Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant, un agent de programmes correctionnels par intérim classifié au groupe et au niveau WP-04, était considéré comme un membre de la défenderesse et payait des cotisations syndicales à celle-ci – le plaignant a participé à une grève, mais a été exclu d’un montant forfaitaire de 2 500 $ versé aux membres de l’unité de négociation lors de la conclusion d’une entente de principe, en raison de son affectation intérimaire – il a présenté une plainte pour pratique déloyale de travail suivant cette exclusion, alléguant que la défenderesse avait agi de manière arbitraire et de mauvaise foi en l’obligeant à faire la grève tout en sachant qu’il ne recevrait pas le montant forfaitaire de 2 500 $ – la défenderesse a soulevé une objection au motif que la plainte était hors délai – la Commission a conclu que la plainte avait été déposée dans le délai requis puisque l’application des exceptions aux membres de l’unité de négociation n’était pas claire dans les informations transmises par la défenderesse – par ailleurs, la défenderesse n’a pas précisé la date à laquelle le délai aurait dû commencer – la défenderesse a soulevé une autre objection au motif que le plaignant n’avait pas démontré une cause défendable – la Commission a rejeté l’objection – le montant forfaitaire s’appliquait aux personnes qui ne travaillaient pas, qui travaillaient moins d’heures que le plaignant ou qui n’étaient pas des membres de l’unité de négociation et qui n’avaient pas participé à la grève – les membres en affectation intérimaire, comme le plaignant, se sont vu être inclus dans le même groupe que le personnel non syndiqué ou exclu, mais admissible à une rémunération au rendement, soit le personnel occasionnel nommé pour une période déterminée de moins de trois mois, le personnel à temps partiel avec moins du tiers d’un horaire à temps plein et les étudiants – cela, malgré le fait qu’ils étaient dans l’unité de négociation, payaient leurs cotisations syndicales à la défenderesse, travaillaient à temps plein, et avaient participé à la grève – l’exception à laquelle le plaignant a été assujettie semblait arbitraire.

Objections préliminaires rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20241128

Dossier: 561-02-48645

 

Référence: 2024 CRTESPF 166

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Laurent Loubet

plaignant

 

et

 

Alliance de la fonction publique du canada

 

défenderesse

Répertorié

Loubet c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour la défenderesse : Eve Berthelot, analyste, Alliance de la Fonction publique du Canada

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 21 novembre 2023,

et le 26 janvier et le 27 février 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 23 novembre 2023, Laurent Loubet (le « plaignant ») a présenté une plainte pour pratique déloyale de travail à l’encontre de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »), en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Durant la période applicable, le plaignant était un agent de programmes correctionnels par intérim (WP-04) au sein du Service correctionnel du Canada, dans le groupe Services des programmes et de l’administration (groupe PA). Il était considéré comme un membre de la défenderesse depuis mai 2022, et depuis cette date, il payait ses cotisations syndicales à celle-ci. Cependant, son poste d’attache était un poste CX-02, représenté par un autre agent négociateur (Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN).

[3] Le 18 avril 2023, la défenderesse a annoncé le déclenchement d’une grève débutant le 19 avril 2023 et incluant les membres du groupe PA. Ces derniers sont retournés au travail le 1er mai, après la conclusion d’une entente de principe.

[4] L’un des termes négociés dans la nouvelle entente était un montant forfaitaire de 2 500 $ payable à tous les membres faisant partie de l’unité de négociation lors de la conclusion de l’entente. Par contre, le personnel en affectation intérimaire, dont le poste d’attache était hors de l’unité de négociation, était exclu pour ce montant.

[5] Le plaignant allègue avoir pris connaissance, le 25 octobre 2023, qu’il n’avait pas droit au montant forfaitaire. Il allègue que les représentants et les dirigeants de la défenderesse ont agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi en matière de représentation en l’obligeant à faire la grève tout en sachant qu’il ne recevrait pas le montant forfaitaire de 2 500 $ à la signature de la nouvelle convention collective alors qu’il faisait partie de l’unité de négociation.

[6] La défenderesse soutient qu’il n’y a eu aucun manquement au devoir de représentation équitable et qu’en tout temps, elle et ses représentants ont agi de bonne foi et de manière qui n’est ni arbitraire ni discriminatoire. De plus, elle demande le rejet sommaire de la plainte au motif qu’elle est hors délai et ne démontre pas une cause défendable ou prima facie.

[7] J’ai décidé de procéder par voie d’arguments écrits. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a le pouvoir de trancher une plainte sur la base d’arguments écrits, car elle a le pouvoir de trancher « […] toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience » en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTESPF) (voir Andrews c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 141, au par. 3 (confirmée par 2022 CAF 159, au par. 10)).

[8] Toute référence à la Commission dans la présente décision désigne à la fois la présente Commission et tout prédécesseur.

[9] Cette décision porte uniquement sur les objections préliminaires de la défenderesse. Pour les motifs qui suivent, elles sont rejetées.

II. Les faits

[10] Les parties ont fait référence à plusieurs faits dans leurs arguments écrits. Puisqu’ils ne se sont pas opposés aux propos de l’autre, je tiens pour acquis que les faits suivants ne sont pas contestés.

[11] La défenderesse est l’agent négociateur accrédité en vertu de la Loi pour l’unité de négociation du groupe PA. Durant la période applicable, le plaignant était membre de cette unité et il payait ses cotisations syndicales à la défenderesse.

[12] Le 18 avril 2023, la défenderesse a annoncé à ses membres le déclenchement d’une grève débutant le 19 avril 2023. La grève touchait, entre autres, les membres du groupe PA.

[13] Le nom du plaignant était sur la liste des employés devant faire la grève. Le plaignant n’a donc pas eu le choix d’y participer activement. Tous les matins, il s’est présenté à un poste de piquetage, s’y est enregistré, y est resté un minimum de quatre heures, puis s’est fait vérifier de nouveau lors de son départ. Sans cela, le plaignant n’aurait pas eu droit au montant de remplacement alloué par la défenderesse pour les journées de travail manquées.

[14] Le plaignant a également participé au rassemblement au poste frontalier de Lacolle avec plusieurs autres personnes membres de la défenderesse.

[15] Le 1er mai 2023, la défenderesse a communiqué à ses membres qu’elle avait conclu une entente pour ses 120 000 membres des groupes PA, SV, TC et EB. Elle les a informés des points saillants des ententes de principe, incluant des augmentations de salaires cumulatives totalisant 12,6 % sur une durée de quatre ans, et un montant forfaitaire unique de 2 500 $ ouvrant droit à pension. La défenderesse a indiqué ce qui suit : « Le montant forfaitaire ouvrant droit à pension de 2 500$ est consenti à toutes les personnes qui étaient membres de l’unité de négociation à la date de la signature de la convention collective. ». Aucune mention n’a été faite d’exceptions pour le montant forfaitaire.

[16] Le 6 mai 2023, la défenderesse a envoyé un second communiqué à ses membres avec d’autres détails sur les ententes de principe. Ce communiqué stipule ce qui suit : « Ce montant forfaitaire est versé à toutes les personnes qui étaient membres de l’unité de négociation lorsqu’on a conclu l’entente. » Il ajoute qu’en rejoignant plus de 100 000 membres de la défenderesse sur les piquets de grève, ceux-ci ont obtenu : « Un montant forfaitaire ouvrant droit à pension de 2 500$ […] ». Encore une fois, aucune mention n’est faite d’exceptions pour le montant forfaitaire.

[17] La défenderesse a ensuite publié sur son site Web une Foire aux questions (FAQ). On y stipule pour la première fois des exceptions pour le montant forfaitaire. Sous la question intitulée « Qui touchera le montant forfaitaire? », il est indiqué ce qui suit :

L’entente de principe prévoit un montant forfaitaire ouvrant droit à pension de 2 500$ pour toutes les personnes qui sont membres de l’unité de négociation à la date de signature de la nouvelle convention collective. Le montant forfaitaire unique sera aussi versé aux personnes en congé sans solde. Le personnel à temps partiel dont les heures de travail équivalent au tiers d’un horaire à temps plein recevra la totalité du montant forfaitaire. L’employeur dispose de 180 jours pour verser ce montant.

Le montant sera calculé en fonction de la rémunération du poste d’attache des membres du personnel au moment où la convention collective est signée. Par conséquent, un employé qui est en affectation intérimaire hors de l’unité de négociation mais dont le poste d’attache est dans l’unité de négociation recevra le montant forfaitaire.

Les personnes suivantes n’auront pas droit au montant forfaitaire :

· le personnel en affectation intérimaire dans l’unité de négociation mais dont le poste d’attache est hors de l’unité de négociation;

· le personnel non syndiqué qui est admissible à la rémunération au rendement;

· le personnel occasionnel, nommé pour une période déterminée (moins de trois mois) ou à temps partiel (moins du tiers d’un horaire à temps plein) et les étudiants.

· le personnel exclu qui est admissible à la rémunération au rendement;

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[18] La défenderesse indique que la dernière modification sur le site Web contenant la FAQ était le 29 juin 2023.

III. Les dispositions législatives pertinentes

[19] Le paragraphe 190(1) de la Loi exige que la Commission instruise toute plainte selon laquelle une organisation syndicale s’est livrée à une pratique déloyale au sens de l’article 185. Aux termes de l’article 185, une pratique déloyale s’entend notamment de toute pratique interdite par les articles 187 et 188.

[20] L’article 187 de la Loi énonce le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

187 No employee organization that is certified as the bargaining agent for a bargaining unit, and none of its officers and representatives, shall act in a manner that is arbitrary or discriminatory or that is in bad faith in the representation of any employee in the bargaining unit.

 

[21] Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit que les plaintes prévues au paragraphe 190(1) « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ».

IV. Questions à trancher

A. Est-ce que la plainte est hors délai?

1. La position des parties

[22] Dans sa plainte, le plaignant indique que la date à laquelle il « […] a pris connaissance de l’action, de l’omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte » était le 17 novembre 2023.

[23] La défenderesse fait valoir que la plainte est hors délai et qu’elle devrait être rejetée puisque la Loi ne permet pas la prorogation de ce délai.

[24] La défenderesse s’appuie sur la FAQ publiée sur son site Web, qui indique que les personnes en affectation intérimaire dans l’unité de négociation, mais dont le poste d’attache était hors de l’unité de négociation, n’avaient pas droit au montant forfaitaire. La défenderesse indique que la dernière modification sur le site Web contenant la FAQ était le 29 juin 2023.

[25] La défenderesse n’indique pas la date à laquelle, selon elle, le délai aurait dû commencer. Je présume qu’elle se base sur la date du 29 juin 2023, n’ayant donné aucune autre date.

[26] Dans sa réponse à l’objection, le plaignant fait valoir que le plan de communication de la défenderesse était très clair, avec les annonces effectuées les 18 avril, 1er mai, 6 mai, ainsi que la FAQ. Il dit que ces communications ne précisaient pas les exceptions au droit au montant forfaitaire, ne faisant référence qu’« aux membres ». Il dit qu’à aucun moment il ne pouvait s’attendre à ne pas recevoir ce montant forfaitaire pour la simple et bonne raison qu’il payait ses cotisations syndicales auprès de la défenderesse. Il fait valoir qu’à ce titre, il ne pouvait pas imaginer un seul instant que le fait d’avoir un poste d’attache en dehors de l’unité de négociation aurait été un critère négocié par la défenderesse ne donnant pas droit au montant forfaitaire.

[27] Le plaignant dit s’être aperçu que le montant forfaitaire de 2 500 $ ne lui avait pas été versé que le 25 octobre 2023, date à laquelle il dit avoir consulté sa fiche de paye. Il fait donc valoir que le délai de présentation de la plainte a été respecté.

[28] Le plaignant n’a offert aucune explication pourquoi la date à laquelle il prétend avoir pris connaissance qu’il n’avait pas droit au montant forfaitaire a changé du 17 novembre au 25 octobre 2023.

2. Analyse et décision

[29] Le paragraphe 190(1) de la Loi prévoit que la plainte doit être présentée dans les 90 jours suivant la date à « […] laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu [je mets en évidence] ».

[30] Ayant considéré les arguments des parties et les communiqués de la défenderesse, je conclus que le plaignant a seulement pris connaissance du fait qu’il n’avait pas droit au montant forfaitaire lorsqu’il a vu sa fiche de paye le 25 octobre 2023. Je suis venue à cette conclusion pour les raisons qui suivent.

[31] Les communiqués de la défenderesse en date du 1er et du 6 mai 2023 sont très clairs. Celui du 1er mai 2023, annonçant le montant forfaitaire, s’adresse à tous les membres sans exceptions. Celui du 6 mai 2023, qui prétend préciser les détails des ententes de principe, stipule que le montant forfaitaire est versé « […] à toutes les personnes qui étaient membres de l’unité de négociation […] [je mets en évidence] », lorsque la défenderesse a conclu l’entente.

[32] Par opposition, la FAQ sur laquelle se base la défenderesse n’est pas claire. Elle est plutôt contradictoire. Elle stipule dans un premier temps que « […] toutes les personnes qui sont membres de l’unité de négociation à la date de signature de la nouvelle convention collective [je mets en évidence] », ont droit au montant forfaitaire. L’exception sur laquelle se base l’objection de la défenderesse stipule que « […] le personnel en affectation intérimaire dans l’unité de négociation mais dont le poste d’attache est hors de l’unité de négociation […] [je mets en évidence] » n’est pas admissible. Cette exception n’indique aucunement qu’elle s’applique aux membres de l’unité de négociation.

[33] Pour que le communiqué soit clair, il aurait dû préciser que les exceptions s’appliquaient aux membres, et que ces exceptions s’appliquaient malgré les déclarations faites dans les paragraphes précédents.

[34] Puisque le plaignant était membre de l’unité de négociation à la date de signature de la nouvelle convention collective, il est comprenable qu’il s’est identifié au premier paragraphe du communiqué faisant référence aux « membres », et non au paragraphe faisant référence au « personnel », où se trouvait les exceptions.

[35] La partie défenderesse, en revanche, n’indique pas la date à laquelle, selon elle, le délai aurait dû commencer. Elle indique seulement que la dernière mise à jour de son site web date du 29 juin 2023, laissant à la Commission le soin de supposer qu’il s’agit de la date à laquelle le délai aurait pu commencer. Il n’appartient pas à la Commission de deviner l’argument de la défenderesse. Son argumentation manque d’exhaustivité et n’est pas claire.

[36] Pour ces motifs, je conviens que le plaignant a seulement pris connaissance qu’il n’avait pas droit au montant forfaitaire à la réception de sa paye le 25 octobre 2023. Je ne me soucie pas du changement de cette date par le plaignant du 17 novembre au 25 octobre puisque ces deux dates figurent dans le délai prescrit par la Loi.

[37] La plainte présentée en vertu du paragraphe 190(1) de la Loi a donc été présentée à l’intérieur du délai prévu au paragraphe 190(2).

B. Est-ce que la plainte soulève une cause défendable?

1. La position des parties

[38] Le plaignant fait valoir que les représentants et les dirigeants de la défenderesse ont agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi en matière de représentation en l’obligeant à faire la grève tout en sachant qu’il ne recevrait pas le montant forfaitaire de 2 500 $ à la signature de la nouvelle convention alors qu’il faisait partie de l’unité de négociation. Selon lui, ces actions étaient arbitraires ou de mauvaise foi et contraires au devoir de représentation équitable prévu à l’article 187 de la Loi.

[39] Selon la défenderesse, le plaignant n’a pas établi une cause défendable qu’elle a agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi selon l’article 187 de la Loi.

[40] La défenderesse soutient que la conclusion d’une entente à la table de négociation collective qui profite à la plupart des membres de l’unité de négociation, et non à tous, n’est pas arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Elle soutient que le plaignant n’est pas dans une situation pire que celle dans laquelle il se trouvait avant la conclusion de la nouvelle convention collective.

[41] Le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Il doit présenter des preuves suffisantes pour établir que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable en se conduisant de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Ouellet c. St-Georges, 2009 CRTFP 107, aux paragraphes 50 et 52).

[42] La Cour suprême du Canada, dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] RCS 509, à la page 510, énonce ce qui suit : « [c]ette juste représentation doit être réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié ».

[43] La défenderesse s’appuie sur Cousineau c. Walker, 2013 CRTFP 68 (au par. 33) et fait valoir que le désaccord du plaignant avec sa décision n’est pas suffisant pour établir qu’elle a manqué à son devoir de représentation équitable. Il faut établir des gestes répréhensibles sérieux.

[44] La défenderesse soutient qu’elle a négocié de bonne foi et reconnaît que les droits collectifs peuvent parfois dépasser les souhaits d’une personne lors de la négociation. Elle s’appuie sur Francis c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2021 CRTESPF 90 (aux paragraphes 30 à 32) et argumente que cette situation n’est pas le signe d’une mauvaise foi ou de motifs illégitimes de sa part.

[45] Selon la défenderesse, le plaignant n’a pas établi qu’elle a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi au sens de la Loi. Elle demande que la plainte soit rejetée sans audience, conformément à l’article 22 de la LCRTESPF.

2. Analyse et décision

[46] La défenderesse fait valoir que le plaignant n’a pas démontré une cause défendable ou prima facie qu’elle a manqué à son devoir de représentation équitable. Sur cette base, elle soutient que la plainte devrait être rejetée sans audience.

[47] Après avoir examiné les allégations du plaignant, j’estime qu’il a présenté une cause défendable. Voici mes raisons.

[48] L’article 187 de la Loi définit le devoir de représentation équitable. Il prévoit que la défenderesse ne doit pas agir de manière « […] arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité […] ».

[49] La plupart des plaintes relatives à ce devoir concerne la représentation d’un membre dans le cadre d’un conflit individuel impliquant un plaignant et son employeur. Malgré cela, le devoir de représentation équitable est formulé de manière large, de sorte que ce devoir s’étend également au processus de négociation collective.

[50] Ce point a été étudié dans Francis, qui a été citée par la défenderesse. Dans cette décision, la Commission a examiné cette question et a formulé les observations suivantes :

[…]

[29] La plupart des plaintes relatives au devoir de représentation équitable concernent la représentation individuelle des membres d’une unité de négociation. Toutefois, dans certaines circonstances précises, cette obligation s’étend à la négociation au nom de tous les membres d’une unité de négociation. La Cour d’appel fédérale l’a reconnu comme suit dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, 2001 CAF 133, au par. 54 :

[54] […] Le devoir de représentation juste n’empêche pas le syndicat de faire des concessions à l’égard des droits et avantages existants de ses membres dans le cadre du processus de négociation. Il le contraint plutôt à s’abstenir d’agir d’une manière arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi lorsqu’il fait ces concessions au cours du processus de négociation collective.

[30] Dans le présent cas, l’agent négociateur négociait des améliorations de la sécurité d’emploi pour les employés nommés pour une durée déterminée, qui n’avaient pas perdu de droits, mais en avaient gagné. L’agent négociateur n’a pas fait de concessions en ce qui concerne les droits existants de ses membres qui se trouvaient dans la même situation que le plaignant.

[31] Le devoir de représentation équitable n’exige pas qu’un agent négociateur obtienne un résultat particulier dans la négociation collective. Toutefois, le processus et les résultats des décisions prises au cours de la négociation doivent être exempts de tout motif illégitime. Dans Cairns c. International Brotherhood of Locomotive Engineers, 1999 CanLII 18497, au par. 113, le Conseil canadien des relations industrielles a décrit les obligations d’un agent négociateur en matière de négociation comme suit :

113 La pondération des intérêts et les choix ultimes sont sans l’ombre d’un doute très politiques et seront inévitablement influencés par des préférences, des valeurs et des perspectives concurrentes. Toutefois, le syndicat sera jugé sur l’objectivité dont il a fait preuve à l’égard de la question et sur son sens des responsabilités à l’égard de l’ensemble de ses membres. Il doit envisager le problème de façon raisonnable et évaluer sérieusement les divers intérêts opposés.

[32] Bien que le plaignant ne fût pas d’accord avec l’issue du processus de négociation, il n’a présenté aucune allégation qui pourrait suggérer un motif illégitime de la part de l’agent négociateur.

[…]

 

[51] Dans Francis, le plaignant a prétendu que son agent négociateur avait agi de mauvaise foi lorsqu’il avait conclu une entente modifiant la politique de l’employeur sur la conversion des emplois à durée déterminée en emplois à durée indéterminée. La modification négociée prévoyait que la conversion se ferait après trois ans de service continu, plutôt que cinq. Le plaignant comptait quatre ans et neuf mois de service continu en tant qu’employé temporaire lorsque son contrat a pris fin. L’entente en question est entrée en vigueur un mois après la fin de son contrat.

[52] Dans Francis, l’arbitre de grief a rejeté la plainte du plaignant au motif qu’il n’avait fourni aucune allégation suggérant un motif inapproprié de la part de l’agent négociateur. Cette conclusion ne fut portée qu’après avoir pris connaissance des efforts faits par l’agent négociateur à l’égard du groupe de membres, incluant le plaignant.

[53] Dans le présent cas, la défenderesse n’a fourni aucune information sur le contexte des négociations ou de ses efforts faits pour considérer les intérêts du groupe de membres, incluant le plaignant.

[54] Le plaignant prétend que la défenderesse a agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi. Il s’appuie sur le fait que la défenderesse a négocié un avantage significatif, soit un montant de 2 500 $ pour tous les membres de l’unité de négociation, à l’exception de certains membres.

[55] Selon les faits, le montant forfaitaire en question était payable à tous les membres, incluant ceux en congé sans solde, ceux à temps partiel dont les heures de travail équivalaient au tiers d’un horaire à temps plein, et ceux en affectation intérimaire hors de l’unité de négociation dont le poste d’attache était dans l’unité de négociation. En d’autres mots, l’avantage négocié s’appliquait aux personnes qui ne travaillaient pas, qui travaillaient moins d’heures que le plaignant ou qui n’étaient pas des membres de l’unité de négociation et qui n’avaient pas participé à la grève.

[56] Plutôt, les membres en affectation intérimaire, comme le plaignant, se sont vu être inclus dans le même groupe que le personnel non syndiqué ou exclu, mais admissible à une rémunération au rendement, soit le personnel occasionnel nommé pour une période déterminée de moins de trois mois, le personnel à temps partiel avec moins du tiers d’un horaire à temps plein et les étudiants. Cela, malgré le fait qu’ils étaient dans l’unité de négociation, payaient leurs cotisations syndicales à la défenderesse, travaillaient à temps plein, et avaient participé à la grève.

[57] A priori, cette exception semble tout à fait arbitraire. En revanche, la défenderesse n’a donné aucune explication susceptible de démontrer pourquoi ses actions ne l’étaient pas.

[58] À l’appui de sa position que la plainte devrait être rejetée sans audience, la défenderesse a cité Ouellet et Cousineau. Je note que ces deux décisions ont été rendues sur la base du bien-fondé de la plainte après avoir examiné les preuves fournies par les parties défenderesses démontrant qu’elles ne s’étaient pas comportées de manière insensible ou cavalière et qu’elles n’avaient pas agi pour des motifs illégitimes ou hostiles ou sur la base de motifs arbitraires, illégaux ou déraisonnables. Aucune de ces plaintes n’a été rejetée au motif que le plaignant n’avait pas présenté une cause défendable ou prima facie.

[59] Je conclus que le plaignant a soulevé une cause défendable d’un manquement au devoir de représentation équitable en vertu de l’article 187 de la Loi. Cela ne veut pas dire que la plainte sera nécessairement accueillie, mais il faudra une audience sur le fond afin de rendre une décision sur le bien-fondé de la plainte. J’estime qu’il est possible de procéder par voie d’arguments écrits afin d’accélérer le traitement de la plainte.

[60] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[61] Les objections préliminaires de la défenderesse sont rejetées.

[62] La plainte présentée en vertu du paragraphe 190(1) de la Loi a été présentée à l’intérieur du délai prévu au paragraphe 190(2).

[63] Il existe une cause défendable selon laquelle il y a eu contravention de l’article 187 de la Loi.

[64] L’audience de la plainte procèdera par voie d’arguments écrits conformément à un échéancier à être établi par la Commission et modifié au besoin.

[65] L’employeur, qui pourrait avoir un intérêt substantiel dans la décision sur le fond, sera avisé de la plainte et aura la possibilité de faire une demande pour être ajouté à titre d’intervenant.

Le 28 novembre 2024.

Audrey Lizotte,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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