Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a déposé un grief contre la décision du défendeur de la mettre en congé non payé en vertu de l’application de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 pour l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada – le défendeur a soulevé une objection préliminaire au motif que le grief avait été déposé tardivement au premier palier – la demanderesse a allégué que son grief était continu et a demandé une prorogation de délai en vertu de l’article 61b) du Règlement – la Commission a conclu que le grief n’était pas continu – elle a appliqué les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et a conclu qu’il était dans l’intérêt de l’équité d’accorder la prorogation – elle a conclu que l’injustice potentielle pour la demanderesse l’emportait sur tout préjudice causé au défendeur, que la demanderesse avait fait preuve de diligence une fois le grief déposé, et que le retard d’un mois n’était pas excessif.

Demande accueillie.
Objection rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20241028

Dossier: 568-02-49651

XR: 566-02-46493 et 46494

 

Référence: 2024 CRTESPF 150

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

NICOLE HUSKA

demanderesse

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Statistique Canada)

 

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Statistique Canada)

 

défendeurs

Répertorié

Huska c. Conseil du Trésor (Statistique Canada)

Affaire concernant une demande de prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Brian Russell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Chantale Mercier, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour les défendeurs : Erin Saso

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 17 février 2023 et le 20 février, le 28 mars,

le 26 avril et les 24 et 30 mai 2024.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Le 17 janvier 2023, Nicole Huska (la « demanderesse ») a renvoyé un grief à l’arbitrage auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Le grief a été renvoyé en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »); par conséquent, deux dossiers ont été créés. La demanderesse a allégué une violation de l’article 19, intitulé « Élimination de la discrimination », et de l’article 6, intitulé « Responsabilités de la direction », de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (PA) qui a expiré le 20 juin 2021 (la « convention collective des PA ») (dossier 566-02-46493 de la Commission) et une mesure disciplinaire ayant entraîné un licenciement, une suspension, une rétrogradation ou une sanction pécuniaire (dossier 566-02-46494 de la Commission).

[2] Le grief porte sur la décision de Statistique Canada (le « défendeur ») de rejeter la demande de mesures d’adaptation de la demanderesse, pour des motifs religieux, relativement à sa Politique sur la vaccination contre la COVID-19 pour l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique »).

[3] Le 17 février 2023, le défendeur a accusé réception du renvoi à l’arbitrage et a soulevé une objection préliminaire selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief parce qu’il est hors délai. Le défendeur a demandé que l’affaire soit rejetée sans tenir d’audience, pour défaut de compétence.

[4] Les parties ont été invitées à présenter des arguments écrits supplémentaires sur la question du respect des délais, ce qu’elles ont fait. En réponse à l’objection préliminaire du défendeur, la demanderesse a soutenu que le grief a été déposé en temps opportun parce qu’il est de nature continue et, à titre subsidiaire, elle a déposé une demande de prorogation du délai.

[5] La présente décision porte sur deux questions préliminaires : la question de savoir si le grief est de nature continue et la demande de prorogation du délai.

[6] Conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le grief n’est pas de nature continue. Toutefois, j’accueille la demande de prorogation du délai de la demanderesse, par souci d’équité.

II. Contexte

[8] La Politique est entrée en vigueur le 6 octobre 2021. En vertu de celle-ci, la demanderesse avait jusqu’au 29 octobre 2021 pour attester de son statut vaccinal.

[9] Le 29 octobre 2021, la demanderesse a demandé une exemption de la Politique, pour des motifs religieux.

[10] Le 14 février 2022, le défendeur a informé la demanderesse que sa demande avait été rejetée. Il lui a donné une date limite du 15 mars 2022 pour se conformer à la Politique, sinon elle serait placée en congé administratif non payé (CNP) à compter de la même date. Elle ne s’est pas conformée à la Politique et a été mise en CNP.

[11] Le 5 mai 2022, la demanderesse a déposé son grief, qui énonce ce qui suit : [traduction] « Je conteste par la présente le fait qu’on m’ait refusé une exemption religieuse conformément à la politique de vaccination obligatoire. » La mesure corrective demandée est la suivante : [traduction] « Que l’on m’accorde une exemption religieuse à la politique de vaccination obligatoire. Que je sois indemnisée intégralement. »

III. Résumé de l’argumentation

A. Grief continu

1. Pour la demanderesse

[12] La demanderesse soutient que le grief est continu et qu’il a donc été déposé en temps opportun. Selon elle, bien qu’elle ait d’abord été placée en CNP le 15 mars 2022, elle était toujours absente du lieu de travail en CNP lorsque le grief a été déposé le 5 mai 2022.

[13] La demanderesse soutient en outre que l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective des PA liait le défendeur à une obligation récurrente d’interdire la discrimination et le harcèlement. Elle soutient que la question de la mesure d’adaptation est demeurée [traduction] « active » puisqu’elle n’a pas fait l’objet de mesures d’adaptation.

2. Pour le défendeur

[14] Le défendeur soutient que le grief n’est pas continu. La décision du 14 février 2022 de rejeter la demande d’exemption religieuse de la demanderesse était distincte et non répétée et ne peut pas être qualifiée de violation récurrente de la convention collective des PA. Selon lui, la décision était une action unique qui s’est avéré avoir des conséquences continues.

[15] Le défendeur soutient que le fait que les conséquences de sa décision aient pu être continues pour la demanderesse ne rend pas le grief continu.

[16] Pour appuyer sa position, le défendeur cite Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93.

[17] Enfin, le défendeur soutient que si l’argument de la demanderesse selon lequel le grief est de nature continue est accepté, toute réparation devrait être limitée aux 25 jours précédant la date à laquelle il a été déposé.

B. La demande de prorogation de délai

[18] Les deux parties soutiennent que Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, fait autorité pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai. Cette décision décrit les critères suivants :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable de la demanderesse;

· l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur si la demande est accueillie;

· les chances de succès du grief.

 

1. Pour la demanderesse

[19] La demanderesse soutient que lorsqu’elle a fait droit à des demandes récentes de prorogation de délai, la Commission a adopté une approche plus équilibrée à l’égard des critères Schenkman. Elle a cité à titre d’exemples Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, et Noor c. Conseil du Trésor (Services aux Autochtones Canada), 2023 CRTESPF 86.

[20] La demanderesse soutient que la demande devrait être accueillie conformément à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), par souci d’équité.

[21] Les arguments de la demanderesse relatifs aux critères Schenkman sont les suivants.

a. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[22] La demanderesse soutient qu’elle a continuellement essayé de concilier le fait de se conformer à la Politique, mais qu’elle n’a pas pu se résoudre à le faire en raison de ses origines autochtones. De plus, les délais de la procédure de règlement des griefs n’étaient pas [traduction] « une priorité » pour les raisons suivantes :

· Le défendeur ne lui a pas fourni, à elle et à sa cohorte, qui a été embauchée en même temps qu’elle, une intégration appropriée ou un accès à l’information et au soutien de l’agent négociateur, et les décisions et l’orientation qu’il a offertes n’étaient pas claires.

· Elle a contracté la COVID-19 en mars 2022 et a demandé au défendeur si l’immunité acquise serait suffisante pour ne pas avoir à être placée en CNP.

· Elle a subi beaucoup de stress lorsque des membres de sa famille sont tombés malades et que ses liquidités ont diminué. Son conjoint a été frappé par un conducteur en état d’ébriété en mars 2021, souffre toujours d’un syndrome post-commotionnel et ne peut plus travailler.

· Elle est la seule source de revenu de la famille et la principale responsable de trois adolescents.

· Elle continue de travailler à distance depuis son bureau en Colombie-Britannique avec une équipe basée à Ottawa, en Ontario.

 

b. Durée du retard

[23] La demanderesse soutient que la durée du retard, qui était de 30 jours après l’expiration du délai prescrit dans la convention collective des PA, n’est pas significative.

c. Diligence raisonnable de la demanderesse

[24] La demanderesse soutient qu’elle a été engagée tout au long de la procédure de règlement des griefs et qu’elle a soumis des addenda dans le cadre de l’escalade de son grief aux dates suivantes :

· le 13 juin 2022;

· le 12 juillet 2022;

· le 8 octobre 2022;

· le 1er novembre 2022.

 

d. Équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice subi par le défendeur

[25] La demanderesse fait valoir que la demande de prorogation de délai devrait être accueillie, par souci d’équité. Selon elle, étant donné les allégations de discrimination et de mesures disciplinaires, le fait de ne pas faire entendre sa cause entraînerait des répercussions importantes. Elle soutient que sa situation est similaire à celle de Noor.

e. Chances de succès

[26] La demanderesse soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas où le fait d’accueillir la demande ne servirait à rien parce qu’il n’y a aucune chance de succès ou parce que le grief est frivole ou vexatoire.

[27] Pour appuyer sa position selon laquelle la demande devrait être accueillie, la demanderesse cite Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18; Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59; et Duncan c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 75.

2. Pour le défendeur

[28] Le défendeur soutient que la demande de prorogation de délai devrait être rejetée conformément aux critères établis par la jurisprudence de la Commission. Il soutient que la Commission a le pouvoir d’accorder une prorogation de délai dans l’intérêt de l’équité en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement et que leur octroi devrait être l’exception. Pour appuyer sa position, le défendeur cite Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39; et Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92.

[29] Le défendeur soutient également que, à plusieurs reprises, la Commission a jugé que les critères de Schenkman n’ont pas toujours la même importance et que l’importance de chaque critère doit être examinée en fonction des faits de chaque cas. À l’appui de son argument, il cite Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81.

a. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[30] Selon le défendeur, la demanderesse n’a pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard dans le dépôt du grief. Il ne conteste pas qu’elle a dû prendre une décision difficile pour décider si elle devait se conformer à la Politique, mais, selon lui, aucun éclaircissement n’a été donné sur les raisons pour lesquelles elle a tardé à déposer son grief dans le délai prescrit. Il soutient qu’aucune explication n’a été fournie quant à ce qui s’est passé pendant le retard et qu’elle n’a pas été empêchée de déposer un grief; elle ne l’a tout simplement pas déposé dans le délai prescrit. Le défendeur soutient que le fait d’accorder une prorogation de délai qui n’est pas fondée sur une justification solide du retard reviendrait à ne pas respecter le paragraphe 90(1) du Règlement et il cite Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2011 CRTFP 68, à l’appui de sa position.

b. Durée du retard

[31] Le défendeur soutient que le grief a été déposé plus d’un mois civil après le délai prévu dans la convention collective des PA. Bien que le délai ne soit pas considéré comme long, il n’amoindrit pas la norme par rapport à laquelle la raison du retard est évaluée.

c. Diligence raisonnable de la demanderesse

[32] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable dans la poursuite du grief.

d. Équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice subi par le défendeur

[33] Le défendeur soutient que ce facteur ne devrait pas avoir beaucoup de poids parce que la demanderesse n’a pas établi de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard ou qu’elle a agi avec diligence raisonnable. Selon le défendeur, conformément à Grouchy, il a droit à une certaine certitude de savoir que les conflits de travail seront réglés en temps opportun.

[34] Le défendeur soutient en outre qu’il incombe à la demanderesse d’établir l’existence d’une injustice. Si la question était de la plus haute importance pour elle, elle aurait fait un effort plus diligent pour s’assurer que le grief soit déposé en temps opportun.

e. Chances de succès

[35] Le défendeur soutient qu’il est difficile, à ce stade, d’analyser les chances de succès du grief parce que la preuve n’a pas été présentée.

IV. Motifs

A. Les questions

[36] La présente demande de prorogation de délai soulève les deux questions suivantes :

1) Le présent grief est-il de nature continue?

2) Si le grief n’est pas continu, la Commission devrait-elle exercer les pouvoirs que lui confère l’alinéa 61b) du Règlement et accueillir la demande?

 

1. Le grief est-il de nature continue?

[37] La demanderesse a soutenu que le grief est continu parce que la décision du défendeur de rejeter sa demande d’exemption religieuse le 14 février 2022 a contrevenu à plusieurs reprises à l’article sur l’élimination de la discrimination de la convention collective des PA, et elle a ressenti l’impact de la violation au fil du temps.

[38] Le défendeur a soutenu que la décision de rejeter la demande de la demanderesse était distincte et non répétée et que le fait que les conséquences de sa décision aient pu être continues ne fait pas en sorte que le grief soit de nature continue. Je suis d’accord.

[39] Dans Bowden, la question de savoir si un grief était de nature continue a été examinée. On y lit ce qui suit :

[…]

[35] L’arbitre de différends dans British Columbia v. B.C.N.U. (1982), 5 L.A.C. (3d) 404, s’est fondé sur la définition d’un grief continu énoncé dans l’ouvrage Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration du professeur Gorsky, à la page 35, comme suit :

[Traduction]

[…] La récurrence du dommage ne rend pas un grief isolé continu. Il faut que la partie qui manque à ses engagements manque à une obligation récurrente. Lorsque cette obligation existe à un certain intervalle et que la partie y manque chaque fois, il y a un manquement « continu » et la période de limitation du délai de contestation ne commence qu’avec le manquement le plus récent. Quand il n’y a pas d’obligation pareille et que le préjudice ne fait que continuer ou s’aggraver sans autre manquement, le grief est isolé et la période de limitation commence à partir du premier manquement, quel que soit le préjudice subi.

[36] Dans Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of the Attorney General), 2003 CanLII 52888 (ON GSB), l’arbitre de différends a posé la question à laquelle il faut répondre : [traduction] « Est-ce qu’il [le grief] concerne une conduite continue plutôt qu’un acte qui a des conséquences continues? »

[…]

 

[40] Baker c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 34, décrit le critère pour un grief continu comme suit :

[…]

15 On reconnaît généralement, dans la jurisprudence arbitrale, que les griefs continus sont ceux qui allèguent des manquements répétitifs à la convention collective plutôt que d’une violation unique ou isolée. Le critère appliqué par les arbitres consiste à déterminer s’il y a eu manquement périodique à une obligation et non seulement des dommages répétitifs […]

[…]

 

[41] Dans Baker, il y a eu des violations présumées de la convention collective à cinq reprises, et il n’y a pas eu de dommages récurrents. La décision du défendeur du 14 février 2022 était distincte et n’a pas été répétée. Le fait que la demanderesse ait ressenti ses conséquences pendant une longue période n’a pas fait en sorte que le grief soit continu.

[42] Étant donné que j’ai conclu que le grief n’est pas continu, il n’y a pas lieu d’examiner l’argument du défendeur selon lequel la réparation est limitée aux 25 jours précédant la date de dépôt du grief.

2. La Commission devrait-elle exercer les pouvoirs que lui confère l’alinéa 61b) du Règlement et accueillir la demande?

[43] Ayant conclu que le grief n’est pas continu, la demande de prorogation de délai devrait-elle être accordée? Par souci d’équité, je crois qu’elle devrait être accordée, pour les raisons exposées ci-après.

[44] L’article 18 de la convention collective des PA décrit la procédure de règlement des griefs et les délais connexes. La clause 18.15 indique ceci :

18.15 Un employé-e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause 18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief. L’employeur peut présenter un grief de principe de la manière prescrite par la clause 18.04 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé de vive voix ou par écrit ou à laquelle il prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief de principe.

18.15 A grievor may present a grievance to the first level of the procedure in the manner prescribed in clause 18.08, not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which the grievor is notified or on which the grievor first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance. The Employer may present a policy grievance in the manner prescribed in clause 18.04 not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which the Employer is notified orally or in writing or on which the Employer first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the policy grievance.

 

[45] L’alinéa 61b) du Règlement confère à la Commission le pouvoir de proroger les délais de dépôt d’un grief et stipule ce qui suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

(a) soit par une entente entre les parties;

a) by agreement between the parties; or

(b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

[Je mets en évidence]

 

 

[46] Comme les deux parties l’ont souligné, pour déterminer si une telle demande devrait être accueillie, la Commission tiendra compte des cinq critères suivants, énoncés dans Schenkman :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable de la demanderesse;

· l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit le défendeur si une prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

 

[47] La jurisprudence de la Commission présente deux tendances en ce qui concerne les demandes de prorogation de délai. Elles sont décrites dans Van de Ven et dans Noor comme suit :

1) une raison claire et logique justifiant le retard a préséance sur les autres critères; ou

2) une approche plus équilibrée est préférable pour évaluer les critères Schenkman.

 

[48] Je préfère utiliser une approche plus équilibrée pour évaluer les critères énoncés dans Schenkman en ce qui concerne la présente demande. L’adoption de cette approche des critères est plus conforme à l’exigence selon laquelle « l’intérêt de l’équité » guide l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire.

1. Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[49] Le défendeur a indiqué que la demanderesse n’avait pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard. Elle a indiqué que les délais de présentation des griefs n’étaient pas [traduction] « une priorité » pour plusieurs raisons, notamment le fait qu’elle a contracté la COVID-19 en mars 2022 et qu’elle a demandé des conseils sur l’immunité acquise, et qu’elle a subi du stress en raison du fait que des membres de sa famille ont contracté des maladies, que son conjoint a été frappé par un conducteur en état d’ébriété, qu’elle est le principal fournisseur de soins et qu’elle a subi des pressions financières. Je fais remarquer qu’elle n’a pas expliqué comment l’une ou l’autre de ces raisons l’a empêchée de déposer son grief dans le délai imparti. Par conséquent, j’accorde un certain poids à ce facteur en faveur du défendeur.

2. Durée du retard

[50] Sur le formulaire de grief, la demanderesse a indiqué que le 14 février 2022 était la date à laquelle elle avait pris connaissance pour la première fois de l’acte qui a donné lieu au grief. Elle a déposé son grief le 4 mai 2022, soit 30 jours ouvrables après la date limite prescrite dans la convention collective des PA. Trente jours ouvrables ne constituent pas un retard important. Après avoir examiné la jurisprudence de la Commission en ce qui concerne la durée du retard, je constate que la Commission a accordé des demandes de prorogation de délai pour des retards beaucoup plus longs. À ce titre, j’accorde à ce facteur un poids en faveur de la demanderesse.

3. Diligence raisonnable de la demanderesse

[51] Sur la base des arguments des parties, je conclus que la demanderesse a fait preuve de diligence. Elle a soumis des addenda dans le cadre de l’escalade de son grief à quatre reprises. Ce facteur pèse en sa faveur.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice subi par le défendeur si la demande est accueillie

[52] Le présent cas est similaire à celui de Noor. J’estime que l’injustice causée à la demanderesse serait plus grande si la demande était rejetée que ne le serait le préjudice que subirait le défendeur si elle était accueillie.

[53] Le présent grief allègue une violation de l’article 19, intitulé « Élimination de la discrimination », et de l’article 6, intitulé « Responsabilités de la direction », de la convention collective des PA, et une mesure disciplinaire ayant donné lieu à un licenciement, à une suspension, à une rétrogradation ou à une sanction pécuniaire. La prétendue violation de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation fondée sur la religion et la perte de salaire ont eu une incidence importante sur la demanderesse. Si l’affaire n’était pas entendue, elle n’aurait aucun autre recours.

[54] Le défendeur a cité Grouchy pour étayer sa position selon laquelle il a droit à une certaine certitude de savoir que les conflits de travail seront réglés en temps opportun. Bien que je sois d’accord avec le défendeur pour dire qu’il a droit à cette certitude, il n’a fourni aucune preuve du préjudice qu’il subirait si la demande était accueillie.

[55] Je conclus que ce facteur a un poids important en faveur de la demanderesse.

5. Les chances de succès du grief

[56] Comme les parties l’ont indiqué, il est difficile d’évaluer ce facteur parce que la preuve quant au fond du grief n’a pas été présentée. Par conséquent, j’accorde très peu de poids à ce facteur.

[57] Je conclus qu’il est dans l’intérêt de l’équité d’accueillir la demande de prorogation de délai. L’injustice potentielle à l’égard de la demanderesse l’emporte sur tout préjudice causé au défendeur. La demanderesse a fait preuve de diligence une fois le grief déposé, et la durée du retard n’était pas excessive.

[58] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[59] L’objection du défendeur est rejetée. La demande de prorogation du délai est accueillie. Le grief sera soumis à une audience conformément au processus d’établissement du calendrier de la Commission.

Le 28 octobre 2024.

Traduction de la CRTESPF

Brian Russell,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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