Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La fonctionnaire s’estimant lésée était une employée nommée pour une période indéterminée qui avait travaillé pour l’employeur pendant environ 20 ans – elle occupait un poste de chef, relations avec les intervenants – on l’a informée qu’une tierce partie indépendante enquêterait sur les quatre allégations suivantes, liées à un processus de dotation d’un poste PM-03 : 1) elle a tenté d’influencer le résultat d’un processus de dotation, 2) elle a intimidé une subalterne en tentant de lui faire modifier une référence pour un candidat, 3) elle a fait preuve d’insubordination en refusant de fournir des documents de dotation et 4) elle a fait preuve d’un comportement inapproprié et inacceptable dans ses interactions avec les employés – le rapport a été déposé et les enquêteurs ont confirmé les quatre allégations – l’employeur a déterminé que la quatrième allégation n’était pas concluante et ne serait pas pris en compte dans la décision disciplinaire – l’employeur a imposé une suspension de trois jours sans solde pour les trois premières allégations – la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief contestant la suspension comme étant injustifiée et abusive – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait commis une inconduite grave et que la suspension de trois jours n’était pas excessive – elle a rejeté cette partie du grief – le grief alléguait également que la mesure disciplinaire résultait d’un processus d’enquête injuste et abusif sur le plan procédural qui équivalait à de la mauvaise foi – la Commission a conclu que l’employeur avait géré l’enquête de mauvaise foi – les enquêteurs ont reçu l’ordre de tirer des conclusions sur la quatrième allégation sans les divulguer à la fonctionnaire s’estimant lésée – la partie vérification de l’enquête a ajouté un retard important – la fonctionnaire s’estimant lésée a subi une détresse mentale inutile lorsqu’on lui a présenté de nombreuses allégations d’inconduite de sources non nommées des mois après le début de l’enquête – de plus, l’employeur l’a induite en erreur lorsqu’on lui a dit que les enquêteurs avaient mal compris leur mandat – elle a perdu confiance dans l’enquête dans son ensemble, ce qui a ajouté une détresse mentale et des souffrances importantes à un processus déjà difficile – le processus d’enquête était injuste, trompeur, indûment insensible, a causé un retard important, a entaché l’enquête sur les trois allégations liées à la dotation et a causé un préjudice inutile à la fonctionnaire s’estimant lésée – la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu 20 000 $ en dommages pour détresse mentale résultant du processus d’enquête – la Commission a refusé d’accorder des dommages au motif que l’employeur a délibérément retardé le processus ou a adopté une conduite qui pourrait être qualifiée d’abusive ou de tentative d’entrave à la fonctionnaire s’estimant lésée.
Dommages accordés.
Grief autrement rejeté.
Contenu de la décision
Date : 20240927
Dossier : 566‑02‑43212
Référence : 2024 CRTESPF 134
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral |
Entre
Arlene Wilson
fonctionnaire s’estimant lésée
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources naturelles)
défendeur
Répertorié
Wilson c. Administrateur général (ministère des Ressources naturelles)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant: Leslie Reaume, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée: Christopher Schulz, Lisa Dubé et Anastasia Trofimoff, avocats
Taya Van Dyke, représentante
Pour le défendeur: Marc Séguin et Adam Feldman, avocats
Affaire entendue par vidéoconférence
le 21 septembre 2022, du 3 au 6 avril, les 16 et 20 juin
et les 18 et 19 décembre 2023 et le 21 février 2024.
Arguments écrits et oraux
du 15 mai 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Introduction
[1] Arlene Wilson, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), est une employée nommée pour une période indéterminée à un poste au sein de Ressources naturelles Canada (le « défendeur » ou « RNCan »), où elle travaille depuis le 6 avril 1998. Elle exerce à l’Office de l’efficacité énergétique (l’« OEE ») les fonctions de cheffe, Relations avec les intervenants, un poste au groupe et niveau CO‑03.
[2] Le 28 mars 2018, on a avisé la fonctionnaire qu’un tiers indépendant mènerait une enquête administrative sur quatre allégations, soit la tentative d’influencer un processus de dotation, l’intimidation d’une subalterne pour l’amener à modifier les références fournies pour une candidate, l’insubordination et une conduite inappropriée envers des employés de RNCan. Dans leur rapport rendu en décembre 2018, les enquêteurs ont confirmé les quatre allégations.
[3] Un grief a été déposé le 30 janvier 2019 afin de contester la procédure d’enquête et le rapport. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’est pas saisie de ce grief. Toutefois, au cours de la procédure de règlement des griefs, le défendeur a jugé que la quatrième allégation n’était pas concluante et ne serait donc pas considérée dans la prise d’une mesure disciplinaire.
[4] Le 4 novembre 2019, la fonctionnaire a participé à une audience prédisciplinaire. Le 10 janvier 2020, elle s’est vue imposer une suspension de trois jours sans solde pour les trois premières allégations relatives au processus de dotation. Elle a déposé un grief individuel le 24 janvier 2020 pour contester la suspension, qu’elle estime injustifiée et abusive. Dans son grief, elle allègue également que la mesure disciplinaire imposée résultait d’une procédure d’enquête abusive et inéquitable sur le plan procédural. Le grief a été déposé au titre de la convention collective applicable qui avait été conclue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC ») pour le groupe Vérification, commerce et achat (AV) et qui est échue depuis le 21 juin 2018 (la « convention collective »).
[5] Le défendeur a rejeté le grief au dernier palier le 24 février 2020. Le grief a été renvoyé à la Commission aux fins d’arbitrage le 10 mars 2020 au titre de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en raison d’une mesure disciplinaire ayant entraîné la suspension de la fonctionnaire.
[6] L’agent négociateur a demandé que le grief soit entendu conjointement avec la plainte de la fonctionnaire (dossier de la Commission 560‑02‑38817) présentée à la Commission le 21 juin 2018 en application de l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2) (la « plainte pour représailles »). La plainte pour représailles porte en partie sur la même procédure d’enquête et sur la décision du défendeur de retirer à la plaignante ses fonctions de gestion et de la muter ailleurs. Les parties ont convenu de mettre en attente la plainte pour représailles jusqu’à l’issue de la procédure de règlement du grief relatif à la mesure disciplinaire. Bien que les arguments de l’agent négociateur concernant la plainte et le grief se recoupent quelque peu, la Commission a pris soin de ne pas formuler de conclusions sur toute question liée à la plainte pour représailles.
[7] La Commission a consacré huit jours à entendre le témoignage de huit témoins, dont la fonctionnaire, sur le bien-fondé du grief lié à la mesure disciplinaire. Les parties ont déposé leurs arguments écrits définitifs et ont exposé leurs arguments de vive voix le 15 mai 2024.
[8] Selon les éléments de preuve présentés par les parties à l’audience, j’ai conclu que la fonctionnaire avait fait preuve d’inconduite et que la mesure disciplinaire imposée n’était pas excessive. Par conséquent, cette partie du grief est rejetée et la fonctionnaire n’a pas droit aux réparations demandées à la suite de la décision disciplinaire.
[9] Je suis également d’avis que le défendeur a mené la procédure d’enquête de mauvaise foi, ce qui a causé à la fonctionnaire un préjudice auquel une audience de novo devant la Commission ne pourrait pas pleinement remédier. Le montant de 20 000 $ en dommages-intérêts pour souffrance morale découlant de la procédure d’enquête est accordé à la fonctionnaire.
II. Contexte de l’audience
[10] L’audience a été précédée d’un long processus de plaidoiries et d’ordonnances concernant la production de documents potentiellement pertinents. La fonctionnaire a demandé des frais pour les jours d’audience perdus qu’elle attribue à la conduite du défendeur. Cette question est traitée séparément dans la conclusion de la présente décision.
[11] Le processus de dotation en question a débuté en août 2017. Les événements qui ont donné lieu à l’enquête se sont produits sur une courte période à la fin du processus de dotation, en mars 2018. Debbie Scharf, directrice de l’Équipement à la Direction générale de l’énergie propre, était la gestionnaire subdéléguée chargée de plusieurs processus de dotation à l’époque, dont un visant à créer un bassin d’agents de programme qualifiés de niveau PM‑03 (le « processus PM‑03 »). Mme Scharf n’était pas la superviseure immédiate de la fonctionnaire, mais elle était responsable du processus PM‑03. La fonctionnaire a piloté le processus PM‑03 et relevait de Mme Scharf à cette seule fin. La fonctionnaire était également gestionnaire d’embauche, puisqu’elle disposait d’un poste vacant au niveau PM‑03 qu’elle souhaitait doter grâce au bassin qui serait créé.
[12] Les six personnes suivantes ont témoigné pour le défendeur :
· Joyce Henry, directrice générale, OEE, Secteur de l’énergie à faibles émissions de carbone, qui a informé la fonctionnaire des allégations portées contre elle lors de l’entretien du 28 mars 2018 et qui a pris la décision disciplinaire à la suite de l’enquête.
· Kathleen Caron, conseillère principale en dotation des ressources humaines (RH), qui a fourni des conseils, des directives et un soutien logistique à Mme Scharf et à la fonctionnaire dans le cadre du processus PM‑03. Au moment des faits, elle avait participé à des centaines de processus de dotation.
· Jennifer Falconer, une employée contractuelle qui relevait de la fonctionnaire et qui avait posé sa candidature dans le processus PM‑03. La fonctionnaire est accusée de s’en être prise à Mme Falconer dans le cadre du processus de dotation.
· Stephanie Ansari, une agente de programme subalterne qui relevait de la fonctionnaire et qui a servi de référence à Mme Falconer dans le cadre du processus PM‑03. Un entretien entre Mme Ansari et la fonctionnaire a mené à l’allégation selon laquelle la fonctionnaire aurait cherché à intimider une subalterne.
· Sarah Stinson, directrice à la Direction générale de l’énergie propre, qui était la superviseure immédiate de la fonctionnaire.
· Mme Scharf, directrice de l’Équipement à la Direction générale de l’énergie propre.
[13] La fonctionnaire et Marie‑Claude Chartier ont témoigné à l’appui du grief. En mars 2018, Mme Chartier occupait les fonctions d’agente des relations de travail de l’IPFPC depuis plus de 10 ans. Elle était la représentante de l’agent négociateur de la fonctionnaire tout au long de l’enquête et de la procédure de règlement des griefs.
[14] Lors d’une discussion au premier jour, l’agent négociateur a soulevé des allégations de discrimination raciale. Il n’avait pas donné un avis à la Commission canadienne des droits de la personne, comme le requiert la Loi. Les parties ont convenu que la fonctionnaire ne présenterait aucune allégation officielle de discrimination raciale dans le cadre du présent grief.
III. Mesure disciplinaire et procédure de règlement des griefs
[15] Le 28 mars 2018, la fonctionnaire s’est entretenue avec Mme Chartier, Mme Henry et M. Andrew Crain, conseiller principal en relations de travail pour le défendeur. On a avisé la fonctionnaire qu’une enquête administrative était en cours concernant les allégations suivantes formulées à son endroit :
[Traduction]
[…]
1) Vous avez tenté d’influencer le résultat du processus de dotation 2017-RSN-EA-ES-179267;
2) Vous avez cherché à intimider une subalterne en essayant de lui faire modifier les références qu’elle avait fournies pour une candidate dans le processus de dotation 2017-RSN-EA-ES-179267;
3) Vous avez fait preuve d’insubordination en refusant d’obtempérer à la demande de fournir des documents de dotation à la gestionnaire déléguée des RH dans le cadre du processus de dotation 2017-RSN-EA-ES-179267;
4) Vous avez eu un comportement inapproprié et inacceptable dans vos interactions avec des employés de RNCan.
[…]
[16] Mme Chartier a demandé des précisions sur les allégations 1 et 4 et a été informée que les enquêteurs les lui fourniraient en temps utile. Après l’entretien, la fonctionnaire s’est vu accorder 15 minutes pour vider son bureau. Elle a été mutée dans un autre bâtiment afin d’y être affectée à d’autres tâches, et on lui a retiré ses responsabilités de gestion en attendant l’issue de l’enquête.
[17] La fonctionnaire n’a pas repris le travail après cet entretien. Elle est en congé de maladie depuis le 3 avril 2018. En avril 2018, elle a été jugée apte à participer à l’enquête, avec quelques restrictions médicales. Elle touche actuellement des prestations d’invalidité de longue durée (« ILD »).
[18] L’enquête a débuté en avril 2018. En septembre 2018, après avoir demandé des détails des allégations 1 et 4 à de multiples reprises, et juste avant le premier entretien de la fonctionnaire avec les enquêteurs, Mme Chartier a appris que les enquêteurs avaient deux mandats. Le premier consistait à enquêter sur les allégations 1, 2 et 3 découlant du processus de dotation. Le deuxième consistait à examiner le comportement de la fonctionnaire sur le lieu de travail en menant une vérification dont la portée était générale et non circonscrite. Les enquêteurs ont informé Mme Chartier que les trois premières allégations relatives à la dotation étaient distinctes de la vérification qu’ils effectuaient en rapport avec la quatrième allégation. On a également avisé Mme Chartier que le mandat des enquêteurs leur permettait d’interroger jusqu’à 40 personnes dans le cadre des deux dossiers.
[19] Le 18 septembre 2018, on a interrogé la fonctionnaire au sujet des trois premières allégations. À la fin de l’entretien, on lui a présenté 44 allégations vagues et très critiques de la part de témoins anonymes, réparties en sept thèmes. En novembre 2018, la fonctionnaire a reçu une liste de 67 allégations, toujours de sources anonymes, à peine plus détaillées que les 44 premières. La fonctionnaire était anéantie.
[20] Cela a soulevé d’importantes préoccupations en matière d’équité procédurale pour la fonctionnaire et Mme Chartier, qui ont fait part de ces préoccupations à Patrick Giroux, directeur adjoint du Centre d’expertise sur les relations de travail. M. Giroux a dit à Mme Chartier que les enquêteurs n’avaient pas le mandat de mener une enquête générale et qu’ils avaient probablement mal compris la portée de l’enquête. Les enquêteurs ont alors informé Mme Chartier qu’ils ne mèneraient pas d’autres entretiens et qu’ils remettraient leur rapport au défendeur. Mme Chartier a raisonnablement supposé que les enquêteurs ne donneraient pas suite à l’allégation 4.
[21] La fonctionnaire a reçu le rapport d’enquête le 7 janvier 2019. Les enquêteurs ont conclu que les trois premières allégations étaient fondées. De plus, ils étaient d’avis que la quatrième allégation était également fondée, sur la base des entretiens menés dans le cadre des trois premières allégations. La fonctionnaire et Mme Chartier ont été abasourdies par le fait que les enquêteurs n’aient pas révélé que ces détails, découlant du processus de dotation, faisaient partie de l’allégation 4. Depuis le début, on avait indiqué à Mme Chartier que l’enquête concernant l’allégation 4 était distincte.
[22] Le 30 janvier 2019, la fonctionnaire a déposé un grief (le « grief relatif à l’enquête ») contre le rapport des enquêteurs et a allégué que le défendeur n’avait pas mené une enquête équitable. Elle a demandé l’annulation de la procédure d’enquête, la destruction du rapport définitif, une réparation pour toute perte de revenus et d’avantages, ainsi que des dommages-intérêts. La Commission n’est pas saisie du grief en question, mais celui-ci fait partie du contexte pertinent au grief lié à la mesure disciplinaire.
[23] Le 21 octobre 2019, une audience sur le grief relatif à l’enquête s’est tenue. La fonctionnaire, représentée par Mme Chartier, a présenté des observations sur le rapport et la procédure d’enquête. Dans la décision rendue au troisième palier le 15 novembre 2019, Mollie Johnson, sous-ministre adjointe (« SMA »), Secteur de l’énergie à faibles émissions de carbone, a conclu que les allégations 1 à 3 avaient fait l’objet d’une enquête conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Toutefois, elle a maintenu en partie le grief, jugeant que l’allégation 4 n’était pas concluante, et a décidé que le défendeur passerait à l’étape disciplinaire uniquement pour les allégations 1 à 3.
[24] Le 4 novembre 2019, la fonctionnaire et Mme Chartier ont assisté à une audience prédisciplinaire avec Mme Henry. L’audience visait à permettre à la fonctionnaire de fournir des renseignements additionnels ou de présenter des circonstances atténuantes avant que la décision disciplinaire ne soit imposée. Au cours de l’audience, Mme Henry a été informée que les commentaires de la fonctionnaire concernant l’enquête et ses conclusions avaient été fournis à Mme Johnson lors de l’audience du 21 octobre 2019 portant sur le grief relatif à l’enquête. La fonctionnaire a indiqué que cette information devrait être examinée par Mme Henry avant qu’une décision ne soit rendue.
[25] Mme Henry a envoyé la lettre disciplinaire à la fonctionnaire le 10 janvier 2020, dans laquelle elle rappelle les allégations jugées fondées dans le cadre de la procédure d’enquête et décrit ensuite la mesure disciplinaire prise et les motifs connexes :
[Traduction]
[…]
Au cours de l’audience disciplinaire, il a été précisé que tous vos commentaires au sujet de l’enquête et de ses conclusions ont été présentés lors de l’audience sur le grief qui s’est tenue le 21 octobre 2019 et que la direction devrait se fonder sur cette information pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée.
Lors de l’audition de votre grief, il a été soutenu que l’employeur n’avait pas mené une enquête équitable conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle en ce qui concerne les allégations d’inconduite formulées à votre endroit le 28 mars 2018. Vous avez également contesté le rapport des enquêteurs que vous avez reçu le 7 janvier 2019.
Le 15 novembre 2019, Mme Mollie Johnson, sous-ministre adjointe, Secteur de l’énergie à faibles émissions de carbone, a rendu une décision concernant votre grief. Dans sa réponse, elle a indiqué qu’elle souscrivait au rapport d’enquête en ce qui concerne les allégations 1 à 3 et a conclu que ces allégations avaient fait l’objet d’une enquête conforme aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Elle a toutefois maintenu en partie votre grief, jugeant que l’allégation 4 n’était pas concluante et qu’elle ne serait pas examinée plus avant.
Sur la base de cette décision et de tous les éléments de preuve dont je dispose, j’ai conclu qu’il y a eu inconduite et qu’une mesure disciplinaire est justifiée pour corriger votre comportement. Pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, j’ai pris en compte des circonstances atténuantes, telles que votre dossier disciplinaire vierge et le fait que ces incidents étaient isolés. J’ai également pris en considération des circonstances aggravantes, dont, entre autres, votre absence de remords, votre sens limité de la responsabilité pour ces actes, votre poste de cadre et votre ancienneté.
[…]
[26] La décision de Mme Henry reposait en partie sur la décision de la SMA Johnson, qui avait écarté l’allégation 4. Dans la lettre, on indique qu’une suspension de trois jours sera imposée et que la fonctionnaire devra suivre des cours sur les valeurs et l’éthique et sur la dotation lorsqu’elle retournera sur le lieu de travail. On lui a également enjoint de se familiariser avec ses obligations en application du Code de valeurs et d’éthique de RNCan et du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.
[27] Le grief contestant la suspension a été déposé le 24 janvier 2020. Dans le cadre de ce grief, la suspension serait une mesure injustifiée et abusive et découlerait d’une procédure d’enquête inéquitable sur le plan procédural. La fonctionnaire demande l’annulation de la suspension et le retrait de celle-ci de son dossier personnel, une réparation pour toute perte de revenus et d’avantages, ainsi que des dommages-intérêts connexes.
[28] Le 28 février 2020, la SMA Johnson a rendu une décision au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, dans laquelle elle maintient la décision de Mme Henry d’imposer une suspension de trois jours sans solde. Le 10 mars 2020, le grief a été renvoyé à la Commission aux fins d’arbitrage.
[29] J’examinerai maintenant la preuve dont je suis saisie et procéderai à l’analyse des deux questions soulevées par le grief, soit la décision disciplinaire et l’enquête.
IV. Question no 1 : Résumé de la preuve liée à la décision disciplinaire
[30] Dans son interrogatoire principal, la fonctionnaire a reconnu avoir fait preuve d’insubordination. Elle a déclaré qu’avec du recul, elle n’aurait pas tardé à fournir à Mme Scharf les renseignements que cette dernière avait demandés. Compte tenu de l’aveu de la fonctionnaire, je n’ai pas commenté tous les éléments de preuve relatifs à cette question, sauf lorsqu’ils sont pertinents pour les autres allégations d’inconduite et la mesure disciplinaire imposée. Les événements qui ont conduit à l’entretien du 28 mars 2018 sont bien documentés et les éléments clés de la chronologie ne sont pas contestés.
A. Références pour Mme Falconer
[31] Les événements qui ont conduit à la suspension de la fonctionnaire ont commencé en mars 2018, à l’étape finale du processus PM‑03, soit lors de la vérification des références des candidats.
[32] Mme Falconer a déclaré avoir travaillé pour la fonctionnaire dans le cadre d’un contrat temporaire renouvelé à plusieurs reprises. Elle a d’abord travaillé comme consultante d’Olav Consulting. Mme Falconer a indiqué que la fonctionnaire l’avait aidée à obtenir un contrat auprès d’autre fournisseur unique en octobre 2017 vu la faible rémunération versée par Olav Consulting. Elle a ajouté avoir été informée du processus de dotation par la fonctionnaire, qui l’avait encouragée à poser sa candidature et qui lui avait proposé de fournir des références. Mme Falconer a déclaré qu’elle s’attendait à des références favorables de la part de la fonctionnaire.
[33] À un certain moment, dans les mois précédant mars 2018, la relation entre la fonctionnaire et Mme Falconer a commencé à se détériorer. La fonctionnaire a décidé que Mme Falconer ne répondait pas à ses attentes et a commencé à gérer son rendement de manière informelle. Mme Falconer estimait que la fonctionnaire contrôlait et critiquait indûment son travail. Elle a fait part de cette préoccupation à Mme Stinson, la superviseure de la fonctionnaire, dans une lettre datée du 7 mars 2018.
[34] Les parties conviennent que Mme Falconer n’a pas fait officiellement l’objet d’un plan de gestion du rendement. Je ne me prononce pas sur la gestion par la fonctionnaire du rendement de Mme Falconer, sur la véracité des problèmes de rendement allégués ou sur les plaintes de Mme Falconer auprès de la direction à ce sujet. Personne ne conteste que la relation a été difficile dans les mois qui ont précédé mars 2018.
[35] Bien que Mme Scharf ait eu la responsabilité globale des processus de dotation, c’est la fonctionnaire qui était responsable de divers aspects du processus PM‑03, y compris l’élaboration d’un guide d’évaluation et des questions pour les entrevues et la vérification des références. Elle était également chargée de siéger au sein du jury de sélection ou d’en sélectionner les membres appropriés. La fonctionnaire a bénéficié du soutien administratif de Rachel Leduc, consultante en RH auprès du défendeur. Elle a apporté un soutien administratif au processus PM‑03 par l’entremise du groupe interne À la Carte, auquel les gestionnaires pouvaient accéder moyennant paiement.
[36] Mme Leduc a envoyé par courriel à la fonctionnaire le questionnaire de vérification des références pour Mme Falconer en lui demandant de le renvoyer au plus tard le 9 février 2018. Le 16 février 2018, Mme Leduc a envoyé un courriel à la fonctionnaire pour lui indiquer que ses références n’avaient pas été reçues. Elle ajoutait qu’elle souhaitait clore le dossier avant ses vacances, la semaine suivante. Autrement, le processus serait suspendu jusqu’au 7 mars 2018. La fonctionnaire n’a pas répondu au courriel de Mme Leduc et a supposé qu’elle avait jusqu’au 7 mars 2018 pour fournir les références.
[37] Le même jour, Mme Falconer a informé la fonctionnaire par courriel que Mme Leduc l’avait contactée au sujet des références manquantes. Elle a demandé à la fonctionnaire si elle pouvait les fournir dès que possible. La fonctionnaire lui a répondu par courriel le même jour :
[Traduction]
Je fournirai les références, bien entendu. Ne t’inquiète pas, Jen. Je m’en occupe. C’est sur ma liste de choses à faire en priorité. J’ai prévu du temps lundi pour effectuer toutes les vérifications de références que je dois faire. J’ai été absente du bureau pendant trois jours la semaine dernière; je suis toujours en train de rattraper le retard. C’est mon processus PM‑03, alors pas de souci.
[…]
[38] Mme Falconer a déclaré que cette réponse l’avait rassurée et qu’elle pensait que la fonctionnaire fournirait de bonnes références pour sa candidature.
[39] Le 6 mars 2018, la fonctionnaire a remis le questionnaire de vérification des références rempli pour la candidature de Mme Falconer. Elle a identifié Mme Falconer comme une employée contractuelle travaillant dans le cadre de son programme. Dans le questionnaire, elle a fait part de plusieurs préoccupations concernant le rendement de Mme Falconer. Dans la dernière section, qui demande au répondant de faire part de tout autre commentaire, la fonctionnaire a ajouté des remarques, qui se terminent par la déclaration suivante : [traduction] « Je ne la ferais toutefois pas échouer sur ce point, mais en ce qui concerne les qualités personnelles évaluées dans le cadre de la présente vérification des références, j’estime qu’elle en fait à peine la démonstration; c’est tout juste passable [le passage en évidence l’est dans l’original] ». Dans cette section, elle a également indiqué ne pas avoir eu la même expérience avec Mme Falconer que les répondants avec qui elle avait communiqué pour vérifier les références de cette dernière lorsqu’elle avait envisagé pour la première fois d’embaucher Mme Falconer auprès d’une agence de placement.
[40] Le 7 mars 2018, Mme Leduc a accusé réception des références fournies par la fonctionnaire. Le même jour, elle a envoyé par courriel à la fonctionnaire, avec Mmes Caron et Scharf en copie conforme, la grille d’évaluation (la « grille ») contenant les notes de tous les candidats après la vérification des références. Le rôle de la fonctionnaire consistait en partie à signer la grille pour clore le processus. Mme Leduc a confirmé dans le courriel qu’aucune candidature n’avait été éliminée. Elle a demandé à la fonctionnaire de signer la grille et de l’envoyer à Mme Caron pour ses dossiers. La fonctionnaire ne savait pas que Mme Leduc avait terminé le processus sans tenir compte de ses références.
[41] Le même jour, Mme Leduc a avisé la fonctionnaire par courriel que la vérification des références de tous les candidats s’était terminée avant la date butoir de février. Elle a déclaré que les deux autres répondants lui avaient fourni assez de renseignements pour qu’elle puisse évaluer Mme Falconer.
[42] La fonctionnaire a répondu à Mme Leduc le jour même :
[Traduction]
Merci. Cependant, j’aimerais que les références que j’ai fournies pour Jennifer soient prises en considération. Veuillez donc examiner ces références et ajuster les notes en conséquence, s’il y a lieu. Depuis mai ou juin dernier, j’ai remarqué certaines difficultés qui doivent figurer dans l’évaluation, et la présente évaluation ne reflète pas le contexte actuel dans lequel j’ai vu son travail. Votre courriel ci-dessous indiquait que le processus serait en suspens jusqu’au 6 mars.
[43] Mme Leduc a intégré les références de la fonctionnaire, ajusté la note de Mme Falconer et renvoyé la grille le même jour à la fonctionnaire pour qu’elle la signe. Mme Falconer a vu sa note passer de 10 à 7 pour l’étape de la vérification des références, mais sa candidature a tout de même été retenue. Il s’agissait de la dernière étape du processus de dotation avant que le bassin ne soit finalisé.
B. Question relative à LinkedIn
[44] La fonctionnaire n’a pas immédiatement signé la grille. Elle a expliqué qu’elle était chez elle dans la soirée du 8 mars 2018 et qu’elle effectuait des recherches lorsqu’elle est tombée sur le profil LinkedIn de Mme Falconer. Elle a affirmé qu’elle effectuait une étude de marché à l’appui du lancement d’un programme d’efficacité énergétique lorsqu’elle est tombée sur ce profil. Elle a nié avoir cherché de l’information sur LinkedIn à propos de Mme Falconer.
[45] Mme Falconer se présentait comme conseillère en relations publiques et en communication à Public Relations and Communications Consulting, où elle offrait des services de communication stratégique; des services de relations avec le public, les médias, la collectivité et les intervenants; des services de gestion d’événements, de sensibilisation et de mobilisation; des services de rédaction et de recherche; des travaux de classement et en comité. Dans la section liée aux contrats, elle mentionne : « Ressources naturelles Canada, Office de l’efficacité énergétique – Communications et relations avec les intervenants, 2017 à aujourd’hui. » Son profil contient également un lien vers son curriculum vitæ.
[46] Selon la fonctionnaire, le profil et le curriculum vitæ l’ont grandement préoccupée, parce qu’ils donnaient l’impression que Mme Falconer avait obtenu directement un contrat de consultante auprès de RNCan. Elle a affirmé que Mme Falconer avait fait une fausse déclaration et qu’elle aurait dû indiquer qu’elle travaillait pour RNCan en tant qu’employée temporaire dans le cadre d’un contrat avec une agence de placement (Altis). De l’avis de la fonctionnaire, Mme Falconer se présentait comme jouant le rôle de consultante auprès du gouvernement du Canada plutôt que celui d’employée temporaire provenant d’une agence. La fonctionnaire avait la même préoccupation concernant le curriculum vitæ affiché et estimait que Mme Falconer avait faussement représenté son emploi au sein du ministère sur LinkedIn et dans le cadre du processus PM‑03.
[47] Le lendemain, soit le 9 mars 2018, la fonctionnaire a informé Mme Leduc qu’elle avait besoin de voir toutes les références fournies pour Mme Falconer et a demandé qu’elles lui soient envoyées le jour même. La fonctionnaire a expliqué qu’elle voulait vérifier si les autres références fournies concordaient avec les siennes. La fonctionnaire avait vu la grille et estimait que les notes accordées aux qualités personnelles de Mme Falconer étaient élevées compte tenu de l’expérience qu’elle avait de son travail. Mme Leduc a remis à la fonctionnaire les références fournies au nom de Mme Falconer par deux répondants, qui lui étaient toutes deux très favorables. L’un des répondants était un client de Mme Falconer et l’autre était Mme Ansari, une collègue et l’une des employées permanentes de la fonctionnaire.
[48] Mme Leduc a également transmis le courriel de la fonctionnaire à Mme Scharf, accompagné du message suivant : [traduction] « Pour votre information. J’ai un mauvais pressentiment à ce sujet. » C’était la première fois que Mme Scharf était mise au fait des préoccupations de la fonctionnaire à propos d’une candidature présentée dans le cadre du processus PM‑03.
C. Valeurs et éthique et discussions avec Mme Caron
[49] Le 9 mars 2018, la fonctionnaire a fait part de ses préoccupations au sujet de Mme Falconer et a demandé conseil à Mme Caron et aux responsables des valeurs et de l’éthique à RNCan au sujet de la question de LinkedIn.
[50] La fonctionnaire a envoyé le courriel suivant, ayant pour objet [traduction] « Profil LinkedIn – conflit d’intérêts? Problème éthique? », à Jacinthe Leclerc, agente supérieure chargée des divulgations internes pour les valeurs et l’éthique :
[Traduction]
Madame,
En faisant des recherches, je suis tombée sur le profil ci-joint sur Linkedln hier soir. Il s’agit du profil d’une employée que j’ai embauchée par l’entremise d’une agence pour appuyer le travail de mon équipe.
Cette employée se présente comme une consultante auprès de RNCan, laissant entendre que ses services lui sont payés directement par le ministère et qu’elle a été embauchée comme consultante.
Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas et je suis extrêmement mal à l’aise avec la manière dont elle s’est présentée, surtout compte tenu de son rôle au sein de l’équipe. RNCan a conclu un contrat avec l’agence de placement qui l’emploie afin de fournir des services au ministère. Il n’existe absolument aucune relation contractuelle entre le ministère et cette personne. La relation contractuelle existe uniquement entre RNCan et l’agence de placement qui l’a embauchée. De plus, à mon avis, elle cherche à obtenir un avantage indirect en se présentant faussement à ceux qui ne le savent pas comme une consultante de Public Relations and Communications Consulting qui travaille directement auprès de RNCan. C’est inexact. Elle n’est pas consultante. Elle a été embauchée comme employée temporaire. Elle accomplit donc les tâches que je lui confie et, en tant que gestionnaire, je dois la conseiller et l’appuyer considérablement.
J’aimerais avoir des conseils à ce sujet. Je pourrais lui parler moi-même, mais j’aimerais mieux ne pas m’en mêler et préférerais que vous et vos collègues, en tant qu’experts, évaluiez la situation et déterminiez si la prise de mesures est justifiée. Je joins au courriel son profil actuel sur LinkedIn ainsi qu’un lien vers son compte Linkedln.
[lien vers la page LinkedIn de Mme Falconer]
Pouvez-vous me contacter dès que possible? Vous pouvez également m’appeler aujourd’hui.
[…]
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[51] La fonctionnaire s’est ensuite entretenue avec Mme Caron au téléphone, entretien pendant lequel elle a enregistré leur conversation à l’insu de cette dernière. La fonctionnaire a déclaré qu’elle voulait ainsi compléter ses notes. Elle a également fait transcrire la conversation, puis a modifié la transcription en fonction de l’enregistrement. Je me pencherai uniquement sur les principales questions soulevées dans la conversation. Le témoignage de Mme Caron portait, pour l’essentiel, sur la question de l’insubordination et elle n’a joué aucun rôle dans la décision disciplinaire.
[52] La fonctionnaire a fait part à Mme Caron de ses préoccupations au sujet de la question de LinkedIn et du fait que, à son avis, les références fournies pour Mme Falconer ne reflétaient pas fidèlement sa propre expérience. La fonctionnaire estimait que les notes accordées à la vérification des références étaient plus élevées que les capacités réelles de Mme Falconer. Mme Caron a avisé la fonctionnaire que, à titre de gestionnaire, celle-ci avait la possibilité d’utiliser ses connaissances personnelles pour évaluer la candidate à condition de démontrer le respect des critères de mérite et de documenter toute explication justifiant son intervention. D’autres options s’offraient également à elle pour régler la question de LinkedIn, notamment l’option de parler directement à la candidate. Plus important encore, Mme Caron a vivement recommandé à la fonctionnaire de faire part de ses préoccupations à Mme Scharf, qui avait droit à cette information puisqu’elle aurait éventuellement à défendre le processus.
[53] La fonctionnaire savait déjà qu’elle disposait d’une certaine latitude pour tenir compte de ses connaissances sur la candidate dans le cadre d’un processus de dotation. Elle a précisé que c’est elle qui avait suggéré de présélectionner Mme Falconer puisque, initialement, Mme Leduc ne croyait pas que celle-ci satisfaisait aux critères essentiels du processus PM‑03. Mme Caron a déclaré qu’elle n’avait jamais vu un gestionnaire utiliser ses connaissances dans le sens contraire, c’est-à-dire pour réduire la note ou éliminer un candidat autrement qualifié.
[54] La fonctionnaire a expliqué ne pas avoir signé la grille à ce moment-là, car elle faisait preuve de diligence raisonnable en tant que gestionnaire d’embauche, recueillait davantage de renseignements au vu de ses préoccupations et protégeait la réputation de Mme Falconer jusqu’à ce qu’elle ait la certitude que cette dernière avait fait preuve d’inconduite. La fonctionnaire a déclaré que ses expériences personnelles de travail dans un environnement toxique l’avaient rendue sensible à l’idée d’accuser à tort Mme Falconer.
[55] Le 12 mars 2018, la fonctionnaire s’est entretenue avec Mme Leclerc, qui lui a confirmé son conseil dans un courriel le même jour :
[Traduction]
[…]
Comme je l’ai proposé au téléphone, vous pouvez contacter Brigitte Bernier, la nouvelle gestionnaire des valeurs et de l’éthique à RNCan. Brigitte devrait vous indiquer la meilleure façon de procéder. Cela peut être considéré comme une question d’éthique. Puisqu’elle a été embauchée par l’agence Altis, Jennifer devrait faire preuve de transparence et faire savoir qu’elle a un contrat avec Altis. Elle n’a pas de contrat avec RNCan.
[…]
[56] Le 12 mars 2018, Mme Scharf a avisé Mme Caron par courriel qu’elle avait reçu un courriel de Mme Leduc selon lequel la fonctionnaire avait demandé toutes les références fournies pour Mme Falconer :
[Traduction]
Kathleen, il me semble inhabituel que le responsable d’un processus demande des documents d’évaluation pour une seule candidate lorsque celle-ci est son employée.
J’aimerais m’assurer qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts. À l’évidence, si elle demande ensuite la modification de la note accordée, ce serait inacceptable. Pour l’instant, elle s’est contentée de demander l’information. Ça me rend tout de même mal à l’aise, mais ça peut aller si cela en reste là.
[…]
[57] Personne ne conteste que la fonctionnaire a effectué des recherches et demandé des documents d’évaluation pour Mme Falconer uniquement et pour aucun autre candidat du processus PM‑03.
[58] Mme Caron a fourni la même réponse à Mme Scharf qu’à la fonctionnaire, soit que les gestionnaires ont la possibilité d’utiliser leurs connaissances personnelles pour évaluer les candidats à condition de démontrer le respect des critères de mérite. Elle a donné l’exemple d’un candidat qui échoue à une partie du processus d’évaluation et dont le gestionnaire utilise sa connaissance des capacités et de l’expérience de l’employé pour maintenir le candidat dans le processus, dans la mesure où il y a une explication écrite de la manière dont le candidat satisfait aux critères. Mme Caron a ajouté qu’elle recommandait que ces décisions soient prises par le gestionnaire délégué des RH, qui devrait défendre le dossier en cas de plainte ou de vérification. Personne ne conteste qu’elle a fortement suggéré à la fonctionnaire de procéder ainsi dans leur conversation téléphonique quelques jours auparavant.
D. Entretien avec Mme Ansari
[59] Le 11 mars 2018, la fonctionnaire a invité Mme Ansari à la rencontrer dans une salle de conférence pendant sa pause-dîner. Mme Ansari a déclaré avoir été prise au dépourvu lorsque la fonctionnaire l’a abordée, n’ayant pas été informée de l’objet de l’entretien. À son arrivée, la fonctionnaire avait en main les références que Mme Ansari avait fournies pour Mme Falconer dans le cadre du processus PM‑03, ses réponses à chaque question surlignée.
[60] Mme Ansari a décrit son expérience de l’entretien dans une note manuscrite qu’elle a discrètement transmise le lendemain à Mme Stinson, la supérieure immédiate de la fonctionnaire :
[Traduction]
[…]
Hier, le 12 mars 2018, Arlene a demandé à me rencontrer concernant une question délicate. Arlene avait demandé de l’information à propos d’un questionnaire de vérification des références que j’avais rempli pour Jennifer Falconer dans le cadre d’un processus PM‑03. J’estime avoir de bonnes relations professionnelles avec Jennifer, ce qui s’est reflété dans mes réponses. Arlene m’a posé des questions et a contesté chacune de mes réponses. Elle a souligné certaines parties du questionnaire, m’a demandé pourquoi j’avais répondu de cette façon et a voulu que je lui donne des exemples précis pour chaque réponse. J’ai été prise au dépourvu et mise sur la sellette. Pendant tout l’entretien, elle a contesté ce que j’avais écrit et m’a expliqué comment répondre à l’avenir à un questionnaire de vérification des références. On m’a informée que sa relation avec Jennifer était difficile, ce qui m’a également mise mal à l’aise. J’estime que les références que j’ai fournies indiquaient clairement mes observations personnelles et mon expérience de travail avec Jennifer, et j’ai eu l’impression que mes opinions/réponses ne correspondaient pas à l’opinion d’Arlene, alors elle essayait de me faire changer d’opinion au sujet de Jennifer en me contredisant. Je ne sais pas exactement comment procéder, mais je pense que vous devriez être au courant de la situation. Arlene m’a également indiqué que cette conversation ne devait pas quitter « cette salle de conférence ».
[61] Mme Ansari a affirmé que l’entretien s’est déroulé comme elle l’avait décrit dans sa note. Lorsqu’elle a vu le surlignement jaune, elle a immédiatement pensé qu’elle avait fait quelque chose de mal. La fonctionnaire lui a demandé d’expliquer chacune de ses réponses. Mme Ansari a déclaré s’être sentie accablée et intimidée. Elle pensait avoir fourni de bonnes références, qui étaient corroborées par ses observations de Mme Falconer.
[62] La fonctionnaire connaissait le style d’écriture de Mme Ansari et croyait qu’elle n’avait pas écrit les références elle-même. De plus, celles-ci contenaient de l’information que Mme Ansari, de l’avis de la fonctionnaire, n’aurait pas pu observer. Elle a ajouté que Mme Ansari avait admis avoir coupé et collé les réponses au questionnaire fourni par Mme Falconer et qu’elle s’était excusée et avait éprouvé des remords, comme quelqu’un qu’on aurait pris la main dans le sac.
[63] Mme Ansari a soutenu avoir écrit elle-même les références pour Mme Falconer en fonction de ses propres observations. Elle a également eu une brève conversation avec Mme Falconer lorsqu’elle avait eu besoin de plus de détails à propos d’une tâche. Elle a démenti l’allégation de la fonctionnaire selon laquelle elle aurait coupé et collé les réponses de Mme Falconer. Elle a en outre nié avoir admis qu’elle avait fait quelque chose de mal et qu’elle avait eu des remords, comme l’a prétendu la fonctionnaire.
[64] Selon Mme Ansari, elle aurait dit à la fonctionnaire qu’elle avait le sentiment que ses références étaient exactes, mais elle n’était pas à l’aise d’en dire plus. Elle s’est surtout contentée d’accepter les propos de la fonctionnaire, hochant parfois la tête pour se soustraire à l’entretien. Mme Ansari a déclaré qu’elle avait peur d’y mettre fin. Il aurait fallu qu’elle demande à la fonctionnaire de se déplacer pour sortir de la salle de conférence. Elle a affirmé avoir d’abord tenté de faire part de son malaise à la fonctionnaire, mais, comme cela ne s’était pas bien passé, elle est simplement restée jusqu’à la fin de l’entretien.
[65] Mme Ansari a soutenu que la fonctionnaire lui avait avoué que ses relations professionnelles avec Mme Falconer n’étaient pas bonnes et qu’il était difficile de travailler avec cette dernière. Mme Ansari a estimé que cela était inapproprié. À son avis, un gestionnaire ne devrait pas parler en mal d’un employé devant un autre employé. Elle a dit avoir eu l’impression que la fonctionnaire tentait d’influencer son opinion de Mme Falconer. Le ton de l’entretien était excessivement amical, comme si la fonctionnaire lui parlait en amie. Cela a rendu Mme Ansari mal à l’aise parce que l’entretien était négatif, même si le ton ne l’était pas.
[66] La fonctionnaire a estimé que l’entretien avait duré une vingtaine de minutes. Mme Ansari est plutôt d’avis qu’il a duré plus d’une demi-heure. Personne ne conteste qu’à la fin de l’entretien, la fonctionnaire a fait savoir à Mme Ansari que ce qu’elles s’étaient dit ne devait pas quitter la salle de conférence. Mme Ansari a affirmé qu’elle avait eu l’impression qu’on lui disait de ne rien dire à personne, et non que la fonctionnaire elle-même ne dirait rien. Elle a déclaré que cela l’avait rendue très mal à l’aise et qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas en parler à qui que ce soit. À son avis, ce que la fonctionnaire avait fait n’était ni approprié ni équitable.
[67] La fonctionnaire a affirmé avoir dit à Mme Ansari qu’elle laisserait tomber pour l’instant et qu’elle considérait cela comme une occasion d’apprentissage. Mme Ansari s’est souvenue de ce commentaire, mais elle a eu l’impression que l’entretien visait à changer son opinion de Mme Falconer plutôt qu’à lui apprendre à rédiger des références.
[68] La fonctionnaire n’a pas explicitement demandé à Mme Ansari de modifier les références qu’elle avait fournies pour Mme Falconer. Mme Ansari a indiqué qu’elle avait senti que la fonctionnaire tentait de lui mettre de la pression pour qu’elle change son opinion de Mme Falconer.
[69] Mme Ansari a soutenu avoir été ébranlée par l’entretien. Elle est allée aux toilettes et a pleuré par accablement. Elle a déclaré qu’elle sentait, dans son for intérieur, que ce n’était pas bien.
[70] Mme Ansari a affirmé que, le lendemain, elle était toujours très bouleversée par ce qui s’était produit et a décidé d’alerter Mme Stinson. Elle a avoué avoir eu peur de se défendre directement auprès de la fonctionnaire. Elle a rédigé la note manuscrite parce qu’elle craignait que la fonctionnaire puisse accéder à tout ce qu’elle créait sur son ordinateur ou en obtenir une copie par l’entremise d’une demande d’accès à l’information ou des renseignements personnels. Elle ne voulait pas que la fonctionnaire la voie dans le bureau de Mme Stinson, alors, le 13 mars 2018, elle a attendu d’apercevoir Mme Stinson dans le couloir, puis elle a levé la main et lui a passé discrètement la note.
[71] Mme Ansari a donné des précisions sur sa relation avec la fonctionnaire et sur la raison pour laquelle elle s’est sentie intimidée et incapable de se défendre. Elle était étudiante en 2012 et a décroché son premier poste permanent auprès du défendeur en 2015. Elle travaillait pour la fonctionnaire depuis mai 2016. En 2017, elle a commencé à chercher un autre poste pour échapper à ce qu’elle décrit comme un environnement de travail toxique. Mme Ansari a affirmé s’être sentie intimidée et discréditée par la fonctionnaire à quelques occasions et avoir tenté, en vain, de lui faire part de ses préoccupations directement. Elle s’est souvenue qu’à l’une de ces occasions, la fonctionnaire l’avait traitée de [traduction] « zélée qui ne connaît rien », ce qui n’a pas été contesté par la fonctionnaire, et l’avait accusée d’outrepasser ses fonctions. Mme Ansari a cherché la définition de ce terme par la suite et a déclaré qu’il avait une connotation négative. La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait tenté de faire comprendre à Mme Ansari qu’elle allait trop vite et qu’elle ne réfléchissait pas assez avant d’agir.
[72] La fonctionnaire a affirmé que le témoignage de Mme Ansari lui avait brisé le cœur, car elle l’aimait beaucoup et était d’avis qu’elle était une employée formidable. Elle n’a toutefois pas reconnu le caractère inapproprié de sa conduite envers Mme Ansari. Elle a soutenu que cette dernière avait admis avoir fourni des références qui n’étaient pas les siennes et qu’elle avait des remords à ce sujet. La fonctionnaire n’a pas pris d’autres mesures, y compris celle d’en informer Mme Scharf. Elle a expliqué que, dans le cas contraire, elle aurait dû révéler que Mme Ansari avait fait des déclarations qui n’étaient pas les siennes. Elle avait également estimé qu’en tant que gestionnaire, les références qu’elle avait fournies pèseraient davantage dans le processus PM‑03.
[73] Mme Stinson a déclaré s’être alarmée lorsqu’elle a reçu la note très préoccupante de Mme Ansari. Elle n’avait jamais vécu une telle situation dans toute sa carrière. Selon Mme Stinson, la note laissait entendre une possible ingérence dans le processus de dotation. Elle a numérisé la lettre et l’a transmise à M. Giroux, en mettant Mme Henry en copie conforme, avec le message suivant :
[Traduction]
[…]
Ce matin, un membre du personnel d’Arlene m’a remis la lettre ci-jointe. Si l’information qu’elle contient est vraie, le comportement d’Arlene constitue une violation manifeste du code de valeurs et d’éthique (mauvais traitement d’autrui, partialité et abus d’autorité). À mon avis, nous sommes obligés d’agir. J’aimerais aborder cette question directement avec Arlene, mais j’ai d’abord besoin de votre avis et de vos conseils. Je crois que nous devrions également avoir un plan concernant toute mesure, disciplinaire ou autre, à prendre si ce que l’on me dit est vrai. Nous devons également veiller à ce que les employés concernés soient protégés. L’employée m’a informé de la situation parce qu’elle me fait confiance, mais elle est pétrifiée à l’idée de subir des représailles de la part d’Arlene.
[…]
[74] Mme Henry a envoyé une copie de la chaîne de courriels à Mmes Stinson et Scharf, qui l’avaient informée la veille du fait que la fonctionnaire demandait les références fournies pour Mme Falconer. Mme Henry a proposé de rencontrer M. Giroux. Il semble qu’une réunion ait eu lieu le 13 mars 2018, à laquelle a également participé Christine Gillis. Mme Stinson était en train de changer de rôle à ce moment-là. Mme Henry avait demandé à Mmes Scharf et Gillis de se partager le rôle temporairement, jusqu’à ce qu’on trouve un remplaçant pour Mme Stinson. Mme Gillis est devenue la supérieure immédiate de la fonctionnaire, mais n’a été impliquée que de façon marginale et n’a pas témoigné à l’audience.
E. Refus de fournir à Mme Scharf de la documentation et de l’information liées à l’évaluation
[75] Le 14 mars 2018, la fonctionnaire et Mme Scharf ont échangé plusieurs courriels à propos du fait que la grille n’avait pas été signée. Mme Caron a indiqué qu’on attendait la signature de la fonctionnaire depuis environ une semaine, soit depuis le 7 mars 2018. Par courriel, Mme Scharf a informé la fonctionnaire qu’elle tentait de terminer les formalités administratives pour tous les processus de dotation et qu’il lui manquait la signature de la fonctionnaire sur la grille. Elle lui a demandé de l’en informer lorsqu’elle l’aurait signée. La fonctionnaire lui a répondu ceci : [traduction] « Je suis en train d’examiner la grille. Je suis actuellement en discussion avec les RH et un autre service à propos du processus et j’apposerai ma signature une fois que ce processus sera terminé. Je m’attends à la signer d’ici la fin de la semaine prochaine. Je vous informerai de tout retard, le cas échéant. »
[76] Dans sa réponse, Mme Scharf lui a demandé des précisions sur les discussions avec les RH. Elle a rappelé à la fonctionnaire qu’elle était la gestionnaire déléguée des RH supervisant le processus et devait être mise au courant s’il y avait un problème. Elle a ajouté avoir déclaré qu’elle n’était pas sûre que la fonctionnaire signalait un problème dans son courriel précédent. La fonctionnaire a répondu ceci :
[Traduction]
Debbie, je sais que vous êtes la gestionnaire déléguée. Cependant, en tant que gestionnaire d’embauche, je dois faire preuve de diligence raisonnable et je consulte actuellement divers experts en la matière. Lorsque j’aurai les détails, je les enverrai par courriel pour vous informer de la situation. Je signale un problème, et j’ai l’intention de fournir d’autres détails, mais je dois d’abord avoir tous les faits en main pour prendre une décision définitive. En raison du caractère délicat de la question, je limiterai également le nombre de personnes qui seront informées de la situation.
[…]
[77] Mme Caron, qui avait été mise en copie conforme dans l’échange de courriels entre la fonctionnaire et Mme Scharf, a répondu ceci :
[Traduction]
[…]
C’est à la gestionnaire déléguée des RH que revient la décision définitive concernant le processus de dotation puisqu’elle est chargée de défendre le dossier en cas de plainte ou de vérification du dossier. Par conséquent, toute préoccupation concernant le processus de dotation devrait être portée à l’attention de la gestionnaire déléguée des RH. Je vous recommande de vous réunir pour discuter de la situation et trouver ensemble une solution.
[…]
[78] La fonctionnaire a ensuite confirmé par écrit à Mme Caron, avec copie à Mme Scharf, que, durant son entretien du 9 mars 2018 avec Mme Caron, elle aurait dit à cette dernière qu’elle informerait Mme Scharf de la situation [traduction] « […] seulement après avoir obtenu tous les faits et les avoir pris en considération pour établir s’il y a bien un problème ou une préoccupation et pour lui faire part de [s]a décision à ce sujet ». Selon la fonctionnaire, elle ne se sentait pas à l’aise de discuter de la situation [traduction] « avec un vaste auditoire » jusqu’à ce qu’elle ait tous les détails. Elle a dit à Mme Caron qu’elle n’avait pas pu discuter avec la candidate, mais qu’elle avait été en contact avec les représentants des valeurs et de l’éthique, qui lui avaient également conseillé de discuter avec la candidate. La fonctionnaire a ajouté : [traduction] « C’est la dernière pièce du casse-tête. Une fois que j’aurai pu parler à la candidate et que j’aurai réuni tous les renseignements, je serai en mesure d’informer la gestionnaire des RH comme je l’ai indiqué. »
[79] Mme Scharf lui a répondu le 15 mars 2018, précisant qu’elle s’attendait à être informée en cas de préoccupation concernant le processus de dotation :
[Traduction]
[…]
J’aimerais faire une distinction ici. Si la nomination d’un candidat à un poste vous pose problème en tant que [gestionnaire] d’embauche, vous pouvez régler la situation avec votre directeur. Ma préoccupation est de savoir s’il y a un problème avec le concours que nous menons. Dans ce cas, vous êtes la cheffe de projet et vous relevez de moi.
Je comprends que nous n’ayons pas eu l’occasion de travailler ensemble jusqu’à maintenant. J’aimerais donc vous expliquer comment je travaille. Lorsque je supervise des dossiers, j’attends de mes chefs qu’ils attirent mon attention sur tout risque ou toute préoccupation liés à leurs dossiers et qu’ils discutent avec moi de l’approche qu’ils proposent pour y remédier. Dans le cadre d’un processus de dotation, je suis particulièrement sensible à cette question et j’exige donc qu’on m’informe de tout problème, aussi minime qu’il soit.
Ainsi, j’aimerais que vous me précisiez si c’est le concours lui-même qui vous préoccupe. Le cas échéant, et si vous prenez des mesures à cet égard, j’ai besoin d’en être informée avant que cela n’aille plus loin.
[…]
[80] Voici la réponse de la fonctionnaire à Mme Scharf :
[Traduction]
[…]
Peut-être qu’il n’y aura aucun problème en fin de compte. Cela touche l’une de mes ressources et il s’agit d’une question de nature délicate. C’est pourquoi, comme je l’ai mentionné hier, je ne suis pas à l’aise de divulguer le problème à grande échelle, à moins que cela ne soit nécessaire, avant que j’aie pu confirmer s’il s’agit d’un problème ou d’un malentendu. Mes principes, valeurs et éthique de travail sont les suivants : je ne recueille et n’accepte que les renseignements fondés sur des faits afin de pouvoir garantir l’intégrité de l’information, surtout lorsque celle-ci peut nuire à une personne. À ce stade-ci, je n’ai qu’un seul point de vue. Par conséquent, j’estime que cela est d’autant plus important dans une situation où le lancement d’accusations infondées et la transmission de renseignements erronés risquent de nuire à la réputation d’une personne.
Pour évaluer la situation, j’obtiens les faits et j’assume ma responsabilité en m’assurant de bien comprendre la question sous tous les angles avant de communiquer tout risque ou d’établir s’il s’agit d’un risque, d’un problème ou d’un malentendu.
Je suis préoccupée par une candidate au processus, qui se trouve à faire partie de mon équipe. Je fais un suivi auprès de cette personne; elle était absente. Je prévois de finaliser le tout d’ici la fin de la semaine, comme je l’ai indiqué, et je vous en informerai à ce moment-là.
[…]
[81] Mme Scharf a transmis ces courriels à Mmes Henry et Stinson. Elle a exprimé son malaise quant au fait que la fonctionnaire ne l’informerait de la situation que lorsqu’elle serait prête et elle a déclaré ceci : [traduction] « Il ne m’est jamais arrivé que quelqu’un qui travaille pour moi me dise “non, seulement quand je serai prêt” lorsque je lui demande de m’informer d’une situation. Cela ne fonctionne pas pour moi, et j’aimerais que vous m’indiquiez la marche à suivre. »
F. Le 16 mars 2018 : Discussion sur la question de LinkedIn entre la fonctionnaire et Mme Falconer
[82] Mme Falconer et la fonctionnaire ont déclaré s’être entretenues le 16 mars 2018. Au cours de cet entretien, la fonctionnaire a fait part pour la première fois à Mme Falconer de ses préoccupations concernant le profil LinkedIn de cette dernière. Mme Falconer n’était pas d’accord pour dire qu’elle avait fait une fausse déclaration. Elle a commencé à travailler pour la fonctionnaire en tant que consultante par l’entremise d’Olav Consulting. Sa première feuille de présence, signée par la fonctionnaire, l’identifiait comme consultante. Selon la fonctionnaire, Mme Falconer comprenait les préoccupations exprimées par la fonctionnaire quant à sa fausse déclaration et avait proposé de modifier son profil. Mme Falconer nie avoir admis qu’elle avait fait quoi que ce soit de mal, mais elle a accepté de revoir le profil en ligne. Elles ont toutes deux déclaré que l’entretien s’était terminé de manière cordiale.
[83] Je relève que cet entretien a eu lieu le jour suivant celui où on avait dit à la fonctionnaire qu’elle devait informer Mme Scharf avant de faire autre chose dans ce dossier. Dans son entretien du 16 mars 2018 avec la fonctionnaire, Mme Scharf a répété à cette dernière qu’elle ne devait prendre aucune autre mesure concernant la question de LinkedIn.
G. Le 16 mars 2018 : Premier entretien avec la fonctionnaire
[84] Pour faire suite aux courriels des 14 et 15 mars 2018, un entretien a eu lieu le 16 mars 2018 entre Mme Stinson, la fonctionnaire et Mme Scharf, dans le but de discuter de ce qui gênait la fonctionnaire dans le processus PM‑03. Le 20 mars 2018, Mme Scharf a rédigé le résumé de l’entretien à la demande de l’équipe des relations de travail et l’a transmis à Mme Stinson pour d’éventuelles corrections.
[85] Les points suivants constituent un résumé tiré des notes prises par Mme Scharf :
· L’entretien faisait suite au refus de la fonctionnaire de répondre aux demandes d’informer Mme Scharf de sa préoccupation à l’égard d’une candidate dans le processus de dotation;
· On a informé la fonctionnaire que l’entretien avait pour but de comprendre les activités ou enquêtes qu’elle entreprenait à l’égard d’une personne;
· La fonctionnaire a répondu qu’elle faisait des recherches en ligne lorsqu’elle est tombée sur le profil LinkedIn de l’un de ses employés contractuels qui avait postulé au concours. La fonctionnaire estimait que cette personne avait présenté faussement ses liens avec RNCan. Elle a donc consulté le curriculum vitæ que la personne avait fourni dans le cadre du concours et a estimé que son emploi à RNCan avait été présenté de manière erronée;
· La fonctionnaire a ensuite parlé avec les représentants des valeurs et de l’éthique, mais n’a pas précisé la teneur des discussions ni les conseils formulés;
· La fonctionnaire a indiqué avoir parlé à la personne en question, lui déclarant directement que son profil LinkedIn et son curriculum vitæ étaient trompeurs et lui demandant de s’expliquer. Elle a mis fin à l’entretien en affirmant que ces fausses déclarations témoignaient d’un manque de jugement de la part de l’intéressée et qu’elle était sur le point de prendre une décision définitive quant à l’incidence de cette situation sur le concours;
· Mme Scharf a réitéré que la fonctionnaire aurait dû lui en faire part avant de procéder à ses interventions. La fonctionnaire a continué à soutenir qu’elle devait faire preuve de diligence raisonnable avant d’en parler à Mme Scharf;
· Mme Scharf a demandé le résumé complet des activités de la fonctionnaire et des renseignements qu’elle avait recueillis. Elles ont convenu que cette information serait fournie lundi.
[86] Mme Scharf a ajouté un post-scriptum à la note indiquant qu’elle n’avait jamais reçu le résumé. Elle a examiné le curriculum vitæ de Mme Falconer et n’a trouvé aucune information trompeuse dans ses antécédents professionnels, ce que Mme Henry a confirmé. Mme Scharf a ajouté :
[Traduction]
[…]
Il convient également de noter que, même si j’ai indiqué à la gestionnaire de ne pas prendre d’autres mesures, cette question des fausses déclarations et du manque de jugement a été abordée à nouveau lors d’une conversation avec la personne lundi [19 mars 2018] comme l’une des raisons expliquant le non-renouvellement de son contrat.
[…]
[87] Mme Stinson a vérifié l’exactitude des notes de l’entretien du 16 mars 2018. Elle a également proposé à Mme Scharf d’ajouter que la fonctionnaire n’avait jamais dit que l’employée contractuelle avait présenté faussement ses tâches ou ses fonctions dans son curriculum vitæ, mais seulement la description de son emploi.
H. Aucun problème avec le profil LinkedIn
[88] Mmes Scharf et Stinson ont échangé par courriel sur le fait que Mme Falconer se soit présenté comme une consultante. Le 18 mars 2018, Mme Scharf a transmis à Mme Stinson une copie du curriculum vitæ de Mme Falconer. Mme Stinson a fourni la réponse suivante le 19 mars 2018 :
[Traduction]
Je suppose que la question est la suivante : considère-t-on le fait de travailler par l’intermédiaire d’une agence de placement temporaire comme un travail de consultant? Je sais qu’Arlene lui a confié l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de mobilisation des intervenants. Mais Arlene n’aurait-elle pas vu son curriculum vitæ avant cette étape du processus? Et si elle était préoccupée par les fausses déclarations, ne l’aurait-elle pas signalé bien plus tôt dans le processus? […]
[…]
[89] Mme Scharf a répondu le jour même :
[Traduction]
Je ne m’inquiète pas de la façon dont elle a présenté son travail. Elle indique clairement qu’elle est consultante, ce qui, dans mon esprit, signifie qu’elle est employée contractuelle (ce sont des synonymes, mais « consultante » sonne mieux). Je n’interprète pas le texte comme signifiant qu’elle dirige sa propre entreprise.
[90] Mme Stinson a renchéri, indiquant que la description de Mme Falconer de son travail correspondait à sa compréhension du travail qui lui avait été confié par la fonctionnaire et déclarant qu’elle n’avait pas de souci à ce sujet.
[91] Mme Stinson a ajouté qu’après avoir examiné le profil LinkedIn et le curriculum vitæ de Mme Falconer, elle n’avait aucun problème avec le fait que celle-ci se présente comme une consultante. Elle a déclaré qu’il était exagéré pour la fonctionnaire de consulter l’équipe des valeurs et de l’éthique. À son avis, la fonctionnaire cherchait quelque chose qui n’existait pas, ce qui était inapproprié et constituait un manque de jugement important de la part de la fonctionnaire.
[92] Mme Scharf a elle aussi indiqué n’avoir aucun problème avec le profil LinkedIn de Mme Falconer. Elle n’a pas interprété le profil comme signifiant que Mme Falconer dirigeait sa propre entreprise, qui avait passé un contrat avec RNCan.
I. Non-renouvellement du contrat de Mme Falconer
[93] La fonctionnaire a rencontré à nouveau Mme Falconer le 19 mars 2018 et l’a informée que son contrat ne serait pas renouvelé à la fin de mars 2018. La fonctionnaire a reconnu avoir indiqué que les fausses déclarations et le manque de jugement dont elle avait fait montre dans son profil LinkedIn avaient expliqué en partie le non-renouvellement du contrat. Elle a nié avoir discuté du processus PM‑03 avec Mme Falconer à ce moment-là.
[94] Mme Falconer a déclaré que la discussion avec la fonctionnaire dans la salle de conférence ce jour-là constitue l’entretien le plus difficile qu’elle ait eu dans sa carrière. Selon elle, la fonctionnaire a fait des commentaires personnels et accusateurs et lui a parlé de son manque de jugement concernant la question de LinkedIn. Elle a affirmé que la fonctionnaire avait usé d’un ton agressif et élevé la voix. Elle a reconnu avoir elle aussi levé le ton, pour se défendre. Selon la fonctionnaire, la conversation était [traduction] « passionnée », mais professionnelle, le ton était monté un instant, et Mme Falconer lui avait lancé une remarque sarcastique. La fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait tenté d’expliquer à Mme Falconer qu’elle se souciait d’elle sur le plan personnel, mais qu’elle ne voyait pas les changements requis dans son rendement.
[95] Mme Falconer s’est dit s’être sentie humiliée en quittant la salle de conférence. Un membre du personnel ayant entendu la conversation lui a demandé si elle allait bien. Elle a soutenu qu’elle ne serait pas retournée travailler pour la fonctionnaire même si son contrat avait été prolongé.
[96] On a signalé à Mme Stinson les éclats de voix lors de l’entretien. Mmes Stinson, Scharf et Gillis se sont entretenues avec deux employés et Mme Falconer. Selon les notes prises par Mme Gillis, Mme Falconer a rapporté que la fonctionnaire avait soulevé la question du processus de dotation et l’avait accusée d’avoir fait de fausses déclarations au cours du processus.
[97] Mme Gillis a invité la fonctionnaire à un entretien le même jour, au sujet du processus PM‑03. La fonctionnaire a répondu par courriel à Mme Gillis pour lui demander quel était l’objet de l’entretien, ajoutant qu’une réunion avait déjà eu lieu le 16 mars 2018 à propos du processus. Mme Gillis a précisé que l’entretien concernait la réunion de la fonctionnaire avec Mme Falconer ce jour-là. Dans sa réponse, la fonctionnaire a précisé qu’elle s’était entretenue avec Mme Falconer et lui avait dit qu’elle ne prolongerait pas son contrat au-delà du 31 mars 2018, mais qu’elle ne lui avait pas parlé de sa candidature dans le cadre du processus PM‑03.
[98] La fonctionnaire s’est présentée à l’entretien avec Mmes Gillis, Stinson et Scharf. Selon le compte rendu, la fonctionnaire aurait expliqué avoir eu un désaccord passionné, mais professionnel avec Mme Falconer. Elle a ajouté que les murs de la salle de conférence étaient minces, ce qui permettait aux autres d’entendre facilement ce qui s’y passait. Elle a déclaré que ces points étaient exacts. Elle a également indiqué que Mme Scharf s’était montrée brusque envers elle lorsqu’elle lui avait dit ne pas être à l’aise de signer la grille après avoir parlé aux représentants des valeurs et de l’éthique et des RH.
[99] La fonctionnaire n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires pour sa rencontre du 19 mars 2018 avec Mme Falconer. Je n’ai pas tiré de conclusions à cet égard, sauf lorsque les faits se recoupent avec le processus de dotation et l’argument du défendeur selon lequel la fonctionnaire examinait Mme Falconer de manière exagérée. Les faits essentiels sont que Mme Falconer a été informée par la fonctionnaire que son contrat ne serait pas renouvelé, en partie parce qu’elle avait fait preuve d’un mauvais jugement en ce qui concerne son profil LinkedIn.
[100] De plus, il ressort clairement du résumé envoyé le 26 mars 2018 aux représentants des valeurs et de l’éthique par la fonctionnaire que celle-ci avait parlé à Mme Falconer du profil LinkedIn dans le contexte de sa candidature au processus PM‑03 lors de l’un de leurs entretiens, soit très probablement celui du 16 mars 2018. Le 26 mars 2018, la fonctionnaire a écrit ceci :
[Traduction]
Bonjour Jacinth [sic],
Merci d’avoir pris le temps de me parler le 12 mars 2018. Notre conversation a été très utile.
J’ai parlé avec la gestionnaire déléguée des RH chargée du processus de dotation – Debbie Scharf – de mes préoccupations liées à ce dossier. Le 19 mars 2018, elle a déclaré n’avoir aucun problème avec la façon dont l’employée temporaire s’est présentée dans le processus de dotation. La gestionnaire déléguée des RH a donc pris la responsabilité de signer le rapport définitif du jury de présélection.
Je réitère mes préoccupations sur la façon dont ont été présentés les liens entre RNCan et les services effectivement fournis par Jennifer Falconer. Au cours de notre discussion, je lui ai expliqué que son curriculum vitæ n’indiquait pas clairement la nature de son travail à RNCan en tant qu’employée temporaire travaillant sous contrat pour une agence de placement (Altis). Je lui ai montré que sa candidature décrivait une relation de consultante avec le gouvernement du Canada plutôt que celle d’employée d’une agence de placement temporaire, et que les deux rôles sont très différents. Jennifer a déclaré qu’une agence de placement antérieure avait formaté son curriculum vitæ ainsi, qu’elle avait eu un problème avec le formatage du curriculum vitae et que la présentation visait à regrouper les emplois similaires. J’ai expliqué à Jennifer qu’il était important qu’elle soit aussi claire que possible lorsqu’elle soumet une candidature dans le cadre d’un processus de dotation, afin d’aider les gestionnaires d’embauche et les RH à comprendre la nature du travail qu’elle effectue. Durant notre conversation, Jennifer a indiqué qu’elle n’était pas à l’aise avec son curriculum vitæ et qu’elle l’avait modifié après l’avoir envoyé aux fins des processus d’embauche. Elle a également proposé de son propre chef de modifier son profil LinkedIn.
Remarque : J’ai plusieurs variantes du curriculum vitæ de Jennifer. L’original que j’ai reçu à la suite de l’appel d’offres de RNCan no 5000033907 pour l’embauche d’une employée temporaire était complètement différent et ne correspondait pas du tout au curriculum vitæ soumis dans le cadre du processus d’embauche.
Je considère à présent que cette affaire est classée. Je voulais vous contacter et clore ce dossier pour mes archives.
[…]
J. Décision d’enquêter
[101] Selon Mme Henry, les incidents avec la fonctionnaire s’accumulaient rapidement et plusieurs discussions avaient eu lieu sur la meilleure façon de procéder. À un certain moment, l’ébauche d’une lettre des attentes a été préparée et jointe aux notes de l’entretien du 19 mars 2018 avec la fonctionnaire au sujet des haussements de ton dans la salle de conférence. Selon la fonctionnaire, à partir de ce moment, le défendeur disposait de tous les renseignements dont il avait besoin et il avait l’intention d’imposer une lettre des attentes lorsqu’il a soudainement changé d’avis. Mme Henry l’a nié et a déclaré que plusieurs options avaient été discutées. Elle s’est appuyée sur les conseils de l’équipe des relations de travail, et la décision a été prise de mener une enquête administrative. Mme Henry a présidé la réunion du 28 mars 2018, au cours de laquelle la fonctionnaire a été informée des quatre allégations et de la tenue d’une enquête administrative. Elle n’a toutefois pas participé au processus d’enquête.
[102] Après la réunion du 28 mars 2018, Mmes Caron et Scharf ont convenu de retirer les références fournies par la fonctionnaire dans le cadre de la candidature de Mme Falconer afin de maintenir l’intégrité du processus de dotation et parce qu’elles croyaient que Mme Falconer avait été injustement pénalisée.
V. Analyse de la question 1 : Décision disciplinaire
[103] Les parties conviennent que la Commission n’est pas liée par le rapport d’enquête. L’audience devant la Commission est une audience de novo. La Commission n’est pas tenue de se restreindre à la manière dont les enquêteurs ont formulé les questions en litige, aux éléments de preuve qu’ils ont recueillis ou aux conclusions qu’ils ont tirées. Le rôle de la Commission consiste à examiner la preuve présentée à l’audience et à juger si la fonctionnaire a fait preuve d’inconduite et si la mesure disciplinaire prise par l’employeur était excessive. Cet examen porte notamment sur les éléments de preuve concernant le rôle du défendeur dans la gestion du processus d’enquête et dans la prise de la décision disciplinaire.
[104] Mme Henry a déclaré ne s’être pas fiée exclusivement au rapport d’enquête pour prendre la décision disciplinaire. Le rapport a joué un rôle important dans la décision, de même que la connaissance de Mme Henry des événements survenus en mars 2018, les conseils qu’elle a reçus de l’équipe des relations de travail et les observations de la fonctionnaire lors de l’audience prédisciplinaire.
A. Inconduite
[105] Il incombe au défendeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire a fait preuve d’une inconduite qui a amené le défendeur à imposer une mesure disciplinaire.
[106] La fonctionnaire a raisonnablement supposé qu’elle disposait d’un délai supplémentaire pour fournir des références pour Mme Falconer. Il n’était pas non plus déraisonnable qu’elle insiste pour que ses références soient prises en compte. La fonctionnaire avait le droit de fournir des références fondées sur son expérience professionnelle avec Mme Falconer. Il ne m’appartenait pas d’évaluer la véracité des problèmes de rendement relevés par la fonctionnaire dans les références. Toutefois, le message adressé à Mme Falconer, selon lequel elle ne devait pas s’inquiéter parce que [traduction] « [elle s]’en occupe », n’était pas transparent. Mme Falconer ne pouvait pas savoir que la fonctionnaire avait l’intention de dire des choses aussi préjudiciables dans ses références, y compris le commentaire selon lequel elle en faisait [traduction] « à peine la démonstration; c’[était] tout juste passable ».
[107] Au 7 mars 2018, les références de la fonctionnaire avaient été prises en compte et la note de Mme Falconer avait été modifiée en conséquence. À ce stade, la fonctionnaire devait examiner et signer la grille afin que Mme Scharf puisse finaliser le processus. La fonctionnaire a intentionnellement laissé le processus PM-03 ouvert pendant qu’elle cherchait à obtenir plus de renseignements sur Mme Falconer. Elle a commencé à demander toutes les références fournies pour Mme Falconer, ce qui, comme l’a confirmé Mme Scharf, était inhabituel, mais n’aurait probablement pas donné lieu à des mesures disciplinaires si la fonctionnaire s’était arrêtée là.
[108] Or, la fonctionnaire ne s’est pas arrêtée là. Il est difficile de croire que la fonctionnaire est tombée sur la page LinkedIn de Mme Falconer le soir suivant sa vérification des références fournies au nom de cette dernière. Même en accordant à la fonctionnaire le bénéfice du doute, elle a pris ces renseignements et les a divulgués de manière confidentielle à l’équipe des valeurs et de l’éthique, à qui elle avait le droit de demander conseil. Cependant, avant même d’avoir parlé à Mme Falconer, elle a fait part de sa conclusion, au tout début de sa divulgation, selon laquelle cette dernière s’était [traduction] « […] présent[é]e comme une consultante auprès de RNCan, laissant entendre que ses services lui [avaient] payés directement et qu’elle [avait] été embauchée comme consultante ». Il n’est pas surprenant que l’équipe des valeurs et de l’éthique ait répondu qu’il pourrait s’agir d’un problème, étant donné la façon dont la fonctionnaire a présenté la conduite de Mme Falconer. Cela n’explique toujours pas pourquoi la fonctionnaire n’a pas immédiatement porté cette question à l’attention de Mme Scharf. Qui plus est, lorsque Mmes Scharf et Stinson ont eu l’occasion d’examiner la page LinkedIn et le curriculum vitæ de Mme Falconer dans le cadre du processus PM‑03, elles n’ont pas partagé les préoccupations de la fonctionnaire.
[109] Lorsque la fonctionnaire a examiné les références de Mme Falconer, elle a décidé qu’elles ne correspondaient pas à son évaluation du rendement de Mme Falconer, puis elle a contesté les références fournies par Mme Ansari et a intimidé cette dernière à ce sujet. Elle avait autorité sur Mme Ansari, autorité dont elle a abusé en lui demandant de la rencontrer à l’heure du dîner sans avertissement ni ordre du jour, puis en tenant les références devant elle, remplies de passages surlignés en jaune. Toute personne raisonnable aurait eu la même réaction que Mme Ansari, à savoir penser qu’elle avait fait quelque chose de mal et que la fonctionnaire s’apprêtait à la réprimander.
[110] Je rejette l’argument de la fonctionnaire selon lequel elle se serait servie de cette situation comme d’une [traduction] « occasion d’apprentissage ». Elle ne l’a pas mentionné au début de l’entretien, mais plutôt à la fin, en même temps qu’elle déclarait que la conversation ne devait pas quitter la salle de conférence. La fonctionnaire est une gestionnaire de grande expérience qui détient une influence et une autorité sur Mme Ansari, une employée subalterne. Il y avait un déséquilibre de pouvoir évident entre elles. Il n’est pas certain que la fonctionnaire aurait eu le pouvoir de contester les références confidentielles fournies par Mme Ansari, mais elle a choisi de le faire alors que le processus était encore en cours plutôt qu’une fois celui-ci terminé. Cela ne correspond pas au comportement d’un superviseur qui profiterait d’une occasion pour enseigner à un subalterne comment remplir un questionnaire de vérification des références.
[111] Le fait que la fonctionnaire n’ait pas explicitement demandé à Mme Ansari de modifier ses références est sans importance. Selon Mme Ansari, la fonctionnaire lui aurait parlé des problèmes de rendement qu’elle avait constaté chez Mme Falconer et aurait tenté de lui faire changer d’avis. Mme Ansari aurait pu agir de différentes façons en réponse aux pressions exercées par sa supérieure, y compris demander le retrait de ses références. Elle a plutôt remis une note manuscrite à Mme Stinson en passant, ce qui démontre l’incidence grave qu’a eue sur elle la conduite de la fonctionnaire à ce moment-là.
[112] La fonctionnaire a affirmé que Mme Ansari avait admis avoir coupé et collé les réponses au questionnaire fournies par Mme Falconer, qu’elle avait des remords et qu’elle s’était excusée. Mme Ansari a nié cette affirmation. Si la fonctionnaire s’était réellement préoccupée de l’intégrité du processus de dotation, Mme Ansari avait falsifié ses références, selon la version de la fonctionnaire, et cette dernière avait donc le devoir de le signaler à Mme Scharf. Pour cette raison, je préfère la version de Mme Ansari, à savoir qu’elle n’a pas admis avoir obtenu de Mme Falconer les réponses aux fins des références, à l’exception de quelques précisions, et qu’elle a tout au plus hoché la tête à quelques reprises au cours de l’entretien pour s’en échapper.
[113] Selon la fonctionnaire, elle a communiqué à Mme Caron les renseignements qu’elle avait recueillis parce qu’elle cherchait conseil. Elle a pourtant ignoré le conseil le plus important que lui avait donné Mme Caron, qui lui avait fortement recommandé le 9 mars 2018 de s’adresser à Mme Scharf si elle avait des préoccupations au sujet d’une candidate dans le cadre du processus PM‑03.
[114] La fonctionnaire s’est entretenue avec Mme Falconer, ce qui était l’une des options suggérées par Mme Caron le 9 mars 2018. Elle a également demandé des explications à Mme Falconer au sujet du lien entre son profil LinkedIn et sa candidature au processus PM‑03 et l’a accusée d’avoir fait preuve de mauvais jugement. La fonctionnaire a agi ainsi après s’être fait dire par Mme Scharf, le 15 mars 2018, qu’elle devait l’informer avant de prendre d’autres mesures. Elle n’a révélé la nature de ses activités que lorsqu’elle y a été contrainte lors de l’entretien du 16 mars 2018. Encore une fois, on lui a demandé d’arrêter, mais, une fois de plus, elle a ignoré cette directive, soulevant à nouveau la question de LinkedIn lors de son entretien avec Mme Falconer au cours duquel elle a informé cette dernière que son contrat ne serait pas prolongé.
[115] Je rejette l’argument de la fonctionnaire selon lequel elle n’aurait pas révélé ses activités à Mme Scharf parce qu’elle veillait aux intérêts de Mme Falconer et essayait de protéger la réputation de cette dernière. La fonctionnaire a affirmé regretter de ne pas avoir fourni à Mme Scharf l’information qu’elle avait demandée et d’avoir fait passer l’intérêt de Mme Falconer avant le sien. Cette allégation est démentie par le fait que, le 12 mars 2018, la fonctionnaire a dit à Mme Ansari, une collègue de travail de Mme Falconer, qu’elle avait des problèmes avec le rendement de Mme Falconer et qu’il était difficile de travailler avec cette dernière. En outre, cela n’explique pas pourquoi la fonctionnaire a parlé à Mme Caron de la question de LinkedIn et des problèmes de rendement de la fonctionnaire, mais pas à Mme Scharf, qui était chargée de l’intégrité du processus de dotation.
[116] La preuve présentée ne mène qu’à une seule conclusion logique, à savoir que la fonctionnaire tardait à signer la grille et maintenait le processus PM‑03 ouvert pendant qu’elle examinait la candidature de Mme Falconer. Ces activités découlaient de la perception qu’avait la fonctionnaire du rendement de Mme Falconer et de la détérioration de leurs relations de travail. Je rejette l’argument de la fonctionnaire selon lequel il lui aurait été plus facile d’exclure Mme Falconer du bassin en se fondant sur ses connaissances en tant que gestionnaire, ce qu’elle n’a pas fait. La décision d’exclure une candidate par ailleurs qualifiée aurait fait l’objet d’un examen minutieux et n’aurait pas pu être prise sans le consentement de Mme Scharf.
[117] Je rejette également l’argument de la fonctionnaire selon lequel elle a fait preuve de diligence raisonnable à titre de gestionnaire d’embauche. Le 15 mars 2018, Mme Scharf a indiqué à la fonctionnaire que si elle avait un problème en tant que gestionnaire d’embauche, elle le réglerait avec son directeur. Dans le cas où le problème touchait le processus de dotation, la fonctionnaire était alors chargée de projet et relevait de Mme Scharf. Même si la fonctionnaire n’était pas d’accord avec cette situation, c’est Mme Scharf qui était responsable et, à ce titre, la fonctionnaire avait l’obligation de lui faire part de toute préoccupation concernant un candidat au processus de dotation.
[118] La fonctionnaire n’a pas abordé la candidature de Mme Falconer dans le processus de dotation d’une manière juste et transparente, comme l’exigent la Politique de nomination de la Commission de la fonction publique et le Code de valeurs et d’éthique de RNCan. Elle n’a pas agi de manière impartiale, soumettant Mme Falconer à un examen plus rigoureux au cours du processus PM‑03 sans lui donner l’occasion de répondre à ses préoccupations. Elle a intimidé Mme Ansari au sujet des références fournies pour Mme Falconer, ce qui constitue un autre manquement à ses obligations prévues au Code de valeurs et d’éthique de RNCan de traiter les employés avec respect et dignité et de favoriser un environnement de travail sain. Elle a fait preuve d’insubordination en ne fournissant pas l’information demandée par Mme Scharf sur ses activités. Elle aurait dû inclure Mme Scharf dès le départ. Ces actions, considérées dans leur ensemble, constituent une tentative d’ingérence dans un processus de dotation.
[119] Selon les éléments de preuve présentés, le défendeur a prouvé que la fonctionnaire avait fait preuve d’une inconduite grave qui justifiait la prise d’une mesure disciplinaire.
B. Caractère non excessif de la mesure disciplinaire
[120] Il incombe au défendeur de prouver que la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire n’était pas excessive.
[121] La fonctionnaire a commis une série d’actes d’inconduite sur une courte période, tous liés à la candidature de Mme Falconer dans le cadre du processus PM‑03. L’argument de la fonctionnaire selon lequel la sévérité de la mesure disciplinaire devrait être atténuée reposait sur le rejet par la Commission des allégations 1 et 3 et sa conclusion que l’insubordination n’était pas grave ou importante et qu’elle n’avait entraîné qu’un retard minime dans le processus de dotation. Le défendeur a soutenu que la mesure disciplinaire qu’il avait prise dans le dossier qui nous occupe n’était pas excessive.
[122] Dans la décision Varzeliotis c. Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossiers de la CRTFP 166‑02‑9721 à 9723, 10273 et 10879 (19831011), l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré ce qui suit, au paragraphe 164 :
Les arbitres ont toujours considéré les accusations d’insubordination comme étant une évaluation subjective du comportement d’un employé. Les genres de fautes de conduite qui peuvent être considérés comme des actes d’insubordination sont, par exemple, « la désobéissance aux ordres donnés par un superviseur et le fait d’avoir une attitude provocatrice ou irrespectueuse vis-à-vis d’un superviseur ». […]
[…]
[123] L’insubordination est un acte d’inconduite grave, car elle remet directement en cause le droit de l’employeur à gérer son organisation (voir NAV Canada and I.B.E.W., Loc. 2228 (Coulter) (Re), 2004 CanLII 4784 (CA LA)). Toutefois, le degré de sévérité des mesures disciplinaires prises dans chaque cas doit être déterminé au moyen d’une évaluation des circonstances aggravantes et atténuantes.
[124] Dans sa décision disciplinaire, Mme Henry a confirmé qu’elle avait pris en compte des circonstances atténuantes telles que le dossier disciplinaire vierge de la fonctionnaire et le fait que ces incidents étaient isolés. Elle a également pris en considération des circonstances aggravantes, dont l’absence de remords de la fonctionnaire, son sens limité de la responsabilité pour ces actes, son poste de cadre et son ancienneté.
[125] J’ai également considéré comme circonstances atténuantes le dossier disciplinaire vierge de la fonctionnaire et le fait que ces incidents étaient isolés. Toutefois, je souscris aux observations formulées par le défendeur selon lesquelles les circonstances aggravantes l’emportent sur ces circonstances atténuantes.
[126] La fonctionnaire a 20 ans d’expérience dans le secteur public fédéral. Elle est gestionnaire depuis 2010 et s’est depuis vue confier depuis davantage de responsabilités, d’autorité et d’influence au sein de l’organisation du défendeur et dans la gestion des membres de son équipe.
[127] Elle a également participé à plusieurs processus de dotation. Elle a eu amplement le temps et l’occasion d’acquérir les compétences nécessaires pour comprendre ses obligations de respecter les principes de mérite, d’impartialité, d’équité, de transparence, d’accès et de représentativité dans le cadre d’un processus de dotation.
[128] La fonctionnaire a reconnu avoir fait preuve d’insubordination dans son interrogatoire principal. Toutefois, elle a minimisé la gravité de ce comportement en affirmant qu’elle protégeait Mme Falconer à son propre détriment et que le processus de dotation n’avait été retardé que de quelques jours ouvrables.
[129] En outre, si la fonctionnaire s’était sincèrement souciée du processus de dotation, elle aurait reconnu que son comportement à l’égard de Mme Ansari était intimidant et compromettait l’intégrité de ce processus. La fonctionnaire bloquait le processus en ne signant pas la grille lorsqu’elle a convoqué une employée subalterne dans une salle de conférence et l’a accusée d’avoir falsifié les références fournies au nom d’une candidate dans le cadre de ce même processus. Même après le témoignage convaincant de Mme Ansari sur l’incidence de cet entretien, la fonctionnaire n’a pas exprimé de regrets. Elle a qualifié leur entretien de professionnel et a défendu sa conduite parce qu’elle n’avait pas explicitement demandé à Mme Ansari de modifier les références.
[130] Le défendeur a démontré que l’inconduite de la fonctionnaire justifiait la prise d’une mesure disciplinaire. Une suspension de trois jours n’était pas une mesure excessive compte tenu de la gravité de son inconduite, à savoir s’être ingérée dans un processus de dotation en soumettant Mme Falconer à un examen plus rigoureux, en intimidant Mme Ansari et en faisant preuve d’insubordination à l’égard de Mme Scharf.
VI. Question no 2 : Résumé de la preuve liée au processus d’enquête
[131] La fonctionnaire a soutenu que la mesure disciplinaire résultait d’une procédure d’enquête injuste et abusive relavant de la mauvaise foi. Les allégations de fait concernent principalement l’allégation 4, soit : « Vous avez eu un comportement inapproprié et inacceptable dans vos interactions avec des employés de RNCan. »
[132] Mme Chartier est la seule personne, en dehors de la fonctionnaire, à avoir témoigné de sa participation dans la procédure d’enquête. Mme Henry, qui a pris la décision disciplinaire, n’est pas la personne qui a mis en place le mandat d’enquête et elle n’a donné aucune instruction aux enquêteurs au cours de la procédure.
[133] Les efforts de Mme Chartier pour porter à l’attention du défendeur les préoccupations de la fonctionnaire concernant l’équité de la procédure d’enquête ont été bien documentés. Le défendeur n’a pas présenté d’éléments de preuve pour expliquer le mandat des enquêteurs ni les instructions qu’on leur a données au cours de la procédure. Du point de vue du défendeur, l’enquête sur l’allégation 4 n’est pas pertinente, car elle n’a pas donné lieu à une mesure disciplinaire. Le défendeur s’est également appuyé sur le principe selon lequel les vices de procédure dans une procédure d’enquête sont corrigés par une audience de novo devant la Commission.
[134] Mme Chartier a assisté à l’entretien du 28 mars 2018 et a demandé pour la première fois des précisions sur les allégations 1 et 4. Mme Henry lui a répondu que les enquêteurs lui fourniraient des précisions en temps voulu. La fonctionnaire a également déclaré qu’elle ne comprenait pas le fondement de ces allégations.
[135] Le 6 avril 2018, Mme Chartier a demandé à M. Crain de faire le point sur l’enquête. Elle a également confirmé que, même si la fonctionnaire n’était pas apte à travailler, elle souhaitait procéder le plus rapidement possible à l’enquête. Mme Chartier a ensuite fourni à M. Crain, le 18 avril 2018, une note médicale autorisant la fonctionnaire à participer à l’enquête.
[136] M. Crain a répondu le 9 avril 2018, informant Mme Chartier que le défendeur était en train d’embaucher un enquêteur. Le 3 mai 2018, il a confirmé qu’un cabinet d’enquête avait été embauché et que les enquêteurs communiqueraient avec la fonctionnaire en temps voulu. Deux enquêteurs d’un même cabinet ont participé à l’enquête.
[137] Le 17 mai 2018, Mme Chartier a demandé une mise à jour sur l’état d’avancement de l’enquête et sur le moment où la fonctionnaire serait susceptible d’être interrogée. M. Crain a répondu le lendemain que les enquêteurs prendraient cette décision. Le jour suivant, les enquêteurs ont informé par courriel Mme Chartier qu’ils avaient commencé à interroger des témoins et qu’ils la tiendraient au courant de leurs progrès.
[138] La fonctionnaire a été invitée à un entretien avec les enquêteurs le 18 septembre 2018. Le 12 septembre 2018, Mme Chartier a confirmé que la fonctionnaire pourrait rencontrer les enquêteurs le 18 septembre 2018. Elle a précisé les besoins de la fonctionnaire en matière d’adaptation. Elle a également demandé un exposé clair et détaillé des allégations formulées à l’encontre de la fonctionnaire. Elle a indiqué que les première et quatrième allégations formulées dans la lettre du 28 mars 2018 étaient vagues et a demandé à l’avance des détails sur les incidents précis et les personnes concernées. Elle a ajouté que la fonctionnaire aurait besoin de temps pour examiner les allégations et se préparer à l’entretien.
[139] Le 17 septembre 2018, les enquêteurs ont répondu et confirmé qu’ils se pencheraient sur le dossier du processus de dotation lors de l’entretien avec la fonctionnaire le jour suivant. Ils ont également déclaré qu’ils fourniraient un résumé général des allégations concernant l’autre dossier.
[140] Dans sa réponse du même jour, Mme Chartier a confirmé que la fonctionnaire était à l’aise de se faire interroger sur les allégations 2 et 3. Toutefois, elle a réitéré sa demande de précisions sur la première allégation. Plus précisément, elle souhaitait obtenir des détails sur la manière dont la fonctionnaire aurait tenté d’influencer le processus de dotation. Mme Chartier a également confirmé qu’elle avait compris que les enquêteurs fourniraient des renseignements supplémentaires sur la quatrième allégation avant de procéder au deuxième entretien.
[141] Les enquêteurs ont répondu le même jour que l’allégation d’influence sur le processus de dotation portait sur trois points : le fait que la fonctionnaire ait fourni des références défavorables tardives concernant une candidate, ainsi que les allégations 2 (intimidation de Mme Ansari) et 3 (insubordination).
[142] Mme Chartier s’est entretenue avec l’un des enquêteurs le 17 septembre 2018. Elle a déclaré avoir été informée que la quatrième allégation était distincte du processus de dotation et qu’elle reposait sur des entretiens avec les collègues de la fonctionnaire. On lui aurait dit que des renseignements généraux sur ces allégations seraient communiqués lors de l’entretien avec la fonctionnaire le lendemain. Mme Chartier a également fourni des précisions sur le message précédent de l’enquêteur concernant les détails de l’allégation 1. On lui aurait fait savoir que l’allégation concernant les références tardives ainsi que les allégations 2 et 3 pourraient éventuellement servir à illustrer la tentative de la fonctionnaire d’influencer le processus de dotation.
[143] Le 18 septembre 2018, la fonctionnaire s’est présentée à l’entretien et a été interrogée sur les trois allégations relatives à la dotation. À la fin de l’entretien, les enquêteurs ont remis à la fonctionnaire un document de deux pages contenant des renseignements généraux sur la quatrième allégation. Le document comprenait 44 allégations réparties en sept thèmes récurrents, résultant d’entretiens avec 23 témoins. Il est apparu immédiatement que les allégations étaient vagues et allusives, et les témoins n’étaient pas identifiés. Mme Chartier a soutenu qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que la fonctionnaire réponde à ces allégations. Elle n’avait jamais reçu d’allégations aussi vagues lorsqu’elle représentait un membre.
[144] Le 27 septembre 2018, Mme Chartier a envoyé un courriel aux enquêteurs attestant la réception par la fonctionnaire du document sur les thèmes récurrents et la discussion qui a eu lieu à la fin de l’entretien. Elle a confirmé qu’il n’y avait aucun incident précis concernant la quatrième allégation à examiner par les enquêteurs, mais que ceux-ci étaient chargés de procéder à une vérification générale des interactions de la fonctionnaire avec ses collègues, ses supérieurs et ses subalternes sur une période indéterminée. Mme Chartier a réitéré que l’entretien avec la fonctionnaire ne pouvait pas reposer sur les déclarations anonymes, qui causaient une grande détresse à la fonctionnaire. Mme Chartier a souligné le droit de la fonctionnaire d’obtenir des allégations détaillées, y compris des précisions sur les incidents, les personnes concernées et les dates où ces incidents se seraient produits. Elle a indiqué qu’elle comprenait que les enquêteurs travaillaient actuellement à obtenir ces détails. Elle a aussi confirmé que les enquêteurs avaient accepté de fournir une copie du champ d’application de leur mandat ainsi que le nom des 23 témoins interrogés concernant la quatrième allégation.
[145] La fonctionnaire a déclaré qu’elle était anéantie et peinait à ne pas s’écrouler. Elle a soutenu que le fait d’avoir vu ce document l’avait encore plus traumatisée et qu’elle craignait que les enquêteurs aient déjà pris leur décision. Elle a écrit à Mme Chartier le lendemain de l’entretien, lui décrivant comment elle s’était sentie après l’entretien. Elle a affirmé qu’elle était épuisée par l’émotion et profondément déprimée. Elle a pleuré pendant le dîner et sur tout le chemin du retour chez elle. Elle a indiqué que toute la douleur qu’elle avait ressentie avait refait surface et qu’elle s’est sentie accablée. La fonctionnaire a dit à Mme Chartier qu’elle était contrariée par les allégations vagues et l’absence de directives dans la procédure d’enquête. Elle avait l’impression de faire l’objet d’une chasse aux sorcières, ce qui lui rappelait une enquête précédente dans laquelle elle avait participé.
[146] Le 3 octobre 2018, les enquêteurs ont transmis le résumé de l’entretien à la fonctionnaire pour qu’elle l’examine et le signe. La réponse de la fonctionnaire a fait l’objet de communications de suivi. Le 17 octobre 2018, Mme Chartier a demandé quand elles pouvaient s’attendre à recevoir les détails de la quatrième allégation, une copie du mandat et le nom des 23 témoins.
[147] Le 1er novembre 2018, les enquêteurs ont accusé réception de la réponse de la fonctionnaire au résumé de l’entretien et l’ont informée qu’ils communiqueraient avec elle pour fixer le prochain entretien et qu’ils transmettraient les renseignements demandés par Mme Chartier. Les 5 et 6 novembre 2018, Mme Chartier a communiqué les disponibilités de la fonctionnaire pour un entretien et a réitéré sa demande d’obtenir à l’avance les renseignements manquants. Selon Mme Chartier, il s’agissait d’allégations très sérieuses pouvant conduire à une mesure disciplinaire et il était important d’avoir les détails pour que la fonctionnaire puisse produire une réponse pleine et entière à ces allégations.
[148] L’entretien avait d’abord été fixé au 14 novembre 2018. Le 12 novembre 2018, les enquêteurs ont transmis la description de leur mandat et un résumé de leurs entretiens avec des employés de RNCan, lequel énumérait 67 allégations anonymes non datées de 24 témoins concernant l’allégation 4. C’est la première fois que Mme Chartier voyait une copie du mandat de l’enquêteur, ainsi libellé :
[Traduction]
[…]
Champ d’application de cette partie du mandat relativement au comportement inapproprié :
L’allégation est la suivante :
· L’employée a eu un comportement inapproprié et inacceptable dans ses interactions avec d’autres employés de RNCan.
[…]
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[149] Le mandat se poursuit ainsi : [traduction] « Interroger l’employée et jusqu’à 40 autres employés (au total pour les deux aspects des allégations, c’est-à-dire y compris la question du processus de dotation) si cela est jugé nécessaire et approprié pour mener à bien l’enquête […] »
[150] Mme Chartier a déclaré que ces renseignements étaient conformes à ce que les enquêteurs lui avaient dit au sujet du caractère distinct des deux dossiers d’enquête et que l’allégation 4 n’était pas liée au processus de dotation. Cependant, elle a été stupéfaite par la portée de cette partie de l’enquête et par le nombre de témoins avec lesquels les enquêteurs ont été chargés de s’entretenir.
[151] Mme Chartier a soutenu que le document relatif aux allégations ne contenait pas suffisamment de détails pour permettre à la fonctionnaire de répondre. Selon elle, tout comme c’était le cas pour les 44 allégations initiales, de nombreuses déclarations n’étaient pas fondées sur des faits. Par exemple, un témoin avait déclaré : [traduction] « Elle laisse entendre qu’elle a raison et que tous les autres ont tort. » Un autre témoin avait mentionné ceci : [traduction] « Elle retourne la situation contre vous. Elle donne l’impression d’être manipulatrice. »
[152] Mme Chartier a soutenu que la fonctionnaire ne pouvait pas répondre à ces allégations. Elles ne savaient pas qui avait fait ces allégations, à quels incidents on faisait référence, ni quand ils s’étaient produits. Elle s’est également inquiétée de la période non circonscrite et du moment auquel les enquêteurs ont remonté dans le passé lorsqu’ils ont interrogé les employés. Mme Chartier a conseillé à la fonctionnaire de faire part de ces préoccupations à la haute direction. Mme Chartier a expliqué qu’elle n’avait pas demandé de renseignements supplémentaires à M. Crain, parce qu’il l’avait renvoyée aux enquêteurs dans le passé, et que ces préoccupations étaient si sérieuses qu’elles justifiaient une discussion avec la haute direction.
[153] Dans un courriel du 13 novembre 2018 adressé à Mme Chartier, la fonctionnaire s’est dite d’accord avec la recommandation de cette dernière. La fonctionnaire a déclaré qu’elle ne pourrait pas participer à une autre procédure injuste et non fondée. Elle craignait d’être à nouveau traumatisée.
[154] La fonctionnaire a déclaré qu’en mars 2023, pendant que l’agent négociateur préparait l’audience, elle a finalement reçu des copies des déclarations soumises par les témoins dans le cadre de la vérification. L’une des personnes interrogées avait travaillé pour la fonctionnaire pendant environ un an à partir de mars 2002. La fonctionnaire a pu établir une corrélation entre la déclaration du témoin et la liste des allégations que les enquêteurs lui avaient communiquée. Elle n’arrivait pas à croire que les enquêteurs soient remontés aussi loin pour parler aux témoins.
[155] Le 13 novembre 2018, Mme Chartier a transmis par courriel à M. Giroux un résumé de ses préoccupations concernant la procédure d’enquête, y joignant une copie des allégations. Elle a également informé les enquêteurs que la fonctionnaire et elle ne participeraient pas au deuxième entretien concernant l’allégation 4, prévu le 22 novembre 2018. Elle a dit à M. Giroux et aux enquêteurs que les droits de la fonctionnaire en matière d’équité procédurale n’étaient pas respectés.
[156] Le 15 novembre 2018, Mme Chartier s’est entretenue avec M. Giroux. Selon elle, il paraissait surpris par le mandat des enquêteurs et il semblait partager ses préoccupations quant à l’équité du processus. Il lui a dit qu’il y avait une certaine confusion chez les enquêteurs quant à l’objet et à la portée de l’enquête. Il a déclaré que les enquêteurs n’ont jamais eu le mandat d’enquêter avec une telle latitude. Il lui a indiqué qu’il avait eu deux réunions avec les enquêteurs et que ces allégations liées à l’allégation 4 n’avaient jamais été abordées. Il a déclaré qu’il rencontrerait les enquêteurs pour clarifier ce qui s’était passé. Mme Chartier s’est dite surprise que M. Giroux n’ait pas été au courant de ce qui se passait.
[157] M. Giroux n’a pas recommuniqué avec Mme Chartier directement. Toutefois, le 15 novembre 2018, les enquêteurs ont informé la fonctionnaire que les représentants des relations de travail à RNCan leur avaient demandé de ne pas procéder à d’autres entretiens et qu’ils soumettraient leur rapport. Mme Chartier en a déduit qu’ils ne donneraient pas suite à l’allégation 4, ce qui était une hypothèse raisonnable compte tenu de sa discussion avec M. Giroux.
[158] Compte tenu des lacunes observées dans le processus, Mme Chartier s’est inquiétée du fait que les enquêteurs préparaient un rapport. Le 21 novembre 2018, elle a écrit à M. Giroux pour l’informer qu’elle estimait que l’ensemble de l’enquête était entaché d’irrégularités et pour lui demander ce que le défendeur avait l’intention de faire concernant les préoccupations qu’elle avait soulevées. Elle a également demandé une copie numérisée du mandat d’enquête signé, comme M. Giroux le lui avait promis lors de leur conversation téléphonique du 15 novembre 2018.
[159] Mme Chartier a déclaré qu’au vu de ce qui s’était passé avec l’allégation 4, sa confiance envers la capacité des enquêteurs à mener une enquête équitable s’était effritée. Elle n’a pas allégué que les enquêteurs étaient partiaux. Néanmoins, ils avaient interrogé 23 témoins au sujet de leur perception générale de la fonctionnaire, et elle craignait que ces entretiens n’influencent leur décision sur les allégations liées au processus de dotation. Mme Chartier était particulièrement préoccupée par le fait que la fonctionnaire n’avait pas eu l’occasion de répondre à ces allégations.
[160] Le 27 novembre 2018, M. Giroux a remis à Mme Chartier l’énoncé des travaux, qui reprend les quatre allégations dans le même ordre que la lettre du 28 mars 2018. Ce document, qui n’est pas le mandat complet, ne montre pas que l’allégation 4 est distincte des autres allégations liées au processus de dotation. Le défendeur n’a pas expliqué pourquoi les enquêteurs disposaient d’une copie différente du mandat.
[161] Le 21 décembre 2018, M. Crain a remis à Mme Chartier une copie du rapport définitif. Elle ne l’a reçu que le 7 janvier 2019, à son retour de vacances. Les enquêteurs ont formulé des conclusions concernant les quatre allégations.
[162] Mme Chartier a déclaré que lorsqu’elle a examiné le rapport, elle a été surprise d’y voir l’allégation 4. Elle a également noté que l’enquêteur a utilisé des faits survenus dans le cadre du processus de dotation pour étayer l’allégation 4. La fonctionnaire n’en avait pas été informée ni n’a eu la possibilité de répondre à l’allégation 4. Mme Chartier a déclaré qu’elle avait compris que l’allégation 4 constituait un dossier distinct et que les enquêteurs n’examineraient pas cette question.
[163] Le 16 janvier 2019, Mme Chartier a envoyé un courriel à M. Giroux par lequel elle accusait réception du rapport d’enquête. Elle l’a informé qu’avant de répondre au rapport, la fonctionnaire et elle avaient besoin d’une mise à jour sur ce que le défendeur avait l’intention de faire pour répondre aux préoccupations concernant l’équité de la procédure d’enquête. Le 18 janvier 2019, M. Giroux a répondu que les quatre allégations présentées à la fonctionnaire avaient fait l’objet d’une enquête conformément aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale. Il a également déclaré qu’il avait précisé aux enquêteurs de limiter la portée de l’enquête en fonction des allégations présentées à la fonctionnaire.
[164] Le 30 janvier 2019, un grief a été déposé concernant la procédure d’enquête et le rapport connexe. Mme Chartier a préparé des observations écrites contenant un aperçu exhaustif des questions d’équité procédurale soulevées par l’enquête. Elle a également préparé une réponse complète à chacune des conclusions des enquêteurs, réponses qui ont été présentées lors de l’audience relative au grief qui s’est tenue le 21 octobre 2019. Comme il a été indiqué, la SMA Johnson a estimé que l’allégation 4 n’était pas concluante, parce que les enquêteurs n’avaient pas le point de vue de Mme Falconer sur ses entretiens avec la fonctionnaire. La décision aborder les observations plus générales de Mme Chartier concernant la réalisation par l’enquêteur d’une vérification relative à l’allégation 4 et l’incidence possible de cette vérification sur les conclusions relatives aux allégations 1 à 3. Mme Chartier est d’avis que le défendeur tentait de cacher ce qui s’était réellement passé au cours de la procédure d’enquête.
[165] Selon Mme Chartier, toute l’enquête était entachée d’irrégularités et constituait une chasse aux sorcières contre la fonctionnaire. Elle a eu l’impression que le défendeur ignorait la nature de l’enquête qui avait eu lieu. La fonctionnaire a reçu des messages contradictoires concernant le mandat, qui prévoyait dès le départ une vérification de grande portée. Selon Mme Chartier, toute l’enquête aurait dû être interrompue. Or, la quatrième allégation a plutôt été modifiée et le rapport a été remis neuf mois après que la fonctionnaire eut été mise au fait pour la première fois des allégations.
VII. Question no 2 : Analyse
[166] L’inconduite dont a fait preuve la fonctionnaire dans le cadre du processus de dotation était grave. Compte tenu du nombre d’incidents et de possibles témoins, dont les supérieurs de la fonctionnaire, de la complexité des questions et des conséquences possibles pour la fonctionnaire, il était raisonnable que le défendeur retienne les services d’un tiers indépendant pour enquêter sur les allégations découlant du processus de dotation. Pour ces raisons, je ne souscris pas à l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle le défendeur a fait preuve de mauvaise foi lorsqu’il a décidé d’ouvrir une enquête administrative. La question est de savoir si l’enquête ouverte par le défendeur était inéquitable sur le plan procédural et menée de mauvaise foi, comme le prétend la fonctionnaire.
[167] L’agent négociateur soutient que l’enquête a été menée de mauvaise foi à plusieurs égards. Cette partie de la décision se concentre sur les observations de l’agent négociateur concernant la nature évolutive de l’allégation 4.
[168] Le défendeur soutient que la procédure d’enquête a satisfait aux exigences d’équité procédurale en ce qui concerne les allégations 1, 2 et 3 et que la quatrième allégation n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Il avance également qu’un nouvel arbitrage du grief par la Commission corrige tout préjudice ou injustice qu’un vice de procédure aurait pu causer (voir Aujla c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 38 (« Aujla »)).
[169] Le défendeur n’a apporté aucun élément de preuve pour contredire ou expliquer le témoignage de Mme Chartier ou pour défendre la procédure d’enquête. Par conséquent, il n’existe aucune preuve permettant de réfuter le témoignage clair, convaincant et bien documenté de Mme Chartier concernant son expérience de la procédure d’enquête. Il s’agit notamment de la conversation téléphonique du 15 novembre 2018 entre Mme Chartier et M. Giroux, au cours de laquelle ce dernier l’a informée qu’il pensait que les enquêteurs avaient mal compris leur mandat. Ces éléments de preuve mettent en évidence un problème important dans la conception du mandat et la chronologie de la procédure d’enquête. Par conséquent, j’admets le témoignage de Mme Chartier selon lequel M. Giroux lui a fait ces déclarations, mais je ne les admets pas pour la véracité de leur contenu. L’explication selon laquelle les enquêteurs comprenaient mal leur mandat ne correspond pas aux documents que Mme Chartier a reçus directement des enquêteurs. En outre, le défendeur n’a pas invoqué cet élément dans sa défense limitée de la procédure d’enquête.
[170] Mme Chartier a demandé à plusieurs reprises des précisions sur la quatrième allégation afin que la fonctionnaire puisse y répondre comme il se doit. La fonctionnaire avait droit d’obtenir ces détails par souci d’équité procédurale. À partir de septembre 2018 et tout au long de l’enquête, plusieurs versions de l’allégation 4 ont été communiquées à Mme Chartier. Tout d’abord, on lui a dit que l’allégation 4 était distincte des trois autres allégations relatives au processus de dotation. Elle a ensuite reçu une liste de 44 allégations vagues et graves qui auraient été tirées d’entretiens avec 23 personnes anonymes. Cette liste s’est allongée en novembre 2018 à 67 allégations, provenant de 24 personnes anonymes. Bien que de plus amples renseignements aient été fournis, les allégations étaient toujours anonymes et non datées, et la plupart d’entre elles restaient vagues et allusives.
[171] La fonctionnaire avait le droit de connaître les détails des allégations portées contre elle. Je constate que le document contenant les 67 allégations comporte l’introduction suivante : [traduction] « Les répétitions ont été évitées autant que possible, car les employés peuvent avoir vécu des expériences similaires ou avoir été témoins des mêmes événements. » La fonctionnaire avait également le droit d’obtenir ces renseignements et de savoir si plusieurs personnes avaient fait ces allégations et s’il y avait eu des témoins. Elle n’a jamais reçu suffisamment de détails pour répondre à l’allégation 4.
[172] Mme Chartier a également reçu différentes versions du mandat des enquêteurs. Lors de l’entretien du 18 septembre 2018, elle a appris des enquêteurs qu’il y avait deux mandats distincts : l’un pour les trois allégations relatives au processus de dotation et l’autre pour une vérification non circonscrite. Les enquêteurs ont fourni à Mme Chartier une copie de leur mandat, confirmant que l’allégation 4 était distincte et qu’ils étaient autorisés à interroger jusqu’à 40 personnes dans le cadre des deux dossiers.
[173] Au moment où Mme Chartier a pris connaissance du mandat, les enquêteurs avaient mené des entrevues avec au moins 23 employés, anciens et actuels, qui avaient été invités à partager leurs impressions sans fard de la fonctionnaire. À partir de ces entretiens, les enquêteurs ont répertorié au moins 67 allégations d’inconduite, mais n’ont pas fait part à la fonctionnaire des commentaires positifs ou neutres formulés à son sujet au cours de la vérification. Plus important encore, la fonctionnaire n’a jamais reçu suffisamment de détails pour répondre aux allégations et n’a jamais été interrogée sur ces dernières avant que le défendeur ne change de cap.
[174] Lorsque Mme Chartier a fait part de ses préoccupations concernant le double mandat d’enquête, M. Giroux a répondu que les enquêteurs avaient dû mal comprendre leur mandat. Il lui a ensuite envoyé l’énoncé des travaux créé à des fins contractuelles plutôt que les documents de mandat signés.
[175] Mme Chartier a fait part de ses préoccupations à M. Giroux parce qu’elle a conclu qu’il y avait des violations flagrantes de l’équité procédurale qui donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité, sapant ainsi l’ensemble de la procédure d’enquête. Or, les enquêteurs ont plutôt reçu des instructions pour conclure l’enquête avec les renseignements qu’ils avaient déjà recueillis. Ils ont utilisé ces renseignements pour étayer une version différente de l’allégation 4 concernant l’entretien du 19 mars 2018 entre la fonctionnaire et Mme Falconer. Le défendeur a ensuite rejeté l’allégation 4 au motif qu’elle était non concluante, parce qu’on n’avait pas accès au témoignage de Mme Falconer. Il est possible que l’allégation 4 concerne depuis le début l’entretien du 19 mars 2018. Cependant, aucune preuve n’a été fournie par le défendeur pour étayer cette affirmation, et personne n’a informé la fonctionnaire de cette situation.
[176] Mme Chartier, qui, de tous les témoins, a été la plus étroitement liée à la procédure d’enquête, n’a pas allégué que les enquêteurs étaient partiaux. En effet, ils sont parvenus à un grand nombre de conclusions identiques à celles de la Commission en ce qui concerne l’inconduite de la fonctionnaire. Elle s’inquiétait toutefois, à juste titre, de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Je partage la préoccupation de Mme Chartier selon laquelle les enquêteurs auraient pu être influencés par les 23 entretiens qu’ils ont menés, en particulier ceux réalisés dans le cadre de la partie du mandat liée à la vérification, lorsqu’ils ont évalué les allégations précisément liées au processus de dotation. Une procédure équitable est essentielle pour garantir la fiabilité des résultats de l’enquête.
[177] Le défendeur est chargé de la tenue de l’enquête. Compte tenu de ce que les enquêteurs ont écrit à Mme Chartier, il est peu probable qu’ils aient mal compris leur mandat. Ils ont été autorisés à parler à plus de 40 personnes, ce qui est bien plus que ce qui aurait été nécessaire pour rendre une décision sur les trois allégations liées au processus de dotation. La nature des allégations présentées à la fonctionnaire et formulées par des témoins anonymes, dont l’un a travaillé pour la fonctionnaire pendant un an en 2002, soit 16 ans avant le début de l’enquête, confirme l’affirmation des enquêteurs quant à la nature non circonscrite de leur mandat de vérification. Même si les enquêteurs avaient mal compris leur mandat, ce qui n’est pas démontré, ce serait une raison de plus pour mettre fin à l’enquête.
[178] Sans aucune explication de la part du défendeur, j’estime que l’enquête a été gérée par le défendeur de mauvaise foi. Il a saisi l’occasion offerte par les allégations relatives au processus de dotation pour procéder à un examen de grande envergure de la conduite de la fonctionnaire au travail. Lorsque Mme Chartier a fait part de ses préoccupations à ce sujet, le défendeur l’a induite en erreur en demandant aux enquêteurs de formuler des conclusions sur l’allégation 4 sans en informer la fonctionnaire. Cette décision était injuste, trompeuse et trop implacable, a causé un retard important, a entaché l’enquête sur les trois allégations relatives au processus de dotation et a causé un préjudice inutile à la fonctionnaire.
[179] Les éléments de preuve dont je dispose ne me permettent pas de conclure que la conduite du défendeur était abusive. Le traitement réservé par la fonctionnaire à d’autres personnes sur son lieu de travail pose problème. C’est ce qui ressort des conclusions de la présente décision. Toutefois, le défendeur dispose d’autres outils pour régler ces questions.
[180] Je ne partage pas l’avis du défendeur selon lequel les manquements à l’équité procédurale en l’espèce sont comparables aux vices de procédure relevés dans la décision Aujla. Dans cette affaire, l’allégation de faux témoignages a été remplacée par celle de faux renseignements. L’arbitre de grief a estimé qu’il s’agissait de la même chose. Les vices de procédure décrits par Mme Chartier touchent aux fondements de la procédure d’enquête et ne peuvent être entièrement résolus par une audience de novo devant la Commission.
[181] Ayant conclu que l’enquête a été menée de mauvaise foi en ce qui concerne l’allégation 4, il n’est pas nécessaire d’examiner en détail les autres arguments relatifs à la mauvaise foi soulevés par la fonctionnaire. Par exemple, celle-ci a allégué que le défendeur s’apprêtait à lui remettre une lettre des attentes et qu’il avait soudainement changé d’avis. Il s’agissait de conjectures, et les témoins concernés à l’époque ont confirmé que plusieurs événements s’étaient produits sur une courte période, et qu’ils avaient envisagé certaines options. La fonctionnaire a également prétendu qu’on avait fait preuve de mauvaise foi en enquêtant à son sujet pour avoir tardé à signer la grille alors que les vacances de Mme Leduc avaient retardé le processus de dotation beaucoup pour une bien plus longue période. Il n’y a pas de comparaison possible entre les vacances de Mme Leduc et les activités de la fonctionnaire après que celle-ci eut reçu la grille le 7 mars 2018.
VIII. Réparations
[182] La Commission a rejeté le grief lié à la décision disciplinaire. Par conséquent, la fonctionnaire n’a pas droit à l’annulation de la mesure disciplinaire ni à une quelconque indemnisation pécuniaire découlant de l’imposition de la mesure disciplinaire.
A. Perte de revenus
[183] La fonctionnaire a affirmé qu’elle avait l’intention de travailler pendant 15 années supplémentaires après avoir quitté le lieu de travail le 28 mars 2018, mais que la conduite du défendeur l’avait privée de cette possibilité. Le 28 juillet 2018, on a approuvé des prestations d’ILD pour la fonctionnaire. Elle continuera à toucher des prestations pour incapacité totale jusqu’au 21 décembre 2032 (date à laquelle elle atteindra 65 ans), sous réserve de la production périodique d’une attestation médicale. À ce moment-là, la fonctionnaire touchera sa pension si elle est toujours incapable de travailler. Le défendeur a offert à la fonctionnaire de prendre sa retraite pour raison de santé, ce qu’elle n’a pas encore accepté. Elle n’a pas non plus pu chercher un autre emploi, parce qu’elle n’a pas pu en obtenir l’autorisation de ses médecins.
[184] La demande initiale de la fonctionnaire concernant la perte de revenus a été modifiée après les observations finales. Compte tenu de sa perte de revenus, la fonctionnaire demande que la Commission ordonne au défendeur de payer les cotisations au régime de retraite de l’employée et de l’employeur pour la période du 28 juillet 2018 au 21 décembre 2032 (ou plus tôt si les prestations d’ILD prennent fin) ou jusqu’à la date de la décision de la Commission.
[185] Je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel la fonctionnaire ne peut obtenir de dommages-intérêts pour perte de revenus, puisque la fonctionnaire est incapable de travailler pour des raisons de santé (voir Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43, au par. 15). En outre, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant la nature du ou des problèmes de santé de la fonctionnaire ou son pronostic, et la preuve présentée n’a pas permis d’établir que le défendeur avait causé les problèmes de santé qui ont empêché la fonctionnaire de retourner au travail.
[186] La demande de dommages-intérêts de la fonctionnaire pour perte de revenus, sous forme de paiements de cotisations au régime de retraite, est rejetée.
B. Dommages-intérêts pour souffrance morale
[187] La fonctionnaire a demandé une ordonnance lui accordant 30 000$ au titre des dommages-intérêts pour souffrance morale. Elle a allégué que la conduite du défendeur lui a causé une grande souffrance morale à partir de l’entretien du 28 mars 2018, lorsqu’elle a été informée de la tenue d’une enquête administrative. Elle a soutenu qu’il était prévisible que les actions du défendeur lui causeraient un préjudice important.
[188] Le paragraphe 228(2) de la Loi prévoit qu’après étude du grief, l’arbitre de grief tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. Le défendeur n’a pas contesté que la Commission dispose d’un large pouvoir de redressement pour accorder des dommages-intérêts, y compris pour souffrance morale. De l’avis du défendeur, les faits en l’espèce n’appuient pas l’octroi de dommages-intérêts.
[189] La fonctionnaire a fait valoir que son témoignage justifie l’octroi de dommages-intérêts sans preuve médicale à l’appui. Elle a déclaré avoir été [traduction] « prise au dépourvu », [traduction] « abasourdie » et [traduction] « anéantie » et ne pas avoir été préparée émotionnellement à ce qu’elle a vécu lors de l’entretien du 28 mars 2018. Elle a été immédiatement mise en congé de maladie lorsqu’elle a consulté son médecin le lendemain. Elle a décrit des maux de tête, de la difficulté à fonctionner, ainsi qu’une perte de motivation et d’envie de faire des choses. Elle a caché la situation à ses enfants, mais cela a nui à sa capacité habituelle à jouer les rôles de mère, d’épouse et de fille. Elle est toujours réticente à l’idée de sortir en public et ne socialise plus comme avant. Sa mémoire et sa capacité à travailler sous pression ont été affectées. La fonctionnaire a déclaré que cette expérience avait changé sa vie et qu’elle n’avait plus jamais été la même.
[190] La fonctionnaire a déclaré que le 18 septembre 2018, lorsqu’on lui a remis le document contenant 44 allégations d’un témoin anonyme, elle a eu du mal à se ressaisir. Elle se souvient que les enquêteurs avaient été chargés de mener une vérification générale et que les résultats étaient [traduction] « mauvais ». Elle a déclaré que cela l’avait anéantie et qu’elle avait eu l’impression que les enquêteurs avaient déjà pris leur décision. Elle a ajouté n’avoir vu la liste des témoins pour la partie de l’enquête portant sur la vérification qu’en mars 2023, lors de la préparation de l’agent négociateur en vue de l’audience. Elle a déclaré que cela lui rappelait ce qu’elle a prétendu être les tactiques du défendeur lors d’une enquête précédente en 2014, et elle s’est sentie victimisée et traumatisée, comme si elle jouait le rôle de bouc émissaire une fois de plus.
[191] Le défendeur a fait valoir que l’octroi de dommages-intérêts pour souffrance morale nécessite qu’on démontre qu’il se soit comporté « de façon inéquitable ou [en faisant] preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteu[r], trompeu[r] ou trop implacabl[e] » (voir Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 (« Honda »), aux par. 56 à 60). Le défendeur est d’avis que rien ne permet de conclure qu’il s’est comporté d’une telle façon ni qu’il a causé à la fonctionnaire un préjudice psychologique. Le défendeur a également fait valoir qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’un lien de causalité entre sa conduite et l’état de santé de la fonctionnaire (voir Dussah c. Administrateur général (Bureau du dirigeant principal des ressources humaines), 2020 CRTESPF 18 (« Dussah »), au par. 486).
[192] Dans l’arrêt Honda, la Cour a jugé que la souffrance morale normale causée par un congédiement n’est pas indemnisable. Je tire une conclusion similaire en l’espèce en ce qui concerne la décision du défendeur d’ouvrir l’enquête. L’enquête a été lancée en raison de l’inconduite de la fonctionnaire et la décision d’enquêter n’était pas déraisonnable. Par conséquent, la fonctionnaire n’a pas droit à une indemnisation pour la souffrance morale normale causée par la décision d’enquêter ou la manière dont l’entretien du 28 mars 2018 s’est déroulé. Je note également qu’elle a reçu le feu vert des médecins pour participer à l’enquête malgré les répercussions de l’entretien du 28 mars 2018. Cela dit, je répète que je n’ai pas fait de commentaires sur les dommages-intérêts pour souffrance morale qui pourraient être accordés si l’on concluait à l’existence de représailles. Cette question sera tranchée en temps utile dans le cadre d’une instance distincte.
[193] La fonctionnaire a droit à des dommages-intérêts pour souffrance morale en raison de la gestion de la procédure d’enquête par le défendeur. La partie de l’enquête consacrée à la vérification a entraîné des retards importants. La fonctionnaire a éprouvé une souffrance morale inutile lorsqu’on lui a présenté 44, puis 67 allégations d’inconduite émanant de sources anonymes, plusieurs mois après le début de l’enquête. Elle a également été induite en erreur par le défendeur qui lui avait dit que les enquêteurs avaient mal compris leur mandat. Elle a perdu confiance dans l’ensemble de l’enquête, ce qui a ajouté une souffrance morale considérable à un processus déjà difficile.
[194] Enfin, après avoir raisonnablement supposé que les enquêteurs ne donneraient pas suite à l’allégation 4, la fonctionnaire a éprouvé une souffrance supplémentaire lorsqu’elle a découvert qu’elle était coupable d’une conduite inappropriée à l’égard des employés de RNCan, sans avoir reçu les détails de ces allégations ni eu l’occasion d’y répondre. Bien que le défendeur ait fini par abandonner cette allégation, il a fallu attendre des mois avant que cette décision ne soit prise. La fonctionnaire a droit à une indemnisation pour la souffrance morale qu’elle a subie et qui est attribuable aux effets d’un processus d’enquête injuste, trompeur et insensible mené de mauvaise foi par le défendeur.
[195] Sur la question de la sévérité de la mesure disciplinaire, je n’ai aucune difficulté à accepter le témoignage de la fonctionnaire sans preuve médicale ou psychologique. Je suis également d’avis que la demande de dommages-intérêts de la fonctionnaire pour souffrance morale est comparable à celle du fonctionnaire s’estimant lésé dans l’affaire Mattalah c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2018 CRTESPF 13. Dans cette affaire, le manque de franchise et de clarté de l’employeur a eu des répercussions négatives sur le fonctionnaire. Cela lui a causé une douleur et une souffrance similaires à celles de la fonctionnaire dans l’affaire dont je suis saisie. Le fonctionnaire s’est vu accorder 20 000 $ au titre des dommages-intérêts.
[196] En l’espèce, la demande de 30 000$ au titre des dommages-intérêts présentée par la fonctionnaire n’est pas excessive. J’ai réduit le montant de l’indemnisation pour refléter ma décision selon laquelle la fonctionnaire n’a pas droit à des dommages-intérêts pour les répercussions de la décision d’enquêter et pour l’imposition d’une mesure disciplinaire. Par ailleurs, sa demande est raisonnable et étayée par son témoignage sur les répercussions de la procédure d’enquête.
[197] La fonctionnaire se voit accorder 20 000 $ pour souffrance morale.
C. Dommages-intérêts punitifs
[198] La fonctionnaire a demandé à la Commission de rendre une ordonnance de dommages-intérêts punitifs de 30 000 $.
[199] Le défendeur soutient que les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que pour punir les comportements fautifs qui sont « […] si malveillant[s] et inacceptable[s] qu’il[s] justifie[nt] une sanction indépendante » (voir Honda, au par. 62). En outre, le défendeur soutient que les dommages-intérêts punitifs doivent être rationnellement nécessaires pour dissuader l’employeur de répéter un comportement répréhensible, compte tenu des autres réparations accordées (voir Dussah, au par. 487).
[200] Le défendeur est d’avis que la conduite de l’employeur ne répond pas aux critères énoncés au paragraphe 36 de l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18. La preuve doit établir que la conduite en question est « malveillante, opprimante et abusive » et qu’elle « choque le sens de la dignité de la cour ».
[201] La fonctionnaire s’est appuyée sur la décision Robitaille c. Administrateur général (ministère des Transports), 2011 CRTFP 28 (« Robitaille »), dans laquelle la Commission a conclu que les mesures disciplinaires imposées à un gestionnaire de Transports Canada à la suite d’une enquête sur une plainte de harcèlement n’étaient pas justifiées. L’arbitre de grief a conclu que l’administrateur général avait manqué à ses devoirs de transparence, de diligence, de prudence et d’impartialité. Le fonctionnaire a été réintégré dans son poste de gestion et il s’est vu octroyer des dommages compensatoires et punitifs.
[202] Des dommages-intérêts punitifs ont été octroyés à la suite de l’arbitrage de quatre griefs en faveur du fonctionnaire. Les griefs avaient pour objet de contester : 1) l’iniquité des conclusions d’une enquête concernant des allégations de harcèlement portées contre lui par une subalterne, 2) l’imposition d’une suspension disciplinaire de 15 jours, 3) l’affectation à d’autres tâches contre son gré et 4) l’imposition d’un plan de redressement.
[203] J’ai refusé d’accorder des dommages-intérêts punitifs sur la base des questions soulevées et des éléments de preuve présentés dans la présente affaire. Il existe deux distinctions essentielles entre les faits de l’affaire Robitaille et ceux de l’affaire dont je suis saisie. La première est que la fonctionnaire n’a pas obtenu gain de cause sur le volet disciplinaire du grief dont je suis saisie. La seconde est que l’arbitre de grief dans Robitaille avait accès à l’ensemble des faits et des conclusions concernant tous les griefs liés à la plainte de harcèlement et aux mesures disciplinaires. En l’espèce, j’ai examiné la question de la mesure disciplinaire et de l’équité de la procédure d’enquête. Toutefois, la procédure d’enquête est également en cause dans la plainte de représailles en cours d’examen présentée par la fonctionnaire.
[204] Je n’ai pas conclu, après examen de la preuve dont je disposais et des questions qui m’étaient soumises, que la conduite du défendeur était malveillante ou que des dommages-intérêts punitifs étaient nécessaires pour dissuader l’employeur de répéter son comportement. Toutefois, comme je l’ai dit tout au long de la présente décision, il est loisible au membre de la Commission qui entend la plainte de représailles et le grief d’examiner si les mêmes circonstances, dans un contexte différent, permettent de conclure à l’existence de représailles et appellent l’octroi de dommages-intérêts punitifs.
D. Dommages-intérêts pour les jours d’audience perdus
[205] La fonctionnaire a soutenu que le défendeur devrait être tenu de verser des dommages-intérêts pour les jours d’audience perdus. Les parties ont convenu que la Commission n’a pas le pouvoir d’adjuger des dépens. La fonctionnaire a réclamé des dommages-intérêts pour entrave au processus d’arbitrage, en s’appuyant sur l’arrêt Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158 (« Tipple »). Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle un arbitre de grief a le pouvoir d’indemniser une partie pour les pertes subies qui résultent des gestes de l’autre partie.
[206] La fonctionnaire a soutenu que 10 jours d’audience ont été perdus : 5 à l’automne 2022, en raison de lacunes dans la production de la documentation du défendeur avant l’audience et 5 à l’automne 2023, lorsque le défendeur a changé d’avocat.
[207] L’audience sur les griefs relatifs à la mesure disciplinaire et aux représailles (qui ont été regroupés à ce moment-là) devait initialement se tenir du 21 au 23 septembre 2022. Le 22 août 2022, l’agent négociateur a demandé au défendeur de fournir de plus amples précisions. Les parties se sont rencontrées, mais n’ont pas pu s’entendre au sujet de la demande. Une conférence de gestion de l’instance a été fixée au 12 septembre 2022, à l’issue de laquelle la Commission a rendu une directive par laquelle elle accédait en partie, mais pas en totalité, à la demande de l’agent négociateur.
[208] L’audience a débuté le 21 septembre 2022, mais on a reporté les séances des 22 et 23 septembre 2022 et du 31 octobre 2022. En outre, les séances des 7 et 8 décembre 2022 ont été converties en audience préliminaire sur les questions de production non réglées. En fonction de la disponibilité des parties et de la Commission, l’audience a repris les 3, 4, 5 et 6 avril 2023.
[209] Les questions de divulgation non réglées du défendeur ont été résumées dans une directive de la Commission datée du 31 janvier 2023 :
[Traduction]
[…]
La présente directive fait suite à une audience préliminaire tenue les 7 et 8 décembre 2022 afin d’examiner les obligations de divulgation en suspens de l’employeur.
La Commission a délivré des instructions en matière de divulgation le 12 septembre 2022, le 21 septembre 2022 et le 18 octobre 2022. Le 21 novembre 2022, les parties ont participé à une conférence de gestion de l’instance au cours de laquelle la Commission a indiqué que toutes les questions de divulgation non réglées seraient examinées le 7 décembre 2022. L’employeur a accepté de présenter des témoins pour expliquer sa recherche de documents potentiellement pertinents afin de s’assurer que la totalité de ceux-ci a été divulguée avant la reprise de l’audience sur le fond.
Les parties ont produit un énoncé conjoint des faits décrivant la chronologie des événements liés à la divulgation des documents pour l’employeur et la Commission a entendu les témoignages de MM. Andrew Crain, Justin Théberge et Luc Deault.
La décision définitive sur le fond en l’espèce abordera la question de la divulgation de manière plus exhaustive, y compris toute question de préjudice soulevée au cours de l’audience. Aux fins de la présente directive, la Commission souhaite mettre l’accent sur deux préoccupations principales.
La première préoccupation concerne la compréhension par l’employeur de l’étendue de ses obligations en matière de divulgation. Selon la politique de la Commission relativement aux listes de documents à produire avant l’audience, les parties doivent fournir, 60 jours avant l’audience, une liste de documents indiquant, selon la pleine mesure de leurs connaissances, de l’information dont elles disposent et de leurs convictions, tous les documents potentiellement pertinents quant à la question en litige. Conformément à cette politique, le syndicat a produit environ 3 800 pages. L’employeur a divulgué neuf dossiers. Le syndicat savait que cela était insuffisant, car Mme Wilson avait obtenu beaucoup plus de documents potentiellement pertinents grâce à ses demandes d’accès à l’information. L’employeur a expliqué lors de l’audience préliminaire que, jusqu’à récemment, il n’avait pas envisagé que son obligation de produire les documents potentiellement pertinents s’étende au-delà des documents contenus dans le dossier des relations du travail. Outre les documents qui seraient produits pour le dossier des relations du travail dans une question potentiellement disciplinaire, l’employeur n’a pas de procédure pour s’assurer que tous les autres courriels et documents relatifs à cette question sont conservés. Cela pose particulièrement problème dans un contexte où les dossiers de courriels sont supprimés peu de temps après la mutation ou la démission d’un employé.
La deuxième préoccupation est que, lorsque l’employeur a entrepris ses recherches élargies qui étaient requises dès le départ, il n’a pas adapté les critères de recherche de manière appropriée, ce qui a entraîné la divulgation au syndicat d’environ 10 000 pages de documents. Parmi les documents divulgués, certains n’étaient pas liés à la question en litige et certains contenaient des renseignements personnels et confidentiels qui n’auraient jamais dû être communiqués.
Dans ces circonstances, la Commission ne peut conclure que l’employeur s’est acquitté de ses obligations de divulgation au titre de la politique de la Commission. Un certain nombre de jours d’audience ont été perdus à cause de cette question et d’innombrables heures ont été gaspillées parce que le syndicat tente de trier les documents sans avoir l’assurance que tous les documents potentiellement pertinents ont été divulgués. Il n’est pas surprenant que le syndicat ait jugé qu’il n’est plus utile à ce stade-ci de continuer à demander des renseignements à l’employeur.
Le syndicat a demandé à la Commission de se prononcer sur plusieurs points, notamment sur les violations de la politique sur la technologie de l’information concernant la suppression des dossiers de courriels. Ce n’était pas l’objet de l’audience et le syndicat reconnaît que ces demandes ont été faites sans que l’employeur en soit dûment informé. Toutefois, le rôle de la Commission est de veiller à ce que tout préjudice découlant du manquement de l’employeur à ses obligations de divulgation soit traité de manière appropriée au cours de l’audience. Aucune partie devant la Commission ne devrait avoir à s’appuyer sur les résultats des demandes d’accès à l’information pour présenter sa cause. Toute incidence préjudiciable sur le syndicat et sur Mme Wilson sera traitée de manière appropriée lors de l’audience sur le fond. Cela peut avoir pour conséquence que la Commission refuse d’accepter en preuve des documents sur lesquels l’employeur a l’intention de s’appuyer. La Commission peut également tirer une conclusion défavorable du fait que les documents n’ont pas été produits conformément à la politique et aux instructions de la Commission. La Commission examinera également si l’octroi de dommages-intérêts est approprié dans les circonstances.
[…]
[210] La fonctionnaire a également fait valoir que cinq jours d’audience prévus les 11, 21, 25, 28 et 29 septembre 2023 ont été perdus parce que le défendeur a changé d’avocat. Après les séances d’avril 2023, l’audience s’est poursuivie les 16 et 20 juin 2023. C’est alors que l’ancien avocat du défendeur a avisé à la Commission qu’il ne s’occuperait plus du dossier. Ce n’est que le 8 août 2023 que le défendeur a informé la Commission qu’un nouvel avocat était désormais chargé du dossier. À la même occasion, le défendeur a demandé l’ajournement des séances d’audience prévues en septembre 2023. La Commission a fait droit à cette demande.
[211] Le défendeur a soutenu que le concept d’entrave à la justice est réservé à des circonstances très inhabituelles lors desquelles une partie entrave ou retarde la procédure, ce qui entraîne des frais juridiques supplémentaires inutiles pour l’autre partie. Selon le défendeur, la jurisprudence établit un seuil élevé pour une telle conclusion, qui n’est appropriée que dans de rares cas.
[212] Le défendeur est d’avis que les faits dans l’arrêt Tipple sont distincts des faits en l’espèce. Le prédécesseur de la Commission a expressément conclu que l’employeur avait fait preuve d’obstruction en « […] omettant de façon répétée de respecter les ordonnances de divulgation […] » et qu’il avait « […] adopté un comportement l’amenant à s’exécuter tardivement et de façon insuffisante, et [qu’il] n’a[vait] remédié à ce comportement qu’à la suite d’une pression incessante exercée par l’avocat de M. Tipple ».
[213] Le défendeur s’est appuyé sur la décision C.D. c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2024 CRTESPF 22, dans laquelle la Commission n’a pas conclu que le comportement de l’employeur était délibéré malgré le défaut de l’employeur de tenir des registres et le report de l’audience. Le Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 256 :
[256] Quant à la demande du fonctionnaire pour des dommages pour entrave à la justice, il m’est impossible de conclure que l’employeur a délibérément entravé ou retardé le processus d’arbitrage. La conduite de l’employeur ne peut pas être décrite comme étant abusive ou cherchant à faire obstruction de la partie adverse (voir Tipple, au par. 29). Bien que l’employeur n’ait pas fourni d’explication pour son défaut de conserver des documents, la preuve est insuffisante pour me permettre de conclure qu’il a délibérément détruit ou altéré la preuve en cherchant à faire obstruction à la partie adverse. Quant au délai dans le processus d’arbitrage, l’employeur a informé la partie adverse et la Commission de délais dans la divulgation, bien que tardivement. Il est malheureux qu’il fût nécessaire que la Commission émette une ordonnance de divulgation pour s’assurer que la divulgation ait lieu en temps opportun pour éviter un deuxième report de l’audience. Toutefois, lorsqu’une ordonnance de divulgation a été émise, l’employeur s’y est conformé et a divulgué certains documents. J’accepte que l’audience ait dû être reportée une fois en raison de délais de la part de l’employeur de divulguer des documents. Toutefois, il m’est impossible de conclure que le report fut nécessaire en raison d’un comportement délibéré de la part de l’employeur. De plus, aucune preuve n’a été présentée à l’audience pouvant démontrer que le fonctionnaire a engagé des frais juridiques additionnels en raison du report de l’audience.
[214] Il convient d’établir une distinction entre la présente affaire et les faits très inhabituels de l’affaire Tipple. Dans cette affaire, M. Tipple avait personnellement engagé des frais juridiques pour faire valoir ses griefs, qui ont tous été retenus. Son avocat avait fourni une déclaration détaillée de toutes les mesures raisonnables prises en son nom en raison du non‑respect par le défendeur des ordonnances de divulgation. Les parties avaient convenu que la valeur des dépenses inutiles qu’il avait engagées était importante. Dans l’affaire qui m’occupe, la fonctionnaire n’a pas personnellement porté une charge financière injustifiée sous la forme de frais judiciaires en raison de la conduite du défendeur.
[215] Plus important encore, je ne peux pas conclure que le défendeur a délibérément retardé l’instance ou s’est engagé dans une conduite qui peut être qualifiée d’abusive ou de tentative d’obstruction de la partie adverse. Au début de cette affaire, il y avait un différend sur la portée des griefs relatifs à la mesure disciplinaire et aux représailles. La requête initiale de production de documents a été contestée. Ce qui est normal dans un cas aussi complexe. Si je reconnais qu’au cours des trois mois suivants, le défendeur a manqué à plusieurs reprises à ses obligations de divulgation, cela est dû à l’absence d’un système administratif approprié pour fournir à son avocat tous les documents potentiellement pertinents. Il ne fait aucun doute que le défendeur est responsable de ces manquements, mais, dans les circonstances de l’espèce, j’estime que la conduite de l’employeur n’atteint pas le critère élevé établi dans Tipple.
[216] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que c’est à tort que la fonctionnaire s’appuie sur ce qui se passerait dans le cadre d’un arbitrage privé. La Commission n’a pas pour pratique d’adjuger des dépens ou de fixer des frais d’annulation en fonction de ce qui serait adjugé dans le cadre d’un arbitrage privé.
[217] En ce qui concerne le changement d’avocat, l’agent négociateur s’est opposé à la demande de report présentée en septembre 2023 en vue de changer d’avocat. Un autre membre de la Commission a examiné les arguments avancés à ce moment-là et a accordé le report. Je ne reviendrai pas sur ces observations ni sur la décision de la Commission. Les parties ont participé à une conférence de gestion de l’instance en septembre 2023 et ont fixé de nouvelles dates d’audience dès que possible. L’audience a repris les 18 et 19 décembre 2023 et la présentation de la preuve s’est terminée le 21 février 2024. Un changement d’avocat ne constitue pas une obstruction.
IX. Conclusion
[218] Pour ces motifs, la partie du grief qui vise à contester l’imposition d’une suspension de trois jours est rejetée. La fonctionnaire se voit octroyer des dommages-intérêts pour souffrance morale en raison de la gestion de mauvaise foi dont a fait preuve le défendeur dans la gestion de la procédure d’enquête. Toutes les autres questions sont rejetées.
[219] Enfin, je remercie les parties et les avocats pour leur aide tout au long de la procédure d’arbitrage en l’espèce et je les invite à négocier un règlement global concernant les questions en suspens et l’emploi de la fonctionnaire.
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
X. Ordonnance
[220] J’ordonne que le défendeur verse à la fonctionnaire des dommages-intérêts de 20 000 $ pour souffrance morale. Le grief est par ailleurs rejeté.
Le 27 septembre 2024
Traduction de la CRTESPF
Leslie Reaume,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral