Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un matelot de pont/quartier-maître de premier plan à bord d’un brise-glace de la Garde côtière canadienne, a été licencié après avoir menacé verbalement ses collègues d’équipage et ses officiers supérieurs d’une hache d’incendie lors d’une navigation dans les eaux isolées de l’Arctique – il a été retiré du navire et a par la suite subi deux évaluations d’aptitude au travail, qui n’ont révélé aucune condition médicale susceptible d’affecter son comportement – à l’audience, il a admis avoir fait les déclarations en question, mais a soutenu qu’elles avaient été faites de façon blagueuse, qu’il n’avait pas l’intention de causer du tort et qu’on ne lui avait jamais dit de cesser – la Commission a conclu que le défendeur avait un motif juste et raisonnable de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre du fonctionnaire s’estimant lésé et que le licenciement était justifié – le fonctionnaire s’estimant lésé faisait face à des circonstances personnelles difficiles, mais aucune preuve médicale ne permettait d'établir un lien entre ces facteurs de stress et son comportement – il avait de nombreuses années de service et aucun antécédent disciplinaire, mais les menaces étaient très précises et explicites, et il n’avait pas exprimé de remords avant l’audience – deux facteurs aggravants importants étaient le fait que les commentaires avaient été faits sur un navire dans les eaux isolées de l’Arctique et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait facilement accès à la hache, qui ne pouvait pas être retirée du lieu de travail – le principe de la dissuasion générale a également appuyé le licenciement, car il doit être clair pour les autres que les menaces de mort en milieu de travail ne seront pas tolérées.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20241002

Dossier : 566-02-42216

 

Référence : 2024 CRTESPF 135

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

DAVID BARTLETT

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Pêches et des Océans)

 

défendeur

Répertorié

Bartlett c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : James R. Knopp, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Zachary Rodgers, avocat

Pour le défendeur : Richard Fader, avocat

 

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle‑Écosse),

du 24 au 27 octobre 2023,

et par vidéoconférence,

le 18 décembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Aperçu et résumé

[1] David Bartlett (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») a travaillé pour le ministère des Pêches et des Océans (l’« employeur ») du 11 juin 1997 au 16 août 2019, jour de son congédiement. Tout au long de la période concernée par le grief en cause, M. Bartlett occupait un poste de chef de pont/quartier-maître au groupe et niveau SC‑DED‑03.

[2] Le fonctionnaire s’estimant lésé s’était absenté du travail pendant un congé de maladie au début de 2018, puis il a réintégré l’équipage pour une affectation à bord du brise-glace Louis St‑Laurent de la Garde côtière canadienne (la « Garde côtière ») en juillet 2018. Le premier voyage a eu lieu du 5 juillet au 23 août 2018, et un deuxième voyage, avec le même équipage, a eu lieu du 4 octobre au 1er novembre 2018. Les deux voyages ont été effectués dans l’océan Arctique.

[3] Le 25 octobre 2018, soit au cours du deuxième voyage, Nicolas Houle, officier de pont, a informé Terry Frost, commandant du navire, et Jo Anne Blomeley, officière de santé du navire, que certains membres de l’équipage avaient rapporté que, au cours du voyage ayant eu lieu du 5 juillet au 23 août 2018 et du voyage ayant débuté le 4 octobre, ils avaient entendu le fonctionnaire s’estimant lésé tenir les propos (paraphrasés) qui suivent :

[Traduction]

 

· « Une nuit, vous monterez à bord et tout le monde aura été assassiné, câlisse. »

· « Je ferais mieux de prendre mes pilules au lieu de prendre la hache d’incendie. »

· « L’officière m’a dénoncé au second, pour tout, la collision avec la glace; il est temps de sortir la hache d’incendie. »

· « Ce soir, je serai sur le pont des officiers avec ma hache d’incendie. »

· Il a affirmé que ses supérieurs « ne vivraient pas longtemps après leur retraite, parce qu’ils se sont faits plusieurs ennemis. »

· Il a laissé entendre que la hache d’incendie pourrait régler des problèmes avec les collègues.

 

[4] L’officier de pont Houle a par ailleurs indiqué qu’il avait entendu le fonctionnaire s’estimant lésé faire ces déclarations.

[5] Lorsqu’ils ont été informés de la situation, le commandant Frost et l’officière de santé Blomeley ont immédiatement demandé conseil. Le commandant Frost a appelé Don Llewellyn, directeur régional de la flotte à la Garde côtière, et Joan Evans, surintendante, Division des services maritimes. L’officière de santé Blomeley a appelé le médecin de garde à l’hôpital Qikiqtani d’Iqaluit, au Nunavut, qui a recommandé le retrait du fonctionnaire s’estimant lésé du Louis St‑Laurent dans les plus brefs délais. Le commandant Frost et ses supérieurs étaient d’accord avec le retrait suggéré. Comme le navire se trouvait dans les eaux libres de l’Arctique, il a mis le cap sur Iqaluit selon les directives du commandant Frost. L’officière de santé Blomeley a communiqué avec le détachement d’Iqaluit de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et a pris des dispositions pour que la GRC arrive en hélicoptère et transporte le fonctionnaire s’estimant lésé vers l’hôpital pour qu’il subisse une évaluation médicale.

[6] Le lendemain, soit le 26 octobre 2018, deux membres de la GRC sont arrivés par hélicoptère et c’est à bord de cet aéronef qu’ils ont escorté le fonctionnaire s’estimant lésé et l’officière de santé Blomeley à l’hôpital d’Iqaluit.

[7] Plus tard ce jour-là, le personnel médical a examiné le fonctionnaire s’estimant lésé et a déclaré que ce dernier était apte à voyager. Le commandant Frost ne voulait pas du fonctionnaire s’estimant lésé à bord du Louis St‑Laurent et il a donc pris des dispositions pour son transport à la maison en avion depuis Iqaluit.

[8] Lors de la réunion de recherche des faits du 6 novembre 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir tenu les propos en cause, en affirmant qu’il n’avait aucune intention de blesser quiconque et qu’il usait seulement de sarcasme.

[9] Une évaluation de Santé Canada a été ordonnée le 9 novembre 2018 et on a suspendu la procédure disciplinaire visant le fonctionnaire s’estimant lésé en attendant les conclusions de cette évaluation. Le 9 janvier 2019, Santé Canada a présenté ses conclusions, notamment un avis médical portant que [traduction] « le comportement de M. Bartlett qui a entraîné son retrait du navire n’était pas causé par un état pathologique, mais pourrait avoir été influencé par des facteurs de stress tant personnels que professionnels à l’époque ».

[10] L’employeur souhaitait obtenir des éclaircissements à l’aide d’une deuxième évaluation de Santé Canada, ce qu’il a demandé avec le consentement du fonctionnaire s’estimant lésé. Le 30 mai 2019, Santé Canada a réitéré sa conclusion antérieure selon laquelle [traduction] « [l]e comportement qui avait entraîné le retrait de M. Bartlett du navire ne semblait pas avoir été causé par un état pathologique ».

[11] Une fois la deuxième évaluation reçue, la procédure disciplinaire a repris son cours. En juin 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé qu’il pouvait présenter des observations à l’audience prévue pour le 5 juillet 2019. Lors de cette audience, il a de nouveau admis avoir prononcé les paroles en cause et répété les sources de stress et d’anxiété qui, à son avis, étaient à l’origine de son comportement inapproprié. Il a exprimé des remords.

[12] Le 16 août 2019, on a transmis au fonctionnaire s’estimant lésé une lettre mettant fin à son emploi.

[13] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé son grief le 27 août 2019.

[14] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage au titre de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) et l’audition du grief a eu lieu à Halifax, en Nouvelle‑Écosse, du 24 au 27 octobre 2023. L’avocat a présenté ses observations finales le lundi 18 décembre 2023, lors d’une vidéoconférence sur Zoom.

[15] Pour les motifs qui suivent, le grief est rejeté. Compte tenu de tous les facteurs atténuants et aggravants, le congédiement était la mesure disciplinaire appropriée.

II. Résumé de la preuve, y compris des témoignages

[16] Le fonctionnaire s’estimant lésé est entré au service de l’employeur en juin 1997 lorsqu’il a été embauché à titre de matelot de pont. Il est devenu un employé permanent en 2007, alors qu’il travaillait sur le navire de la Garde côtière Terry Fox. Il a plus tard été transféré sur le Louis St‑Laurent, dont il a été membre de l’équipage jusqu’à son congédiement.

[17] Tout au long de la période concernée par le grief en cause, M. Bartlett occupait un poste de chef de pont/quartier-maître au groupe et niveau SC‑DED‑03 à bord du Louis St‑Laurent.

[18] Avant d’intégrer la Garde côtière, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré une période de sept années de service au sein de la Marine royale canadienne (MRC). Selon lui, le mode de vie des marins de la MRC est difficile, surtout lors des voyages en mer. Dans son témoignage, il indique que, après une période en mer, les esprits ont tendance à s’échauffer et les frictions entre les membres de l’équipage mènent parfois à des confrontations verbales ou physiques. Le langage grossier et l’humour noir étaient courants.

[19] Lors de l’interrogatoire principal, on a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé s’il avait déjà entendu quelqu’un proférer des menaces de mort. Il a répondu qu’il avait entendu des membres d’équipage exprimer leur frustration à l’égard du matériel informatique en menaçant de le jeter par-dessus bord et qu’il avait même entendu un collègue de la Marine faire un commentaire identique à propos d’une personne. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il avait entendu de tels propos au sein de la Marine, mais pas au sein de la Garde côtière.

[20] Lors de son intégration à la Garde côtière en 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé a remarqué de nombreuses similitudes culturelles entre la vie au sein de son nouvel équipage et la vie dans la Marine, en particulier en ce qui concerne la vie en mer. Selon son témoignage, il aimait la vie en mer, et c’est pourquoi il avait présenté sa candidature à un poste dans la Garde côtière après avoir quitté la Marine.

[21] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il avait eu une carrière agréable au sein de la Garde côtière. Il avait appris à comptabiliser les provisions de bord et commencé à participer à l’approvisionnement de navires en vue des missions en mer. Dans son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a parlé de son dévouement et de son efficacité en ce qui concerne la commande de fruits et légumes frais et de certains produits alimentaires pouvant être congelés. Il a indiqué que ses modèles d’approvisionnement avaient favorisé une utilisation plus prudente des ressources publiques, ce qui lui avait valu d’être promu au poste de magasinier, qu’il a beaucoup aimé.

[22] Selon son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé trouvait difficile de résoudre ses problèmes familiaux lorsqu’il était en mer pendant plusieurs semaines ou mois consécutifs. Lors de l’audience, il a exposé ses problèmes en détail, mais, pour des raisons de confidentialité, ceux-ci ne sont mentionnés qu’en termes généraux dans la présente décision.

[23] Le fonctionnaire s’estimant lésé a ressenti beaucoup de stress à cause de ses problèmes familiaux. En novembre 2017, il a discuté avec son capitaine du stress croissant dans sa vie personnelle. Il avait commencé à remarquer que sa préoccupation à l’égard de ses problèmes l’empêchait de se concentrer au travail, ce qui nuisait à son rendement.

[24] Un incident en particulier concernait une erreur assez grave dans la commande de provisions. À la suite de cet incident, le fonctionnaire s’estimant lésé a été relevé de ses fonctions de magasinier, ce qu’il a perçu comme une rétrogradation. Il n’a pas déposé de grief, parce qu’il occupait le poste à titre intérimaire seulement. Cependant, il était bouleversé d’être relevé de ses fonctions, car il aimait ce poste et estimait qu’il était assez bon en temps normal. Il a témoigné que la perte de ce poste avait aggravé son stress. En janvier 2018, il s’est absenté du travail pour des raisons médicales liées au stress.

[25] Le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’il était très en colère contre les personnes qui avaient décidé de le démettre de ses fonctions de magasinier, soit James Chmiel, son commandant à l’époque, Anthony Walters, officier de logistique, et Don Whitty, officier en chef. Aucune de ces personnes n’a témoigné à l’audience. Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé n’avoir fait part à aucune des personnes mentionnées de son mécontentement relativement à la perte de son poste de magasinier. Il a cependant indiqué avoir fait part de son mécontentement à d’autres membres de l’équipage. Selon son témoignage, il n’hésitait pas à exprimer son opinion à ce sujet ou sur d’autres questions.

[26] Le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir tenu les propos qui lui sont attribués concernant l’utilisation de la hache d’incendie pour frapper certains collègues et supérieurs.

[27] Interrogé en contre-interrogatoire sur les supérieurs qui [traduction] « ne vivraient pas longtemps après leur retraite, parce qu’ils se sont faits plusieurs ennemis », le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir tenu ces propos, ou prononcé des paroles similaires, et il a ajouté qu’il songeait alors au commandant Chmiel, à l’officier de logistique Walters et à l’officier en chef Whitty, car ces derniers avaient participé à la décision de le démettre de ses fonctions de magasinier.

[28] Dans son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait pas eu l’intention de faire du mal au commandant Chmiel, à l’officier de logistique Walters et à l’officier en chef Whitty. Il avait simplement exprimé son mécontentement.

[29] Au printemps 2018, comme certaines des sources de stress dans sa vie personnelle s’étaient atténuées, le fonctionnaire s’estimant lésé envisageait un retour au travail. Il a en outre déclaré que sa situation financière le préoccupait. Il s’agissait de raisons impérieuses motivant un retour au travail. Dans une correspondance datée du 13 juin 2018, le commandant Chmiel a fait part à la surintendante Evans et à Anne Marie Noftall, surintendante adjointe, Marine, qui facilitait le retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé, de ses préoccupations concernant la reprise du service actif à bord d’un navire de la Garde côtière. Le commandant Chmiel a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il est évident que le rendement de David Bartlett a été affecté par ses problèmes personnels. Il a parlé librement de ses problèmes et de leurs répercussions sur lui. Il a en outre indiqué qu’il avait fait appel au Programme d’aide aux employés (PAE). De plus, en dehors de son quart de travail, il aura recours aux services du PAE pour d’autres questions.

[…]

Par conséquent, j’appuie entièrement et je recommande l’offre d’un autre travail à David Bartlett pendant la période du 12 juillet au 4 octobre 2018. À mon avis, cela donnera à l’employé le temps dont il a besoin pour s’occuper de ses problèmes personnels et l’occasion de renforcer ses mécanismes d’adaptation pour régler ses problèmes. Je crois que ce temps accordé à l’employé lui sera très précieux et bénéfique. Quant au navire, il sera en mer dans l’Arctique pendant cette période. Compte tenu de la nature essentielle de son poste (chef de pont) en ce qui concerne la sécurité, il est impératif que David soit concentré à tout moment lorsqu’il se trouve sur la passerelle ou à la barre. Connaissant ses problèmes actuels, je crois que tout employé trouverait très difficile de demeurer parfaitement concentré. Toutefois, à mon avis, si David pensait que ses problèmes affecteraient son travail sur la passerelle, il le ferait savoir à son supérieur. Il faut aussi envisager dans quelle mesure la détérioration des problèmes de David, pendant un voyage en Arctique, se répercuterait sur lui et sur les opérations du navire.

[…]

 

[30] Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné à la fois de sa gratitude à l’égard du soutien offert par le commandant Chmiel et de son désir de reprendre le service actif en mer. Dans le même lot de correspondance figure un courriel transmis le 20 juin 2018 à la surintendante Evans par Mme Noftall, dans lequel cette dernière relate une conversation que le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré avoir eue avec Mme Noftall :

[Traduction]

[…]

[…] M. Bartlett ne demande pas qu’on l’affecte à un autre travail pour le moment, car ses problèmes personnels se sont atténués. Il est au courant de la procédure à suivre pour présenter une demande si le besoin s’en fait sentir. Il reprendra le travail sur le LSSL [Louis St-Laurent] le 12 juillet. N’hésitez pas à nous faire part de toute question.

[…]

 

[31] Plus tard ce même jour, Mme Noftall a écrit ce qui suit à la surintendante Evans : [traduction] « J’ai parlé avec le commandant Chmiel ce matin. Il m’a dit n’avoir aucune inquiétude concernant la sécurité. Le commandant savait que [l’employé] avait quelques problèmes et son but était d’aider ce dernier à les régler. L’employé a indiqué que tout allait bien et qu’il était prêt à aller dans l’Arctique. »

[32] Dans son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué qu’il ne connaissait pas à l’époque les options qui auraient pu reporter la reprise du service actif. Il a affirmé que les situations stressantes au sein de sa famille s’étaient en fait quelque peu atténuées, mais qu’il était inquiet de la perte de son revenu et a donc choisi de reprendre le service actif. Il est parti en mer avec l’équipage du Louis St-Laurent le 12 juillet 2018.

A. Événements survenus au cours du voyage effectué du 12 juillet au 4 octobre 2018

[33] Au cours du voyage du 12 juillet au 4 octobre 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a dit à l’occasion qu’il frapperait avec la hache d’incendie du navire des collègues qui, à son avis, lui avaient fait du tort. Xenia Wiens, officière de pont, a témoigné que, durant ce voyage, ce type de discours était [traduction] « suffisamment fréquent pour que je l’avertisse que, s’il continuait, je le dénoncerais à un supérieur ou à l’infirmière ». L’officière de pont Wiens a écrit une note à ce propos peu après le retrait du fonctionnaire s’estimant lésé du navire, le 25 octobre 2018. Elle avait pour tâche, comme d’autres personnes qui étaient au courant, de documenter les commentaires en cause. L’officière de pont Wiens a recueilli et conservé ses notes, ainsi que les transcriptions de notes qu’elle avait reçues de l’officier de pont Houle et de David Pike et Taylor Marsh, matelots de première classe, puis les a présentées en temps utile au fil de l’enquête. Elle a affirmé que ce qu’elle avait écrit dans ses notes à l’époque était la vérité.

[34] Le fonctionnaire s’estimant lésé a nié que l’officière de pont Wiens lui avait dit qu’elle le dénoncerait s’il ne cessait pas de faire les commentaires en cause. Il a dit que l’officière de pont Wiens avait menti à ce sujet. Selon son témoignage, il aurait cessé de faire les commentaires si elle lui avait dit d’arrêter, ce qu’elle n’avait pas fait.

[35] L’officier de pont Houle a également témoigné au sujet des commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé concernant la hache d’incendie pendant le voyage du 12 juillet au 4 octobre 2018. Il a affirmé avoir écrit la vérité dans ses notes écrites, retranscrites par l’officière de pont Wiens et admises en preuve. Voici des notes rédigées par l’officier de pont Houle concernant le voyage du 12 juillet au 4 octobre 2018 :

[Traduction]

[…]

- [Le fonctionnaire s’estimant lésé] a exprimé son désir de frapper certains membres de l’équipage, en particulier le commandant James Chmiel, avec la hache d’incendie. J’ai été témoin de ces déclarations à plusieurs reprises.

- Un jour, en arrivant sur la passerelle, j’ai enlevé une étiquette sur laquelle on pouvait lire « Hache de Dave », qui était apposée sur la hache d’incendie.

[…]

 

[36] Un autre membre d’équipage, le matelot de première classe Marsh, a témoigné sur les événements survenus lors du voyage du 12 juillet au 4 octobre 2018. Il a déclaré que les notes qu’on lui avait demandé de préparer reflétaient la vérité. En ce qui concerne le voyage du 12 juillet au 4 octobre 2018, la seule note présentée précise que [traduction] « [le fonctionnaire s’estimant lésé] a pris l’étiqueteuse et a créé une étiquette indiquant "Hache de Dave", qu’il a apposée sur la hache d’incendie près de la porte de la passerelle ».

[37] Cependant, à la barre des témoins, lorsqu’il a été interrogé sur l’étiquette [traduction] « Hache de Dave », le matelot de première classe Marsh a déclaré ne pas avoir vu le fonctionnaire s’estimant lésé l’apposer sur la hache. Il a cependant livré le témoignage suivant : [traduction] « J’ai vu l’étiquette sur la hache d’incendie et j’en ai parlé à Nick [soit l’officier de pont Houle] ». Le matelot de première classe Marsh a déclaré qu’il s’était plaint à l’officier de pont Houle en ces termes : [traduction] « Que se passe-t-il? À mon avis, c’est un peu exagéré pour un lieu de travail. »

[38] En effet, aucun témoin n’a affirmé avoir vu le fonctionnaire s’estimant lésé apposer une étiquette sur la hache d’incendie. On n’a pas demandé au fonctionnaire s’estimant lésé s’il avait apposé l’étiquette en cause, et il n’a pas livré spontanément l’information. Le matelot de première classe Marsh et l’officier de pont Houle ont tous deux affirmé avoir vu l’étiquette sur la hache. À leur avis, l’étiquette servait à appuyer les remarques continuelles du fonctionnaire s’estimant lésé à propos de l’utilisation de la hache d’incendie contre des membres de l’équipage. Ils ont tous deux indiqué qu’il n’y a rien de drôle là-dedans.

[39] L’officier de pont Houle avait indiqué dans ses notes et lors de son témoignage qu’il avait enlevé l’étiquette en cause. Cependant, le matelot de première classe Marsh a affirmé que c’est lui qui avait retiré ladite étiquette : [traduction] « C’est moi qui ai décollé l’étiquette de la hache d’incendie, parce qu’elle ne me plaisait pas. Je ne trouvais pas ça drôle du tout. J’ai décollé l’étiquette et je l’ai jetée. [Le fonctionnaire s’estimant lésé] n’était pas là à ce moment précis; je crois que personne n’était là quand j’ai fait ça. »

[40] Le Louis St‑Laurent est demeuré en mer, mais il y a eu un changement d’équipage. Tous les témoins, y compris le fonctionnaire s’estimant lésé, ont quitté le navire vers le 23 août 2018, date à laquelle ils ont été remplacés par un nouvel équipage. Ils sont retournés à bord du navire le 4 octobre 2018. Lors du voyage qui commençait le 4 octobre 2018, le commandant Frost remplaçait le commandant Chmiel de façon intérimaire.

B. Événements survenus au cours du voyage effectué du 4 au 25 octobre 2018

[41] Le commandant Frost, la surintendante Evans, Denise Veber, directrice principale par intérim, flotte de la région de l’Atlantique, et Gary Ivany, commissaire adjoint, région de l’Atlantique, ont tous témoigné de la façon dont ils ont eu connaissance des commentaires que le fonctionnaire s’estimant lésé avait formulés pendant le voyage du 12 juillet au 4 octobre 2018. Ils ont tous déclaré que la décision du retrait du fonctionnaire s’estimant lésé du navire et, finalement, la décision de mettre fin à son emploi étaient fondées sur les événements survenus au cours du voyage qui a commencé le 4 octobre 2018. Ils ont reconnu que les événements survenus lors du voyage précédent étaient liés, mais ils ont maintenu avoir porté une attention particulière aux événements du 4 au 25 octobre 2018.

[42] L’officier de pont Houle a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé faisait de plus en plus de commentaires sur la hache d’incendie pendant le deuxième voyage. Presque tous les jours, il avait entendu le fonctionnaire s’estimant lésé exprimer son désir de frapper des membres du personnel du navire avec la hache d’incendie. Selon le témoignage de l’officier de pont Houle, la plupart des matins, le fonctionnaire s’estimant lésé faisait à un moment donné un commentaire formulé à peu près comme ceci : [traduction] « Je ferais mieux de prendre mes pilules au lieu de prendre la hache d’incendie ». Une fois, le fonctionnaire s’estimant lésé lui a dit : [traduction] « Une nuit, tu commenceras ton quart et tout le monde sur la passerelle aura été assassiné, câlisse! » Le matelot de première classe Marsh a déclaré avoir aussi entendu le fonctionnaire s’estimant lésé faire ce commentaire, mais il ne se souvenait pas si l’officier de pont Houle était présent à ce moment précis.

[43] À un moment donné, à une date qu’il n’a pas pu préciser, l’officier de pont Houle aurait dit au fonctionnaire s’estimant lésé quelque chose comme [traduction] « ça suffit les commentaires sur la hache d’incendie ». Il a précisé que cela n’était pas suffisant pour mettre fin aux commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé. Selon l’officier de pont Houle, le fonctionnaire s’estimant lésé obtempérait parfois pendant un certain temps, mais il recommençait éventuellement à faire des commentaires.

[44] Le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir reçu une telle directive de l’officier de pont Houle, car, si on lui avait dit quoi que ce soit à ce sujet, il aurait arrêté de faire les commentaires en cause. Il a déclaré que l’officier de pont Houle avait menti sur ce point particulier.

[45] L’officière de pont Wiens a affirmé dans son témoignage qu’elle avait l’impression que les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé concernant la hache d’incendie étaient devenus de plus en plus fréquents après l’appareillage du 4 octobre 2018. Elle a notamment mentionné un incident en particulier qui se serait produit vers le 23 octobre 2018. Elle était à la barre sur la passerelle, tandis que le fonctionnaire s’estimant lésé dirigeait le navire. Malgré les instructions d’évitement de l’officière de pont Wiens, le navire dirigé par le fonctionnaire s’estimant lésé avait frappé un radeau de glace. L’officière de pont Wiens a dit au fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas reproduire cette erreur. Elle a déclaré que ce dernier avait ri. Le fonctionnaire s’estimant lésé se souvenait aussi de cet incident, et il a déclaré avoir pensé à ce moment [traduction] « Nous sommes sur un brise‑glace, n’est-ce pas? » Il ne se souvenait pas avoir dit cela à haute voix à l’officière de pont Wiens.

[46] Dans son témoignage, l’officière de pont Wiens a expliqué qu’il faut éviter les radeaux de glace dans la mesure du possible, parce que, même si le Louis St‑Laurent est un brise‑glace, il y a toujours des possibilités d’avarie si le navire entre en contact avec le radeau de glace en diagonale plutôt que de front. Il est toujours préférable d’éviter la glace autant que possible. L’officière de pont Wiens a informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’elle signalerait l’incident.

[47] Le matelot de première classe Pike a déclaré que, au début de son quart de travail l’après-midi du 23 octobre 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé terminait son quart et quittait la passerelle, et que ce dernier lui avait alors dit, en passant : [traduction] « L’officière m’a dénoncé au second, pour tout, la collision avec la glace; il est temps de sortir la hache d’incendie. »

[48] Le lendemain, soit le 24 octobre 2018, le matelot de première classe Pike a déclaré que, lorsqu’il a commencé son quart, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est plaint que tous les officiers à bord essayaient délibérément de le faire mal paraître et lui voulaient du mal, quoi qu’il fasse. Le matelot de première classe Pike a déclaré que, au moment de la rotation des quarts, le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait dit : [traduction] « Ce soir, je serai sur le pont des officiers avec ma hache d’incendie. » Le matelot de première classe Pike a rapporté ces paroles à l’officier de pont Houle.

[49] Selon l’officier de pont Houle, ces événements récents menaient à un point de rupture. Le lendemain matin, soit le 25 octobre 2018, il a consulté l’officière de santé Blomeley pour lui demander si le fonctionnaire s’estimant lésé prenait des médicaments. Dans son témoignage, l’officier de pont Houle a affirmé qu’il soupçonnait le fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir [traduction] « cessé de prendre ses médicaments », ce qui pourrait expliquer qu’il répétait sans cesse son refrain sur l’utilisation de la hache d’incendie pour frapper des membres de l’équipage.

[50] L’officière de santé Blomeley a déclaré qu’elle était en réunion avec le commandant Frost à 8 h 30 le 25 octobre 2018 lorsque l’officier de pont Houle est passé au dispensaire et l’a interrogée sur les médicaments qu’un membre de l’équipage en particulier prendrait pour traiter un problème de santé mentale. Elle lui a expliqué qu’elle ne pouvait pas fournir de tels renseignements et lui a demandé la raison de sa demande. L’officier de pont Houle a alors répété à l’officière de santé Blomeley et au commandant Frost ce que des membres d’équipage lui avaient rapporté au sujet des commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé sur l’utilisation de la hache d’incendie pour frapper des membres de l’équipage. L’officier de pont Houle a dit aux deux autres personnes qu’il avait personnellement entendu certains des commentaires.

[51] L’officière de santé Blomeley et le commandant Frost ont tous deux déclaré qu’ils étaient stupéfaits et très inquiets, et qu’ils avaient sollicité indépendamment des conseils sur ce qu’il fallait faire. L’officière de santé Blomeley a communiqué avec le médecin de garde à l’hôpital Qikiqtani d’Iqaluit (désigné au cours de l’audience par le terme « Praxes MD », soit le médecin de Praxes), qui a convenu que la meilleure chose à faire était de retirer le fonctionnaire s’estimant lésé du navire pour le transporter à l’hôpital afin qu’il subisse une évaluation. L’officière de santé Blomeley a rapporté cette recommandation au commandant Frost, qui était d’accord. Le commandant Frost a déclaré qu’il avait appelé M. Llewellyn, directeur régional de la flotte, un peu plus tard ce matin-là. La surintendante Evans était alors en présence de M. Llewellyn et a donc participé à la conversation.

[52] Tous les participants à l’appel ont convenu que le retrait du fonctionnaire s’estimant lésé du navire était la meilleure solution. Pour assurer la sécurité de tous les membres de l’équipage, ce débarquement devait avoir lieu le plus rapidement possible. Le commandant Frost a expliqué que la situation était compliquée, parce que le Louis St‑Laurent se trouvait à ce moment-là dans les eaux libres de l’Arctique et non à proximité d’un port; il a donc décidé de changer de cap immédiatement vers Iqaluit. L’officière de santé Blomeley a parlé à un membre du détachement de la GRC d’Iqaluit, qui lui a dit qu’il organiserait le transport par hélicoptère le lendemain matin pour atterrir sur le Louis St‑Laurent et héliporter le fonctionnaire s’estimant lésé vers Iqaluit afin qu’il subisse un examen médical.

[53] Dans la soirée du 25 octobre 2018, le commandant Frost a déclaré avoir informé les deux personnes de quart, dont l’officière de pont Wiens, que le retrait du fonctionnaire s’estimant lésé était prévu pour le lendemain matin.

[54] L’officière de pont Wiens n’a pas mentionné au commandant Frost qu’elle avait verrouillé sa porte, mais elle a dit à l’officier de pont Houle qu’elle avait verrouillé la porte de sa cabine la nuit, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé la mettait mal à l’aise. Le commandant Frost a déclaré avoir cru comprendre que certains membres d’équipage, dont l’officière de pont Wiens et l’un des cuisiniers du navire, avaient décidé de verrouiller la porte de leur cabine la nuit.

[55] Le commandant Frost a déclaré que, pour des raisons de sécurité, la pratique courante et admise consiste à ne jamais verrouiller la porte des cabines lorsque le navire est en mer. Dans l’éventualité d’une urgence nécessitant l’intervention auprès d’un membre d’équipage, une porte verrouillée compliquerait la situation et pourrait entraîner un risque pour la sécurité. Personne n’était censé dormir dans une cabine dont la porte est verrouillée. Toutefois, la nuit en question et pour la première (et unique) fois en plus de 40 ans en mer, le commandant Frost a déclaré avoir verrouillé la porte de sa cabine, parce qu’il était préoccupé par ce qu’il avait entendu plus tôt dans la journée.

[56] Le commandant Frost a déclaré avoir discuté de toutes les manières de procéder possibles avec les officiers de navire et avec ses supérieurs. Selon son témoignage, il n’y avait aucune [traduction] « carabousse » ou cellule de détention provisoire à bord de ce navire. Le commandant Frost a déclaré avoir une connaissance générale de son pouvoir d’arrestation en cas d’urgence pendant un voyage en mer. Cependant, il était convaincu que toute forme d’intervention auprès du fonctionnaire s’estimant lésé ne ferait qu’envenimer la situation. Il a donc simplement informé les membres du quart de nuit de ce qui s’était passé et de ce qui était prévu pour le lendemain matin, et leur a donné pour directive de ne rien dire au fonctionnaire s’estimant lésé.

[57] À 5 h 30 le 25 octobre 2018, le commandant Frost a informé le commandement régional de la Garde côtière qu’il avait demandé que le fonctionnaire s’estimant lésé soit escorté hors du navire. À 10 h 15, un hélicoptère de la Garde côtière transportant deux membres de la GRC a atterri sur le Louis St‑Laurent. Le commandant Frost a convoqué dans sa cabine le fonctionnaire s’estimant lésé, et il a lu une déclaration qu’il avait préparée et qui était reproduite ainsi dans ses notes :

[Traduction]

[…]

Les agents de la GRC sont présents pour assurer notre protection et la vôtre.

Il a été signalé que vous avez fait des commentaires concernant l’utilisation de la hache d’incendie pour blesser des gens.

Que les commentaires soient sérieux ou non, il est inacceptable de faire ce type de remarques de nos jours.

Ces commentaires mettent les gens mal à l’aise en votre présence et sont considérés comme une forme de harcèlement.

Cette situation est inacceptable à bord d’un navire circulant dans une région éloignée.

Le médecin a recommandé que vous alliez à terre pour subir une évaluation.

Je n’ai d’autre choix, au titre de la diligence raisonnable dont je dois faire preuve, que de vous faire quitter le navire pour que vous subissiez une évaluation.

La Garde côtière prendra des dispositions relativement à votre prise en charge et à vos déplacements.

[…]

 

[58] Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est déclaré stupéfait par la tournure des événements. Il a dit qu’il ne faisait que plaisanter et n’avait jamais voulu faire de mal à personne. Lors de son témoignage, il a déclaré qu’il avait offert des excuses pour ses actions, mais il a ajouté plus tard qu’il ne se souvenait pas précisément d’avoir présenté des excuses. Aucun autre témoin n’a affirmé avoir entendu des excuses de sa part à ce moment-là.

[59] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, peu importe ce qu’il aurait dit ou non lorsqu’on lui a fait part du problème le matin du 25 octobre 2018, il était sincèrement désolé que ses commentaires aient perturbé les gens. Il a affirmé avoir réalisé pour la première fois, lors de la rencontre ce jour-là, que ses commentaires n’étaient pas perçus comme des plaisanteries. Il a témoigné avoir eu le sentiment d’avoir de sérieux ennuis.

[60] Les membres de la GRC ont assuré le retrait du fonctionnaire s’estimant lésé du navire. Il n’y a pas eu d’arrestation. L’officière de santé Blomeley a accompagné le convoi vers l’hôpital Qikiqtani d’Iqaluit, où un médecin traitant a pris le relais, puis elle est retournée au Louis St‑Laurent.

[61] Le commandant Frost et l’officière de santé Blomeley ont tous deux affirmé avoir reçu assez rapidement du médecin traitant un message indiquant que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été autorisé à voyager. Comme le commandant Frost ne voulait pas du fonctionnaire s’estimant lésé à bord du navire, il a pris des dispositions pour son transport à la maison en avion depuis Iqaluit à la première occasion. Le fonctionnaire s’estimant lésé est rentré chez lui plus tard ce jour-là et n’est jamais retourné au Louis St‑Laurent.

[62] Le 1er novembre 2018, Mme Noftall, surintendante adjointe, Marine, a informé le fonctionnaire s’estimant lésé par courriel d’une réunion de recherche des faits relativement aux événements survenus à bord du Louis St‑Laurent, lors de laquelle elle serait accompagnée de Steve Hammond, conseiller principal en relations de travail. On a dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il pouvait inviter un tiers, comme un représentant syndical ou une autre personne, à cette réunion.

[63] Le 6 novembre 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a assisté à la réunion de recherche des faits, en indiquant qu’il ne souhaitait pas être accompagné d’un représentant. Mme Noftall a consulté les notes déposées en preuve par M. Hammond; ce dernier n’a pas témoigné. Elle a affirmé que les notes étaient un compte rendu fidèle des propos tenus lors de la réunion. Voici un extrait de ces notes :

[Traduction]

[…]

[Mme Noftall] : Voici quelques exemples des commentaires que vous auriez faits :

· « Une nuit, vous commencerez votre quart et tout le monde aura été assassiné, câlisse. »

· « Je ferais mieux de prendre mes pilules au lieu de prendre la hache d’incendie. »

· « L’officière m’a dénoncé au second, pour tout, la collision avec la glace; il est temps de sortir la hache. »

· « Ce soir, je serai sur le pont des officiers avec ma hache d’incendie. »

· Laisser entendre que les supérieurs « ne vivraient pas longtemps après leur retraite, parce qu’ils se sont faits plusieurs ennemis. »

· Laisser entendre que la hache d’incendie pourrait régler des problèmes avec les collègues.

[…]

 

[64] Lors de la réunion, on a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé s’il avait fait ces commentaires ou tenu des propos similaires sur le fait de faire du mal à ses collègues. Il a [traduction] « [i]ndiqué qu’il avait fait des commentaires similaires à ceux mentionnés ».

[65] Lors de la réunion, Mme Noftall a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé s’il était d’avis que des facteurs externes, comme un état pathologique ou d’autres circonstances personnelles, auraient pu avoir un effet sur son comportement à bord. Il a répondu qu’il [traduction] « croyait que c’était une possibilité ».

[66] Les remarques du fonctionnaire s’estimant lésé concernant les bouleversements dans sa vie personnelle avaient été consignées; il a témoigné de la véracité des notes à ce sujet. Ces notes font partie du dossier de la présente instance, mais nous ne les reproduirons pas puisqu’elles contiennent des renseignements personnels concernant l’état de santé du père du fonctionnaire s’estimant lésé. En raison de l’anxiété liée à ses problèmes personnels, le fonctionnaire s’estimant lésé a sollicité l’aide du programme d’assistance aux employés (PAE) et les services d’un conseiller.

[67] Lors de la réunion, le fonctionnaire s’estimant lésé a accepté de se soumettre à une évaluation de son aptitude au travail par Santé Canada. La demande de cette évaluation a été faite le 9 novembre 2018.

[68] La surintendante Evans, Mme Veber et M. Ivany, commissaire adjoint, ont tous témoigné de la suspension immédiate du processus disciplinaire en attendant les résultats de l’évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire s’estimant lésé.

[69] Le 9 janvier 2019, l’employeur a reçu le rapport d’une infirmière praticienne, dont voici un extrait :

[Traduction]

[…]

Nous attendons des renseignements de la part du clinicien traitant, et nous vous informerons plus en détail dès que nous aurons reçu les rapports. En attendant, M. Bartlett est considéré comme étant médicalement apte au travail à temps plein à titre de chef de pont/quartier-maître à bord d’un navire. Il n’a besoin d’aucune mesure d’adaptation et ne présente aucune limitation à l’heure actuelle. Je suis d’avis que le comportement de M. Bartlett qui a entraîné son retrait du navire n’était pas causé par un état pathologique, mais pourrait avoir été influencé par des facteurs de stress tant personnels que professionnels à l’époque.

[…]

 

[70] Mme Veber, la surintendante Evans et le commissaire adjoint Ivany ont tous témoigné de leurs préoccupations à l’égard de l’équipage du Louis St‑Laurent, dont les membres auraient pu être perturbés par le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé. Ils ont pris des dispositions pour que le commandant Chmiel, qui avait repris le commandement du navire, en janvier 2019, organise une séance d’information et offre de l’assistance à tout membre de l’équipage qui en manifestait l’intérêt. Cette séance d’information a eu lieu le 11 janvier 2019.

[71] Le 18 janvier 2019, la surintendante Evans a répondu par écrit à Santé Canada. Voici un extrait de sa réponse :

[Traduction]

[…]

Compte tenu de la gravité du comportement de M. Bartlett, ainsi que du [fait que] les résultats de l’évaluation mentionnée ont été fournis le jour même et que nous attendons toujours des renseignements médicaux supplémentaires du médecin traitant, je souhaite m’assurer que l’évaluation de l’aptitude au travail de M. Bartlett est exhaustive.

C’est à cette fin que je profite de l’occasion pour fournir quelques renseignements et détails contextuels supplémentaires concernant l’incident qui a mené au retrait de M. Bartlett du navire. Je demande qu’on tienne compte de ces renseignements lors de l’évaluation de l’aptitude au travail de M. Bartlett. […]

[…]

 

[72] La surintendante Evans a déclaré qu’elle avait intégré à la demande de réévaluation une description des propos du fonctionnaire s’estimant lésé et une remarque concernant le fait que le comportement en cause [traduction] « avait fait peur à des membres du personnel du navire, à un point tel que certaines personnes ressentaient le besoin de verrouiller la porte de leur cabine pour leur sécurité personnelle, même si cela était contraire aux directives de sécurité en vigueur ».

[73] La surintendante Evans et le fonctionnaire s’estimant lésé ont tous les deux témoigné au sujet d’une chaîne de courriels concernant le consentement de ce dernier à subir une nouvelle évaluation de l’aptitude au travail. Le 31 janvier 2019, le fonctionnaire s’estimant lésé a donné son consentement. Il a déclaré avoir transmis à Mme Noftall (qui n’a pas témoigné) le message qui suit, daté du 28 janvier 2019, qui faisait partie de la chaîne de courriels :

[Traduction]

Mme Noftall, je vous ai dit ces choses, car je croyais que mes paroles seraient accueillies dans un environnement sûr et rassurant. En fait, plusieurs personnes ont trouvé amusants mes commentaires qui étaient censés être drôles, et si quelqu’un m’avait dit que mes propos étaient offensants, j’aurais cessé immédiatement.

La déclaration que j’ai reçue indique que mes commentaires avaient rendu des gens mal à l’aise, mais pas que ces personnes avaient verrouillé leur porte parce qu’elles avaient peur. D’où vient cette déclaration? Pourquoi cet élément n’était pas mentionné dans la déclaration originale? Je n’ai jamais menacé personne. J’ai parlé à de nombreux membres de l’équipage, et personne ne m’a dit avoir peur de moi… Je ne suis pas d’accord avec la présentation de cette lettre dans sa forme actuelle.

J’ai fait tout ce que vous m’avez demandé relativement à cette affaire. Santé Canada a jugé que je suis apte au travail, et vous avez été informée que mon comportement était causé par le stress personnel et professionnel que je vivais à ce moment-là. Si j’en avais l’occasion, je présenterais des excuses sincères à ceux qui ont été perturbés par mon manque de sensibilité. J’ai travaillé fort pour régler les problèmes qui ont mené à cette situation et, pendant mon congé, j’ai fait face aux problèmes qui persistent avec franchise. Je suis convaincu que je peux encore être un atout précieux pour la Garde côtière si on m’en donne la chance.

[…]

 

[74] La surintendante Evans a déclaré avoir reçu de Santé Canada la lettre qui suit, datée du 30 mai 2019 :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez, nous avons accueilli M. Bartlett dans notre clinique pour une évaluation de l’aptitude au travail et une évaluation de santé périodique de routine (catégorie III) le 9 janvier 2019. Il a été réévalué le 27 mars 2019, et il a ensuite subi une évaluation de santé indépendante.

J’ai maintenant reçu tous les rapports, et je suis en mesure de terminer l’évaluation de santé de M. Bartlett. Il est considéré comme étant en bon état de santé et médicalement apte au travail à temps plein à titre de chef de pont/quartier-maître à bord d’un navire, dans un milieu isolé. Il n’a besoin d’aucune mesure d’adaptation et ne présente aucune limitation à l’heure actuelle. Le comportement qui avait entraîné le retrait de M. Bartlett du navire ne semblait pas avoir été causé par un état pathologique.

[…]

 

[75] La surintendante Evans et Mme Veber ont toutes deux déclaré que la lettre de Santé Canada datée du 30 mai 2019 représentait un [traduction] « feu vert » pour la reprise du volet disciplinaire de l’affaire. Indépendamment du résultat de l’évaluation de l’aptitude au travail, des questions subsistaient concernant le retour du fonctionnaire s’estimant lésé dans le même poste, compte tenu des répercussions disciplinaires possibles.

[76] Le 21 juin 2019, Mme Veber a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé concernant une audience prédisciplinaire prévue pour le 5 juillet 2019 à l’édifice de la Garde côtière canadienne de Dartmouth, en Nouvelle‑Écosse. Voici un extrait de son message :

[Traduction]

[…]

Avant qu’une décision soit rendue sur les mesures correctives/disciplinaires appropriées dans le présent cas, nous vous invitons à une audience prédisciplinaire. Cette rencontre vous offre une dernière possibilité de répondre aux allégations portées contre vous et de présenter toute circonstance atténuante dont je pourrais tenir compte. […]

[…]

 

[77] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, lors de l’audience prédisciplinaire du 5 juillet 2019, il était représenté par Shane Rideout, qui n’a pas témoigné à l’audience. Il a affirmé dans son témoignage que M. Rideout répondait aux questions en son nom pendant l’audience prédisciplinaire. Les notes manuscrites de Wade Stagg, qui était également présent, mais qui n’a pas témoigné à l’audience, ont été produites. Lors de son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé avoir tenu les propos suivants, qui ont été consignés dans les notes de M. Stagg :

[Traduction]

[…]

Je suis conscient que mes propos sont inappropriés.

Je suis désolé.

J’aimerais présenter des excuses aux personnes que j’ai blessées.

Mes problèmes à la maison ont affecté mon jugement.

Période très difficile.

[…]

 

[78] De plus, selon son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé pendant l’audience prédisciplinaire qu’il avait tenu les propos consignés lors de la réunion de recherche des faits tenue le 6 novembre 2018. Il a répété ce qu’il avait déjà déclaré, soit qu’il usait de sarcasme lorsqu’il avait tenu ces propos et qu’il n’était pas sérieux.

[79] À un moment de son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé s’il pouvait reproduire le ton de voix qu’il employait lorsqu’il faisait ses commentaires sarcastiques. Il a dit que, à l’époque, il tentait d’imiter la voix de Yogi l’ours, personnage de dessins animés. Il a ensuite répété certaines des phrases qu’il avait prononcées à bord, en imitant la voix de Yogi l’ours.

[80] Le 31 juillet 2019, Mme Veber a envoyé une lettre au fonctionnaire s’estimant lésé, dont voici un extrait :

[Traduction]

[…]

Je vous transmets la présente lettre à la suite de la réunion de recherche des faits tenue le 6 novembre 2018 concernant les allégations selon lesquelles, dans la période du 4 au 25 octobre 2018, vous avez fait des déclarations menaçantes qui ont nui au sentiment de sécurité d’un certain nombre d’employés. En outre, la présente lettre fait suite à la rencontre du 5 juillet 2019 où vous et votre représentant syndical étiez présents et lors de laquelle vous avez eu la possibilité de présenter des renseignements à l’appui de votre position dans l’affaire qui nous occupe.

L’enquête est terminée et, après un examen minutieux de tous les renseignements accessibles, une décision a été prise. Par conséquent, j’aimerais vous rencontrer le vendredi 16 août 2019 à 11 h 15 à l’édifice de la Garde côtière canadienne […].

[…]

 

[81] Le commissaire adjoint Ivany a déclaré qu’il avait lu au fonctionnaire s’estimant lésé la lettre datée du 16 août 2019, dont voici un extrait :

[Traduction]

Monsieur Bartlett,

À la suite de la réunion de recherche des faits tenue le 6 novembre 2018 et de l’audience disciplinaire tenue le 5 juillet 2019, je conclus que vous avez enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, en particulier la valeur du respect envers les personnes, lorsque vous avez fait, pendant la période du 4 au 25 octobre 2018, des déclarations menaçantes qui ont nui au sentiment de sécurité d’un certain nombre d’employés. Voici des exemples des propos que vous avez tenus :

· « Une nuit, vous commencerez votre quart et tout le monde aura été assassiné, câlisse. »

· « Je ferais mieux de prendre mes pilules au lieu de prendre la hache d’incendie. »

· « L’officière m’a dénoncé au second, pour tout, la collision avec la glace; il est temps de sortir la hache. »

· « Ce soir, je serai sur le pont des officiers avec ma hache d’incendie. »

· Laisser entendre que les supérieurs « ne vivraient pas longtemps après leur retraite, parce qu’ils se sont faits plusieurs ennemis. »

· Laisser entendre que la hache d’incendie pourrait régler des problèmes avec les collègues.

Lors de la réunion de recherche des faits tenue le 6 novembre 2018 et de l’audience disciplinaire tenue le 5 juillet 2019, vous avez confirmé avoir fait des déclarations de la nature des commentaires mentionnés ci-dessus.

Il s’agit d’un comportement inadmissible qui ne peut être ni excusé ni toléré. En tant qu’employé de la fonction publique, vous devez vous conformer aux normes du Code de valeurs et d’éthique du secteur public, qui constituent les principes selon lesquels nous exerçons nos rôles et nos responsabilités, et qui font partie de vos conditions d’emploi à la fonction publique.

Ainsi, conformément aux pouvoirs qui me sont délégués en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je mets fin à votre emploi à Pêches et Océans Canada, à compter du 16 août 2019, à la fermeture des bureaux.

Au moment de déterminer la mesure disciplinaire, j’ai examiné soigneusement les renseignements présentés par vous et par vous et votre représentant syndical lors de l’audience disciplinaire. En outre, j’ai tenu compte de votre dossier exempt de mesures disciplinaires, de votre ancienneté, du fait que vous avez reconnu avoir fait les déclarations et que vous avez manifesté des remords, ainsi que des facteurs de stress dans votre vie personnelle dont vous aviez informé la direction. Malgré ces facteurs atténuants, vos déclarations constituent un grave abus de la confiance de l’employeur et témoignent clairement d’un manque de respect pour autrui. De telles déclarations ne sauraient être tolérées, car elles constituent des menaces graves pour la sécurité d’autrui. J’ai également tenu compte du fait que vous avez fait l’objet d’une évaluation par Santé Canada, dont les conclusions mentionnaient que « [l]e comportement qui avait entraîné le retrait de M. Bartlett du navire ne semblait pas avoir été causé par un état pathologique ». Étant donné les facteurs aggravants, je ne pouvais envisager une mesure disciplinaire moins sévère. Une suspension de longue durée n’aurait pas permis de rétablir la confiance du ministère à votre égard.

[…]

 

[82] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé son grief le 26 août 2019.

III. Résumé des arguments

A. Pour l’employeur

[83] L’employeur a invoqué les paragraphes 11 et 12 de la décision William Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, 1976 CarswellBC 518 (« Scott »), en ce qui concerne le cadre d’analyse relatif aux griefs pour congédiement. Premièrement, la mesure disciplinaire était-elle justifiée? Deuxièmement, la décision de congédier l’employé était-elle excessive? Le cas échéant, quelle autre mesure serait juste et équitable?

[84] L’employeur a fait valoir qu’il ne fait aucun doute qu’une mesure disciplinaire était justifiée pour les menaces de mort faites par le fonctionnaire s’estimant lésé et que le renvoi était manifestement légitime dans ce cas. Les déclarations étaient explicites et précises, et l’employé a continué de faire les commentaires au fil du temps, malgré les demandes de cesser ce comportement.

[85] Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté les témoignages de l’officière de pont Wiens et de l’officier de pont Houle en ce qui concerne le fait qu’ils lui auraient dit à un moment donné de cesser de faire les commentaires en cause. Selon l’employeur, les deux officiers de pont ont affirmé très clairement qu’ils avaient demandé que les commentaires cessent.

[86] L’employeur a invoqué l’arrêt Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (BC CA), mais sans le citer, en ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité des témoins. Dans le présent cas, l’employeur a fait valoir que l’officière de pont Wiens avait pris des notes à l’époque où elle avait dit au fonctionnaire s’estimant lésé d’arrêter de faire ce type de commentaires, sans quoi elle le dénoncerait. Selon l’employeur, le témoignage de l’officière de pont Wiens était clair à ce sujet et il convient de le privilégier par rapport à celui du fonctionnaire s’estimant lésé, puisque ce dernier s’était contenté de dire que l’officière de pont Wiens avait menti lorsqu’elle avait affirmé avoir demandé que les commentaires cessent.

[87] De même, l’officier de pont Houle a déclaré de façon claire et convaincante qu’il avait dit au fonctionnaire s’estimant lésé plus d’une fois qu’il en avait assez des commentaires sur la hache d’incendie. Il a affirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé arrêtait souvent de faire les commentaires, mais qu’il recommençait simplement le lendemain.

[88] L’employeur a soutenu que les deux témoins avaient fourni des éléments de preuves qui sont compatibles avec la prépondérance des probabilités, dans les circonstances. En outre, suivant l’analyse énoncée dans l’arrêt Faryna, il convient de privilégier le témoignage de ces deux témoins par rapport à celui du fonctionnaire s’estimant lésé, qui avait simplement prétendu que les deux témoins avaient menti.

[89] L’employeur a fait valoir qu’un autre désaccord concerne la prétention du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle le ton de sa voix démontrait qu’il ne faisait que plaisanter. Chacun des témoins de l’employeur qui avaient entendu les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé, soit les officiers de pont Wiens et Houle, ainsi que les matelots de première classe Pike et Marsh, a été interrogé précisément sur ce point, et aucun d’entre eux n’a déclaré que les propos avaient été tenus sur le ton du sarcasme ou de la plaisanterie.

[90] Lorsqu’on l’a interrogée directement sur la question du ton de la voix, l’officière de pont Wiens a déclaré qu’elle avait l’impression que les paroles du fonctionnaire s’estimant lésé étaient empreintes de colère et visaient à l’intimider, ce qui l’a mise mal à l’aise. L’officier de pont Houle a affirmé que les déclarations en cause étaient directes et plus fréquentes, et c’est la raison pour laquelle il avait signalé la situation. Le matelot de première classe Pike a témoigné que les déclarations avaient été faites avec une intonation [traduction] « monocorde/impassible », et non sur le ton de la plaisanterie. Le matelot de première classe Marsh a déclaré que les propos étaient tenus sur un ton [traduction] « sérieux » qui l’avait mis [traduction] « mal à l’aise, c’est certain ».

[91] L’employeur a soutenu que, à l’exception du fonctionnaire s’estimant lésé, aucun des témoins n’avait caractérisé les commentaires de plaisanteries. À l’audience, l’avocat de l’employeur a indiqué qu’il était personnellement d’avis que le fonctionnaire s’estimant lésé avait imité la voix de Yogi l’ours de façon assez convaincante à la barre des témoins, mais qu’aucun autre témoin n’avait dit l’avoir entendu formuler les commentaires en cause en imitant cette voix.

[92] Les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé se rapportant à la hache d’incendie étaient un problème pour l’équipage. Deux membres d’équipage lui ont dit d’arrêter de faire les commentaires, mais il ne l’a pas fait. Le commandant Frost a déclaré avoir verrouillé la porte de sa cabine cette nuit-là, ce qui est contraire à la politique sur le navire, pour la première (et la seule) fois de ses 40 années de service en mer.

[93] Selon l’employeur, des mesures ont été prises sans tarder lorsque la direction a été informée des commentaires. Dans la journée suivant la réception du rapport, le commandant Frost a pris les dispositions nécessaires pour que le fonctionnaire s’estimant lésé soit retiré du navire et transporté en vue de son évaluation médicale. Lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a été déclaré apte à voyager, le commandant Frost a organisé son retour à la maison depuis Iqaluit.

[94] L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a présenté à l’audience aucun élément de preuve d’ordre médical, et que ce dernier ne peut donc invoquer à l’appui une défense reposant sur des facteurs médicaux.

[95] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas manifesté des remords véritables. Il continue de qualifier ses propos de plaisanteries et de dire qu’il n’avait jamais voulu faire de mal à personne. Selon l’employeur, ce comportement n’est pas la manifestation du remords.

[96] L’employeur a cité la décision Western Star Trucks Inc. v. International Assn. of Machinists and Aerospace Workers, Lodge 2710, [1998] B.C.C.A.A.A. No. 395 (QL) (« Western Star Trucks »), qui concernait un employé congédié pour avoir proféré des menaces contre des collègues. Au paragraphe 15 de la décision, on peut lire que l’employé avait reconnu [traduction] « qu’il avait fait des gestes imitant une fusillade aléatoire et un suicide ».

[97] Le décideur s’était exprimé ainsi au paragraphe 26 de ses motifs :

[Traduction]

26 L’incident survenu le 25 avril 1996 est extrêmement grave. Les menaces de M. Walker, si elles étaient mises à exécution, représentent tout ce qu’il y a de plus odieux sur un lieu de travail. M. Walker avait tout fait pour faire savoir qu’il était capable de commettre des actes horribles tout à fait irrationnels. Le simple fait d’exprimer l’idée de tuer ses collègues et de se suicider ensuite ne saurait être pris à la légère par toute personne raisonnable qui entendrait ces propos, même prononcés sur le ton de la plaisanterie, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Si l’intention de M. Walker était de faire une plaisanterie, si perverse soit-elle, cette intention n’était pas manifeste et n’est pas étayée par la preuve. Il ne s’agissait pas d’une plaisanterie, mais bien d’intimidation. Le renvoi n’était pas une mesure exagérée. Le grief est rejeté.

 

[98] L’employeur a également cité la décision Ontario Hydro Services Co. v. Power Workers’ Union, 1999 CarswellOnt 2571 (« Ontario Hydro »), concernant le congédiement d’un employé qui avait proféré des menaces de mort. Au paragraphe 6 de cette décision, on peut lire que l’employé concerné avait dit à un collègue [traduction] « [t]u as de la chance de ne pas avoir une balle dans la tête ». Au paragraphe suivant, selon la preuve, l’employé avait affirmé : [traduction] « J’étais prêt à me rendre chez lui avec un fusil de chasse ».

[99] Le décideur avait conclu ce qui suit, au paragraphe 17 de ses motifs :

[Traduction]

17 La violence physique et les menaces de violence physique figurent parmi les infractions disciplinaires les plus graves sur le lieu de travail. Si les conflits entre les employés sont inévitables, la manière dont les personnes gèrent ces conflits est essentielle au maintien d’un lieu de travail sûr et ordonné. Les supérieurs et les employés ne devraient jamais craindre pour leur sécurité personnelle ou celle de leur famille. Les menaces de mort répétées, en particulier dans des circonstances où on ne peut prétexter un accès de colère momentané, entraînent nécessairement une remise en question de la relation d’emploi même de la personne fautive. L’employeur informé d’une inconduite aussi grave n’a guère d’autre choix que de prendre toutes les mesures disciplinaires, allant jusqu’au renvoi, pour protéger son personnel contre des actes équivalant à du terrorisme sur le lieu de travail.

 

[100] L’employeur a aussi cité la décision College Printers Ltd. v. G.C.I.U., 2001 CarswellBC 3373 (« College Printers »). Au paragraphe 32 de cette décision figure l’extrait suivant tiré d’une lettre d’avis disciplinaire adressée à l’employé :

[Traduction]

32 […]

Vous avez récemment fait mention d’actes de violence meurtrière envers des collègues et vous-même. Vous avez indiqué que vous pourriez acheter une arme à feu, l’apporter au travail, tuer vos collègues et vous suicider ensuite. Vous avez mentionné les récentes fusillades sur des lieux de travail à Honolulu et à Seattle, et laissé entendre que vous pourriez emprunter cette voie meurtrière.

[…]

 

[101] Le décideur a conclu que le licenciement plutôt que la suspension était la sanction appropriée en citant notamment la décision Savin Canada Inc. v. Office and Technical Employees Union, Local 378, 1996 CarswellBC 3273 (19960105), non publiée (« Savin »). Voici un extrait du paragraphe 77 des motifs concernant l’affaire College Printers, où le décideur cite la décision Savin :

[Traduction]

77 […]

À mon avis, la suspension de l’employé n’est pas une solution appropriée dans les circonstances de l’espèce. Si une entreprise est prête à prendre le risque – et j’en doute –, comment ses autres employés se sentiront-ils face à la décision de maintenir l’employé concerné en poste au sein de l’effectif? Je suis d’avis que cela ne ferait que retarder la mise à exécution de la menace et ferait subir à l’entreprise et à ses employés une pression que, selon moi, ils n’ont aucune raison d’endurer.

 

[102] L’employeur s’est également appuyé sur la décision McCain Foods (Canada) v. U.F.C.W., Local 114P3, 2002 CarswellOnt 4147 (« McCain Foods »), concernant un employé renvoyé pour avoir proféré la menace suivante (voir au paragraphe 15) : [traduction] « S’il m’arrive quelque chose, à moi et à mon travail, je l’abats, tu sais ». Le décideur dans cette affaire a rejeté le grief et a confirmé la décision de l’employeur de congédier le plaignant. Voici un extrait du paragraphe 65 de la décision McCain Foods :

[Traduction]

65 Après avoir admis les témoignages de MM. Domingo et Anton selon lesquels le plaignant avait proféré des menaces de mort, je suis d’avis qu’il est raisonnable de croire que quiconque ayant entendu les propos du plaignant les aurait pris au sérieux. La preuve ne permet pas de conclure que les propos avaient été tenus sur le ton de la plaisanterie, le cas échéant. […]

 

[103] L’employeur s’est aussi fondé sur la décision Canadian National Railway v. C.A.W., 2004 CarswellNat 5682 (« Canadian National Railway »), concernant le renvoi d’un employé qui avait tenu, selon le paragraphe 1 des motifs, [traduction] « des propos indiquant qu’il aurait aimé avoir une arme à feu, suffisamment de munitions pour tuer tout le monde au travail et une munition pour retourner son arme contre lui ». Rejetant le grief, le décideur a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

[Traduction]

5 Lorsque, comme dans le présent cas, l’employeur se heurte à un employé qui menace de tuer des collègues et qui tient les propos menaçants à plus d’une reprise, perturbant manifestement les personnes présentes sur le lieu de travail, il doit prendre la menace au sérieux et intervenir sans tarder. L’employeur ne peut se permettre d’attendre l’évolution des choses pour voir si les paroles menaçantes sont assorties d’une intention sérieuse et réelle. Les employés et les supérieurs qui subissent de telles menaces ne doivent pas non plus être laissés dans l’inquiétude en attendant de savoir si l’employé concerné est animé d’une intention sérieuse. Il n’y a tout simplement aucune place pour de telles menaces sur le lieu de travail. À défaut d’éléments de preuve convaincants étayant des circonstances médicales ou psychiatriques atténuantes, la personne qui a tenu les propos ne peut plaider, après le fait, que les menaces proférées n’étaient pas sérieuses. Aucun élément de preuve convaincant à cet égard n’a été présenté en l’espèce.

 

[104] L’employeur a en outre cité la décision Toronto Transit Commission v. A.T.U., Local 113, 2005 CarswellOnt 8287 (« Toronto Transit Commission »), concernant le congédiement d’un employé qui avait, comme il est indiqué au paragraphe 3, [traduction] « fait certaines remarques le 6 mai 2002, notamment une menace d’apporter une arme à feu sur le lieu de travail pour tirer sur les gens ». Le décideur a conclu ainsi, au paragraphe 154 de cette décision :

[Traduction]

154 Le plaignant a une longue période de service à son actif. En d’autres circonstances, l’ancienneté du plaignant aurait pu jouer en faveur de sa réintégration à la suite d’une suspension. Cependant, compte tenu des inquiétudes pour la sécurité d’autrui, la situation aurait exigé une assurance raisonnable que la présence du plaignant sur le lieu de travail ne présenterait aucun danger pour autrui. Comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant a écrit qu’il était instable sur le plan psychologique. Il a expliqué à un surintendant qu’il était stressé parce que les autres employés travaillaient trop lentement. De plus, il a dit au surintendant que ce n’était pas comme s’il allait péter les plombs, et qu’il n’avait tenu une arme à feu qu’une seule fois. Peu de temps après, il a dit à des employés qu’il allait se procurer un fusil de chasse et péter les plombs. Compte tenu de la nature et de la récurrence des commentaires du plaignant, avant d’envisager sa réintégration éventuelle, j’aurais exigé une garantie, donnée par un médecin compétent à cet égard qui connaît le comportement du plaignant, qu’il serait hautement improbable que le plaignant menace de blesser ou blesse des collègues sur le lieu de travail s’il y ressentait du stress. Je n’ai pas obtenu cette garantie. Par conséquent, je ne suis pas disposé à ordonner sa réintégration.

 

[105] L’employeur a comparé les particularités de cette affaire avec celles de l’affaire qui nous occupe et dans laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé n’a présenté aucune preuve médicale à titre de facteur atténuant. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne devrait pas être réintégré.

[106] L’employeur a également cité la décision A.T.U., Local 1587 v. GO Transit, 2005 CarswellOnt 8412, concernant le renvoi d’un employé d’une société de transport en commun qui s’était vu imposer une suspension de 6 jours pour insubordination et qui, seulement 25 quarts après son retour au travail, avait trouvé dans l’autobus qu’il devait conduire des déchets que la conductrice précédente n’avait pas ramassés avant de quitter. Il a écrit à la conductrice précédente une note (voir le paragraphe 8), que voici : [traduction] « Si JAMAIS tu me laisses encore un bus dans le même état que celui que je devais conduire aujourd’hui (vendr.), je ferai en sorte que tu le regrettes » [le mot en évidence l’est dans l’original].

[107] Au paragraphe 24 de ses motifs, le décideur a conclu ce qui suit au sujet des antécédents médicaux de l’employé :

[Traduction]

24 En l’espèce, tout ce que je sais des antécédents psychiatriques, c’est que la déclaration préliminaire du syndicat mentionne que le plaignant souffre de dépression et qu’il participe à une psychothérapie depuis longtemps. Cependant, aucune preuve d’ordre médical concernant la santé mentale actuelle du plaignant n’a été présentée et je n’ai donc aucun moyen de savoir si une nouvelle évaluation psychiatrique serait utile. Le syndicat avait certainement la possibilité de présenter le témoignage d’un psychiatre ou d’un médecin traitant quant à la probabilité que le plaignant ait un comportement menaçant à l’avenir, mais aucune preuve de ce type n’a été présentée. Je ne peux donc pas prendre en compte les antécédents médicaux présumés du plaignant pour évaluer s’il serait un bon candidat à la réintégration, malgré la demande du syndicat à cet égard. […]

 

[108] Le décideur a rejeté le grief, car il avait conclu au paragraphe 32 que [traduction] « le renvoi n’était pas une mesure exagérée en réponse à l’inconduite du plaignant ».

[109] L’employeur s’est également appuyé sur la décision Canadian National Railway v. C.A.W., Local 100, 2013 CarswellNat 3274 (« CNR and CAW Local 100 »), concernant le renvoi d’un employé qui avait menacé un collègue de violence physique. Le paragraphe 31 comprend un résumé des conclusions de fait, que voici :

[Traduction]

31 Après avoir examiné attentivement les témoignages de M. Bushell et du plaignant, ainsi que les circonstances de l’espèce, et comme il n’y a aucune raison de douter de la crédibilité ou de la fiabilité du témoignage de M. Bushell, je suis convaincu que le récit qu’a fait ce dernier des propos tenus par le plaignant est digne de foi et véridique. […] En outre, le récit de M. Bushell concernant les propos du plaignant (« me procurer une arme à feu et l’abattre dans le stationnement ») est d’autant plus fiable qu’il est cohérent avec la déclaration faite par le plaignant à l’agent de la Police du CN (« juste tirer sur quelqu’un »), ou similaire à cette déclaration, et à la déclaration qu’il a admise (« des corps gisant sur le sol ») […]

 

[110] Le décideur dans cette affaire a rejeté le grief et a confirmé le renvoi de l’employé.

[111] L’employeur a également cité la décision OPSEU v. Ontario (Liquor Control Board of Ontario), 2018 CarswellOnt 25453 (« OPSEU »), dont les faits en cause sont résumés ainsi au paragraphe 91 :

[Traduction]

91 Nul ne conteste que Mme Ceresato a commis des actes constituant une inconduite grave sur le lieu de travail le 29 avril et le 1er mai 2014. Le 29 avril, elle s’est mise en colère dès qu’elle a lu la lettre de transfert et, en haussant la voix, elle a accusé M. Pitre d’être à l’origine du transfert en lui brandissant la lettre sous le nez. Le 29 avril et le 1er mai, elle a eu de grands accès de colère dans l’entrepôt. Très fâchée, elle accusait M. Pitre en criant des jurons et des insultes, et elle a proféré des menaces de violence à son endroit. Le 29 avril, elle a dit ce qui suit : « Je veux lui trancher la gorge tout de suite ». Le 29 avril et le 1er mai, elle a affirmé ce qui suit : « Si j’avais une arme en ce moment, je lui tirerais dessus »; le 1er mai, elle a ajouté ceci : « Peut-être que je devrais me tirer une balle aussi ». […]

 

[112] Rejetant le grief et confirmant le renvoi de l’employée, le décideur a conclu ce qui suit au paragraphe 93 :

[Traduction]

93 De son côté, le syndicat a reconnu que Mme Ceresato a commis des actes constituant une inconduite grave et a indiqué ne pas avoir l’intention de minimiser les incidents. En revanche, l’avocat du syndicat a fait valoir que la gravité des propos de Mme Ceresato doit être examinée à la lumière de certains facteurs. Voici ces facteurs : Mme Ceresato a fait les commentaires répréhensibles à ses collègues, et non directement à M. Pitre; elle n’avait pas l’intention de faire du mal à M. Pitre ni de faire peur à qui que ce soit; elle n’a pas donné suite aux menaces, qui n’ont entraîné aucune violence physique. Je suis d’accord avec l’avocat de l’employeur pour dire que, dans des décisions d’arbitrage en Ontario rendues récemment et certaines décisions antérieures, les décideurs ont conclu que ces facteurs ne sont pas particulièrement pertinents pour évaluer la gravité de ce type d’infraction. La nature fondamentale d’une infraction avec des menaces de violence est déterminée par la nature des propos menaçants tenus et par une évaluation de leur incidence probable sur les employés dans leur milieu de travail. […]

 

[113] Enfin, l’employeur a invoqué une dernière décision pour étayer sa thèse selon laquelle le congédiement correspond à la sanction appropriée à la suite d’un comportement menaçant sur le lieu de travail, soit la décision Wepruk c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2021 CRTESPF 75 (« Wepruk »). Dans cette affaire, la fonctionnaire s’estimant lésée s’était vue refuser un congé et avait envoyé un courriel qui a mené à son renvoi. Un extrait du courriel en question est reproduit au paragraphe 58 des motifs :

[58] […]

[…]

Il faut que [D.S.] cesse d’être mon superviseur/approbateur de congé le plus tôt possible. Il ne contribue pas à ma santé ou sécurité au travail. Je suis épuisée par la violence constante à mon lieu de travail. Bientôt, je vais craquer, apporter l’un de mes fusils au bureau et tirer ce salaud.

[…]

 

[114] Rejetant le grief et confirmant la décision de l’employeur de renvoyer la fonctionnaire s’estimant lésée, le décideur a conclu ce qui suit au paragraphe 274 :

[274] J’accepte que la fonctionnaire n’avait probablement pas l’intention de blesser M. Shelley. Il était toutefois impossible pour l’employeur (ou pour la police) de déterminer son intention au moment où la menace a été proférée. L’intention peut être prise en considération dans le contexte du droit pénal, mais il ne s’agit pas d’un facteur important dans le contexte du lieu de travail.

 

[115] En ce qui concerne l’état de santé d’une personne en tant que facteur atténuant, le décideur a conclu ce qui suit au paragraphe 302 :

[302] La fonctionnaire a invoqué son état d’esprit quand elle a proféré la menace en tant que facteur atténuant. Dans Rahmani c. Administrateur général (ministère des Transports), 2016 CRTEFP 10, un grief portant sur la violence au lieu de travail, la Commission a pris en considération en tant que facteur l’état de santé dans lequel se trouvait le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas quand elle a réduit la sanction disciplinaire. Toutefois, dans ce cas, la Commission avait accepté une preuve considérable du médecin traitant du fonctionnaire s’estimant lésé pour expliquer en partie son comportement. Il n’y a dans le présent cas aucune preuve du genre.

 

[116] De même, selon l’employeur, il n’y a aucun élément de preuve d’ordre médical dans le présent cas qui justifierait la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé.

[117] Pour ces motifs, l’employeur fait valoir que la décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé était raisonnable et ne devrait pas être modifiée. Il ressort clairement de la jurisprudence que les menaces de mort sur le lieu de travail ne doivent pas être tolérées et que le congédiement est tout à fait justifié.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[118] La théorie principale du fonctionnaire s’estimant lésé dans la présente affaire porte que ses commentaires étaient sarcastiques et avaient été faits sur le ton de la plaisanterie. Ses commentaires n’avaient pas été pris au sérieux par les personnes qui les avaient entendus. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait certainement pas l’intention de blesser qui que ce soit avec une hache d’incendie. Mais on ne lui a jamais dit de cesser de tenir ses propos, et c’est pourquoi il ne l’a pas fait. Le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé avait été toléré jusqu’à son retrait du navire et, ultimement, son congédiement.

[119] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que le présent cas se distingue de toutes les affaires invoquées par les parties en raison des trois facteurs uniques suivants :

· L’intervention tardive des supérieurs laissait entendre que les déclarations en cause n’étaient pas être prises au sérieux et qu’elles étaient tolérables pendant un certain temps.

· Aucun des témoins à bord du Louis St‑Laurent n’a déclaré avoir eu peur ou avoir pris des mesures importantes pour se protéger ou protéger les autres avant le 25 octobre 2018.

· Les gestionnaires se sont appuyés sur le rapport de l’officière de santé Blomeley, exclu de la preuve, pour se ranger à l’avis que l’équipage craignait le fonctionnaire s’estimant lésé.

 

[120] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait remarquer que Mme Veber, le commissaire adjoint Ivany et la surintendante Evans n’avaient pas parlé directement aux témoins directs; ils s’étaient plutôt fiés au rapport de l’officière de santé Blomeley pour étayer l’affirmation selon laquelle l’équipage craignait le fonctionnaire s’estimant lésé. Ce rapport n’a pas été déposé en preuve, et il contient des éléments de preuve par ouï‑dire qui ne sont pas dignes de foi. En outre, les témoins ont écarté les évaluations médicales indiquant que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait reprendre le travail en toute sécurité.

[121] Tous les témoins de la direction ont admis, à des degrés divers, qu’un état pathologique sous-jacent représentait le seul facteur atténuant qui aurait pu modifier leur décision de congédier le fonctionnaire s’estimant lésé.

[122] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le rapport de l’officière de santé Blomeley était très préjudiciable et truffé de ouï-dire et que, pourtant, la direction s’y était fiée au moment de prendre des décisions cruciales. Toutes les évaluations médicales ultérieures ont indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas un danger pour lui-même ou pour autrui.

[123] Le fonctionnaire s’estimant lésé a mentionné le témoignage de l’officière de pont Wiens qui avait affirmé que, tout au plus, les propos en cause avaient [traduction] « suscité chez elle "un sentiment de malaise" ». Dans son témoignage, elle n’avait pas déclaré avoir verrouillé la porte de sa cabine pendant la nuit. Elle avait affirmé qu’elle ne voulait pas signaler les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé, car elle était nouvelle au sein de l’équipage.

[124] En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il ressortait clairement du témoignage de l’officier de pont Houle que ce dernier n’avait pas pris au sérieux les commentaires en cause, au début. La déclaration de l’officier de pont Houle selon laquelle il aurait dit au fonctionnaire s’estimant lésé de cesser de faire les commentaires était si vague qu’elle n’était pas digne de foi.

[125] Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait reçu aucune indication de l’équipage portant que ses commentaires les avaient perturbés de quelque façon que ce soit.

[126] Le fonctionnaire s’estimant lésé a également relevé des témoignages contradictoires concernant l’étiquette [traduction] « Hache de Dave » apposée sur la hache d’incendie qui était sur la passerelle du navire. Lors de l’interrogatoire principal, le matelot de première classe Marsh a déclaré qu’il avait montré l’étiquette à l’officier de pont Houle dès qu’il l’avait vue, mais il a modifié son témoignage plus tard en affirmant qu’il avait mentionné l’étiquette à l’officier de pont Houle seulement vers le 24 octobre 2018.

[127] Le matelot de première classe Pike a admis avec franchise qu’il n’avait pas peur du fonctionnaire s’estimant lésé et qu’il était au courant de son [traduction] « refrain concernant la hache d’incendie » avant même de l’entendre faire ce type de commentaires. Il a dit qu’il trouvait ces commentaires agaçants et qu’il avait l’impression que le reste de l’équipage était du même avis.

[128] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il avait fourni un témoignage honnête et crédible au sujet de sa perception que ces commentaires sur la hache d’incendie n’étaient pas pris au sérieux. Si on lui avait dit d’arrêter de faire les commentaires, le fonctionnaire s’estimant lésé l’aurait certainement fait. Dès qu’on lui a signalé la situation le 26 octobre 2018, il a éprouvé des remords, qu’il a exprimés à plusieurs reprises.

[129] Selon son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé et reçoit des soins médicaux continus et des services de counseling depuis les incidents en cause. Il a reçu un diagnostic relatif à l’état de stress post-traumatique (ESPT), et il a acquis de meilleurs mécanismes d’adaptation aux situations difficiles sur le plan émotionnel. Il a exprimé clairement son désir de reprendre ses fonctions au sein de la Garde côtière.

[130] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la caractéristique la plus frappante dans le présent cas, qui distingue la présente affaire de toutes celles invoquées par les parties, est l’intervention tardive. Toute personne qui entend des menaces de mort prend des mesures pour se protéger et protéger autrui, et ce n’est certainement pas ce qui s’est passé avant le 25 octobre 2018.

[131] Le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué que le ton avec lequel il avait fait les commentaires concernant la hache d’incendie ne soulève pas nécessairement une question de crédibilité. Aucun des témoins ne se souvenait clairement des commentaires, et ils s’étaient tous rafraîchi la mémoire en consultant les notes que l’officière de pont Wiens avait été chargée de préparer. Il est possible que les souvenirs du fonctionnaire s’estimant lésé concernant le ton qu’il avait utilisé soient déformés et lui portent à croire que ses commentaires frisaient le ridicule, alors que les souvenirs déformés des autres témoins leur portent à croire que les commentaires étaient sérieux. Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que ce serait logique, puisque les événements s’étaient fixés dans l’esprit des membres de l’équipage après avoir vu des membres de la GRC le retirer du navire. Aucun des témoins directs de l’employeur n’a nié que le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisé un ton sarcastique, et l’officière de pont Wiens a même déclaré que certaines personnes avaient peut-être ri.

[132] Le fonctionnaire s’estimant lésé a précisément nié qu’on lui avait dit d’arrêter, contrairement à ce que laissent entendre les témoignages des officiers de pont Wiens et Houle. Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que, selon la prépondérance des probabilités, sa version des événements est la plus probable. Plus précisément, il a soutenu ce qui suit :

[Traduction]

L’officière de pont Wiens a dit au fonctionnaire s’estimant lésé d’arrêter de frapper la glace, et elle a immédiatement mis à exécution sa menace de le dénoncer. Elle n’a certainement pas agi immédiatement après avoir entendu les commentaires concernant la hache d’incendie.

L’officière de pont Wiens avait fait à l’époque deux autres déclarations concernant sa crainte d’être seule avec le fonctionnaire s’estimant lésé pendant la nuit, mais, une fois assermentée, elle n’a pas soutenu fermement ces déclarations. Elle a reconnu qu’il n’y avait aucun risque que cela se produise, puisqu’ils étaient affectés à des quarts de travail différents. Elle n’a pas non plus confirmé qu’elle verrouillait la porte de sa cabine pendant la nuit. Cet élément est important, car l’employeur se fondait sur le verrouillage des portes de cabine à titre d’indicateur clé de la peur ressentie par des employés.

 

[133] Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a produit aucun élément de preuve d’ordre médical, mais cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas. À trois reprises, soit une fois à l’hôpital d’Iqaluit et lors des deux évaluations médicales, on a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé ne présentait aucun risque pour la sécurité d’autrui.

[134] Le fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué la décision Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 1178 v. Hood Packaging Corporation, 2013 CanLII 35534 (ON LA) (« Hood Packaging »), dans laquelle une arbitre en droit du travail a ordonné la réintégration d’un employé qui avait été congédié pour avoir dit à un collègue qu’il [traduction] « le poignarderait dans le dos et l’éventrerait jusqu’au haut du corps ». L’arbitre a souligné que le congédiement est approprié uniquement lorsqu’aucune autre sanction ne permettrait de gérer le comportement. L’analyse à cet égard figure aux pages 18 et 19 et comprend les questions suivantes :

[Traduction]

Qui a été menacé ou attaqué?

L’incident était-il un accès de colère momentané ou un acte prémédité?

Quelle était la gravité de la menace ou de l’attaque?

Une arme a-t-elle été utilisée lors de l’incident?

Y a-t-il eu provocation?

Quelle est l’ancienneté du fonctionnaire s’estimant lésé?

Quelles sont les conséquences économiques du renvoi pour le fonctionnaire s’estimant lésé?

Y a-t-il des remords véritables?

Des excuses sincères ont-elles été présentées?

 

[135] Le fonctionnaire s’estimant lésé a de nouveau mentionné l’intervention très tardive de l’employeur, à titre de facteur important dans l’appréciation de la gravité des commentaires en cause. Le fait que les personnes qui n’ont pas signalé les prétendues menaces de mort n’aient jamais fait l’objet de mesures disciplinaires pour ce qu’elles ont reconnu être un manquement évident au devoir indique que l’employeur n’a pas pris les menaces au sérieux et qu’il a pris les déclarations hors de leur contexte lorsqu’il a décidé de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé.

[136] Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, le présent cas s’apparente aux affaires Shoppers Drug Mart Store No. 222 v. U.F.C.W, Local 1518, 2008 Carswell BC 3880 (« Shoppers ») et Galco Food Products Ltd. v. Amalgamated Meat Cutters & Butchers Workmen of North America, Local P-1105, 1974 CarswellOnt 1456 (« Galco »), dans lesquelles des employés avaient été congédiés pour avoir fait des menaces. Dans la décision Shoppers, le décideur a conclu au paragraphe 61 que [traduction] « en l’espèce, la menace n’a pas été faite sur le ton de la chamaillerie. Il s’agissait d’une menace sérieuse qui visait, au moment où elle a été formulée, à faire peur aux gestionnaires ». Au paragraphe 62, le décideur a déclaré : [traduction] « Je conclus que la menace en cause justifie une mesure disciplinaire, mais que le renvoi est une mesure exagérée ». Dans la décision Galco, il a été établi qu’il n’y avait jamais eu d’intention de faire du mal à qui que ce soit. Les employés concernés ont été réintégrés.

[137] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il devrait lui aussi être réintégré, puisqu’il n’a jamais eu l’intention de faire du mal à qui que ce soit.

[138] Dans la décision National Steel Car Ltd. v. United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union, Local 7135, [2011] O.L.A.A. No. 574 (QL) (« National Steel »), un travailleur qui avait été congédié pour avoir proféré une menace comme [traduction] « la prochaine fois, j’apporterai mes munitions » a été réintégré. Au paragraphe 42, le décideur a conclu que [traduction] « [c]haque cas de violence sur le lieu de travail doit être pris au sérieux, mais cet incident n’était pas une manifestation particulièrement grave ».

[139] Le fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué la décision Saint John Shipbuilding Ltd. v. Marine and Shipbuilding Workers, Loc. 3, [1992] N.B.L.A.A No. 4 (QL) (« Saint John Shipbuilding »), dans laquelle un employé a été congédié pour avoir dit à un superviseur duquel il avait reçu une mauvaise évaluation [traduction] « fous-moi la paix […], je vais chercher une arme et en finir avec toi ». L’employé a été réintégré parce qu’il ne représentait plus une menace. Voici un extrait du paragraphe 52 de cette décision :

[Traduction]

52 […] À l’époque, l’employeur n’était pas en mesure de déterminer si la menace était réelle ou s’il existait un danger réel pour M. Hudson ou un autre employé. Il n’avait pas d’autre choix que d’éloigner le plaignant de son travail, au moins jusqu’à ce que ce dernier puisse y retourner en toute sécurité. […]

 

[140] De même, selon le fonctionnaire s’estimant lésé, les évaluations médicales indiquaient qu’il pouvait reprendre le travail en toute sécurité et qu’il devrait réintégrer ses fonctions.

[141] Le fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué la décision Vale Canada Ltd. v. USWA, Local 6500, 2012 CarswellOnt 16372 (« Vale »), concernant un employé qui avait dit à des employés, au sujet d’une collègue : [traduction] « J’aurais dû apporter une arme pour tirer sur elle ». Voici un extrait du paragraphe 44 de cette décision :

[Traduction]

44 Dans l’arrêt Clemente, la Cour a affirmé que le critère à appliquer pour établir si un commentaire constitue une menace doit être examiné de façon objective, c’est‑à‑dire, comme le ferait une « personne raisonnable ordinaire ». Cependant, la Cour a en outre souligné qu’il faut examiner les commentaires en tenant compte des circonstances dans lesquelles ils s’inscrivent, de la manière dont ils ont été prononcés et de la personne à qui ils étaient destinés. Cette dernière appréciation comporte une part de subjectivité, puisqu’elle nécessite un examen attentif du contexte dans lequel les paroles en cause ont été prononcées. […]

 

[142] Ayant conclu qu’il n’y avait aucune intention de recourir à la violence, le décideur a réintégré l’employé et a indiqué au paragraphe 58 de ses motifs : [traduction] « Après avoir soigneusement examiné la présente affaire, je conclus que l’employeur avait en l’espèce un motif valable d’imposer une mesure disciplinaire au plaignant, mais que le renvoi était une mesure excessive ».

[143] Dans l’affaire Husband Food Ventures Ltd. v. UFCW, Local 1518, 2013 CarswellBC 107 (« Husband Food Ventures »), une employée qui avait postulé pour un poste de direction a dit à ses collègues que, si elle n’obtenait pas le poste, elle se suiciderait ou, mieux encore, elle tuerait quelqu’un avec une arme à feu. Elle a été renvoyée. Ses collègues ont déclaré qu’ils ne pensaient pas qu’elle mettrait sa menace à exécution. En ce qui concernait la réintégration de l’employée, le décideur a conclu que le contexte situationnel était un élément fondamental et s’est exprimé ainsi dans les paragraphes 58 à 61 de ses motifs :

[Traduction]

58 En l’espèce, les valeurs sociétales et les normes juridiques qui régissent ce lieu de travail particulier constituent deux éléments contextuels déterminants. Peut-on dire que l’employée qui fait état de son intention de se suicider ou de tuer quelqu’un avec une arme à feu si une promotion ne lui est pas accordée a le droit de réintégrer le lieu de travail après avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire appropriée et sous réserve de conditions adéquates, comme le syndicat l’a proposé? À titre subsidiaire, la menace était-elle à ce point perturbante que le lien de confiance entre l’ensemble des travailleurs et la direction dans ce magasin en particulier est irrémédiablement brisé, comme le soutient l’employeur?

59 À mon avis, le point de vue du syndicat l’emporte dans les circonstances inhabituelles et particulières de l’espèce. L’attribution d’un sens précis aux paroles prononcées est toujours une question difficile et quelque peu subjective. Dans la situation qui nous occupe, compte tenu de la nature des paroles et du fait qu’elles ont été prononcées sur le lieu de travail, le contexte est primordial. La question qui se pose est celle de savoir si la nature crue et émotive des paroles est compatible avec la nécessité d’assurer le maintien en toute sécurité de l’harmonie et de l’équilibre sur ce lieu de travail particulier.

60 Je tiens à être clair. Il est incroyablement stupide et irréfléchi de la part d’une employée de dire à un collègue qu’elle se suicidera ou tuera quelqu’un si elle n’obtient pas la promotion convoitée. Le fait qu’elle souligne que son commentaire était une plaisanterie n’amoindrit aucunement l’incidence de ses paroles sur autrui. Malheureusement, les armes à feu et les fusillades sont omniprésentes, comme on le voit quotidiennement dans les médias; c’est dans ce contexte bien réel que les employés et les employeurs doivent vivre et travailler ensemble. Dans le cadre d’une relation de travail, l’employeur a le devoir d’intervenir de manière responsable à l’égard de menaces proférées par les employés ou contre eux, car la loi exige de l’employeur qu’il garantisse un milieu de travail sécuritaire.

61 Comme je l’ai dit, le renvoi n’est pas et ne devrait pas être l’unique décision arbitrale possible concernant chaque commentaire stupide et spontané fait par un membre du personnel, surtout si le commentaire ne visait personne en particulier et avait été formulé par quelqu’un qui n’avait pas manifestement la capacité de mettre à exécution une menace visant le monde en général. Je n’amoindris aucunement l’imprudence de la plaignante. Ce que je veux dire, c’est que les paroles ont été prononcées sans réalité apparente, sans projet et sans intention sous-jacents.

 

[144] De même, selon le fonctionnaire s’estimant lésé, il devrait y avoir réintégration dans le présent cas.

[145] Dans la décision Chopra c. Canada (Procureur général, 2014 CF 246 (« Chopra »), la Cour fédérale a conclu ce qui suit aux paragraphes 109 et 110 :

[109] […] En bref, le principe de la tolérance suppose qu’un employeur doit décider s’il y a lieu ou non de prendre une mesure disciplinaire contre un employé au moment où il a connaissance d’un comportement indésirable. Le défaut de l’employeur de prendre rapidement une décision peut être considéré comme de la tolérance à l’égard de l’inconduite de l’employé.

[110] Donc, lorsqu’une longue période s’écoule avant qu’une mesure disciplinaire soit prise, il peut être légitime, en l’absence de tout autre avertissement ou de tout autre avis, qu’un employé suppose que son comportement a été toléré par l’employeur. Une fois qu’un comportement a été toléré, l’employeur ne peut pas plus tard invoquer ce même comportement pour justifier la prise d’une mesure disciplinaire. Il est injuste de laisser les employés croire que leur comportement a été toléré, ce qui crée chez eux un faux sentiment de sécurité, pour ensuite les punir à une date ultérieure […]

 

[146] La décision Chopra a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Chopra c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 205, et Chopra c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 206.

[147] Les facteurs pertinents pour l’analyse du caractère approprié du congédiement dans les cas de violence en milieu de travail ont été examinés dans la décision Brampton (City) v. CUPE, Local 831, 2019 CarswellOnt 21155 (« Brampton (City) »). Voici un extrait du paragraphe 61 de cette décision :

[Traduction]

61 Depuis la modification apportée à la Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, chap. 0.1, partie II.O.1, en vue de prévenir la violence au travail, l’analyse doit tenir compte de l’obligation de l’employeur d’assurer un lieu de travail sûr pour tous les employés. La possibilité d’une nouvelle atteinte et la capacité de l’employeur de préserver un lieu de travail sûr sont des facteurs essentiels qui doivent être pris en compte chaque fois qu’une mesure disciplinaire est imposée relativement à un acte de violence sur le lieu de travail, comme ce fut le cas en l’espèce. La relation de travail ne sera pas considérée comme pouvant être réparée si l’employé fautif est susceptible de nuire à la capacité de l’employeur de remplir son obligation de fournir un lieu de travail sûr.

 

[148] La demande de contrôle judiciaire dans cette affaire a été rejetée dans la décision Corporation of the City of Brampton v. Canadian Union of Public Employees, Local 831, 2021 ONSC 466 (CanLII).

[149] Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient qu’il n’est pas question que l’incident se répète. Il ne fera plus jamais rien de tel. Le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé ait assumé la responsabilité de ses actes et qu’il ait exprimé des regrets ainsi que des remords appuie ses affirmations selon lesquelles il ne répétera jamais la conduite en cause. Par conséquent, il fait valoir que la relation de travail peut très certainement être réparée.

[150] La question du signalement tardif de l’inconduite était un aspect fondamental dans la décision Stanley v. Ontario (Ministry of the Solicitor General), 2022 CarswellOnt 16603, qui était notamment examiné dans les paragraphes 23 à 26 :

[Traduction]

23 Pour déterminer si une mesure disciplinaire doit être annulée pour cause de retard injustifié dans l’intervention, il existe trois (3) critères clés, aucun n’étant nécessairement déterminant :

a. la durée du retard;

b. les motifs du retard;

c. l’effet préjudiciable du retard.

24 La question de savoir si une mesure disciplinaire est annulée au motif d’un manque de célérité dépend des faits propres à chaque affaire. Le simple passage du temps n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la mesure disciplinaire. Il importe d’examiner les motifs du retard, qui pourraient justifier son caractère raisonnable dans les circonstances. Certaines enquêtes prennent naturellement plus de temps que d’autres. La nature du comportement en cause et le type de lieu de travail concerné sont des facteurs pertinents. Les arbitres ont permis à des employeurs de prendre un temps raisonnable pour mener une enquête concernant une situation en vue de s’assurer que l’employé a fait quelque chose qui justifie une mesure disciplinaire. En général, il est inapproprié de compter toute période antérieure à la date à laquelle l’employeur était au courant ou aurait raisonnablement dû être au courant de l’inconduite. […]

25 Pour que l’arbitre annule une mesure disciplinaire au motif d’un retard, il doit être en mesure d’établir que le retard a causé un préjudice à l’employé. Il est toutefois possible que le préjudice soit réel ou inhérent dans les circonstances. Cela se produit généralement quand la capacité de l’employé de se défendre contre des allégations se trouve compromise en raison du délai. […]

26 Un préjudice à l’employé peut également découler d’une situation où il est établi que l’employeur a fermé les yeux sur le comportement en cause. Le critère consiste à savoir s’il était raisonnable pour l’employé de conclure que son comportement avait été pardonné ou toléré. […]

 

[151] Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient que, dans les circonstances du présent cas, il avait toutes les raisons de croire que ses commentaires sur la hache d’incendie étaient tolérés. Il avait fait les commentaires à plusieurs reprises depuis le voyage en été. Aucune mesure n’avait été prise à cet égard. Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, la mesure disciplinaire ne devrait pas être annulée entièrement, mais elle devrait certainement être moins radicale que le congédiement, qui représentait la sanction la plus sévère qui soit.

[152] Le fonctionnaire s’estimant lésé fait valoir que, pour toutes les raisons mentionnées, le présent grief devrait être accueilli. Le congédiement devrait être remplacé par une suspension, et le fonctionnaire s’estimant lésé devrait pouvoir réintégrer son poste d’attache.

IV. Décision et motifs

[153] Le fonctionnaire s’estimant lésé a admis à plusieurs reprises, notamment lors de la réunion de recherche des faits du 6 novembre 2018 et de l’audience prédisciplinaire tenue le 5 juillet 2019, qu’il avait fait les commentaires en cause. Il l’a par ailleurs reconnu au cours de son témoignage lors de l’audience.

[154] Par souci de clarté et de certitude, je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé a effectivement tenu les propos (paraphrasés) qui suivent :

[Traduction]

 

· « Une nuit, vous monterez à bord et tout le monde aura été assassiné, câlisse. »

· « Je ferais mieux de prendre mes pilules au lieu de prendre la hache d’incendie. »

· « L’officière m’a dénoncé au second, pour tout, la collision avec la glace; il est temps de sortir la hache d’incendie. »

· « Ce soir, je serai sur le pont des officiers avec ma hache d’incendie. »

· Il a affirmé que ses supérieurs « ne vivraient pas longtemps après leur retraite, parce qu’ils se sont faits plusieurs ennemis. »

· Il a laissé entendre que la hache d’incendie pourrait régler des problèmes avec les collègues.

 

[155] Les officiers de pont Houle et Wiens, ainsi que le matelot de première classe Marsh, ont témoigné avoir entendu le fonctionnaire s’estimant lésé tenir de tels propos très régulièrement, presque tous les jours. Ces témoignages n’ont pas été contestés. On entendait souvent les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé à bord du Louis St‑Laurent lors des voyages dans les eaux de l’Arctique.

[156] La première question à trancher est celle de savoir si, à un moment quelconque, on a dit au fonctionnaire s’estimant lésé d’arrêter de formuler les commentaires. Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient que les officiers de pont Houle et Wiens ont menti lorsqu’ils ont déclaré qu’ils lui avaient tous deux dit d’arrêter. Il s’agit d’une question de crédibilité, et l’arrêt Faryna a été mentionné, mais sans être cité.

[157] La référence exacte est la suivante : Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.). Dans cet arrêt, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a énoncé, à la page 357, le critère qui suit :

[Traduction]

[…]

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de convaincre qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à déterminer raisonnablement si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits en l’espèce. Bref, pour établir si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un tel cas, il faut déterminer si le témoignage est, selon la prépondérance des probabilités, compatible avec celui qu’une personne sensée et informée reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances. […]

 

[158] Rien dans le comportement des témoins ne me portait à croire que ces derniers ne disaient pas la vérité. Les officiers de pont Wiens et Houle, ainsi que le fonctionnaire s’estimant lésé ont témoigné avec franchise, et ils ont répondu promptement et directement aux questions qui leur étaient posées lors de l’interrogatoire principal et en contre-interrogatoire. Cependant, en fin de compte, il existe un autre point de désaccord évident sur lequel je dois me prononcer : le fonctionnaire s’estimant lésé soutient que les deux officiers de pont ont menti lorsqu’ils ont déclaré qu’ils lui avaient dit d’arrêter de formuler des commentaires concernant la hache d’incendie.

[159] Cette accusation est grave. C’est une chose de laisser entendre que les souvenirs s’estompent avec le temps ou qu’un témoin est confus, mais c’est une tout autre chose de soutenir qu’une personne a délibérément menti à la barre des témoins. Le parjure est une infraction criminelle très grave. Je devais déterminer si l’officière de pont Wiens et l’officier de pont Houle avaient un motif de mentir sur cet aspect de leur témoignage respectif et, à vrai dire, je n’ai tout simplement trouvé rien de tel.

[160] Les deux témoins ont admis en toute franchise qu’ils auraient dû signaler les menaces de mort dès qu’ils ont entendu le fonctionnaire s’estimant lésé les proférer, soit lors du voyage du Louis St‑Laurent ayant eu lieu en été, et qu’ils avaient manqué à leur devoir en ne les signalant pas. Le fait qu’ils étaient prêts à admettre cet aspect peu reluisant de leur comportement est très révélateur en ce qui concerne leur crédibilité générale à titre de témoins. Ni l’un ni l’autre n’avait un motif de mentir quant à leur demande respective faite au fonctionnaire s’estimant lésé d’arrêter de formuler des commentaires concernant la hache d’incendie.

[161] Par conséquent, je conclus que, sur ce point, il faut préférer les témoignages des officiers de pont Wiens et Houle à celui du fonctionnaire s’estimant lésé. La crédibilité de l’officière de pont Wiens est en outre étayée par ses notes indiquant qu’elle avait dit au fonctionnaire s’estimant lésé d’arrêter, sinon elle le dénoncerait. L’officière de pont Wiens n’a pas été ébranlée dans son témoignage à cet égard. L’officier de pont Houle a affirmé avoir dit au fonctionnaire s’estimant lésé [traduction] « arrête ça » et a précisé que ce dernier s’y était plié, mais temporairement seulement, puisqu’il avait recommencé le lendemain. Je crois ce que l’officier de pont Houle a déclaré sur ce point, puisque, finalement, il a dénoncé le fonctionnaire s’estimant lésé. En effet, en raison de la nature répétitive des actes du fonctionnaire s’estimant lésé et du fait qu’aucun autre témoin n’a déclaré avoir trouvé les commentaires un tant soit peu drôles, il est peu probable que [traduction] « personne, à aucun moment, ne lui [ait] jamais dit d’arrêter de formuler les commentaires ». L’indication d’arrêter les commentaires était [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, compatible avec [ce] qu’une personne sensée et informée reconnaîtrait d’emblée comme [étant] raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances » (voir l’arrêt Faryna). L’officier de pont Houle a déclaré que, le 24 octobre 2018, il a finalement signalé les commentaires, car il en avait eu assez.

[162] Le fait qu’on ait dit au fonctionnaire s’estimant lésé d’arrêter, mais qu’il ne l’ait pas fait est lié à une autre question de crédibilité, à savoir le ton de voix utilisé pour formuler les commentaires offensants.

[163] À un moment mémorable de son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé la permission d’imiter la voix de Yogi l’ours. Si je ne connaissais pas Yogi l’ours, j’aurais peut-être rejeté sa demande, mais je me souviens très bien de ce personnage fictif qui habitait le parc national Jellystone et qui était amateur de paniers de pique-nique.

[164] Lors de l’audience, l’avocat de l’employeur a d’ailleurs fait une critique assez élogieuse de l’imitation faite par le fonctionnaire s’estimant lésé, et je peux maintenant officiellement dire que je suis d’accord. Le fonctionnaire s’estimant lésé a reproduit de façon presque parfaite la voix de Yogi l’ours. Ce qui mine sa crédibilité sur ce point, c’est qu’aucune des personnes dont le témoignage comptait à cet égard n’a pu évaluer son imitation.

[165] La voix de Yogi l’ours est très particulière; ni aiguë ni grave, elle est chantante. Son ton étant tout à fait différent de celui d’une personne qui parle normalement, toute personne qui entendrait cette voix de personnage d’animation saurait hors de tout doute que celui ou celle qui l’emploie fait des plaisanteries. Cela est d’autant plus vrai si la personne à l’écoute reconnaît la voix de l’ours fictif. Cependant, ce qu’il faut retenir ici, c’est que cette question n’a été posée à personne et que l’imitation de la voix de Yogi l’ours n’a été présentée à aucun témoin.

[166] On a demandé aux témoins si le fonctionnaire s’estimant lésé avait prononcé les menaces de mort sur le ton de la plaisanterie ou du sarcasme. Les divers témoins ont donné une réponse assez similaire indiquant qu’il n’y avait aucune plaisanterie dans l’intonation du fonctionnaire s’estimant lésé, qu’ils ont plutôt décrite comme étant monocorde, impassible ou sérieuse. Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que le ton de voix n’est pas une question de crédibilité, mais je conclus le contraire et je suis d’avis que le ton de voix a une grande incidence. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas formulé ses commentaires concernant la hache d’incendie sur le ton de la plaisanterie ou du sarcasme. Contrairement à ce qu’il allègue, il n’a pas, même à l’occasion, imité la voix de Yogi l’ours lorsqu’il a fait les commentaires en cause. S’il avait imité cette voix, quelqu’un s’en serait certainement souvenu lorsqu’on a posé la question.

[167] Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré en toute franchise qu’il ressentait de l’animosité à l’égard des officiers supérieurs qui avaient décidé de le relever de ses fonctions de magasinier. Il a fait part à d’autres membres de l’équipage de son mécontentement d’avoir été écarté d’un poste qu’il aimait et dans lequel il avait montré des compétences manifestes. Les menaces visant ces officiers supérieurs n’en sont que davantage inquiétantes. Je renvoie plus particulièrement aux commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé portant que certains supérieurs [traduction] « ne vivraient pas longtemps après leur retraite, parce qu’ils se sont faits plusieurs ennemis ».

[168] Lorsque l’officière de pont Wiens l’a réprimandé pour avoir heurté la glace, la réaction du fonctionnaire s’estimant lésé fut la même. Il a très clairement dit au matelot de première classe Pike : [traduction] « L’officière m’a dénoncé au second, pour tout, la collision avec la glace; il est temps de sortir la hache. » On ne saurait douter qu’il s’agit d’une menace de mort.

[169] Les faits mentionnés sont suffisants pour satisfaire au premier volet du cadre d’analyse énoncé dans la décision Scott. Les menaces de mort proférées par le fonctionnaire s’estimant lésé contre d’autres membres de l’équipage constituaient une inconduite grave qui devait faire l’objet d’une sanction.

[170] Sur ce fondement, la décision Katchin c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2003 CRTFP 24, que le fonctionnaire s’estimant lésé a invoquée sans la faire valoir en particulier, n’a rien à voir avec le présent cas. Le Dr Katchin a été réintégré parce que l’inconduite n’avait pas été établie.

[171] Le deuxième volet de l’analyse énoncée dans la décision Scott consiste à examiner les facteurs aggravants et atténuants pour déterminer la sanction appropriée. Le fonctionnaire s’estimant lésé a mentionné des circonstances personnelles difficiles qui lui ont causé un stress important, pour lequel il avait recours aux services de counseling et aux autres ressources du PAE. Je conclus qu’il s’agit de circonstances atténuantes. La vie en mer lors d’une affectation de longue durée dans l’isolement caractérisant l’Arctique est déjà difficile en soi, mais la situation du fonctionnaire s’estimant lésé était encore plus éprouvante du fait du stress associé à sa vie familiale.

[172] J’ai lu les décisions que l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé ont invoquées en ce qui concerne la question des facteurs atténuants d’ordre médical. Compte tenu des circonstances du présent cas, les décisions qui m’interpellent sont Canadian National Railway, Toronto Transit Commission, A.T.U. Local 1587 et Wepruk. Dans ces décisions, le dénominateur commun est la reconnaissance de la présence de facteurs de stress et de la manière dont ces facteurs sont susceptibles d’affecter le jugement d’une personne. Cependant, il doit y avoir des éléments de preuve d’ordre médical clairs qui disculpent l’individu, ou du moins expliquent son comportement dans une certaine mesure. Il n’y avait aucun élément de preuve en ce sens dans les affaires mentionnées et aucun élément de preuve d’ordre médical n’a été présenté dans le présent cas. Cela ne signifie pas que je n’ai pas cru le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé concernant les sources de stress dans sa vie. Je crois que ces sources de stress existaient et qu’elles ont effectivement perturbé le fonctionnaire s’estimant lésé.

[173] Aucune tentative n’a été faite pour établir un lien entre les types de sources du stress subi par le fonctionnaire s’estimant lésé et la nature de l’inconduite en cause, mais j’admets que, de façon générale, ces sources de stress ont pu nuire à son jugement dans une certaine mesure. Il s’agit d’un facteur atténuant dont l’importance est mineure, puisque je suis d’avis que l’incidence des sources de stress sur le fonctionnaire s’estimant lésé ne l’emporte pas sur la gravité de son inconduite.

[174] L’absence d’éléments de preuve d’ordre médical établissant un lien entre l’inconduite et un état pathologique sous-jacent distingue clairement le présent cas de l’affaire Saint John Shipbuilding. Dans cette affaire, l’employé avait été réintégré parce que, comme on peut le lire au paragraphe 45 des motifs de la décision, [traduction] « la preuve permet de conclure que la menace proférée par le plaignant contre M. Hudson était si étroitement et inextricablement liée à la maladie mentale du plaignant qu’elle en était indissociable. Le plaignant avait proféré la menace à cause de sa maladie. »

[175] Dans le présent cas, les auteurs des deux évaluations médicales ont conclu que le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé à bord n’était pas causé par un état pathologique sous-jacent.

[176] Le fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué d’autres facteurs atténuants, soit son ancienneté et son dossier disciplinaire vierge. Je reconnais que, d’une affaire à l’autre, on accorde un poids différent à ces facteurs. Dans l’affaire Hood Packaging, l’arbitre a réintégré un employé qui avait menacé en personne de poignarder un superviseur dans le dos et de l’éventrer jusqu’au haut du corps, qui n’avait manifesté aucun remords et qui avait continué de nier avoir tenu les propos en cause. Il semble que la décision de réintégrer l’employé était fondée en grande partie sur l’ancienneté de ce dernier. Voici un extrait de la page 21 de cette décision :

[Traduction]

[…] le plaignant devrait être réintégré sans paie rétroactive. Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte de la méchanceté du commentaire formulé par le plaignant et du fait que ce commentaire visait à intimider un collègue dont il savait qu’il avait été poignardé dans le passé. Le commentaire en cause constituait une menace au sens de la LSST de l’Ontario. En outre, j’ai tenu compte du fait que le plaignant a nié avoir proféré la menace lorsqu’il a été interrogé par M. Fox, puis par son employeur. Il a continué de nier avoir tenu les propos tout au long de la procédure d’arbitrage. Par conséquent, aucun élément dans le dossier dont je dispose n’indique que le plaignant promet de ne pas recommencer. Néanmoins, je conclus que le plaignant devrait être réintégré, parce qu’il a de nombreuses années de service et ne présente aucun antécédent de menaces, de violence ou de harcèlement. Il faut évaluer l’ancienneté du plaignant ou ce « capital de confiance » au regard de la gravité des propos tenus et de l’absence de remords. […]

 

[177] Je conçois aisément que la décision dans l’affaire Hood Packaging aurait pu être différente. À l’inverse, s’agissant de l’ancienneté, les employés expérimentés et chevronnés devraient être plus avisés et faire l’objet d’attentes plus élevées. De même, les employeurs sont en droit de s’attendre à une bonne conduite sur le lieu de travail. En ce sens, un dossier disciplinaire vierge signale l’absence d’un facteur aggravant et ne constitue pas un facteur atténuant.

[178] L’affaire Shoppers, que le fonctionnaire s’estimant lésé a invoquée sans la faire valoir en particulier, se distingue du présent cas, parce qu’il avait été établi que la nature des menaces alors proférées, soit des propos comme [traduction] « je reviendrai […], je t’aurai », justifiait une mesure disciplinaire, mais que le congédiement était une mesure excessive. Les menaces dans le présent cas étaient beaucoup plus explicites, et beaucoup plus graves que celles proférées dans l’affaire Shoppers.

[179] De même, il est facile de faire une distinction entre les faits de l’affaire National Steel et ceux du présent cas. Dans l’affaire National Steel, les menaces étaient vagues et le décideur a conclu que le congédiement était une mesure excessive. Une menace selon laquelle on a l’intention de prendre une hache d’incendie et d’assassiner des membres de l’équipage n’a rien de vague.

[180] Je comprends que le fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué la décision Vale pour démontrer que la réintégration est viable dans certaines circonstances, mais il convient d’ajouter que l’affaire Vale aurait facilement pu connaître une issue différente. Il est difficile d’imaginer comment une déclaration comme [traduction] « J’aurais dû apporter une arme pour tirer sur elle » donnerait lieu à une conclusion selon laquelle (au paragraphe 58), l’employé [traduction] « n’avait aucune intention de menacer de recourir à la violence, et [que] ses commentaires n’ont pas eu cet effet […] ».

[181] Il convient de distinguer les faits de l’affaire Husband Food Ventures de ceux du présent cas en raison du caractère précis des menaces proférées par le fonctionnaire s’estimant lésé. Dans la décision Husband Food Ventures, le décideur a conclu au paragraphe 61 que la menace de tirer sur quelqu’un [traduction] « ne visait personne en particulier et avait été formulé[e] par quelqu’un qui n’avait pas manifestement la capacité de mettre à exécution une menace visant le monde en général ». Je conclus que, dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a formulé des commentaires précis concernant l’utilisation d’une hache d’incendie pour frapper des personnes qu’il avait nommées et qui, d’après lui, lui avaient fait du tort. Il visait deux groupes, dont le premier comprenait les personnes qui avaient participé à la prise de la décision de le relever de ses fonctions de magasinier intérimaire, soit le commandant Chmiel (son commandant à l’époque), l’officier logistique de Walters et l’officier en chef Whitty. Le deuxième groupe était en fait formé d’une seule personne, soit l’officière de pont Wiens, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait menacée, parce qu’elle l’avait dénoncé pour avoir heurté un radeau de glace.

[182] Autre élément qui distingue les faits de l’affaire Husband Food Ventures de ceux du présent cas : le fonctionnaire s’estimant lésé dans l’affaire qui nous occupe avait facilement accès à l’arme qu’il menaçait d’utiliser, soit une hache d’incendie accrochée bien en évidence sur un mur de la passerelle du navire.

[183] Bien que j’accepte les conclusions énoncées par la Cour fédérale au paragraphe 110 de la décision Chopra, selon lesquelles « [i]l est injuste de laisser les employés croire que leur comportement a été toléré, ce qui crée chez eux un faux sentiment de sécurité, pour ensuite les punir à une date ultérieure […] », je conclus que, dans le présent cas, l’inconduite du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été tolérée ou excusée par les officiers de pont Houle et Wiens, qui lui ont dit d’arrêter. La conduite du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas non plus été tolérée par les personnes habilitées à prendre une mesure disciplinaire appropriée. Il est possible que l’inconduite n’ait pas été signalée au moment où elle aurait dû l’être. Cependant, dès qu’elle a été informée des commentaires concernant la hache d’incendie, la direction a pris des mesures immédiates et décisives. Il ne s’ensuit pas pour autant que le comportement a été toléré ou excusé.

[184] Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que son état d’esprit est un facteur atténuant. Il a insisté pour dire qu’il n’avait aucune intention de commettre plusieurs meurtres à la hache à bord du Louis St‑Laurent. On dit souvent que, rétrospectivement, les choses sont parfaitement claires. En réalité, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais commis un meurtre à la hache. Comme j’ai eu l’occasion d’assister au long témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé à l’audience et que j’ai entendu parler des efforts importants qu’il a déployés pour trouver une solution aux sources de stress présentes dans sa vie, je peux affirmer que je le crois lorsqu’il dit qu’il n’a jamais eu l’intention de tuer qui que ce soit. Il semble aujourd’hui, et semble avoir toujours été, une personne qui jouit essentiellement d’une bonne réputation. Toutefois, le fait qu’il n’ait pas eu l’intention précise d’assassiner ses coéquipiers avec une hache d’incendie ne l’emporte pas toujours sur tout le reste. Il devait assumer la responsabilité de l’effet de ses menaces sur son entourage.

[185] Cela explique pourquoi il est difficile d’accorder un grand poids à l’absence d’une intention à titre de facteur atténuant. Au moment des faits, personne d’autre à bord ne savait si le fonctionnaire s’estimant lésé allait ou non commettre l’irréparable avec une hache d’incendie. Plusieurs témoins, dont l’officier de pont Houle, qui a entendu le fonctionnaire s’estimant lésé proférer les menaces de mort, ainsi que la surintendante Evans et Mme Veber, qui n’ont pas entendu les menaces directement, ont mentionné d’autres meurtres sur le lieu de travail qui ont marqué l’histoire. Dans leur témoignage, ils ont utilisé des euphémismes bien connus tels que [traduction] « commettre un massacre comme celui d’OC Transpo » ou [traduction] « péter les plombs ». Plusieurs témoins ont mentionné des entrevues télévisées qu’ils avaient vues à la suite de tels événements, dans lesquelles une personne décrivait le meurtrier comme [traduction] « une personne si calme, que je croyais incapable de commettre un meurtre ».

[186] Je comprends parfaitement ce que les membres de l’équipage du Louis St‑Laurent ont dû ressentir; ils ne savaient tout simplement pas si le fonctionnaire s’estimant lésé mettrait ses menaces à exécution. Par conséquent, il est difficile d’accorder un grand poids à l’absence d’une intention, à titre de facteur atténuant.

[187] Les remords du fonctionnaire s’estimant lésé constituent également un facteur atténuant. Il n’a pas présenté aucune excuse à l’époque, même au moment de son retrait du navire, mais, à plusieurs reprises et notamment lors de l’audience, il a exprimé des remords que je considère comme étant sincères, à l’égard de ses actes.

[188] À de nombreuses reprises après son retrait du navire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que ses commentaires se voulaient des plaisanteries et ne devaient pas être pris au sérieux. Si tel était le cas, il pourrait s’agir d’un facteur atténuant, mais j’ai déjà indiqué dans les présents motifs ma conclusion selon laquelle le ton de sa voix ne tenait pas du tout de la plaisanterie, de sorte que c’est la personne ayant entendu les commentaires qui devait décider elle-même s’il s’agissait ou non de plaisanteries. Aucun élément de preuve ne montre que quiconque, à l’exception du fonctionnaire s’estimant lésé, ait trouvé les menaces de mort un tant soit peu drôles.

[189] Certaines choses ne se prêtent jamais à l’humour. Un exemple classique de la limite à la liberté d’expression est celui d’une personne qui crierait « au feu! » dans une salle de cinéma bondée alors qu’il n’y a pas d’incendie. Ce cri n’est tout simplement pas drôle et ne saurait être interprété comme une plaisanterie, quelles que soient les circonstances. Essayez de dire quelques blagues sur une bombe dans une valise pendant que vous faites la queue devant le contrôle de sûreté à l’aéroport, et vous verrez si les gens trouvent cela drôle. Je le répète : certaines choses ne se prêtent jamais à l’humour. Les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé appartiennent à cette catégorie.

[190] Bien qu’il n’y ait qu’un seul facteur aggravant, celui-ci est important. Comme il est énoncé au paragraphe 54 des motifs de la décision Husband Food Ventures, la question de savoir si certains mots constituent une menace commande une analyse à la fois objective et contextuelle. Il est nécessaire d’examiner tant les mots utilisés que le contexte de leur utilisation.

[191] À mon avis, l’un des aspects très importants du contexte dans lequel les menaces en cause ont été proférées est le lieu et le moment. Le Louis St‑Laurent voyageait dans une région isolée des eaux de l’Arctique. Mme Veber et la surintendante Evans ont toutes deux comparé la situation avec celle de menaces proférées dans un immeuble de bureaux du centre-ville, où, en théorie, on pourrait échapper à la menace en sortant par une issue de secours ou une fenêtre, puis sauter dans un taxi et appeler la police. À bord d’un navire en mer, il n’y a tout simplement nulle part où fuir et nulle part où se cacher. Ce facteur aggravant est très important, car il permet d’expliquer certains aspects des témoignages fournis par les témoins, notamment ceux des officiers de pont Wiens et Houle et des matelots de première classe Pike et Marsh. Ces témoins étaient portés à tenter d’ignorer le fonctionnaire s’estimant lésé lorsqu’il tenait les propos en cause, puisque personne ne voulait attirer son attention et figurer [traduction] « sur sa liste ». Personne ne voulait aggraver la situation ou provoquer le fonctionnaire s’estimant lésé sur le navire en mer, où il n’y avait nulle part où fuir et nulle part où se cacher. Le fait de tenir de tels propos à bord d’un navire dans une région isolée des eaux de l’Arctique constitue un important facteur aggravant.

[192] Un autre facteur relevant du contexte est l’accessibilité de l’arme. La hache d’incendie sert en cas d’urgence, et il est impossible de la retirer du lieu de travail. Elle est toujours là, sur le support mural, et facilement accessible. Ce fait distingue le présent cas des affaires Western Star Trucks, College Printers, McCain Foods, Canadian National Railway, Toronto Transit Commission, CNR and CAW Local 100, OPSEU et Wepruk. Dans ces affaires, l’arme n’était pas déjà sur le lieu de travail ni facilement accessible, et les employés concernés ont tout de même été congédiés.

[193] De plus, contrairement au plaignant dans l’affaire Husband Food Ventures (voir le paragraphe 61), le fonctionnaire s’estimant lésé dans l’affaire qui nous occupe avait [traduction] « manifestement la capacité de mettre à exécution [la] menace ». La hache était à portée de la main. Pendant un certain temps, elle portait même une étiquette avec le nom du fonctionnaire s’estimant lésé. Le matelot de première classe Pike et l’officière de pont Wiens étaient si troublés que l’un d’eux (il importe peu lequel) a enlevé l’étiquette indiquant [traduction] « Hache de Dave ».

[194] En outre, je suis d’avis que les sentiments exprimés par les membres d’équipage expliquent partiellement pourquoi il a fallu tant de temps avant qu’une personne se manifeste et dénonce officiellement le fonctionnaire s’estimant lésé. Je ne suis pas du tout d’accord avec la prétention du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle personne ne l’a dénoncé plus tôt, parce que personne ne s’en préoccupait vraiment, puisque tout le monde tolérait son comportement. L’isolement représentait un facteur important. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’exprimait devant un auditoire captif. La réticence de l’équipage à le dénoncer dans ces conditions est compréhensible. Personne n’aimait ni ne trouvait agréables les menaces de mort du fonctionnaire s’estimant lésé, mais personne ne voulait provoquer ce dernier, surtout qu’il n’existait absolument aucune possibilité d’y échapper.

[195] Il importe de mentionner que, le 24 octobre 2018, l’officier de pont Houle ne cherchait même pas le commandant, mais plutôt l’officière de santé, et le fait que cette dernière se trouvait en réunion avec le commandant Frost au moment où l’officier de pont Houle a finalement signalé la situation est une pure coïncidence. Il est extrêmement important de signaler que, dès que les personnes en position d’autorité ont eu connaissance du comportement du fonctionnaire s’estimant lésé, elles ont pris des mesures immédiates et radicales. La direction n’a nullement accepté ou toléré le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé.

[196] L’approche du commandant Frost est semblable à celle de l’équipage : elle visait avant tout à éviter d’aggraver une situation imprévisible, compte tenu de l’isolement du navire dans les eaux de l’Arctique. Tout comme les membres de l’équipage lors des voyages effectués en été et en automne, le commandant Frost ne voulait pas provoquer le fonctionnaire s’estimant lésé, parce que, étant donné la nature précise et crue des menaces, nul ne savait vraiment comment il réagirait s’il était provoqué. Par conséquent, le commandant a immédiatement adopté une démarche prudente en changeant de cap pour diriger le navire vers Iqaluit et en prenant des dispositions avec les autorités à terre pour que le fonctionnaire s’estimant lésé soit évacué du navire en vue de son évaluation médicale. Le commandant a délibérément pris des mesures pour éviter de mettre prématurément le fonctionnaire s’estimant lésé au courant de la situation.

[197] Au cours du témoignage du commandant Frost, on a brièvement discuté de son pouvoir d’arrestation et de mise sous garde pendant un voyage en mer et de la question de savoir s’il y avait une carabousse ou une cellule de détention provisoire sur le navire. Il a exprimé sans équivoque son désir d’éviter à tout prix de mettre prématurément le fonctionnaire s’estimant lésé au courant de la situation, et il a indiqué n’avoir même pas envisagé une forme d’intervention plus musclée. Il a agi uniquement lorsque tout était en place. Je conclus que la démarche du commandant était très raisonnable et logique.

[198] Je suis d’accord avec le fonctionnaire s’estimant lésé pour dire qu’un programme de mesures disciplinaires positives et progressives est un élément essentiel des relations sur le lieu de travail, comme l’indiquent plusieurs des décisions qu’il a invoquées. Bien qu’il ait proféré les menaces à de nombreuses reprises, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a fait l’objet d’une mesure disciplinaire qu’une seule fois, et je conviens donc avec lui qu’il n’a pas été en mesure de bénéficier d’un programme de mesures disciplinaires positives et progressives. Cependant, je suis d’accord avec l’employeur pour dire que certaines formes d’inconduite sont si graves qu’une seule occurrence peut entraîner le congédiement, et ce, malgré un dossier disciplinaire par ailleurs vierge (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration. Chap. 7 — « Rehabilitative Potential », 5e éd., par. 7:72). C’est ce qui s’est produit dans le présent cas.

[199] Il n’a nullement été question, lors de l’audience, des principes de dissuasion générale ou spécifique, mais le recueil de jurisprudence et de doctrine de l’employeur comprenait quatre textes faisant mention de ce sujet. Ces principes sont des facteurs pertinents. En ce qui concerne la dissuasion spécifique, je doute fort que le fonctionnaire s’estimant lésé se livrera à un comportement semblable à celui en cause à l’avenir. C’est très peu probable. Le processus disciplinaire a mis en évidence de façon brutale les conséquences du comportement du fonctionnaire s’estimant lésé et a probablement dissuadé ce dernier de se livrer à une telle inconduite à l’avenir. L’imposition d’une sanction autre que le renvoi aurait respecté le principe de dissuasion spécifique.

[200] Cependant, le principe de dissuasion générale est tout aussi important. L’affaire qui nous occupe doit signaler clairement à quiconque envisage un comportement semblable à celui en cause qu’il sera puni sévèrement. Les menaces de mort ne sauraient être tolérées sur le lieu de travail. Elles ne peuvent être qualifiées de plaisanteries après coup.

[201] Dans les circonstances du présent cas, compte tenu de l’ensemble des facteurs aggravants et des facteurs atténuants, le congédiement était sans aucun doute la sanction appropriée.

[202] J’admets que, selon l’analyse figurant au paragraphe 63 de la décision Brampton (City), la question incontournable est celle de savoir si la relation d’emploi dans l’affaire qui nous occupe est susceptible d’être réparée. Les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé, faits à plusieurs reprises alors que le navire était en mer dans les eaux libres de l’Arctique et alors que ceux qui les ont entendus et en ont été perturbés ne pouvaient s’échapper, étaient tellement irresponsables que je conclus que la relation d’emploi ne peut être réparée. Peu importe si le fonctionnaire s’estimant lésé tient à nouveau de tels propos, tous les employés doivent savoir qu’ils sont protégés de ce type de comportement lorsqu’ils sont en mer et n’ont nulle part où fuir. La présente décision doit avoir un effet dissuasif général à l’égard de ce type de comportement.

[203] Les décisions invoquées par les deux parties établissent un fait très clairement, à savoir que les menaces de mort sur le lieu de travail doivent faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Cependant, ces décisions présentent des conclusions différentes en ce qui concerne le congédiement.

[204] Les observations suivantes formulées par le décideur au paragraphe 25 de la décision Western Star Trucks sont pertinentes : [traduction] « Le simple fait d’exprimer l’idée de tuer ses collègues […] ne saurait être pris à la légère par toute personne raisonnable qui entendrait ces propos, même prononcés sur le ton de la plaisanterie, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. » Il en va de même pour les décisions Ontario Hydro, College Printers, McCain Foods, Canadian National Railway, OPSEU et Toronto Transit Commission.

[205] Même dans les cas de menace d’atteinte à l’intégrité physique qui ne va pas jusqu’au meurtre, comme dans les affaires CNR and CAW Local 100 et A.T.U. Local 1587, il a été établi que le congédiement était justifié. Je conviens que le congédiement n’était pas une sanction exagérément sévère dans les circonstances.

[206] On a fait grand cas du fait que les membres d’équipage n’avaient pas considérablement réagi aux menaces, notamment en verrouillant la porte de leur cabine la nuit. En réalité, il est difficile de savoir combien de personnes ont verrouillé leur porte, et je suis d’accord avec le fonctionnaire s’estimant lésé pour dire qu’une grande partie de la preuve à ce sujet constitue du ouï-dire non fiable. Le commandant Frost, quant à lui, a livré un témoignage sans équivoque sur ce point. Au cours de ses nombreuses années de service en mer, la seule et unique fois où il a verrouillé la porte de sa cabine la nuit était le 24 octobre 2018. À mon avis, il s’agit d’une indication importante que les menaces du fonctionnaire s’estimant lésé ont eu un effet déstabilisant. Toute personne raisonnable aurait fait de même dans les circonstances.

[207] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante.)


V. Ordonnance

[208] Le grief est rejeté.

Le 2 octobre 2024.

Traduction de la CRTESPF

James R. Knopp,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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