Date: 20240717
Dossier: 572-02-40581
Référence: 2024 CRTESPF 93
Loi sur la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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Entre
Conseil du TrÉsor du Canada
et
Alliance de la fonction publique du Canada
défenderesse
Conseil du Trésor du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada
Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le demandeur : Larissa Volinets Schieven, avocate
Pour la défenderesse : Janson LaBond, Alliance de la Fonction publique du Canada
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 mars et les 12 et 18 avril 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Demande devant la Commission
[1] Le Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur ») a présenté une demande visant à exclure le poste 23138 d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Le poste porte le titre d’agent d’affaires, Direction du droit, au Bureau régional du Québec (BRQ) du ministère de la Justice (MJ). L’agent d’affaires (classifié au groupe et au niveau AS-04) est responsable de la Direction des affaires notariales au BRQ. Le BRQ est divisé en quatre directions. Chaque direction a un agent des affaires AS-04 qui est chargé de fournir un large éventail de services administratifs à la direction. Les trois autres agents d’affaires ont des descriptions de poste identiques et exécutent les mêmes tâches pour leurs directions que cet agent d’affaires. Les trois autres agents d’affaires sont déjà exclus.
[2] J’ai décidé d’accueillir la demande de l’employeur parce que le poste d’agent d’affaires est identique aux trois autres postes déjà exclus. Bien que la similitude entre un poste et un autre déjà exclu ne soit pas déterminante dans une demande d’exclusion, les fonctions identiques des quatre postes sont un facteur important en faveur d’un traitement identique. Puisque les trois autres postes sont exclus, celui-ci le sera aussi.
[3] Voici mes motifs plus détaillés.
II. Historique de la procédure
[4] La présente décision est rendue en même temps que cinq autres décisions concernant des demandes présentées par un employeur en vue d’exclure un poste ou un groupe de postes visés au paragraphe 59(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Les six décisions portent les numéros de référence neutres 2024 CRTESPF 90 à 95.
[5] Pour situer le contexte, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est autorisée à trancher toute affaire dont elle est saisie sans tenir d’audience; voir la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), à l’article 22 et Walcott v. Public Service Alliance of Canada, 2024 FCA 68. Lorsque la Commission fixe une audience en personne pour une affaire d’exclusion, elle dure généralement un ou deux jours au plus. Cependant, un grand nombre de demandes d’exclusion ont été déposées avant 2023. La Commission a donc recensé 53 dossiers plus anciens susceptibles d’être tranchés par écrit.
[6] Les employeurs et les agents négociateurs ont tous deux intérêt à ce que les décisions soient rendues rapidement dans les cas d’exclusion. Le fait de prévoir 53 jours d’audience retarderait le règlement d’un grand nombre de ces cas d’exclusion, ainsi que les audiences d’autres cas que la Commission n’a pas encore prévues. Les cas d’exclusion conviennent également aux audiences par voie d’arguments écrits, car, la plupart du temps, la preuve concernant les fonctions exercées par le poste en question n’est pas contestée et peut être fournie par l’employeur au moyen d’une combinaison de documents (y compris une description de poste) et de résumés de témoignages.
[7] La Commission a donc écrit à 3 employeurs et à 2 agents négociateurs concernés par ces 53 dossiers. Une paire d’employeur et d’agent négociateur a identifié une demande de 2023 qui était similaire à d’autres demandes existantes, et la Commission a donc émis des directives concernant environ 54 dossiers, dont certains concernaient plusieurs employés. Les directives fournissaient à l’employeur et à l’agent négociateur, dans chaque cas, un échéancier pour le dépôt des arguments écrits. Dans chaque cas, les parties ont également eu la possibilité de demander une audience en personne; aucune ne l’a fait. Dans de nombreux cas, la Commission a prolongé la période de présentation des arguments initiaux de l’employeur afin de permettre aux parties de discuter de ces demandes d’exclusion. Après ces discussions, la Commission n’avait qu’à se prononcer sur 21 dossiers concernant deux employeurs et deux agents négociateurs. Deux groupes composés de ces 21 dossiers ont été formés parce qu’ils soulevaient tous la même question : un groupe de 14 (dans 2024 CRTESPF 91) et un groupe de 3 (dans 2024 CRTESPF 90).
[8] J’ai été chargé de trancher de chacun de ces dossiers. Après les avoir examinés, j’ai conclu qu’ils pouvaient être tranchées par voir d’arguments écrits. Dans un cas (2024 CRTESPF 95), j’avais une question de suivi sur les dates d’entrée en vigueur de certains documents, mais autrement, j’ai été en mesure de trancher le cas en me fondant sur les documents déposés, les résumés de témoignages de l’employeur et les arguments écrits des deux parties.
[9] Enfin, je tiens à remercier toutes les parties (les deux employeurs et les deux agents négociateurs) pour la qualité de leurs arguments. Il était clair que les employeurs et les agents négociateurs ont travaillé fort pour résoudre la majorité de ces cas par eux-mêmes, et que les cas restants soulevaient d’importants points de principe (comme le présent cas) ou étaient des cas limites fondés sur les faits. Ces affaires n’ont pas été faciles; les arguments des parties les ont rendues plus faciles. Je les en remercie.
III. Fondement de la demande
[10] L’employeur demande l’exclusion du poste d’agent d’affaires en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi. Cette disposition se lit comme suit :
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[11] J’ai énoncé les principes directeurs concernant l’alinéa 59(1)g) de la Loi dans Conseil du Trésor du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2024 CRTESPF 92. Ce cas a expliqué qu’il y a trois éléments à considérer en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi :
1) les fonctions et responsabilités ne doivent pas être décrites autrement au paragraphe 59(1); et
2) les fonctions et responsabilités doivent donner lieu à un conflit d’intérêts; ou
3) il y a d’autres raisons d’exclure le poste en raison de ses fonctions et responsabilités.
[12] Je m’appuie sur cette approche et sur les principes établis dans cette affaire pour prendre ma décision dans le présent cas. En particulier, j’insiste sur ce que j’ai dit au paragraphe 36 de ce cas, à savoir que l’alinéa 59(1)g) confère à la Commission un large pouvoir discrétionnaire d’exclure un poste.
IV. Fonctions et nature du poste dont l’exclusion est proposée
[13] Comme je l’ai mentionné dans la présentation de la présente décision, le poste d’agent des affaires est situé au BRQ du MJ. Le BRQ est divisé en quatre directions : trois directions des litiges et la Direction des affaires notariales, qui est composée d’avocats qui effectuent des travaux consultatifs. La Direction des affaires notariales est divisée en deux bureaux, l’un à Ottawa (Ontario) et l’autre à Montréal (Québec). Le poste d’agent d’affaires est situé au bureau d’Ottawa et fournit de l’aide à la Direction des litiges des affaires civiles (Ottawa) au sein du BRQ qui n’est pas pertinente à la présente demande. Le poste relève du directeur régional et notaire général (LC-02) de la Direction des affaires notariales au BRQ.
[14] Le résumé de témoignage de l’employeur décrit un large éventail de fonctions accomplies par l’agent d’affaires. Concernant la présente demande, l’agent d’affaires gère une équipe de personnel de soutien administratif à la Direction des affaires notariales et a le pouvoir de prendre des décisions concernant l’embauche, la dotation, les mesures disciplinaires et d’autres questions de ressources humaines. En plus de ce travail de supervision du personnel administratif, l’agent d’affaires supervise également toutes les mesures de dotation au sein de la Direction et discute de ces questions avec le directeur régional et notaire général ou formule des recommandations à leur sujet.
[15] L’AFPC soutient que l’employeur n’a pas inclus la délégation écrite des pouvoirs à l’agent d’affaires pour accomplir l’une ou l’autre de ces tâches; toutefois, elle n’a pas contesté par ailleurs que l’agent d’affaires exécute ces tâches ni n’a déposé des éléments de preuve suggérant le contraire. L’AFPC a cité deux affaires (Canada (Conseil du Trésor) c. Association des gestionnaires financiers de la fonction publique, [1998] C.R.T.F.P.C. no 106 (QL) (« Keegan et Jessen »), aux par. 28 et 66, et Régie de l’énergie du Canada c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 120, au par. 25) dans lesquelles l’employeur a déposé un acte de délégation; toutefois, dans aucun des deux cas la Commission n’a laissé entendre que l’employeur était tenu de le faire, et dans Keegan et Jessen, la Commission a déclaré aux paragraphes 48 et 49 qu’elle ne devrait pas accorder de poids à la délégation des pouvoirs. La Commission a conclu qu’elle devait examiner ce que le titulaire avait réellement fait et que le pouvoir délégué ne constitue pas une preuve de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir particulier.
[16] L’AFPC considère également que les fonctions de l’agent d’affaires sont des fonctions de supervision et non de gestion et que, par conséquent, elles ne justifient pas l’exclusion du poste de l’unité de négociation.
V. Le poste devrait être exclu par souci de cohérence et d’égalité de traitement
[17] Plus important encore, les agents d’affaires des trois autres directions du BRQ sont exclus de l’unité de négociation. L’employeur a demandé leur exclusion en 2014 et l’AFPC ne s’y est pas opposée. Par conséquent, le 14 octobre 2014, la Commission a ordonné que ces trois postes soient exclus de l’unité de négociation.
[18] Je souligne également que la Commission a entendu un cas similaire concernant ces parties dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 41 (« Coordonnateurs du soutien juridique »). Cette affaire concernait le Bureau régional du contentieux de la Colombie-Britannique (BRCB) du MJ. Tout comme le BRQ, le BRCB était divisé en quatre sections. Les sections étaient plus grandes que les directions du BRQ. Cette affaire concernait deux postes AS-03, chacun responsable de la supervision de 15 à 20 assistants juridiques affectés aux avocats de cette section. Les deux postes relevaient d’un gestionnaire de bureau AS-04. La Commission a décidé d’exclure ces deux postes parce que leurs titulaires fournissaient leur point de vue à la direction et participaient à des discussions de gestion menant à des décisions ayant une incidence sur les assistants juridiques qu’ils supervisaient.
[19] L’AFPC ne nie pas que le poste d’agent d’affaires dans le présent cas exerce des fonctions identiques à celles des trois autres agents d’affaires exclus en 2014. L’AFPC n’essaie pas non plus de distinguer le présent cas de la décision rendue dans Coordonnateurs du soutien juridique. Au lieu de cela, l’AFPC soutient que je ne devrais pas du tout tenir compte de ces autres cas.
[20] L’AFPC cite deux décisions de la Commission qui stipulent que chaque cas doit être tranché en fonction de ses propres circonstances, à savoir Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 46, au paragraphe 31, et Coordonnateurs du soutien juridique, au paragraphe 42. Dans Coordonnateurs du soutien juridique, par exemple, la Commission a déclaré que « le fait que des postes analogues – dont les fonctions et responsabilités sont analogues – ont été déclarés postes de direction ou de confiance dans deux autres bureaux du secteur du contentieux du MJ en C.‑B. n’est pas, en soi, un facteur décisif ».
[21] L’AFPC cite également Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1975] C.R.T.F.P.C. no 6 (QL) (« Fraser »), dans laquelle la Commission a déclaré ce qui suit : « […] le fait de l’exclusion antérieure de personnes dont le poste est coiffé du même titre que celui de Mlle Fraser ne peut être pris en considération dans la décision que nous rendons à son égard. » [je mets en évidence]. L’AFPC a sorti ce passage de son contexte. L’ensemble du raisonnement de la Commission sur ce point est le suivant :
[…]
11 Nous désirons mentionner que, selon le rapport de l’examinateur, d’autres commis de la sous-section du personnel ont déjà été exclus de l’unité de négociation, avec l’accord des parties, à titre de « personnes préposées à la gestion ou à des fonction confidentielles », au moment de l’accréditation initiale du groupe des commis aux écritures et aux règlements. Nous ne connaissons pas la nature des fonctions et responsabilités remplies par les commis à la sous-section du personnel intéressés à ce moment-là, et nous ne connaissons pas non plus le fondement de l’accord conclu entre les parties. En conséquence, le fait de l’exclusion antérieure de personnes dont le poste est coiffé du même titre que celui de Mlle Fraser ne peut être pris en considération dans la décision que nous rendons à son égard. Notre décision relative à la situation de Mlle Fraser doit être fondée sur la preuve contenue dans le rapport de l'examinateur ayant trait à ses fonctions et responsabilités particulières à ce moment-ci.
[…]
[22] Dans Fraser, la Commission a déclaré qu’elle ne se fonderait pas sur l’exclusion d’autres employés lorsque ces exclusions ont été faites à la hâte au tout début de la négociation collective pour l’administration publique fédérale, lorsqu’elles faisaient partie d’une entente plus large sur les exclusions visant à accélérer la négociation collective et lorsque la Commission ne disposait d’aucun renseignement sur les fonctions de ces postes au moment où ils ont été exclus.
[23] Dans le présent cas, en revanche, l’AFPC ne prétend pas et ne laisse pas entendre qu’elle a consenti à l’exclusion des autres agents d’affaires à la hâte ou par inadvertance; elle ne prétend pas non plus ou ne laisse pas entendre que leur exclusion faisait partie d’une entente plus large sur un groupe plus important d’employés dont l’exclusion était proposée. Plus important encore, contrairement à la Commission dans Fraser, j’ai de l’information sur les fonctions des trois autres agents d’affaires parce que j’ai leurs descriptions de travail et que la preuve incontestée de l’employeur est qu’ils ont des fonctions identiques à celles de l’agent d’affaires dont l’exclusion est proposée. Je bénéficie également de la décision de la Commission dans Coordonnateurs du soutien juridique, qui confirme qu’un poste similaire devrait être exclu.
[24] Je reconnais que la Commission devrait examiner chaque demande d’exclusion au cas par cas. Je tiens également à préciser que l’AFPC n’est pas empêchée de répondre à la demande de l’employeur simplement parce qu’elle a consenti à l’exclusion de trois postes identiques en 2014.
[25] Cependant, la cohérence est également importante. Comme l’a dit la Commission des relations de travail de l’Ontario dans un autre contexte, [traduction] « […] les cas semblables devraient avoir des résultats semblables à moins qu’une question ne puisse être distinguée de celles qui ont été tranchées avant elle » (Labourers’ International Union of North America, Local 183 v. 736902 Ontario Limited o/a HPN Engineering, 2021 CanLII 70124, au par. 30). Il n’y a pas grand-chose qui est pire pour les relations de travail que d’avoir quatre employés qui font le même travail, mais dont trois d’entre eux sont traités d’une façon et le quatrième est traité d’une autre.
[26] Si l’AFPC avait tenté de distinguer ces cas en fonction des faits, j’aurais examiné attentivement si les différences justifiaient un résultat différent. Si l’AFPC avait soutenu que le cadre juridique de l’alinéa 59(1)g) a beaucoup changé depuis 2014, j’aurais aussi examiné cela attentivement. Si l’AFPC avait présenté une demande en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi pour révoquer l’ordonnance d’exclusion de 2014, j’aurais pu en tenir compte aussi. L’AFPC n’a rien fait de tout cela.
[27] Par conséquent, j’ai décidé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour exclure le poste d’agent des affaires de l’unité de négociation parce que ses fonctions et responsabilités sont identiques à celles de trois postes que la Commission a déjà exclus. On ne m’a donné aucune raison de douter du fondement de ces trois exclusions antérieures : il n’y a pas de différences factuelles, il n’y a pas eu d’évolution juridique importante depuis 2014, il n’y a aucune allégation selon laquelle le consentement de l’AFPC à ces trois ordonnances d’exclusion a été donné à la hâte ou par erreur, et les postes sont semblables à ceux que la Commission a ordonné d’exclure dans Coordonnateurs du soutien juridique.
[28] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[29] La demande est accueillie.
[30] Le poste numéro 23138, portant le titre d’agent des affaires, Direction du droit, est déclaré poste de direction ou de confiance en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la Loi, avec effet au 18 juin 2019 (date de la demande de l’employeur).
Le 17 juillet 2024.
Traduction de la CRTESPF
Christopher Rootham,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral