Décisions de la CRTESPF

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Date: 20240816

Dossier: 566-02-44487

 

Référence: 2024 CRTESPF 114

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Sam Abdi

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

défendeur

Répertorié

Abdi c. Conseil du Trésor (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même

Pour le défendeur : Peter Doherty et Serin Cho, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 15 et 16 mars, et les 15 et 19 avril 2024.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Sam Abdi, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était employé par le Conseil du Trésor (CT ou l’« employeur ») à Emploi et Développement social Canada (EDSC) à titre d’agent des services de paiement, classifié au groupe Administration des programmes et au niveau 1 (PM-01), à Vancouver, en Colombie‐Britannique.

[2] Au moyen d’une lettre datée du 24 mars 2021, l’employeur a licencié le fonctionnaire, le renvoyant en cours de stage. Les extraits pertinents de la lettre énonçaient ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Comme il est indiqué dans votre lettre d’offre, votre nomination initiale à un poste au sein de la fonction publique, le 25 janvier 2021, était assujettie à une période de stage de 12 mois, conformément aux dispositions du règlement du Conseil du Trésor.

J’ai conclu que malgré les efforts déployés pour porter votre rendement à un niveau acceptable, vous n’avez pas démontré que vous pouviez exercer de façon satisfaisante les fonctions d’agent des services de paiement. Veuillez prendre note que cette décision est fondée sur un examen minutieux de votre rendement pendant la période de stage, plus particulièrement pendant la formation en classe, puisque vous n’avez pas réussi trois (3) des cinq (5) examens.

En vertu du pouvoir qui m’a été délégué par le sous-ministre et en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), je vous donne, par la présente, l’avis exigé par le paragraphe 62(2) de la LEFP, de ma décision de vous licencier en cours de stage, à compter d’aujourd’hui. Selon le Règlement fixant la période de stage et le délai de préavis en cas de renvoi au cours de la période de stage pris en vertu de la LEFP, vous avez droit à un délai de préavis de deux semaines. Vous recevrez une rémunération de deux (2) semaines en guise de préavis, représentant une somme équivalente au salaire que vous auriez touché au cours du délai de préavis de deux (2) semaines.

Un employé licencié en cours de stage peut contester la décision en déposant un grief individuel en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

[...]

 

[3] Le 26 avril 2021, l’agent négociateur du fonctionnaire, soit l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance »), a déposé un grief en son nom (le « grief »), indiquant ce qui suit :

[Traduction]

Détails du grief [...]

Nous contestons le licenciement du membre en cours de stage. Nous estimons que le renvoi en cours de stage effectué par l’employeur était un acte de mauvaise foi. M. Abdi n’a pas obtenu la formation et le soutien nécessaires. L’employeur n’a pas offert de soutien lorsque le client avait demandé de l’aide et des mesures d’adaptation, ce qui a mené à la note d’échec.

[...]

Mesure corrective demandée [...]

– Le membre souhaite être réintégré

– Il souhaite être réintégré avec rémunération et avantages sociaux rétroactifs, avec intérêts

– Il souhaite obtenir la formation et le soutien appropriés

– Il souhaite bénéficier d’une réparation intégrale

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[4] Le 2 mars 2022, la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs du représentant désigné de l’employeur indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[...]

J’ai examiné les arguments que vous et votre représentant syndical [nom et poste caviardés] avez présentés lors de la consultation sur le grief tenue le 22 février 2022, ainsi que tous les documents qui ont été mis à ma disposition.

Entre autres choses, vous avez indiqué que vous aviez éprouvé de nombreux problèmes techniques et matériels, que vous aviez relevé des préoccupations en matière de formation et que vous ne souscriviez pas aux attentes en matière de rendement en ce qui concerne la limite de points pour les examens écrits. Vous avez également mentionné des préoccupations personnelles qui vous causaient du stress.

Après avoir examiné tous les renseignements pertinents, je n’ai trouvé aucun élément de preuve du traitement inapproprié de votre cas qui justifierait mon intervention.

L’employeur s’est assuré que vous disposiez des ressources et du soutien nécessaires pour devenir un agent des services de paiement ayant suivi une formation complète. De plus, même si on vous avait offert la possibilité de cerner des mesures de soutien supplémentaires et d’étudier l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à de multiples occasions, vous avez refusé. Malheureusement, malgré les efforts déployés pour vous aider à satisfaire aux exigences du travail requises, vous n’avez pas été en mesure de satisfaire de façon constante aux normes de rendement requises. Il s’agit d’un motif légitime lié à l’emploi justifiant votre licenciement en cours de stage.

À l’audience au dernier palier, vous avez laissé entendre que l’employeur pourrait vous empêcher d’obtenir un autre emploi. Nous avons vérifié auprès de la direction locale et elle n’a reçu aucune demande de références à votre égard [...]

De plus, à la suite de votre demande de vérification des résultats de vos notes, la direction locale a indiqué que vos notes avaient déjà été examinées et qu’elles avaient été jugées exactes.

[...]

 

[5] Le 4 avril 2022, l’Alliance a renvoyé son grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). L’Alliance, en renvoyant le grief, a informé la Commission qu’elle ne représenterait pas le fonctionnaire et, par conséquent, le fonctionnaire s’est représenté lui-même. Dans le formulaire de dépôt électronique de renvoi à l’arbitrage, une question vise à savoir si la partie déposante a l’intention de soulever une question de discrimination; à cette question, le fonctionnaire a répondu par la négative.

[6] Le 20 février 2024, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief au motif que l’article 211 de la Loi ne permet pas le renvoi d’un grief à l’arbitrage concernant un licenciement effectué en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP).

[7] Le 15 mars 2024, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief au motif de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou, subsidiairement, de l’abus de procédure (l’« objection du 15 mars »). Cette objection est fondée sur une décision rendue par la Cour fédérale le 29 mai 2023 : Abdi c. Canada (Procureur général), 2023 CF 746 (« Abdi CF »). Il s’agissait d’une décision sur une demande présentée par le fonctionnaire à la Cour d’annuler la décision rendue le 2 mars 2022 au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par le sous-ministre adjoint pour la région de l’Ouest du Canada et des territoires d’EDSC qui a rejeté son grief. Ce grief est celui mentionné dans la présente décision.

[8] La présente décision ne porte que sur l’objection du 15 mars.

II. Résumé de la preuve

[9] Les faits, tels qu’ils ont été exposés dans les arguments du fonctionnaire à la Commission, sont les mêmes que ceux qui ont été énoncés et pris en considération dans Abdi CF. Par conséquent, afin de mettre les choses en contexte et de comprendre ce qui a mené la présente affaire à ce stade, je les ai exposées telles qu’elles ont été énoncées dans Abdi CF. De plus, compte tenu de la nature de l’objection du 15 mars, j’ai également exposé une partie du raisonnement de la Cour. Dans cette décision, le fonctionnaire est désigné comme le « demandeur ». Les paragraphes pertinents se lisent comme suit :

[...]

[5] Au début de 2021, le demandeur a reçu une offre pour se joindre à Service Canada en tant qu’agent de services aux paiements. Par lettre du 11 janvier 2021, il a été embauché et assujetti à une période de stage de douze mois dans le cadre d’un contrat d’emploi à durée déterminée allant du 25 janvier 2021 au 21 janvier 2022.

[6] Le 25 janvier 2021, le demandeur a commencé à travailler au centre d’appels de l’assurance‐emploi de Vancouver. En tant que nouvel employé, le demandeur a participé à un [traduction] « programme de formation structuré » comptant quatre phases. La première phase était la formation en classe, au cours de laquelle le demandeur devait passer cinq examens.

[7] Comme tous les nouveaux agents de services aux paiements, le demandeur devait obtenir la note de passage de 75 % à trois des cinq examens.

[8] En février et mars 2021, le demandeur a participé à la phase de la formation en classe, qui s’est principalement déroulée en ligne en raison de la pandémie de COVID‐19. Il a effectué les cinq examens. Malheureusement, il n’a pas obtenu la note de passage de 75 % à trois des cinq examens. Il a obtenu 81 %, 60 %, 80 %, 73 % et 72 %.

[9] Après avoir obtenu une note inférieure à la note de passage aux deuxième et quatrième examens, le demandeur a rencontré le chef d’équipe par intérim d’EDSC pour discuter des résultats, des causes ainsi que de la manière de s’améliorer et d’obtenir du soutien. Le chef d’équipe par intérim a confirmé la teneur de leurs discussions dans des courriels qu’il a envoyés au demandeur les 26 février 2021 et 22 mars 2021.

[10] Après que le demandeur a obtenu une note inférieure à la note de passage au cinquième examen, EDSC l’a renvoyé pendant sa période de stage par lettre du 24 mars 2021. Il n’avait pas accompli de façon satisfaisante les tâches d’un agent de services aux paiements, puisqu’il n’avait pas réussi trois des cinq examens, comme il était exigé.

[11] Le 27 avril 2021, avec le soutien de son syndicat, le demandeur a déposé un grief, dans lequel il indiquait que son [traduction] « renvoi en cours de stage [par l’employeur] était un acte de mauvaise foi ». Selon le grief, l’employeur n’a pas fourni au demandeur [traduction] « la formation et le soutien nécessaires » et « n’a pas offert de soutien lorsque le client avait demandé de l’aide et des mesures d’adaptation, ce qui a mené à la note d’échec ». Le 14 mars [sic] 2021, le demandeur a fait une présentation à l’appui de son grief.

[12] Au premier palier, EDSC a rejeté le grief du demandeur dans une lettre du 28 mai 2021.

[13] Le 1er juin 2021, le demandeur a transmis son grief au deuxième palier. Avec son représentant syndical, il a fait une présentation à l’appui de son grief lors d’une consultation sur le grief tenue le 13 septembre 2021.

[14] Au deuxième palier, EDSC a rejeté le grief du demandeur dans une lettre du 5 octobre 2021.

[15] Le 6 octobre 2021, le demandeur a transmis son grief au troisième et dernier palier. Il a présenté des observations écrites en vue d’une consultation le 22 février 2022. Le demandeur et son représentant syndical ont participé à la consultation, tout comme la décideuse, son chef du personnel et un agent principal des relations de travail.

[16] Le lendemain, une demande a été déposée pour confirmer l’exactitude des résultats d’examen du demandeur. Dans un courriel du 23 février 2022, il a été confirmé que les résultats du demandeur avaient été vérifiés et validés.

[17] Le 28 février 2022, l’agent principal des relations de travail a envoyé au décideur à des fins d’examen un mémoire écrit de neuf pages daté du 22 février 2022 et intitulé [traduction] « Aperçu du grief au dernier palier » (l’aperçu du grief).

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[18] Dans une lettre du 2 mars 2022, EDSC a fourni sa réponse au grief au dernier palier, par laquelle il a rejeté le grief du demandeur.

[...]

[25] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Vavilov : Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 FC 1467 au para 14; Kohlenerg c Canada (Procureur général), 2022 CF 906 au para 31.

[26] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable constitue une évaluation empreinte de déférence et rigoureuse visant à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12‐13 et 15. Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ. Ils sont interprétés de façon globale et contextuelle, et lus en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, particulièrement aux para 85, 91‐97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 [Postes Canada] aux para 2, 28‐33, 61.

[...]

[27] Dans son grief, le demandeur a avancé les arguments précis suivants :

· deux de ses résultats d’examen étaient légèrement inférieurs à la note de passage de 75 % et devraient être [traduction] « arrondis » de manière à le faire passer;

· la formation était inadéquate, notamment parce qu’elle ne tenait pas bien compte des différents besoins et stress des employés pendant la pandémie;

· le demandeur a reçu un soutien insuffisant, surtout de la part des TI, pendant la phase de formation;

· le demandeur a vécu plusieurs situations personnelles stressantes, dont la panne de son véhicule, de sorte qu’il n’a pas bien dormi;

· à la suite de communications entre le demandeur et le chef d’équipe par intérim, le demandeur a annulé un rendez‐vous médical qu’il attendait depuis plusieurs mois.

[28] Dans ses observations à la Cour, le demandeur a répété la plupart de ces arguments. Selon ses observations écrites, la formation était en ligne et les TI ne répondaient aux employés dans les 24 heures suivant une demande que [traduction] « s’ils en avaient envie ». Il a soutenu que l’employeur ne l’avait pas formé et qu’il le tenait responsable de ce manque de formation. Il a fait valoir que l’employeur avait été inéquitable et déraisonnable à son endroit et qu’il avait fait preuve de mauvaise foi (citant Wallace c United Grain Growers Ltd, [1997] 3 RCS 701).

[29] À l’audience, le demandeur a expliqué que la phase de formation s’était déroulée en personne les deux ou trois premiers jours, puis en ligne. Il était en Colombie‐Britannique, mais les TI qui offraient du soutien étaient en Ontario, de sorte qu’il était seul et travaillait à distance.

[30] Le demandeur a fait valoir qu’il n’avait pas obtenu la note de passage de 75 % à l’examen final uniquement en raison d’une seule question. Le renvoyer pour ce motif était inéquitable pendant la pandémie.

[...]

[34] J’ai lu attentivement le grief du demandeur ainsi que les décisions rendues par EDSC aux premier, deuxième et dernier paliers. J’ai examiné les observations écrites qu’il a déposées à la Cour dans le cadre de la présente demande et j’ai écouté attentivement les observations orales qu’il a présentées clairement à l’audience. Je me suis encore une fois penché sur ses arguments au moment de rédiger les présents motifs.

[35] En application des principes établis dans les arrêts Vavilov et Postes Canada, je conclus que la décision rendue au dernier palier était raisonnable.

[...]

[37] La majorité des observations du demandeur portait sur la question de savoir si la décision rendue au dernier palier était correcte sur le fond. Cependant, comme je l’ai expliqué à l’audience, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il n’est pas loisible à la Cour d’intervenir si elle ne souscrit pas à la décision rendue au dernier palier. Je ne suis pas autorisé à procéder au réexamen de la preuve pour déterminer ce que j’aurais fait à la place de la décideuse. Je ne peux pas non plus corriger la décision si je n’y souscris pas. Je dois déterminer si cette décision était « raisonnable » en appliquant les normes établies par les cours d’appel et la Cour dans leurs décisions antérieures.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

1. Préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[10] Le renvoi à l’arbitrage est, à tous égards importants, identique à la demande de contrôle judiciaire de la décision relative au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs présentée par le fonctionnaire, demande qui a été rejetée par la Cour fédérale dans Abdi CF.

[11] Les trois conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ont toutes été satisfaites, comme suit :

1) la même question a été tranchée;

 

2) la décision de la Cour fédérale était définitive;

 

3) les parties sont identiques.

 

[12] La présente procédure et la demande de contrôle judiciaire comportent toutes les deux le même fondement factuel pour lequel le fonctionnaire cherche à annuler son renvoi en cours de stage. L’arrêt Abdi CF expose les arguments du fonctionnaire selon lesquels la décision de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs était déraisonnable, et ils sont identiques aux allégations soulevées dans le grief. Dans Abdi CF, la Cour fédérale a examiné chacune des allégations du fonctionnaire et a rendu une décision à l’égard de chacune d’elles.

[13] Aux paragraphes 27 et 28 de l’arrêt Abdi CF, la Cour a énuméré les arguments du fonctionnaire selon lesquels la décision de l’employeur au dernier palier était déraisonnable. Ils sont identiques à ceux soulevés dans son grief et sont les suivants :

· deux de ses résultats d’examen étaient légèrement inférieurs à la note de passage de 75 % et devraient être arrondis de manière à le faire passer;

 

· la formation était inadéquate, notamment parce qu’elle ne tenait pas bien compte des différents besoins et stress des employés pendant la pandémie de la COVID-19;

 

· il a reçu un soutien insuffisant, surtout de la part des technologies de l’information (TI), pendant la phase de formation;

 

· il a vécu plusieurs situations personnelles stressantes, dont la panne de son véhicule, de sorte qu’il n’a pas bien dormi;

 

· à la suite de communications entre lui et le chef d’équipe par intérim, le fonctionnaire a annulé un rendez‐vous médical qu’il attendait depuis plusieurs mois.

 

[14] Dans Abdi CF, la Cour a examiné chacune des allégations du fonctionnaire et a rendu une décision à l’égard de chacune d’elles, déclarant ce qui suit :

· le fonctionnaire n’a fait référence à aucun élément de preuve contemporain qui contredisait les déclarations ou les conclusions présentées dans la décision rendue au dernier palier, comme la déclaration selon laquelle il avait eu l’occasion de définir d’autres mesures de soutien, ce qu’il avait refusé de faire;

 

· il n’a pas contesté le fait qu’il avait été informé, au début de son emploi, puis après le deuxième et le quatrième examen, auxquels il avait échoué, qu’il devait obtenir la note de passage de 75 % à au moins trois des cinq examens, sinon l’employeur mettrait fin à son emploi;

 

· il n’a rien fourni qui aurait permis à la Cour d’intervenir quant à l’argument selon lequel la décision au dernier palier aurait dû conclure que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi en mettant fin à l’emploi du fonctionnaire, comme ce dernier l’a allégué; le fonctionnaire n’a mentionné aucun incident ou comportement particulier à l’appui de sa position.

 

[15] Au paragraphe 42 de l’arrêt Abdi CF, la Cour a conclu qu’il était raisonnable de conclure que le licenciement du fonctionnaire n’était pas un camouflage, une supercherie ou un acte de mauvaise foi.

[16] La décision dans l’arrêt Abdi CF était définitive. Aucun appel n’a été interjeté devant la Cour d’appel fédérale.

[17] Les parties dans la présente affaire sont les mêmes que celles dans l’arrêt Abdi CF – le fonctionnaire et l’employeur.

[18] En vertu de l’alinéa 211a) de la Loi, en l’absence de mauvaise foi ou de camouflage, la Commission n’a pas compétence pour entendre un grief concernant un renvoi en cours de stage. L’arrêt Abdi CF a conclu qu’il n’existait aucun fondement raisonnable relatif aux allégations de mauvaise foi et de camouflage du fonctionnaire et, par conséquent, il n’existait aucun fondement raisonnable permettant à la Commission de se déclarer compétente et d’entendre le grief.

[19] Compte tenu des conclusions précises de la Cour fédérale sur les allégations du fonctionnaire, et compte tenu de sa conclusion selon laquelle le renvoi en cours de stage était raisonnable, il serait hautement irrégulier et préjudiciable pour le principe de la chose jugée que la Commission conclue que le renvoi en cours de stage était néanmoins une supercherie ou qu’il a été effectué de mauvaise foi.

[20] Dans Fournier c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 65, la Commission a appliqué le principe de la chose jugée lorsqu’il a été conclu que le contrôle judiciaire par la Cour fédérale d’une réponse à un grief au dernier palier réglait le même grief dont la Commission était saisie. Comme la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est une composante du principe de la chose jugée, la Commission devrait rejeter le présent grief pour le même motif.

[21] La Commission ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire limité de refuser d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et d’entendre la présente affaire. Aucun des facteurs énumérés dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, ne justifie l’exercice du pouvoir discrétionnaire. De plus, il n’y a aucune injustice potentielle pour le fonctionnaire. Il a choisi de présenter les mêmes faits et les mêmes allégations que ceux qui avaient été présentés à la Cour fédérale et, par conséquent, il n’a pas droit à une deuxième chance devant la Commission.

[22] Subsidiairement, l’employeur soutient que la doctrine de l’abus de procédure s’applique puisque le fait de permettre la tenue de l’audience porterait atteinte aux principes d’économie, de cohérence et de caractère définitif des instances, nuisant ainsi à l’administration de la justice. Le pouvoir discrétionnaire limité de remettre en cause une affaire ne s’applique que dans les cas où la remise en cause améliorerait l’intégrité du système judiciaire, par exemple lorsque les enjeux dans l’instance initiale étaient trop mineurs pour produire une réponse complète et solide.

[23] L’arrêt Abdi CF est une réponse complète et détaillée aux mêmes allégations soulevées dans le grief. Si la Commission instruit la présente affaire et parvient au même résultat que dans l’arrêt Abdi CF, la remise en cause s’avérera un gaspillage de ressources judiciaires et une dépense inutile pour les parties. Si la Commission l’entend et parvient à une conclusion différente de celle de la Cour fédérale, l’incohérence minera la crédibilité et le caractère définitif de la décision de la Cour fédérale.

[24] L’employeur soutient également que la doctrine de l’épuisement exige habituellement que les fonctionnaires s’estimant lésés renvoient leurs griefs d’abord à la Commission pour arbitrage et que ce n’est qu’après que la Commission ait rendu une décision qu’ils devraient demander un contrôle judiciaire. Le fait de permettre la remise en cause de la présente affaire encouragerait les futurs fonctionnaires s’estimant lésés à poursuivre simultanément des instances devant la Commission et la Cour fédérale relativement au même grief, ce qui minerait davantage les principes d’économie judiciaire, ainsi que le caractère définitif et l’intégrité du processus décisionnel.

[25] En plus des décisions déjà citées, l’employeur a cité Butlin c. Conseil du Trésor (ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2023 CRTESPF 72; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63; Gosselin c. Canada (Procureur général), 2023 CF 853.

B. Pour le fonctionnaire

[26] Le fonctionnaire a répondu à l’objection de l’employeur portant sur cet argument le 16 mars 2024 et y a répondu une deuxième fois le 15 avril 2024. Les arguments semblent être mot pour mot, à l’exception de quelques lignes ajoutées au premier paragraphe numéroté dans les arguments du 15 avril 2024. Même s’il semble avoir plus de pages pour les arguments du 15 avril 2024, cela est probablement attribuable à l’espacement des lignes et aux différences dans la police utilisée.

[27] Le fonctionnaire a soutenu ce qui suit :

· l’ensemble de la procédure était inéquitable parce qu’EDSC a de vastes ressources contre lui, y compris des gestionnaires, des experts, le personnel des relations de travail (RL) et le ministère de la Justice, notamment le groupe du droit du travail et de l’emploi et les Services juridiques du CT;

 

· l’anglais est sa quatrième langue;

 

· il n’a aucune expérience en droit et aucune expérience relative au système juridique;

 

· l’Alliance a été absente dans le cadre de la procédure;

 

· l’employeur a pris son [traduction] « [...] temps du premier palier de la procédure de règlement des griefs pour le fatiguer [...] »;

 

· dans la plupart des régions du monde, y compris au Canada, les systèmes judiciaires ne répondent pas aux besoins des gens, ne sont pas utiles dans la plupart des cas et ne règlent pas les préoccupations des gens;

 

· il n’a obtenu aucune résolution;

 

· il a demandé si quelqu’un avait évalué l’incidence de la décision sur sa vie;

 

· la décision a eu une incidence sur sa santé, son revenu, sa sécurité, sa collectivité et sa famille;

 

· les décisions en droit ne devraient pas détruire des vies;

 

· les possibilités ne sont pas réparties également selon la race, la classe et le sexe.

 

[28] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il avait présenté une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R.C. (1985), ch. P-21) pour obtenir tous les dossiers et a déclaré que l’employeur ne les avait pas fournis parce que certains courriels figurent dans un affidavit déposé dans le cadre de la demande auprès de la Cour fédérale. Il a ensuite soutenu qu’il ignorait la façon dont certaines règles de la Cour fédérale s’appliquent. Il a fait valoir que les juristes de l’employeur ont exploité son analphabétisme du système juridique, ce qui comprenait la radiation d’un contre-interrogatoire dans sa demande à la Cour fédérale par le juge Favel. Il a soutenu que les experts de l’employeur avaient tenté de miner son grief en utilisant des échappatoires et leurs connaissances. Il a soutenu que personne ne se soucie de l’équité et de la justice.

[29] Le fonctionnaire a fourni des extraits de la correspondance qui faisait partie de sa demande à la Cour fédérale.

[30] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’était pas d’accord pour dire que la même question avait été tranchée, affirmant que les préoccupations suivantes étaient soulevées :

· il n’avait pas été autorisé à participer à la révision de l’examen final par le gestionnaire des ressources humaines;

 

· il y avait un manque de soutien;

 

· cette situation s’est déroulée pendant la pandémie;

 

· la formation était en ligne.

 

[31] Le fonctionnaire a contesté le choix du moment du licenciement et le délai dans lequel il devait retourner l’équipement.

[32] Le fonctionnaire a fait valoir que certaines personnes avaient l’intention de se débarrasser de lui parce qu’il appartenait au mauvais groupe ethnique.

[33] Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait obtenu un baccalauréat et une maîtrise de la Simon Fraser University, à Vancouver, tout en obtenant d’excellentes notes et sans emprunter à qui que ce soit et qu’il avait aidé sa famille en Asie à l’époque.

[34] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il déteste un gestionnaire en particulier pour sa décision de le licencier. Il a ensuite fait la déclaration suivante :

[Traduction]

[...]

[...] En ce qui concerne la décision de la Cour fédérale, je crois fermement que mon licenciement était un camouflage, une supercherie et qu’il a été effectué de mauvaise foi. Dans la plupart des places, l’objectif principal de l’employeur est d’appuyer les ressources humaines, du chef d’équipe jusqu’à l’échelon supérieur, qu’il ait tort ou raison. Il est possible que, en coulisse, ils soient informés qu’ils avaient tort, mais qu’ils n’admettent jamais leur tort. Les chèques de paie du personnel de la Cour fédérale proviennent du gouvernement, ce n’est donc pas un ministère indépendant.

[...]

 

[35] Le fonctionnaire a soutenu que l’enseignement et la formation de nouveaux employés en ligne, sans aide de la TI, constituent de la mauvaise foi, que les enseignants d’EDSC n’avaient aucune idée de la façon d’enseigner et qu’ils disparaissaient, pour parler à d’autres personnes. Il a fait valoir que le fait de terroriser les nouveaux employés était une procédure courante.

[36] En ce qui concerne l’argument de l’employeur selon lequel la décision dans Abdi CF était définitive et que le fonctionnaire n’avait pas cherché à interjeter appel, il a soutenu que l’Alliance ne voulait pas dépenser son argent sur lui et que l’employeur l’avait affamé et avait fait traîner la procédure de règlement des griefs trop longtemps. De plus, il a déclaré qu’il ne savait pas comment fonctionne le processus d’appel et que celui-ci dépasse ses connaissances. Il a laissé entendre qu’il s’agissait d’une décision définitive pour lui, puis il a déclaré qu’il n’était pas un tissu jetable et qu’il était triste que l’employeur ait causé un préjudice à son ancien employé.

[37] En ce qui concerne l’argument de l’employeur selon lequel les parties dans la présente affaire et dans Abdi CF sont identiques, le fonctionnaire a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[...]

[...] Les parties sont identiques : Dans Abdi, le fonctionnaire était le demandeur et l’employeur était le défendeur [...] En vertu de l’alinéa 211a) du secteur public fédéral [sic] [...] Il incombe à la Commission de décider et non à l’employeur. En vertu du paragraphe 209(1), je ne suis pas satisfait, j’ai subi un préjudice sur les plans économique et émotionnel et je suis resté dans l’incertitude pour toujours par l’employeur. Par exemple, l’équipe juridique de l’employeur a consacré beaucoup de temps jusqu’en mars 2023.

[...]

 

[38] Le fonctionnaire a fait valoir que le fait de le licencier un jour à l’avance ou avant la fin de la formation et de lui remettre la lettre de licenciement pendant que la formation se poursuivait constituait de la mauvaise foi. Il a également soutenu que le fait que l’employeur n’avait pas offert une formation et qu’il ne faisait pas un bon travail, et qu’il lui avait reproché de ne pas avoir donné le cours en ligne constituait de la mauvaise foi. Il a fait valoir en outre que le processus était nouveau pour l’employeur et qu’il devrait donc l’admettre et cesser de perdre son temps et celui de son équipe juridique.

[39] Le fonctionnaire a soutenu que s’il avait eu une équipe juridique et des ressources illimitées comme l’employeur, l’issue dans Abdi CF aurait été très différente, ce qui laisse entendre qu’il a profité de son manque de connaissances juridiques pour radier la partie la plus importante de son document devant la Cour fédérale.

[40] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’était pas satisfait d’Abdi CF, qu’il demandait justice, que la décision incombe à la Commission et que l’employeur ne devrait pas utiliser sa persuasion pour faire rejeter son grief.

[41] Le fonctionnaire a soutenu qu’il ne savait pas que la procédure de règlement des griefs et celle de la Cour fédérale prendraient autant de temps qu’ils l’aient fait, déclarant qu’il doit subvenir aux besoins de sa famille et payer des factures et qu’il doit subvenir aux besoins de sa famille élargie en Asie.

[42] En répondant à l’argument de l’employeur selon lequel il a choisi de présenter les mêmes faits et les mêmes allégations que ceux qui avaient été présentés à la Cour fédérale et, par conséquent, qu’il n’a pas droit à une deuxième chance devant la Commission, le fonctionnaire a soutenu qu’il n’est pas vrai qu’il avait présenté les mêmes faits, affirmant que l’employeur disposait d’énormément de ressources et que grâce à ces ressources, il avait été en mesure de l’empêcher de présenter un document et sa critique au sujet d’un affidavit dans le cadre de la demande devant la Cour fédérale qu’il avait qualifié de fictif. Il a ensuite réitéré qu’il ne connaissait pas le système juridique et qu’il n’était pas en mesure de se défendre et de défendre ses documents, ce qui avait empêché le contre-interrogatoire d’être présenté à la Cour fédérale.

[43] Le fonctionnaire a soutenu que la position de l’employeur selon laquelle il s’agissait d’un abus de procédure était incorrecte et que l’employeur avait abusé de son pouvoir. Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur avait présenté des histoires fictives à la Cour fédérale, puis il a soutenu qu’il y avait beaucoup de gaspillage au Canada et partout dans le monde. Il a ensuite formulé des commentaires sur les subventions gouvernementales.

[44] En ce qui concerne l’argument de l’employeur portant sur la doctrine de l’épuisement, le fonctionnaire a soutenu qu’il ne savait rien à ce sujet et a ensuite fait valoir que l’employeur avait utilisé son manque de connaissances à ce sujet, tout comme il l’avait fait à l’égard du contre-interrogatoire dans Abdi CF. Il a ensuite soutenu que l’employeur et la Cour fédérale auraient dû lui fournir un avocat s’ils souhaitaient un procès équitable et une justice équitable. Il a soutenu que le système est établi de manière à ce que les immigrants échouent.

[45] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur lui avait promis de lui permettre de postuler d’autres possibilités au gouvernement fédéral à l’interne, mais qu’il ne lui avait pas fourni de lettre de recommandation. Il a déclaré que le système l’avait blâmé pour son échec, mais que c’était le système qui l’avait laissé tomber.

[46] Le fonctionnaire a critiqué la Cour fédérale et a laissé entendre que des membres de la classe supérieure d’une clique avaient agi de manière à contribuer au fait qu’il n’avait pas obtenu gain de cause dans Abdi CF. Il a fait valoir que la Cour fédérale avait rendu une décision injuste et préjudiciable fondée sur une fraction de ses documents et son analphabétisme du système juridique.

[47] Il a soutenu que la Commission devrait annuler l’objection de l’employeur à l’audition de son grief et lui ordonner de faire ce qui suit :

· le réintégrer avec rémunération et avantages sociaux rétroactifs;

 

· lui fournir la formation et le soutien appropriés;

 

· lui accorder une réparation intégrale et toute autre mesure corrective appropriée dans les circonstances.

 

[48] L’annexe B jointe (à ses arguments du 16 mars et du 15 avril 2024) constitue ce que le fonctionnaire a affirmé être le contre-interrogatoire écrit d’un déposant de l’employeur, dans la demande devant la Cour fédérale, dont l’utilisation n’a pas été autorisée dans le cadre de cette demande. Ce qu’il semble être, dans des polices et des couleurs différentes, est une série de questions et de réponses et les arguments du fonctionnaire. Après un examen du document, qui compte environ sept pages, il s’avère qu’une plus grande partie de celui-ci est composée de l’argument du fonctionnaire plutôt que des réponses d’un déposant aux questions.

C. La réponse de l’employeur

[49] Le fonctionnaire n’a soulevé aucun argument dans ses documents qui n’avait pas déjà été soulevé devant la Cour fédérale et tranché dans Abdi CF. Les faits sont identiques.

[50] L’employeur s’est opposé à la proposition du fonctionnaire selon laquelle sa race ou son origine ethnique étaient des facteurs dans le renvoi en cours de stage. Dans son formulaire de dépôt électronique auprès de la Commission, le fonctionnaire a clairement indiqué [traduction] « non » en réponse à la question suivante sur le formulaire : [traduction] « Avez-vous l’intention de soulever une question de discrimination? » Il s’agit d’un nouvel argument qui n’a jamais fait partie du grief et qui devrait être exclu.

[51] L’allégation du fonctionnaire selon laquelle l’employeur l’a empêché de présenter un document est erronée. À titre de précision, la Cour fédérale a radié le contre-interrogatoire écrit du fonctionnaire de l’un des déposants de l’employeur au motif qu’il s’agissait d’un argument. Quoi qu’il en soit, cette allégation n’est pas pertinente à la présente instance.

[52] Comme il est indiqué dans la décision relative au grief au dernier palier, et comme l’a réitéré la Cour fédérale, l’employeur n’a pas érigé d’obstacles empêchant le fonctionnaire de chercher un nouvel emploi; il n’a pas non plus reçu de demande de références à son sujet.

[53] L’employeur a soutenu qu’il ne lui incombe pas de conseiller le fonctionnaire au sujet de la procédure. Le fonctionnaire était représenté par son agent négociateur tout au long de la procédure de règlement des griefs. L’employeur n’aurait pas pu, de bonne foi, lui conseiller de renvoyer la présente affaire en premier à la Commission, étant donné qu’il se serait opposé à ce que la Commission ait compétence dans la présente affaire en vertu de l’alinéa 211a) de la Loi et de l’article 62 de la LEFP.

IV. Motifs

[54] Pour les motifs suivants, l’objection de l’employeur à la compétence de la Commission est rejetée et l’affaire est remise dans la file d’attente de la Commission en vue de l’établissement du calendrier des audiences.

[55] La présente décision ne porte que sur l’objection du 15 mars, qui est fondée sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure.

A. Préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[56] Comme il est énoncé dans Danyluk, les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont les suivantes :

[...]

(1) que la même question ait été décidée;

(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

[...]

 

[57] L’employeur a fait valoir que les trois conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ont été satisfaites. Je ne suis pas du même avis.

[58] En ce qui concerne les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, j’aborderai d’abord la condition préalable qui a été satisfaite, à savoir que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée. Il ne fait aucun doute que cette condition a été satisfaite, car la demande de contrôle judiciaire qui était l’objet considéré dans Abdi CF concernait le fonctionnaire et son employeur (par son ayant droit en vertu des Règles de la Cour fédérale (DORS/98-106), le procureur général du Canada). La décision dans Abdi CF découlait du rejet du grief du fonctionnaire contre son licenciement. Il a présenté un grief contestant ce licenciement et, lorsque ce grief a été rejeté au dernier palier, il a demandé un contrôle judiciaire. Le présent renvoi à l’arbitrage porte également sur le même grief contestant le licenciement du fonctionnaire découlant de la même décision de l’employeur rejetant ce grief. Les parties, qui sont le fonctionnaire et l’employeur, sont les mêmes que celles dans Abdi CF.

[59] Les deux autres conditions préalables, à savoir que la même question a été tranchée et que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est définitive, ne sont pas satisfaites, pour les motifs qui suivent.

[60] Un examen superficiel des faits et des questions en litige laisserait entendre que la question en litige dans le renvoi à l’arbitrage à la Commission est la même que celle qui a été tranchée dans Abdi CF. Cela est logique, car ce qui a été renvoyé à la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire est la même décision relative au grief au dernier palier datée du 2 mars 2022, à l’égard de laquelle le fonctionnaire n’était pas satisfait et qui a été renvoyée à l’arbitrage par l’entremise de son grief. Toutefois, la question dont était saisie la Cour fédérale dans Abdi CF n’était pas la même que celle dont est saisie la Commission.

[61] La Cour fédérale, dans Abdi CF, au paragraphe 37, a déclaré qu’elle devait trancher la question comme suit :

[37] La majorité des observations du demandeur portait sur la question de savoir si la décision rendue au dernier palier était correcte sur le fond. Cependant, comme je l’ai expliqué à l’audience, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il n’est pas loisible à la Cour d’intervenir si elle ne souscrit pas à la décision rendue au dernier palier. Je ne suis pas autorisé à procéder au réexamen de la preuve pour déterminer ce que j’aurais fait à la place de la décideuse. Je ne peux pas non plus corriger la décision si je n’y souscris pas. Je dois déterminer si cette décision était « raisonnable » en appliquant les normes établies par les cours d’appel et la Cour dans leurs décisions antérieures.

 

[62] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale est limitée par ce qui a été fait et n’a pas été fait au dernier palier de la procédure interne de règlement des griefs. Cela contraste nettement avec la question que la Commission doit trancher. Afin de bien comprendre la question à trancher, il faut examiner la procédure de règlement des griefs, la façon dont un grief est renvoyé à la Commission aux fins d’arbitrage et les pouvoirs de la Commission.

[63] La procédure de règlement des griefs est énoncée dans le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »). Elle prévoit qu’un employé qui se sent lésé par des actes exercés par son employeur contre lui peut présenter un grief à son employeur, dans un certain délai. Le grief est ensuite traité par la personne désignée appropriée au sein de la hiérarchie d’autorité de l’employeur. Si le fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas satisfait de la décision rendue par cette personne, il peut renvoyer le grief au prochain palier de la procédure. Cette procédure se répète jusqu’à ce qu’une décision est rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[64] Il y a habituellement un total de trois paliers établis soit par le Règlement, soit par une convention collective particulière à un groupe. Il convient de noter que la procédure de règlement des griefs est interne. Il ne s’agit pas d’un tiers indépendant qui examine et tranche le grief; il s’agit d’une personne occupant un poste supérieur dans la chaîne de commandement de l’employeur.

[65] Une fois qu’une décision est rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, un grief peut être renvoyé à la Commission pour arbitrage, s’il s’agit de l’un de ceux visés par la catégorie des griefs à l’égard desquels la Commission a compétence en vertu de l’article 209 de la Loi.

[66] Le paragraphe 226(1) de la Loi énonce les pouvoirs d’un arbitre de grief. Il énonce que pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut exercer les pouvoirs prévus à l’alinéa 16d) de la Loi et aux articles 20 à 23 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTESPF). L’alinéa 20e) de la LCRTESPF prévoit que, dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice.

[67] De plus, il est bien établi dans la jurisprudence de la Commission et de ses prédécesseurs que les audiences devant la Commission sont des audiences de novo. En termes simples, cela signifie que la Commission entendra l’affaire [traduction] « encore », [traduction] « à partir du début » ou [traduction] « à zéro », comme si l’affaire était instruite pour la première fois. Bref, cela signifie que la Commission n’est pas contrainte par les éléments de preuve qui ont été présentés au cours de la procédure de règlement des griefs pour entendre et trancher la question dont elle est saisie; cela est conforme à ce qui est énoncé à l’alinéa 20e) de la LCRTESPF. De plus, et conformément à ces principes, la Commission, en tant que tribunal quasi judiciaire indépendant, est maître de ses propres procédures ou, comme il a été énoncé autrement, elle est maîtresse chez elle (voir Prassad c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560), ce qui signifie qu’en l’absence de règles particulières fixées par une loi ou un règlement, elle contrôle ses procédures, sous réserve qu’elle se conforme aux règles d’équité et, lorsqu’elle exerce des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, à la règle de la justice naturelle.

[68] Ce processus décisionnel devant la Commission, y compris sa capacité de déterminer les éléments de preuve qu’elle entendra et, à son tour, de trancher une question, est l’inverse du rôle de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. La question à laquelle répond la Cour fédérale est celle de savoir si la décision rendue au troisième palier de la procédure de règlement des griefs était raisonnable compte tenu de la jurisprudence et, en particulier, de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[69] La question dont la Commission est saisie ne consiste pas à savoir si la décision du décideur désigné de l’employeur au troisième palier de la procédure de règlement des griefs était raisonnable, mais plutôt à savoir si la Commission a compétence pour entendre le grief fondé sur l’allégation selon laquelle le licenciement de l’employeur n’était pas légitime en vertu de la LEFP, mais plutôt une supercherie, un camouflage ou une décision prise de mauvaise foi.

[70] Étant donné que les questions auxquelles la Commission et la Cour fédérale doivent répondre ne sont pas les mêmes, le premier critère n’est pas satisfait. En toute logique, si la première question ne reçoit pas une réponse affirmative, la deuxième question ne peut être la décision définitive sur la question, car aucune réponse n’a été donnée en première instance.

B. Abus de procédure

[71] Pour les motifs déjà exposés dans la section précédente portant sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, l’objection à la compétence fondée sur l’abus de procédure du 15 mars doit également être rejetée.

[72] Logiquement, si la même question n’est pas traitée par les deux décideurs différents (la Cour fédérale et la Commission), on ne peut pas dire que le fait d’autoriser le déroulement du litige irait à l’encontre des principes d’économie, de cohérence et de caractère définitif des instances.

[73] Comme j’ai conclu que les questions dont sont saisies la Cour fédérale et la Commission sont différentes, on ne peut pas dire qu’il existe un risque d’incohérence ou un risque pour le caractère définitif des instances. Si la Commission décide qu’elle a compétence pour entendre l’affaire au motif que le licenciement est une supercherie, un camouflage ou qu’il a été fait de mauvaise foi, cela ne serait pas nécessairement incompatible avec la décision dans Abdi CF parce que la décision de la Cour fédérale était fondée sur un critère différent et possiblement sur des éléments de preuve différents.

[74] Enfin, l’employeur a soutenu que la doctrine de l’épuisement exige habituellement que les fonctionnaires s’estimant lésés renvoient leurs griefs d’abord à la Commission et que ce n’est qu’après que la Commission ait rendu une décision qu’ils devraient demander un contrôle judiciaire. Bien que ce soit la norme, il existe des raisons légitimes de ne pas appliquer cette règle dans les présentes circonstances. D’abord et avant tout, si le licenciement constituait légitimement un renvoi en cours de stage en vertu de la LEFP, la Commission n’a pas compétence, et la bonne voie à suivre pour contester le licenciement est une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale. Toutefois, si le licenciement n’était pas légitime en vertu de la LEFP, mais qu’il s’agissait d’une supercherie, d’un camouflage ou d’une décision prise de mauvaise foi, ce qui ferait en sorte que l’affaire relèverait de la compétence de la Commission, le forum approprié serait la Commission.

[75] La Commission et les Règles de la Cour fédérale prévoient toutes deux de courts délais pour porter les affaires devant elles. Je n’ai aucun doute que ce délai des deux forums aurait été tel qu’il n’y aurait pas eu d’audience devant l’un des deux forums et que l’affaire n’aurait pas été tranchée dans un délai qui aurait permis de demander un contrôle judiciaire ou un renvoi à l’arbitrage, selon le cas. De plus, l’employeur aurait certainement pu demander que l’affaire devant la Cour fédérale soit mise en suspens en attendant que la Commission tranche les questions dont elle est saisie.

[76] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[77] L’objection à la compétence (objection du 15 mars) est rejetée.

[78] L’affaire sera placée dans la file d’attente de la Commission en vue de l’établissement du calendrier des audiences.

Le 16 août 2024.

Traduction de la CRTESPF

John G. Jaworski,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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