Date: 20240423
Dossier: 561-34-47778
Référence: 2024 CRTESPF 57
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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Entre
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
plaignante
et
AGENCE DE REVENU DU CANADA
Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada
Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Andrew Astritis et Simcha Walfish, avocats
Pour la défenderesse : Larissa Volinets Schieven et Richard Fader, avocats
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 21 décembre 2023, le 29 janvier et le 9 février 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Aperçu
[1] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a présenté une plainte dans laquelle elle allègue que l’Agence du revenu du Canada (ARC) a manqué à son obligation de négocier de bonne foi en ne divulguant pas le fait qu’elle prévoyait licencier un certain nombre d’employés nommés pour une période déterminée qui travaillent dans les centres d’appels de l’ARC. L’AFPC et l’ARC ont conclu une convention collective un peu plus de six semaines après que l’AFPC a appris les licenciements imminents. L’ARC affirme que la conclusion de la convention collective a deux conséquences : elle a remédié à toute violation de l’obligation de négocier de bonne foi ou constitue une réponse complète à la plainte, et elle a rendu la plainte théorique. Elle s’oppose à la plainte pour ces deux motifs et demande le rejet de la plainte.
[2] J’ai rejeté les deux objections.
[3] En ce qui concerne la première objection, l’obligation de négocier de bonne foi comprend une obligation de divulgation non sollicitée, afin de permettre aux parties d’avoir une négociation rationnelle et éclairée à la lumière de ces renseignements. L’AFPC allègue qu’elle n’a pas eu l’occasion de négocier à la lumière de ces renseignements parce qu’elle avait déjà conclu un accord de principe avec l’ARC et qu’elle avait recommandé la ratification de cette convention à ses membres avant d’avoir pris connaissance de ces renseignements. L’AFPC allègue que son processus de ratification l’a empêchée de négocier après avoir recommandé la ratification à ses membres, bien qu’elle ait eu plus de six semaines pour le faire. La question de savoir si l’AFPC a eu la possibilité de négocier après avoir pris connaissance des renseignements est une question de fait que je ne peux pas résoudre à ce stade précoce de la plainte. Par conséquent, j’ai rejeté cette première objection, car l’AFPC a fait valoir une cause défendable selon laquelle la conclusion de la convention collective n’a pas remédié à la violation de l’obligation de divulgation non sollicitée.
[4] En ce qui concerne la deuxième objection, j’ai recentré la question afin de déterminer si la plainte sert un objectif de relations de travail. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, s’entend également de ses prédécesseurs) peut remédier à une violation à l’obligation de négocier de bonne foi en plaçant les parties dans la situation où elles se seraient trouvées sans cette violation. La présente plainte porte sur un paiement forfaitaire de 2 500 $ versé aux employés de l’unité de négociation à la date de signature de la convention collective. L’AFPC pourrait être en mesure de démontrer que, sans la divulgation tardive, elle aurait négocié des conditions d’admissibilité différentes pour ce paiement. Encore une fois, il s’agit d’une question de fait que je ne peux pas résoudre à ce stade précoce de la plainte. Toutefois, cela signifie que l’AFPC peut disposer d’un recours concret dans le cadre de la présente plainte. Cela signifie également que la plainte peut servir un objectif de relations de travail. Par conséquent, j’ai également rejeté la seconde objection.
[5] J’explique en détail les motifs qui sous-tendent ces conclusions.
II. Contexte factuel entourant la plainte
[6] L’AFPC a présenté la présente plainte contre l’ARC. L’AFPC représente plus de 35 000 employés de l’unité de négociation de l’Exécution des programmes et des services administratifs à l’ARC; voir Commission de l’intérêt public – Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2023 CanLII 9685 (CRTEFP), au par. 1.
[7] L’AFPC a signifié un avis de négociation à l’ARC le 15 octobre 2021. Les parties sont arrivées à une impasse dans les négociations en 2022 et se sont réunies devant une Commission de l’intérêt public, qui a publié son rapport le 7 février 2023. Le 19 avril 2023, l’AFPC a déclenché une grève contre l’ARC. Les parties ont conclu une entente de principe le 3 mai 2023, mettant ainsi fin à la grève.
[8] Deux dispositions de cette entente de principe sont pertinentes dans le cadre de la présente plainte. Premièrement, l’AFPC a convenu que son équipe de négociation recommanderait aux membres de l’AFPC de voter pour ratifier l’entente de principe. Deuxièmement, l’ARC a accepté de verser un paiement forfaitaire unique de 2 500 $ [traduction] « […] aux titulaires de postes au sein du groupe PDAS à la date de signature de la convention collective ».
[9] La présente plainte porte sur l’incidence de cette seconde disposition sur les employés de la Direction des services des centres de contact, qui est en fait un centre d’appels. Les effectifs du centre d’appels ont généralement augmenté entre 2018 et 2023. Un grand nombre des employés du centre d’appels de l’ARC travaillaient sur la base de contrats à durée déterminée. À partir du 2 mai 2023, l’ARC a mis fin à un certain nombre de contrats à durée déterminée conclus avec des employés du centre d’appels. Alors que, dans sa plainte, l’AFPC avait initialement indiqué que la date à laquelle elle avait pris connaissance de la cessation des contrats à durée déterminée était le 2 mai 2023, elle explique qu’il s’agit d’une erreur typographique et qu’elle prétend avoir pris connaissance de la cessation de ces contrats à durée déterminée le 12 mai 2023.
[10] L’ARC conteste que l’AFPC n’ait pris connaissance de ce renseignement que le 12 mai 2023 ou, à défaut, affirme que l’AFPC aurait dû en prendre connaissance avant cette date. Comme je l’expliquerai plus loin, à ce stade, je considère que les faits allégués dans la plainte sont exacts et susceptibles d’être prouvés; par conséquent, j’évalue l’objection préliminaire de l’ARC en considérant que l’AFPC n’a pris connaissance de ces renseignements que le 12 mai 2023. L’AFPC et l’ARC ne s’entendent pas non plus sur le nombre d’employés touchés par cette question, l’AFPC estimant que 1 700 employés sont touchés et l’ARC déclarant que [traduction] « plusieurs centaines » d’employés sont touchés. Encore une fois, je n’ai pas besoin de résoudre ce différend factuel à ce stade, car le nombre précis d’employés touchés n’est pas pertinent pour traiter les deux objections préliminaires.
[11] Les membres de l’AFPC ont fini par voter en faveur de la ratification de l’entente de principe le 16 juin 2023, et les parties ont signé leur nouvelle convention collective le 27 juin 2023. L’AFPC a présenté la présente plainte le 7 juillet 2023. L’AFPC cherche à obtenir une déclaration selon laquelle l’ARC a violé l’article 106 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), que l’ARC verse 2 500 $ à chaque employé dont le contrat a été résilié entre le 3 mai et le 27 juin 2023, et que l’ARC réintègre [traduction] « […] tous les employés dont le contrat a été résilié illégalement […] ».
III. Processus suivi à ce jour dans le cadre de la plainte
[12] L’AFPC a présenté la présente plainte le 7 juillet 2023, au motif que l’ARC a violé les articles 106 et 186 de la Loi. L’ARC a répondu le 16 août 2023. La plainte et la réponse contenaient toutes deux des renseignements détaillés sur les faits entourant la plainte et indiquaient les points de divergence entre les parties. Toutefois, la réponse de l’ARC mentionnait les deux objections préliminaires à la plainte de l’AFPC en vertu de l’article 106 que j’ai mentionnées plus tôt.
[13] Le 20 octobre 2023, j’ai informé les parties que j’avais l’intention de résoudre ces deux objections initiales à la plainte en vertu de l’article 106 avant la tenue d’une audience, car les faits substantiels sous-jacents à ces objections n’étaient pas contestés. J’ai d’abord proposé que les parties déposent des arguments écrits concernant les deux objections de l’ARC, puis qu’il y ait une audience portant sur ces objections. L’ARC m’a demandé de trancher les objections préliminaires par écrit et l’AFPC ne s’est pas opposée à cette demande. Par conséquent, je n’ai pas organisé d’audience sur ces deux questions et je me suis appuyé uniquement sur les arguments écrits détaillés des parties.
[14] La Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience, conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365). J’ai exercé ce pouvoir à la lumière de l’accord des parties selon lequel je devrais trancher ces deux questions préliminaires sur la base de leurs arguments écrits.
[15] Les deux parties ont fourni des renseignements factuels détaillés dans leurs arguments écrits. Les parties ne s’entendent pas sur la mesure dans laquelle l’AFPC connaissait ou aurait dû connaître les licenciements en cours, le nombre de licenciements et d’autres détails relatifs à la plainte. Il n’est pas nécessaire que je résolve ces différends factuels pour trancher les deux questions préliminaires soulevées dans la présente décision, et j’ai refusé de résoudre ces questions factuelles.
[16] L’AFPC a fait valoir que je devrais appliquer la norme de la « cause défendable » aux objections préliminaires de l’ARC. La norme de la cause défendable exige que la Commission accepte les allégations de la plainte comme étant vraies et susceptibles d’être prouvées, puis qu’elle décide si la plainte soulève une cause défendable. L’AFPC soutient en outre que, s’il y a un doute quant à la question de savoir si une cause défendable a été établie, la Commission doit se tromper en concluant qu’il y a une cause défendable et préserver l’occasion de faire entendre les arguments avancés.
[17] Les cas invoqués par l’AFPC à l’appui de cette proposition (à savoir Charbonneau c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2022 CRTESPF 1, au par. 25; Fry c. Agence Parcs Canada, 2021 CRTESPF 88, au par. 34; Wepruk c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 55, au par. 65) traitent tous de la norme de l’existence d’un « doute quelconque » quant à la question de savoir si une cause défendable a été établie sur une base factuelle. Dans Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, au par. 105, la Commission l’exprime de façon explicite comme suit :
105 Je suis d’accord avec Quadrini [Quadrini c. Agence de revenu du Canada, 2008 CRTFP 37] que, en effectuant l’évaluation requise, je dois reconnaître que si j’ai quelque doute que ce soit sur ce que les faits révèlent – présumant que les faits sont véridiques – je dois opter pour une conclusion de cas défendable pour ce qui est du lien devant être établi relativement à la violation présumée du défendeur de l’alinéa 186(2)a) de la LRTFP. Je dois aussi conserver la possibilité pour le plaignant de faire entendre ses plaintes dans le cadre d’une instance […]
[Je mets en évidence]
[18] Ou, comme l’a indiqué la Commission dans Corneau c. Association des juristes de Justice, 2023 CRTESPF 16, au par. 29 : « Si les faits sont contestés, ou si la Commission les met en doute, cette dernière doit se fonder uniquement sur les faits allégués par la plaignante pour déterminer si une cause défendable a été établie. »
[19] Par conséquent, je suis d’accord avec l’AFPC dans la mesure où elle soutient que tout doute légitime au sujet des faits d’un cas qui aurait une incidence sur le résultat signifie que le cas doit faire l’objet d’une audience pour résoudre ces différends factuels.
[20] Enfin, cette décision ne vise que les objections préliminaires à la plainte alléguant une violation de l’article 106 de la Loi. L’ARC n’a pas soulevé d’objections préliminaires à ce que la Commission entende la plainte fondée sur le paragraphe 186(2) de la Loi, et la Commission instruira cet aspect de la plainte en temps utile.
IV. Questions
[21] L’ARC, à travers ses objections préliminaires, soulève deux questions :
1) La ratification et la signature de la convention collective par l’AFPC après qu’elle a appris la cessation d’emploi des employés des centres d’appels permettent-elles de remédier à une violation de l’obligation de négocier de bonne foi?
2) La conclusion de la convention collective a-t-elle rendu la plainte de négociation de mauvaise foi théorique?
V. Motifs
A. Question no 1 : Le fait que l’AFPC ait pris connaissance, au plus tard le 12 mai 2023, de renseignements qui, selon l’AFPC, auraient dû être divulgués permet-il de remédier à une violation de l’obligation de négocier de bonne foi?
[22] J’ai divisé les motifs relatifs à cette question en cinq catégories. Premièrement, je donnerai un aperçu de l’obligation de divulgation non sollicitée pendant les négociations collectives. Ensuite, j’examinerai si des décisions de commissions des relations de travail permettent de répondre à cette question. Aucune décision de commissions des relations du travail ne s’est avérée pertinente. Par conséquent, en troisième lieu, je passerai à l’évaluation des premiers principes qui sous-tendent l’obligation de divulgation non sollicitée – à savoir que cette obligation existe pour permettre aux parties de s’engager dans la négociation rationnelle et éclairée d’une convention collective. Quatrièmement, j’aborderai deux autres principes relatifs à l’obligation de négocier de bonne foi, à savoir qu’elle perdure jusqu’à ce que les parties parachèvent la convention collective et que la divulgation de renseignements doit se faire en temps opportun. Enfin, j’expliquerai pourquoi j’ai conclu que l’AFPC a établi une cause défendable selon laquelle la conclusion de la convention collective après avoir pris connaissance des nouveaux renseignements n’a pas remédié à la violation alléguée de l’obligation de divulgation non sollicitée, car l’AFPC pourrait être en mesure de prouver que la divulgation tardive l’a privée d’une possibilité de négocier des changements à l’entente de principe.
1. Aperçu de l’obligation de divulgation non sollicitée pendant la négociation collective
[23] Les deux parties reconnaissent que l’obligation de négocier de bonne foi englobe l’obligation pour l’employeur de divulguer certains renseignements à l’agent négociateur. Cette obligation de divulgation vaut même si l’agent négociateur n’a pas fait de demande de la sorte. Dans la jurisprudence, il s’agit de « l’obligation de divulguer sans qu’il [soit] demandé expressément de le faire »; voir, par exemple, Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2014 CRTFP 64, au par. 105; et Unifor Canada Local 594 v. Consumers’ Co-operative Refineries Limited, 2022 CanLII 95885 (SK LRB), aux paragraphes 126 et suivants.
[24] Les parties ont présenté des arguments sur les contours de l’obligation de divulgation non sollicitée, notamment sur la question de savoir si les renseignements non divulgués touchent un nombre suffisamment important d’employés et ont une incidence suffisante sur l’unité de négociation dans son ensemble (une question examinée en particulier dans Nanaimo Daily News (Postmedia Network Inc.) v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2013 CanLII 12927 (BC LRB), au par. 22), si les renseignements concernent une décision finale ou simplement un plan non définitif (une question examinée en particulier dans Consumers’ Co-operative Refineries Limited, aux paragraphes 134 à 137), si les renseignements fournis au syndicat étaient suffisamment clairs pour satisfaire à l’obligation (une question examinée en particulier dans University of Manitoba Faculty Association v. University of Manitoba, 2018 CanLII 5426 (MB LB), au par. 132), et s’il convient d’analyser la question en cherchant à déterminer si le manquement à l’obligation de divulgation équivaut à une fausse déclaration (une question examinée dans International Association of Fire Fighters, IAFF Local 4794 v. Rocky View County, 2013 CanLII 67124 (AB LRB), aux paragraphes 57 et 58). Ces questions nécessitent de procéder à une évaluation des faits du présent cas à un niveau de détail inopportun à ce stade, et je n’aborderai donc pas plus avant ces aspects de l’obligation de divulgation non sollicitée.
[25] Il suffit de constater à ce stade que les deux parties reconnaissent l’existence d’une obligation de divulgation non sollicitée, mais qu’elles ne s’entendent pas sur les faits pour déterminer si l’ARC a satisfait à cette obligation. Aux fins de la présente décision, je pars du postulat que l’ARC ne s’est pas acquittée de cette obligation.
2. Aucune décision d’une commission des relations du travail ne tranche directement cette question
[26] L’AFPC ne conteste pas qu’elle a reçu la divulgation nécessaire ou qu’elle a obtenu les renseignements par d’autres moyens au plus tard le 12 mai 2023. Il n’est pas contesté qu’à cette date, les parties avaient déjà conclu une entente de principe. Il n’est pas contesté non plus que l’AFPC n’a pas ratifié l’entente avant le 16 juin 2023 et que les parties n’ont pas parachevé et signé la convention collective avant le 27 juin 2023. Par conséquent, la question que doit se poser la Commission est si la divulgation faite après que les parties ont conclu une entente de principe, mais avant qu’elles n’aient ratifié et parachevé cette entente, satisfait à l’obligation de divulgation non sollicitée. En d’autres termes, la divulgation effectuée après l’entente de principe, mais exactement cinq semaines avant la ratification, permet-elle de [traduction] « remédier » à une violation de l’obligation de divulgation?
[27] Les parties n’ont pas été en mesure de me fournir des décisions de la Commission ou d’autres commissions du travail qui tranchent directement cette question.
[28] L’ARC a invoqué deux décisions dans lesquelles un syndicat avait présenté une plainte pour négociation de mauvaise foi concernant l’obligation de divulgation non sollicitée, mais les commissions du travail avaient rejeté la plainte parce que le syndicat avait déjà conclu une convention collective. Cependant, dans chacun de ces cas, le syndicat a découvert les renseignements (soit par la divulgation de l’employeur ou autrement) tard dans le processus de négociation collective, mais toujours avant de conclure une entente de principe :
· Dans Ontario Public Service Employees Union v. Art Gallery of Ontario, 2011 CanLII 25215 (ON LRB), le syndicat a reçu les renseignements le 15 mars 2010, mais a conclu une convention collective avec l’aide d’un conciliateur à la mi-avril 2010.
· Dans Ontario Nurses’ Association v. Grey Owen Sound Joint Homes for the Aged (Grey Owen Lodge), 1983 CanLII 809 (ON LRB), le comité de négociation du syndicat a reçu les renseignements au plus tard le 8 juin 1982, a conclu une entente de principe le 29 septembre 1982, a ratifié cette entente le 6 octobre 1982 et a signé la convention collective le 3 novembre 1982.
[29] Aucune de ces deux décisions n’est pertinente.
[30] L’ARC a invoqué une décision qui ressemble davantage aux faits du présent cas, Campbell River (District) v. Canadian Union of Public Employees, Local 623, 2002 CanLII 53413 (BC LRB) (« Campbell River »). Dans ce cas, les parties ont commencé à négocier le renouvellement de la convention collective en novembre 2000 et, avec l’aide d’un médiateur, ont conclu une entente de principe le 31 janvier 2001. Le syndicat a ratifié l’entente le 12 février 2001. Après la ratification de l’entente, mais avant sa signature, l’employeur a licencié cinq employés et a donné des avis de licenciement potentiel à 92 autres employés. Le syndicat a déposé une plainte pour négociation de mauvaise foi en mars 2001. Le 31 mai 2001, le syndicat a tout de même signé la convention collective, mais à la condition expresse que la signature de la convention ne porte pas atteinte à son droit de déposer une plainte pour négociation de mauvaise foi. La British Columbia Labour Relations Board (BCLRB) a rejeté la plainte. Bien que la BCLRB ait examiné l’argument comme s’il s’agissait d’une question théorique (une question sur laquelle je reviendrai plus tard), elle a également abordé la question que j’ai décrite lorsqu’elle a déclaré ce qui suit :
[Traduction]
[…]
41 Le but de toute mesure corrective est de placer une partie dans la position où elle se serait trouvée s’il n’y avait pas eu de violation. Le syndicat affirme qu’il a perdu l’occasion « d’exercer des pressions appropriées sur l’employeur pour obtenir un résultat acceptable ». Le syndicat affirme de manière générale que s’il avait eu connaissance des plans de l’employeur, ses priorités en matière de négociation auraient été sensiblement différentes. Il affirme qu’en refusant de lui communiquer les renseignements, l’employeur lui a enlevé la possibilité d’aborder la question dans le cadre des négociations.
42 Le droit que le syndicat a pu perdre n’est qu’une possibilité de négocier. Une possibilité perdue ne confère pas nécessairement un droit à la mesure corrective demandée par le syndicat. Il n’y a pas de garantie absolue que le syndicat aurait obtenu l’interdiction des licenciements si la possibilité d’éliminer des emplois avait été divulguée et s’il y avait eu des négociations à ce sujet.
43 Il est vrai que le syndicat aurait pu exercer des pressions sur l’employeur pour tenter d’obtenir un compromis acceptable. Toutefois, rien ne garantit que les pressions qu’il aurait exercées auraient permis d’obtenir le résultat souhaité. Si le syndicat avait insisté pour empêcher l’employeur de procéder à des licenciements, l’employeur aurait pu adopter sa propre attitude d’opposition, dure, mais légitime. Comme tout résultat est hypothétique, il n’est pas possible de reconstituer le déroulement de la négociation si la violation en question n’avait pas eu lieu.
[…]
49 Les discussions qui ont eu lieu après la présentation des plaintes au titre des articles 11 et 54 ont donné au syndicat une possibilité de parler à l’employeur de solutions de rechange à ces licenciements. Le syndicat a donc eu la possibilité d’aborder la question lorsqu’il a conclu l’entente avec l’employeur en avril. Je comprends l’argument du syndicat selon lequel ces discussions n’équivalaient pas à une réouverture complète de la convention collective. Le syndicat affirme qu’il a tenté de rouvrir la convention collective en mars, mais que l’employeur a refusé. L’employeur semble nier cette affirmation. Aux fins de l’examen de l’objection relative au caractère théorique de l’affaire, il importe peu de savoir laquelle des deux affirmations est vraie. Que l’affirmation du syndicat ou la dénégation de l’employeur soit vraie, les parties ont par la suite négocié une entente pour résoudre certaines des questions en litige et ont signé la convention collective sans préjudice. Dans sa plainte au titre de l’article 11, le syndicat ne demande pas à la Commission d’ouvrir la convention collective. Il ne demande pas non plus à la Commission de déclarer que la convention collective n’existe pas en raison d’une fausse déclaration.
[…]
[Je mets en évidence]
[31] La décision Campbell River est la décision qui se rapproche le plus des faits du présent cas, mais même cette décision est légèrement différente en ce sens que le syndicat et l’employeur ont continué à négocier la question après avoir ratifié la convention collective, et que la divulgation a eu lieu après la ratification, mais avant la signature. Contrairement à Campbell River, rien n’indique à ce stade que l’AFPC a demandé à renégocier la convention collective ou que l’ARC était ou aurait été disposée à le faire. En outre, la BCLRB n’a abordé que la deuxième question soulevée dans cette affaire (à savoir si la plainte est théorique) et n’a pas directement abordé la question de savoir si la divulgation entre une entente de principe et la ratification de cette entente remédie à toute violation de l’obligation de divulgation non sollicitée avant la conclusion d’une entente de principe.
[32] En bref, Campbell River est une décision utile, mais qui ne permet pas de trancher cette question.
[33] L’AFPC a invoqué Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 102 (« IPFPC 2009 »), à l’appui de ses arguments, qui, comme Campbell River, portait sur la question de savoir si une plainte de négociation de mauvaise foi était théorique parce que les parties avaient conclu une convention collective après la présentation de la plainte. La Commission a décidé d’instruire l’affaire en dépit de la convention collective, en déclarant ce qui suit :
[…]
24 La négociation collective est un processus dynamique, et des règlements interviennent pour toutes sortes de raisons. Généralement, de tels règlements doivent être encouragés, car ils assurent bel et bien une certaine stabilité dans les relations de travail. Un refus général de la Commission d’instruire les affaires de conflit dans une négociation collective à cause d’un règlement intervenu pourrait avoir pour conséquence involontaire qu’une partie refuserait de conclure une convention jusqu’à ce que la Commission arrive à une décision finale sur le différend. Ce n’est pas dans l’intérêt de bonnes relations de travail.
[…]
[34] À l’instar de Campbell River, le point de vue exprimé dans ce paragraphe de la décision IPFPC 2009 est utile, mais ne permet pas de trancher la question en litige.
[35] Étant donné qu’il n’existe aucune décision antérieure portant directement sur ce point, je reviendrai aux premiers principes pour trancher cette question en litige.
3. Premiers principes : l’objectif de l’obligation de divulgation non sollicitée est de garantir que les deux parties ont la possibilité de s’engager dans une négociation rationnelle et éclairée
[36] L’obligation de divulgation non sollicitée est une conséquence de l’obligation de négocier de bonne foi, codifiée à l’article 106 de la Loi. Cet article impose à l’agent négociateur et à l’employeur d’« entamer des négociations collectives de bonne foi » et de « […] faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ».
[37] Le principe selon lequel un employeur est tenu de divulguer des renseignements à un agent négociateur dans le cadre de son obligation de négocier de bonne foi remonte au tout début du modèle de négociation collective de la Wagner Act. En 1936, peu après l’adoption de la Wagner Act aux États-Unis, la National Labor Relations Board (NLRB) a rendu sa décision Pioneer Pearl Button Co. 1 N.L.R.B. 837 (1936). Dans ce cas, la seule fois où le représentant de l’employeur habilité à négocier avec le syndicat a effectivement rencontré ce dernier pendant une grève, il a simplement déclaré que la situation financière de l’employeur était mauvaise et que, par conséquent, il n’y aurait pas de révision de l’échelle salariale qu’il avait imposée avant la grève. Un membre du comité de négociation du syndicat a demandé à l’employeur de lui montrer ses documents comptables, ce que l’employeur a refusé. La NLRB a estimé que l’employeur n’avait pas négocié de bonne foi en partie parce qu’il [traduction] « […] a refusé de prouver sa déclaration [selon laquelle sa situation financière était mauvaise] ou de permettre une vérification indépendante » (par. 13).
[38] Cette décision est à l’origine de l’obligation de fournir des renseignements, corollaire de l’obligation de négocier de bonne foi. La Cour suprême des États-Unis a confirmé cette obligation dans Labor Board v. Truitt Manufacturing Co. 351 U.S. 149 (1956), dans laquelle une majorité de la Cour a convenu avec la NLRB qu’un employeur devait fournir des renseignements sur sa situation financière si, au cours de la négociation, il avait dit au syndicat qu’il ne pouvait pas satisfaire aux augmentations de salaire demandées par ce dernier pour des raisons financières. C’est ce que la Cour a déclaré aux pages 152 et 153 :
[Traduction]
[…]
La négociation de bonne foi exige nécessairement que les revendications faites par l’un ou l’autre des négociateurs soient des revendications honnêtes. Il en va de même pour toute affirmation selon laquelle l’employeur n’est pas en mesure de payer une augmentation de salaire. Si un tel argument est suffisamment important pour être présenté dans le cadre des négociations, il est suffisamment important pour exiger une certaine forme de preuve de son exactitude. Il ne serait certainement pas exagéré pour un juge des faits de conclure que la négociation est entachée d’un manque de bonne foi lorsqu’un employeur répète mécaniquement une allégation d’incapacité à payer sans faire le moindre effort pour la justifier […]
[…]
[39] L’obligation de l’employeur de fournir des renseignements à l’agent négociateur a été définie au Canada dans une série de décisions rendues dans les années 1970 et au début des années 1980. Dans Noranda Metal Industries Ltd. v. CAIMAW (1974), [1975] 1 Can. L.R.B.R. 145, la BCLRB (dans une formation présidée par Paul Weiler) a décidé que l’obligation de fournir des renseignements faisait partie de l’obligation de négocier de bonne foi :
[Traduction]
[…]
56 […] C’est un principe établi depuis longtemps en droit du travail américain qu’une partie commet une pratique déloyale de travail si elle retient des renseignements pertinents à la négociation collective sans motifs raisonnables […] Ce principe s’inscrit aisément dans le libellé de l’article 6 [art. 106 de la Loi]. Il est difficile de prétendre qu’un employeur qui retient délibérément des données factuelles dont un syndicat a besoin pour évaluer intelligemment une proposition sur la table de négociation fait « tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ». La politique qui sous-tend la règle américaine a été résumée par ce commentaire : « Une négociation nourrie par une discussion complète et informelle a plus de chances de produire le fruit d’une convention collective qu’une négociation fondée sur l’ignorance et la tromperie […] ».
[40] La Commission des relations du travail de l’Ontario (CRTO) est parvenue à la même conclusion dans une série de décisions rendues dans les années 1970 et au début des années 1980. La première de ces décisions (United Electrical, Radio and Machine Workers of America v. DeVilbiss (Canada) Ltd, [1976] OLRB Rep. March 49) décrit l’obligation de négocier de bonne foi comme visant à [traduction] « […] favoriser une discussion rationnelle et éclairée, réduisant ainsi au minimum le risque de conflit industriel “inutile” ». La CRTO a conclu que cette obligation exigeait qu’une partie fournisse à l’autre partie les renseignements nécessaires à sa capacité de décision et que le fait de ne pas fournir ces renseignements violait l’obligation de négocier de bonne foi. La CRTO a approfondi son raisonnement dans United Electrical, Radio & Machine Workers of America v. Westinghouse Canada Limited, 1980 CanLII 893 (ON LRB), en déclarant ce qui suit :
[Traduction]
[…]
38. Le syndicat prétend que le fait que la compagnie ne l’ait pas informé, au cours des négociations, de son projet de décentraliser ses opérations de commutation et de contrôle constitue un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi qui lui est imposée par l’article 14 de la Loi. Compte tenu de l’intention de conclure une convention collective, la Commission a défini l’obligation imposée par l’article 14 comme une obligation qui protège l’intégrité du processus de prise de décision qui est intrinsèque à la négociation collective […]
[…]
39. […] Compte tenu de l’importance de l’exercice, de l’exigence d’une discussion complète et ouverte, de la portée des questions ouvertes à la négociation et du cadre législatif qui lie les parties aux termes de leur convention pour toute la durée de celle-ci, peut-on douter que l’obligation prévue à l’article 14 exige que l’employeur réponde honnêtement lorsqu’on lui demande, au cours de la négociation, s’il envisage des initiatives du type de celles qui ont une probabilité réelle d’avoir une incidence importante sur l’unité de négociation? De même, il ne fait aucun doute qu’un employeur est tenu, en vertu de l’article 14, de révéler au syndicat, de sa propre initiative, les décisions déjà prises qui peuvent avoir un impact majeur sur l’unité de négociation. Sans ces renseignements, un syndicat est effectivement plongé dans l’obscurité. Le syndicat ne peut pas évaluer de manière réaliste ses priorités ou formuler une réponse valable à la négociation sur des questions d’une importance fondamentale pour les employés qu’il représente. L’absence d’information dans ces circonstances peut être qualifiée de tentative d’obtenir l’accord du syndicat pour une durée déterminée sur la base d’une fausse déclaration concernant des questions susceptibles de modifier fondamentalement le contenu de la négociation.
[…]
[41] Ces décisions s’appuient sur le principe selon lequel la négociation de bonne foi exige une discussion rationnelle et éclairée, qui à son tour exige que les parties se fournissent mutuellement les renseignements nécessaires pour entamer cette discussion éclairée. Les commissions du travail continuent d’appliquer cette logique aujourd’hui. La CRTO l’a expliqué récemment dans Elementary Teachers' Federation of Ontario v. The Crown in Right of Ontario as represented by the Ministry of Education, 2022 CanLII 35068 (ON LRB) :
[Traduction]
[…]
85. La Commission a statué que l’obligation de négocier de bonne foi exige des employeurs qu’ils a) répondent honnêtement lorsqu’on leur demande, au cours de la négociation, s’ils envisagent des initiatives du type de celles qui ont une probabilité réelle d’avoir un impact important sur l’unité de négociation; et b) révèlent au syndicat, de leur propre initiative, les décisions déjà prises qui peuvent avoir un impact important sur l’unité de négociation. Faute de ces renseignements, un syndicat est effectivement plongé dans l’obscurité et ne peut pas évaluer de manière réaliste ses priorités ou formuler une réponse valable à la négociation sur des questions d’une importance fondamentale pour les employés qu’il représente […]
[…]
[42] En conclusion, l’objectif de l’obligation de divulgation non sollicitée est de veiller à ce que les deux parties aient la possibilité de s’engager dans une négociation rationnelle et éclairée.
4. Deux autres aspects pertinents de l’obligation de négocier de bonne foi
[43] J’ai tenu compte de deux autres aspects de l’obligation de négocier de bonne foi pour prendre ma décision : 1) l’obligation de négocier se poursuit jusqu’à ce que les parties parachèvent la convention collective, et 2) la divulgation des renseignements doit se faire en temps opportun.
[44] Premièrement, l’obligation de négocier de bonne foi se poursuit après que les parties ont conclu une entente de principe jusqu’au moment où elles signent et concluent une convention collective. Comme l’a dit le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans N.A.B.E.T. v. CKLW Radio Broadcasting Ltd. (1977), 23 di 51, au par. 82 :
[Traduction]
82 […] L’obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable est une obligation continue à partir du moment où l’avis de négocier est donné jusqu’à la conclusion d’une entente. Elle survit à la survenance d’un arrêt de travail, bien que la nature de l’obligation puisse changer. Elle survit également à une plainte pour manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Bien entendu, l’existence de la plainte peut rendre très difficile pour les parties de se rencontrer face à face de leur propre chef.
[45] Les parties ont invoqué plusieurs décisions (en particulier, Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1988] C.R.T.F.P.C. no 141 (QL); Canada (Conseil du Trésor) c. Association professionnelle des agents du service extérieur, 2000 CanLII 21077 (CRTFP); Swissport Canada Inc. c. Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CCRI 918) dans lesquelles la Commission et d’autres commissions des relations de travail ont examiné si le refus de recommander aux membres d’un syndicat de voter pour ratifier une convention collective constitue une négociation de mauvaise foi. Cela signifie que l’obligation de négocier de bonne foi subsiste au-delà de la conclusion de l’entente de principe et s’étend plutôt jusqu’au moment où la convention collective a été conclue.
[46] J’ai également accordé une attention particulière à Rocky View County, invoquée par l’ARC dans un but différent. Dans ce cas, l’Alberta Labour Relations Board (ALRB) a conclu à une violation de l’obligation de divulgation non sollicitée parce que l’employeur n’avait pas divulgué une décision de facto concernant des licenciements imminents après que les parties eurent déjà présenté leur cas lors d’un arbitrage de différends et que le conseil d’arbitrage eût mis l’affaire en délibéré. Dans ce cas, la décision a été prise après que les parties ont présenté leur dossier à l’arbitrage et n’a été divulguée que le lendemain du jour où le conseil d’arbitrage a rendu sa décision. L’ALRB attendait toujours des parties qu’elles se conforment à l’obligation de négocier de bonne foi (ce qui les aurait obligées à se réunir et à négocier de bonne foi à la lumière de la décision de facto), malgré le fait que le litige était mis en délibéré par la formation d’arbitrage.
[47] La conclusion est la suivante : il n’est jamais trop tard pour négocier de bonne foi.
[48] Ensuite, la divulgation doit se faire en temps opportun; voir Economic Development Edmonton c. TUAC, section locale 401 (2002), 88 C.L.R.B.R. (2e) 210 (ALRB); et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2008 CRTFP 78, aux paragraphes 65 et 68.
5. Application des principes qui sous-tendent l’obligation de négocier de bonne foi
[49] Lorsque j’ai abordé Campbell River plus tôt dans la présente décision, j’ai souligné le passage suivant au paragraphe 49 de cette décision : [traduction] « Les discussions qui ont eu lieu après la présentation des plaintes au titre des articles 11 et 54 ont donné au syndicat une possibilité de parler à l’employeur de solutions de rechange à ces licenciements » [je mets en évidence]. Je reviens maintenant sur cette notion.
[50] À la lumière de l’absence de toute jurisprudence permettant de trancher la question émanant de cette commission ou d’autres commissions des relations du travail, j’ai conclu qu’il n’existe pas de règle fixe selon laquelle le fait de fournir les renseignements requis avant que les parties ne concluent une convention collective permet de remédier à la divulgation tardive de ces renseignements. L’essentiel est de savoir si les parties ont eu la possibilité d’engager une discussion rationnelle et éclairée à la lumière des renseignements divulgués.
[51] J’ai tiré cette conclusion non seulement de Campbell River, mais aussi des principes que j’ai exposés dans la présente décision. Les parties doivent avoir une possibilité de négocier à la lumière des renseignements divulgués, car le but de la divulgation est d’avoir une discussion rationnelle et éclairée sur les renseignements divulgués. Les parties doivent avoir une possibilité de négocier à la lumière des renseignements divulgués, quel que soit le moment où ces renseignements sont divulgués, car l’obligation de négocier se poursuit jusqu’au moment où la convention collective est formellement conclue. Il doit exister une possibilité de négocier à la lumière des renseignements divulgués parce que les renseignements doivent être divulgués en temps opportun pour permettre une telle négociation. La possibilité de négocier n’a pas besoin d’être parfaite, mais elle doit être réelle.
[52] Dans le présent cas, la chronologie (selon l’AFPC et celle que j’adopte uniquement aux fins de la présente décision, en suivant l’approche de la cause défendable) était la suivante :
· 19 avril : Début de la grève.
· 3 mai : L’AFPC et l’ARC concluent une entente de principe.
· 5 mai : L’AFPC envoie à ses membres une trousse de ratification qui comprend une déclaration selon laquelle son équipe de négociation recommande d’accepter l’entente de principe.
· 12 mai : L’AFPC prend connaissance de l’information. (Je remarque que l’AFPC allègue qu’elle n’a pas encore [traduction] « tous les renseignements » sur le nombre exact d’employés qui n’ont pas reçu le paiement forfaitaire de 2 500 $, mais elle ne conteste pas qu’elle était au courant à cette date de la réduction du nombre d’employés nommés pour une période déterminée avant la fin du mois de juin 2023.)
· 16 juin : Les membres de l’AFPC votent en faveur de la ratification de la convention collective.
· 27 juin : Les parties signent la convention collective.
[53] À la lumière des principes que j’ai énoncés ci-dessus, la question est la suivante : est-ce qu’il y a une cause défendable que la période comprise entre le 12 mai et le 27 juin 2023 n’a pas donné à l’AFPC [traduction] « une possibilité » de négocier collectivement, à la lumière des nouveaux renseignements?
[54] L’AFPC affirme que non.
[55] L’AFPC parle d’une [traduction] « fenêtre courte » pour négocier (au paragraphe 2 de ses arguments). Je rejette entièrement cette caractérisation. L’AFPC et l’ARC sont passées d’une impasse à une convention collective réglant (selon la trousse de ratification de l’AFPC, qu’elle m’a fournie dans ses arguments) 22 questions majeures et 8 [traduction] « modifications mineures » dans le cadre d’une grève de deux semaines. Même si j’exclus la période qui a suivi la ratification de la convention collective par les membres de l’AFPC, l’AFPC et l’ARC ont quand même eu cinq semaines (du 12 mai au 16 juin) pour régler cette seule question.
[56] L’AFPC soutient également qu’elle n’aurait pas pu négocier davantage parce que son équipe de négociation avait déjà recommandé à ses membres d’accepter l’entente de principe et qu’elle avait mis fin à la grève. L’AFPC affirme qu’elle aurait dû interrompre le processus de ratification et reprendre la grève, ce qui aurait mis en péril l’ensemble de l’entente. L’AFPC fait valoir qu’en agissant de la sorte, elle aurait considérablement compromis son rôle d’agent négociateur. L’ARC n’est pas d’accord et soutient [traduction] qu’« [à] supposer qu’il soit vrai que l’AFPC ait été informée pour la première fois des plans de réduction de la capacité de dotation le 12 mai 2023, l’AFPC n’a toujours pas été privée de la possibilité de réagir à la véritable situation […] avant de signer la convention collective ».
[57] L’AFPC soutient également que ses prétentions selon lesquelles elle n’aurait pas pu agir avant de signer la convention collective sont des affirmations de fait que je dois présumer vraies à ce stade, compte tenu du seuil fixé à l’étape de la « cause défendable » du présent cas.
[58] En appliquant le principe de la cause défendable, je peux supposer que le retour à la table de négociation aurait interrompu le processus de ratification. Je peux également supposer que l’AFPC aurait pu reprendre sa grève en conséquence.
[59] Pour ce qui est de mettre en péril l’ensemble de l’entente, j’ai des doutes. Lorsqu’une entente de principe n’est en fin de compte pas ratifiée par les membres, aucune des parties n’est autorisée à recommencer la « négociation »; au lieu de cela, [traduction] « […] la négociation qui suit le rejet d’un protocole d’entente se veut un exercice de résolution de problèmes conçu pour “ajuster” les conditions de l’entente de manière à préserver l’essentiel de l’entente tout en facilitant un réexamen par les mandants » (voir Thames Emergency Medical Services Inc. v. O.P.S.E.U., 2004 CanLII 94732 (ON LA)). Toutefois, je suis disposé à supposer à ce stade précoce que l’AFPC a raison de dire que le retour à la table de négociation risquait de compromettre la viabilité de l’ensemble de l’entente.
[60] En d’autres termes, je suis disposé à supposer à ce stade que toutes les affirmations de l’AFPC sont vraies – la ratification aurait été interrompue, l’AFPC aurait peut-être dû reprendre la grève et l’ensemble de l’entente avec l’ARC était en péril.
[61] Ces prétentions signifient-elles que l’AFPC a été privée [traduction] d’« une possibilité » de négocier à la lumière des nouveaux renseignements qu’elle dit avoir appris le 12 mai 2023?
[62] Au risque de répéter une expression que j’ai utilisée plus tôt, j’ai des doutes. Toutefois, une nuance factuelle pourrait permettre à l’AFPC de prouver qu’elle n’a pas eu l’occasion de négocier après avoir reçu les nouveaux renseignements dont elle disposait. L’AFPC affirme qu’elle n’aurait pas pu suspendre son vote de ratification le 12 mai 2023 et retourner à la table de négociation. L’AFPC n’a pas encore expliqué pourquoi, mais à ce stade de la « cause défendable », il est suffisant de formuler cette affirmation, qui est au moins concevable ou susceptible d’être prouvée.
[63] Enfin, l’AFPC soutient qu’en agissant après avoir pris connaissance des nouveaux renseignements, l’ARC aurait risqué de déposer une plainte de négociation de mauvaise foi contre elle parce qu’elle aurait dû rompre son entente pour recommander aux membres de l’AFPC de ratifier l’entente de principe. L’ARC a répondu en soulignant qu’il existe des cas où le fait de rompre une entente pour recommander la ratification ne constituait pas une négociation de mauvaise foi. Toutefois, l’AFPC fait remarquer que l’ARC n’affirme pas sans équivoque qu’elle n’aurait pas déposé une telle plainte. Les deux parties reconnaissent que ce type de cas est généralement tributaire des faits.
[64] Malgré les arguments des parties, le dilemme auquel était confrontée l’AFPC n’était pas seulement de savoir si son équipe de négociation devait modifier sa recommandation à ses membres de voter pour ratifier l’entente. Le dilemme auquel l’AFPC était confrontée était aussi de savoir si elle devait aller de l’avant avec la ratification ou suspendre la ratification et retourner à la table de négociation. Ce n’est qu’après être retournée à la table de négociation que l’AFPC aurait été confrontée au dilemme de recommander ou non à ses membres de ratifier l’entente si elle n’était pas en mesure de négocier des changements résultant des renseignements qu’elle a appris après avoir conclu une entente de principe. Comme je l’ai déjà dit, il est concevable que l’AFPC n’ait pas pu retourner à la table de négociation pour une raison quelconque.
[65] Pour ces motifs, je conclus qu’il y a une cause défendable que la conclusion de la convention collective après avoir pris connaissance des nouveaux renseignements n’a pas automatiquement [traduction] « remédié » à la violation alléguée de l’obligation de divulgation non sollicitée. L’AFPC a déclaré qu’elle n’aurait pas pu poursuivre les négociations après avoir envoyé une trousse de ratification à ses membres. Pour reformuler cet argument en utilisant les termes employés dans Campbell River, l’AFPC a établi l’existence d’une cause défendable selon laquelle elle a été privée d’une certaine possibilité de négocier après avoir reçu certains renseignements parce qu’elle avait déjà recommandé la ratification à ses membres.
B. Question no 2 : la conclusion de la convention collective rend-elle la plainte de négociation de mauvaise foi théorique?
[66] L’ARC soutient que, puisque les parties ont conclu une convention collective, la plainte est théorique. L’ARC a invoqué 17 cas dans lesquels la Commission et d’autres commissions des relations de travail ont rejeté des plaintes de négociation de mauvaise foi parce qu’elles étaient théoriques après que les parties eurent conclu une convention collective. L’ARC soutient également qu’il n’y a pas de mesure corrective pratique disponible, puisque l’AFPC a au mieux droit à une déclaration, ce qui ne servirait à rien en pratique. L’AFPC nie que la plainte est théorique, faisant valoir qu’il serait injuste de refuser d’entendre la plainte parce que c’est l’employeur qui a manqué à ses obligations, que la plainte au titre de l’article 186 de la Loi devra être instruite de toute façon, que le manquement de l’ARC a un effet continu et qu’il existe une mesure corrective pratique.
[67] J’aborderai cette question en trois parties : 1) le critère du caractère théorique dans ce contexte; 2) les mesures correctives disponibles dans cette plainte; 3) la question de savoir si la plainte peut servir un objectif de relations de travail, à la lumière des mesures correctives disponibles.
1. Le critère du caractère théorique dans ce contexte
[68] La jurisprudence des commissions des relations du travail à travers le Canada révèle deux façons d’appréhender l’argument de l’ARC dans le présent cas.
[69] La première consiste à déterminer si la plainte est devenue théorique du fait que les parties ont conclu une convention collective. Cette méthode suit celle adoptée dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la p. 353. Premièrement, les tribunaux déterminent s’il existe un « litige actuel » entre les parties, c’est-à-dire un litige concret et tangible. Deuxièmement, s’il n’y a plus de litige actuel, le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire le cas en fonction de l’existence d’un contexte contradictoire, de l’utilité pratique de l’instruction du cas et de la question de savoir si le tribunal outrepasserait ses attributions en élaborant une règle de droit dans l’abstrait. C’est l’approche suivie dans Campbell River et dans la plupart des autres cas invoqués par l’ARC.
[70] La deuxième façon de procéder consiste à se demander si l’examen de la plainte après la conclusion d’une convention collective répond à un objectif de relations de travail. Comme l’a indiqué la Commission dans IPFPC 2009, au par. 18 : « […] une approche plus nuancée de la doctrine relative au caractère théorique est requise dans les cas de relations de travail, où il y a habituellement une relation suivie ». Le CCRI tend à appliquer cette deuxième approche, déclarant ce qui suit dans Section locale 419 de la Fraternité internationale des Teamsters c. Manutention Swissport Canada inc., 2017 CCRI 863, au par. 47 :
[47] […] une plainte de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi ne devient pas automatiquement théorique du fait qu’une convention collective a été conclue. Le Conseil avait également fait porter son attention sur le lien entre le redressement demandé et son importance au regard de la relation de négociation considérée dans son ensemble, ce qui comprenait l’administration de la convention collective […]
[71] Je fais également remarquer que les deux approches convergent généralement dans le résultat final et qu’elles sont similaires l’une à l’autre. Dans la mesure où elles divergent, cependant, je préfère la seconde approche, pour deux raisons.
[72] Premièrement, le critère établi dans Borowski pour décider du caractère théorique d’un pourvoi a été élaboré pour les instances civiles. Il doit être « […] appliqu[é] avec prudence dans le cadre d’instances devant les tribunaux administratifs »; voir Conférence ferroviaire de Teamsters Canada c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2011 CCRI 572, au par. 15. Les tribunaux, dans les cas présentant un caractère théorique, se préoccupent d’un triple équilibre entre la compétence inhérente d’un tribunal à résoudre des litiges juridiques, l’économie judiciaire et le rôle du pouvoir judiciaire dans l’élaboration des lois. En revanche, la compétence d’un tribunal administratif pour résoudre un litige découle explicitement de la loi; il doit se préoccuper de l’économie administrative plutôt que de l’économie judiciaire (qui, il est vrai, sont des choses très similaires); et le rôle législatif d’un tribunal administratif est différent du rôle du pouvoir judiciaire. Sur ce dernier point, les tribunaux administratifs ne sont pas uniquement des organismes juridictionnels; ils sont également des organismes de réglementation. Le rôle de la Commission n’est pas seulement de trancher des différends entre deux parties; il est aussi, selon le préambule de la Loi, de promouvoir des « relations patronales-syndicales fructueuses ».
[73] Deuxièmement, le critère en matière de caractère théorique d’un pourvoi appliqué par un tribunal est souvent englobé dans la question connexe de savoir si le tribunal doit connaître d’un cas lorsque la mesure corrective demandée est une déclaration. Le critère du « litige actuel » consiste à déterminer si la mesure corrective demandée aura un effet futur sur les parties (voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2012 CAF 19, au par. 16). Le critère permettant de déterminer s’il y a lieu d’accorder une déclaration est de savoir si le tribunal « […] a compétence pour entendre le litige, lorsque la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et lorsque l’intimé a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité […] » (tiré de Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, au par. 81). À la lumière du chevauchement entre les deux critères, il n’est pas surprenant que « […] la demande de jugement déclaratoire ne permet pas à elle seule d’éviter la conclusion que l’affaire est théorique » (tiré de Peckford c. Canada (Procureur général), 2023 CAF 219, au par. 22). En d’autres termes, le fait qu’un tribunal puisse rendre une déclaration n’est pas suffisant en soi pour établir l’existence d’un litige actuel.
[74] Le problème est qu’il existe de nombreux types de cas instruits par la Commission dans lesquels une décision déclaratoire est la forme la plus courante de mesure corrective demandée et accordée. Il s’agit notamment des griefs de principe (voir les alinéas 232a) et b) de la Loi), des plaintes relatives à la dotation (voir la discussion dans Doucette v. Attorney General of Canada, 2023 PESC 51, aux paragraphes 49 à 67), des cas de grève illégale (voir les paragraphes 198(1) et (2) de la Loi) et des plaintes de négociation de mauvaise foi. Bien que la Commission puisse accorder des mesures correctives autres qu’une déclaration dans ces cas, une grande partie de sa charge de travail consiste à accorder ou à refuser des demandes visant à faire rendre une déclaration. En accordant trop d’attention à la question de savoir si la Commission devrait instruire des cas dans lesquels la seule mesure corrective demandée est une déclaration, on priverait la Commission d’une grande partie de son travail, ce qui est contraire à la Loi, qui spécifie à plusieurs reprises que la Commission peut accorder des déclarations.
[75] Par conséquent, j’ai décidé de suivre la deuxième approche jurisprudentielle et de caractériser la question comme étant celle de savoir si l’instruction de la plainte servirait un objectif de relations de travail.
[76] Je reconnais qu’il existe très peu de différences pratiques entre les deux approches et que, dans la plupart des cas, le résultat du cas serait le même après l’application de l’une ou l’autre approche. La différence conceptuelle est la suivante. Tandis que l’approche adoptée dans Borowski se divise en deux étapes (déterminer s’il existe un litige actuel, puis s’il y a une raison pratique d’instruire un cas sans qu’un litige actuel n’existe), la seconde approche réduit ces deux étapes à une seule question : déterminer si le fait de statuer sur le cas répond à un objectif pratique en matière de relations de travail. Un objectif de relations de travail est presque toujours servi lorsqu’il existe un conflit concret et une solution disponible (c’est-à-dire qu’il y a un litige actuel selon le critère de Borowski). Un objectif de relations de travail peut également être atteint lorsque la seule mesure corrective est une déclaration, selon que la déclaration elle-même servira ou non un objectif de relations de travail. Ces objectifs de relations de travail comprennent l’administration continue d’une convention collective (comme dans Manutention Swissport Canada inc. et Société des ingénieurs professionnels et associés c. Énergie atomique du Canada limitée, 2001 CCRI 110) et la résolution de plaintes similaires impliquant les mêmes parties ou des parties liées (comme dans IPFPC 2009). Ce ne sont pas les seuls objectifs de relations de travail qui peuvent être servis, et la Commission devra examiner l’existence d’un objectif de relations de travail au cas par cas.
C. Les mesures correctives disponibles dans le cadre de la présente plainte
[77] L’ARC a invoqué 17 décisions de la Commission et d’autres commissions des relations de travail dans lesquelles une plainte de négociation de mauvaise foi a été rejetée parce qu’elle était théorique (ou qu’elle ne servait aucun objectif de relations de travail). Selon ces cas, il n’existait pas de litige actuel entre les parties ou aucun recours pratique (autre qu’une déclaration) à la disposition de l’agent négociateur plaignant parce que les parties avaient conclu une convention collective. J’ai déjà cité et discuté plusieurs des décisions les plus importantes, notamment Campbell River, Rocky View County et Manutention Swissport Canada inc.
[78] En réponse, l’AFPC a invoqué Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 RCS 369, au sujet des vastes pouvoirs d’un conseil des relations de travail pour remédier à une négociation de mauvaise foi, et Consumers' Co-operative Refineries Limited pour donner l’exemple d’un conseil des relations de travail qui a accordé des mesures concrètes (dans ce cas, ordonner la cessation des mises à pied d’une certaine classification d’emploi) à la suite d’un manquement de l’employeur à son obligation de divulgation non sollicitée.
[79] Toutefois, les deux parties conviennent que la Commission a le pouvoir de réparer une violation de l’obligation de négocier de bonne foi en accordant une mesure corrective qui remet les parties dans la position où elles se seraient trouvées n’eût été la violation. L’AFPC invoque Rocky View County, dans lequel l’ALRB a déclaré au paragraphe 59 que la tâche d’un conseil du travail est de [traduction] « réparer, dans la mesure du possible, les dommages causés par la violation »; l’ARC soutient également que [traduction] « toute mesure corrective visant à réparer une violation de l’article 106 doit tenir compte de la perte de l’occasion de négocier ».
[80] L’AFPC demande à l’ARC de verser des dommages généraux de 2 500 $ à tous les employés dont le contrat a été résilié entre le 3 mai 2023 et la signature de la convention collective, outre sa demande visant à obtenir une déclaration. Il est au moins possible de soutenir que la perte de l’occasion de négocier pourrait être réparée de cette façon. L’AFPC pourrait sans doute être en mesure de prouver que si l’ARC n’avait pas divulgué les cessations d’emploi imminentes dans ses centres d’appels, elle aurait négocié (et l’ARC aurait accepté de négocier) une convention collective prévoyant le versement d’un paiement forfaitaire de 2 500 $ à toutes les personnes employées à une date autre que celle de la signature de la convention collective. L’AFPC devrait présenter des preuves pour étayer une telle affirmation, et l’ARC pourrait avoir des preuves pour la réfuter. Si c’est la thèse de l’AFPC, elle devra peut-être aussi expliquer si les employés embauchés entre le 3 mai 2023 et le 27 juin 2023 devront rembourser le paiement forfaitaire de 2 500 $ qu’ils ont reçu. La Commission pourrait également devoir décider si l’ARC aurait obtenu des concessions de l’AFPC en échange de ce changement, si ces concessions auraient eu une incidence sur les paiements déjà effectués par l’ARC et, dans l’affirmative, qui doit rembourser ces paiements à l’ARC (l’AFPC ou les employés qu’elle représente). Je ne peux que formuler des hypothèses sur la réponse à ces questions et à d’autres questions factuelles à l’heure actuelle, et je ne peux donc pas les aborder davantage.
[81] Ce que je veux dire par là, c’est qu’il semble que l’AFPC demande à la Commission de concevoir un résultat de négociation collective différent en partant de l’hypothèse que les renseignements ont été fournis à l’AFPC plus tôt. Comme je l’ai expliqué plus tôt, l’AFPC affirme que le fait d’agir après avoir pris connaissance des renseignements aurait mis en péril l’ensemble de la convention; si elle a raison, cela signifie que la Commission doit se demander si le fait de modifier les règles relatives au paiement de 2 500 $ aurait modifié l’ensemble de l’entente. Même si la Commission peut ou doit le faire (ce qui n’est nullement garanti, mais seulement défendable à ce stade), il se peut que les conséquences soient plus importantes que le simple versement de 2 500 $ aux anciens employés concernés. Ces conséquences dépendront des preuves présentées lors de l’audience. Cependant, à ce stade précoce, je ne peux pas dire que la seule mesure corrective dont dispose l’AFPC est une déclaration. Il est possible de soutenir que la Commission peut accorder une mesure corrective concrète à la suite de cette plainte.
[82] Enfin, l’AFPC demande également la réintégration des employés dont les contrats ont été résiliés. Je ne sais pas si l’AFPC demande cette mesure corrective pour la violation alléguée de l’art. 106 ou du par. 186(2) de la Loi. Compte tenu de ma conclusion au sujet des 2 500 $ de dommages, je n’ai pas besoin d’aborder cette question à ce stade, et je n’en dirai pas plus à ce sujet.
D. Conclusion sur la question de savoir s’il faut rejeter la plainte pour absence d’objectif de relations de travail
[83] J’ai conclu que la plainte visait un objectif de relations de travail parce que la Commission pourrait ordonner une mesure corrective concrète découlant de la violation alléguée de l’obligation de divulgation non sollicitée. Une telle mesure n’est pas une possibilité à ce point éloignée qu’il n’y ait pas d’objectif de relations de travail sous-jacent à la plainte.
[84] Je tiens à remercier les deux parties pour leurs arguments détaillés sur ces deux questions préliminaires. Bien que ma décision ne tranche pas la plainte, j’espère qu’elle clarifiera néanmoins les questions en litige entre les parties et qu’elle permettra de mieux circonscrire l’audience relative à la présente affaire.
[85] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance suivante :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[86] Les objections préliminaires de l’ARC concernant la plainte fondées sur l’article 106 de la Loi sont rejetées.
[87] La présente plainte fera l’objet d’une audience dans le cadre habituel de la procédure.
Le 23 avril 2024.
Traduction de la CRTESPF
Christopher Rootham,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral