Dossier: 585-02-49004
AFFAIRE CONCERNANT
LA LOI SUR LES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LE SECTEUR PUBLIC FÉDÉRAL
et un différend entre
l’Association des pilotes fédéraux du Canada, l’agent négociateur,
et le Conseil du Trésor, l’employeur,
relativement à l’unité de négociation composée de l’ensemble du groupe Navigation aérienne (AO)
Devant : Brian Keller, président
Scott Streiner, personne nommée par le Conseil du Trésor
Phillip Hunt, personne nommée par l’agent négociateur
Pour l’agent négociateur : Stephen Hewitt, Phillipe Morchain, Andrew Stirling, Ron Graham, Greg Holbrook, Sean Yim et Justin Miller
Pour l’employeur : Daniel Asselin, Jacques Lauoert et Michael Gager
Affaire entendue à Ottawa les 4 et 5 septembre 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
Décision arbitrale
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(Traduction de la CRTESPF)
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[1] La présente décision arbitrale porte sur le renouvellement de la convention collective conclue par l’employeur et l’Association. La convention collective précédente a été imposée aux parties à la suite d’une décision d’arbitrage de différends et elle couvrait la période du 26 janvier 2015 au 25 janvier 2023.
[2] Les questions qui étaient en litige et qui ont été renvoyées à ce conseil d’arbitrage, mais qui n’ont pas été traitées dans la présente décision, ne sont pas tranchées.
[3] La présente décision repose sur l’examen par le conseil d’arbitrage des arguments des parties en vertu de l’article 148 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »). De plus, les diverses considérations traditionnellement invoquées par les arbitres de l’arbitrage de différends ont joué un rôle central dans notre détermination des questions en litige. En particulier, lorsqu’elle a élaboré la présente décision, le conseil d’arbitrage a conclu que la question du recrutement et du maintien en poste de personnes compétentes exige une attention particulière et a joué un rôle central dans nos délibérations et dans la présente décision.
[4] Le principe de la répétition constitue un facteur primordial des décisions arbitrales depuis de nombreuses années. En termes simples, le principe de la répétition exige qu’un arbitre ou un conseil d’arbitrage se mette à la place des parties et tente de reproduire ce que les parties auraient fait si elles avaient pu conclure une convention collective librement négociée. Il est bien sûr impossible de déterminer précisément ce que les parties ont pu convenir, mais il est possible de parvenir à certaines conclusions fondées sur les négociations passées entre les parties.
[5] Dans le présent cas, le conseil d’arbitrage a examiné l’historique des négociations entre les parties depuis une décision rendue par l’arbitre de différends George Adams en 2003. Nous notons qu’à partir de cette date jusqu’à présent, les conventions collectives ont été conclues à la fois par arbitrage de différends et au moyen de règlements librement négociés. C’est à partir de cet historique des négociations que le conseil d’arbitrage a pu tirer certaines conclusions pour tenter de reproduire ce que les parties auraient librement négocié.
[6] La première conclusion est que, en règle générale, les augmentations salariales générales pour ce groupe ont suivi les augmentations salariales générales pour l’administration publique centrale. La deuxième conclusion est que les parties, et les arbitres de différends, ont tenu compte des caractéristiques particulières et précises de ce groupe et ont prévu une rémunération supplémentaire dans des domaines particuliers et pour répondre à des besoins précis lorsque cela était justifié, compte tenu de critères législatifs précis.
[7] Afin de comprendre pourquoi une rémunération supplémentaire a été accordée au moment où elle l’a été, il est important de comprendre la composition de l’unité de négociation, le bassin de recrutement et le rôle joué par ses membres.
[8] Le groupe AO comprend des postes qui concernent principalement les inspections de l’aviation, les tests en vol de pilote, la remise de permis, l’application de la réglementation, la certification des exploitants, la certification d’aéronefs, les tests en vol d’aéronefs et l’élaboration de normes d’opérations. Les parties s’entendent pour dire que le groupe AO joue un rôle important, sinon vital, pour assurer la sécurité de l’industrie de l’aviation au Canada.
[9] Les fonctions des membres de cette unité de négociation peuvent être réparties en trois grandes catégories : le vol; la formation et les essais; et la surveillance réglementaire. À l’heure actuelle, environ 13 % des membres de l’unité de négociation participent aux vols, 11 % à la formation et aux essais et 76 % à la surveillance réglementaire. La nature de cette surveillance réglementaire est telle que le Conseil du Trésor a déterminé que l’expérience récente de pilotage d’aéronefs est une exigence pour l’exécution de telles activités réglementaires. Ceci est illustré dans la définition du groupe AO :
Le groupe Navigation aérienne comprend les postes qui sont principalement liés aux activités d’inspection, de remise de permis et de réglementation touchant les aéronefs, le personnel aéronautique, les transporteurs aériens, les exploitants d’aéronefs, les aéroports et les installations de soutien; à la certification; à l’élaboration de lois, de normes et d’information en matière d’aéronautique, ainsi qu’à l’application de ces lois et normes; et au pilotage d’aéronefs.
[10] Selon les normes de qualification du groupe AO, la norme minimale pour les postes du sous-groupe des pilotes ingénieurs d’essai et du sous-groupe des inspecteurs d’aviation civile comprend le fait d’avoir une licence canadienne valide de pilote de ligne-catégorie avion, et le fait d’avoir une licence canadienne valide de pilote professionnel-catégorie hélicoptère. En d’autres termes, une licence de pilote, catégorie avion ou hélicoptère valide, est requise pour qu’une personne puisse être employée dans le groupe AO. Sans une telle licence valide, ce n’est donc pas possible. Non seulement s’agit-il d’une exigence d’embauche initiale, mais tous les employés de ce groupe sont également soumis à des exigences de maintien de la compétence conformément à l’article 46 de la convention collective. Les conséquences de cette situation seront examinées ci-dessous.
[11] La principale question sur laquelle les parties ne s’entendent pas dans le présent cas est celle de la rémunération. L’Association demande des augmentations salariales supérieures à 47 %. De son côté, l’employeur a offert un modèle d’augmentations salariales qui tient compte des augmentations salariales accordées à l’ensemble de l’administration publique centrale. Cela comprend à la fois les augmentations annuelles des taux de rémunération et les ajustements salariaux annuels.
[12] L’employeur justifie son offre en se fondant sur les critères de la Loi. Il renvoie à la situation économique actuelle du Canada et à sa situation financière. Il fait valoir que le fait d’accorder des augmentations salariales au-delà de ce qu’il offre fausserait les rapports convenables, quant à la rémunération et aux autres conditions d’emploi, entre ce groupe et les autres professions au sein de la fonction publique. Il laisse entendre qu’il ne semble pas y avoir, pour l’instant, de problème d’attraction et de maintien de l’effectif au sein de la fonction publique des personnes ayant les compétences voulues afin de répondre aux besoins des Canadiens et Canadiennes.
[13] Pour sa part, l’Association soutient que les membres de ce groupe exercent des fonctions uniques dans la fonction publique canadienne, ont des normes de profession très particulières et précises et, dans le passé, les parties ont reconnu le caractère unique de ce groupe en négociant des domaines de rémunération qui dépassent le modèle d’augmentations salariales générales dans l’administration publique centrale. Elle conteste la position de l’employeur selon laquelle il n’y a pas de problème de recrutement et de maintien de l’effectif.
[14] Le conseil d’arbitrage a examiné les cinq exigences législatives de la Loi. Il fait observer que la Loi prévoit également qu’un arbitre de différends, en plus de tenir compte des cinq exigences législatives particulières, peut aussi tenir compte des autres facteurs qu’il juge pertinents. Par conséquent, le conseil d’arbitrage n’est pas lié par les cinq critères énumérés.
[15] L’historique des règlements entre les parties, qu’ils aient été négociés librement ou imposés par décision, est que des augmentations supplémentaires ont été convenues ou accordées lorsqu’il a été démontré qu’il était nécessaire dans cette ronde de négociation de régler une question urgente. Nous notons que les augmentations salariales au-delà de ce qui a été accordé dans l’administration publique centrale ne sont pas propres à ce groupe. La preuve démontre que, lorsque les circonstances le justifient, l’employeur a négocié des augmentations, ou des augmentations ont été accordées, au‑delà du « modèle » pour d’autres groupes de négociation. C’est généralement le cas lorsqu’il a été démontré qu’il fallait tenir compte de circonstances particulières et précises.
[16] Après avoir examiné les arguments des parties, le conseil d’arbitrage a déterminé qu’il y avait un besoin particulier de traiter la question des comparateurs externes. Nous soulignons qu’il ne s’agit pas d’une question nouvelle, mais que l’arbitre de différends MacKenzie en a parlé dans sa décision du 18 décembre 2019, laquelle a réglé les conditions d’emploi de la convention collective expirée. Dans cette décision, le conseil d’arbitrage a écrit ce qui suit :
L’employeur a reconnu l’existence d’un taux élevé d’attrition et de recrutement dans une présentation publique à l’Association du transport aérien du Canada en 2016, lorsqu’on a fait remarquer que l’âge moyen des inspecteurs d’aviation civile était de plus de 50 ans et que le taux d’attrition et de recrutement était supérieur à 25 % pour les trois années précédentes et qu’on s’attendait à ce qu’il demeure ainsi plusieurs années à venir.
[17] Comme nous l’avons mentionné, les employés de ce groupe doivent être des pilotes titulaires d’une licence, qu’il s’agisse d’un aéronef à voilure fixe ou d’un hélicoptère, comme condition préalable à l’emploi dans le groupe AO. Le bassin à partir duquel l’employeur recrute dans le groupe AO est donc limité. Pour la plupart, les membres de cette unité de négociation sont recrutés soit par l’ARC, soit par l’industrie de l’aviation commerciale.
[18] L’Association a présenté des éléments de preuve de l’augmentation récente de la rémunération des pilotes de l’ARC, sans être en mesure de démontrer pourquoi ces augmentations avaient été accordées. Par conséquent, nous n’y avons pas accordé de poids. Selon l’Association, l’industrie de l’aviation commerciale au Canada, et dans le monde, souffre actuellement d’une grave pénurie de pilotes, et les salaires des pilotes – le bassin à partir duquel sont recrutés les membres de cette unité de négociation – ont augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années.
[19] Pendant la dernière année, le salaire des pilotes a augmenté de 34 % à 40 % dans les trois plus grandes compagnies aériennes américaines. Au Canada, une convention collective de pilote négociée récemment chez WestJet prévoyait une augmentation de 24 % sur quatre ans. Plus récemment, une convention collective nouvellement ratifiée pour les pilotes d’Air Canada prévoyait une augmentation salariale cumulative de près de 42 % sur quatre ans.
[20] Il est plus que probable que les augmentations mentionnées ci-dessus exerceront une pression sur la capacité de l’employeur de recruter et de maintenir en poste des pilotes dans cette unité de négociation. Nous notons également que des éléments de preuve anecdotiques ont été présentés au conseil d’arbitrage, lesquels laissaient entendre que la question du recrutement et du maintien de l’effectif est, sinon une question immédiate, une question qui deviendra un enjeu majeur tôt ou tard. C’est cette situation sans précédent qui, de l’avis du conseil d’arbitrage, doit être abordée dès maintenant et qui sous-tend la décision rendue.
Décision
[21] Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, le conseil d’arbitrage accorde ce qui suit :
[Traduction]
Taux de rémunération annuels
Année 1 – En vigueur le 26 janvier 2023 – augmentation des taux de rémunération : 3,5 %
Année 1 – En vigueur le 26 janvier 2023 – ajustement salarial : 1,25 %
Année 2 – En vigueur le 26 janvier 2024 – augmentation des taux de rémunération : 3,00 %
Année 2 – En vigueur le 26 janvier 2024 – ajustement salarial : 0,50 %
Année 3 – En vigueur le 26 janvier 2025 – augmentation des taux de rémunération : 2,00 %
Année 3 – En vigueur le 26 janvier 2025 – ajustement salarial : 0,25 %
Année 4 – En vigueur le 26 janvier 2026 – augmentation des taux de rémunération : 2,00 %
Année 4 – En vigueur le 26 janvier 2026 – ajustement salarial : 0 %
Montant forfaitaire unique de 2 500 $ versé aux titulaires de postes du groupe AO lors de la finalisation de la convention collective.
Restructuration de la courbe salariale
Dernier échelon supplémentaire à 2,75 % d’augmentation par rapport au dernier échelon précédent pour l’échelle de rémunération AO-CAI-02.
Dernier échelon supplémentaire à 2,75 % d’augmentation par rapport au dernier échelon précédent pour l’échelle de rémunération AO-ETP-01.
Deux échelons supplémentaires à 2,75 % chacun d’augmentation par rapport au dernier échelon précédent pour l’échelle de rémunération AO-HPS-01.
Deux échelons supplémentaires à 2,75 % chacun d’augmentation par rapport au dernier échelon précédent pour l’échelle de rémunération AO-HPS-02.
Deux échelons supplémentaires à 2,75 % chacun d’augmentation par rapport au dernier échelon précédent pour l’échelle de rémunération AO-HPS-03.
Ajout des employés classifiés AO-HPS-03 à l’unité de négociation à compter du 26 janvier 2023.
Tous les titulaires de postes HPS, ETP et CAI-02 passeront à un échelon supérieur à compter du 26 janvier 2023.
Indemnité de fonctions supplémentaires
À compter du 26 janvier 2023, porter l’indemnité de fonctions supplémentaires à 9 500 $ et appliquer le modèle d’augmentation économique annuelle mentionné ci-dessus aux taux de rémunération annuels.
[22] Les augmentations ci-dessus sont rétroactives aux dates mentionnées et doivent être mises en œuvre conformément au libellé de mise en œuvre de la convention collective convenu par les parties.
Conclusion
[23] Les personnes nommées du conseil d’arbitrage souscrivent à la présente décision.
[24] Le conseil d’arbitrage reste saisi de toute question qui pourrait se poser en ce qui concerne l’application ou la mise en œuvre d’une disposition de la présente décision.
Le 26 novembre 2024.
Traduction de la CRTESPF
« Brian Keller »
Brian Keller, président du conseil d’arbitrage
« Scott Streiner »
Scott Streiner, personne nommée par le Conseil du Trésor
« Phillip Hunt »
Phillip Hunt, personne nommée par l’agent négociateur