Date: 20240717
Dossier: 572-02-39254
Référence: 2024 CRTESPF 94
Loi sur la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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Entre
Conseil du TrÉsor du Canada
et
Alliance de la fonction publique du Canada
défenderesse
Conseil du Trésor du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada
Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le demandeur : Larissa Volinets Schieven, avocate
Pour la défenderesse : Janson LaBond, Alliance de la Fonction publique du Canada
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 mars et les 12 et 18 avril 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Aperçu
[1] Le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur ») a présenté une demande en vue d’exclure le poste d’analyste principal, Services de gestion, au ministère de la Justice, poste numéro 23098, de l’unité de négociation des Services des programmes et de l’administration représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). L’employeur a demandé d’exclure le poste parce qu’il est confidentiel par rapport à un poste classifié dans le groupe professionnel Gestion du droit (LC) (« le poste LC »).
[2] J’ai rejeté la demande parce qu’un poste classifié dans le groupe professionnel LC n’est pas classifié comme faisant partie du groupe de la direction. Pour exclure ce poste, le poste auquel il est confidentiel doit faire partie du groupe de la direction. Comme le poste de LC ne fait pas partie de ce groupe, je dois rejeter la demande.
II. Contexte procédural
[3] La présente décision est rendue en même temps que cinq autres décisions concernant des demandes présentées par un employeur en vue d’exclure un poste ou un groupe de postes visés au paragraphe 59(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Les six décisions portent les numéros de référence neutres 2024 CRTESPF 90 à 95.
[4] Pour situer le contexte, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est autorisée à trancher toute affaire dont elle est saisie sans tenir d’audience; voir la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365),au paragraphe 22 et Walcott v. Public Service Alliance of Canada, 2024 FCA 68. Lorsque la Commission fixe une audience en personne pour une affaire d’exclusion, elle dure généralement un ou deux jours au plus. Cependant, un grand nombre de demandes d’exclusion ont été déposées avant 2023. Par conséquent, la Commission a recensé 53 dossiers plus anciens susceptibles d’être tranchés par écrit.
[5] Les employeurs et les agents négociateurs ont tous deux intérêt à ce que les décisions soient rendues rapidement dans les cas d’exclusion. Le fait de prévoir 53 jours d’audience retarderait les décisions relatives à bon nombre de ces cas d’exclusion, ainsi que les audiences relatives à d’autres cas que la Commission n’a pas encore fixées. Les cas d’exclusion conviennent également aux audiences par voie d’arguments écrits car, la plupart du temps, la preuve concernant les fonctions exercées par le poste en question n’est pas contestée et peut être fournie par l’employeur au moyen d’une combinaison de documents (y compris une description de poste) et de résumés de témoignages.
[6] Par conséquent, la Commission a écrit à trois employeurs et à deux agents négociateurs concernés par ces 53 dossiers. Une paire d’employeur et d’agent négociateur a identifié une demande datant de 2023 qui était similaire à d’autres demandes existantes, de sorte que la Commission a émis des directives concernant environ 54 dossiers, dont certains concernaient plusieurs employés. Les directives fournissaient à l’employeur et à l’agent négociateur, dans chaque cas, un échéancier pour le dépôt des arguments écrits. Dans chaque cas, les parties ont également eu la possibilité de demander une audience en personne; aucune ne l’a fait. Dans de nombreux cas, la Commission a prolongé la période prévue pour le dépôt des arguments initiaux de l’employeur afin de permettre aux parties de discuter de ces demandes d’exclusion. À la suite de ces discussions, la Commission n’a eu à se prononcer que sur 21 dossiers concernant deux employeurs et deux agents négociateurs. Deux groupes constitués de ces 21 dossiers ont été formés parce qu’ils soulevaient tous la même question : un groupe de 14 (dans 2024 CRTESPF 91) et un groupe de 3 (dans 2024 CRTESPF 90).
[7] J’ai été chargé de trancher chacun de ces dossiers. Après les avoir examinés, j’ai conclu qu’ils pouvaient être tranchés au moyen d’arguments écrits. Dans un cas (2024 CRTESPF 95), j’avais une question de suivi sur les dates d’entrée en vigueur de certains documents, mais autrement, j’ai pu trancher le cas en me fondant sur les documents déposés, les résumés de témoignages de l’employeur et les arguments écrits des deux parties.
[8] Enfin, je tiens à remercier toutes les parties (les deux employeurs et les deux agents négociateurs) pour la qualité de leurs arguments. Il était clair que les employeurs et les agents négociateurs ont travaillé fort pour résoudre la majorité de ces cas par eux-mêmes et que les cas restants soulevaient d’importantes questions de principe (comme le présent cas) ou étaient des cas limites fondés sur les faits. Ces cas n’ont pas été faciles; les arguments des parties les ont rendus plus faciles. Je les en remercie.
III. Signification de l’expression « groupe de la direction » à l’alinéa 59(1)h) de la Loi
[9] L’employeur demande d’exclure ce poste en vertu de l’alinéa 59(1)h) de la Loi. Cet alinéa exige que le titulaire du poste exclu soit confidentiel à l’égard du titulaire d’un autre poste décrit à l’alinéa 59(1)b), c), d) ou f). L’employeur affirme que ce poste est confidentiel par rapport à un poste LC et qu’un poste LC est visé par l’alinéa 59(1)b). Les alinéas 59(1)b) et h) de la Loi se lisent comme suit :
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[10] L’employeur déclare qu’un poste dans le groupe professionnel LC est [traduction] « [...] dans le groupe de la direction, quelle qu’en soit la dénomination [...] ». L’employeur affirme que les mots « quelle qu’en soit la dénomination » énoncés à l’alinéa 59(1)b) de la Loi signifient que le poste en question doit faire partie d’un groupe composé de cadres supérieurs, au sens large. L’employeur s’appuie sur la Politique de gestion des cadres supérieurs du Conseil du Trésor pour appuyer sa position. L’AFPC affirme que les mots « quelle qu’en soit la dénomination » modifient le terme « poste » de sorte que le poste n’a pas besoin d’avoir le titre de cadre, mais qu’il doit quand même faire partie du groupe professionnel de la direction.
[11] Je ne suis d’accord avec aucune des parties. J’ai conclu que les mots « quelle qu’en soit la dénomination » modifient l’expression « groupe de la direction », ce qui signifie que l’employeur peut décider de renommer le groupe professionnel actuel de la direction sans soustraire ce groupe à l’application de l’alinéa 59(1)b) de la Loi. Toutefois, les mots ne signifient pas que d’autres groupes ou sous-groupes professionnels dont les fonctions sont principalement de gestion entrent dans son champ d’application.
[12] Il s’agit d’une question d’interprétation des lois, qui concerne la trinité du texte, du contexte et de l’objet de la loi (voir Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2019 CAF 236, au par. 7). J’aborderai ces trois éléments à tour de rôle.
A. Texte
[13] Le texte de l’alinéa 59(1)b) empêche l’interprétation présentée par l’AFPC. L’AFPC a raison dans la mesure où les mots « quelle qu’en soit la dénomination » montrent que le paragraphe traite de la nomenclature; voir Canada c. Corsano (C.A.), 1999 CanLII 9297 (CAF), aux paragraphes 48 et 49. Toutefois, pour des raisons de grammaire, les mots modifient l’expression « groupe de la direction » et non le mot « poste ».
[14] C’est le sens de la même phrase adoptée par la Cour d’appel fédérale dans Corsano. Dans cette affaire, la Cour d’appel a dû interpréter l’alinéa 2(1)f) de la Companies Act (R.S.N.S. 1989, ch. 81), qui définissait le terme « administrateur » comme suit : « « administrateur » comprend toute personne qui occupe le poste d’administrateur, indépendamment de son titre » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Les mots « indépendamment de son titre » ont modifié le terme « poste d’administrateur », de sorte qu’une personne ayant le titre de gouverneur ou de gestionnaire serait toujours un administrateur en vertu de cette loi. Toutefois, les mots « indépendamment de son titre » ne modifiaient pas l’expression « toute personne ». Le législateur ne s’est pas préoccupé de savoir si l’administrateur était nommé Frank ou Francine, mais il a voulu s’assurer que les règles concernant les administrateurs s’appliquaient quel que soit le titre que la société utilisait pour ses administrateurs. La Cour d’appel a ensuite conclu que la définition n’incluait pas de facto les administrateurs qui ne satisfaisaient pas aux qualifications techniques requises pour être administrateur en vertu de cette loi, ce qui est semblable au résultat que j’obtiens dans la présente décision.
[15] Comme dans Corsano, dans le présent cas, les mots « quelle qu’en soit la dénomination » modifient « groupe de la direction » et non « poste ». Le législateur ne s’est pas préoccupé du nom du poste, mais plutôt du nom du groupe professionnel. Cela est évident du point de vue de la construction grammaticale et est conforme au contexte législatif dont il est question plus loin dans la présente décision.
[16] Le texte de la Loi ne soutient pas non plus la position de l’employeur. L’alinéa 59(1)b) parle du groupe de la direction et non d’un groupe de la direction. Le texte n’envisage qu’un seul groupe de la direction, et non les nombreux groupes de direction qui, selon l’employeur, existent.
[17] Je reconnais que le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21) indique que les mots au singulier comprennent le pluriel. Toutefois, cette règle interprétative n’est pas absolue et « [...] [o]n ne doit avoir recours à une telle disposition que lorsqu’il est nécessaire de donner effet à l’intention manifeste du législateur dans la Loi en cause » (voir Gunn c. Canada (Commissaire des services correctionnels), [1981] 2 CF 99, à la p. 111, citant R. c. Noble, [1978] 1 RCS 632, à la p. 639; voir aussi, plus récemment, Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Facebook, Inc., 2023 CF 533, aux par. 55 et 56). Le contexte de l’alinéa 59(1)b) montre qu’il ne vise qu’un seul groupe de la direction et, par conséquent, je n’aurai pas recours au paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation.
B. Contexte
[18] Dans le présent cas, le contexte législatif est le moyen le plus important pour interpréter l’alinéa 59(1)b) de la Loi.
1. Évolution législative
[19] Premièrement, l’alinéa 59(1)b) doit être lu à la lumière de son évolution législative, qui constitue une partie importante de son contexte et une aide importante à son interprétation; voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 43.
[20] Lorsque le législateur a adopté pour la première fois la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 1966-1967, ch. 72; LRTFP), celle-ci excluait les personnes et non les postes. Elle excluait de son champ d’application les personnes occupant un poste de direction ou de confiance, qu’elle définissait ensuite d’une manière structurellement similaire au paragraphe 59(1) de la Loi en ce qu’elle énumérait les catégories d’employés occupant un poste de direction ou de confiance. Cependant, ces catégories étaient libellées différemment qu’aujourd’hui.
[21] L’équivalent de l’alinéa 59(1)b) de la Loi était le sous-alinéa u)(iii) de la définition de « personne occupant un poste de direction ou de confiance » dans la LRTFP. Cette disposition visait les cadres supérieurs en excluant une personne [traduction] « [...] qui a des fonctions exécutives et des responsabilités en rapport avec l’élaboration et l’administration des programmes gouvernementaux [...] ». Autrement dit, la version originale de la LRTFP utilisait une approche fonctionnelle pour exclure les postes de direction.
[22] Avant 1992, le prédécesseur de la Commission avait établi une riche jurisprudence sur la signification des termes [traduction] « fonctions de direction » et [traduction] « élaboration et administration », de sorte que les personnes relevaient de cette disposition seulement lorsque leurs fonctions étaient de niveau supérieur et avaient un degré important de pouvoir décisionnel sur l’élaboration et l’administration de politiques et de programmes qui impliquaient l’utilisation de ressources financières, matérielles ou humaines; voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), dossier 172-02-262 (19780720) de la CRTFP, au paragraphe 23, Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), dossier 174-02-304 (19800128) de la CRTFP, et Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (Groupe du commerce - Catégorie scientifique et professionnelle), [1980] C.R.T.F.P.C. no 3 (QL), aux paragraphes 28 à 31. Les décisions de l’ancienne Commission ont toutes utilisé l’approche fonctionnelle exigée par la LRTFP pour déterminer qui était ou n’était pas un cadre supérieur.
[23] En 1992, le législateur a adopté la Loi sur la réforme de la fonction publique (L.C. 1992, ch. 54), qui a modifié le régime d’exclusion de la LRTFP de manière à ce que les postes soient exclus plutôt que les personnes. Cette loi a également modifié la définition de « poste de direction ou de confiance » en remplaçant l’ancien libellé concernant les cadres par un libellé identique à l’actuel alinéa 59(1)b) de la Loi. Le passage [traduction] « [...] les fonctions et responsabilités de direction en ce qui concerne l’élaboration et l’administration des programmes gouvernementaux [...] » a été remplacé par « dans le groupe de la direction ». Lorsque la Loi actuelle est entrée en vigueur en 2005, le législateur a modifié d’autres parties du paragraphe 59(1) – mais pas l’alinéa 59(1)b).
[24] Cette évolution législative réfute l’argument de l’employeur quant au sens de l’alinéa 59(1)b) de la Loi, à savoir qu’il devrait être interprété de façon fonctionnelle, de sorte que tout groupe professionnel qui exerce des fonctions exécutives soit visé au sens de la Loi. Toutefois, c’est précisément ce que le législateur a changé en 1992 : il a modifié ce qui est maintenant l’alinéa 59(1)b) pour passer d’une approche fonctionnelle à une approche par catégories.
2. L’architecture et l’utilisation des groupes professionnels
[25] Deuxièmement, l’alinéa 59(1)b) doit être lu à la lumière du contexte plus large de l’architecture de classification dans l’administration publique centrale.
[26] Lorsque la négociation collective a été instaurée, les unités de négociation étaient déterminées uniquement en fonction des groupes professionnels. La LRTFP a créé à l’origine cinq catégories professionnelles et a ensuite exigé que la Commission de la fonction publique précise et définisse les groupes professionnels au sein de chaque catégorie professionnelle avant le 28 mars 1967 – c’est-à-dire à temps pour que les organisations d’employés puisse commencer à présenter des demandes d’accréditation à titre d’agents négociateurs pour les unités de négociation de chaque groupe professionnel (voir la LRTFP, à l’art. 26). La Commission de la fonction publique a créé 72 groupes professionnels, ce qui signifiait l’accréditation d’un maximum de 72 unités de négociation (bien que certains groupes professionnels n’aient jamais été syndiqués).
[27] L’existence d’un grand nombre d’unités de négociation a contribué aux difficultés de la négociation collective. Par conséquent, dans la Loi sur la réforme de la fonction publique, le législateur a exigé que le Conseil du Trésor définissent de nouveaux groupes professionnels dans les six ans suivant l’entrée en vigueur de certaines dispositions (voir la Loi sur la réforme de la fonction publique, à l’art. 101), puis qu’il publie les nouveaux groupes dans la Gazette du Canada. Cette loi donnait également au Conseil du Trésor le pouvoir de modifier la définition d’un groupe professionnel et de publier la nouvelle définition dans la Gazette du Canada (voir l’art. 102). Cette disposition avait pour but de réduire le nombre de groupes professionnels, ce qui réduirait le nombre d’unités de négociation, rendant ainsi la négociation collective plus efficace.
[28] En 1999, le Conseil du Trésor a redéfini deux groupes professionnels pertinents à la présente décision : le groupe de la direction (EX) et le groupe du droit (LA). Ces deux groupes existaient avant 1999. En 2014, il a modifié la définition du groupe du droit en la divisant en deux groupes professionnels : Gestion du droit (LC) et Praticien du droit (LP). Le groupe LC met « [...] principalement en application une connaissance approfondie du droit et sa pratique dans la gestion de fonctions juridiques [...] », tandis que le groupe LP est principalement impliqué dans « l’exécution de fonctions juridiques ».
[29] Je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails des définitions des groupes professionnels et des différences entre les groupes EX et LC. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des détails à examiner. Chaque groupe professionnel est un compartiment hermétiquement clos. Il se peut qu’un poste n’existe pas dans deux groupes professionnels en même temps. Un poste peut contenir des fonctions qui relèvent de plus d’un groupe professionnel (voir Conseil des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral (Est) c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 51, au par. 66), mais il est toujours classifié dans un seul groupe professionnel.
[30] Le législateur en était conscient lorsqu’il a adopté ce qui est maintenant l’alinéa 59(1)b). L’importance et la nature des groupes professionnels étaient au cœur des préoccupations du législateur dans la Loi sur la réforme de la fonction publique. Le législateur avait notamment à l’esprit qu’il existait un groupe professionnel appelé le groupe de la direction et qu’il serait redéfini dans un délai de six ans. Si le législateur avait voulu que l’alinéa 59(1)b) fasse référence à d’autres groupes professionnels que le Conseil du Trésor pourrait créer (soit dans le cadre de l’exercice de 1999, soit plus tard), il l’aurait dit explicitement.
3. Formulation explicite dans une autre loi
[31] Un troisième point est lié au deuxième : le législateur a autorisé plus d’un groupe professionnel de la direction dans une autre loi, mais a expressément limité cette définition à cette loi.
[32] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) permet à la Commission de la fonction publique de régir, par règlement, les nominations de personnes au sein du « groupe de la direction » (voir art. 22(2)). Le paragraphe 2(3) dit aussi ceci : « Dans la présente loi […] groupe de la direction s’entend d’un groupe ou d’un sous-groupe professionnel désigné par l’employeur et formé de personnel de gestion. » [je mets en évidence]. Le législateur a défini le terme « groupe de la direction » de façon fonctionnelle dans la LEFP. Il convient de noter que la LEFP actuelle a été modifiée en même temps que la Loi et que le législateur a choisi de définir le terme « groupe de la direction » de façon fonctionnelle dans la LEFP, mais qu’il ne l’a pas fait dans la Loi. De plus, le législateur a pris soin d’adopter une interprétation fonctionnelle de l’expression « groupe de la direction » seulement « dans la présente loi » [je mets en évidence] (c.-à-d. la LEFP); ce libellé réfute la présomption d’expression uniforme entre la Loi et la LEFP et précise que la définition de « groupe de la direction » dans la LEFP s’applique seulement à la LEFP, et non à la Loi.
4. Utilisation de la Politique de gestion des cadres supérieurs
[33] Enfin, l’employeur s’appuie sur la Politique de gestion des cadres supérieurs. Je ne suis pas d’accord pour que l’on se fie à une politique rédigée par l’employeur pour interpréter une loi qui régit l’employeur, car cela pourrait facilement mener à des abus si l’employeur rédigeait des politiques intéressées comme des aides à l’interprétation des lois.
[34] Cependant, même si je me fiais à la Politique de gestion des cadres supérieurs, elle n’aide pas l’employeur.
[35] La Politique de gestion des cadres supérieurs définit trois termes distincts : « cadre supérieur », « groupe de la direction » et « poste de cadre supérieur ». Ces définitions sont les suivantes :
[...]
cadre supérieur (executive)
Employé nommé ou muté à un poste exclu et non-représenté dans l’un des groupes ou sous-groupes et niveaux suivants :
i. groupe de la direction (EX), niveaux 01 à 05;
ii. groupe des services scientifiques de la défense (DS), niveaux 7A, 7B et 8;
iii. sous-groupe des médecins fonctionnaires (MD-MOF), niveaux 04 et 05;
iv. sous-groupe des médecins spécialistes (MD-MSP), niveau 3;
v. groupe de la gestion du droit (LC), niveaux 01 à 04.
[…]
groupe de la direction, groupe EX (executive group, EX group)
Groupe professionnel tel qu’il est défini dans la Gazette du Canada, Partie I, du 27 mars 1999.
[…]
poste de cadre supérieur (executive position)
Poste exclu et non-représenté dans l’un des groupes ou sous-groupes et niveaux suivants :
i. groupe de la direction (EX), niveaux 01 à 05;
ii. groupe des services scientifiques de la défense (DS), niveaux 7A, 7B et 8;
iii. sous-groupe des médecins fonctionnaires (MD-MOF), niveaux 04 et 05;
iv. sous-groupe des médecins spécialistes (MD-MSP), niveau 3;
v. groupe de la gestion du droit (LC), niveaux 01 à 04.
[...]
[36] Selon la Politique de gestion des cadres supérieurs, un employé du groupe LC est un « cadre supérieur » et un poste du groupe LC est un « poste de cadre supérieur » – mais un poste LC ne fait pas partie du « groupe de la direction». La Loi utilise l’expression « groupe de la direction » et non « poste de direction ». Par conséquent, l’interprétation de la Loi proposée par l’employeur est incompatible avec la politique même sur laquelle il se fonde à titre d’aide à l’interprétation parce que la politique stipule que les LC ne font pas partie du groupe de la direction.
[37] Pour ces quatre raisons, une lecture contextuelle de l’alinéa 59(1)b) de la Loi indique qu’il vise uniquement le groupe de la direction, et non les groupes similaires composés d’autres gestionnaires.
C. Objectif
[38] Enfin, j’ai examiné l’objet de l’alinéa 59(1)b) et la Loi en général et je n’ai pas jugé utile cet examen de l’objectif. D’une part, on reconnaît depuis longtemps l’importance des droits à la négociation collective et le fait qu’« ils ne doivent pas être retirés inconsidérément »; voir Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2024 CRTESPF 10, au paragraphe 84. Une lecture étroite de l’alinéa 59(1)b) serait conforme à l’objet de la Loi, qui est de favoriser la libre négociation collective. D’autre part, les exclusions de la direction n’ont pas pour but de porter atteinte aux droits d’association des employés, mais de promouvoir la liberté d’association en évitant « […] les conflits de rôles entre employés et employeur, les conflits d’intérêts, voire la domination des syndicats par l’employeur [...] »; voir Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2024 CSC 13, au paragraphe 169 (par la minorité, mais la majorité a exprimé un avis similaire au par. 51).
[39] Étant donné que le contexte législatif dans le présent cas est si solide, je n’ai pas besoin de concilier ces deux objectifs concurrents ou de recourir à une interprétation téléologique de l’alinéa 59(1)b). Il suffit de noter que mon interprétation de l’alinéa 59(1)b) n’est pas incompatible avec ces objectifs; il est manifestement compatible avec l’objectif de favoriser le plus grand accès possible à la négociation collective, et il n’est pas incompatible avec l’objectif de prévenir les conflits d’intérêts parce qu’il y a d’autres alinéas au paragraphe 59(1) qu’un employeur pourrait invoquer pour atteindre cet objectif.
[40] J’avais des réserves quant aux répercussions de ma décision sur la capacité de l’employeur d’attribuer des responsabilités exécutives à des avocats et de croire que ces avocats seraient exclus – ce qui a été la raison de la création du groupe LC au départ. Je suis rassuré par le fait que la plupart, sinon la totalité, des postes du groupe LC seraient exclus en vertu d’autres paragraphes (comme l’al. 59(1)e) de la Loi, qui exclut les employés ayant des fonctions de gestion importantes). Ma décision n’a aucune incidence sur la question de savoir si les LC peuvent se syndiquer; ma décision concerne des postes dans d’autres groupes professionnels syndiqués.
[41] En conclusion, le groupe professionnel LC n’est pas « le groupe de la direction » aux fins de l’alinéa 59(1)b) de la Loi. Cela est conforme au texte (en particulier, l’utilisation du mot « le » au lieu de « un ») et, plus important encore, au contexte qui sous-tend cette disposition. Cela signifie qu’un poste confidentiel à un poste de LC ne peut pas être exclu en vertu de l’alinéa 59(1)h) de la Loi. Étant donné que c’était le seul fondement de la demande de l’employeur, je dois la rejeter.
[42] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
IV. Ordonnance
[43] La demande est rejetée.
Le 17 juillet 2024.
Traduction de la CRTESPF
Christopher Rootham,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral