Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Le plaignant a allégué que la défenderesse avait commis une pratique déloyale de travail au sens de l’art. 185 de la Loi lorsqu’elle a refusé d’afficher l’avis de l’assemblée générale annuelle (AGA) du plaignant sur son intranet – le plaignant a soutenu que l’intranet de la défenderesse constituait un babillard électronique au sens de la clause 27.01 de la convention collective et que la défenderesse avait refusé de façon déraisonnable d’approuver l’affichage de l’avis, entravant ainsi l’administration des activités du plaignant et la représentation de ses membres, en violation de l’art. 186(1)a) de la Loi – la défenderesse a présenté une objection préliminaire à la plainte, soutenant que la Commission devrait refuser de la trancher en vertu du par. 191(2) de la Loi puisqu’elle concernait une convention collective et qu’elle aurait pu être renvoyée à l’arbitrage en vertu de la partie 2 – la Commission a accueilli l’objection préliminaire de la défenderesse et a exercé son pouvoir discrétionnaire de rejeter la plainte – le sujet de la plainte était une violation alléguée de la clause de la convention collective portant sur l’utilisation des installations de la défenderesse par le plaignant, y compris son intranet – le recours approprié pour un différend au sujet de cette clause était un grief de principe fondé sur le processus convenu dans la convention collective et le processus d’arbitrage prévu à la partie 2 de la Loi.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20241114

Dossier: 561-34-47340

 

Référence: 2024 CRTESPF 155

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignant

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Dulce Cuenca, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour la défenderesse : Richard Fader et Larissa Volinets Schieven, avocats

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés les 5 mai et 13 juin 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] La présente affaire concerne une plainte pour pratique déloyale de travail que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « plaignant ») a déposée contre l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse »).

[2] Le plaignant est l’agent négociateur accrédité des employés de la défenderesse qui sont régis par la convention collective du groupe Vérification, finances et sciences (VFS) expirant le 21 décembre 2026 (la « convention collective »), et par la convention précédente qui a expiré le 21 décembre 2022.

[3] Dans sa plainte du 5 mai 2023, le plaignant allègue que la défenderesse a commis une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) lorsqu’elle a refusé d’afficher l’avis du plaignant de son assemblée générale annuelle du 3 mai 2023 (« l’avis de l’AGA ») sur son carrefour de la région de l’Ontario et sur InfoZone (collectivement, « l’intranet »). Le plaignant prétend qu’il s’agit de tableaux d’affichage électroniques au sens de la clause 27.01 de la convention collective. Cette clause prévoit ce qui suit :

** ARTICLE 27

** ARTICLE 27

UTILISATION DES INSTALLATIONS DE L’EMPLOYEUR

USE OF EMPLOYER FACILITIES

27.01 Un espace raisonnable sur les tableaux d’affichage, y compris les tableaux d’affichage électroniques, s’ils sont disponibles, dans des endroits accessibles, est mis à la disposition de l’Institut pour y apposer des avis officiels. L’Institut s’efforcera d’éviter de présenter des demandes d’affichage d’avis que l’Employeur pourrait raisonnablement considérer comme préjudiciables à ses intérêts ou à ceux de ses représentantes ou de ses représentants. L’Employeur doit donner son approbation avant l’affichage d’avis ou d’autres communications, à l’exception des avis de réunion et d’élection, des listes des représentantes ou des représentants de l’Institut et des annonces d’activités sociales et récréatives. Cette approbation ne doit pas être refusée sans motif valable.

27.01 Reasonable space on bulletin boards including electronic bulletin boards where available, in convenient locations will be made available to the Institute for the posting of official Institute notices. The Institute shall endeavour to avoid requests for posting of notices that the Employer, acting reasonably, could consider adverse to its interests or to the interests of any of its representatives. Posting of notices or other materials shall require the prior approval of the Employer, except notices of meetings of their members and elections, the names of Institute representatives, and social and recreational events. Such approval shall not be unreasonably withheld.

[Je mets en évidence]

 

 

[4] Le plaignant prétend que la défenderesse a refusé de façon déraisonnable de donner son approbation en vertu de la clause 27.01, ce qui était contraire à la pratique antérieure. Il prétend que le refus de la défenderesse d’afficher l’avis de l’AGA a nui à son administration et à la représentation de ses membres, ce qui constitue une violation de l’alinéa 186(1)a) de la LRTSPF.

[5] Pour ce qui est des mesures correctives, le plaignant demande une déclaration de violation, une ordonnance exigeant que la défenderesse affiche les avis sur l’intranet, une ordonnance exigeant que la décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») soit envoyée à chaque membre de l’unité de négociation, et une ordonnance octroyant des dommages.

II. Objection préliminaire de la défenderesse

[6] Dans sa réponse à la plainte datée du 13 juin 2023, la défenderesse a soutenu que la Commission devrait refuser de statuer sur la plainte en vertu du paragraphe 191(2) de la LRTSPF puisqu’elle porte sur une convention collective et qu’elle pourrait être renvoyée à l’arbitrage en vertu de la partie 2 de la LRTSPF.

[7] Subsidiairement, la défenderesse a soutenu qu’elle n’avait pas enfreint l’alinéa 186(1)a) de la LRTSPF en rejetant la demande d’affichage de l’avis de l’AGA sur son intranet. Elle a soutenu que l’interdiction de la LRTSPF concernant la participation ou l’ingérence d’un employeur dans la formation, l’administration ou la représentation d’un agent négociateur ne crée pas une obligation positive à son égard de faciliter les communications du plaignant avec ses membres de la manière qu’il préfère.

[8] Par conséquent, elle a demandé le rejet de la plainte.

III. Arguments des parties sur l’objection préliminaire

A. Pour la défenderesse

1. La Commission devrait refuser de trancher la plainte en vertu du paragraphe 191(2) de la LRTSPF

[9] La défenderesse a soutenu que l’intranet est un réseau privé utilisé pour partager de façon sécuritaire de l’information et des ressources avec ses employés. Elle a déclaré que InfoZone contient une section consacrée aux syndicats et aux conventions collectives, où les employés peuvent trouver leurs conventions collectives et les renseignements sur les négociations collectives. Il contient des liens vers les sites Web du plaignant, y compris pour le groupe VFS. La défenderesse soutient qu’à part ces liens et mises à jour, InfoZone ne contient pas de renseignements sur l’agent négociateur ou de mises à jour à son sujet.

[10] Elle a fait valoir qu’InfoZone contient également des pages Web régionales pour chacune de ses régions. Le Carrefour de la région de l’Ontario contient des renseignements propres à chacun des centres fiscaux et bureaux des services fiscaux de sa région de l’Ontario, y compris le Bureau des services fiscaux de l’Ouest de l’Ontario, composé de deux bureaux à Kitchener, un à London et un à Windsor, en Ontario.

[11] La défenderesse a soutenu que l’utilisation de ses installations par le plaignant est régie par l’article 27 de la convention collective, qui prévoit, entre autres, qu’elle mettra à la disposition du plaignant un espace raisonnable sur les tableaux d’affichage, y compris les tableaux d’affichage électroniques, pour qu’il puisse afficher ses avis officiels. Elle a déclaré que le plaignant dispose d’un tableau d’affichage dans chacun des bureaux des services fiscaux de Kitchener sur lequel il peut afficher des renseignements.

[12] Elle a soutenu que, puisque l’intranet n’est pas un tableau d’affichage électronique, elle n’avait aucune obligation d’accepter la demande du plaignant d’afficher l’avis de l’AGA. Elle a rejeté l’allégation du plaignant selon laquelle le refus était contraire à la pratique antérieure.

[13] La défenderesse a soutenu que la Commission devrait refuser de trancher la plainte en vertu du paragraphe 191(2) de la LRTSPF puisqu’elle est fondée sur la clause 27.01 de la convention collective. Elle a soutenu que, puisque la clause 27.01 est une description complète et détaillée des circonstances dans lesquelles le plaignant peut utiliser ses installations, le règlement de ce différend nécessiterait une interprétation de fond de la convention collective, ce qui est traité de façon plus appropriée par un grief de principe en vertu de l’article 220 de la partie 2 de la LRTSPF.

[14] Par conséquent, la défenderesse a soutenu que la Commission devrait refuser de statuer sur la présente plainte puisqu’elle pourrait être renvoyée à l’arbitrage en vertu de la partie 2 de la LRTSPF.

2. Il n’y a pas eu violation de l’alinéa 186(1)a) de la LRTSPF

[15] La défenderesse a soutenu que dans la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) et la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (L.C. 1999, ch. 17), le législateur a reconnu le droit de la défenderesse de contrôler et de gérer son milieu de travail. Son pouvoir discrétionnaire à cet égard, y compris en ce qui concerne l’utilisation de ses biens, ne peut être limité que par une loi ou une disposition d’une convention collective.

[16] Elle a soutenu que l’alinéa 186(1)a) de la LRTSPF ne l’oblige pas à faciliter les communications du plaignant avec ses membres de la manière qu’il préfère. L’alinéa 186(1)a) interdit plutôt à la défenderesse de participer à la formation, à l’administration ou à la représentation des membres du plaignant ou de s’ingérer dans ces activités.

[17] La défenderesse a soutenu que la clause 27.01 de la convention collective énonce explicitement le droit du plaignant d’accéder à ses installations et de les utiliser. Si le plaignant souhaite élargir ce droit, il lui incombe de présenter une telle proposition dans le cadre de la négociation collective. Il est inapproprié d’utiliser les dispositions de la LRTSPF relatives aux pratiques déloyales de travail pour tenter d’obtenir indirectement ce que le plaignant n’a pas réussi à obtenir directement par la négociation.

[18] La défenderesse a soutenu que sa conduite ne peut pas être raisonnablement interprétée comme une participation ou une ingérence dans la formation, l’administration ou la représentation du plaignant, compte tenu en particulier de ce qui suit :

· le contenu de l’avis de l’AGA, qui était lié à l’activité interne de l’agent négociateur et non à la négociation collective ou à tout différend entre les parties;

· la relation de négociation établie dans laquelle les parties ont négocié des dispositions complètes et détaillées concernant l’utilisation des installations de la défenderesse par le plaignant; et

· la défenderesse n’a pas empêché le plaignant de partager l’avis de l’AGA ou de communiquer d’une autre manière avec ses membres, mais a simplement refusé de faciliter cette communication sur son intranet de la manière que le plaignant préférait.

 

[19] La défenderesse a soutenu que, par conséquent, elle n’a pas interféré avec l’administration de l’organisation du plaignant, ne l’a pas empêché de contacter ses membres ou de communiquer avec eux, ni n’a perturbé l’égalité des parties en ce qui concerne les renseignements pertinents à la relation de négociation collective.

B. Pour le plaignant

[20] Le 27 juin 2023, le greffe de la Commission a demandé au plaignant de fournir, au plus tard le 4 juillet 2023, toute réponse qu’il pourrait avoir aux arguments de la défenderesse. Aucune réponse n’a été reçue.

[21] Le 15 juillet 2024, le greffe a informé les parties que j’avais été assigné à la présente affaire et que j’avais l’intention de rendre une décision sur la question préliminaire soulevée par la défenderesse, à savoir si je devais exercer mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 191(2) de la LRTSPF et refuser de trancher la plainte. Le greffe a donné au plaignant une autre occasion de présenter des arguments; toutefois, aucune réponse n’a été reçue.

IV. Motifs

[22] Le plaignant allègue que la défenderesse a commis une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la LRTSPF lorsqu’elle a refusé d’afficher l’avis de l’AGA du plaignant sur l’intranet.

[23] L’article 185 définit la « pratique déloyale de travail » comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) ou (2), les articles 187 et 188, ou le paragraphe 189(1) de la LRTSPF. Le plaignant prétend que la défenderesse a enfreint l’alinéa 186(1)a), qui se lit comme suit :

186 (1) Il est interdit à l’employeur ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

186 (1) No employer, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position and no person who is an officer as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act or who occupies a position held by such an officer, shall

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci; […]

(a) participate in or interfere with the formation or administration of an employee organization or the representation of employees by an employee organization ….

 

[24] En vertu de l’alinéa 190(1)g), la Commission est tenue d’instruire toute plainte qui lui est présentée en vertu de l’article 185. Toutefois, le paragraphe 191(2) permet à la Commission de refuser de statuer sur une plainte concernant une convention collective. Il se lit comme suit :

Refus de statuer sur certaines plaintes

Refusal to determine complaint involving collective agreement

191(2) La Commission peut refuser de statuer sur la plainte si elle estime que le plaignant pourrait renvoyer l’affaire à l’arbitrage sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1.

191(2) The Board may refuse to determine a complaint made under subsection 190(1) in respect of a matter that, in the Board’s opinion, could be referred to adjudication under Part 2 or Division 2 of Part 2.1 by the complainant.

 

[25] En utilisant le terme « peut » au paragraphe 191(2), le législateur a donné à la Commission un pouvoir discrétionnaire. J’ai choisi d’exercer ce pouvoir discrétionnaire et de rejeter la plainte, pour les motifs qui suivent.

[26] L’objet de la présente plainte concerne l’utilisation par le plaignant des installations de la défenderesse, y compris son intranet. Comme en témoigne la clause 27.01 de la convention collective, cette question a fait l’objet de négociations collectives entre les parties. En acceptant les termes de cette clause, les parties ont convenu de la mesure dans laquelle le plaignant peut être autorisé à utiliser ces installations pour ses affaires. Par conséquent, si les parties ont un différend au sujet de cette clause, le recours approprié se trouve dans le processus d’arbitrage prévu à la partie 2 de la LRTSPF.

[27] De plus, je fais remarquer que la convention collective prévoit que le plaignant peut présenter un grief de principe de la manière prescrite dans la convention et dans un délai prescrit de 25 jours après avoir pris connaissance de l’acte, de l’omission ou de toute autre question qui a donné lieu à ce grief de principe (clause 34.41). Si la Commission permettait au plaignant d’utiliser l’article 190 de la LRTSPF pour obtenir réparation d’une violation présumée de la convention collective, elle lui permettrait essentiellement de contourner le processus convenu pour régler de tels différends.

[28] Enfin, les mesures correctives demandées dans la plainte pourraient toutes être demandées dans le cadre du processus d’arbitrage. Sur ce point, je fais remarquer que l’une d’elles est une ordonnance d’afficher l’avis de l’AGA, alors que celle-ci avait déjà eu lieu deux jours avant le dépôt de la plainte. J’interprète cela comme une preuve supplémentaire que le plaignant cherche réellement à obtenir une ordonnance qui clarifierait son droit d’utiliser l’intranet à l’avenir. Comme cette question a fait l’objet d’une négociation collective, tout différend quant à son application relève plutôt d’un grief de principe fondé sur le processus convenu dans la convention collective.

[29] Puisque j’ai décidé que la plainte devrait être rejetée en vertu du paragraphe 191(2) de la LRTSPF, il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments subsidiaires de la défenderesse sur la portée de ses obligations en vertu de l’alinéa 186(1)a).

[30] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[31] L’objection préliminaire de la défenderesse est accueillie.

[32] La plainte est rejetée.

Le 14 novembre 2024.

Traduction de la CRTESPF

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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