Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en faisant preuve à son encontre d’une discrimination fondée sur la race et la couleur et dans son évaluation de sa candidature – la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas démontré que l’intimé avait fait preuve de discrimination à son endroit – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir lors de l’évaluation de sa candidature – il y avait une crainte raisonnable de partialité, étant donné les mauvaises relations entre le plaignant et le gestionnaire d’embauche – l’intimé a évalué le plaignant différemment des autres candidats en utilisant ses connaissances personnelles uniquement dans l’évaluation du plaignant – l’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation à des fins inappropriées – il voulait exclure le plaignant du processus de sélection parce qu'il avait été récemment rétrogradé du poste – la Commission a émis une déclaration selon laquelle l’intimé avait abusé de son pouvoir dans son évaluation du plaignant – la Commission convoquera de nouveau les parties pour présenter des arguments sur la possibilité d’accorder des dommages à titre de mesure corrective supplémentaire.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date : 20241017

Dossier : 771-02-42417

 

Référence : 2024 CRTESPF 142

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction

publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Anthony alexander Blair

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

 

intimé

Répertorié

Blair c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Caroline Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Patrick Turcot et John Maskine, avocats

Affaire entendue par vidéoconférence
les 6, 7 et 20 décembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] L’administrateur général du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (l’« intimé » ou TPSGC) a affiché une annonce de possibilité d’emploi (APE) pour le poste de gestionnaire de programme, Locaux à bureaux, classé au groupe et au niveau AS-04, à l’unité de Gestion des locaux située à Toronto, en Ontario. L’APE portait sur le processus de sélection numéro 2020-SVC-ONT-IA-375968 (le « processus de sélection ») et avait comme date limite le 2 octobre 2020. Anthony Alexander Blair (le « plaignant ») a postulé au poste énoncé dans l’APE. Le 26 octobre 2020, l’intimé l’a informé qu’il avait été éliminé du processus de sélection parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences liées à deux critères de mérite essentiels.

[2] Le 22 décembre 2020, l’intimé a affiché l’avis de nomination ou la proposition d’avis de nomination.

[3] Le 24 décembre 2020, le plaignant a déposé sa plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13; « LEFP »), alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite lorsqu’il l’a éliminé du processus de sélection et qu’il avait fait preuve de discrimination à son égard fondée sur la race et la couleur, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; « LCDP »).

[4] L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de sélection.

[5] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience. Elle n’a pas non plus pris position sur le bien-fondé de la plainte. Elle a présenté des arguments écrits portant sur les politiques et les lignes directrices applicables et sur l’allégation de discrimination.

[6] Je dois trancher les deux questions suivantes : 1) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’endroit du plaignant fondée sur la race et la couleur pendant son évaluation? et 2) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation du plaignant?

[7] Je conclus que le plaignant n’a pas établi que l’intimé avait fait preuve de discrimination à son endroit fondée sur la race et la couleur. Toutefois, je conclus que le plaignant a établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué sa candidature. Il existait une crainte raisonnable de partialité à son égard en raison du rôle que la gestionnaire d’embauche a joué dans l’évaluation de sa candidature. De plus, l’intimé l’a traité différemment des autres candidats à l’étape de présélection du processus de sélection en utilisant des renseignements officiels et officieux concernant l’évaluation de son rendement pour l’éliminer. Enfin, je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir en exerçant son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation dans une intention illégitime.

[8] J’accueille la plainte et je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir.

[9] En plus de déclarer que la plainte est fondée, je conclus que les abus de pouvoir dans le présent cas sont si flagrants qu’il est justifié d’envisager des mesures correctives supplémentaires, y compris sous la forme de dommages. Je convoquerai donc de nouveau les parties à une audience sur la question de l’octroi de dommages à titre de mesure corrective en vertu du paragraphe 81(1) de la LEFP.

II. Résumé des éléments de preuve pertinents

A. L’APE

[10] L’APE concernant le processus de sélection énonçait que celui-ci était ouvert aux [traduction] « [p]ersonnes employées dans la fonction publique occupant un poste dans la région du Grand Toronto ». Le processus était également ouvert aux vétérans et aux membres des FAC (Forces armées canadiennes) admissibles. L’APE a été affichée le 22 septembre 2020 et prenait fin le 2 octobre 2020, à 23 h 59, heure du Pacifique.

[11] Le processus de sélection avait pour but de constituer un bassin de candidats qualifiés entièrement évalués afin de doter les postes vacants actuels et futurs à TPSGC. Le bassin devait servir dans l’immédiat à doter un poste de durée indéterminée.

[12] En plus de fournir un curriculum vitæ, les candidats devaient expliquer clairement dans leur candidature la façon dont ils répondaient aux critères essentiels énoncés dans l’APE. Six critères d’expérience essentiels étaient énoncés. Les voici :

[Traduction]

[...]

Expérience

1. Expérience de l’utilisation d’un système de base de données financières, de préférence SAP

2. Expérience du travail avec les budgets, y compris le suivi financier de budgets et/ou de dépenses

3. Expérience de l’analyse financière et de la formulation de recommandations financières à l’intention de la direction

4. Expérience de la production de rapports utilisés aux fins du processus décisionnel de la direction

5. Expérience de la direction d’une équipe ou d’un projet

6. Expérience de l’utilisation d’un tableur (avec connaissance, au minimum, des formules et des fonctions de tri et de filtrage) pour créer des rapports

 

[13] L’intimé a éliminé le plaignant parce qu’il ne satisfaisait pas aux troisième et cinquième critères essentiels énoncés dans l’APE relativement à l’expérience. Dans la présente décision, je désignerai les critères d’expérience 3 et 5 par les termes « Exp. 3 » et « Exp. 5 », respectivement. L’APE mentionnait également d’autres critères qui seraient évalués à une date ultérieure, mais ceux-ci ne sont pas pertinents aux fins de la présente plainte.

B. Le comité d’évaluation

[14] Le comité d’évaluation dans le cadre du processus de sélection était composé des trois personnes suivantes : Michelle Hanlon, gestionnaire régionale, Gestion des locaux (la « gestionnaire d’embauche »), Andres Kolga, conseiller, Services aux clients, et Philip August, conseiller, Services aux clients. La conseillère en ressources humaines responsable du processus de sélection était Christine Louie.

C. Les outils d’évaluation

[15] L’APE informait les candidats que diverses méthodes d’évaluation pourraient être utilisées dans le cadre du processus de sélection, telles que l’auto-évaluation avec vérification des références et l’évaluation du rendement antérieur. L’APE précisait également que les candidats seraient informés de la méthodologie d’évaluation tout au long du processus. La candidature servirait d’outil d’évaluation du respect des critères essentiels énoncés dans l’APE. Le barème utilisé pour évaluer les critères essentiels était [traduction] « Satisfait/Ne satisfait pas ».

[16] Le formulaire de candidature comprenait une question principale pour chaque critère essentiel et une question complémentaire, dans le format suivant :

[Traduction]

Question

Possédez-vous une expérience en [qualité essentielle]?

Réponse du candidat

Oui.

Question complémentaire

Dans l’affirmative, en 400 mots maximum, veuillez fournir des EXEMPLES et des DÉTAILS clairs et concrets, y compris LA DATE, LE LIEU et LA FAÇON DONT vous avez acquis l’expérience.

 

D. Résumé des résultats

[17] Il y a eu 41 candidats, dont 15, notamment le plaignant, ont été éliminés à l’étape de la présélection, de sorte que 26 ont été présélectionnés. Il n’y avait aucune donnée pour quatre des 15 candidats éliminés à l’étape de la présélection. Pour le reste, seul le plaignant n’a pas satisfait à l’Exp. 5. Six candidats, dont lui, n’ont pas satisfait à l’Exp. 3.

[18] Le 26 octobre 2020, l’intimé a informé le plaignant qu’il avait été éliminé du processus de sélection parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de deux des six critères de mérite relatifs à l’expérience, à savoir l’Exp. 3 et l’Exp. 5.

E. Les témoignages

[19] En plus de la preuve documentaire, j’ai entendu le témoignage de quatre personnes. Le plaignant a témoigné pour son propre compte et il a appelé Marguerite Jean‐Baptiste à témoigner au sujet de l’allégation de discrimination fondée sur la race. L’intimé a cité à titre de témoin principal Michelle Hanlon qui disposait également du pouvoir délégué lié au processus de sélection. J’ai également entendu le témoignage de M. August, un membre du comité d’évaluation.

1. Mme Jean-Baptiste

[20] À l’heure actuelle, Mme Jean-Baptiste travaille à titre d’agente, gestion des affaires et des systèmes, un poste classé au groupe et au niveau AS-03, à l’Unité des locaux de l’intimé. Elle travaille pour le gouvernement fédéral, où elle a occupé différents rôles depuis 1979. Ses fonctions actuelles comprennent la formation et l’animation de présentations, et elle a reçu plusieurs prix et des mentions élogieuses pour son travail.

[21] Elle a bénéficié d’un milieu de travail relativement positif jusqu’à ce qu’elle commence à relever de Mme Hanlon. Sous la supervision de Mme Hanlon, tout ce qu’elle a reçu était de la négativité. Lorsqu’elle posait des questions, elle était traitée d’incompétente. Elle se voyait confier très peu de mandats au travail, et seulement lorsqu’elle se plaignait. Il était très frustrant de travailler sous la supervision de Mme Hanlon. Mme Hanlon lui a dit qu’elle ne respectait pas les délais et elle a commencé gérer son rendement. À la question de savoir si elle avait reçu un soutien quelconque, elle a déclaré qu’il s’agissait [traduction] « d’un exercice de dénigrement et qu’on la tirait vers le bas ».

[22] À la question de savoir si elle avait été traitée différemment, elle a répondu par l’affirmative. Elle a expliqué que, parmi les trois employés ayant été mutés à l’Unité des locaux depuis l’Unité de la rémunération, seul l’employé blanc a obtenu des promotions. Elle et le plaignant étaient laissés à l’écart. Elle s’est vu accorder un délai de deux semaines pour réparer un système qui était un désordre total, alors qu’il en aurait fallu au moins cinq mois. En collaboration avec un expert d’Ottawa, en Ontario, elle a pu réparer le système deux fois plus rapidement. Sa supérieure a remis en question sa capacité à faire son travail. Elle a vu des personnes qu’elle a formées être promues, pendait qu’elle était menacée de rétrogradation et même de licenciement. Elle estime que le traitement qu’elle a reçu de sa supérieure était fondé sur sa race.

[23] En contre-interrogatoire, elle a déclaré ne pas être certaine d’avoir présenté sa candidature dans le cadre du processus de sélection et qu’elle ne faisait pas partie du comité d’évaluation. Elle a témoigné en disant qu’elle avait déposé une plainte qui était en cours contre Mme Hanlon en matière de droits de la personne. Elle n’a pas accepté le rapport d’enquête parce qu’il était vicié. Elle ne relève plus de Mme Hanlon. Elle fait maintenant partie d’une autre équipe et son milieu de travail est meilleur. Elle n’a pas eu une expérience de travail positive sous la supervision de Mme Hanlon.

2. Le plaignant

[24] En 1992, le plaignant a obtenu un baccalauréat ès sciences de l’Université de Toronto, avec des majeures en psychologie et en criminologie et une mineure en sociologie. Il est entré au service de TPSGC en 1997 à titre de spécialiste de la formation à la Section de la comptabilité, de la gestion bancaire et de la rémunération. En 2001, il a été l’un des candidats retenus dans le cadre d’un processus de dotation pour un poste de chef, Paye et pension, classé au groupe et au niveau AS-04, lequel a été son poste d’attache jusqu’en 2015, lorsqu’il a été muté à la Section des locaux à titre de gestionnaire de programme. Il a également accepté des affectations pendant cette période. Il compte 25 années de service dans la fonction publique fédérale.

[25] Il n’a jamais eu de problème de rendement avant son arrivée à la Section des locaux, en 2015 et en 2016. Il est arrivé dans son poste d’attache AS-04 puis a occupé le poste de gestionnaire de programme, Locaux à bureaux, Gestion des locaux, région de l’Ontario. Dans ce poste, il relevait du gestionnaire régional, Gestion des locaux, classé au groupe et au niveau AS-07. Selon la description de travail de son poste, le titulaire était [traduction] « responsable de l’embauche, de la formation et de l’encadrement des employés relevant du poste de gestionnaire de programme ». L’équipe comptait trois AS-03. Les principales activités énoncées dans la description de travail comprenaient les suivantes :

[Traduction]

Coordonner et gérer les activités de l’équipe de soutien des Locaux à bureaux, y compris les niveaux de dotation, les budgets, la gestion de la charge de travail et les exigences en matière de formation.

[...]

Diriger le personnel dans l’élaboration, l’analyse et la préparation des rapports utilisés par les gestionnaires des locaux et les conseillers des Services aux clients (CSC) pour gérer les portefeuilles des clients et pour fournir des rapports spéciaux à d’autres secteurs d’activité au sein de TPSGC, y compris les Services de propriétaire-investisseur, les services de location, les SGBI [Services de gestion des biens et des installations] et les services de gestion et de mise en œuvre de projets.

[...]

 

[26] Le titulaire du poste était chargé de superviser le personnel. Toutefois, lorsqu’il a commencé à occuper le poste, le plaignant n’était pas autorisé à exercer ses fonctions de supervision.

[27] En 2019, le plaignant a copié et collé des parties de sa description de travail dans sa candidature lorsqu’il a postulé à un poste AS-06. L’intimé l’a accusé de fraude et a demandé à la CFP d’enquêter. Cette dernière a conclu que le plaignant avait commis une fraude. Le plaignant a fait appel de cette décision, a obtenu gain de cause, et la Cour fédérale a annulé le rapport d’enquête de la CFP.

[28] Le plaignant a fait référence à son évaluation du rendement pour le cycle d’évaluation du rendement de 2015-2016. L’intimé s’est opposé à la recevabilité de l’évaluation pour des motifs de pertinence et parce que l’évaluation n’était pas l’un des outils utilisés dans le cadre du processus de sélection. L’intimé a soutenu que, si la Commission admettait l’évaluation, il devrait alors être autorisé à présenter des évaluations supplémentaires, jusqu’au cycle d’évaluation de 2019-2020, afin de fournir une vue d’ensemble du rendement du plaignant.

[29] J’ai rejeté l’objection de l’intimé pour les motifs suivants :

[Traduction]

Je conclus que l’intimé a utilisé une évaluation du rendement du plaignant dans le poste de gestionnaire de programme au groupe et au niveau AS-04, officielle ou officieuse, pour évaluer la candidature du plaignant dans le cadre du processus de sélection. Le document est donc pertinent et recevable. Je refuse à l’intimé la possibilité de présenter ou de déposer des évaluations du rendement supplémentaires à ce stade. L’intimé a eu toutes les occasions de fournir de tels renseignements, mais a choisi de ne pas le faire, semble-t-il pour établir la distinction entre ce processus et les griefs en instance devant la Commission. Je ne prends pas cette décision à la légère, mais je la prends en tenant compte particulièrement de l’objection existante de l’intimé quant à la nature et à la portée de ma compétence dans la présente plainte. J’estime que je porterais préjudice aux deux parties si j’admettais en preuve une évaluation du rendement relative à la rétrogradation et aux autres griefs dont la Commission est saisie. Mon évaluation dans la présente affaire en ce qui concerne le recours à la connaissance personnelle qu’avaient les membres du comité d’évaluation, manifestement concernant une évaluation du rendement du plaignant dans ce rôle, est très étroite et limitée. En d’autres termes, je dois me demander si, à l’étape de l’évaluation du processus de sélection, l’intimé a utilisé un renseignement tiré de l’évaluation du rendement pour éliminer le plaignant du processus de sélection.

 

[30] Le plaignant a témoigné en disant qu’à la fin de 2019, il a été placé dans un poste AS-02 et qu’il a cessé d’être rémunéré au groupe et au niveau AS-04 en septembre 2020.

[31] Le 26 octobre 2020, l’intimé a informé le plaignant qu’il n’avait pas satisfait à deux des six critères de mérite relatifs à l’expérience, notamment les critères de mérite essentiels relatifs à l’expérience numéros trois et cinq (Exp. 3 et Exp. 5).

[32] Le plaignant a témoigné en disant qu’il avait reçu une évaluation du rendement très positive de son gestionnaire précédent pour l’ensemble du poste. Il a fait référence à des parties de son évaluation du rendement visant la période du 1er avril 2015 au 30 mars 2016. Il a été noté tout au long du document que les compétences évaluées étaient celles d’un poste antérieur. Voici un extrait des commentaires du gestionnaire :

[Traduction]

[...]

Depuis qu’il a commencé à travailler à la Gestion des locaux, en septembre, Anthony a travaillé fort pour apprendre son nouveau travail. Anthony a assumé avec enthousiasme toutes les tâches qui lui ont été confiées. Il pose de bonnes questions et a un souci du détail, ce qui est essentiel à son rôle de gestion financière. L’attitude positive d’Anthony cadre bien dans l’équipe. Anthony se montre très enthousiaste à continuer à prendre plus de travail (de supervision du personnel). Cela témoigne de son esprit d’initiative et de son désir de continuer à apprendre. Anthony devra travailler avec diligence pour apprendre tous les aspects de son rôle. Il semble être à la hauteur du défi. Continue le bon travail, Anthony!

[...]

[...] Anthony travaille bien avec ses collègues. Il est de plus en plus confiant et à l’aise de remettre en question les renseignements que lui fournissent les membres de l’équipe. Il collabore également bien avec les CSC cadres, ce qui lui a permis d’apprendre l’aspect financier de son rôle. Anthony comprend l’importance de bien travailler avec les autres, ce qui le mènera à la réussite dans l’apprentissage du rôle.

[...]

[...] Anthony a beaucoup appris au cours de ses six premiers mois dans son poste. Sa soif d’apprendre, son souci du détail et sa capacité à accepter la critique constructive et à en tirer des leçons démontrent qu’il est pleinement investi dans son poste. Il est évident qu’il est orienté vers l’action, car il fournit toujours les rapports financiers à temps et avec exactitude. Bon travail, Anthony!

[...]

 

[33] Le plaignant a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait lu l’exigence figurant sur le formulaire de candidature, selon laquelle, pour chaque critère essentiel, le candidat devait fournir des exemples et des détails clairs et concrets sur la date, le lieu et la façon dont il avait acquis l’expérience.

[34] Il a expliqué que, en ce qui concerne l’Exp. 3 (expérience de l’analyse financière et de la formulation de recommandations financières à l’intention de la direction), il estimait que sa réponse à la question complémentaire satisfaisait aux exigences. Cette réponse se lisait comme suit :

[Traduction]

En ma qualité de gestionnaire de programme à SPAC [Services publics et Approvisionnement Canada] (de septembre 2015 à décembre 2019), j’analysais régulièrement les renseignements financiers et je formulais ensuite des recommandations à l’intention de la direction. Par exemple, toutes les deux semaines, j’examinais tous les renseignements financiers contenus dans SAP. Après examen et analyse, je formulais des recommandations à l’intention de la direction. Le rapport mensuel du CGF [Comité de gestion des fonds] est un autre aspect pour lequel j’analysais les renseignements et je formulais des recommandations. En vue de l’élaboration de ce rapport, tous les renseignements financiers étaient examinés et analysés. D’après l’analyse, des recommandations étaient formulées quant à la question de savoir s’il était justifié de demander des fonds supplémentaires ou s’il y avait lieu de retourner des fonds, entre autres.

 

[35] En contre-interrogatoire, les avocats de l’intimé ont remis en question l’allégation du plaignant selon laquelle celui-ci avait examiné les renseignements financiers toutes les deux semaines, suggérant qu’il n’avait pas réellement exécuté les fonctions décrites dans sa réponse. Le plaignant n’était pas d’accord avec les avocats sur ce point et a déclaré qu’il avait effectué ces examens toutes les deux semaines, tel que cela avait été indiqué.

[36] La réponse du plaignant à la question complémentaire concernant l’Exp. 5 (expérience de la direction d’une équipe ou d’un projet) était la suivante :

[Traduction]

En ma qualité de gestionnaire de programme à SPAC (de septembre 2015 à décembre 2019), je dirigeais divers projets et diverses équipes. Dans le cadre de l’exercice de planification budgétaire que je pilotais, je rencontrais chaque personne afin d’examiner son projet. Tout d’abord, je mettais en place un plan me permettant de m’assurer que le projet serait achevé à temps. Des réunions régulières étaient prévues avec les CSC et leurs cadres afin de passer leur projet en revue et de cerner leurs besoins pour l’exercice à venir. En fin de compte, le projet était mené à bien.

Parmi les autres équipes et projets que j’ai dirigés, mentionnons la réunion mensuelle entre EDSC et SPAC. Lors des réunions, je suis le président et le chef de l’équipe. Je m’assure que les réunions sont menées de manière efficace et sans effort.

 

[37] En contre-interrogatoire, en ce qui concerne l’Exp. 5, les avocats de l’intimé ont laissé entendre au plaignant qu’il n’avait pas réellement exercé les fonctions décrites dans sa réponse et que ses réunions avec les conseillers des Services aux clients ne s’apparentaient pas à [traduction] « la direction d’une équipe ou d’un projet ». Le plaignant ne souscrivait pas à cette proposition.

[38] Le plaignant a témoigné en disant qu’on ne lui avait pas attribué toute l’étendue des fonctions du poste de gestionnaire de programme et que le travail qui lui était confié était le même que celui confié aux AS-03. Il estimait qu’il s’agissait d’une discrimination. Il avait le sentiment d’avoir été traité différemment au moment de la présélection de sa candidature, étant donné qu’aucun autre candidat n’avait fait l’objet du même examen minutieux auquel sa candidature a été soumise.

[39] En ce qui concerne son rendement, le plaignant a témoigné en disant qu’il a continuellement demandé des détails sur ses lacunes et sur la façon d’y remédier, mais qu’il n’a reçu aucune rétroaction constructive. Il estimait qu’en tant que personne noire, on attendait de lui qu’il n’accepte que le poste où l’intimé l’a placé. Il estimait qu’il n’était pas autorisé à exercer l’ensemble des fonctions énoncées dans la description de travail du gestionnaire de programme, parce qu’il est un homme noir.

[40] Il a expliqué à quel point il se sentait rabaissé, calomnié, dénigré et souillé par le processus. Il a témoigné en disant qu’à la fin de la discussion informelle, il était clair pour lui qu’il avait été ciblé et traité différemment. L’intimé n’a pas été en mesure de lui expliquer en quoi ses réponses aux questions concernant l’Exp. 3 et l’Exp. 5 ne satisfaisaient pas aux exigences. Il estimait avoir été traité comme s’il était [traduction] « moins qu’un être humain » et il a fait une analogie avec ce qui est arrivé à George Floyd, aux États‐Unis.

3. M. August

[41] M. August était membre du comité d’évaluation. Il a témoigné pour le compte de l’intimé. Son poste d’attache est celui de conseiller des Services aux clients de l’Unité des locaux, dont il faisait partie depuis le printemps 2019. Il a répondu à un appel d’intérêt lancé pour trouver des participants au comité d’évaluation aux fins du processus de sélection. Cette fonction l’intéressait, parce qu’il avait été membre de comités d’évaluation dans son ministère précédent avant d’entrer au service de TPSGC.

[42] Il y avait trois membres au sein du comité d’évaluation, dont la gestionnaire d’embauche. À l’étape de la présélection du processus de sélection, chaque membre a examiné les candidatures et a tranché individuellement sur l’issue de chacune.

[43] Il se souvenait d’avoir examiné le formulaire de candidature du plaignant. Il a conclu que ses réponses auraient dû être plus détaillées pour être satisfaisantes. Il n’était pas responsable de la décision définitive d’éliminer le plaignant du processus de sélection.

[44] Le plaignant a montré à M. August un échange de courriels datés des 14 et 15 octobre 2020 entre les Ressources humaines et Mme Hanlon concernant [traduction] « le cas du poste AS-04/présélection ». M. August n’était pas au courant de cet échange de courriels et n’a participé à aucune discussion sur le rendement du plaignant.

[45] M. August a témoigné en disant qu’il ne s’était appuyé sur aucune connaissance personnelle des candidats lorsqu’il a examiné leurs candidatures. Il était relativement nouveau à TPSGC et, même si lui et le plaignant s’étaient déjà croisés, leur interaction avait été purement collégiale et n’était pas sortie du cadre professionnel.

4. Mme Hanlon

[46] Mme Hanlon est actuellement gestionnaire régionale du Bureau de gestion de la qualité, région de l’Ontario, TPSGC. Elle occupe ce poste depuis mai 2018. Elle est chargée de la gestion globale des ressources humaines, des prévisions salariales et de la supervision des employés relevant d’elle directement. Elle était la gestionnaire d’embauche dans le cadre du processus de sélection en litige.

[47] Elle a suivi de nombreux cours sur la gestion de processus de sélection et a suivi une formation sur la partialité et la discrimination. Entre 2017 et 2022, elle a dirigé environ 15 processus de sélection. Dans un processus standard, une fois l’avis arrivé à échéance, le système électronique examine toutes les candidatures, puis les membres du comité d’évaluation examinent individuellement les candidatures et se réunissent pour discuter de leur décision.

[48] Elle et le plaignant ont été collègues en 2015, à l’époque où celui a eu sa première affectation à l’Unité des locaux dans le cadre d’un exercice de réaménagement des effectifs. Selon ce qu’elle en sait, le plaignant a postulé à quatre processus de sélection pour des postes AS-05 et AS-06. Elle a témoigné en disant s’être récusée de son propre chef de toute évaluation le concernant en 2018, en 2019 et en 2021, en raison d’une menace ou d’une accusation de harcèlement qu’il avait adressée contre elle et son superviseur.

[49] Toutefois, en ce qui concerne le processus de sélection en litige, elle n’estimait pas qu’il aurait été raisonnable ou éthique de se récuser. Elle a expliqué que le plaignant venait d’être rétrogradé de ce poste et qu’il aurait ainsi été déraisonnable qu’elle ne fournisse pas les renseignements sur son rendement dans ce poste.

[50] Les outils d’évaluation dans le cadre du processus de sélection étaient le formulaire de candidature, un examen, une entrevue et une vérification des références. Pour ce qui est de la candidature, le barème reposait sur la cote « Satisfait » ou de « Ne satisfait pas ». Il n’existait aucun autre critère aux fins de l’exercice de présélection des candidatures. La conseillère en dotation au sein du comité d’évaluation était Mme Louie. Mme Hanlon a consulté Mme Louie aussi souvent que nécessaire, parce que Mme Louie avait contribué à l’élaboration des outils d’évaluation et qu’elle travaillait en étroite collaboration avec le comité d’évaluation tout au long du processus.

[51] Les trois membres ont participé à l’exercice de présélection. Ils ont tous convenu que la candidature du plaignant ne répondait pas aux critères essentiels de l’Exp. 3 et de l’Exp. 5.

[52] En ce qui concerne l’Exp. 3, Mme Hanlon a expliqué que le plaignant n’avait fourni aucun détail sur le sujet qu’il avait amené et qu’elle a donc eu recours à sa connaissance personnelle pour essayer de comprendre ce à quoi il faisait référence. Elle a témoigné en disant que les fonctions n’avaient pas été attribuées au plaignant et qu’elle n’avait jamais reçu d’analyses hebdomadaires de sa part. Ils ont eu une discussion en janvier 2019, et ce n’est qu’en juin 2019 qu’elle a reçu des rapports bimensuels de sa part. Elle s’est fondée sur sa connaissance personnelle pour déterminer qu’il s’était mal acquitté de ces tâches. Elle a fourni des exemples très détaillés pour expliquer les lacunes dans son travail, ainsi que certains commentaires de personnes concernées.

[53] En ce qui concerne l’Exp. 5, elle ne comprenait pas la réponse du plaignant à la question complémentaire et elle s’en est donc remis à sa connaissance personnelle pour essayer de comprendre ce qu’il avait voulu dire. Selon sa connaissance personnelle, elle a conclu que la réponse du plaignant était incorrecte. Elle ne l’avait pas vu diriger un projet, et elle n’avait jamais entendu parler d’un exercice de planification budgétaire en tant que projet. Elle avait dirigé l’exercice de planification budgétaire, et elle avait fait le travail, et non le plaignant. Celui-ci avait simplement agi comme secrétaire. Elle avait conclu que son travail comportait des lacunes à cet égard. Par exemple, il avait mal rempli les formulaires et avait posé de nombreuses questions inutiles.

[54] Elle a témoigné en disant que les évaluations du rendement n’avaient pas servi d’outils dans le processus de sélection. Toutefois, dans le présent cas, elle a eu recours à sa connaissance personnelle du rendement du plaignant parce qu’elle avait eu une discussion informelle et formelle sur le contenu des réponses et elle savait que le plaignant n’exécutait pas les fonctions en question. À l’appui de ce témoignage, elle a fait référence à un courriel daté du 16 janvier 2019, qui résumait une réunion qu’elle avait eue avec lui au sujet de son plan d’action relatif au rendement. En ce qui concerne l’Exp. 3 et l’Exp. 5., elle avait consigné ce qui suit :

[Traduction]

[...]

· Anthony n’effectue pas l’examen hebdomadaire des prévisions, des budgets, des résultats réels et des engagements. Anthony prévoit d’entreprendre cette tâche chaque semaine à l’avenir. MESURE DE SUIVI – Anthony effectuera un examen hebdomadaire du programme (tous les crédits de financement) à compter de la semaine du 21 janvier

· La réunion de prévision d’EDSC n’a pas eu lieu depuis quelques mois. Il semble y avoir confusion sur ce dont EDSC a besoin, car il y a un nouveau produit livrable. Il convient de clarifier ce qu’EDSC exige, y compris les délais précis. MESURE DE SUIVI – Anthony assurera le suivi du nouveau produit livrable et organisera une réunion avec Brian, Natalie et la nouvelle personne-ressource d’EDSC afin de clarifier les renseignements requis.

[...]

 

[55] L’annonce est arrivée à échéance le 2 octobre 2020. Deux ou trois jours ouvrables plus tard, elle a reçu la liste des candidats et elle a constaté que le nom du plaignant y figurait. C’est à ce moment-là qu’elle a amorcé la discussion avec les Ressources humaines, laquelle a été résumée dans un courriel de Mme Louie à Mme Hanlon daté du 14 octobre 2020, comme suit :

[Traduction]

[...]

Tel que discuté, il est recommandé d’éliminer le candidat à l’étape de la présélection des candidatures.

Éléments à prendre en considération aux fins de l’élimination :

– en tant qu’ancienne gestionnaire du candidat, vous avez une connaissance pratique de son rendement et de ses capacités.

– l’une des raisons pour lesquelles il existe un dossier de RL concernant le candidat pour ce poste particulier au groupe et au niveau AS-04 est son rendement, qui a entraîné sa rétrogradation.

– le candidat peut répondre que « oui », il possède l’expérience demandée, sans nécessairement que cette expérience ait la profondeur et l’étendue que vous recherchez pour ce poste au groupe et au niveau AS‐04.

– le dossier de RL et la rétrogradation viennent d’être achevés et, par conséquent, le temps écoulé depuis ne suffit pas pour que le candidat ait pu acquérir l’expérience et suivre une formation, entre autres, pour atteindre le seuil correspondant au groupe et au niveau AS-04.

Recommandation

– l’éliminer à l’étape de la présentation des candidatures.

– assurer la cohérence des décisions – si vous savez que le candidat ne satisfait pas aux facteurs d’expérience, pourquoi lui permettre de passer à l’étape de l’évaluation (difficile à justifier plus tard au cours du processus de dotation).

– avoir une discussion informelle avant que les RH n’envoient au candidat les résultats de la présélection, peut-être par courriel afin de garder une trace de communication pour le dossier.

Veuillez me faire signe si vous souhaitez en discuter davantage.

[...]

 

[56] Mme Hanlon a témoigné en disant qu’elle avait offert du soutien au plaignant afin qu’il remédie à ses lacunes en matière de rendement. Plus particulièrement, elle avait fait venir le gestionnaire de programme de la région de l’Ouest de l’intimé pour qu’il le forme pendant trois jours complets. Elle avait continué de discuter avec lui des priorités auxquelles il devait s’attaquer dans la gestion de ses tâches, mais il avait tout son soutien et la formation.

[57] Elle ne souscrivait pas au point de vue du plaignant selon lequel les renseignements qu’elle avait utilisés pour l’exclure du processus de sélection étaient partiaux et inexacts. Il n’avait pas répondu aux questions de manière approfondie et ses réponses étaient fausses. Par exemple, si les tâches affectées nécessitent cinq étapes, et qu’une personne n’en entreprend que deux, cette personne ne peut pas dire en toute honnêteté qu’elle possède l’expérience demandée.

[58] Selon elle, tout a été effectué de manière ouverte, juste, transparente et équitable. Elle n’a pas traité le plaignant différemment de n’importe quel autre candidat. Elle a nié l’avoir exclu du processus de sélection en raison de la couleur de sa peau.

[59] En contre-interrogatoire, elle a expliqué qu’elle avait communiqué avec les Ressources humaines lorsqu’elle avait reçu la liste des candidats et qu’elle avait vu le nom du plaignant sur la liste. Elle ne s’est pas récusée du processus de sélection parce que le plaignant avait été rétrogradé du même poste trois semaines auparavant, et qu’il était donc important pour elle de faire part des faits pertinents dans le cadre du processus. Elle avait l’obligation de le faire, afin d’assurer l’exactitude des renseignements. Elle ne se souvenait pas du nombre de personnes qui, parmi les 41 autres candidats, avaient fait l’objet de discussions entre elle et les Ressources humaines. Elle a eu recours à ce qu’elle savait personnellement des candidats qu’elle connaissait. Toutefois, elle n’a pris aucune mesure pour valider les réponses de tout autre candidat.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[60] En plus de ses plaidoiries, le plaignant a fait référence aux cas suivants : Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29; Snelgrove c. Sous‐ministre des Pêches et des Océans, 2013 TDFP 35; Fang c. Administrateur général (ministère de l’Industrie) et Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2023 CRTESPF 52; et Premakumar c. Air Canada, 2002 CanLII 23561 (TCDP).

[61] Le plaignant a soutenu qu’il ne voulait rien d’autre qu’être traité équitablement. Cependant, il a été calomnié, souillé et dénigré. Dans le cadre du processus de sélection, l’intimé a évalué son rendement et non son expérience. L’intimé a confondu expérience et rendement. À l’appui de cet argument, le plaignant a fait référence à la section de la [traduction] « Réponse de l’administrateur général » (RAG) qui reconnaissait l’Exp. 3 et l’Exp. 5 étaient en fait des fonctions de son poste antérieur de gestionnaire de programme, classé au groupe et au niveau AS-04. Il a également fait référence au courriel des Ressources humaines qui recommandait qu’il soit éliminé du processus, en raison de son rendement.

[62] Le plaignant a fait valoir que Mme Hanlon aurait dû se récuser de l’évaluation de sa candidature en raison de leurs rapports conflictuels passés. Elle a plutôt sciemment choisi de faire partie du comité d’évaluation et d’examiner tout particulièrement sa candidature. Invoquant Denny, le plaignant a soutenu que la participation de Mme Hanlon rendait le processus de sélection injuste et partial, étant donné qu’elle était en situation de conflit d’intérêts. Selon lui, les faits de son cas ressemblent étrangement à ceux de Denny. L’intimé a manqué à son devoir de mener un processus de nomination juste.

[63] Le processus de sélection n’était pas transparent. Le plaignant a demandé des renseignements sur la personne nommée, plus particulièrement si la personne nommée avait été traitée de la même façon qu’il l’avait été, mais il n’a reçu aucun renseignement de la part de l’intimé. Il y a un voile de secret. Il a fait valoir que le fait que des renseignements pertinents ne lui ont pas été communiqués témoigne du manque de transparence.

[64] Il a soutenu qu’il n’y avait pas de bonne foi dans le processus de sélection. L’intimé souhaitait obtenir un résultat particulier, sans se soucier de la façon d’y arriver. Mme Hanlon a demandé l’accord des Ressources humaines pour l’exclure du processus. Aucune loi ne l’empêchait de postuler à un emploi au gouvernement fédéral, et le fait qu’il a été rétrogradé ne l’empêchait pas de postuler. Faisant référence à l’extrait suivant du courriel des Ressources humaines : [traduction] « [...] le dossier de RL et la rétrogradation viennent d’être achevés et, par conséquent, le temps écoulé depuis ne suffit pas pour que le candidat ait pu acquérir l’expérience et suivre une formation, entre autres, pour atteindre le seuil correspondant au groupe et au niveau AS‐04 », le plaignant a soutenu qu’il s’agissait clairement d’un cas d’abus de pouvoir.

[65] En ce qui concerne la question relative à la discrimination, il a soutenu que l’intimé ne l’avait pas autorisé à exercer les fonctions de supervision de son poste, même s’il avait travaillé pendant 14 ans en tant que superviseur. Il était la seule personne dans ce rôle qui n’était pas autorisée à exercer les fonctions de supervision. D’autres personnes qui occupaient le poste par intérim étaient autorisées à superviser. Il était la seule personne noire et il n’était pas autorisé à superviser. L’intimé l’a traité différemment à partir du moment où il a commencé à travailler à l’Unité des locaux, en 2015. Il a probablement été la première et la seule personne rétrogradée à TPSGC. Encore une fois, il a demandé des renseignements sur les personnes qui avaient été rétrogradées et il n’a reçu aucune réponse de la part de l’intimé. Il estimait qu’il avait été traité comme un lépreux et comme s’il était moins qu’un humain, alors que, selon ce qu’il a déclaré, il était [traduction] « simplement un homme noir qui essayait de gagner sa vie ». Il a été traité différemment par la voie d’une rétrogradation du poste AS-04 au poste AS-02.

[66] À titre de réparation, il devrait avoir droit à des dommages en vertu de la LCDP. Il a fait valoir que la Commission devrait accorder plusieurs types de réparations, comme l’a fait le Tribunal canadien des droits de la personne dans Premakumar.

B. Pour l’intimé

[67] En plus de ses plaidoiries, l’intimé a invoqué les cas suivants : Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618; Bah c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2022 CRTESPF 55; Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2012 TDFP 17; Charter c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 48; Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTEFP 33; Jalal c. le sous ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 38; Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11; Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684; Murray c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2009 TDFP 33; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536; Portree c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2006 TDFP 14; et Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24.

[68] L’abus de pouvoir est une allégation très grave qui ne doit pas être formulée à la légère. Un plaignant doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir. Le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que le résultat du processus de sélection était injuste, que les méthodes d’évaluation étaient déraisonnables ou que l’intimé avait fait preuve de discrimination à son égard.

[69] Le rôle de la Commission ne consiste pas à enquêter ou à réévaluer les candidats. Un simple désaccord quant au résultat ne constitue pas un abus de pouvoir.

[70] Les deux membres du comité d’évaluation qui ont témoigné ont tous deux convenu que le plaignant n’avait pas fourni suffisamment de renseignements dans ses réponses aux questions complémentaires pour l’Exp. 3 et l’Exp. 5, ce qui a entraîné son élimination du processus de sélection. Mme Hanlon a témoigné en disant qu’elle s’est appuyée sur sa connaissance personnelle pour essayer de comprendre ses réponses aux deux questions. Selon sa connaissance personnelle, elle savait que ses réponses n’étaient pas exactes. Les membres du comité d’évaluation disposent d’une large marge de manœuvre pour évaluer ce qui constitue une réponse satisfaisante (voir Drozdowski, aux par. 36 et 51).

[71] Le recours à la connaissance personnelle constitue une méthode d’évaluation acceptable (voir Visca, aux par. 53 et 54). L’intimé a soutenu que les candidats et candidates ont été informés au moyen de l’APE que plusieurs moyens d’évaluation seraient utilisés. Par conséquent, le plaignant aurait dû savoir que Mme Hanlon connaîtrait la qualité de ses réponses.

[72] L’intimé a fait une distinction avec les faits du cas Snelgrove et a soutenu que, dans le présent cas, les membres du comité d’évaluation ont évalué le plaignant de façon indépendante. Rien dans les éléments de preuve n’indique qu’il y a eu une influence indue sur les autres membres du comité d’évaluation. Dans Snelgrove, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a conclu que les membres du comité d’évaluation n’avaient pas agi de façon indépendante. Les éléments de preuve dans le présent cas indiquent qu’ils ont fait une évaluation indépendante de la candidature du plaignant.

[73] Citant Denny, l’intimé a soutenu que le plaignant n’avait pas satisfait au critère applicable pour établir une crainte raisonnable de partialité. Les faits qui ont mené à une conclusion de partialité dans Denny n’existent pas dans le présent cas. Dans Denny, la conclusion de partialité était fondée sur un historique d’animosité entre le plaignant et le membre du comité d’évaluation, ainsi que sur la conclusion selon laquelle l’évaluation elle-même était viciée.

[74] Les faits du présent cas sont semblables à ceux dans De Souza c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2023 CRTESPF 114, dans lequel la Commission a conclu que la relation tendue entre le plaignant et le gestionnaire d’embauche, compte tenu du fait que le plaignant avait occupé le poste par intérim pendant six ans, ne suffisait pas pour percevoir de la partialité.

[75] L’intimé n’a pas contesté le fait que la relation entre Mme Hanlon et le plaignant était tendue, mais il a soutenu que ce fait en soi ne suffisait pas à percevoir de la partialité. Mme Hanlon a évalué le plaignant de manière équitable. Elle a fondé sa décision sur ses réponses à l’Exp. 3 et à l’Exp. 5. M. August a également confirmé ce fait dans son témoignage. Le fait que Mme Hanlon se soit récusée dans d’autres processus ne satisfait pas au critère de la crainte raisonnable de partialité. Elle a fait preuve de transparence au sujet de sa relation de travail avec le plaignant et elle a communiqué avec le personnel des Ressources humaines pour s’assurer que sa décision était appropriée. Elle n’était pas tenue de se récuser.

[76] En ce qui concerne la discrimination, le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination. Le critère est établi dans Simpsons-Sears. De plus, dans Bah, la Commission a conclu que les éléments de preuve doivent présenter un rapport tangible avec la décision contestée. Comme dans Brown (aux par. 47 et 48), le plaignant devait quand même démontrer l’existence d’un lien pour établir une preuve prima facie. Il n’a pas démontré l’existence d’un lien entre sa race et sa couleur et la décision de l’éliminer du processus de sélection. Cette décision reposait uniquement sur ses réponses aux questions de présélection.

[77] L’intimé a fait une distinction entre les deux cas invoqués par le plaignant à l’appui de son argument de discrimination, à savoir Fang et Premakumar. Dans Fang, il y avait des éléments de preuve établissant clairement les critiques à l’égard des compétences linguistiques du plaignant, et les compétences en anglais de ce dernier avaient joué dans la décision en litige. Rien dans les éléments de preuve n’indique que les caractéristiques personnelles du plaignant ont joué un rôle quelconque dans la décision de l’éliminer. Contrairement à ce qui avait été fourni dans Premakumar, le plaignant n’a présenté aucune preuve statistique. L’intimé a reconnu qu’il avait demandé des renseignements sur le nombre de candidats noirs pris en considération dans le processus de sélection. Toutefois, il n’avait pas ces renseignements, étant donné que l’auto-identification était volontaire.

C. Pour la CFP

[78] Comme je l’ai indiqué, aucun représentant de la CFP n’a assisté à l’audience. Celle-ci a plutôt présenté des arguments écrits sur ses politiques et ses lignes directrices. J’ai examiné les arguments et en ai tenu compte, au besoin. La CFP a fait référence aux cas suivants concernant la question de la discrimination : Spruin c. Sous ministre de l’Emploi et du Développement social, 2019 CRTESPF 33, au par. 21; Meneguzzi c. Directeur des poursuites pénales, 2019 CRTESPF 77, aux par. 100 à 114; Kasongo c. Financement agricole Canada, 2005 TCDP 24, au par. 21; Abi‐Mansour c. Sous‐ministre de la Justice, 2021 CRTESPF 16, aux par. 97 à 101; et Premakumar, au par. 78.

IV. Motifs et questions en litige

[79] Je dois trancher les deux questions suivantes :

1) L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’endroit du plaignant fondée sur la race et la couleur dans son évaluation de sa candidature?

 

2) Le plaignant a-t-il abusé de son pouvoir dans son évaluation du plaignant?

 

A. Faits saillants

[80] L’intimé a affiché l’APE pour le poste de gestionnaire de programme, Locaux à bureaux, classé au groupe et au niveau AS-04, dans son unité de gestion des locaux à Toronto. Le plaignant a occupé ce poste jusqu’en septembre 2020, moment auquel l’intimé l’a rétrogradé et a lancé le processus de sélection afin de doter le poste pour une durée indéterminée.

[81] Le processus de sélection était ouvert aux personnes employées dans la fonction publique occupant un poste dans la région du Grand Toronto ainsi qu’aux vétérans et aux membres des FAC admissibles.

[82] La gestionnaire d’embauche et présidente du comité d’évaluation dans le cadre du processus de sélection était Mme Hanlon, qui était également la supérieure du plaignant. En tant que supérieure du plaignant, elle avait une connaissance personnelle de son rendement et a aussi joué un rôle déterminant dans sa rétrogradation.

[83] L’intimé a utilisé le formulaire de candidature comme outil d’évaluation des candidats en fonction des six critères d’expérience essentiels, selon le barème « Satisfait » ou « Ne satisfait pas ». La rubrique d’évaluation figurait dans le questionnaire : les candidats et candidates devaient fournir des exemples et des détails clairs et concrets, y compris la date, le lieu et la façon dont ils avaient acquis l’expérience.

[84] Je conclus que les réponses du plaignant à toutes les questions sur les critères d’expérience essentiels étaient d’une longueur, d’une ampleur et d’une étendue semblables. Sur les six critères d’expérience, le comité d’évaluation a estimé que seulement deux des réponses du plaignant étaient inacceptables. La rubrique d’évaluation décrite au dernier paragraphe ne laisse pas deviner ce qui a fait que le comité d’évaluation a retenu la cote « Satisfait » ou « Ne satisfait pas » aux critères.

[85] M. August a témoigné en disant avoir jugé que les réponses du plaignant n’étaient suffisamment détaillées, sans toutefois être en mesure d’expliquer en quoi la qualité de ses réponses à l’Exp. 3 et à l’Exp. 5 différait de celle de ses réponses aux autres questions que le comité d’évaluation avait jugé acceptables.

[86] M. August n’était pas au courant de la discussion entre Mme Hanlon et l’agent des ressources humaines au sujet de la rétrogradation du plaignant depuis le poste à doter.

[87] Mme Hanlon a témoigné en disant qu’elle croyait que le plaignant n’avait pas répondu avec sincérité aux deux questions parce qu’elle savait qu’il n’exerçait pas les fonctions en question. En ce qui concerne l’Exp. 3, elle a expliqué que le plaignant n’avait fourni aucun détail et qu’elle avait dû s’en remettre à la connaissance personnelle qu’elle avait de son travail pour comprendre sa réponse. Voici les questions et les réponses relatives à l’Exp. 3 :

[Traduction]

Question

La réponse du plaignant

Possédez-vous une expérience de l’analyse financière et de la formulation de recommandations financières à l’intention de la direction?

Oui.

Dans l’affirmative, en 400 mots maximum, veuillez fournir des EXEMPLES et des DÉTAILS clairs et concrets, y compris LA DATE, LE LIEU et LA FAÇON DONT vous avez acquis l’expérience.

En ma qualité de gestionnaire de programme à SPAC (de septembre 2015 à décembre 2019), j’analysais régulièrement les renseignements financiers et je formulais ensuite des recommandations à l’intention de la direction. Par exemple, toutes les deux semaines, j’examinais tous les renseignements financiers contenus dans SAP. Après examen et analyse, je formulais des recommandations à l’intention de la direction. Le rapport mensuel du CGF est un autre aspect pour lequel j’analysais les renseignements et je formulais des recommandations. En vue de l’élaboration de ce rapport, tous les renseignements financiers étaient examinés et analysés. D’après l’analyse, des recommandations seraient formulées quant à la question de savoir s’il était justifié de demander des fonds supplémentaires ou s’il y avait lieu de retourner des fonds, entre autres.

 

[88] Selon Mme Hanlon, il était nécessaire pour elle d’avoir recours à sa connaissance personnelle des fonctions du plaignant pour comprendre ce à quoi il faisait référence, parce que sa réponse ne donnait aucun détail du sujet analysé. S’en remettant à sa connaissance personnelle, elle a supposé que le plaignant faisait référence au rapport du Comité de gestion des fonds (CGF). Elle a expliqué ne jamais avoir reçu de rapports hebdomadaires de la part du plaignant, simplement une déclaration qui ne lui fournissait pas suffisamment de renseignements pour comprendre les tendances. Elle a témoigné en disant que les personnes concernées avaient systématiquement rejeté ses rapports du CGF, les jugeant insatisfaisants, au point où ils l’ont informée qu’ils n’accepteraient plus les rapports provenant du plaignant.

[89] En ce qui concerne l’Exp. 5, elle a témoigné en disant que la réponse du plaignant était inexacte, parce qu’elle ne l’avait jamais vu diriger un projet, et parce qu’un exercice de planification budgétaire ne constituait pas un projet. Dans ce dernier cas, il avait simplement agi comme secrétaire et, même en cette qualité, il lui avait posé de nombreuses questions, ce qui laissait entendre, à son avis, qu’il n’avait pas examiné en détail les lettres d’appel.

[90] Elle a témoigné en disant que les évaluations du rendement n’étaient pas prises en compte dans l’exercice de présélection, mais elle a reconnu avoir discuté des détails dans les réponses fournies pour l’Exp. 3 et l’Exp. 5 avec le plaignant dans le cadre d’examens du rendement formels et informels.

[91] En contre-interrogatoire, elle a reconnu qu’elle souscrivait à la déclaration suivante dans la RAG :

[Traduction]

[...]

En fin de compte, lorsque Mme Hanlon a examiné la candidature du plaignant, elle ne pouvait faire abstraction du fait que celui-ci ne satisfaisait pas à deux des critères d’expérience susmentionnés. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, elle a géré son rendement dans le poste durant deux ans et a déterminé qu’il n’avait pas exercé certaines des fonctions demandées, comme celles de l’E3 et de l’E5 dans le cadre du processus de nomination. Par conséquent, même si ces critères d’expérience décrivaient en fait des fonctions de son poste précédent, la gestionnaire subdélégataire a éliminé le plaignant à l’étape de la présélection parce qu’elle savait qu’il n’avait pas exercé ces fonctions. Compte tenu du moment auquel le plaignant a été rétrogradé à un poste de niveau inférieur, il aurait été déraisonnable pour Mme Hanlon d’inclure le plaignant tout en sachant qu’il n’avait pas exécuté ces fonctions.

[...]

 

B. Aucune preuve prima facie de discrimination.

[92] Selon l’article 80 de la LEFP, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’elle décide si une plainte déposée en vertu de l’article 77 est fondée. Les deux dispositions de la LCDP qui s’appliquent dans le présent contexte sont les articles 3 et 7. L’article 3 de la LCDP énumère plusieurs motifs de distinction illicites, y compris la race, l’origine nationale et l’origine ethnique. Selon l’article 7 de la LCDP, le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi, par des moyens directs ou indirects, s’il est fondée sur un motif de distinction illicite, est un acte discriminatoire. L’article 3 de la LCDP énumère plusieurs motifs de distinction illicites, y compris la race, l’origine nationale et l’origine ethnique.

[93] Le plaignant a allégué qu’il avait été victime de discrimination fondée sur la race et la couleur. Même s’il n’a pas clairement énoncé cet aspect de sa plainte, j’ai compris que cette allégation et les éléments de preuve que le plaignant a fournis par l’entremise de Mme Jean-Baptiste s’apparentaient davantage à une allégation de discrimination raciale systémique. Plus particulièrement, il a allégué ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Les renseignements utilisés pour m’exclure du processus étaient partiaux, inexacts et hautement préjudiciables. Selon les renseignements recueillis lors de l’échange de renseignements et d’une discussion informelle, j’ai découvert que j’ai été traité différemment de tous les autres candidats. Des renseignements fournis laissent entendre que la réussite de la personne dans l’expérience a été prise en considération, alors que cela n’aurait pas dû être le cas. Par exemple, si une personne a de l’expérience dans la conduite d’un véhicule à moteur et que l’exigence est que la personne possède une telle expérience, on ne peut pas revenir en arrière et dire après coup qu’il fallait que la personne n’ait pas de points d’inaptitude. Il aurait fallu que l’annonce précise que la personne devait ne pas avoir de points d’inaptitude pour que ce fait puisse être un motif d’élimination. De même, l’exigence aurait dû préciser qu’il fallait que la personne ait exercé avec succès les fonctions et décrire ce qui était entendu par « avec succès ». L’exigence demandait de l’expérience dans ce qui précède et je possédais cette expérience. Par conséquent, compte tenu du fait que j’ai exercé les fonctions du poste, que j’ai indiqué avoir exercé les fonctions du poste et que mon expérience n’a pas été contestée, je n’aurais pas dû être éliminé du processus.

[Je mets en évidence]

[...]

 

[94] Mme Jean-Baptiste a témoigné en disant qu’elle a commencé à subir de la négativité en milieu de travail lorsqu’elle a commencé à relever de Mme Hanlon, et qu’elle a été mise à l’écart dans son unité de travail et menacée de rétrogradation. Elle estimait que l’expérience négative vécue sous la supervision de Mme Hanlon était fondée sur la race.

[95] L’intimé a nié cette allégation et a déclaré qu’une personne noire faisait partie du comité d’évaluation, et que la personne nommée fait partie des minorités visibles. L’intimé a soutenu en outre que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination.

[96] Je rejette les deux premières raisons données par l’intimé pour répondre à l’allégation de discrimination raciale. Toutefois, je suis d’accord avec l’intimé pour dire que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination.

[97] Qu’il s’agisse d’une allégation de discrimination personnelle ou d’une allégation de discrimination systémique, le critère est le même : le plaignant devait d’abord établir, au moyen de ses éléments de preuve, une preuve prima facie de discrimination. Une fois cette preuve établie, le fardeau de la preuve aurait été transféré à l’intimé afin qu’il établisse que sa décision reposait sur un motif raisonnable et non discriminatoire (voir Spruin, au par. 21; et Fang, au par. 132).

[98] Une preuve prima facie dans le contexte de la discrimination est la preuve qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, justifie une conclusion en faveur du plaignant, en l’absence de réplique raisonnable de l’intimé (voir Simpsons-Sears, au par. 28).

[99] Afin d’établir une preuve prima facie de discrimination, un plaignant doit d’abord établir trois choses : a) qu’il possède une caractéristique protégée contre la discrimination, b) qu’il a subi un effet préjudiciable et c) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (voir Fang, au par. 131).

[100] Même si le seuil à atteindre pour établir une preuve prima facie est bas, le plaignant doit néanmoins présenter des éléments de preuve tangibles liés à l’activité alléguée. La preuve ne peut pas être simplement fondée sur la croyance du plaignant (voir Abi-Mansour, aux par. 97 à 101; et Bah, au par. 246).

[101] Dans le présent cas, je conclus que les deux premiers éléments requis pour établir une preuve prima facie sont présents. Toutefois, il n’existe aucun élément de preuve à l’appui du troisième. À part la croyance du plaignant, il n’existe aucun élément de preuve qui permet de démontrer un lien entre la race ou la couleur du plaignant et son élimination du processus de sélection à la suite de la décision de l’intimé, selon laquelle il ne satisfaisait pas à l’Exp. 3 ni à l’Exp. 5.

[102] Même si j’accepte le fait que la relation entre la gestionnaire d’embauche et le plaignant était (et demeure peut-être) difficile, aucun élément de preuve ne permet d’établir que la race ou la couleur ont été un facteur dans l’évaluation de la candidature du plaignant.

[103] Le plaignant a fait valoir qu’il était le seul titulaire du poste qui n’était pas autorisé à exercer ses fonctions de supervision, et que c’était en raison de sa race et de sa couleur. Je comprends que cet argument mène logiquement à la conclusion qu’il ne possédait pas l’expérience de supervision exigée selon l’Exp. 5, ce qui serait incompatible avec sa position selon laquelle il satisfaisait à ce critère d’expérience essentielle.

[104] Je conclus que les cas invoqués par le plaignant se distinguent en fonction des faits. Dans Fang et Premakumar, il existait des éléments de preuve tangibles à l’appui de l’allégation de discrimination.

[105] Je conclus que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race dans le contexte de l’évaluation de sa candidature dans le cadre du processus de sélection. Je n’estime pas que l’intimé a abusé de son pouvoir au regard de cette allégation.

C. Abus de pouvoir dans l’évaluation du plaignant

[106] Mon rôle ne consiste pas à réévaluer les qualités du plaignant. J’ai plutôt pour tâche d’examiner s’il y a eu abus de pouvoir dans la façon dont le comité d’évaluation a évalué sa candidature (voir Portree, aux par. 48 et 56).

[107] Selon les éléments de preuve, je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la candidature du plaignant, et ce, de trois façons. En premier lieu, la participation de Mme Hanlon à l’évaluation de la candidature du plaignant soulevait une crainte raisonnable de partialité. En deuxième lieu, l’intimé a abusé de son pouvoir en appliquant de façon incohérente les outils d’évaluation à l’étape de la présélection du processus de sélection. En troisième lieu, il a abusé de son pouvoir en exerçant son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation dans une intention illégitime en vue d’obtenir le résultat visé.

[108] Le critère standard concernant la partialité est le critère de la crainte raisonnable de partialité. En termes simples, un observateur relativement renseigné, informé de tous les faits et circonstances pertinents, qui étudierait la question en profondeur, pourrait raisonnablement percevoir de la partialité de la part du décideur? (Voir Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, et Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve [Board of Commissioners of Public Utilities], [1992] 1 R.C.S. 623.)

[109] Dans Denny, le Tribunal a réitéré que les membres du comité d’évaluation ont le devoir d’agir de manière juste et de pratiquer une évaluation impartiale. Le comité d’évaluation manque à ce devoir d’agir de manière juste « [s]i un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’un ou de plusieurs membres du comité d’évaluation [...] »; (voir Denny, au par. 126). Le manquement au devoir d’agir de manière juste dans le cadre d’un processus de dotation constitue un abus de pouvoir (voir Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, au par. 71).

[110] Dans Drozdowski, la Commission a souligné les différences dans la terminologie utilisée en français et en anglais quant au critère de la crainte raisonnable de partialité dans les cas de dotation et a reformulé le critère comme suit : « [...] si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir la partialité chez une ou plusieurs des personnes responsables de l’évaluation, la Commission peut conclure à l’existence d’un abus de pouvoir » (voir Drozdowski, au par. 26).

[111] Dans Tibbs c. Canada (Défense nationale), 2006 TDFP 8 (un cas charnière tranché sous le nouveau régime de dotation adopté dans la LEFP), le Tribunal a fait remarquer que le législateur n’avait pas l’intention d’imposer une définition statique de l’abus de pouvoir. Lorsqu’il a examiné les paramètres de ce qui constitue un abus de pouvoir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire des gestionnaires de la fonction publique en matière de dotation, le Tribunal a examiné les principes fondamentaux du droit administratif et de la jurisprudence et a reconnu cinq catégories d’abus de pouvoir, comme suit :

[70] [...]

 

1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

3. Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

 

D. Crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation du plaignant

[112] Le plaignant a fait valoir que Mme Hanlon aurait dû se récuser de l’évaluation de sa candidature en raison de leur relation empreinte de rancune, ainsi que des plaintes en instances contre elle.

[113] Pour sa part, l’intimé a soutenu que Mme Hanlon n’était pas tenue de se récuser de l’évaluation de la candidature du plaignant. De fait, Mme Hanlon a témoigné en disant qu’elle avait l’obligation éthique d’avoir recours à sa connaissance personnelle du rendement du plaignant pour évaluer la candidature de ce dernier.

[114] Ces arguments soulèvent la question de savoir si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir que la participation de Mme Hanlon à l’évaluation du plaignant soulèverait une crainte raisonnable de partialité.

[115] Selon les éléments de preuve dont je dispose, je conclus qu’il existait une crainte raisonnable de partialité.

[116] L’intimé m’a renvoyée à Drozdowski à l’appui de sa position. Contrairement à Drozdowski, un cas dans lequel la gestionnaire s’était récusée de l’évaluation du plaignant, Mme Hanlon a sciemment participé à l’évaluation dans le présent cas. M. August a témoigné en disant que, même s’il estimait que les réponses du plaignant à l’Exp. 3 et à l’Exp. 5 manquaient de détails, il n’était pas, en fin de compte, responsable de la décision de l’éliminer.

[117] Les deux parties ont invoqué Denny. Dans Denny, le Tribunal a conclu que les relations conflictuelles passées entre le plaignant et la personne qui avait administré l’examen pratique donnaient une apparence de partialité et que le devoir de mener un processus de nomination juste n’avait pas été rempli (voir Denny, au par. 133).

[118] L’intimé a soutenu que De Souza est directement pertinente dans le présent cas. Je ne suis pas du même avis.

[119] Les faits dans De Souza semblent semblables aux faits dans le présent cas, en ce sens que le plaignant avait occupé par intérim le poste à pourvoir, pendant une longue période. Toutefois, la similitude s’arrête là. Dans ce cas, la Commission a conclu que, même si le ton des échanges de courriels entre le plaignant et le gestionnaire d’embauche était moins que cordial, il ne s’agissait pas d’un signe d’animosité. La Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 45 :

[45] Bien que le ton du courriel envoyé par le gestionnaire délégué laissait à désirer, je n’y vois pas un signe de l’animosité qu’allègue le plaignant. J’estime que l’absence d’un véritable dialogue entre le plaignant et le gestionnaire délégué – et non une partialité à l’égard du plaignant – est à la source de la frustration et de l’impatience communiquées implicitement par le biais du courriel du gestionnaire délégué.

[Je mets en évidence]

 

[120] Dans le présent cas, il était manifeste que la relation entre le plaignant et la gestionnaire d’embauche allait bien au-delà de la frustration et de l’impatience. Il existait une reconnaissance mutuelle implicite du conflit entre eux.

[121] Je conclus que les faits et les éléments de preuve dans le présent cas soutiennent la conclusion selon laquelle un observateur relativement bien renseigné, informé de toutes les circonstances, pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez la gestionnaire d’embauche dans son rôle d’évaluation de la candidature du plaignant. La gestionnaire d’embauche n’aurait pas pu évaluer objectivement ses réponses.

[122] Je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir.

E. Le recours à la connaissance personnelle en tant qu’outil d’évaluation dans le cadre de la présélection constituait un abus de pouvoir

[123] Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en le traitant différemment des autres candidats.

[124] Je suis du même avis. Les éléments de preuve établissent que l’intimé a utilisé des renseignements officiels et officieux relatifs à l’évaluation du rendement, tirés de la connaissance personnelle de la gestionnaire d’embauche, pour évaluer la candidature du plaignant, mais qu’il n’en a pas fait de même pour les autres candidats.

[125] L’intimé a nié avoir traité le plaignant différemment. Cependant, il n’existait aucun élément de preuve à l’appui de sa position. Il a soutenu qu’il avait le droit d’avoir recours à la connaissance personnelle qu’il avait du rendement du plaignant au travail pour évaluer sa candidature. Rien dans les éléments de preuve ne laissait entendre que l’évaluation du rendement au travail avait été utilisée pour évaluer un autre candidat.

[126] L’intimé a invoqué Visca pour faire valoir que les membres du comité d’évaluation pouvaient se servir de leur connaissance personnelle pour évaluer un candidat et que la gestionnaire d’embauche a dûment exercé son pouvoir discrétionnaire en ayant recours à sa connaissance personnelle pour évaluer la candidature du plaignant.

[127] Dans Visca, le Tribunal a conclu que le plaignant aurait dû s’attendre à ce que le membre du comité d’évaluation se serve ou puisse se servir de sa connaissance personnelle pour évaluer sa candidature. Dans ce cas, l’annonce de possibilité d’emploi précisait que les qualités essentielles seraient évaluées par différents moyens et qu’il y aurait des vérifications individuelles des références auprès du gestionnaire actuel et des gestionnaires précédents. Malgré sa conclusion selon laquelle il n’y avait eu aucun abus de pouvoir dans le recours à la connaissance personnelle du membre du comité d’évaluation, au paragraphe 56, le Tribunal a donné la mise en garde suivante :

[56] Le Tribunal estime que l’utilisation des termes « divers moyens » dans l’annonce était suffisamment large pour englober les méthodes d’évaluation choisies dans le processus de nomination en espèce. Même si les faits en l’occurrence ne mènent pas à une conclusion d’abus de pouvoir, le fait d’informer les personnes qui seront évaluées, en temps utile, des méthodes d’évaluation utilisées, notamment la connaissance personnelle, pourraient éviter des allégations de cette nature. Par ailleurs, il importe de faire preuve d’une grande prudence et faire en sorte que la connaissance que possède un membre du comité de sélection au sujet du candidat concerne les critères de mérite évalués, et soit traitée comme une vérification des références.

[Je mets en évidence]

 

[128] Je souscris à la mise en garde du Tribunal dans Visca.

[129] Dans le présent cas, l’APE informait expressément les candidats que plusieurs méthodes d’évaluation seraient utilisées et que les candidats seraient informés de la méthodologie d’évaluation tout au long du processus de sélection, par exemple sur l’affiche aux fins de la présélection. Rien dans les éléments de preuve n’indique que l’intimé a informé les candidats, à l’étape de l’évaluation et de la présélection, que la connaissance personnelle constituerait l’un des outils d’évaluation ou que des renseignements officiels et officieux relatifs à l’évaluation du rendement seraient utilisés.

[130] L’intimé a plutôt informé les candidats que les qualités essentielles liées à l’expérience seraient évaluées dans le cadre de leur candidature.

[131] Invoquant Drozdowski, l’intimé a soutenu que le comité d’évaluation doit jouir d’une certaine liberté pour déterminer ce qui constitue des réponses satisfaisantes (voir Drozdowski, au par. 36).

[132] Toutefois, je suis d’accord avec le plaignant pour dire qu’une distinction peut être faite entre Drozdowski et le présent cas. Dans Drozdowski, il était manifeste qu’il existait une clé de correction et une échelle de notation. La Commission était convaincue que, d’après les éléments de preuve, la notation des examens du plaignant dans ce cas n’avait pas été arbitraire. Elle a conclu que les notes du plaignant étaient conformes à l’échelle de notation et aux notes indiquées dans les examens du plaignant.

[133] Dans le présent cas, il n’y avait aucun élément de preuve de ce type qui me permettrait de parvenir à la même conclusion que celle tirée dans Drozdowski. Les éléments de preuve dans le présent cas permettent d’établir que les deux membres du comité d’évaluation qui ont témoigné ont donné deux explications différentes pour lesquelles le plaignant n’a pas satisfait à l’Exp. 3 et à l’Exp. 5. M. August a témoigné en disant qu’il a conclu que les réponses du plaignant manquaient de détails, et Mme Hanlon a témoigné en disant que les réponses manquaient de détails et que, d’après la connaissance personnelle qu’elle avait du travail du plaignant, elle savait que ses réponses n’étaient pas véridiques.

[134] Selon l’intimé, les réponses du plaignant à l’Exp. 3 et à l’Exp. 5 étaient incompréhensibles, de sorte que la gestionnaire d’embauche a dû se servir de sa connaissance personnelle pour comprendre ses exemples. M. August a témoigné en disant que les réponses du plaignant manquaient de détails. Comme je l’ai déjà mentionné, les réponses du plaignant à toutes les questions relatives à l’expérience étaient de même longueur et présentaient le même degré de détail, mais le comité d’évaluation les a jugées satisfaisantes pour les autres critères relatifs à l’expérience.

[135] Selon le résumé de présélection du comité d’évaluation, six candidats, dont le plaignant, ne satisfaisaient pas à l’Exp. 3, et seul le plaignant ne satisfaisait pas à l’Exp. 5.

[136] Je ne dispose d’aucun élément de preuve à l’appui de la position de l’intimé. Par exemple, il aurait pu déposer en preuve des échantillons des réponses auxquelles a été attribuée la cote « Satisfaisant » et auxquelles a été attribuée la cote « Non satisfaisant », à des fins de comparaison avec les réponses du plaignant. De plus, il aurait pu facilement anonymiser les réponses de ceux qui n’ont pas satisfait à l’Exp. 3 pour étayer sa position. De même, il aurait pu anonymiser une réponse à l’Exp. 5 pour démontrer le caractère inadéquat de celle du plaignant.

[137] D’après l’ensemble des éléments de preuve présentés, je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir en traitant le plaignant différemment à l’étape de la présélection du processus de sélection, en ayant recours à la connaissance personnelle de la gestionnaire d’embauche, alors que ni la connaissance personnelle ni les renseignements relatifs à l’évaluation du rendement n’ont été utilisés pour les autres candidats. En arrivant à ma conclusion sur ce point, j’ai tenu compte de la mise en garde du Tribunal dans Visca, susmentionné, selon laquelle le recours à la connaissance personnelle dans un processus d’évaluation se faire d’une manière qui respecte la valeur de la transparence. Je conclus que l’intimé n’a pas respecté cette valeur.

F. L’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation dans une intention illégitime

[138] La première catégorie d’abus de pouvoir énoncé dans Tibbs a lieu lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime, incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes.

[139] D’après l’ensemble des éléments de preuve, je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime.

[140] Ayant rétrogradé le plaignant du poste, l’intimé ne s’attendait pas à ce que le plaignant fasse partie des candidats. Mme Hanlon a témoigné franchement en disant que, lorsqu’elle a vu le nom du plaignant sur la liste des candidats après la première présélection automatisée, elle a immédiatement communiqué avec son conseiller en ressources humaines pour discuter de cette candidature dans le processus de sélection. Les détails de sa discussion avec ce conseiller ont été consignés dans le courriel daté du 14 octobre 2020, comme suit :

[Traduction]

[...]

Tel que discuté, il est recommandé d’éliminer le candidat à l’étape de la présélection des candidatures.

Éléments à prendre en considération aux fins de l’élimination :

– en tant qu’ancienne gestionnaire du candidat, vous avez une connaissance pratique de son rendement et de ses capacités.

l’une des raisons pour lesquelles il existe un dossier de RL concernant le candidat pour ce poste particulier au groupe et au niveau AS‐04 est son rendement, qui a entraîné sa rétrogradation.

– le candidat peut répondre que « oui » , il possède l’expérience demandée, sans nécessairement que cette expérience ait la profondeur et l’étendue que vous recherchez pour ce poste au groupe et au niveau AS-04.

– le cas de RL et la rétrogradation viennent d’être achevés et, par conséquent, le temps écoulé depuis ne suffit pas pour que le candidat ait pu acquérir l’expérience et suivre une formation, entre autres, pour atteindre le seuil correspondant au groupe et au niveau AS-04.

Recommandation

– l’éliminer à l’étape de la présentation des candidatures.

– assurer la cohérence des décisions – si vous savez que le candidat ne satisfait pas aux facteurs d’expérience, pourquoi lui permettre de passer à l’étape de l’évaluation (difficile à justifier plus tard au cours du processus de dotation).

– avoir une discussion informelle avant que les RH n’envoient au candidat les résultats de la présélection, peut-être par courriel afin de garder une trace de communication pour le dossier.

Veuillez me faire signe si vous souhaitez en discuter davantage.

[...]

[Je mets en évidence]

 

[141] L’objectif de l’intimé était d’éliminer le plaignant du processus de sélection parce qu’il avait été rétrogradé du poste. La recommandation de [traduction] « l’éliminer à l’étape de la présentation des candidatures » signifiait que l’intimé devait trouver une raison à invoquer à l’étape de la présélection pour réaliser cet objectif.

[142] L’article 36 de la LEFP autorise l’intimé à « [...] avoir recours à toute méthode d’évaluation, notamment la prise en compte des réalisations et du rendement antérieur [...] » qu’elle estime indiquée. L’intimé a soutenu que la connaissance personnelle d’un membre d’un comité d’évaluation constitue une méthode d’évaluation acceptée (voir Visca, aux par. 53 et 54) et que, par conséquent, il était approprié pour Mme Hanlon d’avoir recours à sa connaissance personnelle du rendement du plaignant pour évaluer sa candidature.

[143] J’accepte le fait que l’intimé disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour choisir une méthode d’évaluation. Toutefois, son pouvoir discrétionnaire n’était pas sans entraves. Le préambule de la LEFP adhère à la valeur de la transparence dans les pratiques d’emploi, ce qui est pris en compte dans les résultats attendus de la Politique de nomination de la CFP exigeant que les processus de nomination soient menés de façon juste, transparente et de bonne foi.

[144] Je conclus que le recours à la connaissance personnelle dans ce contexte constituait un prétexte ayant manqué de transparence. Ce qui s’est produit dans le présent cas illustre parfaitement la première des cinq catégories d’abus de pouvoir que le Tribunal a décrites dans Tibbs.

[145] Je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir en exerçant son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation dans une intention illégitime.

V. Conclusion

[146] Dans le présent cas, je conclus que l’intimé a manqué à son devoir de mener un processus d’évaluation juste et qu’il a abusé de son pouvoir, pour trois raisons.

[147] En premier lieu, les relations conflictuelles mutuellement reconnues entre le plaignant et Mme Hanlon soulevaient une crainte raisonnable que cette dernière ne soit pas impartiale dans l’évaluation des réponses du plaignant, d’autant plus qu’elle avait joué un rôle important dans sa rétrogradation du même poste tout juste avant le processus de sélection.

[148] En deuxième lieu, Mme Hanlon a envisagé et rejeté l’idée de se récuser de l’évaluation, parce qu’elle croyait avoir l’obligation éthique de communiquer sa connaissance personnelle de la situation professionnelle du plaignant dans le cadre de sa candidature. Pour ce motif, l’intimé a traité le plaignant différemment des autres candidats à l’étape de présélection du processus de sélection, en ayant recours à la connaissance personnelle de renseignements officiels et officieux relatifs à l’évaluation du rendement.

[149] En troisième lieu, l’intimé a abusé de son pouvoir en exerçant son pouvoir discrétionnaire en matière de dotation dans une intention illégitime. Il souhaitait éliminer le plaignant du processus de sélection parce que celui-ci avait récemment été rétrogradé du poste à doter. Le moyen d’y parvenir était d’éliminer sa candidature à l’étape de la présélection.

[150] Je conclus que l’intimé a abusé de son pouvoir en manquant à son devoir d’agir de manière juste dans le cadre du processus de sélection.

VI. Mesures correctives

[151] Avant d’aborder les aspects relatifs aux mesures correctives dans la présente plainte, je tiens à faire deux remarques. Tout d’abord, le bon sens semble dicter qu’une personne faisant preuve d’un bon jugement ne soumettrait pas sa candidature en réponse à un processus pour un poste duquel elle a été récemment rétrogradée. Toutefois, bon sens ou non, comme l’a fait remarquer le plaignant, aucune loi ne lui interdisait de présenter sa candidature dans le cadre du processus de sélection. Il l’a fait, et sa candidature devait être évaluée avec la même objectivité que celle avec laquelle l’intimé a évalué toutes les autres candidatures.

[152] En deuxième lieu, j’accepte le fait qu’il incombait au plaignant d’établir les allégations. Toutefois, dans un système dans lequel tous les renseignements pertinents sont entre les mains de l’intimé, le régime législatif a prévu des mécanismes permettant aux plaignants de réunir les éléments de preuve pertinents pour étayer leurs allégations. Par exemple, l’article 47 de la LEFP prévoit une discussion informelle qui permet à un plaignant éventuel de recueillir des renseignements sur la raison pour laquelle il a été éliminé du processus. Cet outil est précieux non seulement pour le processus de plainte, mais il sert également à informer la personne de ce qu’elle pourrait faire différemment dans un processus de sélection futur.

[153] Une fois qu’une plainte a été déposée, les articles 16 et 17 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6) prévoient des outils supplémentaires permettant à un plaignant de recueillir des renseignements. L’article 16 exige que les parties se communiquent tous les renseignements pertinents relatifs à la plainte, et l’article 17 autorise à la Commission à rendre une ordonnance de communication de renseignements, à la demande d’une partie. Comme dans le cas de la procédure de divulgation préalable à l’audience dans les affaires concernant les relations de travail, la norme est la pertinence potentielle des renseignements demandés par rapport aux allégations. Le plaignant a tiré parti de ces outils, avec un certain succès.

[154] À l’audience, il a fait valoir que les renseignements pertinents ne lui ont pas été communiqués. À la suite d’une demande de communication de renseignements présentée en novembre 2023, l’intimé a fourni au plaignant le courriel du 14 octobre 2020 qui résumait la discussion entre les Ressources humaines et Mme Hanlon concernant l’élimination du plaignant à l’étape de la présentation des candidatures. Ce document pertinent n’a pas été fourni au plaignant pendant la période d’échange de renseignements. L’intimé a affirmé avoir limité sa recherche de documents pertinents au dossier de dotation. À mon avis, cette situation montre que la portée et la recherche de renseignements potentiellement pertinents doivent aller au-delà du simple dossier de dotation.

[155] L’article 81 de la LEFP définit la portée du pouvoir de redressement de la Commission lorsqu’une plainte est accueillie. Le Commission peut ordonner à la CFP ou à l’administrateur général de révoquer une nomination ou de s’abstenir de faire une nomination et prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées. Les mesures correctives prises par la Commission peuvent comprendre une ordonnance de redressement en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP. L’intimé a cité Cameron dans ses arguments. Dans ce cas, la Cour fédérale a examiné la portée du pouvoir de redressement de la Commission (alors le Tribunal) et a expliqué que la lecture combinée des articles 77, 81 et 82 indique que toute mesure corrective ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet de la plainte devant la Commission (voir Cameron, aux par. 15 à 18).

[156] La grande majorité de la jurisprudence de la Commission à ce jour semble indiquer qu’il n’existe pas de recours financier pour les plaintes en matière de dotation. Toutefois, dans la décision récente Harnois c. Administrateur général (Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2024 CRTESPF 106, la Commission a fait remarquer que l’attribution de dommages à titre de mesure corrective dans le cadre de la LEFP a rarement été demandée ou considérée et a jugé que, lorsque les abus de pouvoir sont si flagrants, cette question requiert de s’y pencher sérieusement.

[157] Je suis du même avis.

[158] Le plaignant a demandé que la Commission révoque la nomination, lui accorde des dommages en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP et lui accorde un redressement comme celui accordé dans Premakumar. Premakumar portait sur la discrimination. Compte tenu de ma conclusion concernant l’allégation de discrimination, je n’ai pas besoin d’examiner des mesures correctives liées à la discrimination.

[159] En ce qui concerne la révocation, le plaignant n’a pas contesté l’évaluation de la personne nommée par l’intimé ni allégué que la personne nommée n’était pas qualifiée pour le poste. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères de mérite. La révocation ne constitue donc pas une mesure corrective appropriée.

[160] Compte tenu de la nature des abus de pouvoir établis dans le présent cas, ainsi que des éléments de preuve présentés par le plaignant concernant les conséquences de son élimination du processus, j’estime qu’il convient d’envisager d’autres mesures correctives pour les préjudices causés par les abus de pouvoir qui ont eu lieu dans le cadre du processus.

[161] J’adopte l’approche de la Commission dans Harnois, puisque je n’ai pas entendu les arguments des parties sur mon pouvoir de prendre des mesures correctives portant réparation des préjudices causés au plaignant en raison des abus de pouvoir établis dans ce processus de dotation. Plus particulièrement, je convoquerai de nouveau les parties à une audience dans les mois à venir afin que soient présentés des arguments sur la possibilité d’attribution de dommages à titre de mesure corrective dans le présent cas.

[162] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[163] La plainte est accueillie.

[164] Je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la candidature du plaignant.

[165] La Commission convoquera de nouveau les parties à une audience dans un avenir proche afin que soient présentés des arguments sur la possibilité d’attribution de dommages à titre de mesure corrective dans la présente plainte.

Le 17 octobre 2024.

Traduction de la CRTESPF

Caroline Engmann,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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