Date: 20240531
Dossier: 566-02-48500
Référence: 2024 CRTESPF 76
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail dans
le secteur public fédéral
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Entre
PETER LANG
fonctionnaire s’estimant lésé
et
Conseil du Trésor
(Service correctionnel du Canada)
employeur
Lang c. Service correctionnel du Canada
Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même
Pour l’employeur : John Maskine, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 février et les 6 et 8 mars 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Peter Lang, a déposé un grief en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) pour contester sa mutation à l’Établissement du Pacifique – un établissement correctionnel à Abbotsford, en Colombie-Britannique, du Service correctionnel du Canada, qui, dans la présente décision, est appelé l’« employeur ». Lorsque le grief a été déposé, il occupait un poste de sous-directeur exclu pour une période indéterminée (classifié AS-07) dans un pavillon de ressourcement au village de ressourcement Kwìkwèxwelhp près de Harrison Mills, en Colombie-Britannique (le « Pavillon de ressourcement »).
[2] Le fonctionnaire a été muté à un poste de directeur adjoint, interventions (classifié AS-07) à l’Établissement du Pacifique, qui était également exclu d’une unité de négociation.
[3] Son grief se lit comme suit :
[Traduction]
[...]
J’ai été muté à partir du poste susmentionné sans mon consentement. Le poste se trouve dans un pavillon de ressourcement autochtone à Harrison Mills et le directeur actuel m’a remplacé, moi qui suis une personne métisse détentrice de droits en vertu de l’article 35, par une personne non autochtone. Il s’agit d’une violation de mes droits de la personne et du paragraphe 51(6) de la LEFP. Remarque : cette mesure a d’abord été présentée à titre de plainte de dotation le jour de la nomination (1er juin 2020). On m’a ordonné d’utiliser la procédure de règlement des griefs comme mécanisme approprié.
[...]
[4] À titre de mesure corrective, le fonctionnaire a demandé des [traduction] « [...] excuses du gestionnaire fautif (directeur) et d’être indemnisé intégralement ».
[5] Le grief a été rejeté au dernier palier et a été renvoyé à l’arbitrage le 31 octobre 2023. Dans la réplique au dernier palier, l’employeur a également fait remarquer que le fonctionnaire avait fait des représentations selon lesquelles la mutation avait été effectuée sans son consentement en représailles du fait qu’il avait présenté une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne.
[6] L’employeur a soulevé une objection préliminaire contre la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission », qui, dans la présente décision, renvoie également à tout prédécesseur de la Commission actuelle) pour entendre le grief.
[7] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait consenti à la mutation, de sorte que la Commission n’a pas compétence en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(ii) pour entendre le grief et a demandé qu’il soit rejeté sans audience.
[8] Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait initialement consenti à la mutation, mais qu’il avait annulé son consentement avant la date d’entrée en vigueur de la mutation. Il a soutenu que la Commission avait donc compétence pour entendre l’affaire en vertu de la Loi puisqu’il avait été muté sans son consentement, et que le consentement était nécessaire. Le dossier de grief m’a été attribué le 11 janvier 2024 pour déterminer si l’objection préliminaire pouvait être présentée sous forme d’arguments écrits.
[9] En vertu des pouvoirs conférés à la Commission par l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), j’ai déterminé que l’objection préliminaire de l’employeur pouvait être traitée sur la seule base d’arguments écrits.
[10] La Commission a envoyé un certain nombre de questions aux parties pour qu’elles y répondent dans leurs arguments écrits et a demandé des documents supplémentaires.
[11] Les deux parties ont eu l’occasion de répondre aux questions de la Commission dans leurs arguments, notamment l’effet juridique de la lettre d’offre signée, si le consentement était une condition requise pour la mutation du fonctionnaire et si une mutation peut être annulée ou retirée.
[12] Pour les motifs qui suivent, je dois faire droit à l’objection de l’employeur et rejeter le grief.
[13] La Commission n’a pas compétence pour entendre le grief parce que le fonctionnaire a consenti à la mutation. De plus, il n’a pas réussi à établir que son consentement était vicié de quelque façon que ce soit par la coercition ou la contrainte de quelque nature que ce soit.
II. Contexte
[14] Les parties n’ont pas déposé d’énoncé conjoint des faits, mais le contenu de cette section n’est pas contesté.
[15] Les parties conviennent que le consentement du fonctionnaire était nécessaire pour le muter à l’Établissement du Pacifique, en vertu du paragraphe 51(6) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP).
[16] Le 14 mai 2020, le fonctionnaire a signé une lettre d’offre acceptant sa mutation à l’Établissement du Pacifique à titre de directeur adjoint, interventions, à compter du 1er juin 2020.
[17] Le 26 mai 2020, un « avis de considération » a été émis pour le poste de directeur adjoint (directeur) au Pavillon de ressourcement.
[18] Le 26 mai 2020, le fonctionnaire a envoyé un courriel à l’employeur pour lui demander de [traduction] « retirer [son] entente initiale » et de retourner au Pavillon de ressourcement [traduction] « [...] à un moment donné dans un avenir rapproché ».
[19] Le 27 mai 2020, le directeur, Robert Harrison, a refusé la demande du fonctionnaire de retirer son consentement et d’être réaffecté au poste de directeur adjoint au Pavillon de ressourcement.
[20] Le 29 mai 2020, le fonctionnaire a envoyé un courriel à l’agent principal, Opérations de dotation, pour confirmer qu’il avait l’intention de respecter son entente de mutation, à compter du 1er juin 2020.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
1. Effet juridique de la lettre d’offre
[21] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait signé la lettre d’offre datée du 14 mai 2020 en cochant la case à côté de l’énoncé « J’accepte cette offre » et en signant clairement son nom.
[22] La signature du fonctionnaire était une preuve explicite de son intention d’accepter la mutation, à compter du 1er juin 2020. (Voir Baker c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2013 TDFP 11, au par. 42.)
[23] De plus, l’employeur a fait remarquer que le fonctionnaire avait signé la lettre d’offre en s’attendant à ce qu’il s’agisse d’une entente juridiquement exécutoire une fois acceptée. (Voir Nova Scotia Union of Public and Private Employees, Local 13 v. Halifax Regional Municipality, 2017 CanLII 82065, au par. 66.)
[24] Le contrat comportait les trois éléments de tout contrat juridique : offre, acceptation et contrepartie. (Voir Fridman, The Law of Contract in Canada, 6e éd., à la p. 6.)
[25] Par conséquent, une personne raisonnable conclurait qu’il y a eu une rencontre des esprits, car la lettre d’offre était claire et sans ambiguïté. (Voir MacNeil v. Dana Canada Corporation, 2009 ONCA 343, aux paragraphes 4 et 5; et Mad Hatter Technology Inc. v. Short, 2014 CanLII 23275, au par. 50.)
[26] Le consentement était requis pour la mutation, en vertu du paragraphe 51(6) de la LEFP.
[27] L’employeur a soutenu que les dispositions de la LEFP avaient été respectées, puisqu’il a muté le fonctionnaire avec son consentement.
[28] Dans ses arguments en réfutation, l’employeur a ajouté qu’aucune période de réflexion ne s’applique aux ententes de relations de travail. Elle s’applique dans d’autres contextes, comme la protection des consommateurs, dans laquelle la Loi de 2002 sur la protection du consommateur de l’Ontario (L.O. 2002, chap. 30, annexe A) permet une période de réflexion de 10 jours dans certaines situations.
2. Aucun droit d’annuler unilatéralement une mutation
[29] L’employeur a également soutenu qu’une fois que le fonctionnaire avait consenti à la mutation, il ne pouvait pas l’annuler unilatéralement.
[30] L’employeur a soutenu que, bien qu’une mutation puisse être annulée avant sa date d’entrée en vigueur, l’employeur devrait donner son accord.
[31] De plus, l’employeur a fait remarquer que, même si une mutation ne peut pas être révoquée unilatéralement, une personne a le droit de demander qu’elle le soit jusqu’à la date d’entrée en vigueur, mais que l’employeur n’est pas obligé d’approuver la demande.
[32] L’employeur a expliqué que les demandes d’annulation de mutations peuvent avoir des répercussions opérationnelles et financières considérables sur les deux milieux de travail.
[33] Dans le présent cas, l’employeur a refusé la demande du fonctionnaire.
[34] Comme l’employeur n’a pas accepté d’annuler la mutation, l’entente légale de mutation du fonctionnaire est demeurée en vigueur.
3. Allégations de discrimination
[35] Dans sa réfutation des arguments du fonctionnaire, l’employeur a fait remarquer que, comme la Commission n’a pas compétence, elle ne peut pas examiner les allégations du fonctionnaire concernant son statut d’Autochtone, le statut d’Autochtone des autres employés ou sa décision de rejeter sa demande d’annulation de la mutation.
[36] À titre subsidiaire, le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination, ce qui est requis (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au par. 28).
[37] L’employeur a noté qu’il ne suffit pas de faire une allégation de racisme, mais que « [...] même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée ». (Voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au par. 88.)
[38] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait simplement fait des allégations, mais qu’il n’avait fourni aucune preuve pour appuyer ses allégations.
B. Pour le fonctionnaire
[39] Le fonctionnaire a reconnu qu’au départ, il avait accepté d’être muté à l’Établissement du Pacifique en signant la lettre d’offre consentant à sa mutation le 14 mai 2020.
[40] Cependant, quelques jours plus tard, il a changé d’avis.
[41] Le fonctionnaire a fait remarquer que c’était le début de la pandémie de COVID‐19, mais qu’il s’était vite rendu compte que la pandémie aurait une incidence majeure sur les milieux de travail.
[42] Le fonctionnaire a allégué qu’en raison de plusieurs facteurs, y compris des changements au Pavillon de ressourcement, il a commencé à penser qu’il aurait plus de sécurité d’emploi, en tant qu’Autochtone, s’il y demeurait.
[43] Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait parlé à des mentors de confiance, qui ont convenu qu’il serait préférable qu’il reste dans son poste au Pavillon de ressourcement.
[44] Le fonctionnaire a allégué qu’on peut se retirer des contrats pendant une « période de réflexion ». Il a pris la décision de se retirer de l’entente avant que la mutation ne prenne effet.
[45] Cependant, il a allégué que plus tard, il avait accepté de procéder à la mutation sous contraintes, après que son directeur lui eut crié après et qu’on lui eut conseillé de déposer un grief.
[46] Le fonctionnaire a allégué que, par conséquent, il avait été forcé de quitter son poste sous contraintes parce que son directeur voulait le remplacer par une personne qui n’était pas autochtone.
[47] Le fonctionnaire a soutenu que, selon la « jurisprudence », le consentement peut être retiré avant la date d’entrée en vigueur d’une mutation. Il a dit que c’est comme retirer son consentement pour des soins de santé ou dans un contexte d’activité sexuelle.
[48] Le fonctionnaire n’a pas répondu à l’objection de l’employeur à entendre ses allégations concernant des violations présumées de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
IV. Motifs
[49] La LEFP définit la « mutation » à l’article 2 comme le « [t]ransfert d’une personne d’un poste à un autre sous le régime de la partie 3 ».
[50] La partie 3 énonce les conditions d’une mutation, y compris le pouvoir exclusif de l’administrateur général de muter des employés au sein de l’organisation de l’administrateur général.
[51] La LEFP est également claire : une mutation n’est pas une promotion ou une nomination, et elle n’a pas non plus pour effet de changer la période d’emploi d’une personne de durée déterminée à une durée indéterminée.
[52] Essentiellement, une mutation est une mesure de dotation que les administrateurs généraux peuvent utiliser s’ils souhaitent transférer une personne latéralement d’un poste à un autre, pour une foule de raisons.
[53] Par exemple, les mutations peuvent être utilisées pour les raisons suivantes :
1) S’il y a des postes vacants et qu’un ensemble de compétences particulier est requis dans une autre partie de l’organisation, pour satisfaire à une priorité organisationnelle existante ou émergente.
2) Si une personne doit être déplacée dans une autre partie de l’organisation après qu’une constatation de harcèlement a été faite contre elle, pour protéger la santé et la sécurité des autres employés
3) Si la personne fait partie d’un groupe professionnel pour lequel la mutation peut être une condition d’emploi.
[54] Toutefois, en ce qui concerne le consentement, le paragraphe 51(6) prévoit que l’administrateur général doit obtenir le consentement de la personne qui est mutée dans toutes les circonstances sauf les deux suivantes :
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[55] Lorsqu’ils contestent une mutation, les employés sont très limités dans ce qu’ils peuvent renvoyer à l’arbitrage.
[56] Le sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la LRTSPF se lit comme suit :
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[57] Dans le présent cas, les deux parties conviennent que le consentement du fonctionnaire était nécessaire pour le muter à l’Établissement du Pacifique.
[58] Autrement dit, le fonctionnaire ne relevait pas des deux exceptions décrites au paragraphe 51(6) de la LEFP.
[59] De plus, dans ses arguments, le fonctionnaire a reconnu avoir accepté la mutation le 14 mai 2020.
[60] La lettre d’offre, accompagnée d’une annexe du sous-ministre suppléant de l’Établissement du Pacifique, se lit comme suit :
[Traduction]
[...]
Cher M. Lang :
Au nom du Service correctionnel du Canada, je suis heureux de vous offrir une mutation à temps plein pour une période indéterminée au poste indiqué dans l’annexe ci-jointe, à compter du 1er juin 2020.
Cette offre d’emploi est conditionnelle à la signature de l’annexe ci-jointe, lorsque cela est indiqué, et à la satisfaction de toutes les autres exigences énoncées dans la présente trousse. Votre signature est une attestation que vous comprenez clairement et que vous respecterez les conditions d’emploi.
N’hésitez pas à me contacter si vous avez des problèmes ou des préoccupations concernant votre offre ou la date de début. Si vous avez des questions générales, veuillez communiquer avec votre superviseur.
[...]
[61] L’annexe comprend une explication détaillée des conditions d’emploi pour le poste de directeur adjoint, interventions, l’Établissement du Pacifique. Cela ressemble à un contrat de travail standard dans la fonction publique fédérale pour les employés non représentés qui ne sont pas couverts par une convention collective.
[62] Elle faisait référence aux politiques que le fonctionnaire devait respecter tout au long de son emploi, ainsi qu’à des renseignements sur sa rémunération et ses avantages sociaux, y compris l’échelle de salaire du poste.
[63] À la fin de l’annexe, dans la section intitulée « Acceptation ou refus », le fonctionnaire a signé et daté la lettre d’offre en cochant qu’il l’acceptait et qu’il reconnaissait ce qui suit : [traduction] « Moi, Peter Lang, j’ai lu et compris cette offre d’emploi avec une date de début du 1er juin 2020. »
[64] En signant la lettre d’offre, le fonctionnaire a consenti à être muté à l’Établissement du Pacifique le 1er juin 2020. Je conclus qu’il s’agissait du consentement requis en vertu du paragraphe 51(6) de la LEFP.
A. Aucune allégation de coercition n’a été faite quant au moment où le consentement a été donné
[65] De plus, le fonctionnaire n’allègue pas qu’il a signé la lettre d’offre le 14 mai 2020, sous quelque contrainte ou coercition que ce soit.
[66] Dans Mangat c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 86, la Commission a déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour invalider une démission en l’absence de toute preuve d’intimidation ou de coercition de la part de l’employeur. Bien que le fonctionnaire ait pu être stressé ou soumis à des pressions, cela n’était pas suffisant pour invalider l’entente.
[67] Je trouve Mangat utile pour souligner l’approche à utiliser lors de l’examen des circonstances de la conclusion d’une entente de relations de travail.
[68] Cependant, Mangat est factuellement différent du cas devant moi parce qu’il impliquait une démission contestée. Dans le présent cas, le fonctionnaire n’a pas contesté la validité de la lettre d’offre, qu’il a confirmée avoir été signée et acceptée.
[69] Néanmoins, Mangat fait référence à plusieurs décisions dans lesquelles des arbitres de griefs dans des circonstances différentes ont analysé des allégations selon lesquelles une démission avait été faite sous la contrainte. L’arbitre de grief dans Mangat a cité le cadre d’analyse dans Dubord & Rainville Inc. v. Metallurgistes Unis d’Amérique, local 7625 (1996), 53 L.A.C. (4e) 378 à 381, qui a été décrit comme suit :
Par conséquent, les arbitres qui sont appelés à se prononcer sur la validité d’une démission se pencheront sur l’expression subjective de la décision de l’employé de démissionner et sur les manifestations objectives de l’employé à la suite de la communication de cette décision. De plus, les arbitres étudieront les circonstances dans lesquelles la démission a été soumise ou obtenue pour s’assurer qu’elle n’a pas été obtenue de manière abusive par la voie notamment de menaces, d’intimidation, de tromperie ou de contrainte.
[70] J’estime que ce cadre d’analyse s’applique dans des contextes où les démissions et d’autres types d’ententes de relations de travail, comme les mutations, peuvent faire l’objet d’un examen. L’approche exige que les arbitres de griefs tiennent compte à la fois des expressions subjectives et objectives de la décision de l’employé de démissionner.
[71] Bon nombre des décisions de la Commission et de celles de ses prédécesseurs concernant les mutations se fondent sur la question de savoir si la mesure de dotation était une mutation forcée ou une mesure disciplinaire déguisée en vertu de l’alinéa 209(1)b).
[72] Je n’ai trouvé qu’une seule décision semblable au présent cas, en ce sens que la Commission était tenue d’examiner la demande du fonctionnaire selon laquelle sa mutation à un poste de niveau inférieur avait été faite sous contraintes. Cependant, en réalité, toute similitude s’arrête là. Après avoir examiné les circonstances de la mutation, l’arbitre de grief n’a pas accepté la demande du fonctionnaire, car elle a été présentée pour la première fois 18 mois après que le fonctionnaire a accepté d’être muté (voir Legere c. Service correctionnel du Canada, 2014 CRTFP 70, au par. 60).
[73] Comme dans Mangat, dans le présent cas, je dois tenir compte à la fois des expressions subjectives de l’entente de relations de travail du fonctionnaire et des manifestations objectives qui se sont produites après que la décision a été communiquée à l’employeur.
[74] De simples allégations selon lesquelles le fonctionnaire s’est fait crier dessus par la suite et a été contraint d’être déployé après avoir changé d’avis ne constituent pas une contrainte alors qu’il avait initialement consenti à la mutation.
[75] Je conclus que la preuve est claire que le fonctionnaire a accepté d’être muté.
[76] J’admets que le fonctionnaire aurait pu changer d’avis brièvement lorsque l’« avis de considération » a été affiché le 26 mai 2020, et il s’est rendu compte que quelqu’un d’autre occuperait son poste de directeur adjoint au Pavillon de ressourcement. Il n’est pas rare d’hésiter au moment de prendre des décisions importantes pour sa vie.
[77] Il est également clair que le fonctionnaire a communiqué avec le directeur le 26 mai 2020 au sujet du retrait de son consentement à être muté, car il était préoccupé par ses perspectives de carrière à long terme et par la façon dont les réductions potentielles de la population carcérale pourraient affecter les niveaux de dotation.
[78] Cependant, le lendemain même, le fonctionnaire a confirmé par écrit qu’il souhaitait [traduction] « [...] s’en tenir à l’acceptation initiale de la mutation à l’EP [Établissement du Pacifique] ». Par conséquent, je ne trouve aucune preuve que le consentement initial du fonctionnaire ait été vicié par son échange avec le directeur.
B. Aucune période de réflexion
[79] De plus, la Commission estime que les allusions du fonctionnaire à une « période de réflexion » applicable sont sans fondement.
[80] Aucune disposition de la LEFP ou de la lettre d’offre ne prévoit ce qu’on appelle une période de « réflexion » une fois qu’une personne a consenti à être mutée.
[81] Je suis d’accord avec les commentaires de la Commission dans Bedok c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 163, au par. 64, selon laquelle il n’y a pas de période de « réflexion » pour les ententes de relations de travail.
[82] Dans Bedok, pour déterminer si la Commission avait compétence, l’arbitre de grief devait décider si un protocole d’entente signé liait légalement les parties. Le fonctionnaire s’estimant lésé a également soutenu qu’une période de réflexion s’appliquait qui lui permettait d’annuler l’entente. L’arbitre de grief a fait remarquer que le fonctionnaire s’estimant lésé faisait peut-être référence à la législation sur la protection du consommateur, mais qu’aucune période de ce genre ne s’appliquait dans les relations de travail.
[83] Dans le présent cas, une fois que le fonctionnaire a signé la lettre d’offre et qu’elle a été communiquée à l’employeur, elle constituait l’entente complète d’être muté le 1er juin 2020.
[84] La Commission conclut également que, contrairement aux arguments du fonctionnaire, la loi applicable sur le consentement à être muté dans un contexte de relations de travail n’est pas analogue au consentement à subir des procédures médicales ou à avoir des relations sexuelles. Des régimes législatifs très différents et complexes s’appliquent à ces contextes distincts (p. ex., voir le paragraphe 273.1(1) du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46) et la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé de l’Ontario (L.O. 1996, chap. 2, annexe A).
C. L’administrateur général a le pouvoir d’annuler les mutations
[85] Le paragraphe 51(4) de la LEFP prévoit que les mutations vers ou au sein d’une organisation mentionnée aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP) doivent être effectués de la manière prescrite par le Conseil du Trésor ou conformément à ses règlements. L’employeur est une organisation en vertu de l’annexe IV de la LGFP.
[86] La politique sur les mutations du Conseil du Trésor a été annulée en 2007, et l’employeur n’avait pas de politique de ce genre pour les personnes faisant partie du groupe professionnel AS lorsque le fonctionnaire a été muté.
[87] Le paragraphe 51(1) de la LEFP est clair : seuls les administrateurs généraux ont le pouvoir de procéder à des mutations au sein de leur organisation ou vers celle-ci.
[88] Par conséquent, les personnes mutées n’ont pas le pouvoir unilatéral de se muter dans une organisation ou au sein d’une organisation; elles ne peuvent pas non plus révoquer unilatéralement leurs propres mutations.
[89] Cela signifie qu’une fois que le fonctionnaire a consenti à être muté, cela aurait pu être arrêté ou annulé seulement à la discrétion de la personne qui avait le pouvoir de le muter, c’est-à-dire l’administrateur général.
[90] Le fonctionnaire n’a fourni aucun fondement à sa prétention selon laquelle, après avoir accepté la lettre d’offre de mutation et avant la date d’entrée en vigueur, il pouvait retirer son consentement et ainsi annuler lui-même la mesure de dotation.
[91] De plus, la Commission note que, le 27 mai 2020, le fonctionnaire a confirmé auprès de la Direction des relations de travail de l’employeur qu’après avoir parlé à d’autres personnes, y compris le directeur intérimaire de l’Établissement du Pacifique, qui lui avait envoyé la lettre d’offre, il avait l’intention de respecter l’entente de mutation. Nulle part dans son courriel il ne mentionne qu’il a signé la lettre d’offre du 14 mai 2020, sous quelque contrainte que ce soit. Le texte suivant est un extrait de ce courriel :
[Traduction]
[...]
Salut Ann,
J’ai de nouveau parlé avec Brooke et Tysha aujourd’hui. Je m’en tiendrai à l’acceptation initiale de la mutation au sein de l’EP. L’actuel directeur du village de ressourcement Kwìkwèxwelhp a fait savoir très clairement qu’il préférerait qu’une personne non autochtone occupe le poste de DA, alors je vais probablement poursuivre sur cette question, et sa note de service inappropriée qui m’a été envoyée hier, dans un envoi distinct. J’aime beaucoup travailler avec l’équipe ici à l’EP et mon hésitation initiale n’avait rien à voir avec le fait de ne pas vouloir être ici. Après mûre réflexion, je me suis plutôt inquiété des effets que la COVID pourrait avoir sur les postes à long terme au SCC et je voulais m’engager en faveur de la culture autochtone. Brooke, Tysha et moi en avons discuté et avons apaisé ces préoccupations à ma satisfaction.
Peter Lang
[92] Étant donné que j’ai conclu que le fonctionnaire avait consenti à la mutation, je conclus que la Commission n’a pas compétence en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(ii) de la LRTSPF relativement au grief.
D. Allégations de discrimination
[93] Le fonctionnaire a également allégué que sa mutation était discriminatoire en raison de son statut d’Autochtone et qu’elle violait ses droits de la personne. Ces allégations se trouvent dans le libellé du grief qui a été renvoyé à l’arbitrage et qui a été soulevé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.
[94] La Commission n’aurait compétence pour interpréter ou appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) que si elle avait compétence sur le fond du grief. Dans le présent cas, j’ai déterminé que la Commission n’avait pas compétence. (Voir Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, confirmée dans 2015 CF 50.)
[95] Comme j’ai déjà déterminé que le fonctionnaire avait consenti à la mutation, je ne peux pas exercer une compétence indépendante sur les allégations de discrimination, puisqu’elles sont étroitement liées à la mutation. Il s’agirait d’une tentative d’entrer subrepticement par la porte de derrière alors que la porte de devant est verrouillée.
[96] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[97] L’objection est maintenue et le grief est rejeté.
Le 31 mai 2024.
Traduction de la CRTESPF
Patricia H. Harewood,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral