Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu puis licencié avec effet rétroactif au début de la suspension après avoir poussé un collègue et menacé verbalement deux autres personnes – il a déposé un grief contre la suspension et le licenciement au motif que les actions du défendeur étaient infondées et qu’il avait fait l’objet de discrimination fondée sur la race et la couleur – il a également allégué que les employés en cause faisaient partie d’un groupe organisé d’hommes qui le surveillaient et le suivaient en raison d’un intérêt homosexuel marqué envers lui – à l’audience, le fonctionnaire s’estimant lésé a reconnu qu’il avait interagi avec les trois employés, mais a nié la version des événements présentée par le défendeur – la Commission a conclu que le défendeur avait un motif juste et raisonnable de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre du fonctionnaire s’estimant lésé et que le licenciement était justifié – le fonctionnaire s’estimant lésé avait 33 années de service, un bilan positif en matière de rendement au travail et aucun antécédent disciplinaire, mais l’inconduite était grave, il avait refusé de façon répétée et continue de reconnaître ses actes répréhensibles ou de manifester des remords, il a été mensonger dans son exposé de grief et il n’a pas participé à l’enquête sur l’affaire – il n’a pas non plus présenté de preuve médicale qui aurait pu expliquer son comportement – la Commission a également noté que les allégations soulevées par le fonctionnaire s’estimant lésé étaient inhabituelles et qu’elles pouvaient suggérer une certaine forme de déficience en matière de santé mentale, mais aucune preuve de sa santé mentale n’a été présentée et aucun argument n’a été présenté à cet effet – la Commission a également conclu qu’il n’y avait aucune preuve de discrimination.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20240819

Dossiers: 566-02-39913 et 39690

 

Référence: 2024 CRTESPF 116

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Stephen paynter

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Administrateur général

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défenderesse

Répertorié

Paynter c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Alexandra Hobson et Bonnie Pollard, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour la défenderesse : Marc Séguin, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)

du 14 au 17 août 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Au moment de sa suspension administrative pour une période indéterminée et de son licenciement subséquent, Stephen Paynter, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était employé comme chef de projet au groupe et niveau CS-03 dans la section de la Direction générale de l’information, des sciences et de la technologie de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou la « défenderesse »).

[2] Les décisions de la défenderesse de suspendre, puis de licencier le fonctionnaire étaient fondées sur deux incidents qui auraient eu lieu le 22 février 2018. Le premier incident a eu lieu vers 9 h 48 à l’entrée du lieu de travail du fonctionnaire. Ce dernier aurait pris part à une altercation pendant laquelle il aurait poussé un autre employé (Martin Desbiens). Le deuxième incident a eu lieu dans un ascenseur vers 11 h 50, quand le fonctionnaire aurait verbalement menacé deux autres employés (Rami Alqarra et Laurie Walker).

[3] La lettre de licenciement, datée du 30 octobre 2018, indiquait que, dans sa décision, la défenderesse avait tenu compte de tous les facteurs atténuants et aggravants, notamment le dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire, son absence de remords et son défaut de reconnaître la gravité de ses actes. La défenderesse estimait que le licenciement était justifié au motif que le lien de confiance avait été rompu de manière définitive en raison de ces facteurs.

[4] Le fonctionnaire a déposé un grief contestant la suspension le 23 mars 2018 et un grief contestant le licenciement le 1er novembre 2018. Les deux griefs ont été renvoyés à l’arbitrage au début de 2019 et ont été regroupés pour être instruits et tranchés ensemble. Dans ses griefs, le fonctionnaire a soutenu que les actes de la défenderesse n’étaient pas fondés, qu’ils contrevenaient à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada pour le groupe Systèmes d’ordinateurs (CS), qui a expiré le 21 décembre 2018 (la « convention collective »), qu’ils contrevenaient aux Lignes directrices concernant la discipline de la défenderesse et qu’ils constituaient de la discrimination à son égard fondée sur la race et la couleur.

[5] Dans son grief du 23 mars 2018, le fonctionnaire a nié avoir rencontré qui que ce soit le 22 février 2018 tant à son entrée dans l’immeuble que sur son chemin vers le quatrième étage, où il travaillait. Toutefois, à l’audience, il a reconnu qu’il avait interagi avec MM. Desbiens, Alqarra et Walker ce matin-là, mais il a affirmé que la version des événements de la défenderesse était inexacte. Le fonctionnaire a fait valoir que la défenderesse aurait dû tenir compte de ses nombreuses années de service et de ses évaluations de rendement positives en tant que facteurs atténuants. Il a soutenu en outre que la défenderesse n’avait pas tenu compte du contexte des événements, plus particulièrement de ses plaintes de harcèlement sexuel en cours, qui n’étaient toujours pas réglées, contre M. Desbiens et d’autres hommes travaillant à l’ASFC.

[6] La défenderesse a soutenu qu’elle avait un motif valable de licencier le fonctionnaire. Étant donné que le licenciement a été effectué de manière rétroactive à la date à laquelle le fonctionnaire a été suspendu pour la première fois, la défenderesse a déclaré que le grief sur la suspension était théorique. Elle a en outre soutenu que le fonctionnaire n’avait pas établi qu’il avait été victime de discrimination.

[7] Pour les motifs énoncés dans la présente décision, j’ai conclu que les griefs devaient être rejetés.

II. Résumé de la preuve

[8] Sept témoins ont été appelés à témoigner. La défenderesse a cité à comparaître MM. Desbiens, Alqarra et Walker, qui ont tous été directement impliqués dans les incidents du 22 février 2018. La défenderesse a également cité à témoigner Sylvie Gingras, la directrice du fonctionnaire, et Daniel Tremblay, qui était directeur général lorsque les incidents sont survenus, mais qui a depuis pris sa retraite. Le fonctionnaire a témoigné en son propre nom. Il a aussi appelé à témoigner Mme Kerry Kawakami à titre de témoin experte dans le domaine des préjugés implicites fondés sur la race envers les Noirs.

[9] Au cours du témoignage du fonctionnaire, plusieurs allégations ont été formulées concernant d’autres personnes. Ces allégations ne faisaient pas partie des griefs dont je suis saisie, et les personnes touchées n’ont pas été appelées à témoigner et à fournir leur version des événements. Par conséquent, j’ai choisi de ne désigner ces personnes que par leurs initiales.

A. Renseignements généraux

[10] Pendant toute la période visée, le fonctionnaire travaillait comme chef de projet au groupe et niveau CS-03 et était à quelques mois d’avoir cumulé 33 années de service dans la fonction publique fédérale. Il est devenu chef de projet en 1998 au sein d’une autre organisation et s’est joint en 2000 à ce qui s’appelait autrefois l’Agence des douanes et du revenu du Canada, qui a ensuite été intégrée à l’ASFC.

[11] Le fonctionnaire travaillait dans le domaine du développement de logiciels. Il a déclaré que son travail exigeait la réflexion, la créativité, la capacité d’adaptation et la capacité de travailler avec différentes personnes. Il a fourni des exemples de travaux qu’il avait effectués et qui démontraient qu’il possédait ces compétences et a déclaré qu’il avait reçu plusieurs marques de reconnaissance pour son travail, y compris un prix. Il a affirmé qu’il avait démontré tout au long de sa carrière qu’il avait une attitude positive et que, avant d’être licencié, il avait l’intention de travailler pendant encore 10 ans.

[12] Son lieu de travail était situé à la place Vanier, à Ottawa, en Ontario. La place Vanier est composée de trois tours, soit les tours A, B et C. Le fonctionnaire travaillait au quatrième étage de la tour B.

[13] Les incidents survenus le 22 février 2018 concernaient trois personnes. Le premier incident, concernant M. Desbiens, est survenu à l’entrée de la tour B. M. Desbiens est un architecte de solutions de technologies de l’information (TI) de la section de la TI de l’ASFC, et il occupait ce poste au moment de l’incident.

[14] Le deuxième incident, concernant MM. Alqarra et Walker, est survenu dans un ascenseur de la tour B. M. Alqarra est expert-conseil en affaires pour l’ASFC et d’autres ministères, et il occupait ce poste au moment de l’incident. M. Walker occupait un poste d’analyste principal des politiques à l’ASFC au moment de l’incident et il a depuis pris sa retraite.

B. Les événements qui ont mené aux incidents du 22 février 2018

1. Témoignage de M. Desbiens

[15] M. Desbiens a affirmé qu’il ne connaissait pas le fonctionnaire, mais qu’il avait vécu trois incidents mettant en cause le fonctionnaire en janvier 2018. Il a nié avoir rencontré le fonctionnaire avant ce moment-là.

[16] M. Desbiens a déclaré que le premier incident était survenu le 12 janvier 2018. Il a affirmé que, ce jour-là, il y avait eu de la pluie verglaçante. Il a déclaré qu’il était arrivé à son véhicule vers 17 h et que la voiture du fonctionnaire était stationnée en face de la sienne. M. Desbiens a déclaré qu’il était amical et qu’il avait dit au fonctionnaire : [traduction] « Il y a beaucoup de pluie verglaçante; c’est malheureux. » Il a expliqué que le fonctionnaire, en guise de réponse, a commencé à lui crier : [traduction] « Va te faire voir, va te faire voir! » Comme il ne connaissait pas le fonctionnaire, il a simplement cru que ce dernier avait un problème.

[17] M. Desbiens a déclaré que le deuxième incident impliquant le fonctionnaire est survenu le 18 janvier 2018, alors qu’il fumait une cigarette à l’extérieur de l’immeuble. Il a dit qu’il avait vu le fonctionnaire marcher vers l’immeuble et que, pendant qu’il regardait dans la direction du fonctionnaire, celui-ci lui avait fait un doigt d’honneur.

[18] M. Desbiens a déclaré que le troisième incident impliquant le fonctionnaire est survenu le 24 janvier 2018, alors qu’il fumait une cigarette à l’extérieur de l’immeuble pendant son heure de dîner. Il a déclaré qu’il avait vu le fonctionnaire et qu’il lui avait demandé [traduction] « Pourquoi es-tu si en colère contre moi? » et le fonctionnaire avait répondu [traduction] « Parles-en à ton patron. »

[19] M. Desbiens a expliqué qu’il avait signalé ces incidents à ses gestionnaires, Sébastien Petit et Brad Simon. Il a affirmé que, à ce moment-là, l’identité du fonctionnaire était encore inconnue. Il a ajouté qu’il ne connaissait pas le fonctionnaire, ni son nom, ni quoi que ce soit à son sujet.

[20] En contre-interrogatoire, M. Desbiens a affirmé qu’il ignorait le 24 janvier 2018 que le fonctionnaire avait déposé une plainte contre lui la veille.

2. Témoignage de M. Walker

[21] M. Walker a expliqué qu’il ne connaissait pas le fonctionnaire et qu’il n’avait eu aucune interaction avec lui avant l’incident du 22 février 2018. Il a déclaré qu’il avait vu le fonctionnaire à la place Vanier avant ce jour-là, mais qu’il n’avait pas interagi avec lui. Il a expliqué que la place Vanier est située dans une partie d’Ottawa qui compte beaucoup de sans-abri. L’immeuble est ouvert au public et dispose d’une cafétéria dans le hall d’entrée où des sans-abri viennent fréquemment se réchauffer et même dormir. Il a affirmé que, la première fois qu’il avait vu le fonctionnaire, il pensait qu’il s’agissait d’un sans-abri, puisqu’il avait vu le fonctionnaire crier contre un arbre à l’extérieur de l’immeuble. Il a déclaré qu’il avait aussi vu le fonctionnaire qui semblait être dans un état de confusion alors qu’il marchait. Il a affirmé que, un jour, il a été surpris de constater que le fonctionnaire avait un laissez-passer de l’ASFC, ce qui signifiait qu’il s’agissait d’un employé.

[22] M. Walker a affirmé qu’il ne connaissait pas M. Alqarra avant l’incident du 22 février 2018.

3. Témoignage de M. Alqarra

[23] M. Alqarra a déclaré qu’il ne connaissait pas le fonctionnaire avant le 22 février 2018. Il a déclaré qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés et qu’ils n’avaient jamais parlé ni communiqué ensemble auparavant.

[24] En contre-interrogatoire, invité à dire s’il se rappelait avoir déjà vu le fonctionnaire avant le 22 février 2018, M. Alqarra a répondu qu’il l’avait probablement vu dans les environs, mais qu’il n’arrivait pas à s’en souvenir. Il a nié avoir suivi le fonctionnaire avant l’incident. Lorsqu’on lui a demandé s’il connaissait M. Desbiens, M. Alqarra a répondu par la négative. Il n’avait pas entendu parler de M. Desbiens avant d’être interrogé à son sujet à l’audience au cours de son contre-interrogatoire.

[25] M. Alqarra a également affirmé qu’il ne connaissait pas M. Walker avant l’incident du 22 février 2018.

4. Témoignage de Mme Gingras

[26] Mme Gingras a affirmé dans son témoignage que, avant le 22 février 2018, le fonctionnaire lui avait dit être inquiet parce que des hommes le suivaient. Plus précisément, il lui avait dit que son superviseur, E.C., avait fait des gestes inappropriés à son endroit. Elle a déclaré avoir réagi en demandant à E.C. de ne communiquer avec le fonctionnaire que par téléconférence jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution pour régler la situation. Elle a déclaré qu’elle avait également dit au fonctionnaire qu’il pouvait déposer une plainte de harcèlement s’il se sentait menacé, afin que la situation puisse faire l’objet d’une enquête.

[27] Mme Gingras a précisé qu’elle n’avait pas reçu de plainte au sujet de M. Desbiens avant le 22 février 2018. Selon son témoignage, elle n’avait pas entendu parler de M. Desbiens avant cette date.

5. Témoignage du fonctionnaire

[28] Le fonctionnaire a affirmé qu’il ne connaissait ni M. Desbiens, ni M. Alqarra ni M. Walker. Toutefois, il a déclaré qu’il croyait qu’ils l’avaient suivi et surveillé pendant une certaine période antérieure au 22 février 2018. Il a affirmé que M. Desbiens était le chef d’un groupe organisé d’hommes qui le surveillait (appelé par le fonctionnaire et tout au long de la présente décision [traduction] le « réseau »). Il a déclaré que des personnes étaient affectées aux portes pour surveiller ses allées et venues dans l’immeuble et que ses déplacements étaient surveillés.

[29] Le fonctionnaire a affirmé que M. Desbiens avait commencé à l’intercepter au travail et qu’il semblait vouloir avoir un contact visuel avec lui. Il a déclaré que, au début, il l’ignorait, mais, comme M. Desbiens continuait, il avait fait savoir à M. Desbiens qu’il n’était pas intéressé. Il n’a pas précisé la façon dont il avait communiqué son absence d’intérêt. Il a déclaré qu’il avait vu M. Desbiens se déplacer entre divers [traduction] « postes de garde » pour le surveiller.

[30] Le fonctionnaire a déclaré que, le 12 janvier 2018, M. Desbiens était venu le voir à l’endroit où il était stationné. Il a dit que de la pluie verglaçante était tombée ce jour-là et que sa place de stationnement était à une distance de 10 minutes de marche de l’immeuble. Le fonctionnaire a affirmé qu’il se rappelait avoir pensé qu’il avait été trop facile d’obtenir cette place de stationnement ce jour-là. Il désignait cet incident comme le [traduction] « piège du stationnement ». Le fonctionnaire a déclaré que le réseau faisait appel à des gens pour l’intercepter. Il a affirmé que, lorsqu’il était arrivé à son véhicule vers 16 h 30, M. Desbiens était arrivé. Il a déclaré que, quoi que M. Desbiens ait voulu lui dire, il avait simplement indiqué clairement à M. Desbiens qu’il n’était pas intéressé. Le fonctionnaire n’a pas précisé ce que M. Desbiens lui avait réellement dit ni ce qu’il avait lui-même dit ou fait pour lui répondre.

[31] Le fonctionnaire a affirmé que, au moment de l’incident du 12 janvier 2018, ce n’était pas la première fois que M. Desbiens l’interceptait, et qu’il en avait discuté avec sa directrice, Mme Gingras.

[32] Le fonctionnaire a précisé qu’il ne lui avait pas parlé de M. Desbiens en particulier. Il a déclaré qu’il avait porté à son attention d’autres incidents en milieu de travail concernant E.C. et K.C. Il a expliqué que Mme Gingras avait semblé en faire peu de cas et qu’elle lui avait simplement dit de porter plainte pour harcèlement.

[33] Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait suivi les conseils de Mme Gingras et qu’il avait envoyé une plainte au vice-président, Minh Doan, puisqu’il s’agissait de la personne à qui les plaintes de harcèlement devaient être envoyées. Le courriel suivant a été envoyé à M. Doan le 22 janvier 2018, à 13 h 49 :

[Traduction]

Objet : Harcèlement sexuel [d’un homme envers un homme] – [E.C.]

Monsieur,

Conformément à la politique en vigueur et à la politique du Conseil du Trésor sur le harcèlement en milieu de travail, je porte à votre attention l’affaire suivante afin que vous en soyez informé et que vous puissiez prendre des mesures.

Les comportements du gestionnaire de mon équipe, [E.C.], m’ont amené à ressentir une anxiété, une appréhension et un stress énormes pendant mes heures de travail, et même pendant les périodes où je suis absent du bureau.

J’ai fait part de mes préoccupations à ma directrice, Sylvie Gingras, il y a quelques semaines, et le fait que je n’étais plus tenu d’assister à des réunions dirigées par le gestionnaire a entraîné une diminution de mon anxiété et de mon appréhension. Toutefois, je n’ai constaté aucun suivi en temps opportun et je n’ai reçu aucune mise à jour régulière. J’ai informé Mme Gingras de cette situation et je l’ai informée que je devrais déposer une accusation officielle de harcèlement, car il semble s’agir de la seule option permettant de trouver une solution qui fasse diminuer mon anxiété et mon appréhension dans l’avenir.

Bref, après une réunion en particulier, il m’a semblé que [E.C.] me suivait d’une manière qui donnait l’impression qu’il s’intéressait à moi de manière malsaine. Lors de ma réunion individuelle suivante avec lui, j’ai changé de trajet pour sortir et, conformément à mes soupçons, il m’a suivi de façon très claire. Je me suis arrêté au bureau d’un collègue et, plutôt que de partir, il est resté jusqu’à ce que je précise que j’avais une tâche particulière à accomplir, qui m’amenait à rester au bureau du collègue. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a poursuivi son chemin. À partir de ce moment-là, j’ai dû m’attarder dans les salles de conférence après les réunions pour éviter de subir ce comportement troublant de la part d’[E.C.].

Lors d’une autre réunion, [E.C.] est entré et a immédiatement cherché à savoir où je serais assis. J’arrive volontairement aux réunions après son arrivée ou je fais en sorte de m’asseoir entre deux personnes afin qu’il n’y ait aucune possibilité qu’il soit assis à côté de moi. J’ai eu des dizaines d’autres gestionnaires et superviseurs et je n’ai jamais senti le besoin de me préoccuper de l’endroit où je serais assis par rapport à eux. Cela me cause beaucoup d’anxiété et me désole. J’ai eu à déposer une accusation de harcèlement sexuel contre un autre gestionnaire de l’ASFC, donc il s’agit de la première fois que ça m’arrive depuis la plainte précédente.

[E.C.] m’a confié la tâche de mettre à jour la feuille de calcul portant sur l’incidence des mises à jour au CSSD. Je n’étais qu’un intermédiaire entre les principaux intervenants de la section, transmettant leurs mises à jour. Mon rôle était mineur, car je ne m’occupais que du Manifeste électronique et de l’IGU, alors j’étais surpris qu’il propose que nous ayons des réunions tous les deux pour discuter de cette affectation. Il me semblait qu’il aurait été plus approprié que nos discussions aient lieu à la fin des réunions régulières qui traitaient des mises à jour de la section. Il n’existait aucune raison concrète de tenir une réunion individuelle et cela semblait assez suspect. Je n’ai vraiment pas besoin de perdre mon temps pour répondre à ses intérêts qui n’ont rien à voir avec le travail.

À une autre occasion, il y a eu une réunion du comité de direction de la PCED, formé de moi-même, d’un autre chef de projet et d’[E.C.]. J’étais assis à l’extrémité d’un côté de la table de la salle de conférence et j’avais délibérément placé deux chaises entre moi et l’autre bout de la table. [E.C.] est entré et semblait troublé par la disposition de la salle. Il a déplacé furieusement l’une des chaises, puis s’est assis en face de moi, les jambes très écartées, de sorte qu’il ne faisait pas face à l’autre chef de projet. J’ai trouvé sa posture bizarre, et c’était la première fois que j’étais témoin d’une telle chose dans ce contexte. J’ai estimé que ce comportement signalait la recherche d’un rapprochement avec une personne de même sexe [homosexuel]. L’intérêt exprimé était, et est encore aujourd’hui, tout à fait étranger à mon mode de vie. La seule autre fois que j’ai vu un gestionnaire s’intéresser à ma personne, à l’endroit où je m’assoyais et à des interactions individuelles inutiles, c’était un gestionnaire précédent qui avait agi de telle sorte que j’avais porté plainte contre lui pour harcèlement sexuel.

J’avais demandé à relever de Mme Fortin afin d’éviter l’anxiété, la consternation, l’appréhension et le stress que j’éprouvais. Je suis un chef de projet chevronné et très compétent; je ne serais donc pas un fardeau pour les autres gestionnaires. Peut-être pourrais-je relever de Luc Audet? Ce serait un moyen acceptable pour que l’information puisse circuler.

Comme le phénomène du harcèlement sexuel de la part d’un homme envers un autre homme n’est pas rare en ce début de XXIe siècle, comme en témoignent les récents articles de presse, le fait qu’un gestionnaire adopte ce comportement me pose des difficultés en milieu de travail. J’ai au moins quatre entrepreneurs qui s’assoient près de moi et qui me harcèlent. À qui dois-je en parler?

#MOIAUSSI

[…]

 

[34] Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait transmis la plainte à M. Doan, parce qu’il souhaitait exprimer son malaise à l’égard d’E.C. Il a affirmé qu’il avait également par le passé déposé une plainte contre un superviseur qui lui avait dit [traduction] « bonjour mon beau » et lui avait touché l’épaule. Il a déclaré qu’il avait dit au superviseur qu’il ne s’appelait pas [traduction] « mon beau » et qu’il ne voulait pas qu’on le touche. Il a expliqué qu’il avait également déposé un grief à ce sujet parce qu’il ne croyait pas que la situation changerait. Il a déclaré qu’il pensait qu’E.C. devait être au courant de cette situation antérieure. Il a affirmé que, comme E.C. le suivait, il croyait qu’il avait des raisons légitimes de craindre pour sa sécurité. Cependant, Mme Gingras n’a jamais semblé comprendre.

[35] Le fonctionnaire a déclaré qu’un autre incident était survenu avec M. Desbiens. Un jour, alors qu’il traversait la rue, il a vu une voiture patrouiller dans la rue et il a constaté que le conducteur était M. Desbiens. Il a affirmé que, lorsqu’il était sur le point de se stationner, quelqu’un qu’il a qualifié de [traduction] « corrompu » le surveillait. Il a déclaré que M. Desbiens était toujours là en fin d’après-midi lorsqu’il était temps de quitter le bureau. Il a affirmé que, à cette époque, le « réseau » semblait très préoccupé par l’endroit où il se trouvait et où il se stationnait. Il a déclaré que c’est à ce moment-là qu’il a mentionné pour la première fois à M. Doan qu’il estimait faire l’objet d’une surveillance, ce qu’il ressentait chaque fois qu’il quittait son bureau. Il a affirmé que, après avoir commencé à avoir l’impression que des personnes qu’il ne connaissait pas l’interceptaient, il avait décidé de simplement rester à son bureau, afin de leur donner moins d’occasions de l’intercepter. Il a déclaré que c’est le moment où M. Desbiens a jugé qu’il était temps de [traduction] « se salir les mains » et de provoquer le genre d’interaction qu’il recherchait.

[36] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait à nouveau envoyé un courriel à M. Doan le 23 janvier 2018, à 9 h 52, lequel est reproduit ci-dessous :

[Traduction]

Objet : HARCÈLEMENT SEXUEL ET TRAQUE [D’UN HOMME ENVERS UN HOMME] – MARTIN DESBIENS

Monsieur,

Conformément à la politique en vigueur et à la politique du Conseil du Trésor sur le harcèlement en milieu de travail, je porte à votre attention l’affaire suivante afin que vous en soyez informé et que vous puissiez prendre des mesures.

Le vendredi 12 janvier 2018, vers 17 h, j’enlevais la glace de mes fenêtres de voiture sur l’avenue Selkirk lorsqu’un certain Martin Desbiens m’a abordé, car sa voiture était stationnée derrière la mienne. Je connaissais sa voiture, car il avait semblé me traquer dans le passé.

À au moins trois reprises dans le hall des tours de la place Vanier, M. Desbiens a tenté d’établir un contact visuel avec moi pour confirmer son intérêt d’homme envers un homme. J’ai toujours évité ces tentatives et j’ai fait des gestes vulgaires de la main après la première fois pour exprimer mon absence d’intérêt pour les comportements qui semblent l’intéresser. La dernière interaction distante que j’ai eue avec lui s’est produite lorsqu’il semblait m’attendre à l’entrée arrière, celle qui est la plus proche du garage. Je dis qu’il semblait m’attendre là parce que, en m’approchant, je l’ai vu, mais j’ai fini par parler à une ancienne collègue pendant près de 20 minutes et j’ai constaté que M. Desbiens ne partait pas. Il jetait des coups d’œil réguliers vers moi. J’ai fait des gestes vulgaires de la main, encore une fois, pour exprimer mon absence d’intérêt et mon dégoût. À la fin de ma conversation, je me suis retourné et je me suis dirigé vers l’avant de l’immeuble en passant par la plateforme des bennes à déchets, adjacente à la tour C.

Le vendredi en question, alors que M. Desbiens s’approchait de moi, il a fait des bruits de succion et d’aspiration exagérés en simulant la dégustation d’un plat quelconque. Je lui ai donné un avertissement clair et direct en secouant la tête, horrifié et dégoûté. Il a poursuivi son chemin en passant devant moi et j’ai répété mes paroles. Alors que j’ouvrais la porte arrière de ma voiture pour ranger mon balai à neige ou grattoir à glace, il a semblé simuler des mouvements du bassin, puis il s’est penché sur sa voiture et a pointé ses fesses. Je lui ai de nouveau adressé un avertissement clair et direct, je suis entré dans ma voiture et je suis parti.

Je dois également mentionner que je ne connais pas M. Desbiens. Je ne connais son existence que parce qu’il travaille sur un projet qui relève de ma division.

Le lundi 15 janvier 2018, vers 10 h, je partais du Loblaw’s situé sur MacArthur et je traversais l’avenue Washington. J’ai été surpris de voir une voiture familière. Il s’est avéré qu’il s’agissait de M. Desbiens qui patrouillait sur l’avenue Marguerite, à la recherche de ma voiture, ou c’est ce que j’ai cru. Il a dû supposer que j’avais stationné ma voiture dans le stationnement du Loblaw’s parce que, à 12 h 10, [C.R.] me regardait lorsque je suis entré dans ma voiture et que je suis parti. Il était à deux voitures de la mienne et il était simplement debout et regardait ma voiture. À 12 h 30, lorsque je suis entré dans le complexe de la place Vanier par l’entrée faisant face à MacArthur, j’ai vu [M.B.] debout devant l’entrée principale.

Il a appelé mon nom et je lui ai fait signe que je l’avais vu. J’ai trouvé la situation bizarre. Plus tard dans la journée, vers 15 h 35, je marchais le long de MacArthur pour aller déplacer ma voiture de nouveau et [M.B.] est venu à côté de moi et m’a salué. Je ne pensais pas qu’il s’agissait d’une coïncidence, puisque les membres du réseau, qui, comme je le sais, suivent mes mouvements, savent que je sors généralement de l’immeuble à ce moment-là. Une fois que j’ai été dans le Loblaw’s, [M.B.] s’est attardé parce que les membres du réseau ont l’intention de savoir où je stationne ma voiture, car ils semblent troublés de ne pas le savoir. Quoi qu’il en soit, le fait est que M. Desbiens a réussi à faire appel aux membres du réseau pour me surveiller à deux reprises dans les 90 minutes suivant la première fois où j’ai été vu, à 10 h. J’ai également été accueilli par deux « observateurs » lorsque je suis entré dans l’immeuble mardi et mercredi matin [les 16 et 17].

Selon moi, le fait que M. Desbiens réussisse à organiser une telle surveillance dans un délai de 90 minutes, comme le ferait un genre de patron du crime, est la preuve manifeste d’un réseau néfaste qui est en place depuis un certain temps.

Le réseau à l’ASFC et aux tours de la place Vanier a des liens avec un autre réseau ou le même réseau qui exerce des activités ailleurs dans la ville. Je suis terrorisé partout dans la ville et j’ai vu au moins deux directeurs de l’ASFC qui semblent être liés à ce réseau criminel. Je souligne le fait seulement pour démontrer que les agissements de M. Desbiens ne doivent pas être pris à la légère.

#MOIAUSSI

[…]

 

[37] Le fonctionnaire, qui a eu l’occasion d’entendre le témoignage de M. Desbiens, a déclaré qu’il ne croyait pas l’affirmation de M. Desbiens selon laquelle ce dernier ne savait pas, le 24 janvier, que le fonctionnaire avait demandé à M. Doan la veille que M. Desbiens s’abstienne de tout contact avec lui.

[38] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait envoyé un autre courriel à M. Doan le 24 janvier 2018, à 13 h 54, lequel était rédigé en ces mots :

[Traduction]

Objet : OBJET : HARCÈLEMENT SEXUEL ET TRAQUE [D’UN HOMME ENVERS UN HOMME] – MARTIN DESBIENS

Monsieur,

À 12 h 5 aujourd’hui, j’ai été accosté par M. Desbiens juste à l’extérieur de la sortie sur MacArthur. Il semblait faire référence au problème du 12 janvier 2018. Alors que je me tournais vers lui pour lui demander de me laisser tranquille, un de ses hommes de main costauds qui arrivait de l’autre direction s’est dirigé vers nous. Je considère les actes de M. Desbiens comme ceux d’un patron du crime ayant des lieutenants ou des voyous à sa solde, prêts à agir rapidement. Une semaine et demie après le 12 janvier 2018, pourquoi vient-il me déranger? J’ai dit clairement au cours des derniers mois que je n’avais aucun intérêt à changer l’état de notre interaction, c’est-à-dire que je ne veux aucune interaction avec lui, à moins qu’elle ne soit nécessaire dans un contexte de travail. Dois-je communiquer avec la Sécurité au sujet des menaces physiques possibles et de la traque continue? Pourquoi connaît-il mon horaire assez bien pour pouvoir m’attendre, avec les membres de son réseau? À tout le moins, je veux que M. Desbiens reçoive une directive selon laquelle il ne doit pas m’approcher d’aucune façon, directement ou indirectement.

Lorsque je suis retourné dans l’immeuble aujourd’hui, une autre personne costaude m’attendait et a essayé d’entrer dans un ascenseur avec moi. J’ai changé de direction et évité toute situation indésirable, mais que se passe-t-il dans les tours de la place Vanier? Je travaille ici depuis de nombreuses années et je n’ai jamais été traqué. J’ai été victime de harcèlement fondé sur la race, mais c’est une autre histoire.

#MOIAUSSI

[…]

 

[39] Le fonctionnaire a déclaré que le courriel concernait l’événement survenu à la tour B le 24 janvier 2018, à 12 h 5, lorsque M. Desbiens l’a accosté. Il a affirmé que, encore une fois, les membres du réseau connaissaient le moment de son départ et de son arrivée, toutes ses allées et venues. Il a déclaré qu’il était avec une collègue et que M. Desbiens lui avait dit quelque chose, mais qu’il ne savait pas ce qu’il lui avait dit. Il a déclaré qu’il avait simplement répondu à M. Desbiens [traduction] « Écoute, communique avec ta direction ».

[40] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait appris l’identité de la personne qu’il a appelée [traduction] « l’homme de main » de M. Desbiens dans son courriel du 24 janvier 2018 adressé à M. Doan. Il a déclaré qu’il s’agissait de M. Alqarra. Il a affirmé que MM. Desbiens et Alqarra se connaissaient, puisqu’ils le regardaient et parlaient de lui. Il a déclaré que M. Alqarra le suivait au supermarché local Loblaws pour une raison qu’il ignorait.

[41] Lorsqu’il a été interrogé au sujet de son expérience avec M. Alqarra avant le 22 février 2018, le fonctionnaire a répondu qu’il ne le connaissait pas avant de le voir au cours de l’incident impliquant M. Desbiens le 24 janvier 2018. Il a déclaré que M. Alqarra travaillait au deuxième étage et que, tous les jours à 12 h, alors qu’il passait au deuxième étage dans la cage d’escalier, M. Alqarra sortait au moment où le fonctionnaire descendait l’escalier. Il a affirmé que M. Alqarra le suivait également au supermarché Loblaws. Il a déclaré que, lorsqu’il était à l’intérieur du Loblaws, M. Alqarra l’avait regardé, puis, lorsqu’il avait quitté le Loblaws, voyant que M. Alqarra le suivait toujours, il avait emprunté une autre rue. Il a déclaré que, rétrospectivement, les membres du réseau devaient connaître ses allées et venues pour faire ce qu’ils voulaient faire. Il a affirmé que M. Alqarra faisait partie du réseau criminel qui tentait de le rendre fou.

[42] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu que la place Vanier est composée de trois tours de bureaux et que le Loblaws est la seule épicerie à proximité. Il n’était pas d’accord pour dire que la présence de M. Alqarra à cet endroit constituait une coïncidence. Il a déclaré qu’il y avait eu suffisamment d’incidents pour l’amener à croire qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence si M. Alqarra s’y trouvait en même temps que lui. Il a affirmé qu’il était clair à ses yeux qu’on le suivait.

[43] Le fonctionnaire a convenu en contre-interrogatoire que 12 h était le début de l’heure du dîner pour la plupart des gens. Il n’était pas d’accord pour dire que le fait qu’il rencontrait M. Alqarra dans l’escalier à ce moment-là constituait une coïncidence, puisque M. Alqarra sortait au moment où le fonctionnaire atteignait le palier du deuxième étage.

[44] En ce qui concerne le stationnement, le fonctionnaire a convenu en contre-interrogatoire que la place Vanier comptait un nombre limité de places de stationnement, de sorte que certains employés se stationnent au Loblaws. Prié de dire s’il était possible qu’il s’agisse d’une simple coïncidence que d’autres personnes se stationnent au même endroit que lui, le fonctionnaire n’a pas répondu directement.

[45] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire n’était pas d’accord pour dire que l’utilisation de l’expression [traduction] « homme de main » pour décrire M. Alqarra était une affirmation trop forte. Il a déclaré que M. Desbiens avait organisé ses associés. Le fonctionnaire jugeait également que la référence à M. Desbiens en tant que patron du crime dans la mafia était appropriée, puisque le fonctionnaire avait l’impression de devoir filmer tout ce qui lui arrivait, parce qu’il savait que ce qu’on lui faisait vivre était à des fins malveillantes et criminelles. Le fonctionnaire a déclaré que personne ne pouvait le comprendre sans avoir vraiment vécu la même chose. Il a affirmé que, comme le montre la documentation portant sur les gens qui sont traqués, ce n’est qu’une fois qu’on en a été victime qu’on comprend.

[46] Lorsqu’il a été interrogé au sujet des interactions qu’il avait eues avec M. Walker avant le 22 février 2018, le fonctionnaire a répondu qu’il était entré dans l’ascenseur en même temps que lui une fois. Il a déclaré que la seule raison pour laquelle il l’avait remarqué était que M. Walker était devenu très rouge une fois que le fonctionnaire était entré dans l’ascenseur. Il a affirmé que, avec du recul, M. Walker avait un air coupable, comme s’il avait été pris la main dans le sac.

[47] Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait échangé des courriels avec M. Doan les 9, 12 et 13 février 2018.

[48] Le 9 février 2018, le fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à M. Doan à 10 h 9 :

[Traduction]

Objet : HARCÈLEMENT SEXUEL, TRAQUE ET INTIMIDATION – [D.S.]; [I.M.]; RÉSEAU CRIMINEL DE L’ASFC

Monsieur,

Je croyais qu’il y avait eu diminution de l’intimidation et du harcèlement sexuel incessants que je subis depuis plus de deux ans à l’ASFC, mais j’ai plutôt vu une forte hausse des activités malveillantes du mercredi à 17 h au jeudi 8 février 2018, à 17 h.

J’ai rejeté les avances sexuelles de [D.S.] et d’[I.M.] au cours des six derniers mois et, compte tenu des mesures prises récemment par l’ASFC, je croyais qu’il n’y aurait pas d’autres attaques ni même le moindre signe de comportement malveillant de la part du personnel, des employés ou des entrepreneurs de l’ASFC.

Bien au contraire, lors d’une réunion comptant au moins 15 personnes, [D.S.] a tenté de venir s’asseoir à côté de moi. Je me suis retourné et j’ai constaté que c’était lui qui avait brusquement pris place à côté de moi. Il a rougi, et je me suis déplacé vers une table adjacente à la table principale de la salle de conférence. Je croyais que l’ASFC avait donné amplement d’avertissements aux membres de ce que j’appellerai le « réseau criminel » selon lesquels je ne voulais pas me faire harceler par des hommes ayant quelque intention homosexuelle que ce soit. Au-delà de cela, je n’accepterais jamais de m’associer à des personnes participant au genre de comportement de gang dont j’ai dû être témoin ou victime en contexte de travail aux tours de la place Vanier ou à l’ASFC. Je veux que des mesures soient prises pour que [D.S.] ne m’approche pas au cours de réunions futures.

[C.M.] complotait auparavant pour essayer d’interagir avec moi, mais son comportement semblait avoir changé lorsque je l’ai vu hier. Je suppose qu’il a écouté les directives qu’il a reçues de son employeur, soit l’ASFC.

Hier à 17 h alors que je quittais mon bureau à cloisons et que je tournais le coin pour prendre le couloir, j’ai été accosté par [I.M.], un entrepreneur de la section. Il m’avait entendu me préparer à partir et s’était placé à environ 20 pieds du coin en question. Il avait la main sur son entrejambe et faisait ce qui semblait être des mouvements du bassin et sortait la langue de sa bouche en marchant vers moi. Encore une fois, j’ai repoussé sa tentative grotesque comme je l’avais fait à trois reprises auparavant. Le fait qu’il ne semble pas hésiter du tout à faire fi des directives de l’ASFC est assez troublant.

Je ne comprends vraiment pas pourquoi je devrais avoir la patience de Job face à toutes ces provocations flagrantes. Ces personnes ne prennent-elles pas l’ASFC au sérieux ou ont-elles réellement été sanctionnées par l’organisation?

Pour couronner le tout, mercredi à 17 h 40, alors que je déblayais ma voiture dans le stationnement du Loblaw’s, il m’a semblé qu’une voiture était en attente et que quelqu’un me regardait déblayer ma voiture. J’étais dans la partie la moins occupée de la zone de stationnement. Pendant que je me dirigeais vers la maison, j’ai eu l’impression d’être suivi et j’ai dû modifier mon itinéraire. J’ai vu une voiture devant moi qui semblait « attendre » que la circulation la rattrape. Tout cela pour dire que si le « réseau criminel » qui sévit à l’ASFC a l’intention de me traquer au point de prendre des mesures « folles », je devrai évidemment faire appel au service de police d’Ottawa. Quoi qu’il en soit, pourquoi devrais-je sentir la nécessité de porter une caméra corporelle ou d’avoir une caméra-témoin ou d’installer des caméras vidéo de surveillance partout à l’extérieur de ma maison? Est-ce là le genre de vie que l’ASFC me permet d’avoir?

L’autre jour, j’ai regardé un bulletin de nouvelles où il était question de quelqu’un qui avait été lynché dans un pays lointain. L’histoire m’a fait penser à ma situation et je me suis demandé si les choses étaient prises suffisamment au sérieux. Je suis un homme noir hétérosexuel qui est harcelé par un gang composé principalement d’hommes blancs. L’histoire de l’Amérique du Nord, y compris celle du Canada, nous a montré ce qui pouvait arriver quand des gangs d’hommes blancs s’en prennent à des hommes noirs seuls. Personne d’autre ne semble être traqué et harcelé comme moi. Tout le monde sait que les foules ou les meutes de chiens sauvages ou domestiqués peuvent « se retourner » en un instant. Pourquoi est-ce que je fais l’objet de lynchages quotidiens « virtuels » et de scénarios dignes de « viols en prison »? Je demande : pourquoi? C’est au-delà du ridicule… au-delà du déraisonnable… au-delà des mots, d’ailleurs. L’ASFC atteindra-t-elle le niveau d’un « employeur de choix » ou restera-t-elle dans les bas-fonds en continuant d’afficher un rendement ou un comportement qui s’apparente à ceux de l’administration Trump?

#MOIAUSSI

[…]

 

[49] Le 12 février 2018, à 16 h 1, M. Doan a envoyé la réponse suivante au fonctionnaire par courriel :

[Traduction]

Objet : RE : HARCÈLEMENT SEXUEL, TRAQUE ET INTIMIDATION – [D.S.]; [I.M.]; RÉSEAU CRIMINEL DE L’ASFC

Bonjour Stephen,

Merci de m’avoir fait part de ces renseignements. Le présent courriel sert d’accusé de réception de vos plaintes de harcèlement.

Un processus officiel est amorcé lorsqu’un employé dépose une plainte de harcèlement. La personne ayant le pouvoir délégué communiquera avec vous au sujet des prochaines étapes.

[…]

 

[50] Le 13 février 2018 à 10 h 30, le fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à M. Doan :

[Traduction]

Objet : RE : HARCÈLEMENT SEXUEL, TRAQUE ET INTIMIDATION – [D.S.]; [I.M.]; RÉSEAU CRIMINEL DE L’ASFC

Bonjour Minh,

Merci de la mise à jour.

Je voudrais que ce qui suit soit ajouté au dossier global, parce que je crois que tous les incidents semblent découler de la première plainte de harcèlement que j’ai déposée à la fin de 2015. Aucun des comportements dont j’ai été victime par la suite n’était aléatoire. Je crois qu’il y a eu un genre de sabotage malveillant. L’article qui suit décrit ce qui pourrait être la source du paradigme sous-jacent au harcèlement.

https://www.wired.com/2017/01/grinder-lawsuit-spoofed-accounts/

[…]

 

[51] Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait écrit ces courriels pour signaler qu’il existait des problèmes en milieu de travail et qu’il n’avait reçu aucun soutien ni aucune rétroaction à leur égard. Il a déclaré qu’il devait se résoudre à rester à son bureau et à rédiger des lettres au vice-président au sujet du harcèlement sexuel dont il avait été victime de la part de deux personnes qui étaient installées près de lui. Il a affirmé qu’il s’agit de la raison pour laquelle il a parlé d’un genre de désinformation sur les médias sociaux.

[52] Le fonctionnaire a déclaré qu’il estimait également qu’il était possible qu’il ait été suivi jusque chez lui et qu’il devait emprunter d’autres itinéraires pour s’échapper. Il a affirmé qu’il avait dû faire installer des caméras de sécurité sur sa maison. Il a déclaré qu’il avait éprouvait de la terreur depuis sa petite enfance, qu’il avait passée à Montréal, au Québec, en tant que seul Noir de son école, à l’exception de ses sœurs. Il a déclaré qu’il lisait le journal et voyait des reportages de personnes noires seules agressées par des groupes d’hommes blancs. Il a affirmé que c’est pourquoi il se sentait terrifié. Il a déclaré qu’il avait peur, mais que Mme Gingras et M. Doan ne le prenaient pas au sérieux. Il avait l’impression d’avoir été laissé pour compte. Il a affirmé qu’il soupçonnait que la direction était derrière tous ces incidents. Il a déclaré qu’il avait tellement peur qu’il a dit à sa sœur que si quelque chose lui arrivait, il lui faudrait ne rien prendre au pied de la lettre. Il a déclaré que, lorsqu’il parlait de la traque par un gang d’hommes blancs, il voulait dire que l’histoire est claire à cet égard, et qu’il n’invente rien.

[53] Le fonctionnaire a affirmé que M. Doan lui avait répondu par un message qui semblait presque être une lettre type, mais qu’il se serait attendu à ce que quelqu’un s’occupe des questions qu’il avait soulevées.

C. Le premier incident du 22 février 2018

1. Témoignage de M. Desbiens

[54] M. Desbiens a déclaré que, le 22 février 2018, il était arrivé au travail et, en stationnant sa voiture, il avait regardé dans son rétroviseur et avait vu le fonctionnaire lui faire à nouveau un doigt d’honneur.

[55] M. Desbiens a affirmé qu’il commençait à en avoir assez du comportement agressif du fonctionnaire envers lui et qu’il voulait savoir pourquoi le fonctionnaire était si en colère contre lui. Il a déclaré que, lorsqu’il avait vu le fonctionnaire à l’entrée de l’immeuble ce matin-là, il avait décidé de l’aborder et de lui demander : [traduction] « Que se passe-t-il? Pourquoi es-tu en colère contre moi? » Il a dit que, à ce moment-là, le fonctionnaire l’avait poussé sur la poitrine, ce qui l’avait pris par surprise. Il a déclaré que le fonctionnaire avait commencé à crier contre lui, quelque chose comme [traduction] « Va te faire voir! ». M. Desbiens a affirmé qu’il avait reculé et qu’il avait levé les mains devant sa poitrine et dit au fonctionnaire [traduction] « Calme-toi, calme-toi ». Il a montré la position de ses bras, c’est-à-dire les mains placées près de la poitrine et les coudes à côté des hanches, dans un geste montrant qu’il renonçait à poursuivre l’altercation.

[56] M. Desbiens a décrit le fonctionnaire comme étant vraiment furieux. Prié de préciser sa pensée, M. Desbiens a expliqué que c’est ce qu’il avait déduit de l’intensité du comportement du fonctionnaire, de la force de ses paroles et du volume de sa voix. M. Desbiens a déclaré que le fonctionnaire avait crié assez fort pour que les commissionnaires assis au bureau de la sécurité se retournent pour les regarder et se lèvent pour voir ce qui se passait. Il a expliqué qu’il y a une cafétéria adjacente au hall, séparée par une fenêtre, et que tout le monde dans la cafétéria s’était également retourné pour voir ce qui se passait. Il a décrit la situation comme inimaginable.

[57] M. Desbiens a dit qu’il se sentait abasourdi. Il a affirmé qu’il était surpris et qu’il ne s’attendait pas du tout à une telle réaction de la part du fonctionnaire. Il a dit qu’il n’avait pas été blessé physiquement au cours de cet incident.

[58] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait abordé le fonctionnaire, M. Desbiens a répondu que, honnêtement, il se sentait [traduction] « un peu contrarié » parce que le fonctionnaire venait de lui faire un doigt d’honneur dans le stationnement, et qu’il voulait savoir pourquoi le fonctionnaire le traitait de la sorte et pourquoi il était si en colère contre lui.

[59] On a montré à M. Desbiens une vidéo, et il a affirmé que celle-ci montrait l’incident qui s’était produit entre lui et le fonctionnaire le 22 février 2018.

[60] La vidéo montre une entrée comportant deux portes vitrées, comme c’est souvent le cas dans les immeubles de bureaux. La première porte mène de la rue à l’immeuble, tandis que la deuxième porte donne accès au hall principal de l’immeuble.

[61] La vidéo montre le fonctionnaire s’approchant de l’immeuble à 9 h 48, un sac d’épicerie en plastique à la main. Peu après, on voit M. Desbiens dans le hall de l’immeuble qui se dirige rapidement vers le fonctionnaire. Le fonctionnaire entre par la première porte qui donne sur la rue, et M. Desbiens ouvre la deuxième porte à partir du hall pour aller dans l’entrée. On voit qu’il s’adresse au fonctionnaire, qui pousse immédiatement M. Desbiens deux fois, les deux mains sur la poitrine de M. Desbiens. Sous l’effet de la poussée, M. Desbiens trébuche vers l’arrière et se retrouve dans le hall, la porte étant toujours ouverte. M. Desbiens a les mains ouvertes de chaque côté de sa poitrine, dans un geste montrant qu’il renonce à poursuivre la discussion. Le fonctionnaire poursuit son chemin et passe par la deuxième porte pour entrer dans l’immeuble, tandis que M. Desbiens marche à reculons. On voit le fonctionnaire se retourner et parler à M. Desbiens et lui pointer son index au visage. Il dépasse M. Desbiens, qui le suit et lui parle. Les gestes de la main de M. Desbiens concordent avec ceux d’une personne qui pose une question, en ouvrant les bras de chaque côté de son corps, les paumes faisant face vers le haut. Le fonctionnaire s’arrête, se retourne et dit quelque chose à M. Desbiens, pointant son index au visage de M. Desbiens, puis sa propre poitrine. Le fonctionnaire pousse ensuite ses hanches vers M. Desbiens, puis se retourne et continue de marcher. On voit ensuite M. Desbiens qui regarde de chaque côté, puis qui marche dans la même direction que le fonctionnaire. Les deux disparaissent de l’écran à ce moment-là.

[62] M. Desbiens a affirmé qu’il avait immédiatement signalé la situation à ses gestionnaires, MM. Petit et Simon. Il a déclaré qu’il les avait également informés auparavant des trois autres incidents qui étaient survenus. Il a affirmé qu’il ne savait toujours pas si le fonctionnaire travaillait dans l’immeuble, étant donné que la cafétéria est ouverte au public; toutefois, il estimait qu’il serait très inquiétant pour son employeur si le fonctionnaire était effectivement un employé. Il a expliqué qu’il soupçonnait que le fonctionnaire était peut-être un employé après l’incident au cours duquel le fonctionnaire lui avait dit de parler à son gestionnaire, puisque cela laissait entendre que le fonctionnaire pouvait être un employé. M. Desbiens a déclaré qu’il lui avait été confirmé seulement ce matin-là que le fonctionnaire était un employé de l’ASFC.

[63] M. Desbiens a déclaré que ses gestionnaires lui avaient dit de s’adresser à l’équipe de la sécurité pour signaler l’incident. Il a affirmé que, lorsqu’il était arrivé dans les locaux de l’équipe de la sécurité, les personnes présentes étaient déjà au courant de la situation, puisqu’elles avaient entendu les cris dans le hall plus tôt. M. Desbiens a dit qu’il s’était entretenu avec elles pour préparer un rapport d’incident de sécurité. Le rapport fournissait les renseignements suivants sur l’incident du 22 février 2018 :

[Traduction]

[…]

Le vendredi 12 janvier 2018, pendant que je me rendais à ma voiture, j’ai amorcé une conversation sur la météo (qui était vraiment mauvaise ce jour-là) avec une personne qui s’était stationnée juste devant moi et qui déblayait la glace de sa voiture. Cet homme a commencé à me dire [va te faire voir, va te faire voir] à maintes reprises et à me pointer du doigt en se comportant comme s’il était très furieux. Je n’ai pas communiqué davantage avec lui, car je me suis dit qu’il devait en quelque sorte avoir l’esprit dérangé. Je ne voulais pas mettre de l’huile sur le feu, alors je suis arrivé à ma voiture et il a fini par arrêter de me crier ces insultes. À l’époque, je ne pensais pas qu’il travaillait dans notre immeuble, et je pensais qu’il s’agissait d’une personne qui avait des problèmes.

Le jeudi 18 janvier 2018, alors que je fumais juste à l’extérieur de la tour A de la place Vanier, j’ai entendu un cri, alors j’ai regardé dans la direction d’où provenait le cri et j’ai vu le même homme qui était sur le point d’entrer dans notre immeuble et qui m’a fait un doigt d’honneur.

Le 24 janvier 2018, alors que je fumais à l’extérieur de la tour B de la place Vanier, j’ai vu le même homme accompagné d’une femme sortir de la tour B de la place Vanier, alors je lui ai demandé ce qui se passait, pourquoi il était si grossier avec moi; je lui ai dit que je ne le connaissais pas, mais je voulais savoir pourquoi il se comportait ainsi avec moi. L’homme a continué son chemin et m’a dit de m’adresser à mon gestionnaire.

Le jeudi 22 février, j’ai vu le même homme dans l’entrée principale des tours de la place Vanier, alors j’ai à nouveau essayé de lui demander pourquoi il était si en colère contre moi, mais il a commencé à crier très fort (tout le monde dans le hall l’a entendu) pour me dire de m’écarter, puis il m’a poussé; il semblait être très furieux.

Je ne connais pas cet homme. Je n’ai jamais travaillé avec lui. En raison de la gratuité de ses actes et du fait que je ne sais absolument pas pourquoi il est si en colère contre moi, j’ai estimé que, s’il avait eu ce type de comportement avec moi sans raison, il pourrait le faire aussi à d’autres personnes; donc pour le bien de l’Agence, j’ai décidé de signaler les agissements de cette personne.

[…]

 

[64] M. Desbiens a déclaré qu’il n’avait jamais revu le fonctionnaire après cet incident.

[65] Pendant le contre-interrogatoire, un rapport d’enquête daté du 16 août 2018 et rédigé par Thomas J. Torosian a été montré à M. Desbiens. Ce dernier a confirmé qu’il avait participé à l’enquête de M. Torosian sur les incidents. Le rapport indiquait que M. Desbiens avait été interrogé le 17 avril 2018 et présentait le contenu suivant :

[Traduction]

[…]

a) Le 12 janvier 2018, M. DESBIENS a amorcé une conversation générale ou un simple bavardage au sujet de la météo alors que M. PAYNTER déblayait la neige de son véhicule. M. PAYNTER a commencé à crier « [Va te faire voir, va te faire voir] » et a fait le « doigt d’honneur » à M. DESBIENS. M. DESBIENS ne connaissait pas M. PAYNTER et ne savait pas qu’il s’agissait d’un employé de l’ASFC;

b) Le 18 janvier 2018, M. DESBIENS fumait seul à l’extérieur de la tour A. M. DESBIENS a entendu quelqu’un crier pour attirer son attention, et M. PAYNTER a alors à nouveau fait le « doigt d’honneur » à M. DESBIENS. M. DESBIENS ne savait pas si M. PAYNTER était un employé ou non, car il entrait dans l’aire publique de l’immeuble. M. DESBIENS l’a signalé à son gestionnaire (PETIT, Sebastien), car il soupçonnait qu’il était possible que M. PAYNTER soit un employé de l’ASFC;

c) Le 24 janvier 2018, M. DESBIENS fumait seul à l’extérieur de la tour B. M. DESBIENS a vu M. PAYNTER accompagné d’une femme. M. DESBIENS a abordé M. PAYNTER de manière calme et lui a demandé pourquoi il était si en colère contre lui, car il ne savait même pas qui M. PAYNTER était et lui a demandé s’il avait fait quelque chose qui lui avait déplu. M. PAYNTER lui a de nouveau fait le « doigt d’honneur ». M. PAYNTER a ensuite déclaré : « Je ne veux pas te parler – parle à ton gestionnaire » et il est parti. M. DESBIENS a discuté de nouveau avec son gestionnaire, car il croyait maintenant qu’il s’agissait d’un employé, puisque M. PAYNTER lui avait dit de communiquer avec son gestionnaire;

d) Le 22 février 2018, M. DESBIENS était à la cafétéria et a vu M. PAYNTER approcher de la porte d’entrée principale des tours de la place Vanier. M. DESBIENS a décidé qu’il allait tirer les choses au clair avec M. PAYNTER en ce qui concerne les trois incidents antérieurs et lui demander pourquoi il était si en colère contre lui;

e) Le 22 février 2018, vers 9 h 48 HNE, la séquence vidéo du système de télévision à circuit fermé (TVCF) montre M. DESBIENS qui approche de l’entrée principale (de la cafétéria et des portes vitrées situées près du bureau des commissionnaires) et M. PAYNTER qui approche de l’immeuble à l’extérieur. M. PAYNTER entre par la première porte extérieure et se rend à la deuxième porte intérieure. M. DESBIENS ouvre la porte intérieure rapidement et s’arrête devant M. PAYNTER. M. DESBIENS demande à nouveau à M. PAYNTER ce qu’il a fait pour rendre M. PAYNTER si en colère contre lui. On voit M. PAYNTER pousser M. DESBIENS sur la poitrine avec les deux mains et M. DESBIENS qui est repoussé dans le cadre de la porte. M. PAYNTER pousse M. DESBIENS sur la poitrine avec les deux mains pour une deuxième fois, ce qui fait reculer M. DESBIENS par la porte dans le hall. M. DESBIENS a les deux mains levées avec les paumes faisant face à M. PAYNTER, dans un geste montrant qu’il renonce à poursuivre la discussion. M. PAYNTER commence à crier contre M. DESBIENS pour lui dire « Écarte-toi de mon chemin! ». Le TVCF montre aussi M. PAYNTER interagissant avec M. DESBIENS, puis M. PAYNTER pousse ses hanches ou son bassin dans un mouvement avant vers M. DESBIENS, alors que M. DESBIENS se tient debout;

f) M. DESBIENS a signalé ce nouvel incident à son gestionnaire. M. DESBIENS a ensuite participé à une réunion au 4étage de la tour B et était abasourdi par ce qui venait de se produire. M. DESBIENS a dit à ceux qui étaient présents ce qui venait de survenir. Les autres personnes ont fourni une description et ont demandé s’il s’agissait de la personne avec qui M. DESBIENS venait d’avoir l’interaction. M. DESBIENS l’a confirmé. Les autres personnes ont indiqué qu’il (M. PAYNTER) travaillait au 4e étage. M. DESBIENS a ensuite soumis un rapport d’incident de sécurité décrivant les quatre incidents décrits ci-dessus;

g) (*REMARQUE – M. DESBIENS a affirmé au cours de son entrevue qu’il avait reçu par messagerie des documents de l’ASFC contenant trois lettres de plainte dans lesquelles M. PAYNTER l’accusait d’être un « chef de gang » et un « patron du crime » et d’avoir un réseau relativement à une autre enquête en cours. Le rédacteur n’avait pas et n’a toujours pas connaissance de cette enquête.)

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[66] En contre-interrogatoire, M. Desbiens a affirmé que, lorsqu’il avait abordé le fonctionnaire le 22 février 2018, il ne savait pas que ce dernier avait déposé des plaintes contre lui ni qu’il avait demandé à ce que M. Desbiens n’entre pas en contact avec lui. Il a déclaré qu’il n’en avait été informé qu’après le 22 février 2018, probablement en mars. M. Desbiens a affirmé qu’il avait appris que le fonctionnaire avait déposé trois plaintes contre lui auprès du vice-président. Il a déclaré qu’il ne se souvenait pas des détails relatifs aux plaintes du fonctionnaire, mais qu’il se souvenait qu’il avait été abasourdi et qu’il n’arrivait pas à le croire. Il a déclaré que ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a compris pourquoi le fonctionnaire était en colère contre lui. M. Desbiens a affirmé qu’il ne connaissait pas le fonctionnaire, qu’il n’avait eu aucune relation avec lui auparavant, mais que, dans les plaintes, il était qualifié de pire que Harvey Weinstein et désigné comme chef de la mafia. M. Desbiens a déclaré que les plaintes étaient absurdes.

[67] M. Desbiens a déclaré que la défenderesse avait embauché une enquêteuse externe, Deborah Jelly, pour enquêter sur les plaintes que le fonctionnaire avait déposées contre lui. Il a expliqué qu’elle l’avait interrogé au cours de l’été suivant l’incident, probablement entre mai et août de cette année-là. M. Desbiens n’a pas pris connaissance du rapport d’enquête de Mme Jelly ni n’a été prié de confirmer qu’elle avait bien saisi les renseignements qu’il lui avait communiqués.

2. Témoignage du fonctionnaire

[68] Le fonctionnaire a été invité à décrire le premier incident qui est survenu le 22 février 2018. Il a déclaré que, en raison de sa situation triste et malheureuse, selon son protocole habituel, il se stationnait à 20 minutes de marche de l’immeuble, plutôt qu’à 10 minutes, comme tout le monde le faisait, afin de ne pas être intercepté. Il a déclaré que, le 22 février 2018, il avait un achat à faire pour son père âgé, de sorte qu’il s’était stationné près de l’immeuble. Il a affirmé qu’il avait vu M. Desbiens patrouiller autour de l’immeuble, à sa recherche. Le fonctionnaire avait stationné sa voiture et il se rendait à l’immeuble à pied. Il a affirmé qu’il pouvait voir M. Desbiens le suivre avec sa voiture. Il a déclaré qu’il s’était dirigé vers la rampe jusqu’à la zone extérieure. Toutefois, c’est à ce moment-là qu’il avait vu un associé de M. Desbiens à la porte, alors il s’était demandé ce qu’il devait faire ensuite. Il a déclaré qu’il ne voulait pas de confrontation; il avait donc changé de direction pour se rendre aux portes principales et avait cru voir quelqu’un à la porte, mais il n’y avait personne.

[69] Le fonctionnaire a affirmé qu’il était presque rendu aux portes du hall à côté du bureau de la sécurité et de la cafétéria. Il a dit que, à ce moment-là, il se sentait vraiment bien, puisqu’il n’était qu’à deux ou trois pas du dépanneur. Il a déclaré que c’est à ce moment-là que M. Desbiens l’avait abordé en criant. Il a affirmé qu’il était très surpris et qu’il avait très peur. Il a déclaré qu’il tenait un sac lourd et qu’il avait complètement figé. Il a affirmé qu’il avait trébuché, et il croyait donc que cela pouvait peut-être avoir été perçu comme une poussée. Il avait ensuite avancé, et cela avait peut-être pu être perçu comme une deuxième poussée.

[70] Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était rendu à son bureau en passant par le dépanneur parce que cette zone était moins fréquentée. Il a déclaré qu’il souhaitait éviter le hall en raison de la confrontation prévue avec l’associé de M. Desbiens. Il a affirmé qu’il s’était rendu à son bureau et qu’il avait envoyé un courriel à M. Doan pour l’informer qu’il avait été abordé par M. Desbiens à 9 h 5. Il a déclaré qu’il avait envoyé le courriel suivant à 9 h 39 :

[Traduction]

Objet : OBJET : HARCÈLEMENT SEXUEL ET TRAQUE [D’UN HOMME ENVERS UN HOMME] – MARTIN DESBIENS

Monsieur,

Une fois de plus, j’ai été abordé par M. Desbiens lorsque je suis entré dans l’immeuble à 9 h 5. La situation était grave au point où, lorsque je marchais sur l’avenue Carlotta après avoir stationné ma voiture, j’ai été suivi par M. Desbiens dans sa voiture. J’ai traversé le chemin North River afin de pouvoir me rendre à l’entrée principale, car je souhaitais éviter les harceleurs criminels habituels à l’entrée MacArthur. Alors que je marchais dans la rue, j’ai vu quelqu’un qui attendait à l’entrée MacArthur. Il s’agissait manifestement d’un des hommes de main de M. Desbiens.

Le processus de harcèlement est clair. Il s’agit simplement de l’expliquer à M. Desbiens. Je croyais que cela avait déjà été fait. Je croyais aussi que, après ce qui s’est produit la dernière fois qu’il m’a abordé, on lui aurait dit de ne pas m’approcher. C’est donc le désordre total à l’ASFC aux tours de la place Vanier. Pourquoi des parfaits étrangers souhaitent-ils m’intimider? La question principale est qu’on leur a dit d’arrêter, mais ils n’ont pas arrêté. Ce cas est probablement pire que le cas de harcèlement sexuel de la GRC. De toute évidence, M. Desbiens, en tant que patron du crime qu’il semble être, estime qu’il est à la tête de cet asile.

Qu’est-ce qu’il a à cacher? Pourquoi ne peut-il pas assumer la responsabilité de son comportement?

Quand l’ASFC s’affirmera-t-elle pour mettre fin à ces réseaux criminels?

Aujourd’hui, nous avons une preuve claire que je suis surveillé dès que j’arrive dans un rayon d’au moins deux pâtés de maisons. Il y a un réseau de la pègre dont les membres surveillent les entrées pour me faire Dieu sait quoi.

M. Desbiens m’a traqué pendant des mois et m’a « affronté » à deux reprises au cours des dernières semaines. C’est un homme costaud et il a évidemment essayé de m’intimider à ces deux reprises. Quand est-ce que ce foutoir prendra fin? Il fait passer Harvey Weinstein pour un simple vaurien.

#MOIAUSSI

[…]

 

[71] Le courriel susmentionné a été déposé en preuve à l’audience, à titre d’élément d’une pièce contenant une série de courriels. Il a été constaté à partir de cette pièce que le fonctionnaire avait également envoyé un message vide à M. Doan à 8 h 41, comportant la même ligne de sujet que le message de 9 h 39. Le fonctionnaire n’a rien dit à ce propos au cours de son témoignage et n’a pas été interrogé à ce sujet non plus.

[72] Le fonctionnaire a déclaré que le message envoyé à M. Doan à 9 h 39 était un récit ponctuel des événements et qu’il était dans son bureau lorsqu’il l’a rédigé. Le fonctionnaire a affirmé que, encore une fois, il s’agissait de l’indication de l’existence d’un réseau coordonné.

[73] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a été invité à décrire les événements plus en détail. Il a déclaré que M. Desbiens était arrivé par derrière. Il a ajouté que M. Desbiens l’avait approché violemment par derrière et lui avait crié après. Il a déclaré qu’il s’était retourné en réaction au bruit et qu’il avait trébuché en raison d’un état de choc. À la question de savoir comment il avait trébuché, il a répété qu’il était en état de choc et qu’il s’était retourné en réaction au bruit. Il a déclaré que, en conséquence, il y avait peut-être eu un mouvement exagéré, de sorte que, pour revenir à l’équilibre normal, il avait peut-être aussi fait une rotation excessive. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de la vidéo et du fait qu’elle ne correspondait pas à sa description des événements, le fonctionnaire a évoqué l’heure sur la vidéo, qui montrait que l’incident était survenu à 9 h 49. Il a déclaré qu’il avait envoyé un courriel à M. Doan à 9 h 39, de sorte qu’il n’aurait pas eu assez de temps pour partir et revenir. Il a demandé comment il pourrait être possible qu’il ait été là à 9 h 48. Il a affirmé que l’incident qui concernait M. Desbiens et lui était survenu à 9 h 5 et que ce n’était pas celui qui est montré sur la vidéo. Il a affirmé que la vidéo invoquée par la défenderesse était hypertruquée.

[74] Le fonctionnaire a déclaré que Mme Jelly avait enquêté sur ses plaintes de harcèlement contre M. Desbiens et E.C. Il ne se rappelait pas à quel moment il avait été interrogé, mais il croyait que c’était peut-être en octobre de la même année. Il a été invité à désigner les rapports d’enquête définitifs de Mme Jelly datés de mars 2019 et il a confirmé qu’il en avait reçu des copies.

[75] Selon les rapports d’enquête de Mme Jelly, les motifs de l’enquête étaient fondés sur le contenu des courriels du fonctionnaire à M. Doan, ce qui incluait les allégations qu’il avait formulées contre M. Desbiens dans son courriel du 22 février 2018 envoyé à M. Doan.

[76] Les rapports d’enquête indiquaient que le fonctionnaire avait été interrogé, mais qu’il n’avait pas répondu aux demandes de Mme Jelly d’approuver son résumé de l’entrevue. La partie du rapport qui faisait référence à sa plainte du 22 février 2018 contre M. Desbiens était la suivante :

[Traduction]

[…]

ALLÉGATION CINQ

Le plaignant, M. Stephen Paynter, soutient avoir été harcelé par l’intimé, M. Martin Desbiens. Il affirme ce qui suit : « […] j’ai été abordé par M. Desbiens […] j’ai été suivi par M. Desbiens dans sa voiture […] M. Desbiens m’a traqué pendant des mois et m’a « affronté » à deux (2) reprises au cours des dernières semaines […] »

RENSEIGNEMENTS DISPONIBLES AUX FINS D’ANALYSE

PLAIGNANT – STEPHEN PAYNTER

Les déclarations ci-dessous ont été transcrites à partir de l’entrevue que l’enquêteuse a menée avec M. Paynter. Toutefois, M. Paynter n’a pas répondu aux demandes d’approbation et, par conséquent, les déclarations sont présentées ici en italique pour représenter ses notes d’entrevue non approuvées :

1. « M. Paynter a dit qu’il a été une fois de plus abordé par M. Desbiens lorsqu’il est entré dans l’immeuble à 9 h 5 le 22 février 2018. M. Paynter a dit que, ce matin-là, alors qu’il marchait sur l’avenue Carlotta après avoir stationné sa voiture, il a été suivi par M. Desbiens, qui circulait dans sa voiture.

2. M. Paynter a dit qu’il a traversé le chemin North River pour se rendre à l’entrée principale en vue d’éviter les personnes qui l’attendaient habituellement à l’entrée MacArthur. M. Paynter a dit que, lorsqu’il était assez près, il a vu un membre du réseau qui l’attendait à l’entrée MacArthur.

3. M. Paynter a dit que la personne qui l’attendait à l’entrée principale le faisait sur les ordres de M. Desbiens. M. Paynter a dit qu’il est clair qu’il est surveillé dès qu’il entre dans un [rayon] de deux pâtés de maisons des tours de la place Vanier de l’ASFC.

4. M. Paynter a dit que M. Desbiens l’a surveillé et suivi au cours des derniers mois, et qu’il l’a « affronté » à deux (2) reprises au cours des dernières semaines. M. Paynter a dit que M. Desbiens est un homme costaud qui a tenté de l’intimider à maintes reprises. »

[…]

 

3. Témoignages de Mme Gingras et de M. Tremblay

[77] Mme Gingras a déclaré que, le matin du 22 février 2018, le gestionnaire de M. Desbiens, M. Simon, l’a informée qu’une altercation avait eu lieu entre le fonctionnaire et M. Desbiens. Elle a dit qu’elle en avait ensuite informé M. Tremblay. Elle a déclaré qu’ils avaient communiqué avec les responsables de la sécurité, qui avaient confirmé qu’une altercation avait eu lieu, et que Pedro Lobo, un agent de sécurité, avait été dépêché pour les aider. Elle a affirmé que, lorsqu’ils étaient allés voir au bureau du fonctionnaire, ce dernier n’était pas là.

[78] Le témoignage de M. Tremblay confirmait celui de Mme Gingras. M. Tremblay a ajouté qu’un représentant des relations de travail s’était aussi joint à eux pour examiner l’incident. Il a déclaré que, en raison de la gravité de l’altercation, il avait été décidé de retirer le fonctionnaire du lieu de travail afin d’assurer la sécurité de tous les employés, ainsi que celle du fonctionnaire. Il avait également été jugé approprié d’appeler la police, au cas où l’intervention de la police deviendrait nécessaire. Après l’arrivée de la police, ils étaient allés au bureau du fonctionnaire, mais il n’était pas là. M. Tremblay a déclaré que les policiers étaient partis et qu’ils leur avaient dit de les rappeler lorsque le fonctionnaire serait de retour.

D. Le deuxième incident du 22 février 2018

1. Témoignage de M. Alqarra

[79] M. Alqarra a déclaré qu’il avait pris une pause pour aller fumer de 11 h 15 à 11 h 20 environ, le 22 février 2018. Il a déclaré que l’incident était survenu dans l’ascenseur alors qu’il retournait à son bureau situé au deuxième étage. Il a affirmé que M. Walker était également dans l’ascenseur, même s’il ne connaissait pas M. Walker à ce moment-là. Il a déclaré qu’il était entré dans l’ascenseur et qu’il se tenait près d’un coin. Il a affirmé que, lorsque les portes étaient en train de se refermer, le fonctionnaire s’était soudainement approché et avait forcé les portes à s’ouvrir à l’aide de ses deux mains. Il a déclaré que le fonctionnaire s’était alors présenté devant lui et avait commencé à crier : [traduction] « C’est quoi ton foutu problème? Pourquoi me regardes-tu? Tu vas être dans un sacré pétrin. » M. Alqarra a expliqué qu’il était abasourdi. Il a décrit le fonctionnaire comme étant [traduction] « très près de [son] visage ». Prié d’indiquer à quelle distance il se trouvait, il a montré une distance d’environ six pouces.

[80] M. Alqarra a déclaré qu’il était resté calme et qu’il répétait : [traduction] « Me connais-tu? Est-ce que je te connais? Je ne te connais pas. » Il a déclaré que le fonctionnaire lui avait dit : [traduction] « Oui, tu me connais et tu vas être dans un sacré pétrin. » M. Alqarra a affirmé qu’il avait gardé son calme et qu’il avait ensuite dit [traduction] « Excuse-moi », qu’il avait contourné le fonctionnaire, puis qu’il était sorti au deuxième étage.

[81] Lorsqu’il a été invité à décrire le volume de la voix du fonctionnaire, il a répondu que le fonctionnaire criait très fort. Il a décrit le fonctionnaire comme étant très contrarié et très en colère.

[82] M. Alqarra a déclaré que l’incident n’avait pas duré très longtemps, puisque le trajet en ascenseur entre le hall et le deuxième étage est court. Cependant, il s’était senti mal, car un étranger lui avait crié qu’il allait avoir de graves problèmes.

[83] M. Alqarra a affirmé qu’il était retourné à son bureau et qu’il avait informé son gestionnaire de ce qui s’était passé parce qu’il s’était senti très mal à l’aise. Il a déclaré que son gestionnaire lui avait dit de signaler l’incident. M. Alqarra a déclaré qu’il avait rédigé un rapport d’incident de sécurité. Ce rapport est daté du 22 février 2018 et indique comme type d’incident [traduction] « employé agressif ». Le rapport contient le passage suivant :

[Traduction]

[…]

Vers 11 h 20, jeudi matin, dans l’ascenseur no 4 de la tour B– Vanier – J’étais dans l’ascenseur avec Laurie Walker (employé de l’ASFC) quand, soudainement, un homme noir chauve de 5 pieds 6 pouces portant des lunettes est entré dans lascenseur après avoir forcé la porte à ouvrir et ma ciblé et ma coincé et a commencé à crier « C’est quoi ton foutu problème? Arrête de me regarder ». Il sest approché extrêmement près de moi, directement dans mon visage, et il a continué de crier « Oui, je te connais [] tu vas être dans le pétrin [] tu n’arrêtes pas de me regarder […] regarde ailleurs […] regarde ailleurs » d’une voix très forte! Je suis demeuré silencieux et calme et je lui ai dit « Me connais-tu? Est-ce que je te connais? Éloigne-toi de moi s’il te plaît » et il a crié « Oui, je te connais » et a ajouté « Tu vas avoir un problème » et j’ai répondu « Désolé, je ne te connais pas » et je suis sorti de l’ascenseur au deuxième étage où se situe mon bureau.

[…]

 

[84] En contre-interrogatoire, M. Alqarra a nié que lui et M. Walker surveillaient le fonctionnaire avant l’incident.

2. Témoignage de M. Walker

[85] M. Walker a déclaré que, le 22 février 2018, il était entré dans l’ascenseur vers 11 h 20 et avait appuyé sur le bouton du 14e étage, où son bureau était situé. Il a affirmé que deux ascenseurs se font face et qu’il avait constaté que le fonctionnaire se trouvait devant l’ascenseur en face du sien. Il a déclaré que, alors que les portes de son ascenseur se refermaient, il avait vu le fonctionnaire partir de l’ascenseur d’en face et courir vers son ascenseur, puis forcer les portes à s’ouvrir.

[86] M. Walker a affirmé qu’il avait reconnu que le fonctionnaire était le même homme qu’il avait déjà vu crier après un arbre, un comportement qui avait attiré son attention. C’est pourquoi il est devenu sur ses gardes lorsqu’il a vu le fonctionnaire entrer dans l’ascenseur. Il a affirmé que le fonctionnaire était entré dans l’ascenseur et avait appuyé sur le bouton du quatrième étage. Il a déclaré que, dès que les portes s’étaient fermées, le fonctionnaire s’était tourné vers M. Alqarra, avait commencé à lui crier après et s’était dirigé directement vers lui. Il a affirmé que cela était tellement extrême, exagéré et excessif qu’il avait d’abord cru que les deux hommes étaient amis. Il a déclaré avoir compris en quelques secondes que ce n’était pas le cas, d’après la confusion qu’il pouvait lire sur le visage de M. Alqarra. Il a affirmé que M. Alqarra semblait avoir très peur. Il a déclaré que M. Alqarra avait les mains ouvertes de chaque côté de sa poitrine, les paumes vers l’avant, dans un geste de renonciation. M. Walker a affirmé que, de son point de vue et d’après ce qu’il avait vu, le fonctionnaire avait poussé M. Alqarra. Il a déclaré qu’il n’arrivait pas à se souvenir de la position des bras ou des mains du fonctionnaire.

[87] M. Walker a déclaré que le fonctionnaire criait [traduction] « Arrête de me regarder! As-tu un problème? Tu vas avoir un problème! », et M. Alqarra a dit [traduction] « Me connais-tu? Je ne te connais pas. » Il a affirmé que M. Alqarra avait les mains en l’air et qu’il avait dit [traduction] « Laisse-moi passer s’il te plaît », puis qu’il était sorti au deuxième étage.

[88] M. Walker a déclaré que, dès que les portes s’étaient fermées, le fonctionnaire s’était tourné vers lui et avait commencé à crier après lui. Il a affirmé que le fonctionnaire avait dit [traduction] « As-tu un problème? Tu vas avoir un problème! » M. Walker a affirmé qu’il croyait qu’il était en danger et qu’il serait attaqué parce que le fonctionnaire avait vraiment l’air perturbé et en colère. M. Walker a cru qu’il allait devoir se défendre, alors il a dit [traduction] « Non, c’est TOI qui vas avoir un problème », ce qui a semblé déstabiliser le fonctionnaire, qui a alors reculé.

[89] M. Walker a affirmé que, après le départ de M. Alqarra de l’ascenseur, l’incident avec le fonctionnaire n’a pas duré longtemps, soit seulement le temps qu’il fallait pour se rendre du deuxième au quatrième étage.

[90] M. Walker a expliqué que le fonctionnaire ne s’était pas approché aussi près de lui que de M. Alqarra. Il a affirmé que le fonctionnaire était peut-être à une distance d’un bras de lui, mais qu’il n’y a pas de place pour s’enfuir dans un espace confiné comme un ascenseur. M. Walker a déclaré qu’il était accoté au mur.

[91] M. Walker a fait un dessin de l’emplacement de chacune des personnes dans l’ascenseur au cours de l’incident. Il a affirmé qu’il se tenait à droite, environ aux deux tiers de l’ascenseur, vers l’avant, et que M. Alqarra se tenait contre le mur arrière dans le coin opposé, à gauche. Après son entrée, le fonctionnaire a immédiatement avancé vers M. Alqarra dans le coin gauche. M. Walker a affirmé que, après le départ de M. Alqarra, le fonctionnaire s’était déplacé vers le milieu de l’ascenseur et lui avait fait face.

[92] M. Walker a déclaré que, lorsque l’ascenseur s’était arrêté au quatrième étage, le fonctionnaire était sorti précipitamment. D’après ce qu’il venait d’observer, M. Walker craignait que le fonctionnaire attaque quelqu’un d’autre, et il avait donc décidé de le suivre. Il a déclaré que, à l’aide d’un laissez-passer, le fonctionnaire est entré dans une porte à l’angle sud-est de l’immeuble. Il a affirmé qu’il avait vu une autre employée dans le hall et qu’il lui avait raconté qu’il venait d’y avoir un incident dans l’ascenseur et qu’il craignait que la personne en question fasse du mal à quelqu’un. Cette employée l’a emmené voir le directeur général, M. Tremblay. M. Walker a affirmé que, lorsqu’il est arrivé, l’équipe de sécurité était déjà sur place parce qu’elle enquêtait sur un autre incident. Il a déclaré avoir rapporté ce qui était survenu dans l’ascenseur. On lui a dit de partir et que quelqu’un communiquerait avec lui plus tard.

[93] M. Walker a affirmé qu’il s’était ensuite rendu au deuxième étage, car il souhaitait trouver M. Alqarra pour lui faire savoir qu’il avait signalé l’incident et lui dire qu’il devrait le signaler lui aussi. M. Walker a déclaré qu’il ne connaissait pas M. Alqarra à l’époque, de sorte qu’il n’était pas certain de pouvoir le trouver. Finalement, il n’a pas eu de difficulté à le trouver, parce qu’il a croisé M. Alqarra qui était en train de raconter à d’autres personnes ce qui s’était passé.

[94] Lorsqu’il lui a été demandé comment il s’était senti durant l’incident, M. Walker a répondu qu’il avait ressenti toute une gamme d’émotions. Il a affirmé avoir eu peur et avoir été véritablement terrifié. Il a dit qu’il avait l’impression de ne pas avoir trouvé les mots justes pour exprimer toute la gravité de la situation. Il a déclaré qu’il se souvenait d’avoir eu la pensée suivante : [traduction] « Je ne serai pas tué dans un ascenseur aujourd’hui. »

[95] M. Walker a affirmé qu’il avait pris des notes détaillées pendant que l’incident était encore frais à son esprit, mais qu’il n’était pas certain de la date à laquelle il avait terminé le rapport d’incident de sécurité. Une copie du rapport lui avait été présentée et il avait confirmé que l’incident y était relaté de façon exacte. Le rapport, daté du 22 février 2018, qualifie l’incident d’une [traduction] « agression sous forme de menaces verbales et de menaces physiques, et intention de causer du tort » et précise ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Vers 11 h 20, le jeudi 22 février 2018, je suis entré dans l’ascenseur 4 à la tour B de la place Vanier. Un autre employé de l’ASFC (identifié plus tard comme un certain Rami Alqarra) était dans l’ascenseur. Alors que les portes commençaient à se refermer, un homme qui était à l’ascenseur d’en face s’est approché en courant, a mis son bras dans l’ascenseur pour empêcher les portes de se refermer et est entré dans l’ascenseur lorsque les portes se sont ouvertes. Il s’agissait d’un homme noir chauve avec des lunettes à monture noire d’une taille que j’estime de 5 pieds 4 pouces à 5 pieds 6 pouces, dans la mi-quarantaine, et d’environ 300 livres. J’ai reconnu que c’était un membre du personnel de lASFC à la place Vanier, car j’avais remarqué que cet homme sattardait à la place Vanier et avait souvent des comportements étranges. Javais donc vérifié sil avait une carte didentité demployé de lASFC. Je ne lavais pas vu faire preuve dun comportement violent ou physiquement menaçant avant cet incident. Il a choisi son étage (numéro quatre) et s’est immédiatement retourné et a coincé M. Alqarra, l’obligeant à s’accoter dans le coin nord-est de l’ascenseur, et a commencé à crier après M. Alqarra. Il a crié « Pourquoi tu me regardes? As-tu un problème avec moi? C’est quoi ton foutu problème? Arrête de me regarder – regarde ailleurs – regarde ailleurs – tu vas être dans le pétrin – tu vas être dans un sacré pétrin – regarde ailleurs – arrête de me regarder. » Il s’était pressé contre M. Alqarra.

La situation était tellement exagérée que j’ai d’abord cru que les deux hommes étaient amis et qu’ils s’étaient emportés. Cependant, la réaction de M. Alqarra indiquait clairement qu’il s’agissait d’un incident grave, que les hommes ne se connaissaient pas et qu’il s’agissait d’un acte de violence, d’agression et potentiellement d’un préjudice encore plus grand. Je dois féliciter M. Alqarra pour sa gestion de la situation – il a demandé calmement et clairement à l’agresseur « Me connais-tu? Je ne te connais pas. S’il te plaît, recule ». L’agresseur a continué à menacer M. Alqarra et à crier contre lui.

Tout cela s’est déroulé durant le temps qu’il a fallu à l’ascenseur pour se rendre du rez-de-chaussée au deuxième étage. L’ascenseur s’est arrêté au deuxième étage. M. Alqarra a dit « Désolé, je ne te connais pas », il a placé ses mains devant lui de manière non menaçante (les paumes ouvertes faisant face à l’agresseur) et a contourné l’agresseur, puis est sorti rapidement de l’ascenseur.

L’agresseur s’est tourné vers moi et a commencé à crier après moi de la même manière en disant « As-tu un foutu problème? Tu vas être dans un sacré pétrin ». J’ai fait face à l’agresseur avec beaucoup de calme et, d’un ton neutre, j’ai affirmé « Non, c’est TOI qui vas avoir un problème »; à ce moment-là, il s’est arrêté et m’a simplement regardé. Il s’agissait en quelque sorte d’une démonstration de force, mais je ne voulais pas tomber dans les menaces physiques ni lui permettre de penser qu’il pouvait facilement m’attaquer. J’estimais qu’il s’agissait là de la seule façon de désamorcer la situation. J’étais piégé dans un espace confiné avec un homme menaçant qui avait clairement l’intention de causer un préjudice plus grand. À ce moment-là, les portes de l’ascenseur se sont ouvertes au quatrième étage et l’agresseur est précipitamment sorti de l’ascenseur. Je l’ai suivi, car je pensais qu’il avait l’intention de causer du tort à quelqu’un, et je voulais pouvoir l’en empêcher. J’ai rencontré l’une des employées de l’équipe administrative de Dan Tremblay dans le hall (Sylvie), et je lui ai posé des questions au sujet de cet homme; elle m’a demandé de venir avec elle au lieu de le suivre. Il y avait une équipe de sécurité sur place.

[…]

 

[96] Le rapport indiquait également que l’incident avait entraîné une blessure et décrivait la blessure comme suit : [traduction] « des employés se sont fait accoster, il y a eu agression par la menace de violence, et des menaces physiques et verbales ». À la question de savoir pourquoi il avait déclaré qu’une personne avait été blessée, M. Walker a répondu qu’il croyait que M. Alqarra avait été poussé contre le mur et qu’il (M. Walker) avait été agressé verbalement, que la situation le dérangeait et qu’une telle situation ne devrait pas se produire en milieu de travail. Il a déclaré que le fait d’être menacé au travail était perturbant et qu’il avait subi un préjudice psychologique. Il a supposé que M. Alqarra avait également subi un préjudice semblable, à plus forte raison qu’il avait été poussé dans un coin de l’ascenseur.

[97] En contre-interrogatoire, tenu de dire s’il avait observé le fonctionnaire s’approcher de l’immeuble avant l’incident dans l’ascenseur, M. Walker a répondu qu’il n’avait aucun souvenir de l’avoir fait.

3. Témoignage du fonctionnaire

[98] En contre-interrogatoire, à la question de savoir s’il niait s’être trouvé dans l’ascenseur avec MM. Alqarra et Walker, le fonctionnaire a répondu qu’il avait bien été là avec eux, mais qu’il contestait leur récit de l’incident.

[99] Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était rendu aux ascenseurs et qu’il avait vu MM. Alqarra et Walker debout côte à côte qui discutaient devant les ascenseurs, à côté de la fenêtre, en regardant vers l’intérieur de l’immeuble. Il a affirmé qu’il se sentait exaspéré et sidéré. Il a déclaré que les gens savaient à quel moment il quittait l’immeuble et qu’ils se souciaient maintenant aussi du moment où il y revenait. Il a affirmé qu’il se dirigeait vers l’ascenseur, puis qu’il s’était demandé s’il devrait entrer parce que, normalement, il attendait l’arrivée d’un ascenseur vide. Toutefois, il était tellement exaspéré qu’il a touché la barre de sécurité, puis il est entré dans l’ascenseur. Il a expliqué que la barre de sécurité est le mécanisme qui, à son contact, permet d’ouvrir les portes.

[100] Le fonctionnaire a déclaré qu’il était exaspéré et qu’il voulait tirer les choses au clair. Il a affirmé que c’est ce qui s’est produit. Il a déclaré que, lorsqu’il est entré dans l’ascenseur, quatre yeux étaient rivés sur lui.

[101] Tenu d’expliquer ce qui s’est passé ensuite, le fonctionnaire a répondu qu’il ne s’était rien passé, à part qu’il avait dit [traduction] « Qu’est-ce que vous regardez? » Il a déclaré que M. Alqarra et M. Walker semblaient simplement résolus à le fixer. Il a affirmé qu’il était accoté au mur, mais qu’il n’y avait rien à cet endroit et qu’il n’entravait personne. Il a déclaré que M. Alqarra était sorti au deuxième étage et que M. Walker était sorti au même étage que lui-même, ce qui l’avait surpris, puisqu’il n’avait jamais vu M. Walker sortir à cet étage.

[102] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a nié avoir traversé le hall à partir des ascenseurs qui se trouvaient en face, comme l’a affirmé M. Walker dans son témoignage. Il a déclaré que la distance est d’au moins 12 pieds et que l’idée qu’il puisse franchir cette distance à la course n’est tout simplement pas possible. Il a affirmé qu’il n’avait pas couru et qu’il n’était pas en mesure de courir ainsi. Il a également nié la description de M. Walker de l’endroit où chacun d’eux se trouvait dans l’ascenseur. Il a déclaré qu’il se trouvait contre le mur arrière de l’ascenseur et que MM. Alqarra et Walker étaient à sa gauche, M. Alqarra étant le plus éloigné de lui.

[103] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a également contesté l’allégation de M. Walker selon laquelle il avait touché M. Alqarra. Il a expliqué que M. Walker avait déclaré catégoriquement qu’il (M. Walker) était situé à l’avant de l’ascenseur, que M. Alqarra était à l’arrière et que le fonctionnaire tournait le dos à M. Walker. Le fonctionnaire a affirmé que M. Walker n’avait pas de vision à rayons X, de sorte qu’il ne pouvait pas voir si le fonctionnaire avait touché M. Alqarra ou non. Le fonctionnaire a déclaré que M. Walker n’avait pas répondu de façon équivoque et dit qu’il n’avait pas pu voir exactement ce qui s’était passé. Au contraire, M. Walker avait affirmé formellement que le fonctionnaire avait touché M. Alqarra.

[104] Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était ensuite rendu à son bureau et que M. Tremblay était venu le voir. Il a déclaré que M. Lobo était également présent et que ce dernier lui avait dit qu’il devrait prendre son laissez-passer. Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait répondu [traduction] « Moi? » et qu’il avait alors compris ce qui se passait et avait dit [traduction] « C’est du racisme pratiqué par les Blancs! » Il a déclaré qu’il avait quitté le bureau en compagnie de M. Tremblay après s’être rendu à son bureau pour prendre ses affaires. Il a affirmé que, alors qu’il quittait son bureau, il avait vu un policier. Il a dit que c’était tout.

4. Témoignage de M. Tremblay

[105] M. Tremblay a déclaré que son adjointe administrative avait emmené M. Walker à son bureau et expliqué qu’elle venait de le rencontrer devant les ascenseurs et qu’il l’avait informée d’un incident qui venait de survenir. Il a affirmé que M. Walker lui avait rapporté l’incident qui venait d’avoir lieu dans l’ascenseur entre MM. Walker et Alqarra et le fonctionnaire, et que cela venait aggraver la situation. Il a déclaré que la police avait été rappelée, de sorte qu’elle soit sur place, au besoin. Il a affirmé que lui et Mme Gingras étaient alors allés chercher le fonctionnaire et qu’ils l’avaient rencontré au bureau de M. Tremblay. Ce dernier a déclaré qu’ils avaient décrit la situation au fonctionnaire et expliqué que, pour protéger tout le monde, ils le retireraient du lieu de travail. Il a affirmé qu’il ne se souvenait pas de la réaction du fonctionnaire, car plusieurs années s’étaient écoulées depuis. Il a déclaré qu’ils étaient ensuite allés au bureau du fonctionnaire afin qu’il puisse prendre ses effets personnels. M. Tremblay a affirmé que M. Lobo avait alors escorté le fonctionnaire hors de l’immeuble. Il a déclaré qu’ils avaient ensuite procédé à la suspension de son compte, conformément aux procédures habituelles.

E. La décision de suspendre le fonctionnaire en attendant l’issue de l’enquête

[106] M. Tremblay et Mme Gingras ont déclaré qu’ils s’étaient rencontrés le 23 février 2018 pour discuter des événements du 22 février 2018. Mme Gingras a déclaré que Yoann Huberdeau, un conseiller en relations de travail de l’ASFC, était également présent. Elle a affirmé que Marie-France MacMillan (dont le rôle n’a pas été précisé) était également présente parce qu’elle avait travaillé aux autres dossiers concernant le fonctionnaire. Mme Gingras a déclaré que, à la réunion, ils avaient discuté des événements du 22 février 2018, ainsi que d’autres incidents antérieurs concernant le fonctionnaire. Mme Gingras a affirmé que d’autres employés avaient signalé sept incidents antérieurs où le fonctionnaire avait fait preuve de comportements inacceptables à leur égard, comme [traduction] « faire le doigt d’honneur », ou de situations où le fonctionnaire avait dit à des employés de ne pas lui parler ou de ne pas le regarder. Elle a déclaré qu’ils se préoccupaient de la sécurité des employés, y compris celle du fonctionnaire.

[107] Les représentantes du fonctionnaire se sont opposées à la tentative de la défenderesse de présenter des documents sur les incidents antérieurs concernant d’autres employés, au motif qu’ils n’étaient pas mentionnés dans la lettre de licenciement. J’ai accueilli l’objection après avoir obtenu la confirmation de la défenderesse qu’elle n’invoquait pas les autres incidents allégués comme motifs de licenciement du fonctionnaire.

[108] Mme Gingras a déclaré que, au cours de la réunion du 23 février 2018, il avait été décidé d’imposer une suspension administrative au fonctionnaire en attendant l’issue d’une enquête sur les incidents de la veille. M. Tremblay a affirmé qu’il avait pris cette décision afin d’assurer la sécurité de toutes les personnes concernées, étant donné la nature violente des actes et la menace qu’ils représentaient. Il a déclaré que la lettre de suspension avait été préparée à partir d’un modèle. Elle était adressée au fonctionnaire et datée du 23 février 2018, et elle indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La présente lettre a pour objet de vous informer que de graves allégations d’inconduite ont été formulées contre vous. Plus particulièrement, il a été allégué que vous avez poussé un autre employé de l’ASFC qui tentait de quitter l’immeuble.

Compte tenu de la gravité des allégations, j’ai jugé que votre présence sur les lieux de travail présentait un risque grave et immédiat pour la santé et la sécurité des employés de l’ASFC, y compris les vôtres. Par conséquent, vous êtes par la présente suspendu administrativement pour une période indéterminée, sans traitement, à compter du 23 février 2018, en attendant l’issue de l’enquête en cours.

Pendant l’enquête et avant que la direction ne prenne une décision définitive, vous aurez l’occasion de présenter tout éclaircissement ou toute circonstance atténuante qui, selon vous, n’auraient pas été pris en considération dans le cadre de l’enquête. Nous vous encourageons à collaborer pleinement à l’enquête. La direction veillera à ce que l’enquête soit exhaustive et rapide.

Veuillez consulter vos conditions d’emploi quant à votre droit de représentation, le cas échéant. S’il est déterminé que les allégations contre vous sont fondées, des mesures administratives ou disciplinaires pourraient être prises.

[…]

 

[109] Le fonctionnaire a déposé un grief contestant sa suspension le 23 mars 2018. Le grief était formulé de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Je formule un grief contestant la suspension imposée par l’employeur, telle qu’elle est énoncée dans la lettre de l’employeur datée du 23 février 2018. La suspension est injustifiée et inusitée. Des mesures disciplinaires ont été prises de mauvaise foi et sans qu’il soit tenu compte du contexte, du rôle de la haute direction et de l’absence d’antécédents disciplinaires du fonctionnaire.

Le fonctionnaire est entré dans les locaux de l’ASFC le matin du 22 février 2018, c’est-à-dire au 4e étage de la tour B de la place Vanier, sans rencontrer quiconque allant dans la même direction ou en sens contraire. Le fonctionnaire est entré dans la propriété privée des tours de la place Vanier le matin du 22 février 2018 au moyen d’une porte d’accès extérieure, sans rencontrer quiconque allant dans la même direction ou en sens contraire. Il est entré par la porte d’accès intérieure adjacente à l’accès extérieur mentionné ci-dessus sans rencontrer quiconque allant dans la même direction ou en sens contraire. Le fonctionnaire n’a pas pu bénéficier d’une procédure régulière avant que son laissez-passer ne soit confisqué ou à quelque autre moment que ce soit par la suite.

La haute direction a été informée de préoccupations concernant la conduite antisociale de nombreuses personnes envers le fonctionnaire, préoccupations qui remontent à aussi loin qu’il y a deux ans. Plus particulièrement, depuis janvier 2018, la direction a été informée de multiples incidents où un cadre supérieur de l’ASFC a affiché un comportement qui répond à la définition de harcèlement criminel envers le fonctionnaire. Il aurait été tout à fait raisonnable que le fonctionnaire s’attende à ce que l’employeur donne suite à ses préoccupations en temps opportun.

Le manque de suivi de la direction, ses mauvaises pratiques, ou pire encore, sont à l’origine de cette regrettable erreur judiciaire. La persécution d’un Noir innocent et désarmé n’est qu’une étape de plus dans ce continuum de mépris flagrant.

[…]

 

[110] À titre de mesures correctives, le fonctionnaire demande ce qui suit :

[Traduction]

[…]

1. l’annulation de la lettre de suspension dans son intégralité;

2. le retrait de la lettre de suspension de son dossier personnel et sa destruction;

3. la réintégration du fonctionnaire dans ses fonctions sans perte de salaire et d’avantages sociaux;

4. une indemnisation intégrale;

5. toute autre réparation nécessaire pour remédier à la situation.

[…]

 

F. L’enquête sur les événements du 22 février 2018

[111] M. Tremblay a déclaré avoir demandé la tenue d’une enquête. Il a affirmé qu’il croyait que la Direction générale des relations de travail de l’ASFC s’en était occupée et qu’elle avait fait appel à un entrepreneur pour enquêter. Il a déclaré que Mme Gingras avait communiqué avec le fonctionnaire pour l’informer de l’enquête.

[112] Mme Gingras a confirmé que, le 25 mai 2018, elle avait informé le fonctionnaire par courriel qu’une enquête officielle avait été amorcée et que M. Torosian communiquerait avec lui. Elle lui a envoyé un autre courriel le 29 mai 2018 au sujet des allégations formulées contre lui. Son courriel indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je tiens à vous informer du fait que les allégations générales connues à l’heure actuelle sont les deux actes suivants qui sont survenus le 22 février 2018 :

1) Inconduite en service : Article 11 du Code de conduite – Rapports avec les collègues

2) Inconduite en service : Article 11 du Code de conduite – Rapports avec les collègues

Veuillez accuser réception du présent courriel.

[…]

 

[113] L’article 11 du Code de conduite de l’ASFC prévoyait ce qui suit :

[Traduction]

Nos valeurs liées au respect, à l’intégrité et au professionnalisme guident nos interactions avec nos collègues, les clients et les intervenants. À titre d’employés de l’ASFC, nous démontrons ces valeurs de plusieurs façons, notamment en faisant ce qui suit :

· respecter les contributions uniques des autres au sein de notre main-d’œuvre diversifiée;

· promouvoir la collaboration, l’apprentissage professionnel et l’innovation en faisant preuve d’ouverture et d’honnêteté;

· communiquer à tout moment avec les autres de manière respectueuse, notamment sur les médias sociaux et lors de l’utilisation des communications électroniques;

· ne jamais avoir de comportement discriminatoire ou constituant du harcèlement;

· tenir compte de l’incidence de nos décisions et actions sur les autres;

· ne jamais faire de déclarations ou de gestes offensants, ironiques, menaçants, insultants, blessants ou provocateurs à l’intention d’une personne ou à son sujet. Voir l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

 

[114] Le fonctionnaire a déclaré que, le 7 juin 2018, il avait reçu un courriel de M. Torosian l’informant que, le 14 juin 2018, une enquête devait être menée sur deux incidents survenus le 22 février 2018. Le courriel indiquait que l’entrevue aurait lieu au Bureau des normes professionnelles de la police d’Ottawa. À son arrivée, le fonctionnaire et son observateur, s’il avait décidé de se faire accompagner, seraient escortés dans la salle d’entrevue par un policier en civil. Il a également été informé que l’entrevue serait enregistrée par vidéo et audio et que le Code de conduite de l’ASFC et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public du gouvernement du Canada s’appliqueraient et qu’il devrait se comporter en conséquence. Le courriel l’informait également que l’enquêteur tenait réellement à entendre ce que le fonctionnaire avait à dire. Enfin, le fonctionnaire était invité à confirmer sa présence au plus tard à 10 h le 12 juin 2018.

[115] L’avis suivant était joint au courriel du 7 juin 2018 :

[Traduction]

ENQUÊTE SUR LES NORMES PROFESSIONNELLES

AVIS D’ENTREVUE AU DÉFENDEUR

Nous vous informons par la présente que vous avez été identifié en tant que défendeur concernant l’enquête sur les normes professionnelles suivante :

Nom : M. PAYNTER, Stephen

No de dossier ENP : PS 18-080

Allégations

1) Inconduite en service : Article 11 du Code de conduite – Rapports avec les collègues

2) Inconduite en service : Article 11 du Code de conduite – Rapports avec les collègues

Par conséquent, votre présence est requise aux fins d’une entrevue dans le cadre de la présente enquête administrative :

Date : Le jeudi 14 JUIN 2018

Heure : 10 h

Endroit : Bureau des normes professionnelles de la police d’Ottawa, situé au 19, avenue Fairmont, Ottawa (Ontario), K1Y 1X4, salle d’entrevue no 106.

Vous êtes tenu de collaborer avec l’enquêteur conformément à la Politique sur les enquêtes internes sur l’inconduite présumée ou soupçonnée d’un employé. Une copie de cette politique est affichée sur l’intranet de l’ASFC aux fins de consultation. Vous devez répondre au présent courriel dès que vous le recevez pour accuser réception du présent avis.

Cette entrevue peut être menée individuellement ou vous pouvez être accompagné par un observateur, à la discrétion de l’enquêteur, à condition que cette personne ne soit pas touchée par l’enquête. L’observateur ne peut pas intervenir de quelque façon que ce soit; le rôle du tiers est limité à celui d’un observateur seulement. L’observateur doit être prêt à montrer une pièce d’identité. Si vous choisissez de vous faire accompagner par un observateur, vous devez fournir son nom 48 heures avant l’entrevue. Je vous ferai ensuite savoir si la personne peut agir ou non comme observateur.

Vous n’aurez pas besoin de votre arme à feu de service, de votre matraque, de vaporisateur de poivre ni de menottes; par conséquent vous et votre observateur ne devez apporter aucun de ces articles avec vous à l’entrevue. Enfin, cette enquête est strictement confidentielle et, par conséquent, elle sera menée en conséquence.

Merci.

Thomas Torosian

Enquêteur principal

 

[116] Le fonctionnaire a déclaré qu’il se souvenait seulement de la partie du courriel concernant les armes à feu et les menottes et du fait que l’entrevue aurait lieu au poste de police. Il a déclaré qu’il était un employé de bureau et que la lettre indiquait qu’il serait escorté par un policier en civil et que l’entrevue serait enregistrée. Il a affirmé que cela était contraire au guide sur la façon dont les entrevues doivent être menées et qu’il considérait cette entrevue comme de l’intimidation, puisqu’il était employé de bureau.

[117] Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait déjà été témoin de ce type de comportement, puisque les cadres supérieurs n’hésitaient pas à recourir à l’abus contre lui. Il a fait référence à une plainte de harcèlement déposée contre lui en 2016 par P.H., un autre employé. Il a déclaré que Ray Bonnell avait amorcé l’enquête sur cette plainte. Le fonctionnaire avait ensuite déposé un grief contre M. Bonnell en raison de commentaires qu’il avait formulés au cours de l’entrevue. Le syndicat du fonctionnaire avait ensuite retiré le grief après que la défenderesse eut accepté de nommer un nouvel enquêteur et de relancer l’enquête.

[118] Le fonctionnaire a déclaré que, dans le courriel du 7 juin 2018, il était convoqué à une entrevue au poste de police et il était informé qu’un policier l’accompagnerait et qu’un enregistrement vidéo serait effectué. Il a affirmé que la défenderesse ne reculerait devant rien pour l’intimider. Il a déclaré qu’il ne pouvait pas croire ce qui lui arrivait. Il a affirmé qu’il est généralement une personne calme, mais tout ce qu’il savait, c’est [traduction] « qu’il serait là-bas, seul avec une autre personne qui, elle, serait armée ». Il a déclaré qu’il ne se rendrait pas au poste de police s’il devait être avec un policier armé. Il a affirmé que l’entrevue était prévue juste après qu’un homme noir eut été assassiné devant sa mère à Hintonburg (une banlieue d’Ottawa où se situe le poste de police), alors il avait peur, et il ne voulait pas mourir au poste de police.

[119] M. Torosian a envoyé un courriel de suivi le 12 juin 2018, à 7 h 37, pour demander au fonctionnaire de confirmer sa présence à l’entrevue prévue le 14 juin 2018. Un autre courriel a été envoyé au fonctionnaire à 13 h 13 le même jour. Le courriel indiquait que le fonctionnaire pouvait se faire accompagner par un observateur et que, s’il ne répondait pas avant 10 h le lendemain, l’entrevue serait annulée, l’enquête se poursuivrait et une décision serait prise sans qu’il ait pu fournir sa version des événements.

[120] Le 13 juin 2018, à 10 h 2, M. Torosian a informé le fonctionnaire que son entrevue avait été annulée, car il n’avait pas répondu dans les délais qui lui avaient été impartis. Le fonctionnaire a été informé que l’enquête se poursuivrait néanmoins sans sa participation.

[121] En contre-interrogatoire, à la question de savoir pourquoi il n’avait pas demandé que l’entrevue ait lieu ailleurs, le fonctionnaire a répondu qu’il avait donné à la convocation d’entrevue la réponse qu’elle méritait selon lui. Il a déclaré ne pas s’engager dans de longs échanges quand quelqu’un l’insultait. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un courriel malveillant et qu’il ne s’agissait pas d’un accident. Il a déclaré qu’une copie conforme aurait dû être également envoyée à son syndicat; ce qui n’avait pas été fait. Selon lui, si quelqu’un envoie un courriel sans mettre le syndicat en copie conforme, cela réduit la valeur de cette communication.

[122] En contre-interrogatoire, Mme Gingras et M. Tremblay se sont tous deux vu demander s’il était habituel de tenir des enquêtes au poste de police. Les deux ont répondu qu’ils n’avaient pas d’expérience préalable en matière d’enquête et qu’ils n’étaient donc pas sûrs du processus habituel.

[123] L’enquête s’est poursuivie sans la participation du fonctionnaire.

[124] Au cours de son témoignage, le fonctionnaire s’est fait présenter une copie d’un rapport d’enquête daté du 16 août 2018 et rédigé par M. Torosian, qui décrivait les deux incidents du 22 février 2018 de la manière suivante :

[Traduction]

CONTEXTE

1. Le 22 février 2018, M. PAYNTER, Stephen (qui sera appelé « M.PAYNTER » ci-après) a été impliqué dans deux incidents distincts mettant en cause trois employés de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) (dont l’un était un consultant). Ces deux incidents sont survenus dans les tours de la place Vanier, située au 355, chemin River North, à Ottawa, qui est l’un des immeubles de l’administration centrale de l’ASFC. Les incidents concernaient des altercations physiques et verbales et sont survenus pendant les « heures normales de travail ». Ces incidents ont été signalés immédiatement à la direction et, par conséquent, M. PAYNTER a été escorté hors du lieu de travail le même jour par des employés de la direction de l’ASFC (TREMBLAY, Dan, directeur général), des Relations de travail de l’ASFC (HUBERDEAU, Yoann, conseiller principal en relations de travail par intérim) et de la Direction de la sécurité et des normes professionnelles de l’ASFC (LOBO, Pedro, conseiller stratégique). Le Service de police d’Ottawa a également été appelé et s’est présenté pour prêter main-forte; cependant, les policiers n’ont fait qu’observer, sans intervenir. M. PAYNTER a été placé en congé administratif et, par la suite, il a été décidé qu’une enquête sur les normes professionnelles serait amorcée.

2. Le premier incident est survenu vers 9 h 48, à l’entrée principale avant des tours de la place Vanier, entre M. PAYNTER et un autre employé de l’ASFC, M. DESBIENS, Martin (qui sera appelé « M. DESBIENS » ci-après), architecte en solutions informatiques, Direction de l’information, des sciences et de la technologie. Il existe des images de télévision à circuit fermé de cet incident et elles ont été obtenues aux fins de l’enquête. La vidéo montre une altercation physique entre MM. PAYNTER et DESBIENS, lors de laquelle M. PAYNTER pousse M. DESBIENS avec les deux mains à deux reprises.

3. Le deuxième incident aurait eu lieu à environ 11 h 20 HNE dans l’ascenseur no 4 de la tour B; lors de cet incident, selon ce qui est allégué par le consultant de l’ASFC, M. ALQARRA, Rami (qui sera appelé « M. ALQARRA » ci-après), et l’employé de l’ASFC, M. WALKER, Laurie (qui sera appelé « M. WALKER » ci-après), M. PAYNTER est entré dans l’ascenseur de façon très brusque (il a utilisé son bras pour empêcher les portes de se refermer), puis il a attaqué ou menacé verbalement les deux hommes.

[…]

 

[125] Prié de préciser s’il se souvenait d’avoir vu le rapport, le fonctionnaire a répondu qu’il avait vu la page couverture et qu’il pensait qu’il avait peut-être vu ailleurs que M. Bonnell assumait le rôle d’enquêteur.

[126] Le fonctionnaire a déclaré qu’il était au courant des constatations du rapport. Il a affirmé qu’il avait été conclu que la première allégation n’était pas fondée et que la seconde était fondée. Toutefois, il a déclaré qu’il ne s’était jamais vu offrir une véritable occasion de participer à l’enquête.

G. La décision de licencier le fonctionnaire

[127] M. Tremblay a déclaré que, après avoir reçu le rapport d’enquête du 16 août 2018, la défenderesse avait invité le fonctionnaire à assister à une rencontre prédisciplinaire. M. Tremblay a affirmé qu’il était important de rencontrer le fonctionnaire afin de lui donner l’occasion de communiquer tout autre renseignement ou détail dont M. Tremblay devait tenir compte pour prendre une décision au sujet d’une éventuelle mesure disciplinaire.

[128] Le fonctionnaire a reconnu que, le 31 août 2018, il avait reçu une lettre de M. Tremblay l’invitant à assister à une rencontre prédisciplinaire le 6 septembre 2018. La lettre indiquait que le but de la rencontre était de discuter des allégations qui avaient été jugées fondées dans le rapport d’enquête du 16 août 2018. La lettre précisait également qu’il pouvait être accompagné d’un représentant syndical ou d’un autre représentant à titre d’observateur, que Mme MacMillan, des Relations de travail, y assisterait également et qu’il y aurait une deuxième rencontre à une date ultérieure s’il était déterminé que la prise d’une mesure disciplinaire était nécessaire.

[129] La fonctionnaire a affirmé avoir assisté à la rencontre en compagnie de deux représentants syndicaux. Il a affirmé que, selon ce qu’il avait compris, la rencontre avait pour objet de discuter des allégations qui avaient été jugées fondées dans le rapport d’enquête du 16 août 2018 et de présenter toute autre circonstance atténuante qui devait être prise en considération. Il a déclaré que, au cours de la rencontre, il avait présenté sa version de ce qui s’était passé dans l’ascenseur et que M. Tremblay avait pris des notes. Il a précisé que la direction n’avait mentionné aucune autre plainte de la part de quelque autre employé que ce soit.

[130] Le témoignage de M. Tremblay indiquait le contraire. Il a déclaré que le fonctionnaire n’avait rien dit au sujet des incidents du 22 février 2018. Il a affirmé que, lors de cette rencontre, le fonctionnaire s’était vu offrir l’occasion de fournir des renseignements supplémentaires. M. Tremblay a déclaré qu’il se rappelait que le fonctionnaire avait mentionné de nombreuses anecdotes qui n’étaient pas liées aux incidents. Par exemple, il se rappelait que le fonctionnaire avait fait référence à une histoire concernant une jeune fille. M. Tremblay a déclaré que, selon ce qu’il se rappelait, le fonctionnaire avait seulement fourni des renseignements sur les incidents en question lorsqu’il avait fait référence aux personnes concernées par les incidents du 22 février 2018 et qu’il avait affirmé qu’il ne pouvait rien y faire, mais que ces personnes devraient demander de l’aide.

[131] M. Tremblay a affirmé que le fonctionnaire n’avait fourni aucun autre renseignement et qu’il n’avait pas non plus reconnu les actes survenus au cours des incidents. Il a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas exprimé de remords ni n’avait invoqué de circonstances atténuantes qui auraient pu influer sur la décision définitive. Il a déclaré que, à la fin de la rencontre, le représentant syndical du fonctionnaire avait dit que les événements ne s’étaient pas déroulés de la façon décrite dans le rapport d’enquête du 16 août 2018 et que le représentant syndical avait seulement mentionné les longues années de service du fonctionnaire, son dossier vierge et ses évaluations positives en tant que circonstances atténuantes. M. Tremblay a affirmé qu’aucun autre fait ne lui avait été présenté.

[132] M. Tremblay a déclaré qu’il avait pris des notes pendant la rencontre. Ces notes ont été déposées en preuve et sont conformes au témoignage de M. Tremblay.

[133] M. Tremblay a affirmé qu’une réunion avait été tenue par la suite et que tous les renseignements recueillis avaient été évalués par rapport au Code de conduite de la défenderesse. Il n’a précisé ni la date de cette réunion ni les personnes qui y avaient assisté. Il a déclaré que les personnes présentes avaient tenu compte du fait que le fonctionnaire n’avait fourni aucune explication de ce qui s’était passé et qu’il n’avait exprimé aucun remords ni reconnu aucune conduite répréhensible. Au contraire, le fonctionnaire avait affirmé que c’étaient les autres personnes en cause dans les incidents qui avaient des problèmes. M. Tremblay a déclaré qu’il avait également tenu compte du fait que les incidents concernaient plus d’une personne, ce qui n’atténuait en rien sa crainte que ce type d’incident puisse se reproduire. Enfin, M. Tremblay a déclaré que les personnes présentes à la réunion avaient également tenu compte du fait que le fonctionnaire avait refusé de participer à l’enquête. Il a affirmé que, compte tenu de tous ces facteurs, il avait été décidé de licencier le fonctionnaire.

[134] En contre-interrogatoire, à la question de savoir si les plaintes de harcèlement du fonctionnaire contre M. Desbiens auraient dû être prises en considération en tant que renseignements pertinents sur le contexte ayant mené aux incidents, M. Tremblay a répondu que c’était à l’enquêteur qu’il incombait de le déterminer, compte tenu de son expertise. Toutefois, il n’était pas certain de la façon dont ces renseignements auraient pu influer sur la décision de quelque façon que ce soit.

[135] M. Tremblay a affirmé qu’il n’était plus le directeur général lorsque la décision de licencier le fonctionnaire avait été prise. M. Tremblay avait été remplacé par Cameron MacDonald. Toutefois, il avait été décidé que, afin d’assurer la continuité, M. Tremblay continuerait de participer au dossier.

[136] Mme Gingras se souvenait d’avoir rencontré MM. Tremblay et MacDonald. Elle a déclaré qu’ils avaient examiné la recommandation du conseiller en relations de travail de licencier le fonctionnaire et qu’ils en avaient tous convenu. Elle a affirmé que M. MacDonald avait signé la lettre de licenciement, compte tenu de son nouveau rôle.

[137] En contre-interrogatoire, Mme Gingras a déclaré que son opinion selon laquelle le fonctionnaire devait être licencié était fondée sur tous les incidents signalés par les employés. Elle a également affirmé que, avant le 22 février 2018, des discussions avaient été tenues sur la possibilité de soumettre le fonctionnaire à une évaluation de l’aptitude au travail (EAT). Toutefois, compte tenu des circonstances du 22 février 2018, il avait été décidé de procéder à une suspension administrative. En contre-interrogatoire, elle a été invitée à expliquer sa compréhension de l’objet d’une EAT. Elle a répondu que cet outil vise à évaluer l’aptitude à travailler d’un employé. Elle a déclaré que la défenderesse ne s’était jamais rendue à cette étape, compte tenu des circonstances.

[138] Le 24 octobre 2018, M. MacDonald a invité le fonctionnaire à une rencontre disciplinaire, devant avoir lieu le 30 octobre 2018. Dans la lettre, le fonctionnaire était informé qu’il pouvait être accompagné d’un représentant syndical ou d’une autre personne à titre d’observateur, et que M. Tremblay et Mme MacMillan seraient également présents.

[139] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait assisté à la rencontre disciplinaire du 30 octobre 2018 avec la défenderesse et qu’il avait été informé qu’il était licencié. Il a déclaré que la défenderesse avait fait référence à une altercation avec deux autres personnes et qu’il avait répondu : [traduction] « Oui, alors que je suis Noir. » La lettre de licenciement suivante lui a été remise :

[Traduction]

[…]

La présente fait suite à l’enquête sur les normes professionnelles (PS 18-080) et à l’audience disciplinaire qui a eu lieu le 6 septembre 2018 et au cours de laquelle vous et votre représentant syndical avez eu l’occasion de présenter vos commentaires sur les actes d’inconduite suivants :

· Altercation physique et altercation entre vous et deux autres personnes.

Il s’agit d’un comportement inacceptable qui ne saurait être ni cautionné ni toléré. En tant que fonctionnaires, nous avons la responsabilité d’agir en tout temps de façon à défendre l’intérêt public et d’afficher une conduite conforme au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et au Code de conduite de l’ASFC.

Pour rendre ma décision au sujet de ces actes d’inconduite, j’ai pris en compte toutes les circonstances atténuantes et aggravantes, y compris, sans toutefois s’y limiter, votre dossier disciplinaire vierge, votre absence de remords et votre défaut de reconnaître la gravité de vos actes. À la lumière de ce qui précède, je conclus que vos actes étaient inappropriés et répréhensibles, ce qui a entraîné une rupture définitive du lien de confiance.

Par conséquent, conformément au pouvoir qui m’est conféré par l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je vous informe de votre licenciement de l’Agence des services frontaliers du Canada à compter du 22 février 2018.

[…]

 

[140] M. Tremblay a déclaré que l’altercation physique mentionnée dans la lettre de licenciement correspondait à l’incident mettant en cause M. Desbiens à l’entrée de l’immeuble. M. Tremblay a déclaré qu’il s’était fondé sur cet incident malgré la conclusion du rapport d’enquête du 16 août 2018. Il a affirmé que, bien que le rapport ait indiqué que l’allégation n’était pas fondée, l’incident faisait tout de même partie du rapport, lequel fournissait des détails sur ce qui s’était passé. Il a déclaré que l’allégation avait été jugée non fondée dans le rapport parce que le bénéfice du doute avait été accordé au fonctionnaire, étant donné qu’il y avait peut-être eu un élément de provocation. M. Tremblay a affirmé que cela ne changeait rien au fait que l’altercation était tout de même violente et que, à son avis, le fonctionnaire aurait pu réagir de façon moins violente.

[141] Le 1er novembre 2018, le fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement. Il y était énoncé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je conteste la décision de l’employeur de mettre fin à mon emploi, comme cela m’a été communiqué en personne et par lettre le 30 octobre 2018.

Cette décision a été prise sans motif valable et contrevient à la convention collective du groupe CS, aux Lignes directrices concernant la discipline du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[…]

 

[142] En ce qui concerne les mesures correctives, le fonctionnaire a demandé ce qui suit : [traduction] « la réintégration dans les fonctions; une indemnisation pour le salaire et tous les avantages sociaux perdus; une indemnisation intégrale; des dommages-intérêts en vertu de l’article 53 de la LCDP; toute autre réparation nécessaire pour remédier à la situation. »

H. L’enquête sur les plaintes de harcèlement du fonctionnaire

[143] Le fonctionnaire a déclaré que, le 19 septembre 2018, Nicole Brunet, gestionnaire des contrats, Charron Human Resources Inc., l’avait convoqué par courriel à une entrevue. Il a affirmé que, le 25 septembre 2018, il avait également reçu un courriel de Camille Cloutier-McNicoll, la coordonnatrice en matière de harcèlement des programmes en milieu de travail pour le groupe des relations de travail et de la rémunération de l’ASFC. Elle l’informait qu’une enquête officielle sur le harcèlement avait été amorcée et que l’enquêteur enquêterait sur les trois plaintes de harcèlement qu’il avait déposées contre M. Desbiens, sa plainte de harcèlement contre E.C., ainsi qu’une plainte de harcèlement déposée par un autre employé (P.H.) contre lui. Le fonctionnaire a déclaré que, avant cette date, personne n’avait communiqué avec lui au sujet de ses plaintes de harcèlement.

[144] Le fonctionnaire a déclaré que Mme Jelly avait été embauchée pour mener les enquêtes. Il n’arrivait pas à se souvenir de la date à laquelle il avait été interrogé, mais il estimait que c’était peut-être au mois d’octobre 2018. Le fonctionnaire a confirmé que, le 13 août 2019, il avait reçu une copie caviardée des rapports d’enquête finaux de Mme Jelly. Sa copie des rapports comportait le résultat de l’enquête sur ses plaintes contre M. Desbiens, c’est-à-dire que les allégations n’étaient pas fondées et qu’il n’y avait pas eu de harcèlement. Il avait également reçu une copie du rapport d’enquête final sur E.C., qui comportait aussi une conclusion selon laquelle les allégations de ce dernier contre le fonctionnaire n’étaient pas fondées et selon laquelle il n’y avait pas eu de harcèlement.

[145] Les deux rapports indiquent que le fonctionnaire a participé aux entrevues avec Mme Jelly, mais qu’il n’a pas répondu à ses demandes subséquentes de confirmer l’exactitude de ses déclarations.

I. Efforts d’atténuation

[146] Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait fait aucune tentative pour trouver un autre emploi, car il estimait que son licenciement était tellement grotesque et injuste qu’il pensait qu’il serait réintégré dans ses fonctions. Il a affirmé qu’il touchait actuellement sa pension et que ses prestations étaient rétroactives à la date de son licenciement.

J. Témoignage de la témoin experte

[147] Mme Kawakami a un doctorat en psychologie qu’elle a obtenu en 1995. Elle étudie les préjugés implicites liés à la race et au genre depuis le début des années 1990. Je l’ai reconnue comme témoin experte, ce que la défenderesse n’a pas contesté. Mme Kawakami a parlé de différentes recherches qu’elle a menées qui portaient expressément sur les préjugés raciaux implicites contre les Noirs. Elle a expliqué que les préjugés contre les Noirs constituent essentiellement une réaction envers les personnes noires qui diffère de la réaction envers d’autres groupes raciaux. Elle a déclaré que les préjugés implicites se situent au niveau inconscient, de sorte que les gens ont du mal à passer par-dessus, même quand leurs intentions sont bonnes.

[148] Un rapport rédigé par Mme Kawakami a été déposé en preuve. Avant qu’elle ne rédige le rapport, Mme Kawakami avait reçu une copie des plaintes de harcèlement du fonctionnaire (c’est-à-dire les courriels envoyés à M. Doan), des lettres de suspension et de licenciement, des griefs et des réponses aux griefs, du rapport d’enquête du 16 août 2018 portant sur les incidents du 22 février 2018 et des deux rapports d’enquête rédigés par Mme Jelly sur les plaintes de harcèlement du fonctionnaire contre M. Desbiens et E.C.

[149] J’ai demandé à Mme Kawakami de m’aider à comprendre les interactions individuelles entre le fonctionnaire et autrui en lui demandant des explications possibles des événements tels qu’ils ont été décrits par les autres parties, à la lumière de son expertise en matière de préjugés implicites.

[150] Mme Kawakami a déclaré que les impressions que les personnes concernées par ces griefs avaient du fonctionnaire pouvaient être motivées par l’attente que les interactions avec le fonctionnaire seraient conflictuelles. À l’appui de cette déclaration, elle a renvoyé à des recherches démontrant que des comportements inoffensifs, comme le fait d’accrocher quelqu’un qu’on croise dans l’escalier, peuvent être perçus comme plus discutables lorsqu’un homme noir en est l’auteur, par comparaison à un homme blanc.

[151] Mme Kawakami a expliqué que, en raison de l’activation automatique des stéréotypes dans le cerveau, les actes du fonctionnaire ont pu être perçus comme agressifs, bruyants, hargneux, agités et menaçants. Elle a mentionné certaines recherches qui ont démontré que la race pouvait jouer un rôle dans la façon dont une poussée pouvait être perçue, soit comme un geste agressif ou un geste amical.

[152] Mme Kawakami a déclaré que les recherches démontrent clairement que des préjugés raciaux implicites peuvent influer sur les évaluations et les licenciements dans un contexte d’emploi. Elle a mentionné une recherche ayant démontré qu’un comportement agressif chez des personnes noires est plus susceptible d’être attribué à la personnalité et considéré comme permanent, alors que le même comportement chez des personnes blanches pourra être attribué à une situation ou à des circonstances temporaires.

[153] En contre-interrogatoire, Mme Kawakami s’est vu demander de quelle manière elle arriverait à savoir si une personne avait fait preuve de préjugés implicites envers une autre personne. Elle a répondu que, sans procéder à une expérience, il serait très difficile de le savoir, car il faut un élément de comparaison pour l’évaluer.

III. Analyse et motifs

[154] Je suis saisie de deux griefs. Le premier grief porte sur la suspension du fonctionnaire pour une période indéterminée et le second, sur son licenciement, rétroactif à la date de la suspension pour une période indéterminée.

[155] Il convient de souligner d’emblée que je ne suis pas saisie des plaintes de harcèlement sexuel déposées par le fonctionnaire, dont il a fait mention dans son témoignage. Toutefois, ces allégations sont pertinentes, puisqu’elles donnent de l’information sur le contexte dans lequel les incidents sont survenus le 22 février 2018 et sur l’état d’esprit du fonctionnaire ce jour-là. Je reviens sur le poids à accorder à cet élément de preuve plus loin dans les motifs de ma décision.

[156] Je tiens également à faire remarquer dès le départ que les allégations soulevées par le fonctionnaire sont inusitées et que, d’un point de vue objectif, elles pourraient donner à penser qu’il y a une forme ou une autre de trouble de santé mentale qui pourrait être en jeu. Toutefois, à titre d’arbitre de grief, je ne peux trancher les griefs qu’en fonction des éléments de preuve qui sont à ma disposition. Aucun élément de preuve concernant la santé mentale du fonctionnaire n’a été présenté, et aucun argument n’a été formulé à cet égard non plus. Au contraire, le fonctionnaire a fait bonne figure tout au long de l’audience et s’est montré apte à participer à l’audience et à donner des instructions à ses représentantes. Il a également témoigné au sujet de son haut niveau de compétence au travail et de l’absence de tout problème de rendement au travail. En ce qui concerne la représentation, il était bien représenté par son agent négociateur, qui a présenté ses arguments de façon approfondie et compétente.

[157] Par conséquent, je dois rendre ma décision en fonction des éléments de preuve qui ont été présentés, lesquels ne comprenaient aucun élément de preuve concernant la santé mentale du fonctionnaire et, plus particulièrement, sa capacité ou son incapacité à rester en contrôle de ses moyens le jour des incidents.

[158] La défenderesse a soutenu qu’elle avait un motif valable pour suspendre et ensuite licencier le fonctionnaire. Le fonctionnaire, pour sa part, a nié tout acte répréhensible. Il a fait valoir que les événements ne s’étaient pas déroulés comme la défenderesse les avait décrits, que ce dernier avait pris ses décisions sans tenir compte de toutes les circonstances atténuantes et que ses actes constituaient de la discrimination fondée sur la race et la couleur. Le fonctionnaire a ajouté que les décisions de la défenderesse contrevenaient à la convention collective et à ses politiques sur les mesures disciplinaires et qu’il n’avait pas respecté les règles d’équité procédurale.

[159] Étant donné que le licenciement est entré en vigueur rétroactivement à la date de la suspension pour une période indéterminée, je vais traiter du grief sur le licenciement en premier.

A. Le grief portant sur le licenciement

[160] Pour analyser la question de savoir si un employeur avait un motif valable pour licencier un employé, la Commission doit examiner les trois questions distinctes suivantes, qui forment ce qui est communément appelé « le critère établi dans la décision William Scott » (voir William Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1) :

[Traduction]

1) Existait-il un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire?

2) Dans l’affirmative, la décision de licenciement était-elle excessive dans les circonstances?

3) Dans l’affirmative, quelle autre mesure disciplinaire juste et équitable devrait-on y substituer?

 

1. Existait-il un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire?

[161] La défenderesse a invoqué deux incidents comme motif juste et raisonnable pour imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire. Les deux incidents en question auraient eu lieu le 22 février 2018.

[162] Pour déterminer si les deux incidents sont survenus conformément aux allégations, il faut tirer des conclusions relatives à la crédibilité, car deux versions complètement contradictoires des événements m’ont été présentées. Lorsque j’ai évalué la crédibilité des témoins, je me suis fondée sur l’approche bien connue qui figure dans l’arrêt Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA), à la page 357 :

[Traduction]

[…]

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de convaincre qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances […]

[…]

 

[163] Il incombait à la défenderesse de prouver le bien-fondé de sa cause, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (voir F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, aux paragraphes 46 à 49).

a. Le premier incident

[164] Le premier incident serait survenu à l’entrée du lieu de travail et mettait en cause le fonctionnaire et un autre employé, soit M. Desbiens. La défenderesse a soutenu que, lors de cet incident, il y avait eu une altercation physique et, plus particulièrement, que le fonctionnaire avait poussé M. Desbiens deux fois sur la poitrine.

[165] Dans son grief du 23 mars 2018, le fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le fonctionnaire est entré dans […] tours de la place Vanier le matin du 22 février 2018 au moyen d’une porte d’accès extérieure, sans rencontrer quiconque allant dans la même direction ou en sens contraire. Il est entré par la porte d’accès intérieure adjacente à l’accès extérieur mentionné ci-dessus sans rencontrer quiconque allant dans la même direction ou en sens contraire.

[…]

 

[166] Toutefois, à l’audience, le fonctionnaire a reconnu qu’il avait rencontré M. Desbiens alors qu’il entrait dans l’immeuble ce matin-là, mais il a nié la version des événements de la défenderesse. Il n’a pas expliqué les déclarations faites dans son grief ni les raisons pour lesquelles ces déclarations avaient été modifiées.

[167] J’ai examiné attentivement les témoignages du fonctionnaire et de M. Desbiens ainsi que la totalité des éléments de preuve présentés. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, il convient de privilégier la version des événements de M. Desbiens, pour les motifs suivants.

[168] M. Desbiens a expliqué dans son témoignage qu’il commençait à en avoir assez du comportement agressif du fonctionnaire envers lui et qu’il voulait savoir la raison pour laquelle le fonctionnaire était si en colère contre lui. Il a déclaré qu’il avait décidé d’aborder le fonctionnaire lorsqu’il l’avait vu à l’entrée ce matin-là. Il a demandé au fonctionnaire [traduction] « Que se passe-t-il? Pourquoi es-tu en colère contre moi? ». Il a dit que le fonctionnaire l’avait alors poussé sur la poitrine. Il a déclaré que le fonctionnaire avait commencé à crier contre lui, quelque chose comme [traduction] « Va te faire voir! ». M. Desbiens a affirmé qu’il s’était reculé et qu’il avait levé les mains devant sa poitrine pour montrer qu’il renonçait et qu’il avait dit au fonctionnaire [traduction] « Calme-toi, calme-toi. »

[169] M. Desbiens a déclaré qu’il avait immédiatement signalé l’incident à ses gestionnaires, ce qui a été corroboré par M. Tremblay et Mme Gingras, qui ont tous deux déclaré qu’ils avaient été informés de l’incident par le gestionnaire de M. Desbiens peu de temps après.

[170] La version de M. Desbiens de l’incident a été consignée dans un rapport d’incident de sécurité le jour même, peu après l’incident survenu le 22 février 2018. Selon le rapport d’incident de sécurité, lorsqu’il a vu le fonctionnaire entrer dans l’immeuble, M. Desbiens a de nouveau tenté de lui demander la raison pour laquelle il était si en colère contre lui, et le fonctionnaire a commencé à crier fort contre lui pour qu’il s’écarte de son chemin, puis l’a poussé.

[171] M. Desbiens a également été interrogé par M. Torosian dans le cadre d’une enquête sur l’affaire. D’après le rapport d’enquête, après avoir vu le fonctionnaire s’approcher de l’entrée, M. Desbiens a décidé de lui demander des explications au sujet des trois incidents antérieurs et de savoir pourquoi le fonctionnaire était si en colère contre lui. Le rapport indique que M. Desbiens a ouvert rapidement la porte intérieure et s’est arrêté devant le fonctionnaire. Il a ensuite demandé au fonctionnaire ce qu’il avait fait pour que celui-ci soit si en colère contre lui. Le rapport décrit ensuite la vidéo et indique que le fonctionnaire est vu en train de pousser M. Desbiens à deux reprises sur la poitrine avec les deux mains et que M. Desbiens a les deux mains levées, dans un geste de renonciation. Selon le rapport, le fonctionnaire a crié à M. Desbiens de [traduction] « [s’écarter] de [s]on chemin ».

[172] Le témoignage de M. Desbiens, les déclarations faites dans son rapport d’incident de sécurité et le rapport d’enquête de M. Torosian concordent tous avec ce qu’on voit dans la vidéo de l’incident qui a été enregistrée par la caméra de sécurité de la défenderesse.

[173] Quant au témoignage du fonctionnaire, il n’était étayé d’aucune façon par la vidéo et il contredisait de façon flagrante la description des événements que le fonctionnaire avait fournie avant et pendant l’audience.

[174] Le fonctionnaire a témoigné que M. Desbiens s’était approché de lui par-derrière et qu’il lui avait crié après. Il a déclaré qu’il avait été surpris et qu’il avait complètement figé. Le fonctionnaire a expliqué que, après s’être retourné pour faire face à M. Desbiens, il avait trébuché vers l’avant. Il a nié avoir intentionnellement poussé M. Desbiens. Il a plutôt soutenu que le mouvement qu’il avait fait en trébuchant avait pu être perçu comme une poussée. Il a déclaré qu’il s’était ensuite déplacé vers l’avant et que ce mouvement avait peut-être été perçu comme une deuxième poussée. Rien dans cette description ne concorde à ce qu’on voit sur la vidéo.

[175] La vidéo montre clairement M. Desbiens qui s’approche du fonctionnaire en lui faisant face, et non par derrière. Le fonctionnaire ne fige pas et ne trébuche pas non plus. Ses deux poussées semblent tout à fait délibérées.

[176] Le fonctionnaire a affirmé que la vidéo ne devrait pas être invoquée parce qu’il s’agit d’une vidéo hypertruquée. Il a invoqué deux arguments à l’appui de cette affirmation, que j’examinerai successivement.

i. L’allégation selon laquelle l’incident est survenu à 9 h 5, et non à 9 h 48, comme le montre la vidéo

 

[177] La vidéo indique que l’altercation a eu lieu à 9 h 48. Le fonctionnaire a soutenu que la vidéo ne pouvait pas être utilisée, puisque l’incident était survenu à 9 h 05. À l’appui de sa position, il a déclaré que l’incident avait été décrit dans le courriel qu’il avait envoyé à M. Doan à 9 h 39, et qu’il était donc impossible que l’incident soit survenu à 9 h 48.

[178] J’ai examiné la preuve à cet égard et j’ai jugé que, selon la prépondérance des probabilités, le courriel de 9 h 39 ne portait pas sur l’incident survenu avec M. Desbiens à l’entrée de l’immeuble. Il portait plutôt sur un autre incident survenu plus tôt ce matin-là.

[179] En effet, M. Desbiens a témoigné que, plus tôt le matin du 22 février 2018, le fonctionnaire lui avait fait un doigt d’honneur pendant que M. Desbiens était en train de se stationner. Le courriel envoyé par le fonctionnaire à M. Doan à 9 h 39 mentionne que M. Desbiens l’avait suivi en voiture ce matin-là, ce qui démontre qu’un incident antérieur était survenu ce matin-là et que le courriel du fonctionnaire à M. Doan à 9 h 39 portait sur cet incident antérieur.

[180] De plus, le courriel envoyé à 9 h 39 ne mentionne aucun des détails de l’incident décrit dans le témoignage du fonctionnaire. Il indique que le fonctionnaire a été suivi en voiture ce matin-là par M. Desbiens et qu’un [traduction] « homme de main » de M. Desbiens l’attendait à l’entrée de l’immeuble. Compte tenu de ces faits et des multiples courriels détaillés que le fonctionnaire a envoyés à M. Doan au sujet de M. Desbiens et d’autres personnes, il semble improbable qu’il n’ait pas mentionné l’altercation survenue avec M. Desbiens à l’entrée principale, comme il l’a décrit dans son témoignage.

[181] De plus, il importe de mentionner qu’une enquêteuse indépendante, Mme Jelly, a enquêté sur les allégations du fonctionnaire contre M. Desbiens, mais aucune mention n’a été faite pendant cette enquête des événements décrits dans le témoignage du fonctionnaire. En effet, Mme Jelly a interrogé le fonctionnaire au sujet de toutes ses allégations contre M. Desbiens. L’enquête portait expressément sur les allégations formulées dans le courriel envoyé par le fonctionnaire à M. Doan à 9 h 39. Toutefois, au cours de son entrevue avec Mme Jelly, le fonctionnaire n’a fait aucune mention de l’altercation qui est survenue avec M. Desbiens à l’entrée de l’immeuble et qu’il a décrite dans son témoignage.

[182] Tous ces faits étayent ma conclusion selon laquelle le courriel envoyé par le fonctionnaire à M. Doan à 9 h 39 ne portait pas sur l’incident survenu avec M. Desbiens à l’entrée de l’immeuble, à 9 h 48, le 22 février 2018.

ii. L’allégation du fonctionnaire selon laquelle il ne pouvait pas être à l’entrée de l’immeuble à 9 h 48

 

[183] Comme deuxième argument pour soutenir que la vidéo de la défenderesse est hypertruquée et qu’elle ne devrait pas être invoquée, le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’était tout simplement pas possible qu’il se trouve à l’entrée de l’immeuble à 9 h 48, selon l’heure indiquée dans la vidéo. À l’appui de cet argument, le fonctionnaire a affirmé qu’il avait envoyé le courriel à M. Doan à partir de son ordinateur de bureau à 9 h 39 et qu’il ne pouvait donc pas avoir eu le temps de quitter l’immeuble et de revenir à 9 h 48, comme il est indiqué dans la vidéo.

[184] J’ai examiné la preuve à cet égard et je ne suis pas d’accord avec le fonctionnaire.

[185] Même si le laps de temps était court, ce n’était pas impossible. En fait, il était possible que le fonctionnaire ait quitté l’immeuble de bureaux immédiatement après avoir envoyé un courriel à M. Doan et qu’il soit revenu à 9 h 48. Il était également possible qu’il ait envoyé ce courriel à partir de son téléphone avant d’entrer dans l’immeuble et non à partir de son ordinateur de bureau, comme il l’a affirmé. En fait, il aurait aussi pu l’envoyer alors qu’il était dans sa voiture, puisqu’il a témoigné qu’il s’était stationné près du bureau ce jour-là. L’un ou l’autre de ces scénarios semble plus vraisemblable que l’allégation selon laquelle la vidéo enregistrée en février 2018, et qui concordait avec la version présentée par M. Desbiens au moment de l’incident, était une vidéo hypertruquée.

[186] Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le premier incident du 22 février 2018 est survenu conformément à ce qui figure sur la vidéo (et conformément à la description présentée dans la présente décision). La vidéo n’a pas de son, mais il est évident d’après les images que les parties ont communiqué entre elles. Je conclus que M. Desbiens a tenu au fonctionnaire des propos semblables à [traduction] « Qu’est-ce qui se passe? Pourquoi es-tu en colère contre moi? » et que le fonctionnaire a crié quelque chose comme [traduction] « Écarte-toi de mon chemin! » et « Va te faire voir! ». Je conclus que le fonctionnaire a poussé M. Desbiens deux fois sur la poitrine avec suffisamment de force pour le faire reculer et trébucher, que M. Desbiens avait les bras devant lui dans une position montrant qu’il renonçait et qu’il a répété au fonctionnaire de se calmer.

[187] En ce qui concerne la provocation, la vidéo montre clairement que c’est M. Desbiens qui a d’abord abordé le fonctionnaire après avoir ouvert la porte du hall pour s’adresser à lui. M. Desbiens a également reconnu qu’il avait décidé de parler au fonctionnaire parce qu’il commençait à [traduction] « en avoir assez » du comportement inexpliqué du fonctionnaire envers lui. Par conséquent, je conclus qu’un élément de provocation a précédé l’altercation physique et que M. Desbiens a approché le fonctionnaire de façon agressive. Toutefois, je constate également à partir de la vidéo que M. Desbiens a rapidement battu en retraite et fait un geste montrant qu’il renonçait, en plaçant ses mains paumes ouvertes devant lui.

b. Le deuxième incident

[188] Le deuxième incident, impliquant le fonctionnaire et deux autres employés, soit MM. Alqarra et Walker, aurait eu lieu dans l’un des ascenseurs du lieu de travail. La défenderesse a soutenu que l’incident avait entraîné une altercation, plus particulièrement, que le fonctionnaire avait fait preuve d’un comportement menaçant envers ces deux personnes.

[189] Dans son grief du 23 mars 2018, le fonctionnaire a déclaré qu’il [traduction] « […] est entré dans les locaux de l’ASFC le matin du 22 février 2018, c’est-à-dire au 4e étage de la tour B de la place Vanier, sans rencontrer quiconque allant dans la même direction ou en sens contraire ». Toutefois, à l’audience, le fonctionnaire a reconnu qu’il avait été dans l’ascenseur en même temps que MM. Alqarra et Walker le matin du 22 février 2018, mais il a nié la version des événements de la défenderesse. Il n’a donné aucune explication des déclarations faites dans son grief ni de la raison pour laquelle celles-ci avaient été modifiées.

[190] L’incident n’a pas été enregistré sur une caméra de sécurité, et aucun autre témoin ne l’a vu. Par conséquent, ma décision est fondée uniquement sur la crédibilité des témoins.

[191] Après avoir examiné attentivement les témoignages du fonctionnaire et de MM. Alqarra et Walker, ainsi que tous les éléments de preuve documentaires présentés, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il convient de privilégier la version des événements de MM. Alqarra et Walker pour les motifs suivants.

[192] Afin de faciliter la compréhension, j’ai séparé les événements en parties distinctes.

i. L’allégation du fonctionnaire selon laquelle MM. Alqarra et Walker discutaient et le regardaient avant d’entrer dans l’ascenseur

 

[193] Le fonctionnaire a témoigné que MM. Alqarra et Walker se connaissaient et qu’ils avaient été vus en train de discuter ensemble avant d’entrer dans l’ascenseur. Après avoir examiné les éléments de preuve à cet égard, je conclus que l’allégation du fonctionnaire n’est pas crédible.

[194] MM. Alqarra et Walker ont tous deux témoigné qu’ils ne se connaissaient pas avant l’incident. Ce fait est étayé par la version des événements fournie par M. Walker à l’époque et consignée dans le rapport d’incident de sécurité de M. Walker, où celui-ci a déclaré que [traduction] « [u]n autre employé de l’ASFC (identifié plus tard comme un certain Rami Alqarra) était dans l’ascenseur ». MM. Alqarra et Walker travaillaient dans des sections différentes et sur des étages différents (les 2e et 14e), ce qui vient étayer le fait que les deux hommes ne se connaissaient pas auparavant.

[195] Par ailleurs, le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve qui permettrait d’étayer son allégation, sauf la supposition que les deux hommes faisaient partie d’un réseau dirigé par M. Desbiens. Selon la prépondérance des probabilités, je juge que MM. Alqarra et Walker ne se connaissaient pas auparavant. Par conséquent, je conclus qu’ils sont entrés dans l’ascenseur séparément et qu’ils n’ont pas discuté ensemble avant.

[196] Je conclus également, selon la prépondérance des probabilités, que MM. Alqarra et Walker ont chacun regardé le fonctionnaire avant d’entrer dans l’ascenseur et que le fonctionnaire les a aussi regardés. Cela concorde avec le témoignage du fonctionnaire selon lequel il a vu, et donc a regardé, MM. Alqarra et Walker avant d’entrer dans l’ascenseur. Le fonctionnaire a également témoigné qu’il se sentait très exaspéré à ce moment-là. M. Walker a affirmé qu’il avait reconnu le fonctionnaire, puisqu’il l’avait déjà vu adopter ce qu’il avait estimé être des comportements étranges dans le milieu de travail ou dans les environs de l’immeuble. Par conséquent, il semble plausible que MM. Alqarra et Walker aient regardé le fonctionnaire, puisque ce dernier les regardait également et qu’il était probablement dans un certain état d’agitation de nature à attirer leur attention.

[197] Toutefois, je n’estime pas que le fait de regarder quelqu’un, comme il a été décrit ci-dessus, puisse de quelque façon que ce soit être considéré comme un élément de provocation. J’ai conclu que MM. Alqarra et Walker étaient des témoins crédibles. Leurs témoignages ont été étayés par des notes détaillées qui ont été consignées peu après l’événement, le jour même. Les hommes ont tous deux signalé indépendamment l’incident à la direction, immédiatement après les événements. Le fait qu’aucun des deux hommes ne se souvient d’avoir vu le fonctionnaire avant d’entrer dans l’ascenseur étaye le fait qu’ils l’ont simplement regardé en passant avant d’entrer.

ii. La décision du fonctionnaire d’entrer dans l’ascenseur

 

[198] MM. Alqarra et Walker ont tous deux affirmé que, après leur entrée dans l’ascenseur et alors que les portes étaient en train de se refermer, le fonctionnaire a forcé les portes à se rouvrir. M. Walker a également déclaré qu’il avait vu le fonctionnaire se précipiter en courant à partir de l’ascenseur d’en face. Ces versions des événements ont été consignées le jour même, peu après l’incident, dans les rapports d’incident de sécurité datés du 22 février 2018. Le rapport de M. Alqarra indique que [traduction] « […] soudainement, un homme noir chauve de 5 pieds 6 pouces et portant des lunettes est entré dans lascenseur après avoir forcé la porte à ouvrir [] ». Le rapport de M. Walker indique que [traduction] « [a]lors que les portes commençaient à se refermer, un homme qui était à l’ascenseur d’en face s’est approché en courant, a mis son bras dans lascenseur pour empêcher les portes de se refermer et est entré dans lascenseur lorsque les portes se sont ouvertes ».

[199] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait vu MM. Alqarra et Walker entrer dans l’ascenseur et qu’il s’était demandé s’il devait y entrer. Il a affirmé qu’il avait décidé d’y entrer parce qu’il se sentait tellement exaspéré. Il a nié avoir couru à partir de l’ascenseur d’en face; cependant, il a convenu qu’il avait utilisé la barre de sécurité pour ouvrir les portes. Il a déclaré que cette barre sert à ouvrir les portes d’ascenseur lorsqu’elles commencent à se refermer.

[200] J’ai examiné tous les éléments de preuve à cet égard, et je conclus que le fonctionnaire est entré dans l’ascenseur où se trouvaient MM. Alqarra et Walker après s’être précipité vers l’ascenseur et avoir forcé les portes à rouvrir, car elles avaient commencé à se refermer. Cette version des faits est conforme au témoignage du fonctionnaire, qui a affirmé qu’il s’était demandé s’il devait entrer dans l’ascenseur et qu’il avait dû utiliser la barre de sécurité pour rouvrir les portes. Cette version étaye le fait qu’il s’agissait d’une décision prise à la hâte qui l’avait obligé à se précipiter vers les portes de l’ascenseur. Le fait qu’il ait couru ou non à partir de l’ascenseur d’en face n’a aucune conséquence réelle. Par conséquent, je ne tire aucune conclusion à cet égard. Toutefois, ce qui est important, c’est que je conclus que la décision du fonctionnaire d’entrer dans l’ascenseur était intentionnelle et qu’il l’a fait parce qu’il savait que MM. Alqarra et Walker s’y trouvaient.

iii. L’incident concernant M. Alqarra

 

[201] M. Alqarra a expliqué que, dès son entrée dans l’ascenseur, le fonctionnaire s’était approché de lui et lui avait crié après. Il a déclaré que le fonctionnaire lui avait dit [traduction] « C’est quoi ton foutu problème? Pourquoi me regardes-tu? Tu vas être dans un sacré pétrin. » Il a déclaré que le fonctionnaire se trouvait à une distance d’environ six pouces de lui. Il a affirmé qu’il était resté calme et qu’il avait répété [traduction] « Me connais-tu? Est-ce que je te connais? Je ne te connais pas » et que le fonctionnaire avait répondu [traduction] « Oui, tu me connais et tu vas être dans un sacré pétrin ». M. Alqarra a déclaré que, lorsque les portes s’étaient ouvertes au deuxième étage, il avait dit : [traduction] « Excuse-moi », avait contourné le fonctionnaire et était sorti de l’ascenseur.

[202] M. Alqarra a expliqué qu’il avait immédiatement signalé l’incident à la direction et qu’on lui avait dit de remplir un rapport d’incident de sécurité. Ce rapport, qui a été produit peu après l’incident, indique que le fonctionnaire était extrêmement près de M. Alqarra et qu’il avait crié : [traduction] « C’est quoi ton foutu problème? Arrête de me regarder. Oui, je te connais. Tu vas être dans le pétrin. Tu me regardes encore. Regarde ailleurs. Regarde ailleurs. » Le rapport indique que M. Alqarra est resté calme et a dit au fonctionnaire : [traduction] « Me connais-tu? Est-ce que je te connais? Recule et éloigne-toi de moi s’il te plaît. » Le rapport indique que le fonctionnaire a crié : [traduction] « Oui, je te connais. Tu vas avoir un problème. » Enfin, selon le rapport, M. Alqarra a ensuite dit [traduction] « Désolé, je ne te connais pas » et il est sorti de l’ascenseur au deuxième étage, où se situait son bureau.

[203] Le témoignage de M. Walker corrobore celui de M. Alqarra. M. Walker a témoigné que, dès que les portes de l’ascenseur s’étaient refermées, le fonctionnaire s’était approché de M. Alqarra et avait commencé à crier [traduction] « Arrête de me regarder! As-tu un problème? Tu vas avoir un problème! », et que M. Alqarra était resté calme et avait répété [traduction] « Me connais-tu? Je ne te connais pas ». M. Walker a affirmé que M. Alqarra avait les mains en l’air pour montrer qu’il renonçait, qu’il avait dit [traduction] « Laisse-moi passer s’il te plaît » et qu’il était sorti au deuxième étage. M. Walker a affirmé qu’il se trouvait au milieu de l’ascenseur et que M. Alqarra et le fonctionnaire se trouvaient dans le coin arrière du côté opposé, le fonctionnaire lui tournant le dos. Il a affirmé que, de son point de vue et d’après ce qu’il avait vu, le fonctionnaire avait [traduction] « poussé » M. Alqarra, ce qui laisse entendre qu’il y aurait eu un contact physique.

[204] M. Walker a affirmé qu’il avait immédiatement signalé l’incident à la direction et qu’on lui avait dit de remplir un rapport d’incident de sécurité. Ce rapport, qui a été produit peu après l’incident, indique que, après son entrée dans l’ascenseur, le fonctionnaire a coincé M. Alqarra et a crié : [traduction] « Pourquoi me regardes-tu? As-tu un problème avec moi? C’est quoi ton foutu problème? Arrête de me regarder. Regarde ailleurs. Regarde ailleurs. Tu vas être dans le pétrin. Tu vas avoir un sacré problème. Regarde ailleurs. Arrête de me regarder. » Le rapport indique que le fonctionnaire s’est pressé contre M. Alqarra. Il indique que M. Alqarra a gardé son calme et a clairement demandé au fonctionnaire : [traduction] « Me connais-tu? Je ne te connais pas. S’il te plaît, recule. » Selon le rapport, lorsque l’ascenseur s’est arrêté au deuxième étage, M. Alqarra a dit [traduction] « Désolé, je ne te connais pas ». Il a placé ses mains devant lui de manière non menaçante, a contourné le fonctionnaire et est sorti rapidement de l’ascenseur.

[205] Le fonctionnaire a nié cette affirmation. Il a affirmé qu’il était exaspéré et qu’il voulait donc demander à MM. Alqarra et Walker ce qui se passait. Il a déclaré que, une fois qu’il était dans l’ascenseur, MM. Alqarra et Walker l’avaient regardé et qu’il leur avait dit [traduction] « Qu’est-ce que vous regardez? ». Il n’a rien dit au sujet du ton sur lequel il avait posé cette question. Il a déclaré que rien d’autre ne s’était passé et que MM. Alqarra et Walker semblaient simplement résolus à le fixer. Il a affirmé qu’il était debout accoté au mur de l’ascenseur et qu’il n’entravait personne.

[206] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il convient de privilégier les versions des événements de MM. Alqarra et Walker. Leurs versions concordaient l’une avec l’autre et étaient également conformes aux déclarations fournies dans leurs rapports d’incidents de sécurité distincts, produits peu après l’incident. Les deux hommes ont signalé l’incident à la direction immédiatement après les événements, ce qui témoigne de la gravité de ce qui s’est passé. Les témoignages de M. Tremblay et de Mme Gingras ont corroboré le fait qu’ils ont été informés de l’incident peu après les événements.

[207] La divergence entre les témoignages de MM. Alqarra et Walker quant à la question de savoir s’il y a eu un contact physique peut être expliquée par l’endroit où était situé M. Walker, qui ne voyait pas clairement s’il y avait eu contact entre les deux hommes ou non. Toutefois, le fait que M. Walker croyait qu’ils s’étaient touchés donne à penser que le fonctionnaire s’était approché très près de M. Alqarra.

[208] Les témoignages de MM. Alqarra et Walker au sujet des propos tenus par le fonctionnaire correspondent également au témoignage du fonctionnaire selon lequel il se sentait exaspéré et avait décidé d’entrer dans l’ascenseur parce qu’il voulait leur demander ce qui se passait. Il n’est tout simplement pas crédible que le fonctionnaire ait seulement dit [traduction] « Qu’est-ce que vous regardez? », comme il l’a laissé entendre.

[209] Compte tenu de ce qui précède, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les événements sont survenus de la manière décrite par M. Alqarra dans son rapport d’incident de sécurité. Le rapport fournit un compte rendu détaillé de ce qui s’est passé, il a été produit peu de temps après l’incident et il concorde avec son témoignage à l’audience.

[210] Par conséquent, je conclus que, après être entré dans l’ascenseur, le fonctionnaire s’est approché très près (à environ six pouces) de M. Alqarra et a crié quelque chose comme [traduction] « C’est quoi ton foutu problème? Arrête de me regarder. Oui, je te connais. Tu vas être dans le pétrin. Tu me regardes encore. Regarde ailleurs. Regarde ailleurs. » Je conclus que M. Alqarra est resté calme et qu’il a dit ce qui suit : [traduction] « Me connais-tu? Est-ce que je te connais? Recule et éloigne-toi de moi s’il te plaît. » Je conclus que le fonctionnaire a répondu quelque chose comme : « Oui, je te connais. Tu vas avoir un problème. » Enfin, je conclus que M. Alqarra a répondu [traduction] « Désolé, je ne te connais pas » et qu’il est sorti de l’ascenseur.

iv. L’incident concernant M. Walker

 

[211] M. Walker a témoigné que, une fois M. Alqarra sorti de l’ascenseur, le fonctionnaire s’était tourné vers lui et avait crié : [traduction] « As-tu un problème? Tu vas avoir un problème! »

[212] M. Walker a déclaré qu’il se croyait en danger et qu’il estimait qu’il devait se défendre, et qu’il avait donc dit [traduction] « Non, c’est TOI qui vas avoir un problème », ce qui avait semblé déstabiliser le fonctionnaire, qui avait alors reculé. M. Walker a déclaré que, lorsque les portes s’étaient ouvertes au quatrième étage, il avait décidé de suivre le fonctionnaire, car il craignait que ce dernier ne représente un danger pour d’autres.

[213] Le fonctionnaire a nié la version des événements de M. Walker, mais il a convenu que M. Walker était également sorti de l’ascenseur au quatrième étage.

[214] Comme il a été précisé à la section précédente, M. Walker a affirmé qu’il avait immédiatement signalé l’incident à la direction et qu’il avait rempli un rapport d’incident de sécurité ce jour-là, ce qui a permis de consigner l’incident au moment des faits. Le rapport est en grande partie conforme à son témoignage, à part le fait que le rapport indique que le fonctionnaire a utilisé un langage grossier. Selon le rapport, le fonctionnaire a dit : [traduction] « As-tu un foutu problème? Tu vas avoir un sacré problème. »

[215] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que c’est la version des événements de M. Walker qui doit être privilégiée. M. Walker a signalé l’incident à M. Tremblay immédiatement après les faits, ce que M. Tremblay a corroboré. Le fait que M. Walker a décidé de sortir de l’ascenseur au quatrième étage et de suivre le fonctionnaire témoigne de la gravité de l’incident. L’allégation du fonctionnaire selon laquelle il ne s’était rien passé, à part qu’il avait dit [traduction] « Qu’est-ce que vous regardez? » n’est tout simplement pas crédible. S’il ne s’était réellement rien passé, M. Walker n’aurait eu aucune raison de suivre le fonctionnaire au quatrième étage.

[216] Compte tenu de ce qui précède, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les événements sont survenus de la manière décrite par M. Walker dans son rapport d’incident de sécurité. Le rapport fournit un compte rendu détaillé de ce qui s’est passé, il a été produit peu de temps après l’incident et il concorde avec son témoignage à l’audience.

[217] Par conséquent, je conclus que, une fois M. Alqarra sorti de l’ascenseur, le fonctionnaire s’est tourné vers M. Walker et a crié [traduction] « As-tu un foutu problème? Tu vas avoir un sacré problème! » et que M. Walker a répondu [traduction] « Non, c’est TOI qui vas avoir un problème! », ce qui a semblé déstabiliser le fonctionnaire, qui a alors reculé.

c. Conclusion relative au caractère juste et raisonnable de la mesure disciplinaire

[218] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les deux incidents sont survenus le 22 février 2018 de la manière décrite par la défenderesse.

[219] Je conclus que le fonctionnaire a pris part à une altercation physique avec M. Desbiens à l’entrée de l’immeuble le 22 février 2018, en le poussant deux fois sur la poitrine tout en lui criant après et en tenant un langage grossier. Évidemment, un tel comportement n’a pas sa place dans un milieu de travail.

[220] Bien qu’il y ait eu un élément de provocation, puisque M. Desbiens a déclenché les événements en s’approchant agressivement du fonctionnaire, la réaction de ce dernier était inappropriée dans les circonstances. En effet, lorsqu’il y a provocation, la réaction doit être raisonnablement proportionnelle. Dans la présente affaire, je juge que la réaction du fonctionnaire était très disproportionnée par rapport à la provocation.

[221] Je conclus en outre que, plus tard au cours de la même matinée, le fonctionnaire a volontairement et agressivement abordé MM. Alqarra et Walker dans un ascenseur du lieu de travail, a crié en utilisant un langage inapproprié en milieu de travail et a proféré des menaces contre chacun d’eux. Contrairement à l’incident impliquant M. Desbiens, qui comportait un élément de provocation, je juge que la conduite du fonctionnaire envers MM. Alqarra et Walker n’était pas le résultat d’une provocation. Encore une fois, un tel comportement est manifestement inapproprié dans un milieu de travail.

[222] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que des préjugés fondés sur la race peuvent avoir influé sur l’évaluation de la défenderesse, qui a jugé qu’il avait un motif juste et raisonnable d’imposer au fonctionnaire une mesure disciplinaire. Elles ont cité Mme Kawakami à témoigner en tant que témoin experte pour étayer leurs arguments. Mme Kawakami est titulaire d’un doctorat en psychologie et mène des études dans le domaine des préjugés implicites liés à la race et au genre. La défenderesse n’a pas contesté ses qualifications en tant qu’experte dans son domaine. Toutefois, la défenderesse a soutenu que son témoignage n’était pas pertinent en l’espèce.

[223] La défenderesse a invoqué l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, dans lequel la Cour suprême du Canada a établi le critère d’admissibilité du témoignage d’expert de la manière suivante :

[…]

[23] Dans un premier temps, celui qui veut présenter le témoignage doit démontrer qu’il satisfait aux critères d’admissibilité, soit les quatre critères énoncés dans l’arrêt Mohan, à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. De plus, dans le cas d’une opinion fondée sur une science nouvelle ou contestée ou sur une science utilisée à des fins nouvelles, la fiabilité des principes scientifiques étayant la preuve doit être démontrée (J.L.J., par. 33, 35-36 et 47; Trochym, par. 27; Lederman, Bryant et Fuerst, p. 788-789 et 800-801). Le critère de la pertinence, à ce stade, s’entend de la pertinence logique (Abbey (ONCA), par. 82; J.L.J., par. 47). Tout témoignage qui ne satisfait pas à ces critères devrait être exclu. Il est à noter qu’à mon avis, la nécessité demeure un critère (D.D., par. 57; voir D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (7e éd. 2015), p. 209-210; R. c. Boswell, 2011 ONCA 283, 85 C.R. (6 th) 290, par. 13; R. c. C. (M.), 2014 ONCA 611, 13 C.R. (7 th) 396, par. 72).

[24] Dans un deuxième temps, le juge-gardien exerce son pouvoir discrétionnaire en soupesant les risques et les bénéfices éventuels que présente l’admission du témoignage, afin de décider si les premiers sont justifiés par les seconds. Cet exercice nécessaire de pondération a été décrit de plusieurs façons. Dans l’arrêt Mohan, le juge Sopinka parle du « facteur fiabilité-effet » (p. 21), tandis que, dans l’arrêt J.-L.J., le juge Binnie renvoie à « la pertinence, la fiabilité et la nécessité par rapport au délai, au préjudice, à la confusion qui peuvent résulter » (par. 47). Le juge Doherty résume bien la question dans l’arrêt Abbey, lorsqu’il explique que [traduction] « le juge du procès doit décider si le témoignage d’expert qui satisfait aux conditions préalables à l’admissibilité est assez avantageux pour le procès pour justifier son admission malgré le préjudice potentiel, pour le procès, qui peut découler de son admission » (par. 76).

[…]

 

[224] Les représentantes du fonctionnaire ont fait valoir que Mme Kawakami a présenté des connaissances de pointe sur la façon dont les préjugés fondés sur la race se manifestent en milieu de travail chez des personnes bien intentionnées. Elles ont déclaré que cette preuve visait à fournir une explication possible des événements que les témoins ont décrits, selon le point de vue d’une experte en matière de préjugés inconscients.

[225] À cet égard, Mme Kawakami a témoigné au sujet d’études sur les préjugés inconscients qui ont démontré que les personnes blanches perçoivent les actes de personnes noires comme étant plus agressifs que ceux d’autres personnes blanches.

[226] Après avoir examiné la preuve présentée par Mme Kawakami, je n’estime pas qu’il soit pertinent ou nécessaire que je tire une conclusion de comportement coupable en l’espèce.

[227] En effet, le fonctionnaire ne conteste pas la façon dont ses actes ont été perçus par MM. Desbiens, Alqarra et Walker. Il propose plutôt une version complètement différente des faits, que j’ai jugée improbable. Même si j’accepte que la race ait pu influer sur la mesure dans laquelle ses actes ont été perçus comme agressifs par MM. Desbiens, Alqarra et Walker, il n’y a aucun doute que sa conduite était inappropriée, quelle que soit la perception.

[228] Il ressort clairement des documents faisant autorité que les menaces et les agressions physiques en milieu de travail sont inacceptables. Voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, chapitre 7 – Discipline, 5e éd. (« Brown et Beatty »), au paragraphe 7:32 :

[Traduction]

La violence verbale ou physique et les actes agressifs envers autrui sont aussi déviants et inacceptables dans le milieu de travail que dans la société en général. Les agressions, l’intimidation, le harcèlement, les propos racistes insultants et les menaces proférées dans le cadre de l’emploi d’une personne sont considérés de façon universelle comme étant fondamentalement contraires à l’intérêt de l’employeur, lequel vise à créer un environnement de travail positif et productif, ainsi qu’à la santé, à la sécurité et au bien-être général de ses employés. Il ressort clairement de la loi que l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger le bien-être de son effectif et qu’il peut être tenu de rendre des comptes s’il néglige de le faire.

 

[229] Par conséquent, en ce qui concerne la première question du critère établi dans la décision William Scott, je conclus que la conduite du fonctionnaire était manifestement contraire à la conduite qui devrait être tolérée en milieu de travail et qu’elle contrevenait à l’article 11 du Code de conduite de la défenderesse. Je conclus que les actes que le fonctionnaire a commis le 22 février 2018 constituaient une inconduite grave, de sorte qu’il existait un motif juste et raisonnable de prendre une mesure disciplinaire.

2. La décision de licenciement était-elle excessive dans les circonstances?

[230] Ayant jugé que la défenderesse avait un motif valable de prendre une mesure disciplinaire, je dois maintenant déterminer si la décision de licencier le fonctionnaire était excessive. Pour ce faire, je dois tenir compte de la nature de l’inconduite, ainsi que des circonstances atténuantes et aggravantes.

[231] Dans le présent cas, la défenderesse a déclaré que lorsqu’elle a rendu sa décision, elle a tenu compte de toutes les circonstances atténuantes et aggravantes. En ce qui concerne les circonstances atténuantes, elle a fait référence au dossier disciplinaire vierge du fonctionnaire. En ce qui concerne les circonstances aggravantes, elle a évoqué l’absence de remords du fonctionnaire et son refus de reconnaître la gravité de ses actes. Elle a soutenu que, en raison de cette situation, le lien de confiance avait été rompu de façon définitive.

[232] Pour leur part, les représentantes du fonctionnaire ont mentionné des facteurs qui, à leur avis, auraient dû être considérés comme des circonstances atténuantes. Il s’agit des facteurs suivants :

· les nombreuses années de service du fonctionnaire;

· son bilan positif de rendement au travail;

· le contexte des événements et l’état de détresse du fonctionnaire.

 

[233] Les représentantes du fonctionnaire ont également soulevé les questions suivantes, qu’elles considéraient comme des lacunes dans le processus décisionnel :

· les lacunes du processus d’enquête;

· la violation de la convention collective et des règles d’équité procédurale par le défaut d’informer le fonctionnaire de tous les motifs ayant donné lieu aux mesures disciplinaires;

· le défaut de donner la possibilité au fonctionnaire de répondre à toutes les allégations formulées contre lui avant de prendre la décision de le licencier;

· la caractérisation erronée de la nature de l’inconduite, qui a mené à une application inappropriée du « Cadre de mesures disciplinaires » de la défenderesse;

· le défaut d’évaluer correctement la possibilité de réadaptation du fonctionnaire.

 

[234] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu qu’il convient de tenir compte de tous ces facteurs pour conclure que les mesures disciplinaires étaient excessives.

[235] J’examinerai chacune de ces questions, mais pas dans le même ordre que celui dans lequel elles ont été énumérées.

a. La nature de l’inconduite

[236] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que, si je conclus qu’il y a eu une conduite inappropriée, cette conduite ne méritait pas un licenciement. Elles ont renvoyé à la décision William Scott et ont soutenu que des mesures moindres devraient être appliquées en premier, compte tenu des circonstances atténuantes en l’espèce. À cet égard, la décision William Scott comprend le passage suivant à la page 9 :

[Traduction]

[…]

[…] la convention collective type confère également à l’employeur un vaste droit de gestion pour imposer des mesures disciplinaires à ses employés. Si un employé a causé des problèmes en milieu de travail, l’employeur n’est pas légalement limité à la seule mesure irréversible du licenciement. Au contraire, il peut avoir recours à un vaste éventail de sanctions moindres : des avertissements verbaux ou écrits, des suspensions brèves ou longues, voire la rétrogradation à l’occasion […] Étant donné que, lorsqu’il y a eu inconduite d’un employé, l’employeur peut désormais mettre en place des mesures disciplinaires progressives, il y a une tendance naturelle à exiger que ces mesures moindres soient tentées avant que l’employeur ne prenne la mesure ultime, soit celle de procéder au licenciement […]

[…]

 

[237] Les représentantes du fonctionnaire ont également renvoyé à la décision Dominion Glass Co. and United Glass & Ceramic Workers, Local 203, 1975 CanLII 2106 (ON LA), et ont affirmé que celle-ci appuyait la proposition selon laquelle tous les cas de violence ne justifient pas le licenciement d’un employé. Voici ce qui est énoncé à la page 85 :

[Traduction]

Il ne fait aucun doute que la violence et l’insubordination des employés sont inacceptables dans une entreprise et que les employeurs ont le pouvoir, dans les circonstances appropriées, de licencier les employés en raison de cette conduite. Toutefois, ce ne sont pas tous les cas de violence ou d’insubordination qui justifieront le licenciement, une sanction appelée la « peine capitale en contexte de travail ». Il existe de nombreux facteurs qui peuvent atténuer la gravité de l’infraction, et ceux-ci doivent être pris en considération dans chaque cas individuel. Il est évident qu’il n’est pas nécessaire de maintenir en poste un employé qui, à maintes reprises, ne peut ou ne veut pas se soumettre aux directives de son employeur. Le travailleur d’un tempérament dangereux et violent n’a pas non plus le droit de demeurer au sein de l’effectif d’une usine. L’employeur a le droit et, en fait, l’obligation, de veiller à ce que l’ordre règne dans son entreprise. Toute personne qui menace la sécurité d’autres employés peut être retirée du lieu de travail de manière permanente. Toutefois, à mon avis, il incombe à l’entreprise de démontrer que la conduite insubordonnée ou violente de l’employé était de nature telle qu’il était improbable qu’il puisse fonctionner à nouveau de manière efficace dans l’entreprise. Le licenciement est une sanction sévère qui ne devrait être appliquée qu’avec parcimonie. Il ne faudrait procéder au licenciement que lorsqu’il est manifeste qu’aucune autre mesure disciplinaire ne pourra fonctionner.

[…]

 

[238] La défenderesse a soutenu que les représentantes du fonctionnaire ont invoqué une jurisprudence désuète et que la loi avait évolué depuis en ce qui a trait à la sécurité au travail. Elle a renvoyé à la décision Kingston (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 109, 2011 CanLII 50313 (ON LA), dans laquelle le conseil d’arbitrage a jugé que, lorsqu’une menace est proférée, le défendeur doit agir immédiatement et évaluer la présence d’un danger réel. Elle a cité le paragraphe 249 de la décision Kingston (City), qui est formulé ainsi : [traduction] « Lorsqu’une menace est proférée en milieu de travail, il faut prendre un temps d’arrêt. Il faut signaler l’incident. Il faut enquêter. Il faut évaluer l’existence d’un danger réel. Il faut agir. »

[239] La défenderesse a fait valoir que cette décision appuie sa position selon laquelle les menaces n’ont plus leur place dans le milieu de travail, qu’un tel comportement ne peut être balayé du revers de la main et que les employeurs doivent agir et prendre les menaces au sérieux. Elle a également invoqué la décision Wepruk c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2021 CRTESPF 75, dans laquelle un licenciement a été confirmé après un seul acte de violence en milieu de travail.

[240] Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les actes de violence n’ont pas leur place dans le milieu de travail d’aujourd’hui. Les employeurs doivent agir rapidement et prendre au sérieux tous les actes de violence lorsqu’ils surviennent. Toutefois, je suis également d’accord avec les représentantes du fonctionnaire pour dire que ce ne sont pas tous les actes de violence qui doivent nécessairement entraîner le licenciement. La question de savoir si un licenciement est justifié dépend des faits propres à chaque cas.

[241] En l’espèce, j’ai conclu que le fonctionnaire avait poussé M. Desbiens à deux reprises en lui criant après et en tenant un langage grossier. Je suis consciente que cet incident n’aurait pas eu lieu si M. Desbiens n’avait pas abordé le fonctionnaire au départ. Toutefois, comme je l’ai déjà précisé, la réaction doit être raisonnablement proportionnelle à la provocation. Dans la présente affaire, l’acte de pousser physiquement M. Desbiens dépassait de loin la gravité de la provocation, à plus forte raison que M. Desbiens demandait au fonctionnaire [traduction] « Que se passe-t-il? Pourquoi es-tu en colère contre moi? ».

[242] J’ai également conclu que, plus tard au cours de la même matinée, le fonctionnaire avait crié après MM. Alqarra et Walker et les avait menacés alors qu’il se trouvait dans un ascenseur avec eux. Le fonctionnaire a agi ainsi sans aucune provocation, après être entré volontairement dans l’ascenseur avec l’intention de les interpeller. Le comportement menaçant du fonctionnaire a été considérablement aggravé par le fait qu’il s’est approché très près de M. Alqarra, soit à seulement six pouces de son visage.

[243] Il est clair que les deux événements constituaient de la violence en milieu de travail, sans égard à la provocation qui a eu lieu dans le premier incident. Il s’agit tout simplement d’un comportement inacceptable en milieu de travail. La nature de l’inconduite était grave et, par conséquent, elle méritait une conséquence grave.

[244] Malgré cela, je ne suis pas convaincue que la nature de l’inconduite à elle seule justifiait le licenciement du fonctionnaire. Comme je l’explique ci-dessous, c’est après avoir examiné les circonstances dans leur ensemble que j’ai conclu que le licenciement devait être confirmé.

b. Les nombreuses années de service

[245] Au moment de son licenciement, le fonctionnaire comptait presque 33 années de service dans la fonction publique fédérale. Ses représentantes ont fait valoir que ses longues années de service devraient se voir attribuer un poids considérable dans l’examen des circonstances atténuantes. À l’inverse, le représentant de la défenderesse a soutenu que les longues années de service du fonctionnaire auraient dû faire en sorte qu’il soit plus avisé.

[246] Je conclus que le fonctionnaire comptait de nombreuses années de service et qu’il s’agit d’une circonstance atténuante importante.

c. Le bilan positif de rendement au travail

[247] Le fonctionnaire a donné quelques exemples des travaux qu’il avait accomplis au fil des ans. Il a mentionné que son travail était reconnu par la défenderesse et qu’il avait notamment reçu un prix spécial. Toutefois, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune mention de ses évaluations du rendement et qu’aucune de celles-ci n’avait été déposée en preuve. Par ailleurs, j’ai aussi constaté que la défenderesse n’avait pas contesté la version du fonctionnaire au sujet de son bilan de rendement au travail.

[248] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que son bilan de travail positif devrait être considéré comme une circonstance atténuante importante. Le représentant de la défenderesse n’a pas abordé ce point.

[249] J’estime qu’il s’agit d’une circonstance atténuante ayant un poids modéré, puisque le fonctionnaire a seulement évoqué cette question, mais sans fournir de preuve corroborante, alors que celle-ci aurait dû être facilement accessible.

d. L’absence de mesures disciplinaires dans le dossier du fonctionnaire

[250] Dans sa lettre de licenciement, la défenderesse a reconnu que le fonctionnaire avait un dossier disciplinaire vierge. Je suis d’accord avec les représentantes du fonctionnaire pour dire qu’il s’agit d’une circonstance atténuante importante.

e. Le contexte des événements et l’état de détresse

[251] Les représentantes du fonctionnaire ont fait valoir que la défenderesse n’avait pas tenu compte du contexte dans lequel les événements étaient survenus. Plus particulièrement, elles ont soutenu que le fonctionnaire était dans un état de détresse le 22 février 2018, en raison des plaintes de harcèlement sexuel, toujours en instance et non réglées, qu’il avait formulées contre un certain nombre d’employés. Ses représentantes ont reconnu que je n’étais pas saisie de ces plaintes. Elles ont fait valoir que, néanmoins, les plaintes sont pertinentes lorsqu’il s’agit de comprendre les actes du fonctionnaire et son état d’esprit le jour des incidents.

[252] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que les événements du 22 février 2018 découlaient de l’inaction de la défenderesse quant aux plaintes extrêmement graves que le fonctionnaire avait déposées. Elles ont déclaré que le fonctionnaire était un employé en état de crise. À l’appui de cette déclaration, elles ont fait référence à son témoignage selon lequel il se sentait terrifié, se stationnait délibérément loin du bureau, empruntait différents itinéraires pour se rendre à son bureau, avait installé des caméras de sécurité autour de sa maison et, en fin de compte, ne quittait presque plus son bureau de peur de rencontrer M. Desbiens et d’autres personnes. Les représentantes du fonctionnaire ont ajouté que ce dernier avait suivi les directives qu’on lui avait données et qu’il avait demandé de l’aide en utilisant les mécanismes prévus à cette fin, mais qu’aucune aide concrète ne lui avait été fournie, malgré ses demandes. Elles ont affirmé que ce n’est qu’en septembre 2018 que le fonctionnaire avait obtenu une réponse de la défenderesse au sujet de ses plaintes. Elles ont déclaré qu’il était évident que le fonctionnaire vivait des difficultés et que personne ne s’en souciait.

[253] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que l’état d’esprit et les bouleversements émotionnels du fonctionnaire auraient dû être pris en compte lorsque la décision a été prise au sujet de son licenciement. Elles ont fait valoir que son état d’esprit à l’égard de M. Desbiens, ainsi que le fait qu’il avait été pris au dépourvu lorsque M. Desbiens l’avait abordé, devraient être considérés comme des circonstances atténuantes.

[254] Le point de vue du représentant de la défenderesse était très différent. Il a fait valoir que le fait que le fonctionnaire se sentait suivi ou qu’il avait l’impression de faire l’objet d’une surveillance ne constituait pas un motif pour commettre des actes de violence en milieu de travail. Il a invoqué la décision Wepruk (que la Cour d’appel fédérale a confirmée dans la décision Wepruk v. Canada (Attorney General), 2024 FCA 55) et a soutenu que les plaintes de harcèlement du fonctionnaire ne pouvaient servir à excuser sa conduite inappropriée. Il a renvoyé au paragraphe 295 de la décision rendue par la Commission dans l’affaire Wepruk, dans laquelle la conclusion suivante est tirée :

[295] Je conclus que l’employeur était au courant d’un certain niveau de discorde et de tristesse dans la section en ce qui concerne un certain nombre de pratiques de gestion et d’attitudes perçues et qu’il n’a pris que les mesures minimales qu’il jugeait nécessaires pour gérer la situation. Toutefois, le simple fait que la fonctionnaire se soit trouvée dans un milieu de travail stressant et toxique ne l’absout pas en soi de toute sa responsabilité à l’égard de sa conduite. Qui plus est, le fait qu’elle se croyait la victime précise de harcèlement ne suffit pas en soi à l’absoudre de son inconduite.

 

[255] Le représentant de la défenderesse a fait valoir que la même conclusion devrait être tirée en l’espèce. Je suis du même avis, pour les motifs suivants.

[256] Comme c’était le cas dans l’affaire Wepruk, je juge que les éléments de preuve confirment que le fonctionnaire éprouvait de la détresse et de la frustration au moment où les incidents sont survenus et que ces sentiments étaient liés, du moins en partie, aux plaintes de harcèlement sexuel qu’il avait déposées contre M. Desbiens et d’autres employés du milieu de travail. Toutefois, je souscris également à la conclusion de la Commission dans la décision Wepruk selon laquelle les croyances du fonctionnaire ne suffisaient pas, en soi, à l’absoudre de son inconduite.

[257] Je juge pertinents les commentaires supplémentaires suivants formulés par la Commission dans la décision Wepruk :

[…]

[302] La fonctionnaire a invoqué son état d’esprit quand elle a proféré la menace en tant que facteur atténuant. Dans Rahmani c. Administrateur général (ministère des Transports), 2016 CRTEFP 10, un grief portant sur la violence au lieu de travail, la Commission a pris en considération en tant que facteur l’état de santé dans lequel se trouvait le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas quand elle a réduit la sanction disciplinaire. Toutefois, dans ce cas, la Commission avait accepté une preuve considérable du médecin traitant du fonctionnaire s’estimant lésé pour expliquer en partie son comportement. Il n’y a dans le présent cas aucune preuve du genre.

[303] J’accepte que la fonctionnaire était frustrée et se sentait harcelée. Toutefois, sans rien de plus, son état d’esprit ne justifiait pas la profération d’une menace de violence et n’a pas atténué suffisamment la gravité de l’inconduite pour justifier l’annulation de la décision de l’employeur.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[258] J’estime que la même conclusion devrait être tirée en l’espèce. Compte tenu de la gravité des actes du fonctionnaire envers trois autres employés en milieu de travail, je ne suis pas en mesure d’accorder un poids important à son état mental au moment où les actes ont été commis sans disposer de preuve médicale qui puisse expliquer son comportement et son incapacité à se maîtriser. Il convient de mentionner que de nombreuses personnes ont des croyances profondes sur les conspirations, qu’elles soient fondées ou imaginaires. Toutefois, cela ne signifie en aucune façon que ces personnes ne sont pas tout à fait capables de fonctionner ou qu’elles n’arrivent pas à se maîtriser.

[259] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que, au lieu de licencier le fonctionnaire, la défenderesse aurait dû reconnaître son niveau de détresse et le soumettre à une EAT. Pour faire valoir leur point, elles ont invoqué le témoignage de Mme Gingras selon lequel une EAT avait été envisagée avant le 22 février 2018. Toutefois, je ne suis pas convaincue de la validité de cet argument, étant donné que le fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve quant à sa capacité ou à son incapacité de travailler ou de se maîtriser au travail. En effet, il n’a pas admis avoir commis des actes répréhensibles ni fait valoir qu’il devrait être pardonné en raison de son état de détresse mentale. Au contraire, il a affirmé ne pas avoir commis les actes dont il est accusé et a nié tout acte répréhensible.

[260] Si le fonctionnaire avait présenté une preuve médicale attestant qu’il était en fait incapable de travailler ou de se maîtriser le 22 février 2018, alors l’argument selon lequel il aurait dû être soumis à une EAT aurait peut-être pu être retenu. Toutefois, en l’absence de tels éléments de preuve, je ne vois pas comment je pourrais conclure que la défenderesse aurait dû soumettre le fonctionnaire à une EAT lorsqu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour étayer le fait qu’une telle évaluation était nécessaire ou qu’elle aurait pu donner lieu à un résultat différent.

f. Le processus d’enquête

[261] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que l’enquête sur les événements du 22 février 2018 comportait de graves lacunes.

[262] Les représentantes du fonctionnaire ont fait valoir que l’enquête ne comportait aucun examen des plaintes de harcèlement sexuel et de traque déposées par le fonctionnaire. À l’appui, elles ont renvoyé aux dispositions suivantes des Lignes directrices sur la discipline de la défenderesse, qui, selon elles, auraient dû être suivies :

[Traduction]

[…]

Étapes à suivre dans le cadre des enquêtes et des entrevues :

a. Une enquête sur les actes répréhensibles reprochés devrait être menée dès que possible après l’incident allégué.

b. L’enquête devrait être menée de manière équitable et objective. Elle devrait également comporter les éléments suivants et en tenir compte :

· les renseignements sur le contexte ayant mené à l’incident;

· les commentaires des témoins;

· la réponse de l’employé aux allégations;

· l’analyse des faits.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[263] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que l’état d’esprit du fonctionnaire était directement lié aux incidents qui sont survenus ce jour-là et que le défaut de la défenderesse d’en tenir compte a donné lieu à une enquête viciée et partiale.

[264] Les représentantes du fonctionnaire ont également soutenu que la décision de la demanderesse de tenir l’enquête à un poste de police était inappropriée et que cela a fait en sorte que le fonctionnaire n’y a pas participé. Elles ont fait valoir que la défenderesse avait traité le fonctionnaire comme s’il s’agissait d’une personne intrinsèquement violente. Elles ont déclaré que la décision de tenir l’enquête au poste de police avait non seulement offusqué le fonctionnaire, mais elle l’avait également terrifié.

[265] Les représentantes du fonctionnaire ont également évoqué la décision de la défenderesse de recourir aux services de M. Bonnell pour mener l’enquête. Elles ont fait valoir que cette décision était inappropriée, étant donné le grief formulé par le fonctionnaire contre M. Bonnell deux ans plus tôt. Toutefois, il y a lieu de mentionner que le fonctionnaire n’était pas au courant de la participation de M. Bonnell lorsqu’il a refusé de prendre part à l’enquête. Je fais également remarquer que le fonctionnaire n’a pas demandé que le lieu de l’entrevue soit changé.

[266] Le représentant de la défenderesse a soutenu que toute irrégularité alléguée dans l’enquête a été corrigée au cours du processus d’arbitrage. Il a renvoyé à la décision Aujla c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 38, au paragraphe 165, où il est énoncé ce qui suit :

[165] […] Il est bien établi en droit que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo et que tout préjudice ou injustice qu’un vice de procédure aurait pu causer est corrigé par l’arbitrage du grief (voir Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au paragraphe 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. No. 818 (C.A.F.)(QL); et Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291).

 

[267] Je souscris à la déclaration ci-dessus. Au cours de l’arbitrage, le fonctionnaire a eu la possibilité complète de présenter une preuve au sujet des événements du 22 février 2018 et de toutes les circonstances atténuantes qu’il croyait que la défenderesse aurait dû prendre en considération lorsqu’il a décidé de le licencier. Par conséquent, toute irrégularité possible dans le processus d’enquête a été corrigée, puisque le fonctionnaire a pu présenter ses arguments devant la Commission au cours de l’arbitrage de ses griefs.

g. Les exigences procédurales prévues dans la convention collective

[268] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que la défenderesse ne s’était pas conformée aux clauses 36.05 et 36.06 de la convention collective, qui exigeaient qu’elle informe le fonctionnaire des motifs de sa suspension et de son licenciement et l’empêchaient de présenter certains éléments de preuve à l’arbitrage. Ces clauses se lisent comme suit :

36.05 Lorsqu’un employé est suspendu de ses fonctions ou est licencié pour raisons disciplinaires, aux termes de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, l’employeur s’engage à lui indiquer, par écrit, la raison de cette suspension ou de ce licenciement. L’employeur s’efforce de signifier cette notification au moment de la suspension ou du licenciement.

36.05 When an employee is suspended from duty or terminated for disciplinary reason [sic], in accordance with paragraph 12(1)(c) of the Financial Administration Act, the Employer undertakes to notify the employee in writing of the reason for such suspension or termination. The Employer shall endeavour to give such notification at the time of suspension or termination.

36.06 L’employeur accepte de ne pas présenter, à titre de preuve à une audience relative à une mesure disciplinaire, tout document ou toute déclaration écrite concernant la conduite d’un employé, à moins que ce dernier n’en ait reçu une copie dans une période de temps raisonnable avant l’audience.

36.06 The Employer agrees not to introduce as evidence in a hearing related to disciplinary action any document or written statement concerning the conduct of an employee unless that employee has been provided with a copy of that document or statement within a reasonable period before that hearing.

 

[269] Les représentantes du fonctionnaire ont invoqué le témoignage de Mme Gingras. Cette dernière a expliqué que, une fois l’enquête achevée, elle avait rencontré M. Tremblay et des représentants des Relations de travail pour décider des étapes suivantes et que ces derniers avaient recommandé le licenciement du fonctionnaire. Elle a témoigné que leur recommandation était fondée sur les deux incidents du 22 février 2018, ainsi que sur d’autres incidents antérieurs concernant le fonctionnaire. Les représentantes du fonctionnaire ont fait valoir que celui-ci n’avait jamais eu l’occasion d’en être informé et qu’il ne connaissait pas l’existence des autres plaintes déposées contre lui avant le processus d’arbitrage.

[270] Je fais remarquer que la lettre de licenciement n’était fondée que sur les incidents du 22 février 2018 et qu’elle ne mentionne pas d’incidents antérieurs concernant le fonctionnaire. M. Tremblay a également témoigné en ce sens. De plus, à l’audience, le représentant de la défenderesse a confirmé que celle-ci n’invoquerait aucun des incidents survenus avant le 22 février 2018. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a eu aucune violation des clauses 36.05 et 36.06 de la convention collective.

h. La possibilité de répondre à toutes les allégations

[271] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que la défenderesse avait contrevenu à sa Politique sur la discipline et aux règles de justice naturelle en n’agissant pas de manière équitable et raisonnable. Elles ont soutenu que le fonctionnaire avait le droit d’obtenir suffisamment de renseignements pour comprendre les allégations formulées contre lui. Elles ont fait valoir que, avant de décider de le licencier, la défenderesse ne lui avait donné l’occasion de répondre qu’aux allégations liées aux incidents concernant MM. Alqarra et Walker. Elles ont soutenu que le fonctionnaire n’avait pas eu l’occasion de répondre aux allégations liées à l’incident concernant M. Desbiens. Les représentantes ont fait valoir que cela n’était ni équitable, ni raisonnable, ni conforme aux règles de justice naturelle.

[272] À l’appui, les représentantes du fonctionnaire ont mentionné la lettre du 31 août 2018, dans laquelle le fonctionnaire était convoqué à la rencontre prédisciplinaire du 6 septembre 2018. La lettre indiquait que la rencontre avait pour objet de [traduction] « […] discuter des allégations qui ont été jugées fondées, lesquelles figurent dans le rapport d’enquête sur les normes professionnelles […] », qui était joint à la lettre. Or il avait été conclu dans le rapport que les allégations de M. Desbiens n’étaient pas fondées, car il existait un élément de provocation et qu’il convenait de donner au fonctionnaire [traduction] « le bénéfice du doute ». Toutefois, M. Tremblay a témoigné que l’incident concernant M. Desbiens avait influé sur sa décision de licencier le fonctionnaire, car il ne croyait pas que la réaction du fonctionnaire à la provocation était appropriée.

[273] Encore une fois, comme il a été établi dans la décision Aujla, le processus d’arbitrage devant la Commission prévoit une audience de novo. Par conséquent, tout préjudice ou toute injustice qu’un vice de procédure aurait pu causer a été corrigé au cours de l’arbitrage des griefs.

i. L’application du Cadre de mesures disciplinaires

[274] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que la défenderesse n’avait pas appliqué son Cadre de mesures disciplinaires, car elle avait mal caractérisé la nature de l’inconduite. Elles ont fait valoir que, en adoptant le cadre, l’ASFC avait explicitement établi une distinction entre un comportement menaçant et une menace réelle de violence physique. Les représentantes ont soutenu que ces deux comportements étaient dans des catégories distinctes, de sorte que chacun puisse être visé par un degré de mesure disciplinaire différent. Elles ont fait valoir qu’une menace de violence exige une menace précise de commettre un acte précis. Elles ont soutenu qu’aucun des témoignages des témoins n’indiquait que le fonctionnaire avait explicitement menacé de commettre un acte de violence. Elles ont affirmé que la seule déclaration alléguée était plutôt [traduction] « Tu vas avoir un problème », ce qui, selon elles, ne constituait pas une menace explicite de violence physique, mais plutôt un avertissement de ne pas l’approcher, donné par un homme qui estimait qu’un groupe de personnes s’était ligué contre lui.

[275] J’ai examiné le Cadre de mesures disciplinaires. On y recommande une période de suspension de 10 à 20 jours dans le cas [traduction] « [d’]un comportement agressif, violent ou menaçant, ou [d’]un commentaire constituant de l’intimidation » et une période de suspension de 20 jours ou plus pouvant aller jusqu’au licenciement dans le cas [traduction] « [d’]une menace ou [d’]un acte de violence physique ».

[276] J’ai également constaté que le Cadre de mesures disciplinaires comprend la disposition générale suivante :

[Traduction]

[…]

Les échelles de mesures disciplinaires recommandées s’appliquent à un seul acte d’inconduite, en l’absence de mesures disciplinaires en vigueur au dossier et sans égard aux circonstances aggravantes ou atténuantes pertinentes. Chaque incident doit être examiné en fonction des faits qui lui sont propres, et il faut tenir compte de toute circonstance atténuante ou aggravante pertinente […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[277] Étant donné que j’ai conclu que le fonctionnaire a poussé M. Desbiens deux fois et qu’il a proféré des menaces contre MM. Alqarra et Walker, je ne peux souscrire à l’affirmation des représentantes du fonctionnaire selon laquelle la défenderesse a mal appliqué sa politique.

j. Le défaut du fonctionnaire d’admettre qu’il a commis un acte répréhensible ou d’exprimer des remords

[278] Le représentant de la défenderesse a soutenu que le défaut du fonctionnaire d’admettre qu’il a commis les actes qui lui sont reprochés et son absence de remords constituent des circonstances aggravantes importantes.

[279] Les commentaires suivants, tirés de Brown et Beatty, soulignent l’importance de reconnaître les actes commis (au paragraphe 7:32) :

[Traduction]

[…]

[L]orsque l’employé a présenté ses excuses ou a exprimé de véritables remords, les arbitres de différends ont tendance à privilégier une suspension sans solde pendant des périodes variables, plutôt que de conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé doit perdre son emploi. A contrario, en l’absence de circonstances exceptionnelles, les arbitres de différends ne réintègrent généralement pas dans leurs fonctions les employés qui continuent de nier avoir commis un acte répréhensible ou qui refusent d’assumer la responsabilité du préjudice qu’ils ont causé.

 

[280] Dans son grief du 23 mars 2018, le fonctionnaire a nié avoir rencontré quiconque lorsqu’il est entré dans l’immeuble le 22 février 2018 ou lorsqu’il est arrivé au quatrième étage, où se situait son bureau. À l’audience, il a modifié son récit et a admis qu’il avait interagi avec MM. Desbiens, Alqarra et Walker ce matin-là. Par conséquent, son premier réflexe a été de camoufler la vérité à son employeur. À l’audience, il n’a pas expliqué la raison pour laquelle il avait agi de la sorte et n’a pas non plus exprimé de remords à cet égard.

[281] Le fonctionnaire s’est vu offrir plusieurs occasions de participer à l’enquête sur les incidents du 22 février 2018 et de clarifier sa version. Il a témoigné qu’il n’avait pas participé à l’entrevue parce qu’elle devait avoir lieu au poste de police. Toutefois, il aurait pu informer la défenderesse qu’il se sentait menacé en raison de l’emplacement de l’entrevue et demander qu’elle ait lieu ailleurs. On lui a aussi offert la possibilité de se faire accompagner par un observateur de son choix à l’entrevue. Le fonctionnaire a choisi de ne se prévaloir d’aucune de ces deux possibilités.

[282] Le fonctionnaire a ensuite participé à une audience prédisciplinaire tenue le 6 septembre 2018. Toutefois, il n’a pas parlé des incidents qui sont survenus le 22 février 2018 ni n’a exprimé de remords ou de regrets pour ses actes. Les seules mentions des incidents ont été faites par son représentant syndical, qui a déclaré que les événements ne s’étaient pas déroulés de la manière qui avait été décrite.

[283] Ce n’est qu’à l’audience que le fonctionnaire a reconnu qu’il avait rencontré MM. Desbiens, Alqarra et Walker le matin du 22 février 2018. Toutefois, il a fourni une version très différente de ce qui s’était passé. Comme je l’ai déjà indiqué dans la présente décision, j’ai conclu que son témoignage au sujet des événements n’est pas crédible.

[284] Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire a, à maintes reprises et de façon constante, refusé d’admettre tout acte répréhensible ou de manifester quelque remords que ce soit, même s’il a eu de multiples occasions de le faire. J’estime que ce fait constitue une circonstance aggravante importante.

k. Le potentiel de réadaptation du fonctionnaire

[285] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que la défenderesse n’avait pas correctement évalué le potentiel de réadaptation du fonctionnaire. Elles ont invoqué le témoignage de Mme Kawakami portant sur les préjugés inconscients, selon lequel un seul acte répréhensible perpétré par une personne noire est plus susceptible d’être considéré comme un trait de caractère que comme un incident isolé fondé sur un ensemble de circonstances, ce qui serait le cas s’il était commis par une personne blanche. Elles ont fait valoir que ces renseignements permettent de comprendre la raison pour laquelle la défenderesse a été si prompte à déterminer qu’un seul incident suffisait à conclure que le fonctionnaire présentait une menace, malgré ses 33 années de service et son dossier disciplinaire vierge.

[286] Les représentantes du fonctionnaire ont soutenu que la défenderesse avait traité le fonctionnaire comme s’il s’agissait d’une personne représentant une menace pour la sécurité qui était susceptible d’attaquer au hasard. À l’appui, elles ont mentionné les décisions de la défenderesse de faire appel à la police le 22 février 2018 et de tenir l’entrevue d’enquête au poste de police. En ce qui concerne ces deux points, je constate qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour indiquer s’il s’agissait de pratiques courantes ou non lorsqu’une allégation de violence en milieu de travail était formulée. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de me prononcer sur la question de savoir si le fonctionnaire a fait l’objet d’un traitement indûment sévère.

[287] La défenderesse a soutenu que le témoignage de Mme Kawakami était très général et hypothétique. Elle a renvoyé à la réponse fournie par Mme Kawakami lorsqu’on lui avait demandé de quelle façon elle pouvait savoir si quelqu’un avait un préjugé implicite. Elle avait alors répondu qu’un élément de comparaison serait nécessaire et qu’il s’agissait d’une question d’observation. La défenderesse a invoqué la décision Brooks c. Ministère des Pêches et des Océans, 2004 TCDP 20, aux paragraphes 8 à 14, et elle a soutenu que, si un arbitre de grief pouvait parvenir à une conclusion sans aide, l’opinion d’un expert n’était alors pas nécessaire.

[288] Je suis du même avis. Ce témoignage n’est ni pertinent ni nécessaire pour que je tire une conclusion sur le potentiel de réadaptation du fonctionnaire.

[289] La défenderesse n’a pas fondé sa décision uniquement sur un seul incident (même si les incidents du 22 février 2018 devaient être considérés comme tels). Au contraire, elle était fondée sur ces actes, ainsi que sur l’absence de remords du fonctionnaire et son défaut de reconnaître la gravité de ses actes. Elle a fait valoir que l’ensemble de ces circonstances avait entraîné la rupture définitive du lien de confiance.

[290] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait donné sa version de ce qui s’était passé dans l’ascenseur au cours de son entrevue prédisciplinaire. M. Tremblay a affirmé le contraire. Il a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas précisément évoqué les incidents du 22 février 2018. Au contraire, le fonctionnaire avait mentionné que les personnes concernées avaient besoin d’aide. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que c’est le témoignage de M. Tremblay qui doit être privilégié. Son témoignage était étayé par les notes qu’il avait prises durant la rencontre. Il concorde également avec le témoignage du fonctionnaire, qui n’a pas admis avoir commis un acte répréhensible et n’a exprimé aucun remords.

[291] Il va sans dire que la relation de confiance est un élément fondamental de la relation employé-employeur. Dans une situation comme celle-ci, où il y a eu refus constant de reconnaître tout acte répréhensible ou d’exprimer quelque remords que ce soit, il est difficile de voir comment le lien de confiance nécessaire pourrait être rétabli.

[292] Les deux parties ont renvoyé à la jurisprudence pour étayer leurs arguments. Les représentantes du fonctionnaire ont renvoyé aux décisions William Scott; Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72; Dominion Glass Co.; Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9; Galco Food Products Ltd. and Amalgamated Meat Cutters & Butchers Workmen of North America, Local P-1105, 1974 CanLII 2284 (ON LA). La défenderesse a quant à elle renvoyé aux décisions Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62; Kingston (City); Robillard c. Conseil du Trésor (ministère des Finances), 2007 CRTFP 41; Way c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 39; Wepruk (2021 CRTESPF 75).

[293] Ces décisions appuient largement la proposition selon laquelle la relation de travail sera généralement considérée comme irrémédiablement rompue lorsqu’il y a défaut d’admettre des actes répréhensibles ou absence de remords.

[294] Dans la décision Brazeau, l’arbitre de grief a formulé les commentaires suivants, qui, à mon avis, s’appliquent en l’espèce :

[…]

[190] Je suis également d’avis que le manque de franchise du fonctionnaire s’estimant lésé au cours de l’enquête menée par le défendeur constitue un facteur déterminant de son potentiel de réadaptation et de la possibilité de rétablir la nécessaire relation de confiance avec son employeur. Le fonctionnaire s’estimant lésé a, à deux reprises, délibérément fait des déclarations inexactes et trompeuses concernant son lien de parenté avec M. Smith. Il a fait ces déclarations sachant qu’elles étaient imprécises. Bien que je sois sensible à la frustration et à l’exaspération qu’aient pu provoquer en lui la durée de l’enquête et la fuite présumée de renseignements à la presse, j’estime que ces circonstances ne justifient pas son manque de franchise envers le CAE. Il occupait un poste de confiance, et il lui incombait de collaborer de manière franche avec le CAE.

[191] J’estime que les principes énoncés dans l’extrait suivant de Oliver sont pertinents et applicables au présent cas :

[…]

La reconnaissance de la culpabilité ou d’une certaine responsabilité pour ses actions est un facteur essentiel dans l’évaluation du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il en est ainsi puisque la possibilité de réhabilitation du fonctionnaire s’estimant lésé est fondée sur la confiance, et la confiance est fondée sur la vérité. Si un fonctionnaire s’estimant lésé a trompé son employeur, a omis de coopérer à une enquête légitime d’allégations de conflit d’intérêts et refuse d’admettre toute responsabilité en dépit des preuves qui montrent une faute, alors le rétablissement de la confiance nécessaire à une relation d’emploi est impossible.

[…]

 

[295] Ce point a également été mis en évidence dans la décision Way, qui comprend le passage suivant au paragraphe 109 :

109 Dans Royal Columbian Hospital c. Hospital Employees’ Union (Saligumba Grievance), [2001] B.C.C.A.A.A. No. 39 (QL), l’arbitre écrit, au paragraphe 119 :

[Traduction]

[…]

L’une des questions cruciales auxquelles il faut répondre pour déterminer si la relation d’emploi est irrémédiablement rompue c’est si l’employée s’estimant lésée a véritablement reconnu et admis sa faute, de manière à ce qu’on puisse conclure qu’elle ne persistera pas dans cette conduite à l’avenir si elle est réintégrée dans ses fonctions […]

[…]

Je souscris sans réserve à ces observations. Mme Way n’a pas reconnu ni admis qu’elle avait agi de façon répréhensible. Je ne crois pas qu’elle ait tiré de leçon de toute cette affaire. Les chances qu’elle puisse être réintégrée avec succès sont pratiquement nulles; le grief doit donc être rejeté, et il est rejeté.

 

[296] Dans le présent cas, le fonctionnaire n’a pas admis qu’il avait commis des actes répréhensibles au moment de l’incident, n’a pas dit la vérité dans son énoncé du grief, n’a pas participé à l’enquête sur l’affaire, n’a pas admis avoir commis des actes répréhensibles à l’audience prédisciplinaire subséquente et n’a pas admis avoir commis des actes répréhensibles ni exprimé de remords lors de son témoignage. Par conséquent, je doute fortement que le lien de confiance puisse être rétabli si le fonctionnaire était réintégré dans son poste.

[297] De plus, comme l’a démontré son témoignage, le fonctionnaire continue de croire que M. Desbiens (qu’il a qualifié de patron du crime) était le chef d’un groupe organisé d’hommes lui portant un intérêt malsain, et que MM. Alqarra (qu’il a décrit comme un homme de main) et Walker étaient des agents au service de M. Desbiens. C’est ce qu’il croit en dépit du fait qu’une enquête indépendante a été menée sur ses allégations contre M. Desbiens, laquelle a permis de conclure qu’il n’y avait aucun motif pour étayer ses allégations. De plus, son témoignage a démontré qu’il croyait que les actes qu’il avait commis contre ces personnes étaient justifiés par ses croyances.

[298] Par conséquent, rien n’a changé, et le fonctionnaire n’a pas garanti que, s’il était réintégré dans ses fonctions, les actes qu’il a commis le 22 février 2018 ne se reproduiraient pas.

l. Conclusion sur la question de savoir si le licenciement était excessif dans les circonstances

[299] J’ai tenu compte de la nature de l’inconduite ainsi que des circonstances atténuantes et aggravantes dans le présent cas, et je conclus que la décision de la défenderesse de licencier le fonctionnaire n’était pas excessive dans les circonstances. J’ai conclu que les actes commis par le fonctionnaire le 22 février 2018 constituaient des actes de violence en milieu de travail qui méritaient une mesure disciplinaire sévère. Malheureusement, son refus persistant d’admettre tout acte répréhensible, malgré une preuve claire et convaincante du contraire, fait en sorte qu’il est difficile de croire que la relation employéemployeur pourrait être rétablie ou que la même conduite ne se reproduirait pas.

B. Le grief portant sur la suspension pour une période indéterminée

[300] Puisque j’ai jugé que la défenderesse avait un motif juste et raisonnable de licencier le fonctionnaire, le grief portant sur la suspension est devenu théorique, étant donné que le licenciement était rétroactif à la date de la suspension pour une période indéterminée (voir Brazeau, au par. 154; et Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230).

C. L’allégation de discrimination

[301] Le grief de licenciement du fonctionnaire contenait le passage suivant : [traduction] « Cette décision a été prise sans motif valable et contrevient à la convention collective du groupe CS, aux Lignes directrices concernant la discipline du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et à la Loi canadienne sur les droits de la personne. »

[302] À l’appui de l’allégation du fonctionnaire selon laquelle il y a eu manquement à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), les représentantes du fonctionnaire ont présenté le témoignage de Mme Kawakami, faisant valoir que celui-ci visait à donner une explication possible des événements, à la lumière de l’expertise de Mme Kawakami en matière de préjugés implicites. Elles ont affirmé que la triste réalité est que, chaque fois qu’un employé formule un grief dans un cas de discrimination systémique, c’est à l’employé seul qu’incombe le fardeau de la preuve, ce qui est une tâche extrêmement difficile, voire impossible. Par conséquent, elles espéraient que le témoignage de Mme Kawakami viendrait appuyer la position du fonctionnaire et lui permettrait d’être pleinement entendu.

[303] Toutefois, les représentantes du fonctionnaire ont reconnu que Mme Kawakami n’était pas en mesure de dire si les préjugés fondés sur la race avaient joué un rôle en l’espèce et qu’elle pouvait simplement renseigner la Commission sur l’incidence des préjugés au Canada et sur les éléments à prendre en considération.

[304] La défenderesse a invoqué la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), et a soutenu que, lorsqu’il allègue qu’il y a eu discrimination, le fonctionnaire doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination avant que la défenderesse ne soit tenue d’y répondre. Elle a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas satisfait au critère consistant à établir une preuve prima facie de discrimination, car il n’avait présenté aucun élément de preuve attestant que la race avait été un facteur contribuant à son licenciement. Par conséquent, la défenderesse a affirmé que le fonctionnaire n’avait pas établi le bien-fondé de ses arguments. Je suis du même avis.

[305] Le critère relatif à la discrimination a été énoncé comme suit dans la décision Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 :

[…]

[33] Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[…]

 

[306] Dans le présent cas, nul ne conteste le fait que le fonctionnaire possède une caractéristique protégée contre la discrimination (il est Noir) ni qu’il a subi un effet préjudiciable (il a été suspendu et licencié). Toutefois, le fonctionnaire n’a fourni aucune preuve attestant que sa race a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[307] Le seul élément de preuve que le fonctionnaire a déposé pour étayer une allégation de discrimination était le témoignage de Mme Kawakami, qui était entièrement hypothétique. À l’inverse, la défenderesse a présenté des éléments de preuve clairs et convaincants à l’appui de sa décision de le suspendre en attendant l’issue de l’enquête sur les événements du 22 février 2018 et à l’appui de sa décision subséquente de le licencier.

[308] Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir une preuve prima facie de discrimination.

[309] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[310] Les griefs sont rejetés.

Le 19 août 2024.

Traduction de la CRTESPF

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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