trouve dans la zone où il est censé se trouver, qu’il pêche ce qu’il est censé pêcher et qu’il respecte les règlements et son permis.

[22] Les navires de pêche commerciale sont beaucoup plus grands. Par conséquent, les agents des pêches doivent parfois monter à bord pour les inspecter correctement. Ils conduisent le Zodiac à côté du navire commercial, qui laisse généralement descendre une échelle de corde jusqu’au Zodiac. Un ou plusieurs agents des pêches montent l’échelle de corde, inspectent le navire commercial, puis descendent l’échelle de corde pour retourner dans le Zodiac. Ils passent ensuite au prochain navire.

[23] Le témoin de l’AFPC était un ancien agent des pêches actuellement employé par le MPO à un autre poste. Il a présenté un journal de ses activités du 7 juillet 2017 au 6 septembre 2019, ainsi que ses demandes d’indemnité de transbordement en mer pour cette période. Certains jours, il n’a monté à bord d’aucun navire de pêche commerciale aux fins d’inspection. Sa journée la plus chargée était le 23 juillet 2018, lorsqu’il est monté à bord de 12 navires de pêche commerciale. Il a également expliqué le danger, tout à fait compréhensible, de monter à bord de navires de pêche commerciale à partir d’un Zodiac, particulièrement par temps de fortes vagues ou lorsque le navire de pêche commerciale n’est pas très coopératif au moment de l’embarquement. Il a donné un exemple de comportement non coopératif : des pêcheurs à bord d’un navire de pêche commerciale ont essayé de le convaincre d’utiliser une échelle de piscine non sécurisée pour monter à bord de leur grand chalutier parce qu’ils avaient enterré leur échelle de corde plus sécuritaire sous les poissons qu’ils avaient pêchés.

[24] Les deux témoins ont convenu que les agents des pêches ont une grande marge de manœuvre quant au choix des navires à inspecter et décident s’ils doivent monter à bord pour effectuer une inspection. Les agents des pêches sont également responsables de décider s’il est sécuritaire de sortir en Zodiac pour effectuer des inspections et quand revenir au navire de la garde côtière pour les pauses repas ou parce qu’ils sont restés trop longtemps en mer et sont trop fatigués pour continuer.

[25] Enfin, parfois, les agents des pêches doivent effectuer des arraisonnements armés. Le témoin de l’AFPC a déclaré qu’il n’avait jamais eu à le faire, car il travaillait sur la côte ouest et que les arraisonnements armés étaient plus courants pour les navires de pêche étrangers sur la côte est. Le témoin de l’employeur n’a pas non plus expliqué les arraisonnements armés.

B. Utiliser le contexte factuel pour restreindre la réclamation de l’AFPC

[26] L’ancien agent des pêches de l’AFPC a présenté une demande d’indemnité de chaque fois qu’il montait ou descendait du Zodiac. Par exemple, le 7 juillet 2017, il n’est monté à bord d’aucun navire de pêche commerciale. Il est plutôt monté à bord de son Zodiac à 12 h 15, est retourné à son navire de la garde côtière (le NGCC Captain Goddard) à 12 h 40, est remonté à bord du Zodiac à 13 h 32, et est retourné au NGCC Captain Goddard pour la journée à 15 h 45. Il a réclamé quatre indemnités de transbordement en mer pour cette journée.

[27] Lors de la plaidoirie finale, j’ai interrogé le représentant de l’AFPC au sujet de ces réclamations. Finalement, le représentant de l’AFPC a convenu que descendre d’un navire de la Garde côtière pour monter à bord d’un Zodiac et remonter sur le navire de la Garde côtière ne donne pas droit à l’indemnité. Pour l’expliquer, je reproduis de nouveau le libellé de la clause, mais cette fois-ci en extrayant toutes les parties pertinentes pour expliquer ce point (en mettant en évidence également les éléments importants) :

K-4.01 Lorsqu’un employé-e doit être transbordé sur un navire […] par […] embarcation de navire, […] il ou elle touche une indemnité de transbordement de dix dollars (10 $) […]. Si l’employé-e quitte le navire […] par un transbordement semblable, il ou elle touche dix dollars (10 $) de plus.

K-4.01 When an employee is required to transfer to a skip from a ship’s boat, the employee shall be paid a transfer allowance of ten dollars ($10) …. If the employee leaves the ship a similar transfer, the employee shall be paid an additional ten dollars ($10).

[Je mets en évidence]

 

[28] Il n’est pas contesté que le Zodiac est un « bateau de navire ». La clause K‑4.01 s’applique lorsqu’un employé est transbordé sur un navire par un Zodiac. Il en va de même lorsque l’employé quitte le navire par un transbordement semblable. L’utilisation de l’article défini « le » signifie que la clause concerne un navire particulier, à savoir le navire sur lequel l’employé a été transbordé par un Zodiac.

[29] Par conséquent, lorsque l’agent des pêches a été transbordé sur le NGCC Captain Goddard par le Zodiac à 12 h 15, le 7 juillet 2017, il a été transbordé sur un bateau de navire par un navire, et non l’inverse. Cela ne lui donnait pas droit à l’indemnité. L’indemnité n’est accordée que lorsque l’employé est transbordé sur un navire par un Zodiac; lorsqu’il quitte le navire sur lequel il est monté à partir du Zodiac, il reçoit à nouveau l’indemnité. Il n’a jamais été transbordé sur le NGCC Captain Goddard par un Zodiac. Comme il l’a expliqué, il a été transbordé sur le NGCC Captain Goddard par un quai, alors que le navire était sécurisé.

[30] Le représentant de l’AFPC a en fin de compte accepté cette interprétation de la clause K-4.01. Cela signifie qu’à la fin des plaidoiries finales, le présent cas portait sur la question de savoir si les agents des pêches ont droit à une indemnité de transbordement en mer lorsqu’ils montent à bord d’un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac, puis de nouveau lorsqu’ils remontent à bord du Zodiac. Cela réduit la réclamation de cet agent des pêches de 6 200 $ (ou 620 transbordements à 10,00 $ chacun) à environ 3 720 $ (ou 372 transbordements) pour la période du 7 juillet 2017 au 6 septembre 2019. Je dis « environ » parce qu’il y a quelques transbordements réclamés que je n’ai pas complètement compris. Je n’ai pas insisté sur les détails parce que je n’ai pas à connaître le nombre exact de transbordements effectués par cet agent des pêches pour trancher le présent grief de principe.

[31] Finalement, l’AFPC a souligné qu’il est possible que d’autres agents des pêches aient embarqué pour la première fois à bord de leurs navires de la Garde côtière à partir d’un Zodiac plutôt qu’à un quai. Si cela se produit, alors la clause K-4.01 s’applique chaque fois où l’agent des pêches monte à bord du navire de la garde côtière et du Zodiac, et en descend, jusqu’à ce que le navire de la Garde côtière soit amarré de nouveau. Par exemple, si le navire de la Garde côtière tombe en panne et que l’agent des pêches se rend à un autre navire de la Garde côtière en Zodiac, cela déclenche l’application de la clause K-4.01 pour tous les transbordements sur un Zodiac ou par Zodiac ultérieurs jusqu’à ce que l’agent des pêches mette pied à terre ou monte à bord d’un navire amarré. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que cela se produit, mais je ne dispose également d’aucun élément de preuve à l’effet contraire.

VI. Contexte des négociations

A. Historique de l’indemnité de transbordement en mer

[32] Pour comprendre le contexte des négociations qui sous-tend la clause K-4.01, il est nécessaire de comprendre d’abord l’histoire de la structure des unités de négociation dans l’administration publique fédérale. Les unités de négociation au sein du Conseil du Trésor, en tant qu’employeur, sont définies sous forme de groupes professionnels. Lorsque la négociation collective a été introduite pour la première fois, chaque groupe professionnel négociait sa propre convention collective. Cela signifiait que le groupe professionnel Soutien technologique et scientifique (« EG ») avait une convention collective, et le groupe GT en avait une autre. En 1999, à la suite de la mise en œuvre des modifications législatives apportées par la Loi sur la réforme de la fonction publique (L.C. 1992, ch. 54), plusieurs unités de négociation représentées par l’AFPC ont été regroupées en un nombre réduit d’unités de négociation. Six unités de négociation ont été regroupées dans le groupe TC, ce qui signifiait que six conventions collectives devaient être fusionnées en un seul document; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, [1999] C.R.T.F.P.C. no 88 (QL).

[33] Dans la convention collective du groupe EG négociée le 17 mai 1989, l’AFPC et le Conseil du Trésor ont convenu d’inclure une indemnité de transbordement en mer à l’appendice B de cette convention collective. L’indemnité n’était que de 5,00 $ à l’époque, mais autrement, son libellé est identique au libellé actuel de la clause K-4.01. D’autres unités de négociation ont négocié la même indemnité de transbordement en mer à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, comme l’unité Manœuvres et hommes de métier (qui fait maintenant partie de l’unité de négociation Services de l’exploitation (SV) représentée par l’AFPC), comme décrit dans Chisholm c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1992] C.R.T.F.P.C. no 94 (QL), et l’unité de négociation Réparation des navires (Est) représentée par le Conseil des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral (est), comme décrit dans Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2015 CRTEFP 33 (« Conseil de l’est »), au par. 26.

[34] Dans la prochaine convention collective négociée après la fusion des unités de négociation des groupes EG et GT dans l’unité de négociation actuelle du groupe TC, les parties ont adopté certaines dispositions propres au groupe EG et les ont placées à l’appendice K de la convention collective. L’appendice K indiquait dans son titre qu’elle ne s’appliquait qu’au groupe EG. De cette façon, les employés du groupe EG avaient droit à l’indemnité de transbordement en mer, contrairement aux employés du groupe GT ou à d’autres groupes de l’unité de négociation du groupe TC.

[35] En 2017, l’AFPC et le Conseil du Trésor ont négocié le renouvellement de la convention collective du groupe TC. L’AFPC a appelé sa négociatrice comme témoin dans le présent cas. Il a expliqué que l’AFPC proposait de rendre tout l’appendice K applicable à l’ensemble du groupe TC parce que l’AFPC voulait que tous les groupes de cette unité soient traités de la même manière. Il a déclaré que la négociatrice de l’employeur avait souligné qu’il serait illogique d’appliquer l’un des articles (K-3) à d’autres groupes, car il prévoyait un comité de consultation nationale pour les techniciens météorologiques, tous classés dans le groupe EG, et qu’une des dispositions (l’article K‑2) était plus avantageuse pour l’employeur que pour les employés; la négociatrice voulait donc s’assurer que l’AFPC souhaitait accorder cet avantage à l’employeur pour d’autres employés aussi. L’AFPC a modifié sa proposition, de sorte que les articles K-2 et K-3 ne s’appliqueraient qu’aux employés du groupe EG, et les parties ont convenu que les articles K-1 et K-4 s’appliqueraient à tous les employés de l’unité de négociation. Par conséquent, le titre de l’appendice K a été modifié pour refléter cela, et il a été précisé dans les titres des articles K-2 et K-3 que ces articles ne s’appliquaient qu’au groupe EG. Les parties ont également convenu d’augmenter l’indemnité de transbordement en mer de 5,00 $ à 10,00 $.

[36] Finalement, comme je l’ai mentionné précédemment, le libellé de la convention collective demeure inchangé aujourd’hui, après deux autres rondes de négociations collectives.

B. Le contexte des négociations est peu utile dans le présent cas

[37] J’ai jugé ce contexte des négociations intéressant, mais en fin de compte peu utile pour interpréter la clause K-4.01.

[38] L’AFPC a soutenu que l’objectif de l’indemnité de transbordement en mer était d’indemniser les employés pour les tâches dangereuses. Cependant, aucune des parties n’a présenté d’éléments de preuve concernant les négociations tenues dans les années 1980 au sujet de cette indemnité. Je n’ai aucune idée si les parties avaient cet objectif ou un autre objectif en tête lorsqu’elles ont négocié pour la première fois l’indemnité, et je soupçonne fortement que les parties ont depuis longtemps oublié pourquoi elles ont accepté cette indemnité il y a environ 25 ans. Son objectif m’échappe.

[39] De plus, le négociateur de l’AFPC a témoigné qu’il n’a jamais discuté avec l’employeur de la façon dont cette indemnité s’appliquerait aux agents des pêches. L’historique des négociations n’est probant que lorsque les éléments de preuve sont consensuels, en ce sens où ils doivent révéler une compréhension commune du sens des termes de la convention (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd., au chapitre 3:74). Cela signifie que l’historique des négociations n’est pertinent que lorsqu’une interprétation d’une disposition a été communiquée à l’autre partie. Par exemple, si le négociateur de l’AFPC avait indiqué à la négociatrice de l’employeur qu’il souhaitait inclure les employés du groupe GT dans le champ d’application de la clause K-4.01 afin que les agents des pêches reçoivent l’indemnité de transbordement lorsqu’ils montent et descendent de navires aux fins d’inspection, ou si la négociatrice de l’employeur avait indiqué au négociateur de l’AFPC qu’elle acceptait d’étendre la clause K-4.01 aux agents des pêches, mais seulement parce qu’ils ne la recevraient pas lors de l’embarquement sur les navires pour les inspections, cela aurait été un contexte utile pour me permettre d’interpréter la convention collective. Cependant, il n’y a jamais eu ce type de discussion lorsque la clause était négociée.

[40] Au contraire, j’ai l’impression que les parties n’ont pas réfléchi attentivement aux répercussions de cette modification sur les agents des pêches ou, s’ils n’y ont pas pensé, qu’ils n’en ont pas discuté entre eux.

[41] Ce n’est pas inhabituel. Les négociations collectives sont compliquées. Les parties conviennent souvent d’un libellé afin de parvenir à un accord sans avoir pleinement réfléchi à toutes les conséquences de leur entente. L’unité de négociation dans le présent cas comptait environ 10 000 employés, et sa convention collective a été négociée en même temps que trois autres conventions collectives avec des unités de négociation comptant, au total, environ 120 000 employés; il n’est pas surprenant que les parties n’aient peut-être pas réfléchi à la manière dont cette clause s’appliquerait à environ 900 agents des pêches.

[42] Finalement, comme la Cour d’appel fédérale l’a exprimé dans Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au par. 36, en réponse à l’argument selon lequel l’interprétation de l’arbitre de la convention collective était injuste envers une partie :

[36] Cette conclusion participe de la spécialisation de l’arbitre, qui le conduit à voir que, dans toute convention collective – souvent un document d’une longueur et d’une complexité extrêmes – il y aura des questions laissées en suspens, des questions non résolues. La négociation collective peut être ardue, chacune des parties devant consentir à des compromis difficiles, et il y a donc toujours, dans l’accord final, un certain nombre de choses qui peuvent sembler injustes ou inéquitables pour les parties. Comme l’observait l’arbitre, il ne lui appartenait pas de modifier le libellé de la convention pour régler ces questions […]

 

[43] Ma tâche dans l’interprétation de la convention conclue par les parties n’est pas de décider des conséquences subjectives et intentionnelles de cette convention pour l’une ou l’autre partie. Je ne suis pas non plus ici pour déterminer s’il est juste de verser une indemnité de 10,00 $ aux agents des pêches lorsqu’ils montent sur les Zodiacs et en descendent.

C. Il n’y a pas non plus de preuve d’une pratique antérieure

[44] Bien que ce ne soit pas la même chose qu’une preuve de négociation, je ne dispose pas non plus d’éléments de preuve concernant la pratique antérieure du MPO en ce qui a trait au traitement des employés du groupe EG aux fins de cette indemnité. L’AFPC a appelé un agent des relations de travail pour témoigner du fait que les agents des pêches voulaient effectivement que leur soit payée cette indemnité; c’est pourquoi l’AFPC a porté plainte. Lorsque j’ai demandé à l’agent des relations de travail si les employés du groupe EG se déplaçaient parfois en Zodiac et s’ils recevaient une indemnité pour leurs déplacements, l’agent des relations de travail a témoigné qu’il comprenait que les hydrographes recevaient l’indemnité avant 2017 et qu’ils continuaient de la recevoir. Quand je lui ai demandé ce qu’il savait de leurs fonctions, il a candidement admis qu’il savait que le mot grec « hydro » signifiait « eau » et suggérait donc que les hydrographes travaillaient sur l’eau et en laboratoire, mais autrement, il ne savait pas s’ils montaient et descendaient de Zodiacs de la même manière que les agents des pêches ou même s’ils étaient des employés du groupe EG.

[45] L’employeur a appelé un ancien directeur des solutions opérationnelles intégrées au sein du MPO à témoigner. Celui-ci a pris sa retraite en 2021. Il n’a jamais supervisé des agents des pêches, bien qu’il se soit déplacé une fois en Zodiac pour mieux comprendre leur travail et pouvoir leur acheter du matériel. Il ne savait pas non plus comment les hydrographes passaient leur temps sur l’eau, bien qu’il puisse au moins confirmer qu’ils appartenaient au groupe EG. Le témoin de l’employeur a également tenté de témoigner au sujet de la pratique antérieure en alléguant que les agents des pêches recevaient l’indemnité de transbordement en mer lorsqu’ils embarquaient à bord de navires de pêche français et portugais pour de longs séjours dans les années 1990, mais pas pour d’autres embarquements; cependant, lorsqu’on lui a montré que cela ne pouvait pas être vrai parce que les agents des pêches n’étaient pas admissibles à l’indemnité avant 2017, il a admis qu’il avait simplement entendu parler de ce paiement par d’autres retraités et qu’il pourrait s’agir d’un paiement volontaire pour des cartes téléphoniques afin que les agents des pêches puissent utiliser un téléphone satellite.

[46] Aucun témoin ne possédait des renseignements pouvant me donner un aperçu de quand et à qui l’indemnité de transbordement en mer était versée parmi les hydrographes, les autres employés du groupe EG ou à tout autre employé couvert par une convention collective qui prévoit une indemnité de transbordement en mer avant ou après 2017.

[47] Il s’agit d’un cas où l’historique des négociations et les pratiques antérieures auraient été très utiles pour mieux comprendre cette clause. Cependant, je ne dispose d’aucun élément de preuve concernant la raison pour laquelle cette indemnité a été introduite pour certains employés dans les années 1980, la raison pour laquelle les agents des pêches n’étaient pas inclus dans les années 1980, ou les circonstances où d’autres employés recevaient ou reçoivent cette indemnité. En ce qui concerne les éléments de preuve dont je dispose, les parties n’ont pas discuté entre elles de la manière dont cette clause s’appliquerait aux agents des pêches lorsqu’elles ont étendu l’indemnité aux employés du groupe GT en 2017. J’ai l’impression distincte qu’en 2017, l’AFPC ne comprenait pas ce qu’elle demandait et l’employeur ne comprenait pas ce qu’il acceptait.

[48] Le contexte des négociations ne m’est d’aucune aide dans le présent grief; par conséquent, je n’en discuterai pas davantage.

VII. Contexte textuel de l’indemnité de transbordement en mer

[49] Comme je l’ai indiqué précédemment, la principale question dans le présent cas est de savoir si monter à bord d’un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac, puis revenir au Zodiac, constitue un transbordement.

A. D’autres utilisations du mot « transfer » sont inutiles

[50] Le mot « transfer » est utilisé ailleurs dans la version anglaise de la convention collective pour désigner le passage d’un emploi à un autre, comme aux clauses 36.01 (concernant l’obligation de donner un préavis de trois mois en cas de changement de lieu d’affectation) et 38.14 (concernant les crédits de congé annuel lorsqu’un employé est muté d’un organisme distinct à l’administration publique centrale). Aucune des parties n’a soutenu que cela pourrait être un indice contextuel quant au sens du mot « transfer » à la clause K-4.01. Je suis d’accord qu’un « transfer » aux fins de l’application de la clause K-4.01 ne peut pas être un changement permanent ou à long terme dans l’emploi. Je note également que la version française de la convention collective utilise des mots différents aux clauses 36.01 et 38.14 (le nom « mutation » ou le verbe « muter ») d’une part, et à la clause K-4.01 (le verbe « transborder ») d’autre part.

B. L’utilisation du mot « indemnité » est également peu utile

[51] L’employeur soutient que je devrais interpréter le mot « transfer » (« transbordement » en français) conjointement avec le mot « allowance » (« indemnité » en français), car l’intitulé de cette clause est « Indemnité de transbordement en mer ». Le mot « indemnité » est défini dans la convention collective comme suit : « “indemnité” […] désigne la rémunération à verser pour l’exécution de fonctions spéciales ou supplémentaires ».

[52] L’employeur m’a ensuite montré la description de travail des agents des pêches et a souligné qu’une des tâches du poste était d’[traduction] « effectuer des inspections à bord des navires ». L’employeur soutient que, puisqu’une des fonctions des agents des pêches décrites dans la description de travail est de monter à bord de navires, les agents des pêches ne peuvent pas recevoir une indemnité pour l’exécution de cette fonction, car il ne peut pas s’agir d’une fonction spéciale ou supplémentaire si elle est incluse dans la description de travail. L’employeur a fondé cet argument sur deux motifs : l’un était les principes de classification, et l’autre était plus textuel.

1. Les principes de classification sont inutiles dans la présente décision

[53] L’employeur a appelé la directrice de la classification du MPO comme témoin. Elle a expliqué que le niveau de classification d’un poste dépend d’un système de points. Un poste accumule des points dans cinq catégories (dont une comporte trois sous-catégories) selon les fonctions exécutées. Elle a témoigné que, lors de la classification des postes d’agents des pêches, deux sous-catégories comprennent leur niveau pour l’effort physique et les dangers environnementaux, et que le transbordement génère des points dans ces deux sous-catégories.

[54] L’employeur soutient que cela signifie que les agents des pêches sont déjà rémunérés lorsqu’ils montent à bord de navires de pêche commerciale, puisque cette action leur rapporte des points qui contribuent au niveau de classification de ce poste. L’employeur affirme en outre que cela signifie que monter à bord de navires de pêche commerciale ne peut pas être une fonction spéciale ou supplémentaire justifiant une indemnité.

[55] L’employeur a fourni une copie de la norme d’évaluation de la classification pour le groupe GT. Les agents des pêches sont classés soit GT-04 ou GT-05; les superviseurs sont classés GT-05, et les agents des pêches réguliers sont classés GT-04. Leurs nombres totaux de points et leurs classifications sont résumés dans les tableaux suivants, qui sont inclus dans les pièces de l’employeur.

GT-04 :

 

Facteur

Niveau

Points

Connaissances

4

175

Responsabilité technique

B2

128

Communications

B3

75

Conditions de travail

 

 

Concentration

2

23

Effort physique

3

50

Environnement et dangers

C2

35

Supervision

A1

10

Total

 

496

GROUPE ET NIVEAU : GT-04

(GT-04 : 431 à 520 points)

 

GT-05 :

 

Facteur

Niveau

Points

Connaissances

5

210

Responsabilité technique

C2

164

Communications

C2

85

Conditions de travail

 

 

Concentration

2

23

Effort physique

3

50

Environnement et dangers

C2

35

Supervision

C3

44

Total

 

611

GT-05 (521 à 620)

GROUPE ET NIVEAU : GT-05

(GT-05 : 521 à 620 points)

 

[56] Les 50 points pour la sous-catégorie de l’effort physique correspondent au nombre maximum de points pouvant être accordé pour les deux niveaux. Si le poste valait le nombre minimal de points pour l’effort physique, il obtiendrait quand même 10 points. De même, le nombre total de points pour l’environnement et les dangers est près du nombre maximum : « C » indique la gravité la plus élevée en ce qui a trait aux dangers, et 2 (sur 3) indique sa fréquence. Une note de A1 (la plus basse dans les deux échelles) génère 10 points.

[57] La raison pour laquelle je le dis, c’est que si les points pour l’effort physique et les dangers environnementaux étaient réduits au minimum, les deux postes auraient la même classification et la même rémunération. Les deux postes perdraient 65 points (c’est-à-dire qu’ils passeraient de 85 à 20 points). Cela signifie que le poste GT-04 valait 431 points, ce qui correspond toujours à une classification de niveau GT-04. Cela signifie également que le poste GT-05 valait 546 points, ce qui correspond toujours à une classification de niveau GT-05.

[58] Je comprends la position de l’employeur, de manière abstraite, selon laquelle il ne souhaite pas verser une indemnité pour une fonction qui est déjà utilisée pour calculer le salaire de base d’un employé. Cependant, les faits dans le présent cas aident à démontrer le problème avec cet argument : cela ne fonctionne pas en pratique. Retirer une fonction d’un poste ne signifie généralement pas que le poste sera moins rémunéré. Même si monter à bord de navires de pêche commerciale était la seule raison pour laquelle le poste valait 85 points pour l’effort physique et les dangers environnementaux, au lieu du minimum de 20 points (ce qui n’est pas le cas et ce n’est pas ce que l’employeur suggère), le poste serait rémunéré de la même manière de toute façon.

[59] Par conséquent, l’utilisation des principes de classification par l’employeur ne m’est d’aucune utilité pour interpréter le sens de la clause K-4.01 de la convention collective.

2. Le terme « indemnité » n’est pas toujours utilisé de manière cohérente avec sa définition

[60] L’argument textuel le plus solide de l’employeur concerne la définition du terme « indemnité ». Une indemnité est définie comme un montant versé pour l’exécution de « fonctions spéciales ou supplémentaires ». L’employeur estime que monter à bord de navires de pêche pour les inspecter fait partie de la description de travail des agents des pêches et, par conséquent, ne constitue ni une fonction spéciale ni une fonction supplémentaire. Cela signifie que les agents des pêches ne peuvent recevoir aucune indemnité lorsqu’ils montent à bord de navires de pêche.

[61] Cependant, l’AFPC a attiré mon attention sur la façon dont les parties utilisent le terme « indemnité » dans la convention collective. Le mot est utilisé plus de 200 fois dans la convention collective. Parfois, il est utilisé d’une manière qui pourrait correspondre à sa définition, mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Aussi, la convention collective énonce les avantages ou les indemnités qui correspondraient à la définition d’« indemnité », mais utilise parfois un autre terme pour y renvoyer.

[62] Les exemples d’utilisation du terme « indemnité » par l’AFPC qui ne correspond clairement pas à la définition de ce terme comprenaient l’indemnité de maternité, l’indemnité parentale et les suppléments de rémunération en cas de réaménagement des effectifs. Dans les deux cas, l’indemnité est versée lorsqu’aucune fonction n’est remplie, et non pour l’exécution de fonctions spéciales ou supplémentaires.

[63] En ce qui concerne particulièrement l’indemnité de maternité, à la fin de l’audience, j’ai attiré l’attention des parties sur Boyce c. Conseil du Trésor (Commission de la Fonction publique), [1984] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL). Dans ce cas, les parties ont négocié une indemnité de maternité qui comprenait un paiement pour la période d’attente de deux semaines pour ce qui était alors l’assurance-chômage. Les parties ont signé la convention collective le 11 février 1982. Les parties ont également convenu que toutes les « allocations et indemnités […] entrent en vigueur le 1er septembre 1981 ». La fonctionnaire s’estimant lésée était en congé de maternité du 23 novembre 1981 au 25 mai 1982. L’employeur a refusé de verser l’indemnité pour la période d’attente de deux semaines au cours de la période rétroactive, affirmant que l’indemnité de maternité n’était pas rétroactive. La Commission a rejeté le grief parce qu’une indemnité de maternité ne correspondait pas à la définition d’« indemnité » énoncée dans la convention collective (qui était la même dans cette convention que dans celle du présent cas). J’ai demandé aux parties de fournir des arguments sur ce cas, et les deux ont fourni des arguments écrits peu de temps après l’audience.

[64] Je voulais que les parties aient la possibilité de présenter des arguments au sujet de Boyce parce qu’à première vue, elle semble appuyer fortement l’argument de l’employeur. Cependant, l’AFPC a souligné deux choses à propos de Boyce. Premièrement, la convention collective dans ce cas est différente, car elle utilise le terme « indemnité » beaucoup plus fréquemment et dans un éventail plus large de contextes qu’en 1982. Cela signifie que, même si les parties avaient l’intention de mieux respecter la définition du terme « indemnité » en 1982, elles n’ont pas cette intention maintenant. Deuxièmement, la décision dans Boyce concernait un paiement rétroactif. Il existe une forte présomption contre la rétroactivité et toute clause imposant une rétroactivité doit être interprétée de manière restrictive (voir Boyce, au par. 19). La Commission dans Boyce appliquait cette règle d’interprétation.

[65] Par conséquent, je suis d’accord avec l’AFPC que Boyce n’est pas exécutoire et qu’elle ne m’est pas utile dans le présent grief pour ces deux motifs.

[66] L’AFPC a mentionné l’indemnité de transport de marchandises dangereuses comme exemple d’une indemnité semblable à l’indemnité de transbordement en mer, car l’indemnité de transport de marchandises dangereuses est versée dans les situations dangereuses qui relèvent des fonctions d’un employé. Bien que je n’aie reçu aucune description de travail indiquant si le transport de marchandises dangereuses était répertorié comme une fonction d’un poste, la « Norme d’évaluation de la classification » du groupe TC (fournie par l’employeur) répertorie les inspecteurs maritimes et les inspecteurs principaux comme deux postes repères, ce qui signifie que la Norme d’évaluation de la classification comprend une liste de leurs principales fonctions. Ces postes repères énumèrent une de leurs fonctions comme étant l’inspection des marchandises dangereuses, ce qui indique qu’une indemnité peut être versée pour l’exécution d’une fonction, même si elle fait partie des principales fonctions du poste.

[67] Finalement, la clause 37.10 de la convention collective commence par la phrase « [l]orsque l’employé-e qui touche une indemnité de fonctions spéciales ou une indemnité de fonctions supplémentaires bénéficie d’un congé payé […] » et précise que son salaire pendant la période de congé inclura cette indemnité lorsque les fonctions spéciales ou supplémentaires lui avaient été « […] attribuées à titre continu […] » au cours des deux mois précédents. Ceci est un exemple particulièrement frappant de l’utilisation du mot « indemnité » qui est incompatible avec sa définition de deux façons. Premièrement, si une indemnité n’est payable que pour l’exécution de fonctions spéciales ou supplémentaires, il ne peut pas y avoir d’« indemnité pour l’exécution de fonctions spéciales », car toutes les indemnités sont pour des fonctions spéciales; le terme serait redondant. Deuxièmement, l’employeur traite l’expression « spéciales ou supplémentaires » dans la définition d’« indemnité » comme si cela signifiait « inhabituelles ou peu fréquentes ». Cependant, la clause 37.10 envisage l’exécution continue d’une fonction entraînant le droit à une indemnité sur une période d’au moins deux mois, de sorte que la fonction n’est ni inhabituelle ni peu fréquente, mais déclenche le droit à une indemnité.

[68] L’employeur a reconnu tout cela, en particulier le fait que le mot « indemnité » n’est pas toujours utilisé de la manière dont il est défini. Cependant, l’employeur a soutenu que le mot « indemnité » doit être lu dans le contexte de chaque clause. Lorsque le mot « indemnité » est utilisé d’une manière qui est incompatible avec sa définition, son sens ne doit pas correspondre à sa définition; cependant, lorsqu’il est utilisé dans des circonstances où son sens pourrait être compatible avec sa définition, il devrait être interprété de cette manière.

[69] Le problème avec l’argument de l’employeur est qu’il est circulaire. L’employeur affirme que je devrais utiliser la définition d’« indemnité » comme contexte pour interpréter le mot « transbordement ». Pourtant, l’employeur admet également que le sens du mot « indemnité » ne respecte pas toujours sa définition et que je dois examiner le contexte dans lequel il est utilisé pour déterminer si sa définition doit être appliquée. Ainsi, selon l’employeur, je dois utiliser le mot « transbordement » pour déterminer si « indemnité » à la clause K-4.01 désigne l’« indemnité » comme terme défini, et je dois également utiliser la définition d’« indemnité » comme contexte pour décider comment interpréter le mot « transbordement ». Je ne peux pas utiliser le reste de la clause K-4.01 pour interpréter le terme « indemnité » et, en même temps, utiliser la définition d’« indemnité » pour interpréter le reste de la clause K-4.01.

3. Même si le sens du terme « indemnité » dans cette clause était limité à sa définition, monter à bord d’un navire de pêche commerciale est une fonction spéciale

[70] L’AFPC a également soutenu subsidiairement que monter à bord de navires était une fonction spéciale. Les parties ont ensuite soulevé différentes interprétations du mot « spécial ». L’AFPC m’a demandé d’utiliser la définition de dictionnaire ou le sens ordinaire du mot « spécial », qui signifie inhabituel et généralement supérieur d’une certaine manière. L’AFPC a déclaré que monter à bord d’un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac est dangereux, ce qui rend cette fonction inhabituelle et donc « spéciale ». L’employeur a soutenu qu’une « fonction spéciale » s’entend d’une fonction qui ne figure pas dans la description de travail. L’employeur a également soutenu que, si monter à bord d’un navire est considéré comme une fonction spéciale ou supplémentaire malgré sa mention dans la description de travail, cela viole le droit de la direction dans la rédaction et l’élaboration de la description de travail.

[71] Je suis d’accord avec le sens proposé par l’AFPC pour le terme « spéciales ». Je ne suis pas au courant d’une quelconque source – linguistique ou juridique – me permettant d’affirmer que « dans la description de travail » est un antonyme de « spécial ». Monter à bord de navires de pêche commerciale à partir d’un Zodiac est inhabituel, car il est rare que très peu d’employés soient appelés à le faire, même pour les agents des pêches (comme le montre le présent cas, où l’agent des pêches qui a témoigné est monté à bord d’un navire de pêche commerciale seulement environ 30 jours au cours de son année la plus chargée, en 2018), et c’est dangereux.

[72] Je ne vois pas non plus comment je porte atteinte au pouvoir discrétionnaire de la direction dans la préparation de la description de travail. Au contraire, l’argument de l’employeur est une tentative de déterminer unilatéralement le sens de la convention collective. Les descriptions de travail sont préparées par l’employeur. L’employeur a une grande marge de manœuvre dans la préparation d’une description de travail et il « […] n’est pas tenu d’utiliser une formulation particulière pour décrire les fonctions et responsabilités d’un employé […] » (voir Jennings c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2011 CRTFP 20, au par. 52). Si l’employeur a raison d’affirmer que je devrais utiliser une description de travail pour interpréter la convention collective, j’utiliserais un outil créé par l’employeur pour interpréter une convention entre l’employeur et l’agent négociateur. Je ne permettrai pas à l’employeur de renforcer sa position en utilisant un document qu’il a rédigé unilatéralement pour l’aider à interpréter une convention collective, en l’absence de preuve que les parties ont utilisé ce document lors de la rédaction de leur convention.

4. Conclusion concernant le contexte textuel du mot « indemnité »

[73] En conclusion, je ne peux tirer aucune conclusion concernant le sens du mot « transbordement » en raison de sa proximité avec le mot « indemnité » dans le titre de la clause. « [I]ndemnité » n’est pas toujours utilisé d’une manière compatible avec sa définition. Cela pourrait être l’un de ces moments, où je dois d’abord interpréter le mot « transbordement » pour le déterminer. Même si j’utilisais la définition, je conclurais que monter à bord d’un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac est une fonction spéciale parce qu’elle est rare, peu fréquente et dangereuse.

VIII. Conclusion concernant l’interprétation et le sens du mot « transbordement »

[74] Les deux parties ont soutenu que je devrais interpréter la clause K-4.01 en la décomposant en plusieurs éléments, puis décider si chaque élément est satisfait. Les parties différaient relativement à ce que ces éléments étaient. La liste complète des éléments suggérés par l’une ou l’autre des parties, ou par les deux, est la suivante :

1) il doit y avoir un transbordement;

 

2) le transbordement doit être effectué en mer;

 

3) le transbordement doit être effectué sur un navire (sauf lors du voyage de retour);

 

4) le transbordement doit être effectué d’un bateau de navire (sauf lors du voyage de retour);

 

5) le navire ne peut pas être amarré ou sécurisé;

 

6) le transbordement doit être exigé par l’employeur;

 

7) le transbordement doit être une fonction spéciale ou supplémentaire (c’est‑à‑dire que l’indemnité accordée par l’employeur a été refusée précédemment).

 

[75] J’examinerai l’interprétation du terme « transbordement » en dernier.

A. Les conditions autres qu’un « transbordement » sont remplies

[76] Les éléments 2, 3, 4 et 5 ne sont pas contestés dans le présent cas, relativement aux agents des pêches. Il n’est pas contesté que, si monter sur un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac constitue un transbordement, alors il a eu lieu en mer (élément 2), que le navire de pêche commerciale est un navire (élément 3), que le Zodiac est un bateau de navire (élément 4), et que le navire de pêche commerciale et le Zodiac n’étaient pas sécurisés ou amarrés (élément 5).

[77] Je suis d’accord avec l’employeur que l’employé « doit » être transbordé pour avoir droit à l’indemnité. Cela est clair à la lecture de la clause K-4.01.

[78] L’employeur soutient que les agents des pêches ne sont pas tenus de monter à bord d’un navire de pêche commerciale, car ils n’ont pas à monter sur un navire spécifique ou particulier. Ils choisissent, s’ils le veulent, d’inspecter en restant dans le Zodiac ou en montant à bord d’un navire, et ils choisissent quels navires inspecter. L’employeur soutient que cela signifie qu’ils ne sont jamais tenus de monter à bord d’un navire et que, si monter dans un navire constitue un transbordement, ils ne sont pas admissibles à l’indemnité.

[79] Je ne suis pas d’accord. Le terme « doit » ne signifie pas que l’employeur doit émettre, chaque fois, une instruction particulière pour effectuer une fonction. Pour donner un exemple facile, un employé est tenu d’arriver au travail à l’heure, peu importe si l’employeur le lui demande la veille au soir. La Commission a également déclaré qu’un employé est tenu de faire quelque chose « […] parce que l’employeur a inclus cette obligation dans leur description de travail » (voir Bouchard c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 5, au par. 40). Monter sur des navires fait partie de la description de travail des agents des pêches, ce qui signifie qu’ils sont tenus de monter sur des navires. Ils peuvent avoir un certain pouvoir discrétionnaire (et la météo y contribue également) quant au moment, au nombre et aux navires particuliers sur lesquels ils montent, mais ils doivent monter sur des navires.

[80] Par conséquent, les agents des pêches satisfont au sixième élément de cette clause.

[81] En ce qui concerne le septième élément, j’ai déjà rejeté l’argument de l’employeur et conclu qu’il ne fait pas partie des exigences pour recevoir l’indemnité de transbordement en mer.

B. Sens ordinaire : monter à bord d’un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac constitue un transbordement

[82] Le présent cas se résume à la détermination du sens du mot « transbordement ». L’AFPC affirme qu’un transbordement est tout déplacement d’un bateau de navire à un navire (puis le retour sur le bateau de navire). L’employeur affirme qu’un transbordement consiste à changer le moyen de transport pendant un voyage en apportant des effets personnels et de l’équipement, tout en continuant à travailler sur un nouveau navire.

[83] J’ai conclu que monter à bord d’un navire de pêche à partir d’un Zodiac constitue un transbordement sur un navire d’un bateau du navire.

[84] Comme je l’ai mentionné précédemment, normalement, les arbitres interprètent le sens d’un mot dans une convention collective dans son contexte; nous ne sommes autrement que des techniciens linguistiques. Cependant, je suis presque à court de contexte à considérer. Il n’y avait aucune preuve de négociation, aucune preuve de pratique antérieure et aucun indice sur le sens du terme « transbordement » dans le reste de la convention collective. Je dois donc agir comme technicien linguistique.

[85] Le verbe anglais « transfer » a deux formes : verbe transitif et verbe intransitif. Un verbe transitif est un verbe qui nécessite un complément d’objet direct après le verbe, lequel indique la personne ou la chose qui reçoit l’action du verbe. Un verbe intransitif est l’opposé, en ce sens qu’il ne nécessite aucun objet auquel s’appliquer; par conséquent, la phrase ferait du sens même si l’objet était supprimé, bien que cela resterait ambigu, car nous devons savoir où, quand ou comment. Par exemple :

Transitif : S’il te plaît, verse-moi un Pepsi diète. (« Verser » est un verbe transitif, car la phrase n’aurait aucun sens si elle se lisait « S’il te plaît, verse-moi ».)

 

Intransitif : J’ai bu le Pepsi diète. (« Boire » est un verbe intransitif, car la phrase aurait du sens si elle se lisait « J’ai bu », mais elle aurait été ambiguë, car vous aimeriez savoir ce que j’ai bu.)

 

[86] Les deux parties m’ont renvoyé à la définition du verbe « transfer », dans le dictionnaire Merriam Webster, pour les formes transitive et intransitive, qui sont les suivantes :

[Traduction]

Transfer (comme verbe transitif)

 

1 a. Transmettre d’une personne, d’un endroit ou d’une situation à un autre

b. Faire passer d’un point à un autre

c. Transformer; changer

 

2. Transférer la possession ou le contrôle de

 

3. Imprimer ou copier d’une surface à une autre par contact

Transfer (comme verbe intransitif)

 

1. Déménager dans un autre lieu, région ou situation, en particulier pour se retirer d’un établissement d’enseignement pour s’inscrire à un autre établissement

 

2. Changer de véhicule ou de moyen de transport pour un autre

 

[87] L’employeur s’est fondé sur l’hypothèse que le verbe « transborder » dans la clause K-4.01 était un verbe intransitif. Je suis d’accord que le verbe est intransitif, car il ne nécessite aucun objet. Une phrase qui indique qu’« un employé-e doit être transbordé » aurait toujours un sens grammatical, bien qu’elle reste ambiguë, car nous devons savoir « où » (c’est-à-dire en mer). Cela le rend intransitif, et non transitif.

[88] Cela est également le plus cohérent avec la version française de la convention collective. La version française utilise le verbe « transborder », qui est un terme plus véhiculaire (et souvent nautique) défini dans le dictionnaire Larousse comme un « transfert de la cargaison d’un navire à un autre bâtiment » ou l’acte de « faire passer d’un véhicule, d’un bateau, d’un train dans un autre ». Le verbe français est également utilisé sous forme de verbe intransitif.

[89] Cependant, l’utilisation de la forme intransitive du verbe n’aide pas l’employeur. Au contraire, la forme intransitive du verbe « transfer » signifie passer d’un véhicule à un autre – dans le présent cas, d’un bateau de navire à un navire. C’est encore plus évident dans la définition française, qui précise que « transborder » signifie passer d’un bateau à un autre. Passer d’un bateau à un autre correspond au sens du verbe anglais « transfer » et du verbe français « transborder ».

[90] L’employeur a également soutenu qu’il utilisait l’expression [traduction] « monter à bord des navires » dans la description de travail des agents des pêches et que monter à bord ne peut donc pas être considérée comme un transbordement. J’ai déjà expliqué pourquoi je ne peux pas utiliser une description de travail rédigée par l’employeur comme outil pour interpréter une convention collective, car je permettrais à une partie à un contrat de déterminer unilatéralement son sens. Le fait que l’employeur ait unilatéralement décidé d’utiliser l’expression [traduction] « monter à bord des navires » dans la description de travail ne signifie pas que les parties ont conjointement décidé que le mot « transbordement » doit avoir un sens différent.

[91] Cependant, je suis également en désaccord pour un deuxième motif : le sens de l’expression [traduction] « monter à bord des navires ». Je suis d’accord avec l’employeur que monter à bord d’un navire peut signifier entrer dans un bateau dans un but hostile ou pour examiner ses papiers et sa cargaison. Monter à bord d’un navire évoque une image de bouts de vergue avec un sabre d’abordage, ou tout autre comportement d’abordage. Cela signifie que les agents des pêches « abordent » les navires de pêche à partir de leur Zodiac. Cependant, le verbe « aborder » peut également signifier monter sur un bateau, que ce soit à partir d’un quai ou d’un autre bateau. La phrase « Je dois aborder le bateau » peut signifier monter sur un bateau à partir d’un quai ou d’un autre bateau. D’autre part, la phrase « Je dois être transbordé sur le bateau » signifie descendre d’un moyen de transport (possiblement un bateau) et monter sur le bateau. L’indemnité de transbordement en mer n’est accordée que pour les transbordements en mer. L’acte de monter à bord d’un navire n’a pas toujours lieu en mer.

[92] Pour résumer, tous les transbordements ne sont pas des actes de monter à bord d’un navire et tous les actes de monter à bord d’un navire ne sont pas des transbordements, mais quelque chose peut être à la fois un acte de monter à bord d’un navire et un transbordement. Lorsqu’un agent des pêches passe d’un Zodiac d’un navire de pêche, il monte à bord du navire et est transbordé sur celui-ci. Le fait que les agents des pêches montent à bord de navires ne diminue en rien le transbordement aux fins de l’application de la clause K-4.01 de la convention collective.

C. Ce sens est compatible avec la jurisprudence sur les transbordements en mer

[93] J’ai affirmé plus tôt qu’il y avait très peu de contexte pour m’aider à interpréter le mot « transfer » dans le présent cas. Cependant, il y a les décisions dans Chisholm et Conseil de l’est. Les deux cas concernaient des transbordements à des fins de réparation : pour réparer des aides à la navigation dans Chisholm, et pour réparer un navire dans Conseil de l’est. Dans les deux cas, les transbordements étaient de courte durée et les employés qui ont réclamé l’indemnité ne passaient pas la nuit sur les navires. La question dans les deux cas était de savoir si le navire était amarré (ce n’était pas le cas dans Chisholm, mais c’était le cas dans Conseil de l’est), et on n’a pas demandé à la Commission d’interpréter le terme « transbordement ». Cependant, dans les deux cas, l’employeur n’a jamais soutenu que ces déplacements à court terme n’étaient pas des transbordements. Dans Chisholm, la Commission a accueilli le grief afin que les employés reçoivent l’indemnité de transbordement en mer malgré la courte durée de leurs transbordements.

[94] Je reconnais que Chisholm et Conseil de l’est n’ont pas directement abordé le sens du terme « transbordement ». Ces décisions fournissent donc un contexte peu utile pour me permettre d’interpréter ce terme. Même si j’avais tiré une conclusion différente concernant le sens évident du terme « transbordement », je n’aurais pas changé d’avis en raison de Chisholm et de Conseil de l’est. Néanmoins, il est réconfortant de savoir que ma conclusion concernant le sens du mot « transbordement » est compatible avec le sens que les parties dans ces cas avaient présumé lui attribuer.

D. Cette interprétation ne viole aucun principe d’interprétation

[95] L’employeur s’appuie sur deux principes d’interprétation des conventions collectives, que j’aborderai dans la présente décision : la nécessité d’un langage clair pour conférer un avantage, et la présomption contre l’absurdité.

[96] Premièrement, l’employeur s’appuie sur une jurisprudence établissant qu’un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur doit avoir été clairement prescrit dans la convention collective. Je reconnais qu’il existe des décisions qui soutiennent cette proposition, dont certaines ont été citées par l’employeur (notamment Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, au par. 27; Allen c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 76, au par. 180; Conseil de l’est, au par. 55; Association des juristes de Justice c. Conseil du Trésor, 2015 CRTEFP 18, au par. 129). Cependant, il existe également des décisions qui soutiennent l’argument selon lequel aucune des parties n’a l’obligation d’établir que leur interprétation est « claire » ou correcte, car la tâche d’un arbitre ou d’un arbitre de grief est de déterminer l’intention mutuelle des parties telle qu’elle ressort du langage utilisé, en fonction du contexte connexe (voir British Columbia Maritime Employers’ Association v. ILWU Canada (2019), 140 C.L.A.S. 294, au par. 65; et Catalyst Paper v. C.E.P., Local 1123 (2012), 111 C.L.A.S. 42, au par. 25). Au moins un arbitre a cité les deux propositions, puis est passé à l’interprétation, sans préciser quelle proposition l’emporte (voir B.C. Hydro and Power Authority v. IBEW, Local 258 (2018), 300 L.A.C. (4e) 113, aux paragraphes 63 et 64).

[97] Je n’ai pas à trancher cette controverse juridique, le cas échéant, car j’ai conclu que la clause K-4.01 prescrit clairement l’avantage demandé.

[98] Deuxièmement, l’employeur a soutenu que, si je concluais que le sens ordinaire du mot « transbordement » m’amènerait à accueillir le grief, je devrais rejeter ce sens parce qu’il mènerait à une absurdité. L’employeur a souligné que les agents des pêches ont le pouvoir discrétionnaire de décider s’ils doivent monter à bord d’un navire de pêche commerciale particulier ou être transbordés sur celui-ci. L’employeur a affirmé qu’il est impossible de vérifier si les agents des pêches sont réellement montés à bord d’un navire de pêche commerciale comme revendiqué. L’employeur a également affirmé que ce pouvoir discrétionnaire de choisir les navires sur lesquels monter signifie également que ce sont les agents des pêches, en pratique, qui décideront du nombre d’indemnités qu’ils recevront dans une journée donnée.

[99] Je ne suis pas disposé à interpréter la convention collective en me fondant sur le principe selon lequel les agents des pêches présenteront des réclamations frauduleuses pour l’indemnité de transbordement en mer. De plus, le directeur retraité des solutions opérationnelles intégrées a admis que le MPO pourrait vérifier les réclamations à l’aide des données GPS ou en communiquant avec le navire de pêche commerciale qui a présumément été visité s’il soupçonnait une fraude. Je note également que la plupart du temps, il y a un capitaine de la Garde côtière qui conduit le Zodiac. L’agent des pêches devrait non seulement réclamer frauduleusement une indemnité de 10,00 $, mais il devrait également en quelque sorte séduire le capitaine pour qu’il soit complice de cette fraude afin d’éviter d’être découvert. Cela me semble peu probable.

[100] En ce qui concerne le dernier point, l’argument de l’employeur équivaut essentiellement à une préoccupation voulant que les agents des pêches ne montent désormais à bord de plus de navires de pêche commerciale qu’auparavant pour toucher une indemnité de 10,00 $ chaque fois qu’ils le font. Je conclus que c’est peu probable, car il existe des moyens beaucoup plus faciles de gagner 10,00 $. Cependant, si cela se produit, tant mieux. Je n’ai entendu aucune preuve suggérant que le MPO souhaite que les agents des pêches montent à bord de moins de navires de pêche commerciale pour les inspecter. Si je me trompe, ou si le MPO change d’avis, il peut toujours ordonner à ses agents des pêches d’inspecter différemment les navires de pêche.

[101] Par conséquent, ces critères d’interprétation des conventions collectives n’ébranlent pas ma conclusion selon laquelle monter à bord d’un navire de pêche commerciale à partir d’un Zodiac constitue un transbordement.

IX. Réparation

[102] L’AFPC demande deux réparations dans le présent grief : une déclaration selon laquelle l’employeur a violé l’article 4 de l’appendice K en ne versant pas cette indemnité aux employés admissibles, et une ordonnance exigeant que l’employeur verse l’indemnité rétroactivement au 14 juin 2017 (date de signature de la convention collective étendant cette indemnité aux agents des pêches).

[103] En ce qui concerne la déclaration, je suis préoccupé par la portée excessive de la déclaration proposée par l’AFPC. Les seuls éléments de preuve dont je dispose concernent les agents des pêches qui montent à bord de navires de pêche (presque toujours des navires de pêche commerciale) à partir d’un Zodiac aux fins d’inspection. Je ne dispose d’aucun renseignement sur les autres employés de cette unité de négociation. Je ne suis pas disposé à rendre une déclaration au-delà de la portée du cas soulevé par les parties.

[104] Par conséquent, je rendrai une déclaration selon laquelle les agents des pêches ont droit à une indemnité de transbordement en mer de 10,00 $ lorsqu’ils montent à bord de navires de pêche à partir d’un bateau de navire, et à une indemnité supplémentaire de 10,00 $ lorsqu’ils quittent ce navire de pêche pour retourner au bateau du navire. Je tiens également à répéter ici ce que j’ai déjà indiqué dans la présente décision : je ne dispose d’aucun élément de preuve concernant les agents des pêches qui montent à bord de leurs navires de la Garde côtière pour la première fois en Zodiac, plutôt qu’à un quai. Étant donné que je ne dispose d’aucune preuve que cela ne se soit jamais produit, je ne rendrai aucune déclaration au sujet de cette situation dans le cadre de mon ordonnance officielle; cependant, ce silence ne doit pas être interprété comme étant en contradiction avec mon explication précédente.

[105] En ce qui concerne la deuxième réparation, l’employeur a soutenu que la Commission n’a pas compétence pour ordonner le versement d’une rémunération rétroactive dans un grief de principe. Elle l’a. La Cour fédérale a été extrêmement claire à ce sujet dans Canada (Procureur général) c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2009 CF 344, au par. 17, déclarant ce qui suit : « […] je conclus que l’arbitre avait le pouvoir d’attribuer une rémunération rétroactive [dans un grief de principe] ». L’employeur n’a fourni aucun autre motif pour ne pas accorder l’indemnité dans le présent cas, à part son objection fondée sur la compétence, que j’ai rejetée.

[106] Cependant, l’AFPC a déposé son grief le 19 décembre 2018. La clause 18.15 de la convention collective prévoit qu’un employé s’estimant lésé doit présenter un grief au plus tard le 25e jour ouvrable qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance des circonstances donnant lieu au grief. Le présent cas est un exemple classique d’un grief continu, c’est-à-dire un cas impliquant des violations répétitives et successives d’une convention collective. Cela signifie que le grief de principe n’est pas tardif, bien que le non-paiement de l’indemnité aux agents des pêches remonte à juin 2017. Cependant, le délai prévu dans la convention collective sert toujours à limiter la période pendant laquelle une rémunération peut être accordée (voir Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, au par. 31).

[107] Cela signifie que j’ordonnerai à l’employeur de verser une indemnité de transbordement en mer de 10,00 $ aux agents des pêches chaque fois qu’ils montent à bord d’un navire de pêche à partir d’un bateau de navire et une indemnité supplémentaire de 10,00 $ lorsqu’ils quittent ce navire de pêche pour retourner au bateau de navire, rétroactivement au 14 novembre 2018 (c.-à-d. 25 jours ouvrables avant le dépôt du grief).

[108] Les parties m’ont informé que des griefs individuels ont été déposés par des agents des pêches à l’égard de cette question, lesquels ont été suspendus en attendant la présente décision. Mon ordonnance n’empêche aucun paiement rétroactif antérieur au 14 novembre 2018 pour tout employé s’estimant lésé qui a déposé une plainte avant le 19 décembre 2018.

[109] Finalement, l’AFPC a demandé que je demeure saisi de l’affaire pour régler tout problème pouvant survenir lors de la mise en œuvre de la présente ordonnance. Je suis d’accord qu’il est nécessaire que je demeure saisi de l’affaire, car les parties pourraient avoir du mal à comprendre les transbordements qui ont eu lieu depuis le 14 novembre 2018. Normalement, la Commission demeure saisie de l’affaire pendant une période de 90 jours, ou parfois de 120 jours, pour permettre aux parties de mettre en œuvre une décision. Compte tenu du fait que les parties devront trouver et mettre en œuvre une solution remontant au 14 novembre 2018, je demeurerai saisi de l’affaire pendant 180 jours. Cependant, je tiens à préciser que, si l’une ou l’autre partie me revient pour demander plus de temps pour mettre en œuvre la présente décision et une prolongation de la période pendant laquelle je demeurerai saisi de l’affaire, je ne serai pas sensible, à moins que cette partie puisse démontrer qu’elle a réalisé de réels progrès dans la mise en œuvre de la présente décision et que le retard est indépendant de sa volonté.

[110] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


X. Ordonnance

[111] Je déclare que les agents des pêches ont droit à l’indemnité de transbordement en mer de 10,00 $ lorsqu’ils montent à bord de navires de pêche à partir d’un bateau de navire et à une indemnité supplémentaire de 10,00 $ lorsqu’ils quittent ce navire de pêche pour retourner à un bateau de navire.

[112] J’ordonne à l’employeur de verser l’indemnité de transbordement en mer de 10,00 $ aux agents des pêches chaque fois qu’ils montent à bord d’un navire de pêche à partir d’un bateau de navire, et une indemnité supplémentaire de 10,00 $ lorsqu’ils quittent ce navire de pêche pour retourner au bateau de navire, et ce, rétroactivement au 14 novembre 2018.

[113] Je demeurerai saisi du présent grief pendant une période de 180 jours à compter de la date de la présente décision.

Le 17 septembre 2024.

Traduction de la CRTESPF

Christopher Rootham,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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