Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La fonctionnaire s’estimant lésée, une agente correctionnelle (intervenante de première ligne), a déposé un grief, alléguant qu’elle avait été renvoyée en cours de stage – la Commission a conclu que l’employeur avait établi que la fonctionnaire s’estimant lésée était en cours de stage lorsqu’elle a été renvoyée et qu’elle avait reçu un avis écrit ainsi qu’un paiement tenant lieu de préavis – l’employeur a également établi les motifs du renvoi, qui étaient que la fonctionnaire s’estimant lésée avait du mal à accomplir son travail convenablement et qu’elle risquait sa santé et sa sécurité et celles d’autres membres du personnel et des détenus – le fardeau est alors passé à la fonctionnaire s’estimant lésée, qui devait établir que le renvoi était un subterfuge, un camouflage, une mesure disciplinaire déguisée, fait de mauvaise foi ou teinté de discrimination – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas réussi à s’acquitter de son fardeau – elle a allégué que de nombreux incidents constituaient des actes préjudiciables à son égard, qu’elle a qualifiés de mauvais traitements, de harcèlement et d’effort de conspiration de la part de l’employeur pour l’embaucher, afin de démontrer des progrès en matière d’embauche par discrimination positive, et ensuite pour s’en débarrasser parce qu’il n’aimait pas les Jamaïcains – elle a allégué qu’elle avait fait l’objet d’une formation supplémentaire et d’efforts de gestion du rendement et a prétendu qu’elle avait été traitée différemment des autres intervenants de première ligne – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas présenté de preuve pour étayer sa conclusion selon laquelle le traitement différentiel était lié à sa race et à son origine ethnique – la Commission a conclu que le témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée manquait de crédibilité et a conclu qu'elle avait fait preuve d'un manque de jugement dans certains des incidents établis par l'employeur – la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner le grief et a accueilli la requête de l’employeur visant à le rejeter – la Commission a fait remarquer qu’il était inacceptable et injuste que l’employeur conserve des fichiers vidéo incriminants impliquant la fonctionnaire, mais que des fichiers vidéo qui auraient pu contenir des preuves disculpatoires favorables à celle-ci aient été détruits – la Commission a mentionné que l’employeur devrait mettre en œuvre des politiques pour préserver non seulement les preuves qu’il considère incriminantes, mais aussi toutes les autres preuves connexes qui seraient vraisemblablement pertinentes si un grief était déposé et qui pourraient être utiles à un fonctionnaire lors de la présentation d’un cas devant la Commission – l’employeur a demandé que deux pièces, contenant des dessins détaillés de la carte du site et les pièces du dossier vidéo, soient mises sous scellés – la Commission a accordé les ordonnances de mise sous scellés.
Grief rejeté.
Contenu de la décision
Date : 20241118
Référence : 2024 CRTESPF 158
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral |
Entre
KIMOY MARSTON
fonctionnaire s’estimant lésée
et
Administrateur général
(Service correctionnel du Canada)
défendeur
Répertorié
Marston c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Elle-même
Pour le défendeur : Calvin Hancock, avocat ayant succédé à Amanda Bergmann
Affaire entendue par vidéoconférence,
du 10 au 13 mai et du 11 au 14 octobre 2022, et les 16 et 17 janvier 2024,
et à Edmonton (Alberta)
du 25 au 28 avril, les 6 et 7 juin, et du 28 novembre au 1er décembre 2023.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Résumé
[1] La fonctionnaire s’estimant lésée, Kimoy Marston (« la fonctionnaire ») a été renvoyée en cours de stage du poste d’agente correctionnelle (intervenante de première ligne (IPL), un poste classifié au niveau IPL‑1) qu’elle occupait à l’Établissement d’Edmonton pour femmes (EEF ou l’« établissement »), situé à Edmonton, en Alberta. Bien qu’elle ait obtenu les notes parmi les plus élevées à l’issue de sa formation préalable à l’embauche, la preuve établit clairement qu’elle avait de la difficulté à effectuer son travail de manière compétente pendant qu’elle était en service à l’établissement. En fin de compte, le Service correctionnel du Canada (« l’employeur » ou SCC) a jugé que le rendement insatisfaisant de la fonctionnaire était devenu une situation urgente. Il est arrivé à la conclusion que le jugement de la fonctionnaire, ses réactions et son niveau de conscience des situations auxquelles elle était confrontée mettaient en danger sa santé et sa sécurité ainsi que celles des autres membres du personnel et des détenues.
[2] Mme Marston a contesté son renvoi en cours de stage et a allégué que la décision de l’employeur était teintée de discrimination raciale, étant donné qu’elle s’identifie comme une Canadienne de race noire d’origine jamaïcaine. Elle a souligné les nombreux cas où elle avait fait l’objet d’une formation supplémentaire et d’efforts de gestion du rendement, ainsi que le nommait l’employeur, et a prétendu qu’elle avait été traitée différemment des autres IPL. La fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir qu’en raison des préjugés raciaux auxquels elle s’est heurtée dès le début de son travail, elle n’a jamais eu la chance de réussir et a perdu toute confiance en elle, de sorte qu’elle a offert un rendement insatisfaisant lors des mises en situation de formation et d’évaluation, ce qui a mené à son renvoi pendant qu’elle était encore en stage.
[3] L’audience s’est déroulée à un rythme lent et prudent afin de permettre à la fonctionnaire de prendre des notes et de préparer chacune des questions qu’elle allait poser lors des contre‑interrogatoires, qui ont duré deux jours pour certains témoins. En raison de plusieurs difficultés liées à la présence et à la participation active de la fonctionnaire à la partie de l’audience tenue par vidéoconférence, on s’est organisé pour que, pendant la pandémie de COVID‑19, l’audience puisse se poursuivre en personne et de façon efficace, et ce, dans l’intérêt des deux parties.
[4] Après avoir examiné attentivement les témoignages, qui ont duré plusieurs jours, ainsi que les nombreuses heures de preuve vidéo, et après avoir écouté les observations finales, je conclus que l’employeur a établi que la fonctionnaire avait été renvoyée en cours de stage, et qu’elle avait reçu un préavis écrit ainsi qu’une indemnité de départ de deux semaines. Il a également présenté pendant plusieurs jours des témoignages qui ont établi que la fonctionnaire présentait de graves lacunes dans son rendement au travail, ce qui lui a permis de réfuter les allégations selon lesquelles il avait agi de mauvaise foi ou que sa décision était une mesure disciplinaire déguisée et un subterfuge.
[5] Il incombait alors à la fonctionnaire d’établir, par une preuve claire et convaincante, qu’elle avait été traitée différemment, à son détriment, ce qui était lié, au moins d’une certaine manière, à sa race. Après avoir examiné attentivement les témoignages, qui ont duré plusieurs jours, ainsi que les nombreuses heures de preuve vidéo, et après avoir écouté les observations finales des parties, je conclus que la fonctionnaire n’a présenté aucune preuve claire et convaincante qui permettrait de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le traitement différent et préjudiciable dont elle a fait l’objet était d’une quelconque manière lié à sa race.
[6] Vu ma conclusion selon laquelle aucune preuve claire ou convaincante ne me permet de conclure que la fonctionnaire a établi prima facie que des préjugés raciaux ont teinté, même légèrement, la décision de l’employeur de la renvoyer pendant son stage, j’accueille la requête en rejet du grief de l’employeur au motif que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (« la Commission ») n’a pas compétence pour instruire le grief.
II. Preuve pertinente
[7] L’instruction de l’affaire a suivi un chemin très malheureux, car le premier commissaire désigné a tenu une semaine d’audience en 2019, mais il est décédé subitement avant que l’audience ne puisse se poursuivre. Un nouveau commissaire a été désigné et il a rapidement fixé à septembre 2019 la reprise de l’audience et prévu qu’elle se poursuivrait en février 2020. Toutefois, les parties ont conjointement donné un avis indiquant que l’affaire était réglée, et les jours d’audience prévus ont été annulés. Or, la Commission a été informée plus tard que la fonctionnaire avait refusé l’entente et que son agent négociateur avait ensuite mis un terme à sa représentation. La fonctionnaire a poursuivi son grief elle‑même, car elle a déclaré vouloir dire la vérité. Le mandat du commissaire chargé de l’audience a alors pris fin.
[8] Enfin, la formation actuelle de la Commission a été désignée et elle a présidé plusieurs séances de gestion de cas. L’audience, qui a duré presque six semaines étalées sur deux ans, s’est d’abord tenue par vidéoconférence alors que sévissait la pandémie de COVID‑19. Au début du processus, la fonctionnaire a eu des difficultés à participer à l’audience, et l’employeur a présenté une requête en abandon. Il a demandé que l’audience soit suspendue et que le dossier soit fermé. Il est arrivé plusieurs fois que la fonctionnaire ne soit pas disponible pendant les jours d’audience, et elle a prétendu que c’était en raison de problèmes personnels de santé, familiaux et d’emploi. Sa demande visant à scinder l’audience, de sorte qu’elle commence chaque jour à 4 h, heure des Rocheuses, qu’elle s’arrête le temps que la fonctionnaire puisse travailler, qu’elle reprenne en fin de journée à 17 h, et qu’elle se poursuive par ailleurs les fins de semaine, a été rejetée.
[9] La fonctionnaire a passé sa brève carrière à travailler comme IPL (de niveau CX‑I) à l’EEF, qui hébergeait environ 150 détenues dans des unités de détention distinctes, à sécurité maximale, moyenne et faible.
[10] La gestionnaire correctionnelle (GC) Amanda McQuaid était la superviseure immédiate de la fonctionnaire et a eu de nombreuses interactions avec elle. Mme McQuaid a décrit son style de gestion comme étant juste et raisonnable et a ajouté qu’elle aidait les membres du personnel quand elle le pouvait.
[11] Elle a expliqué qu’un IPL pouvait être affecté au poste de contrôle de l’unité carcérale (PCUC), lequel comportait des fonctions de communication avec les autres membres du personnel du PCUC qui patrouillaient dans cette unité, ainsi que des fonctions de contrôle de l’autorisation d’accès et de sortie de celle‑ci. Les membres du personnel affectés aux patrouilles effectuaient plusieurs tâches, dont le dénombrement des détenues à différents moments, et devaient réagir rapidement aux incidents et aux urgences n’importe où dans l’établissement.
[12] Il y a aussi le poste principal de contrôle des communications (PPCC), dont l’occupant est chargé de contrôler l’accès aux autres secteurs de l’établissement, dont l’entrée principale, et d’en contrôler la sortie, au moyen de commandes de porte à distance.
[13] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage qu’un IPL devait avant tout posséder des compétences en matière de sécurité, comme la mise des menottes, le contrôle d’une détenue par des moyens tels que des ordres verbaux, l’utilisation de gaz poivré, le désamorçage des situations, et qu’il devait aussi pouvoir effectuer des tâches de gestion de cas auprès des détenues.
[14] Elle a également expliqué que la capacité de répondre aux urgences médicales était très importante. Il faut donc détenir un certificat de secourisme et une attestation de compétence en réanimation cardio-respiratoire et avoir les connaissances requises pour isoler une personne en situation de détresse médicale. Il faut aussi faire des appels radio pour demander des renforts et possiblement ouvrir et fermer des portes verrouillées, pour éloigner les autres détenues du lieu de l’incident, et veiller à sécuriser l’endroit où les premiers soins sont prodigués.
[15] Mme McQuaid a déclaré que les communications orales d’un IPL sont essentielles pour son travail, car l’IPL doit essayer de maîtriser les détenues et de contrôler les situations avec le degré de force le plus faible possible, c’est‑à‑dire de vive voix, en transmettant des ordres verbaux. Elle a expliqué que le niveau, le ton et le rythme de la voix de l’IPL devaient être modérés afin que celle‑ci puisse maîtriser les détenues et désamorcer les situations.
[16] Elle a également expliqué que la fonctionnaire avait suivi avec succès une formation d’une durée de 14 semaines et qu’elle avait ensuite été embauchée pour un poste probatoire. Elle avait ensuite reçu une formation en cours d’emploi (FCE) de dix jours à l’EEF, laquelle portait plus particulièrement sur les unités de l’établissement, les postes, les séances d’information entre les quarts de travail, et les tâches à accomplir, et visait à informer les nouveaux membres du personnel des particularités de l’emplacement où ils exerceraient leurs nouvelles fonctions. Elle a ajouté que certains postes sont fixes et que les IPL doivent rester au PPCC, au PCUC ou à l’entrée principale pendant leur affectation, contrairement aux postes de patrouille motorisée, dont le but est de permettre aux IPL d’être prêts à répondre immédiatement aux appels à l’aide ou à effectuer d’autres tâches dans l’ensemble de l’établissement.
[17] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que, quelques semaines après que la fonctionnaire eut terminé sa formation et commencé à travailler à l’EEF, elle s’était inquiétée du fait que celle-ci n’accomplissait pas ses tâches selon les normes de compétence requises. Elle a déclaré qu’un dossier avait donc été ouvert afin de consigner les difficultés constatées et les nombreux efforts déployés pour aider la fonctionnaire et lui offrir une formation complémentaire. Elle a déclaré que la situation l’avait amenée à imposer à la fonctionnaire un plan d’amélioration du rendement, en consultation avec son agent de négociation.
[18] Toutefois, Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que le rendement de la fonctionnaire ne s’était guère amélioré. Elle a déclaré que, souvent, d’autres membres du personnel venaient la voir pour lui dire qu’ils ne se sentaient pas en sécurité de travailler aux côtés de la fonctionnaire et qu’ils étaient contrariés du fait qu’elle semblait incapable d’accomplir correctement ses tâches. Elle a déclaré qu’une IPL était venue la voir en pleurs, plus d’une fois, pour lui faire part de son inquiétude à l’idée de travailler avec la fonctionnaire et lui demander de ne plus être affectée à une patrouille comme partenaire avec cette fonctionnaire.
[19] Mme McQuaid a témoigné que lorsqu’elle faisait face à des situations réelles dans l’établissement, la fonctionnaire [traduction] « paralysait » et gênait les autres IPL qui tentaient de maîtriser la situation. Elle a mentionné que la fonctionnaire avait à plusieurs reprises été incapable de menotter correctement une détenue et qu’elle avait eu des problèmes de communication au moment de s’adresser à des détenues et de communiquer par radio avec ses collègues ou avec le bureau de répartition de l’EEF.
[20] Mme McQuaid a également déclaré dans son témoignage que la fonctionnaire n’avait jamais mentionné de préoccupations liées à du harcèlement, mais qu’elle avait dit qu’elle souhaiterait du renforcement positif. Selon Mme McQuaid, il est difficile de faire du renforcement positif lorsqu’un membre du personnel offre un rendement aussi insatisfaisant que celui de la fonctionnaire. Lorsqu’on lui a demandé si l’un de ses autres subordonnés exigeait le même effort sur le plan de l’amélioration et de la gestion du rendement, elle a répondu qu’aucun n’avait jamais exigé autant d’efforts.
[21] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait été témoin d’aucun comportement ou incident de nature raciste à l’encontre de la fonctionnaire et qu’elle n’avait fait preuve d’aucun préjugé racial dans son opinion de la fonctionnaire. Elle a ajouté qu’elle avait supervisé d’autres personnes racialisées et n’avait eu aucun problème à travailler avec elles ni aucune inquiétude quant à leur rendement au travail. Elle a ajouté que jamais elle ne leur avait imposé un plan d’amélioration du rendement.
[22] Heather Kowalchuk était GC à l’EEF à l’époque des faits. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle avait travaillé souvent par quarts avec Mme McQuaid. Elle a affirmé que Mme McQuaid se montrait très optimiste et mobilisatrice avec les autres membres du personnel, et que même si elle était amicale et professionnelle au travail, elle ne fréquentait pas ses collègues à l’extérieur du lieu de travail. Elle a ajouté que Mme McQuaid était toujours à la hauteur de ses fonctions et qu’elle tenait de nombreuses réunions avec le personnel qu’elle supervisait. En outre, elle a précisé que Mme McQuaid ne traitait aucun des membres de son personnel IPL différemment.
[23] Lorsqu’elle a été interrogée sur ses interactions avec la fonctionnaire, Mme Kowalchuk a déclaré qu’elle se souvenait que la fonctionnaire était hostile et peu réceptive aux commentaires concernant son travail. Elle a déclaré que la fonctionnaire ne communiquait pas bien et qu’elle manquait de jugement lorsqu’il s’agissait de comprendre l’urgence de certaines situations en milieu de travail.
[24] Mme Kowalchuk a expliqué que les nouveaux IPL sont régulièrement jumelés à un IPL plus expérimenté pendant deux à huit semaines, afin de les aider à se familiariser avec l’établissement et d’ajouter une mesure supplémentaire de gestion des risques, étant donné que des situations dangereuses peuvent survenir pendant qu’ils sont en service. Elle a toutefois témoigné que la fonctionnaire avait eu besoin de ces jumelages spéciaux avec des partenaires de quart de travail pendant une période plus longue. Elle a dit que c’était parce que la technique de réponse de la fonctionnaire aux appels et aux incidents laissait à désirer.
[25] Afin d’étayer son observation selon laquelle la fonctionnaire avait été renvoyée en cours de stage pour des motifs liés à l’emploi, et que ses motifs ne pouvaient être assimilés à de la mauvaise foi ou à une imposture, ou encore, à une mesure disciplinaire déguisée, l’employeur a fourni des éléments de preuve détaillés sur les incidents suivants.
A. Formation en premiers soins
[26] Mme Kowalchuk a déclaré dans son témoignage qu’on lui avait demandé de participer à une simulation d’incident médical le 8 mai 2015, dans le cadre de la FCE de la fonctionnaire. Elle a déclaré que la fonctionnaire et sa partenaire de patrouille avaient été envoyées sur les lieux d’une urgence médicale, et que tous les membres du personnel devaient se soumettre à des mises en situation de ce genre, afin de s’assurer que leur formation et leurs compétences étaient à jour, mais que celle‑ci s’était déroulée alors que la fonctionnaire suivait déjà un plan d’amélioration du rendement. Mme Kowalchuk a déclaré dans son témoignage que plusieurs problèmes étaient survenus lorsque la fonctionnaire avait participé à l’urgence médicale; que la fonctionnaire n’avait pas pris la situation en main ni bien communiqué sur la radio bidirectionnelle, car elle avait omis de demander des renforts. Elle n’avait pas non plus communiqué efficacement de vive voix avec les autres participants. Des erreurs ont également été décrites quant à la façon dont la fonctionnaire avait tenté de prodiguer les premiers soins.
[27] Mme McQuaid était présente lors de cet exercice de formation et a expliqué que la fonctionnaire n’avait pas appliqué correctement le masque de réanimation bouche à bouche de sécurité. La fonctionnaire s’était penchée et semblait être sur le point de mettre sa bouche sur celle de la victime fictive pour pratiquer une respiration de sauvetage. On lui avait demandé de déployer un dispositif de barrière de sécurité pour la respiration de sauvetage qui empêche le sauveteur d’entrer en contact avec les fluides corporels de la victime, comme la salive ou les vomissures. Elle a ajouté que, malgré la formation qu’elle avait reçue, la fonctionnaire avait pris le dispositif et l’avait mis sur sa bouche plutôt que sur celle de la victime, là où il est censé être placé. La fonctionnaire n’avait pas non plus compris les gestes de la main de la victime qui signifiaient qu’elle s’étouffait.
[28] Mme Kowalchuk a expliqué que la fonctionnaire ne semblait pas prendre le scénario de formation au sérieux, et qu’on lui avait demandé d’agir comme s’il s’agissait d’une véritable urgence médicale. Elle a souligné que, lors de la séance de débreffage, la fonctionnaire avait déclaré qu’elle n’avait pas pris l’exercice très au sérieux, car il n’était pas réel. Mme Kowalchuk a également déclaré que la fonctionnaire ne s’était pas montrée réceptive aux commentaires formulés après l’exercice de formation. (VOIR le recueil de documents de l’employeur, RDE, onglet 6)
[29] Katie Hastey, une IPL qui occupait le poste de GC par intérim, a témoigné de ce scénario de formation médicale et elle a parlé d’une note qu’elle avait rédigée et transmise à Mme McQuaid, le 27 juillet 2015. Elle a mentionné qu’elle était présente au moment des faits, et que la fonctionnaire avait été affectée par radio à un [traduction] « code bleu », ce qui signifiait une urgence médicale. Elle a déclaré qu’il était évident pour elle que la fonctionnaire [traduction] « n’était pas dans son élément » et qu’il fallait lui dire ce qu’elle devait faire. Elle a également mentionné que la fonctionnaire s’attendait à une véritable urgence médicale lorsqu’elle est arrivée sur les lieux, et qu’elle avait donc ri et demandé s’il s’agissait simplement d’un scénario de formation. Il a également été souligné que Mme Hastey avait reçu une formation, qu’elle avait fait partie de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) de l’EEF et que ses connaissances et son expérience avaient été mises à contribution, afin qu’elle puisse observer de façon particulière la fonctionnaire lors de cette mise en situation médicale.
[30] Lindsay Keelaghan était l’IPL à qui on avait demandé de jouer le rôle de la victime d’un problème médical lors de l’exercice de formation. Elle a déclaré dans son témoignage que, comme dans tous les exercices de formation de ce genre, la fonctionnaire et sa partenaire avaient été envoyées sur les lieux d’une urgence médicale, et qu’à leur arrivée, on leur avait dit qu’il s’agissait d’un exercice de formation, mais qu’elles devaient agir comme si c’était un véritable incident. Elle a expliqué que presque tous les nouveaux membres du personnel reçoivent ce type de scénario de formation pendant leur stage probatoire, et qu’on demande à l’IPL subalterne lorsqu’il arrive sur les lieux (dans ce cas-ci, la fonctionnaire) de faire preuve de leadership. Elle a également déclaré qu’elle était membre de l’EIU et qu’elle encadrait le personnel subalterne en matière d’intervention d’urgence.
[31] Mme Keelaghan a déclaré qu’à son arrivée sur les lieux, la fonctionnaire s’était fait dire de traiter la situation comme si elle était réelle et de diriger l’intervention. Toutefois, la fonctionnaire n’avait eu pratiquement aucune interaction avec Mme Keelaghan pendant qu’elle était allongée sur le sol, qu’elle pointait vers son cou et émettait des bruits d’étouffement. Mme Keelaghan a dit qu’après un certain temps, elle avait finalement murmuré ceci à la fonctionnaire : [traduction] « je m’étouffe ». Elle a ensuite expliqué les nombreuses choses que la fonctionnaire aurait dû faire, soit demander à sa partenaire de l’aider, d’appeler des renforts, d’appeler l’équipe médicale pour qu’elle intervienne, etc. Mais plus important, a-t-elle dit, la fonctionnaire n’avait tout simplement rien fait pour l’aider en tant que victime qui étouffait.
[32] Mme Keelaghan a ensuite expliqué qu’après que la fonctionnaire eut échoué à l’aider à reprendre sa respiration, elle avait agi comme si elle avait perdu connaissance et avait encore une fois dû murmurer à la fonctionnaire qu’elle était dans cet état. Elle a déclaré qu’après avoir simulé qu’elle était inconsciente et en avoir informé la fonctionnaire, cette dernière avait sorti son dispositif de sécurité pour la respiration de sauvetage, mais l’avait placé sur elle au lieu de le placer sur la victime, là où il est censé être utilisé. Lorsqu’on lui a demandé si ce scénario était trop avancé ou compliqué pour la fonctionnaire, qui était alors une IPL relativement nouvelle, Mme Keelaghan a déclaré qu’il s’agissait de l’un des scénarios les plus élémentaires, de niveau d’entrée en matière de premiers soins auquel on a recours pour la formation du personnel.
[33] En contre-interrogatoire, Mme Keelaghan a rejeté l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle d’autres personnes présentes dans la salle, y compris les gestionnaires, auraient dû l’aider activement avec les secours médicaux. Mme Keelaghan a déclaré dans son témoignage que ces mises en situation étaient destinées à la formation des nouveaux membres du personnel ou du personnel subalterne et qu’il incombait à la fonctionnaire de répondre et d’agir, comme on le lui avait dit. La fonctionnaire a également demandé à Mme Keelaghan s’il était vrai qu’elle avait commencé la réanimation cardiopulmonaire sur elle. Mme Keelaghan a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas. Lorsque la question est revenue en réplique, on a montré à Mme Keelaghan une note de service indiquant que la fonctionnaire avait tenté une manœuvre de réanimation cardiopulmonaire sur elle, mais que la manœuvre avait été réalisée de manière incorrecte.
[34] Dans son témoignage sur ce scénario d’urgence médicale, la fonctionnaire a déclaré que les représentants de la direction l’avaient ridiculisée, qu’ils avaient fait des commentaires importuns et lui avaient dit de mettre le dispositif de barrière de sécurité sur elle, si bien qu’elle avait cru qu’ils entendaient par là qu’ils voulaient qu’elle le porte. Il s’agissait d’un simple malentendu, à son avis. Elle a également déclaré qu’elle avait essayé de demander à sa partenaire, Mme Hastey, de l’aider, mais que celle‑ci avait refusé, et ce, selon la fonctionnaire, dans le but de lui nuire et de la faire échouer.
[35] La fonctionnaire a déclaré dans son témoignage qu’en fait, d’autres membres du personnel et une gestionnaire présents à l’incident simulé avaient commencé à rire et ne l’avaient pas prise au sérieux. Elle a également déclaré qu’elle estimait qu’il était irréaliste et injuste que sa partenaire de patrouille, envoyée avec elle sur les lieux de l’incident simulé, n’ait rien fait pour l’aider. Dans son contre‑interrogatoire, Mme McQuaid a dit que personne n’avait ri ni souri lors de l’incident, seulement la fonctionnaire.
[36] La fonctionnaire a également déclaré dans son témoignage qu’elle pensait avoir fait ce qu’on lui avait dit de faire pendant l’exercice lorsque Mme McQuaid lui avait dit de [traduction] « mettre le masque de sécurité » pour la respiration artificielle bouche à bouche. En contre‑interrogatoire, Mme McQuaid a expliqué que tout le personnel a reçu une formation sur l’utilisation correcte de l’équipement de sécurité, y compris le masque. Elle a ajouté que la fonctionnaire aurait dû savoir que le masque ne devait pas être placé sur sa propre bouche. Lorsque la fonctionnaire l’a contre‑interrogée à ce sujet, Mme McQuaid a nié que le scénario de formation visait simplement à la ridiculiser.
[37] Au sujet de ces exercices de mise en situation, la fonctionnaire a témoigné de façon plus générale qu’il était injuste qu’elle ait dû les faire, qu’ils n’étaient pas réalistes et qu’elle devait en faire plus que les autres employés, ce qui était injuste, avait contribué à son manque d’aisance et lui avait fait perdre confiance en elle. Lorsqu’elle a été contre-interrogée sur ce point, Mme McQuaid a déclaré que tout le personnel devait régulièrement participer à des scénarios de formation afin de respecter les normes nationales obligatoires. Elle a ajouté que la fonctionnaire avait dû se soumettre à des formations supplémentaires parce que ses compétences étaient déficientes et que ces formations devaient l’aider à développer les compétences nécessaires.
B. Déverrouillage d’une porte afin qu’une employée de niveau CX puisse déplacer une détenue
[38] Mallory Rodgers, une IPL, a témoigné d’un incident au cours duquel elle était intervenue auprès d’une détenue qui s’automutilait dans une cellule de l’unité carcérale. La fonctionnaire avait été affectée au PCUC et était chargée d’autoriser tous les accès dans l’unité et toutes les sorties de celle-ci, y compris les accès aux portes des cellules. Mme Rodgers a expliqué qu’elle avait été affectée à la cellule où l’incident s’était produit. À son arrivée, elle avait levé la main, ce signe est compris de tout le monde dans l’établissement comme signifiant qu’une personne au PCUC doit alors ouvrir la porte, puisque le personnel affecté à ce poste surveille toujours les mouvements du personnel et des détenues sur les moniteurs de vidéosurveillance du PCUC.
[39] Mme Rodgers a déclaré que, comme la porte ne s’ouvrait après qu’elle eut levé le bras, elle avait appelé le PCUC par radio et avait demandé à la fonctionnaire d’ouvrir la porte de la cellule. Elle a déclaré qu’elle avait attendu, puis avait appelé de nouveau. Après un autre moment d’attente, elle avait dû appeler une troisième fois avant que la fonctionnaire réponde enfin et ouvre la porte de la cellule où elle attendait. Mme Rodgers a déclaré avoir attendu au moins deux minutes avant que la fonctionnaire réponde à ses appels répétés. Cette attente lui avait causé de graves inquiétudes, étant donné que le PCUC doit constamment surveiller les activités dans l’unité et y réagir rapidement, afin d’assurer la sécurité du personnel et des détenues.
[40] Mme Rodgers a ajouté qu’après cet incident, elle avait pris le temps de parler avec la fonctionnaire, de lui expliquer ses inquiétudes et de discuter des attentes liées à l’exécution des tâches qui incombent au personnel du PCUC. Cependant, la fonctionnaire ne s’était pas montrée réceptive à ses commentaires et s’était contentée de trouver des excuses pour expliquer pourquoi elle n’avait pas pu répondre plus tôt à ses appels.
[41] Mme Rodgers a déclaré dans son témoignage qu’elle ne se sentait pas en sécurité de travailler avec la fonctionnaire en raison de l’incapacité de cette dernière à réagir aux situations. Elle a ajouté qu’elle avait dit à Mme McQuaid qu’elle craignait pour sa sécurité et qu’elle avait demandé à ne plus être affectée à une patrouille avec la fonctionnaire.
[42] Lorsqu’on lui a demandé en contre‑interrogatoire si c’était Mme McQuaid qui lui avait demandé de faire une rétroaction défavorable au sujet de la fonctionnaire, Mme Rodgers a répondu que ce n’était pas le cas, puisque c’était elle qui s’était adressée à Mme McQuaid pour lui faire part de ses inquiétudes. Elle a également déclaré en qu’il faut normalement quelques secondes au personnel du PCUC pour ouvrir une porte verrouillée une fois que l’IPL sur les lieux l’a demandé en levant la main.
C. Urgence médicale pour une détenue immobilisée dans une baignoire pleine
[43] Mme McQuaid a témoigné au sujet d’un incident grave au cours duquel la fonctionnaire avait mis sa vie et celle de sa partenaire en danger, ainsi que la vie d’une détenue en détresse. Un matin, à 6 h 25, elle venait d’arriver à son bureau de GC et préparait son matériel pour commencer son quart de travail, lorsqu’elle a entendu un message radio brouillé provenant de la fonctionnaire. Le PPCC a alors demandé que le message soit répété. Elle a déclaré qu’elle pouvait distinguer les mots [traduction] « détenue inconsciente » et qu’elle s’était ensuite immédiatement rendue à l’unité résidentielle où elle avait vu la fonctionnaire et sa partenaire entrer à son arrivée au bureau. Elle a déclaré qu’une fois arrivée sur place, elle avait vu que la fonctionnaire se tenait devant la porte de la salle de bain sans rien faire, mais aussi qu’il y avait de l’eau partout sur le sol. Elle a déclaré qu’elle s’était rendue dans la salle de bain et qu’elle avait vu que la partenaire de la fonctionnaire tentait difficilement de sortir une détenue de grande taille d’une baignoire remplie jusqu’à déborder dans laquelle l’eau coulait toujours. Elle a déclaré que la partenaire tenait la tête de la détenue inconsciente, et qu’elle n’avait pas pu la sortir seule de la baignoire, en raison de la grande taille de la détenue.
[44] Elle a déclaré qu’elle était allée dans la salle de bain et qu’elle avait aidé l’autre IPL à sortir la détenue inconsciente de l’eau. Elle avait ensuite demandé à la fonctionnaire d’aller chercher une couverture pour la détenue, mais la fonctionnaire lui avait répondu qu’elle ne savait pas où les couvertures étaient rangées. Mme McQuaid a déclaré qu’elle avait ensuite demandé à une détenue d’aller chercher une couverture et qu’elle avait dû appeler le PPCC par radio pour qu’il appelle le 911 afin de signaler une urgence médicale, car la détenue ne réagissait pas.
[45] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage qu’après cet incident, la partenaire de la fonctionnaire (l’IPL Reina Linares), qui se trouvait dans la salle de bain et tenait la tête de la détenue hors de l’eau, lui avait dit qu’elle était très bouleversée par le manque de réaction de la fonctionnaire pendant l’incident. L’IPL Linares a également dit à Mme McQuaid qu’avant de découvrir la détenue inconsciente dans la baignoire, la fonctionnaire et elle procédaient au dénombrement dans l’unité résidentielle de la détenue, qu’il était 6 h et que la fonctionnaire avait vu de l’eau sur le sol en provenance de la salle de bain dont la porte était fermée, mais qu’elle ne l’en avait pas informée avant qu’elle, l’IPL Linares, lui ait dit qu’elle avait découvert un lit vide là où la détenue aurait dû se trouver à cette heure de la journée, ce qui avait retardé l’intervention d’urgence. L’IPL Linares a ajouté que, dès qu’elle avait vu la détenue dans la baignoire, elle avait demandé à la fonctionnaire d’appeler des renforts par radio. Elle a dit qu’elle avait l’impression que la fonctionnaire ne pensait pas devoir travailler pour améliorer son rendement au travail.
[46] Lorsqu’on lui a demandé lors de l’interrogatoire principal pourquoi l’employeur n’avait pas renvoyé la fonctionnaire en cours de stage après cet incident, Mme McQuaid a déclaré que des efforts importants avaient été déployés pour aider la fonctionnaire à améliorer ses compétences et que l’on espérait qu’avec plus de soutien, de formation et de mentorat, elle pourrait s’améliorer et s’acquitter convenablement de ses fonctions.
[47] Dans un commentaire sommaire sur cet incident, Mme McQuaid a déclaré que la fonctionnaire n’avait été d’aucune aide pendant cet incident, et qu’elle aurait dû immédiatement faire un appel radio clair pour demander des renforts, puis appeler le 911 et enfin aider sa partenaire à sortir la détenue de l’eau pour lui sauver la vie. Elle a ajouté qu’elle ne pensait pas que la fonctionnaire comprenait la gravité de l’urgence médicale lors de l’incident ou que, du fait de son absence de réaction, le risque que posait la situation avait augmenté puisque la détenue inconsciente avait été laissée dans l’eau plus longtemps que nécessaire et que l’envoi des renforts et l’appel au 911 avaient été retardés. Elle a ajouté que lors de la séance de débreffage ayant suivi l’incident, la fonctionnaire n’avait pas endossé la responsabilité de son inaction, mais avait plutôt blâmé sa partenaire, affirmant que cette dernière était l’IPL supérieure et qu’elle aurait dû en faire plus pour obtenir des renforts.
[48] Lorsqu’elle a contre‑interrogé les représentants de l’employeur sur cet incident, la fonctionnaire a soulevé plusieurs questions connexes qui m’ont semblé valables, dont celle de la nécessité de monter la garde à la porte de la salle de bain au cas où les détenues se réveilleraient et s’en approcheraient de sorte que la fonctionnaire et sa partenaire auraient pu être coincées dans la petite pièce, sans autre issue.
[49] La fonctionnaire a également témoigné sur cette question et a déclaré que sa partenaire, qui était l’agente supérieure sur les lieux, lui avait dit de se tenir à la porte de la salle de bain et de monter la garde, ce qu’elle a fait. Elle a également déclaré dans son témoignage que l’incident s’était produit très tôt dans sa carrière d’IPL, qu’elle avait été choquée de voir la détenue immobilisée et nue dans la baignoire, et que cela pouvait très bien avoir freiné sa réaction et l’avoir empêchée d’utiliser correctement la radio bidirectionnelle pour appeler des renforts.
[50] Mme McQuaid a répondu à ces affirmations formulées en contre‑interrogatoire en déclarant que l’IPL Linares avait peut-être effectivement demandé à la fonctionnaire d’attendre à la porte, mais qu’il aurait été normal qu’elle entre brièvement dans la petite salle de bain pour aider sa partenaire à sortir en toute sécurité la détenue corpulente et immobilisée de la baignoire remplie d’eau. Elle a ensuite répété que, lorsqu’elle était arrivée sur les lieux, elle avait constaté que la salle de bain n’était pas sécurisée, et que les détenues commençaient à se réveiller et à s’en approcher parce qu’elles étaient curieuses de savoir ce qui se passait. Elle a déclaré que la fonctionnaire aurait dû maîtriser la situation, qu’elle aurait dû ordonner aux détenues de rester dans leurs chambres et appeler des renforts en urgence sur les lieux, dès qu’elle avait vu la détenue dans la baignoire.
D. Détenue agressive résistant à une ITL dans la salle des douches
[51] Mme Kowalchuk a témoigné au sujet d’un incident au cours duquel elle avait dépêché des agents de patrouille, dont la fonctionnaire, à l’endroit où une détenue devait prendre une douche après qu’on l’eut vaporisée de gaz poivré pour la maîtriser. La détenue était belliqueuse et résistait aux efforts des deux IPL pour la maîtriser dans la salle des douches. Mme Kowalchuk a expliqué qu’une autre IPL (Mme Lapointe) avait écrit dans son rapport qu’à son arrivée sur les lieux, elle avait vu que les deux IPL éprouvaient de la difficulté à maîtriser la détenue qui était sous la douche et se cognait la tête contre le mur. Elle a également déclaré que l’IPL Lapointe lui avait expliqué que la fonctionnaire se tenait debout et regardait, sans rien faire, et que l’IPL Lapointe avait dû écarter la fonctionnaire pour entrer dans la douche et maîtriser la détenue, afin de mettre fin à la tentative d’automutilation.
E. Vidéo du menottage du 12 juillet 2015
[52] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que l’une des compétences essentielles exigées d’une IPL lorsqu’elle commence à travailler après sa formation est de savoir comment menotter une détenue. Elle a déclaré que la bonne technique consiste à communiquer verbalement de façon ferme, mais calme, pour indiquer à la détenue ce qu’elle doit faire. Cela permet d’assurer le contrôle de la zone, afin d’éviter les distractions ou les interruptions, et d’expliquer à la détenue ce qui va se passer une fois qu’elle sera immobile, selon les instructions de l’IPL.
[53] Elle a expliqué que, souvent, une détenue peut avoir les mains menottées devant son torse et qu’une méthode de contrôle plus agressive et plus musclée, rarement utilisée, consiste à la menotter dans le dos. Elle a également déclaré que la fonctionnaire avait été observée en train de menotter des détenues de manière peu assurée ou sans utiliser la technique enseignée pendant la formation. Elle a déclaré qu’elle avait donné à la fonctionnaire une formation supplémentaire sur la technique de menottage.
[54] Mme McQuaid a expliqué la vidéo présentée à l’audience qui montrait comment en fait la fonctionnaire s’y était prise pour sortir une détenue d’une zone commune et la menotter afin de l’escorter, avec d’autres membres du personnel, vers une unité à haute sécurité. Mme McQuaid a déclaré que les membres du personnel, y compris la fonctionnaire, avaient été réunis et qu’une séance d’information avait été donnée sur le déplacement d’une détenue vers une unité à sécurité élevée qu’ils devaient effectuer; des rôles avaient été attribués. Elle a déclaré que la fonctionnaire s’était ensuite éloignée et qu’il avait fallu la rappeler.
[55] Pendant le visionnement de la vidéo, Mme McQuaid a décrit ce qui était évident pour toutes les personnes présentes dans la salle d’audience, à savoir que la fonctionnaire semblait très peu sûre d’elle et ne prenait pas les mesures adéquates pour contrôler la situation et maîtriser la détenue qui devait être menottée. La détenue était conciliante et calme au début, lorsque Mme McQuaid l’informait du fait qu’elle devait être emmenée en détention à haute sécurité. Cependant, la détenue est devenue bruyante, grossière et agitée lorsque la fonctionnaire lui a passé incorrectement les menottes et qu’elle lui a pincé la peau en les resserrant.
[56] On observait également que la fonctionnaire ne savait pas si elle devait se placer devant ou derrière la détenue, et qu’elle semblait d’abord vouloir menotter les mains de la détenue dans son dos.
[57] La fonctionnaire a témoigné au sujet de cet incident et a déclaré que Mme McQuaid avait commencé à parler à la détenue et qu’elle l’avait perturbée. La fonctionnaire a également admis que les ordres verbaux qu’elle avait donnés à la détenue auraient pu être plus forts et plus clairs. Elle a ajouté qu’elle savait que le personnel avait l’habitude de menotter cette détenue par-derrière. Elle a également déclaré dans son témoignage que, même si sa voix n’était pas audible dans la vidéo présentée à l’audience, elle avait parlé doucement à la détenue et lui avait indiqué ce qu’elle attendait d’elle.
F. Vidéo du menottage du 31 juillet 2015
[58] Dans un compte rendu semblable à celui concernant la vidéo du menottage du 12 juillet, Mme McQuaid a expliqué une vidéo prise le 31 juillet 2015, dans laquelle on voit une détenue être emmenée d’une zone commune et placée en isolement. Les personnes présentes à l’audience ont pu observer sur la vidéo que la fonctionnaire ne maîtrisait pas la détenue, car cette dernière a commencé à s’éloigner d’elle avant d’avoir été menottée. Un autre membre du personnel a dû ordonner à la détenue de revenir et de rester immobile, après quoi la fonctionnaire a eu du mal à insérer les clés dans la serrure pour verrouiller les menottes. Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que même si la fonctionnaire avait d’abord bien communiqué verbalement avec la détenue, elle n’avait pas réussi à garder le contrôle, car la détenue avait commencé à s’éloigner avant d’avoir été menottée.
[59] Elle a également fait remarquer que la fonctionnaire n’aurait pas dû avoir à se battre avec ses clés pour verrouiller solidement les menottes, que cela posait un risque dans la mesure où la détenue aurait pu devenir agitée ou aurait pu commencer à résister physiquement au processus de menottage qui tardait à aboutir. Mme McQuaid a déclaré que tous les nouveaux IPL devaient être capables de menotter un détenu de manière compétente à la fin de leur formation de base et que la fonctionnaire avait également reçu à ce moment-là une formation supplémentaire et avait bénéficié d’un tutorat sur la façon de menotter un détenu.
[60] Dans son témoignage sur cette question, la fonctionnaire a déclaré qu’on ne lui avait pas fourni de porte-clés approprié pour attacher ses clés à sa ceinture de fonction; elle avait dû acheter le sien. Elle a déclaré que son porte‑clés était trop serré et que cela lui causait des difficultés lorsqu’elle essayait de menotter des détenues. Elle a déclaré que l’employeur avait la responsabilité de lui fournir le porte-clés approprié.
G. Surveillance accrue du risque de suicide
[61] À l’audience, une vidéo de sécurité prise aux premières heures du 1er août 2015 a été visionnée. On y voit une détenue placée dans une cellule temporaire sous surveillance accrue du risque de suicide (SARS). La GC Candace Perry a témoigné qu’elle était la gestionnaire en service cette nuit‑là et que la détenue qu’on peut voir dans la vidéo, dont l’état était très instable, avait un historique d’automutilation et de menaces de violence envers le personnel. Cette nuit-là, la détenue était placée sous SARS en attendant que les membres du personnel médical du quart de jour arrivent et évaluent sa santé mentale. Mme Perry a déclaré dans son témoignage qu’un IPL ne doit jamais quitter des yeux une détenue faisant l’objet d’une SARS, se tenir en position de vigilance à sa porte et intervenir immédiatement dans la cellule en cas de risque d’automutilation ou de suicide. Elle a expliqué que chaque IPL est formé à ces exigences de SARS dans le cadre de sa formation de base avant de commencer son emploi.
[62] Elle a déclaré qu’elle avait affecté plusieurs IPL à la SARS afin de s’assurer que la détenue soit placée en toute sécurité dans la pièce et que les membres du personnel chargés du placement bénéficient d’un temps de repos, car la direction était consciente du stress que représentent le déplacement et le placement des détenues, et s’efforçait dans tous les cas de s’assurer que les IPL chargées de ces tâches soient ensuite relevées de la SARS afin de pouvoir « prendre une pause ».
[63] Mme Perry a témoigné que tous les membres du personnel ayant répondu à sa demande d’affectation avaient été informés qu’ils participaient à une SARS. Elle a ajouté que tous les participants seraient informés de leur rôle, car cela faisait partie de la liste de contrôle de la GC lors d’un placement sous SARS. Lorsqu’on lui a demandé précisément comment la fonctionnaire avait su qu’elle avait été affectée à cette SARS, elle a répondu que celle‑ci en avait été informée soit au moment de son affectation, soit à son arrivée sur les lieux.
[64] Dans la vidéo diffusée à l’audience, on voit clairement la fonctionnaire entrer dans le couloir où Mme Perry et cinq autres IPL se tenaient devant une porte dotée d’une fenêtre qui donnait sur une pièce dans laquelle la détenue avait été placée temporairement. Mme Perry a fait remarquer que la pièce était une salle d’entrevue et non une cellule de détention normale et qu’elle était préparée de façon à ce que la détenue n’ait rien à sa disposition pour s’automutiler.
[65] Lors de son témoignage sur la vidéo visionnée à l’audience, Mme Perry a souligné que l’IPL se tenant directement devant la porte de la pièce dans laquelle la détenue se trouvait était en position de vigilance, sa main posée sur la poignée de porte, et qu’elle avait surveillé la détenue par la fenêtre pendant plus de 10 minutes, sans jamais la quitter des yeux.
[66] Après un certain temps, on peut voir la fonctionnaire s’approcher de l’IPL qui assurait la SARS de la détenue depuis plus de 10 minutes par le côté du couloir où elle se tenait depuis plusieurs minutes, et se placer directement derrière elle. Peu de temps après, l’IPL qui assurait la SARS s’est éloignée de la porte et est entrée dans la salle du personnel. Les autres IPL sont restées sur les lieux. Mme Perry a fait remarquer qu’il s’agissait de la période de pause qu’elle avait expliquée, et que la salle du personnel où les autres IPL se rendaient était adjacente à celle dans laquelle la détenue sous SARS était gardée.
[67] Immédiatement après que l’autre IPL eut quitté le poste de SARS à la porte, la fonctionnaire s’est avancée vers la porte et a regardé directement dans la pièce où se trouvait la détenue sous SARS. Cependant, après seulement 2 minutes au poste de SARS, la fonctionnaire a détourné la tête de la fenêtre par laquelle elle observait la détenue sous SARS, puis elle s’est éloignée et est entrée dans la salle où les autres IPL se tenaient debout et discutaient. Elle a semblé dire quelque chose aux autres IPL, puis, après une absence de 10 secondes du poste de SARS, elle est revenue à la porte et a de nouveau tourné son regard vers la fenêtre et la détenue.
[68] Mme Perry a déclaré dans son témoignage qu’il était strictement interdit pour la fonctionnaire de quitter le poste de SARS, et que cela représentait un vrai danger pour le bien-être de la détenue, car elle aurait pu avoir suffisamment de temps sans surveillance pour s’automutiler. Elle a ajouté qu’il ne pouvait y avoir aucune raison valable de quitter le poste de SARS, et que même si un problème ou une situation urgente était survenu, la fonctionnaire aurait dû utiliser sa radio pour appeler des renforts ou simplement appeler les IPL qui se trouvaient dans la pièce voisine.
[69] Lorsqu’on lui a demandé en interrogatoire principal si la fonctionnaire avait pu dire aux autres IPL que la détenue pouvait les voir et les entendre de l’endroit où elle était gardée, Mme Perry a répondu que les autres IPL le savaient déjà, et que ce n’était pas une raison valable pour que la fonctionnaire quitte son poste de SARS.
[70] Mme Perry a déclaré qu’un IPL chargé d’une SARS ne devait jamais quitter son poste de surveillance ni quitter des yeux la détenue à moins qu’un IPL ne prenne la relève et n’assure la SARS. Elle a répété que la fonctionnaire aurait été informée qu’elle était affectée à une SARS lorsqu’on l’avait appelée à la radio pour qu’elle se rende sur les lieux ou lorsqu’elle était arrivée sur les lieux avec les autres IPL.
[71] À mesure que la vidéo continue, on voit la fonctionnaire regarder dans le couloir sans raison apparente. Elle quitte ensuite son poste une deuxième fois pour s’approcher à nouveau des IPL dans la salle adjacente. Dans son témoignage, Mme Perry a répété qu’il était inacceptable que la fonctionnaire détourne les yeux de la détenue, qu’elle regarde dans le couloir, puis qu’elle quitte son poste une deuxième fois. Elle a ajouté que la fonctionnaire avait encore exposé la détenue au risque de s’automutiler pendant qu’elle était sans surveillance.
[72] Dans son contre-interrogatoire sur cet incident, Mme Perry a déclaré qu’elle n’avait pas personnellement informé la fonctionnaire à son arrivée au poste de SARS et qu’elle ne savait pas si, en fait, les autres PIL avaient communiqué avec elle à son arrivée sur les lieux.
[73] Lorsque la fonctionnaire lui a opposé qu’elle n’était pas au courant de la SARS et qu’elle n’avait même pas été affectée sur les lieux, mais qu’elle ne faisait que passer, puis, comme elle connaissait la détenue, elle s’était simplement arrêtée pour lui parler et la saluer, Mme Perry a déclaré qu’elle n’en savait rien. Lorsque la fonctionnaire lui a opposé qu’elle lui avait dit que la détenue l’avait informée qu’elle pouvait voir et entendre par les fenêtres les IPL dans la salle adjacente, et qu’elle avait tenté d’aller voir les autres IPL pour les en informer, Mme Perry a répondu qu’elle n’en savait rien.
[74] Lorsqu’on lui a demandé de préciser son affirmation selon laquelle l’autre IPL qui assurait la SARS avait nécessairement abandonné son poste juste avant que la fonctionnaire ne s’approche de la porte et de la fenêtre pour voir la détenue sous SARS, la fonctionnaire a affirmé que c’était exact et que l’autre IPL avait effectivement abandonné son poste de SARS.
[75] Lorsqu’elle a été appelée en réinterrogatoire pour commenter l’accusation de la fonctionnaire selon laquelle l’IPL affectée à la SARS avait abandonné son poste, Mme Perry a déclaré qu’il s’agissait d’une allégation très grave et que même si elle était avérée, la fonctionnaire ou toute autre PIL aurait dû assurer immédiatement la SARS et s’abstenir de détourner le regard et de s’éloigner de son poste à deux reprises, comme on avait vu la fonctionnaire le faire.
[76] Mme Perry a également déclaré dans son témoignage que l’explication de la fonctionnaire sur le fait qu’elle était passée par hasard à côté du lieu de l’incident et qu’elle avait décidé de son propre chef d’engager une conversation avec la détenue sous SARS ne semblait pas plausible, car la fonctionnaire s’était approchée de la porte pendant que l’autre IPL assurait la SARS et qu’elle s’était tenue directement derrière elle, comme un IPL est formé à le faire lorsqu’il prend la relève pour assurer une SARS et remplacer l’autre IPL. Elle a dit que le comportement de la fonctionnaire démontre qu’il s’agissait d’une relève de poste de SARS et non pas simplement d’une patrouille aléatoire et d’une décision de passer rendre visite à la détenue. Elle a ajouté qu’il n’y avait aucun rapport d’incident indiquant que l’IPL qui assurait la SARS avait abandonné son poste avant que la fonctionnaire ne s’approche de la porte.
[77] Dans son témoignage sur cet incident, la fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait pas été affectée au placement de la détenue sous SARS dans la salle d’observation, mais qu’elle effectuait simplement une patrouille motorisée. Elle a ajouté qu’elle s’était approchée par hasard du groupe et avait constaté qu’elle connaissait la détenue grâce à son travail et pensait rester un moment pour lui rendre visite.
[78] Après avoir regardé la vidéo de cet incident, la fonctionnaire a déclaré qu’elle était restée là pendant plusieurs minutes, sans savoir ce que faisaient les autres, mais que lorsque tous les autres membres du personnel présents étaient entrés dans une salle voisine, elle s’était approchée de la porte où la détenue était gardée et lui avait rendu visite. Elle a souligné que les autres membres du personnel étaient tous partis sans l’informer de la situation et que personne ne lui avait dit qu’il s’agissait d’une SARS.
[79] La fonctionnaire a expliqué plus en détail, en visionnant à nouveau la vidéo, qu’après un bref instant, au cours duquel elle avait parlé à la détenue par la fenêtre de la porte, elle avait quitté la porte pour se rendre dans la salle adjacente, où les autres membres du personnel s’étaient rassemblés. Elle a déclaré qu’étant donné qu’elle avait fait l’objet de rapport dans le passé, elle pensait qu’à ce stade, elle devait comprendre ce qui se passait et ce qu’elle était censée faire.
[80] Elle a ajouté qu’elle savait que les membres du personnel voulaient [traduction] « s’en prendre à elle », et a dit qu’elle voulait donc aller dans la salle du personnel et leur parler. Elle a ensuite déclaré que les membres du personnel présents lui avaient dit de retourner à la porte où elle avait parlé à la détenue.
[81] La fonctionnaire a déclaré qu’elle était souvent tenue à l’écart des conversations entre employés et qu’elle avait donc simplement supposé qu’ils avaient une conversation privée. Elle est retournée parler à la détenue. Elle a ensuite ajouté qu’elle était allée dans la salle du personnel pour dire aux employés présents que la détenue pouvait les entendre et les voir par une autre fenêtre.
[82] Elle a également déclaré qu’elle était consciente qu’on lui avait [traduction] « tendu un piège » et qu’elle avait alors pensé que c’était peut-être ce que faisaient les autres membres du personnel lorsqu’ils lui avaient dit de retourner à la porte de la cellule de la détenue, même si elle n’était pas affectée à ce poste ni à la SARS.
[83] Lorsqu’elle a été contre‑interrogée sur cet incident, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait peut-être été appelée pour se présenter au poste de SARS, qu’elle avait peut-être simplement entendu des conversations radio à ce sujet, ou qu’elle était peut‑être simplement arrivée sur les lieux de l’incident pendant une patrouille motorisée.
[84] Questionnée au sujet du témoignage de la GC Perry, qui a déclaré avoir envoyé la fonctionnaire sur les lieux de l’incident, la fonctionnaire a répondu que ce n’était pas la façon de procéder habituelle, parce que si elle avait été affectée à la SARS et qu’une autre urgence était survenue en même temps, aucun véhicule de patrouille motorisée n’aurait été disponible.
[85] La fonctionnaire a été invitée à regarder à nouveau la vidéo. On a porté à son attention qu’elle était restée debout et avait observé, pendant 10 minutes, l’IPL « M », qui avait les yeux fixés sur la détenue et une main posée sur la porte de la salle de détention, prête à intervenir. On a ensuite fait remarquer à la fonctionnaire qu’elle s’était placée très près du dos de l’IPL M, et que lorsque cette dernière s’était éloignée de la porte, elle s’était immédiatement placée devant la porte dans la même position, les yeux fixés sur la détenue dans la pièce. On a demandé à la fonctionnaire d’admettre qu’elle avait adopté la posture et la technique classiques, comme l’a expliqué le directeur adjoint Henry Shea, pour prendre la relève de l’IPL M et assurer la SARS. La fonctionnaire a répondu qu’elle n’était pas d’accord et qu’elle ne savait pas pourquoi la détenue était gardée dans la pièce, puis elle a répété qu’elle n’avait pas été affectée à la SARS.
[86] On a demandé à la fonctionnaire pourquoi elle était restée debout pendant 90 secondes, les yeux fixés sur la détenue, puis avait choisi de s’éloigner de la porte pour parler aux autres IPL dans la pièce voisine. Elle a répondu qu’elle devait leur dire que la détenue pouvait les voir et les entendre. Quand on lui a demandé pourquoi elle était retournée à la porte pour surveiller brièvement la détenue à nouveau, puis était repartie, la fonctionnaire a répondu qu’elle ne savait pas que la détenue était sous SARS et qu’elle s’était simplement rendue là pour lui rendre visite.
H. Survenance de deux incidents d’urgence simultanés
[87] Mme Kowalchuk a renvoyé à une note de service qu’elle a rédigée le 25 août 2015, après que deux incidents d’urgence différents soient survenus simultanément pendant que la fonctionnaire effectuait une patrouille générale. Elle a expliqué qu’une détenue avait eu une crise d’épilepsie dans la cour au même moment où une agression avait eu lieu à un autre endroit. Mme Kowalchuk a déclaré que la fonctionnaire avait été envoyée pour répondre à l’une de ces urgences; toutefois, la fonctionnaire n’avait pas répondu à l’appel radio. Elle a déclaré que la partenaire de la fonctionnaire était arrivée seule pour intervenir sur le lieu de l’agression signalée, mais que la fonctionnaire s’était présentée à son bureau dans un état émotionnel intense et s’était plainte d’un mal de tête.
[88] Mme Kowalchuk a déclaré qu’elle avait immédiatement envoyé une autre IPL pour qu’elle intervienne sur le lieu de l’agression où la fonctionnaire devait se trouver et qu’elle avait affecté la fonctionnaire à un poste de contrôle, pour trouver un autre IPL capable d’intervenir. Elle a ajouté qu’en raison du manque de personnel ce soir-là, l’absence de réponse de la part de la fonctionnaire avait mis l’établissement dans une situation difficile; les détenues de l’unité de garde en milieu fermé avaient dû être confinées après que la fonctionnaire eut déclaré qu’elle était malade et devait quitter le travail.
[89] Mme Kowalchuk a témoigné que, plus tôt au cours de ce quart de travail, la fonctionnaire avait dit qu’elle ne se sentait pas bien, mais, après avoir communiqué avec elle et avec l’agent négociateur, elle avait dit qu’elle était en mesure de continuer à travailler. Mme Kowalchuk a déclaré qu’en ne répondant pas à l’appel, la fonctionnaire avait retardé l’intervention sur le lieu de l’agression, car sa partenaire ne pouvait pas entrer seule dans l’unité des détenues, et le retard aurait pu exposer les détenues à un risque sérieux de préjudice.
[90] Lors de son contre-interrogatoire, Mme Kowalchuk a nié avoir dit à la fonctionnaire plus tôt pendant ce quart de travail qu’elle n’était pas autorisée à rentrer chez elle parce qu’elle souffrait d’une migraine. Elle a également nié avoir accepté de réaffecter la fonctionnaire à des tâches de traitement de dossiers pendant ce quart de travail et a répété que l’établissement manquait de personnel ce soir-là et qu’elle n’aurait pas consenti à une telle réaffectation. Elle a aussi répété que, lorsqu’on lui avait posé la question plus tôt au cours de son quart de travail, la fonctionnaire avait dit qu’elle était en mesure de continuer à travailler. Mme Kowalchuk a ajouté en contre-interrogatoire que l’affectation d’urgence de la fonctionnaire avait été demandée avant qu’elle ne se rende à son bureau, et qu’elle aurait retiré la fonctionnaire de la patrouille si on l’avait informée qu’elle était trop malade pour s’acquitter de ses fonctions.
[91] Toujours en contre-interrogatoire, la fonctionnaire a renvoyé Mme Kowalchuk à un [traduction] « rapport d’observation ou déclaration » signé par l’IPL Rob Skoronski, qui a indiqué qu’il avait remarqué que la fonctionnaire était malade et qu’elle était incapable d’intervenir dans une situation d’urgence. Il a ajouté qu’il [traduction] « faudrait régler cela », et que [traduction] « [s]on inaction à ce moment-là avait causé un stress supplémentaire inutile au bureau de la GC pendant les incidents mentionnés ».
[92] Dans son témoignage en réponse à cette question, la fonctionnaire a déclaré que le malaise qu’elle avait ressenti s’était aggravé pendant son quart de travail, à un point tel qu’elle n’était plus en mesure de continuer. Elle a ajouté que lorsqu’elle s’était sentie trop malade pour travailler, elle avait appelé le répartiteur pour lui dire qu’elle ne pouvait pas travailler, mais que, peu de temps après, sa partenaire et elle avaient reçu un appel radio pour répondre à une urgence médicale. Elle a déclaré qu’après avoir reçu l’appel, elle s’était rendue au bureau de la GC pour lui dire qu’il fallait une personne pour la remplacer, parce qu’elle était malade. Elle a affirmé que la GC lui avait dit de s’assurer qu’on avait répondu à l’appel d’urgence médicale, mais qu’elle avait reçu un autre appel d’urgence auquel elle n’avait pas répondu.
[93] La fonctionnaire a également souligné qu’à son retour au travail, peu après le jour où elle avait été malade, elle avait été accueillie dans le couloir par l’IPL Skoronski, qui lui avait demandé si elle avait feint d’être malade et lui avait ensuite dit qu’elle avait entendu dire qu’elle serait congédiée. La fonctionnaire a déclaré qu’il s’agissait là d’un exemple de commérages auxquels elle faisait face au travail et du climat d’hostilité et de harcèlement qui y régnait, et que la directrice Brigitte Bouchard avait admis dans son témoignage que l’EEF était un piètre milieu de travail.
[94] J’ai alors interrompu la fonctionnaire et lui ai dit que ce n’était pas exact, que je ne m’en souvenais pas, et que si c’était bien ce que la directrice avait dit, je m’en souviendrais certainement, parce que cela aurait été frappant.
[95] Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire pourquoi elle n’avait pas répondu aux demandes d’aide, même simplement pour dire qu’elle ne pouvait pas intervenir, lorsqu’elle a été affectée au cas d’agression urgent, la fonctionnaire a déclaré qu’au moment même où elle avait reçu cette affectation, elle entrait dans le bureau de la GC pour lui dire qu’elle était malade, et que par conséquent, elle n’était pas tenue d’y donner suite.
[96] La fonctionnaire s’est plainte à plusieurs reprises au cours des semaines d’audience que des membres du personnel de l’EEF pouvaient témoigner du complot fomenté par la direction pour la faire renvoyer, ainsi que des incidents racistes dont elle avait été victime, mais que personne n’avait accepté de témoigner, par crainte de représailles. On a rappelé à chaque fois à la fonctionnaire que la Commission pouvait contraindre toute personne ayant une connaissance directe des questions soumises à l’audience à comparaître comme témoin, mais elle a décliné chaque offre.
I. Décision de renvoi en cours de stage
[97] Mme McQuaid a témoigné que plusieurs membres du personnel étaient venus la voir, certains en pleurs, bouleversés et craignant pour leur sécurité, et lui avaient demandé à ne plus être affectés à des quarts de travail avec la fonctionnaire, après avoir travaillé avec elle et vécu de mauvaises expériences en raison de son incapacité à réagir correctement aux incidents. Mme McQuaid a mentionné une note, non signée et envoyée par courriel par un IPL et la GC par intérim Hastey comme exemple de ces communications.
[98] La fonctionnaire a questionné Mme McQuaid au sujet des plaintes des membres du personnel et lui a demandé s’il était vrai qu’elle avait en fait sollicité ces plaintes une fois que la décision de la renvoyer avait été prise. Mme McQuaid a répondu que des membres du personnel étaient venus la voir pour se plaindre du rendement insatisfaisant de la fonctionnaire et qu’elle leur avait alors demandé de lui faire part de leurs inquiétudes par écrit.
[99] Mme McQuaid a témoigné que la fonctionnaire n’avait pas été renvoyée à la suite d’un incident isolé, mais plutôt en raison de plusieurs problèmes et incidents. Elle a dit qu’il était important de noter qu’elle était surtout préoccupée par le fait que la fonctionnaire continuait à se montrer récalcitrante et refusait d’assumer la responsabilité de ses actes. Elle a ajouté qu’elle rejetait plutôt le blâme sur d’autres employés pour les choses qui s’étaient mal passées ou pour ce qui lui avait été présenté comme une lacune dans son travail. Elle a dit que cela démontrait un manque de responsabilisation de la part de la fonctionnaire et un manque de compréhension ou de reconnaissance de ses actes.
[100] Mme McQuaid a témoigné que, dès le 18 juin 2015, lors d’une rencontre avec la fonctionnaire et la représentante de l’agent négociateur, on avait dit à la fonctionnaire qu’elle devait améliorer son rendement, sinon elle pourrait être renvoyée en cours de stage. On lui avait alors présenté un plan d’action visant à améliorer son rendement qui avait fait l’objet d’une longue discussion.
[101] La fonctionnaire a contre-interrogé Mme McQuaid au sujet de son sentiment anti-jamaïcain. Elle lui a demandé s’il était vrai qu’elle était allée dans des boîtes de nuit située sur l’avenue Jasper à Edmonton et qu’elle avait eu une mauvaise expérience avec des hommes jamaïcains. Mme McQuaid a déclaré qu’elle n’avait jamais parlé de quoi que ce soit concernant des hommes jamaïcains. La fonctionnaire a par ailleurs tenté de faire admettre à Mme McQuaid qu’elle avait ri d’elle lorsqu’on lui avait parlé de ses aspirations professionnelles à devenir directrice, ce que Mme McQuaid a nié. Pressée d’expliquer pourquoi aucune rétroaction positive n’avait été donnée à la fonctionnaire pour l’encourager au travail, Mme McQuaid a répondu qu’il était difficile de fournir une rétroaction positive lorsque le rendement est si faible.
[102] La directrice Bouchard, la décideuse dans la présente affaire, a comparu comme témoin à l’audience et a témoigné au sujet de sa décision. Elle a expliqué que presque immédiatement après qu’elle ait commencé à exercer ses fonctions de directrice au début d’août 2015, son équipe de gestion lui avait fait part des inquiétudes graves qu’elle avait quant au rendement de travail insatisfaisant de la fonctionnaire. Elle a déclaré que ces inquiétudes avaient commencé dès l’instant où la fonctionnaire était entrée en poste comme IPL.
[103] Mme Bouchard a déclaré que les problèmes soulevés étaient graves et que ses gestionnaires lui avaient dit que, malgré les efforts importants déployés pour offrir de la formation et du soutien supplémentaires à la fonctionnaire, ils n’avaient pas constaté beaucoup d’amélioration, voire aucune, dans son travail. Elle a témoigné que le 25 août, elle avait convoqué la fonctionnaire et sa représentante syndicale, Mme McQuaid et le directeur adjoint Shea à une réunion pour discuter de ces problèmes. Elle a déclaré qu’un plan d’action détaillé, décrivant les inquiétudes, les incidents, ainsi que les améliorations requises, avait été envoyé à la représentante de la fonctionnaire deux jours avant la réunion.
[104] Mme Bouchard a déclaré qu’il était rare qu’un problème de rendement du personnel doive lui être soumis pour qu’elle prenne des mesures, car presque tous ces problèmes étaient résolus par les gestionnaires, mais qu’elle avait participé à la réunion avec un esprit ouvert et sans idées préconçues quant aux prochaines étapes. Elle a déclaré qu’elle avait conclu, après la réunion, que la fonctionnaire n’assumait aucunement la responsabilité de ses actes et de son rendement insatisfaisant et que celle‑ci n’avait en fait reconnu aucune lacune liée à son travail.
[105] S’agissant de sa décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage, Mme Bouchard a expliqué qu’elle avait communiqué avec l’administration centrale du SCC après la réunion du 25 août, et que les incidents graves auxquels la fonctionnaire avait été mêlée après la réunion l’avaient convaincue que les nombreux efforts déployés pour l’aider et lui offrir plus de formation ne serviraient à rien. Elle a expliqué qu’il était finalement devenu clair, à la fin du mois de septembre, qu’en raison de son mauvais rendement et de son manque de jugement, la fonctionnaire s’exposait, tout comme elle exposait sa partenaire, à un risque grave de blessures ou de mort. Elle a décidé que la fonctionnaire devait être suspendue immédiatement pendant la préparation des documents relatifs à son renvoi en cours de stage.
[106] Mme Bouchard a déclaré que la haute direction avait prévu que la suspension prendrait effet le 29 septembre, et qu’elle‑même s’était assurée que toutes les précautions soient prises pour traiter la fonctionnaire avec respect et protéger sa dignité, c’est‑à‑dire que celle‑ci soit informée de la nouvelle et escortée hors de l’établissement et de son enceinte avant que l’entrée principale devienne trop achalandée en raison du changement de quart du matin.
[107] Elle a cependant expliqué que ce plan n’avait pas fonctionné, car la fonctionnaire avait refusé de coopérer et de suivre les directives des GC McQuaid et Christy Vollrath, et qu’à cause du retard que cela avait causé, la fonctionnaire était sortie de l’établissement au milieu de la cohue provoquée par le changement de quart des membres du personnel. Elle a ajouté qu’elle avait pu observer la fonctionnaire à l’extérieur de l’entrée principale et que celle‑ci avait refusé de partir pendant un certain temps.
[108] Mme Bouchard a également déclaré qu’elle était au courant des allégations formulées par la fonctionnaire après que celle‑ci ait reçu l’avis, à savoir qu’elle avait été victime de harcèlement, d’intimidation et de préjugés raciaux de la part de la direction, mais elle a dit que la fonctionnaire ne lui en avait jamais parlé, et qu’elle aurait pu le faire, car elle circulait régulièrement dans les couloirs de l’établissement, au moins une fois par jour, afin que le personnel puisse la voir et lui parler.
[109] Mme Bouchard a déclaré qu’une fois la lettre de renvoi définitif rédigée, elle avait convoqué une réunion avec la fonctionnaire et la représentante de son agent négociateur, et que ceux‑ci avaient demandé de reporter la réunion du 5 au 8 octobre. Elle a déclaré avoir pris soin de tenir la réunion loin de l’EEF, afin d’éviter que l’incident qui s’était produit lors du départ du travail de la fonctionnaire et qui avait fait beaucoup de bruit, ne se répète. Elle a déclaré que, pendant la réunion, la fonctionnaire semblait en colère et qu’après la réunion, la fonctionnaire lui avait envoyé une lettre dans laquelle elle énumérait les problèmes et les incidents qui s’étaient produits en cours d’emploi et, dans chaque cas, elle jetait le blâme sur d’autres membres du personnel ou de la direction. Elle a déclaré que cela confirmait l’impression qu’elle avait eue après la réunion d’août, à savoir que la fonctionnaire n’assumait pas la responsabilité de ses actes et n’était pas consciente que son faible rendement au travail posait problème.
[110] Lorsqu’on lui a demandé lors de son interrogatoire principal de se prononcer sur la gestion de Mme McQuaid, Mme Bouchard a déclaré qu’elle était une gestionnaire sévère, mais toujours juste, et que tous les membres de son personnel IPL avaient un très bon rendement. Elle a ajouté qu’elle savait que, lorsqu’elle n’était pas en fonction et se trouvait hors de l’établissement, les choses étaient entre bonnes mains quand Mme McQuaid était de service. Elle a déclaré qu’elle savait que les problèmes seraient toujours gérés correctement lorsque Mme McQuaid s’en occupait. Elle avait aussi constaté que tous les membres du personnel étaient traités équitablement par Mme McQuaid, et qu’ils ne craignaient pas de faire l’objet des préjugés raciaux.
[111] En contre-interrogatoire, Mme Bouchard a nié qu’elle tenait aveuglément pour avéré tout ce que ses gestionnaires lui disaient, et elle a déclaré que, dans le cas de la fonctionnaire, elle avait tout vérifié deux ou trois fois. Elle avait reçu des éléments de preuve attestant le rendement insatisfaisant allégué de la fonctionnaire qui l’avaient finalement conduit à la décision que celle‑ci devait être retirée de toute urgence de son milieu de travail.
[112] Mme Bouchard a déclaré que la fonctionnaire lui avait dit qu’elle avait signalé au directeur intérimaire Shea et à la directrice intérimaire Laura Contini avoir été harcelée par Mme McQuaid, et qu’elle ne le savait pas. Lorsqu’elle a été interrogée sur l’affirmation selon laquelle la fonctionnaire et la représentante de son agent négociateur n’avaient reçu aucun préavis de la réunion du 25 août, Mme Bouchard a déclaré qu’elle avait été choquée de l’entendre, car elle avait l’habitude de donner un préavis par téléphone ou par courriel. Elle a également ajouté qu’elle trouvait inhabituel que la fonctionnaire et sa représentante aient pu assister à la réunion sans avoir été avisées de sa tenue, comme la fonctionnaire l’avait affirmé en contre‑interrogatoire.
[113] Lorsque la fonctionnaire lui a demandé pourquoi elle n’avait pas été autorisée à prendre la parole lors de la réunion du 25 août, Mme Bouchard a répondu que ce n’était pas exact. Elle a ajouté que la fonctionnaire et la représentante de son agent négociateur étaient là pour poser des questions et donner leur avis sur les inquiétudes soulevées par l’employeur.
[114] Mme Bouchard a témoigné qu’elle ne se souvenait pas des détails exacts ni de la date, mais qu’elle se rappelait clairement qu’un incident mettant la vie de la fonctionnaire en danger s’était produit à l’établissement et que c’est ce qui l’avait convaincue que la fonctionnaire ne pouvait plus y travailler.
[115] La fonctionnaire a demandé à présenter en preuve à titre de pièce le rapport de consultation d’octobre 2015 intitulé [traduction] « Examen du climat de travail à l’EEF » (le « rapport sur le climat de travail ») et à contre-interroger Mme Bouchard à ce sujet. Le rapport indiquait que des membres du personnel avaient exprimé des inquiétudes en matière de harcèlement, mais qu’ils avaient déclaré avoir trop peur des représailles de la direction pour en parler ou faire des signalements.
[116] L’avocat de l’employeur s’est opposé à ce que le rapport soit déposé pour des raisons de véracité de son contenu, car ses auteurs n’avaient pas été appelés à témoigner pour être contre‑interrogés, et pour des raisons de pertinence, car le rapport présente une vue d’ensemble de l’EEF et ne traite pas de la situation personnelle de la fonctionnaire.
[117] L’avocat de l’employeur a soutenu que cela nuirait à la cause de l’employeur si les faits concernant la situation personnelle de la fonctionnaire au sein de l’établissement n’étaient pas présentés. La fonctionnaire a fait valoir que le rapport rendait compte avec précision de la situation déplorable dans laquelle se trouvaient les membres du personnel qui étaient maltraités par la direction, et qu’il constituait un élément de preuve à l’appui de ses allégations.
[118] J’ai refusé d’admettre le rapport comme pièce ou de me fier à ses conclusions, car elles ne visaient pas la fonctionnaire en particulier et risquaient donc fort de nuire injustement à la cause de l’employeur.
[119] En plus du rapport sur le climat de travail qui n’a pas été admis à titre de pièce, la fonctionnaire a déposé la note de service du 4 février 2016, adressée à tout le personnel par la directrice Bouchard et signée par la représentante de l’agent négociateur, Danisa Jara, qui représentait la fonctionnaire pendant que celle‑ci travaillait à l’EEF. Cette note de service traite des mêmes problèmes à l’EEF :
[Traduction]
Engagement de l’EEF concernant le climat de travail
À la suite de l’Examen du climat de travail à l’EEF, les représentants syndicaux et la haute direction, en collaboration avec le Bureau de gestion des conflits, se sont réunis dans une démarche de partenariat. Nous reconnaissons que plusieurs membres du personnel de l’EEF ont été exposés à un environnement de travail malsain. Nous nous excusons pour les répercussions que cela a pu avoir sur vous.
Tous les partenaires s’engagent à unir leurs efforts afin de promouvoir un changement positif, qui favorisera un climat de respect et de confiance mutuels, et à répondre à toutes les préoccupations mentionnées dans le rapport.
Nous vous demandons de travailler avec nous pour créer un lieu de travail sain et changer notre culture.
[...]
[120] La fonctionnaire a contredit Mme Bouchard en affirmant qu’elle avait été soumise à un traitement différent et préjudiciable pendant qu’elle travaillait à l’EEF, parce qu’elle est une Jamaïcaine noire. La fonctionnaire a mentionné cette note de service à Mme Bouchard et lui a demandé s’il s’agissait d’une reconnaissance de tout ce qui lui serait arrivé.
[121] Mme Bouchard a nié et a déclaré que tout ce dont la fonctionnaire se plaignait était uniquement attribuable au rendement insatisfaisant qu’elle donnait au travail et à la nécessité qu’elle s’améliore. Mme Bouchard a expliqué qu’à ses débuts comme directrice de l’EEF, en 2015, elle s’était engagée à être aussi ouverte que possible et à travailler avec le personnel et leurs agents négociateurs pour rendre le milieu de travail aussi sain que possible. Elle a déclaré que lorsque des membres du personnel lui avaient dit s’inquiéter du fait qu’un ancien rapport avait été ignoré, elle avait accepté qu’un nouveau rapport soit rédigé, puis avait envoyé la note de service pour montrer au personnel qu’elle était déterminée à travailler à l’amélioration de l’établissement, mais elle a souligné que ni le rapport ni la note de service ne traitaient de la situation particulière de la fonctionnaire.
J. Suspension de la fonctionnaire et accompagnement hors de l’enceinte de l’EEF
[122] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que des dispositions avaient été prises pour informer la fonctionnaire de la décision prise par la directrice de la renvoyer en cours de stage et de l’escorter hors de l’enceinte de l’EEF vers 7 h, le 29 septembre 2015. Elle a expliqué que l’on avait pris soin de prévoir que l’accompagnement et la sortie soient aussi discrets que possible, afin de réduire au minimum le risque que la fonctionnaire soit embarrassée devant d’autres membres du personnel. Elle a déclaré que la fonctionnaire avait été appelée au bureau de la GC et qu’elle-même et la GC Vollrath l’avaient rencontrée. La GC Vollrath avait été chargée d’aider au départ prévu de la fonctionnaire, car elle était membre de l’équipe de gestion du stress de l’EEF. Une équipe de la direction s’était déjà réunie et avait prévu une sortie avec accompagnement à cette heure de la journée, pour éviter la période occupée du changement de quart vers 8 h. L’entrée principale devait être fermée brièvement, pour éviter de rencontrer des membres du personnel dans cette zone fermée.
[123] Toutefois, Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que la sortie ne s’était pas déroulée comme prévu, car la fonctionnaire avait refusé à plusieurs reprises de suivre les directives et était devenue agitée. Mme McQuaid a déclaré que, lorsqu’on lui avait annoncé la nouvelle et qu’on lui avait demandé de quitter l’établissement, la fonctionnaire avait refusé de cesser d’utiliser l’ordinateur du bureau sur lequel elle vérifiait ses courriels. Après un certain temps, lorsque Mme McQuaid et la GC Vollrath ont insisté pour qu’elle ferme l’ordinateur, la fonctionnaire avait demandé si elle pouvait marcher sur une certaine distance dans les bureaux pour se rendre à son casier afin de récupérer des articles, puis aller aux fentes à lettres pour vérifier son courrier, même si on lui avait assuré que tous ces articles seraient rassemblés et envoyés à son domicile.
[124] Dans son témoignage sur ce point, la fonctionnaire a expliqué qu’on lui avait demandé de faire une entrée informatique visant à accepter son plan d’action définitif de gestion du rendement. Elle a déclaré qu’elle avait refusé et qu’elle avait essayé à plusieurs reprises de dire qu’elle avait des questions à ce sujet et qu’elle n’approuvait pas certains des commentaires critiques qui y figuraient. Elle a également déclaré qu’elle ne faisait pas confiance aux gestionnaires, car elle savait qu’elles mentaient et complotaient contre elle, pour la faire passer pour une mauvaise personne et la faire congédier. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas exactement ce qu’elles essayaient de lui faire ce matin‑là, mais elle pensait qu’elles essayaient peut-être de la faire mal paraître et d’utiliser ce prétexte pour la congédier.
[125] La fonctionnaire a dit qu’elle avait alors décidé de parcourir ses courriels et de les imprimer avant de partir, afin de pouvoir se défendre plus tard. Elle a également déclaré qu’elle ne pensait pas que les gestionnaires pouvaient simplement lui dire de partir sans avoir de documents confirmant les détails de son renvoi et qu’elles ne pouvaient pas le faire sans lui permettre d’être accompagnée d’une personne et représentée par un agent négociateur.
[126] Elle a dit qu’elle leur avait demandé pendant la réunion matinale si elle pouvait appeler la représentante de son agent négociateur pour qu’elle la rejoigne, mais qu’elles ont refusé. Elle a dit qu’elles lui avaient aussi demandé de retirer son équipement et de leur rendre, mais elle pensait que cela faisait partie d’un stratagème qu’elles utiliseraient plus tard contre elle, si elle n’avait plus d’équipement. Elle a donc tenté encore de refuser, car elles ne disposaient d’aucun document écrit confirmant ce qu’elles faisaient.
[127] Mme McQuaid a dit qu’à plusieurs reprises au moment des faits, on avait demandé à la fonctionnaire d’obtempérer et de quitter l’établissement immédiatement. Elle a également dit qu’elles avaient vu un autre membre du personnel pendant qu’elles marchaient dans le couloir depuis le vestiaire, et que la fonctionnaire avait crié à cette personne : [traduction] « Elles me congédient. »
[128] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que, pendant que la fonctionnaire insistait pour vérifier ses courriels sur un ordinateur de bureau, puis parcourait la distance jusqu’à son casier et vérifiait ensuite sa boîte aux lettres, les membres du personnel avaient commencé à arriver à l’entrée principale pour le changement de quart du matin.
[129] Dans son témoignage, la fonctionnaire a expliqué qu’elle ne faisait pas confiance aux gestionnaires, car d’autres membres du personnel lui avaient dit de se méfier parce que la direction voulait lui causer du tort. Elle a affirmé avoir entendu dire que la direction pourrait mettre quelque chose dans sa boîte aux lettres en vue de l’utiliser contre elle, comme motif de renvoi. Par conséquent, elle voulait s’assurer que rien de tel ne se trouvait dans sa boîte aux lettres. Elle a également dit qu’après être allée aux boîtes aux lettres, elle avait dû se rendre au vestiaire, parce qu’elle voulait récupérer le cadenas qui lui appartenait.
[130] Mme McQuaid a expliqué que la fonctionnaire avait finalement quitté l’immeuble et était restée ensuite à l’extérieur de l’entrée principale, au bord du stationnement du personnel, où se trouvait une zone des fumeurs réservée au personnel. Mme McQuaid a dit que la fonctionnaire était alors devenue très bruyante et qu’elle continuait à crier son nom, « McQuaid », avec colère, encore et encore, en la blâmant parce qu’elle avait perdu son emploi. Mme McQuaid a utilisé les mots [traduction] « obsédée par moi » pour décrire le comportement de la fonctionnaire lorsqu’elles étaient à l’extérieur de l’entrée principale. Elle a déclaré avoir dit à la fonctionnaire à plusieurs reprises qu’elle devait partir immédiatement, mais elle avait refusé.
[131] Dans son témoignage sur ce point, la fonctionnaire a déclaré qu’elle était simplement sortie, et elle a admis qu’elle était alors bouleversée, mais que c’était la première fois qu’elle entendait parler, en entendant le témoignage de Mme McQuaid, de ses cris et de ses mouvements des bras. La fonctionnaire a nié avoir agi de la sorte. Elle a déclaré qu’elle était trop émotive pour conduire. Elle a donc téléphoné à un collègue, qui lui a dit qu’elle aurait dû être prévenue de la réunion du matin et qu’elle aurait dû être accompagnée de la représentante de son agent négociateur. Elle a alors déclaré qu’elle constatait que personne ne voulait la soutenir ou la défendre et qu’elle pensait que c’était simplement la façon canadienne de faire les choses.
[132] La fonctionnaire a déclaré que Mme McQuaid était sortie pour se rendre dans la zone des fumeurs, où elle avait parlé avec la GC Vollrath, et que Mme McQuaid lui avait dit qu’elle devait partir immédiatement, sinon elle pouvait appeler la Gendarmerie royale du Canada (GRC). La fonctionnaire a expliqué à quel point elle était choquée et bouleversée par cette situation, car elle était agente de la paix. Or, on la menaçait d’appeler la GRC pour lui faire quitter les lieux. Elle avait l’impression que la direction voulait simplement qu’elle parte et qu’elle ne se souciait ni de son bien‑être ni de sa sécurité.
[133] Mme McQuaid a déclaré dans son témoignage que la situation l’avait troublée et qu’elle avait eu peur lorsque la fonctionnaire s’était mise en colère et s’était agitée une fois rendue à l’extérieur de l’établissement. Mme McQuaid a affirmé qu’il était plus de 8 h à ce moment-là, et comme son quart de travail avait pris fin, elle aurait normalement pu se rendre à sa voiture près de l’endroit où elles se trouvaient, mais elle ne l’a pas fait, parce qu’elle craignait que la fonctionnaire voie sa voiture et tente de la suivre chez elle.
[134] Lorsqu’on lui a demandé, lors de son interrogatoire principal, si elle avait déjà vécu une telle situation conflictuelle au travail, Mme McQuaid a répondu qu’elle n’avait jamais vu autant de colère et d’agressivité que celles manifestées par la fonctionnaire à son égard lors de cet incident.
[135] Lors du contre-interrogatoire sur la question de ses sentiments pendant qu’elle essayait de faire quitter la fonctionnaire de l’établissement, on a demandé à Mme McQuaid si elle considérait la fonctionnaire comme une menace. Elle a répondu qu’elle avait observé que la fonctionnaire était instable et qu’elle se sentait mal à l’aise d’être en présence de la fonctionnaire à l’extérieur de l’établissement. Lorsqu’on lui a demandé si c’était ce qu’elle ressentait pendant que la fonctionnaire travaillait à l’EEF, Mme McQuaid a répondu non, et a ajouté qu’elle ne s’était jamais sentie physiquement mal à l’aise en présence de la fonctionnaire.
[136] Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire pourquoi elle avait quitté la zone des fumeurs et qu’elle était ensuite revenue crier après la fonctionnaire, Mme McQuaid a dit qu’elle ne lui avait pas crié après. Elle a ajouté que, après que la fonctionnaire eut refusé à plusieurs reprises de quitter la propriété, elle était retournée à l’intérieur et avait parlé à la directrice, qui pouvait observer la scène depuis une fenêtre du bureau, et que celle-ci lui avait dit que la fonctionnaire devait quitter les lieux immédiatement.
[137] Mme McQuaid a déclaré qu’elle était retournée dans la zone des fumeurs pour dire à la fonctionnaire que la directrice lui avait dit qu’elle devait partir immédiatement. Quand on lui a demandé si elle avait menacé d’appeler la GRC, Mme McQuaid a dit non, et a ajouté qu’elle s’en souvenait clairement. Elle a répété qu’elle n’avait pas crié après la fonctionnaire ni élevé la voix contre elle pendant qu’elle tentait de la faire sortir de l’établissement et de son enceinte.
[138] Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi elle avait déclaré lors de son interrogatoire principal qu’elle ne se sentait pas en sécurité pendant cette interaction avec la fonctionnaire, Mme McQuaid a affirmé qu’elle ne se sentait effectivement pas en sécurité à ce moment‑là, du fait que la fonctionnaire refusait de quitter les lieux, qu’elle était très agitée, qu’elle bougeait les bras dans les airs et criait son nom, McQuaid, sans cesse, tout en la blâmant pour avoir été renvoyée de son travail, alors qu’elle était dans un état émotionnel intense.
[139] Mme McQuaid a nié l’allégation selon laquelle elle aurait présenté la fonctionnaire comme une femme noire en colère, qui pouvait être violente et peut-être la suivre jusque chez elle après le travail. Mme McQuaid a déclaré qu’elle ne pensait pas que la situation était motivée par le racisme, qu’il s’agissait plutôt d’une situation où la fonctionnaire était très agitée et se trouvait dans un état émotionnel intense, et répétait son nom haut et fort. Elle a déclaré qu’elle était très préoccupée par le comportement de la fonctionnaire.
[140] La fonctionnaire a affirmé que la GC Vollrath était venue la voir et l’avait beaucoup soutenue; elle s’était même excusée pour ce qui se passait, ce que la fonctionnaire a mis en contraste avec son témoignage selon lequel Mme McQuaid lui avait crié dessus et l’avait menacée. Contre‑interrogée à ce sujet, Mme McQuaid a déclaré qu’elle n’était pas d’accord pour dire qu’elle avait fait preuve d’une haine motivée par le racisme dans la façon dont elle avait traité la fonctionnaire pendant la longue période qu’il avait fallu pour la faire sortir de l’établissement et de son enceinte par la porte d’entrée.
[141] Mme Bouchard a été interrogée sur les dispositions prises pour escorter la fonctionnaire hors de l’enceinte de l’établissement. Elle a expliqué qu’elle affectait toujours deux membres du personnel à ces tâches, car il est plus facile de gérer à deux toutes les éventualités.
[142] Contre‑interrogée au sujet de l’incident qui s’était produit après que la fonctionnaire eut été escortée à l’extérieur de l’établissement, Mme Bouchard a répondu qu’elle estimait honnêtement qu’il s’agissait d’une responsabilité partagée. Elle a ajouté qu’elle savait que la fonctionnaire avait refusé de suivre les directives et que, pendant un certain temps, elle avait refusé de quitter l’établissement, après y avoir été invitée à plusieurs reprises.
[143] L’employeur a appelé Mme Vollrath à témoigner. Lorsque ces incidents se sont produits, elle occupait le poste de GC à l’EEF et était formatrice en secourisme. Elle faisait également partie de l’équipe de soutien aux incidents critiques et à la gestion du stress. Elle a témoigné qu’en tant que GC, elle n’avait jamais supervisé la fonctionnaire, mais qu’elle l’aurait occasionnellement affectée à des postes ou envoyée en intervention en cas d’incident. Elle a précisé qu’elle avait été chargée d’assister à la rencontre et d’escorter hors des lieux la fonctionnaire, qui devait être suspendue en attendant son renvoi en cours de stage.
[144] Mme Vollrath a expliqué qu’après avoir annoncé la mauvaise nouvelle à la fonctionnaire et lui avoir dit de quitter l’établissement immédiatement, celle-ci avait refusé d’écouter ou de suivre les directives, malgré le fait qu’on l’avait informée que ses effets personnels seraient emballés et qu’ils lui seraient envoyés. Elle a également déclaré que la fonctionnaire était devenue rapidement agitée et que la situation avait dégénéré lorsqu’elle s’était mise à argumenter avec Mme McQuaid.
[145] Mme Vollrath a déclaré dans son témoignage qu’environ 40 pas séparaient le bureau où elles étaient réunies de l’entrée principale et que, puisque la réunion avait été brève, la fonctionnaire aurait pu sortir très rapidement de l’établissement et préserver ainsi sa dignité. Cependant, Mme Vollrath a déclaré que la fonctionnaire avait demandé à plusieurs reprises si elle pouvait vérifier sa boîte aux lettres et récupérer ses effets personnels dans son casier, puis avait finalement marché pendant environ 15 minutes dans tout l’établissement.
[146] Elle a ajouté qu’en adoptant un comportement contraire à ce qu’on lui avait demandé de faire, la fonctionnaire a donné un spectacle malheureux lorsqu’elles sont finalement arrivées à l’entrée principale. Elle a déclaré que 15 ou 20 membres du personnel avaient dû attendre avant d’entrer, mais que cette attente avait duré plusieurs minutes de plus qu’elle aurait dû, de sorte que lorsque la fonctionnaire avait finalement franchi l’entrée principale, plusieurs membres du personnel l’avaient vue sortir.
[147] Dans sa description du comportement de la fonctionnaire pendant la longue marche dans l’établissement et finalement jusqu’à sa sortie par l’entrée principale, Mme Vollrath a déclaré que la fonctionnaire avait agi de manière erratique; elle marchait devant les deux GC qui l’escortaient, elle leur parlait avec colère, elle élevait le ton de manière irrespectueuse et parlait fort aux membres du personnel qu’elle croisait dans le couloir, leur disant qu’on la forçait à partir. Mme Vollrath a déclaré que le comportement de la fonctionnaire et son manque de respect étaient choquants et qu’elle avait demandé à la fonctionnaire d’y mettre un terme.
[148] Mme Vollrath a témoigné que, pour donner une impression de normalité, alors que les deux femmes passaient par l’entrée principale, elle avait continué à marcher avec la fonctionnaire jusqu’à l’espace ouvert adjacent à l’entrée principale et au stationnement, connu sous le nom de [traduction] « zone des fumeurs », où le personnel pouvait se rassembler pendant la pause. Elle a dit qu’elle s’y était rendue avec la fonctionnaire pour donner l’impression qu’elles allaient simplement à la zone des fumeurs pendant une pause. Elle a dit qu’elle avait expliqué cette idée à la fonctionnaire et lui avait dit qu’elles devraient simplement discuter pendant quelques minutes afin que cela ne semble pas curieux. Elle s’était également assurée que la fonctionnaire pouvait appeler un membre de sa famille pour demander du soutien et toute l’aide nécessaire.
[149] Elle a continué à expliquer qu’après quelques minutes de discussion, Mme McQuaid les avait rejointes et avait dit à la fonctionnaire qu’elle devait quitter les lieux, comme l’avait demandé la directrice. Elle a dit que la fonctionnaire avait répondu en leur criant qu’elle partait. Mme Vollrath a déclaré dans son témoignage que Mme McQuaid avait toujours fait preuve de professionnalisme et de respect, et qu’elle n’avait pas élevé la voix ni ne s’était agitée. Elle a également nié le fait que la GRC avait été mentionnée lorsqu’on lui a dit que la fonctionnaire avait déclaré que Mme McQuaid avait menacé d’appeler la GRC pour la faire sortir de la propriété.
[150] Mme Vollrath a déclaré que pendant la discussion dans la zone des fumeurs, la fonctionnaire était agitée, elle était dans un état émotionnel intense, parlait avec une voix forte et colérique et s’adressait à elle et à Mme McQuait de manière irrespectueuse.
[151] En contre-interrogatoire, Mme Vollrath a été invitée à admettre que la réaction émotionnelle de la fonctionnaire était normale, compte tenu de la mauvaise nouvelle qu’elle venait de recevoir concernant sa suspension. Mme Vollrath a répondu que le comportement de la fonctionnaire pendant qu’elles essayaient de la faire quitter les lieux dépassait les bornes.
[152] Lorsque la fonctionnaire l’a interrogée sur le fait qu’elle avait été irrespectueuse, Mme Vollrath lui a rappelé qu’elle avait traité les deux GC de menteuses et qu’elle leur avait parlé très sèchement. Mme Vollrath a déclaré qu’elle ne s’était pas sentie menacée par la fonctionnaire lors de cet incident, et elle a précisé qu’on lui avait montré les notes qu’elle avait consignées après l’incident, et qu’elle avait écrit que la fonctionnaire avait crié après Mme McQuaid dans la zone des fumeurs, mais pas après les deux GC. Lorsqu’on l’a interrogée sur cette différence entre ses notes écrites au moment de l’incident et le témoignage qu’elle donnait huit ans plus tard, Mme Vollrath a déclaré qu’il s’agissait simplement d’un trou de mémoire causé par le passage du temps.
[153] Lorsque la fonctionnaire lui a demandé si elle, la fonctionnaire, avait levé les bras et les avait agités dans les airs pendant leur conversation, Mme Vollrath a répondu : [traduction] « Non, pas avec moi. » Mme Vollrath a également déclaré qu’elle n’avait pas jugé nécessaire d’appeler la GRC et a confirmé qu’il y avait des caméras de sécurité qui auraient pu capter où elles se trouvaient dans la zone des fumeurs pendant cette discussion. Lorsqu’on lui a demandé à deux reprises de reconnaître que Mme McQuaid avait dit qu’elle appellerait la GRC pendant qu’elles parlaient toutes les trois dans la zone des fumeurs, Mme Vollrath a répondu chaque fois que cela ne s’était pas produit. Mme Vollrath a également déclaré qu’elle n’avait pas eu connaissance que Mme McQuaid avait peur de la fonctionnaire.
[154] Lorsque la fonctionnaire a invité Mme Vollrath à admettre qu’elle ne s’inquiétait pas du bien‑être de la fonctionnaire quand celle‑ci avait dû quitter les lieux et conduire sa voiture, malgré son état émotionnel intense, Mme Vollrath a déclaré avoir vu une autre employée marcher vers elles, et que cette employée lui avait dit qu’elle parlerait à la fonctionnaire.
[155] On a rappelé à la fonctionnaire lors de son contre-interrogatoire sur cet incident que Mme Vollrath et Mme McQuaid avaient nié avoir parlé de la GRC pendant qu’elles tentaient de la faire quitter les lieux. On a ensuite demandé à la fonctionnaire pourquoi elle n’avait pas mentionné dans son long courriel du 1er octobre 2015 adressé à la directrice la menace d’appeler la GRC qu’on lui aurait faite, vu l’importance qu’elle y avait accordée.
[156] La fonctionnaire a donné une réponse longue et plutôt circulaire dans laquelle elle a dit à trois reprises qu’elle ne l’avait pas mentionnée parce qu’elle ne voulait pas causer d’ennuis à Mme McQuaid. Elle a ajouté qu’elle pensait alors que Mme McQuaid aurait déjà des ennuis pour avoir confisqué tout son équipement après qu’elle ait été suspendue de son travail et quitté l’établissement.
[157] Quand on lui a rappelé son témoignage selon lequel Mme McQuaid s’était approchée d’elle dans la zone des fumeurs après qu’on lui ait demandé de quitter les lieux et avait élevé la voix et lui avait crié après, mais que Mme Vollrath et Mme McQuaid avaient toutes deux nié cette affirmation, la fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait pas dit que Mme McQuaid avait crié ou élevé la voix.
K. Témoignage du directeur adjoint, M. Shea
[158] L’employeur a appelé M. Shea à témoigner. M. Shea a gravi les échelons au sein du SCC où, depuis 2007, il a occupé un poste de niveau CX-I et un poste de niveau CX-II, jusqu’à celui d’agent de sécurité et de renseignements, puis de GC et enfin de directeur adjoint des opérations à l’EEF.
[159] Le témoignage qu’il a livré pendant plusieurs jours est consigné dans une sous‑section distincte de la présente décision en raison du rôle central qu’il a joué à l’audience. La fonctionnaire n’a fait aucune allusion à des tensions dans sa relation de travail avec M. Shea, contrairement à la relation qu’elle avait avec sa superviseure immédiate, Mme McQuaid. J’estime que le témoignage de M. Shea, qui a parlé des différents aspects de l’évaluation faite par l’employeur quant au rendement insatisfaisant de la fonctionnaire, a été détaillé, précis, appuyé par les autorités compétentes du SCC et, enfin, crédible.
[160] M. Shea a également parlé du fait qu’il était une personne racialisée et a expliqué en quoi cela l’avait motivé à offrir une aide supplémentaire à la fonctionnaire et à accorder une attention particulière aux difficultés qu’elle éprouvait au travail. Ces aspects de son témoignage n’ont pas été contestés lors de l’audience. Cela ajoute encore plus de crédibilité à son témoignage.
[161] M. Shea a donné beaucoup de détails sur la formation suivie par un IPL et les tâches dont ce celui‑ci doit s’acquitter à l’EEF, et il a souligné que chaque IPL doit avoir la capacité et les compétences voulues pour s’acquitter de toutes les tâches qui lui sont confiées dès son premier jour de travail dans l’établissement. Il a déclaré que la sécurité du personnel et des détenues exige cette compétence.
[162] Il a également donné des détails sur la séance d’accueil offerte dans le cadre de la FCE et sur les scénarios fictifs de formation à l’intention de tout le personnel. Il a donné des détails sur chaque mentor désigné pour aider la fonctionnaire. Il a mentionné que l’horaire de travail du premier mentor entrait en conflit avec celui de la fonctionnaire, si bien qu’il était difficile pour eux de se rencontrer en personne. Il a déclaré que la fonctionnaire avait eu dès le début des problèmes de rendement importants, de sorte que d’autres mentors très expérimentés et respectés, qui étaient plus disponibles, avaient été désignés.
[163] M. Shea a déclaré dans son témoignage qu’il se souvenait d’avoir rencontré la fonctionnaire lors de son premier jour de travail et qu’il en avait eu une première impression positive. Il a dit qu’elle semblait enthousiaste et qu’elle portait de bonnes bottes bien brillantes. Il a ajouté qu’en tant que personne s’identifiant comme membre d’une de minorité visible, il avait toujours été particulièrement fier de voir une autre personne d’une minorité visible commencer sa carrière, et que d’avoir davantage de membres du personnel issus de minorités visibles serait bénéfique pour l’EEF.
[164] Lors de l’interrogatoire principal sur le dossier de rendement de la fonctionnaire, M. Shea a déclaré qu’il avait pris connaissance des problèmes de rendement que celle‑ci avait eus dès son entrée en fonction, et il a poursuivi en se remémorant plusieurs des incidents et problèmes décrits en détail tout au long de la présente décision. Il a déclaré qu’il avait parlé avec la fonctionnaire à de nombreuses reprises et qu’il lui avait offert de l’aide. Dans sa description des nombreux incidents signalés où la fonctionnaire avait eu un rendement insatisfaisant, M. Shea a adopté une approche très méthodique pour expliquer ce que la fonctionnaire aurait dû faire en fonction de ce qu’elle avait appris pendant sa formation et selon les situations dans lesquelles elle s’était trouvée.
[165] Toutefois, M. Shea a déclaré dans son témoignage qu’il avait souvent constaté que la fonctionnaire faisait preuve d’un mauvais jugement, qu’elle ne communiquait pas par radio avec les autres membres du personnel ou avec le répartiteur ou qu’elle le faisait si mal que cela retardait l’intervention qui devait être faite. Il a ajouté qu’après chaque incident, elle refusait systématiquement d’assumer la responsabilité de ses actes ou de recevoir de la rétroaction sur ce qui s’était passé.
[166] Il est revenu sur la réunion du 18 juin 2015, qui a porté sur le plan d’action de la fonctionnaire et au cours de laquelle la fonctionnaire et une représentante de l’agent négociateur ont été informées que le rendement de la fonctionnaire devait s’améliorer, que la fonctionnaire devait prendre au sérieux la rétroaction qui lui avait été donnée et qu’elle avait accès au Programme d’aide aux employés, si elle estimait avoir besoin d’aide pour une raison quelconque.
[167] Lorsqu’on lui a demandé s’il était au courant de l’incident au cours duquel la fonctionnaire avait menotté de façon incorrecte une détenue placée en isolement qui, docile jusque‑là, était devenue agitée au point d’atteindre un état émotionnel intense, M. Shea a répondu qu’il était au courant et que l’incident était attribuable à la fonctionnaire.
[168] Il a expliqué qu’après avoir été informé de l’incident et en avoir vu les images, il avait pris l’initiative d’offrir à la fonctionnaire une aide individuelle sur la bonne technique de menottage. Il a également expliqué qu’il portait une attention particulière aux membres du personnel des minorités visibles, et qu’il lui tenait particulièrement à cœur qu’ils réussissent dans leur carrière. Il a expliqué qu’il avait donc mis sur pied un groupe de soutien pour le personnel membre des autres minorités visibles et les employés LGBTQ, afin de les aider et de favoriser le soutien entre collègues de sorte qu’ils puissent améliorer leurs chances d’avancement et de réussite au sein du SCC.
[169] Lorsqu’on lui a demandé si la fonctionnaire avait exprimé des inquiétudes ou demandé de l’aide au sujet de ses problèmes, ou encore si elle avait déclaré avoir fait l’objet de harcèlement ou de racisme pendant qu’elle travaillait à l’EEF, M. Shea a répondu qu’elle ne l’avait pas fait, bien qu’il lui ait demandé si tout allait bien et qu’il l’ait invitée à venir le voir si elle avait besoin de quoi que ce soit.
[170] M. Shea a dit que, lorsqu’il avait travaillé avec la fonctionnaire lors de sa formation sur le menottage, il avait invité un représentant de l’agent négociateur. Il a ajouté qu’il avait constaté une certaine amélioration dans la technique de la fonctionnaire, mais que la fonctionnaire s’était arrêtée après avoir mis l’une des deux menottes. Il lui a expliqué pourquoi cela pouvait être très dangereux dans une situation réelle et lui a demandé s’il y avait un problème. Elle a dit qu’elle avait simplement besoin d’une pause M. Shea a répété à quel point il serait dangereux de faire ça avec un vrai détenu, qui pourrait devenir agressif et résister aux tentatives de le menotter pendant que l’IPL est très proche de lui et se trouve alors dans une position quelque peu vulnérable.
[171] M. Shea a ajouté que le menottage d’un détenu est l’une des principales compétences enseignées aux IPL pendant leur formation de base et que chaque IPL doit maîtriser parfaitement cette compétence lorsqu’il commence à travailler. Il a donc déclaré qu’il était très inquiet à propos de la capacité de la fonctionnaire à faire correctement son travail, alors que celle‑ci ne pouvait toujours pas mettre des menottes avec assurance et compétence sept mois après son entrée en poste.
[172] Après avoir décrit la formation que tous les IPL reçoivent sur la prévention du suicide et de l’automutilation avant de commencer leur carrière, et en particulier sur les postes de surveillance du suicide, il a continué à décrire l’incident, qu’il a qualifié de troublant, que lui avait signalé une IPL qui était sur les lieux et qui avait vu la fonctionnaire cesser d’observer une détenue sous SARS.
[173] M. Shea a expliqué qu’il s’agit du niveau de surveillance le plus élevé réservé à une détenue qui, selon le personnel médical, présente un risque immédiat d’automutilation ou de tentative de suicide. La SARS exige de l’IPL qu’il garde les yeux rivés sur la détenue depuis la porte de sa cellule, vingt‑quatre heures sur vingt‑quatre, sept jours sur sept. Encore une fois, l’ensemble du personnel est formé à cet effet et les directives du commissaire font état des exigences d’une telle affectation.
[174] M. Shea a déclaré qu’il avait été signalé que la fonctionnaire avait relevé une autre IPL qui effectuait une SARS et qu’elle avait peu après quitté son poste pour aller parler à d’autres IPL dans une pièce adjacente. Peu de temps après, elle avait quitté à nouveau son poste, alors qu’on lui avait demandé la première fois d’y retourner.
[175] M. Shea a ajouté qu’après avoir visionné la vidéo où on voyait la fonctionnaire quitter son poste de SARS, il l’avait appelée pour discuter de la situation. Elle lui aurait dit qu’elle n’était pas affectée à la SARS, mais plutôt qu’elle était simplement passée devant la cellule lors d’une patrouille, avait aperçu la détenue, qu’elle connaissait, et avait voulu bavarder avec elle.
[176] M. Shea a expliqué qu’il avait rapporté ces propos à la GC Perry, qui était responsable des membres du personnel travaillant durant ce quart. Elle lui a répondu qu’ils étaient faux et qu’elle avait affecté tous les IPL présents dans la vidéo, y compris la fonctionnaire, à la SARS.
[177] Lors de l’audience, la vidéo a été présentée à M. Shea, qui a décrit la manière dont l’IPL M commence la SARS. Pendant 16 minutes, elle n’a jamais quitté la détenue des yeux et s’est tenue prête, la main sur la poignée de la porte, à entrer en cas d’incident. M. Shea a déclaré qu’il s’agissait là d’une technique exemplaire pour effectuer une SARS. Il a ensuite décrit comment la fonctionnaire avait quitté l’extrémité du corridor où elle se tenait et s’était postée tout juste derrière l’IPL M. Cette dernière s’est ensuite éloignée de la porte et la fonctionnaire s’est immédiatement avancée pour remplacer l’IPL M, de sorte qu’elle s’est retrouvée à la porte de la chambre de la détenue. Pendant 50 secondes, la fonctionnaire a gardé les yeux sur la détenue, sauf à deux reprises, où elle s’est laissée distraire et a détourné son regard de la porte.
[178] À peine 52 secondes après le début de la SARS, la fonctionnaire a quitté son poste pour se rendre à la porte adjacente à la chambre de la détenue et discuter avec d’autres IPL. Elle s’est absentée de son poste pendant 16 secondes et a laissé la détenue sans surveillance. Elle est ensuite retournée à son poste pendant 15 secondes, au cours desquelles elle a détourné le regard et regardé ses pieds. Au bout de 15 secondes supplémentaires, elle a de nouveau quitté son poste et laissé la détenue sans surveillance pendant qu’elle allait encore une fois parler avec les autres IPL.
[179] M. Shea a déclaré qu’il était dangereux de laisser la détenue sans surveillance, car elle s’était déjà automutilée ce jour‑là et risquait fort de le refaire. Il a ajouté que pendant l’absence de la fonctionnaire, la détenue aurait pu s’automutiler à nouveau, par exemple en se frappant la tête contre le mur ou en se coupant avec un objet tranchant dissimulé.
[180] M. Shea a expliqué que, même si la fonctionnaire n’était pas affectée à ce poste, contrairement à ce que lui avait affirmé la GC sur place, n’importe quel IPL aurait compris ce qui se passait sur les lieux de la SARS. Si l’IPL M avait bel et bien abandonné son poste, comme le prétend la fonctionnaire, tout autre IPL aurait su qu’il était de son devoir de prendre immédiatement le poste et de s’assurer que la détenue n’était pas laissée sans surveillance. M. Shea a affirmé que le comportement de la fonctionnaire dans la vidéo témoignait d’un très grand manque de jugement, puisque la fonctionnaire avait abandonné son poste de SARS à deux reprises, en dépit du fait qu’on lui avait demandé chaque fois d’y retourner. Il a dit qu’il avait porté ce problème à l’attention de la directrice.
[181] M. Shea a ensuite déclaré qu’après sa rencontre avec la directrice, la fonctionnaire et la représentante de l’agent négociateur avaient été convoquées à une réunion le 25 août 2015 et qu’on leur avait alors dit que la fonctionnaire n’avait pas suffisamment amélioré son rendement au travail et que le processus de renvoi en cours de stage avait été amorcé. En réponse à une question de la représentante, la directrice a dit à la fonctionnaire qu’elle gardait l’esprit ouvert et que la fonctionnaire avait encore la possibilité d’améliorer son rendement pour conserver son emploi.
[182] M. Shea a ensuite témoigné au sujet d’un autre incident impliquant la fonctionnaire, survenu plus tard le jour même de la rencontre avec la directrice. Il a expliqué qu’à 20 heures, la fonctionnaire avait dit à sa GC (GC Kowalchuk) qu’elle avait mal à la tête, mais qu’elle était prête à prendre son quart de travail régulier et à être affectée ce soir-là à la patrouille mobile à pied en tant qu’intervenante. Une heure plus tard, la fonctionnaire a été dépêchée sur les lieux d’un incident urgent, une agression contre une détenue, mais elle n’a pas répondu à l’appel radio. Sa partenaire a donc dû intervenir seule, ce qui, selon M. Shea, ne devrait jamais arriver, puisque le risque qu’un IPL seul se retrouve dans une situation dangereuse est alors plus élevé. Il a ajouté que la fonctionnaire avait été appelée à nouveau par radio et qu’elle n’avait encore une fois pas répondu. C’est à ce moment que la GC a envoyé d’autres IPL sur les lieux de l’incident. La fonctionnaire a été localisée et affectée au PPCC, puis elle est rentrée chez elle parce qu’elle se sentait malade.
[183] Dans son témoignage à propos de l’incident susmentionné, la fonctionnaire a déclaré qu’elle ne se sentait pas bien, mais qu’elle avait cru être en mesure d’effectuer son quart de travail. Toutefois, lorsque ses symptômes se sont aggravés et qu’elle a commencé à se sentir malade, elle s’est rendue au bureau de la GS McQuaid. Elle a été appelée d’urgence sur les lieux de l’agression au même moment où elle informait la GS qu’elle était trop malade pour travailler.
[184] Lors de son contre-interrogatoire à ce sujet, la fonctionnaire a déclaré qu’il s’était écoulé environ une minute entre le moment où elle avait reçu le premier appel de la répartition et celui où elle était arrivée au bureau de la GC. Après avoir expliqué à la GC qu’elle était trop malade pour être affectée à la patrouille mobile, la GC lui a dit qu’elle devrait se présenter à la bulle du poste de commandement pour travailler. La fonctionnaire a ensuite demandé à un collègue IPL d’appeler la répartition pour dire qu’elle n’était plus en mesure de participer à la patrouille mobile et de répondre aux appels. C’était avant qu’elle ne reçoive le deuxième appel urgent de la répartition.
[185] M. Shea a ensuite témoigné au sujet du dernier incident concernant la fonctionnaire, celui après lequel la directrice a estimé qu’il était urgent de retirer la fonctionnaire de l’EEF. Il a déclaré que le lendemain de la réunion avec la directrice, au cours de laquelle la fonctionnaire a appris que l’employeur s’apprêtait à la renvoyer en cours de stage, mais qu’elle avait encore la possibilité de montrer qu’elle était compétente, il a entrepris de préparer un autre scénario fictif de formation. M. Shea a expliqué qu’il voulait superviser en personne l’évaluation des compétences de la fonctionnaire et de sa capacité à prendre des décisions et à faire preuve de discernement dans son travail.
[186] M. Shea a précisé qu’il avait préparé une simulation d’incident d’urgence qui devait se produire dans la maison réservée aux visites familiales privées de l’EEF, où les détenues sont autorisées à passer du temps en privé avec leur famille. Dans ce scénario, des membres du personnel jouaient le rôle d’une détenue blessée et ensanglantée et de son visiteur, qui l’avait poignardée et qui se trouvait toujours dans la maison. Un grand couteau était visible par terre. La partenaire IPL de la fonctionnaire était informée du plan et avait reçu la consigne de laisser cette dernière diriger l’intervention sur les lieux. M. Shea a déclaré que la fonctionnaire ne savait pas qu’il s’agissait seulement d’un exercice de formation fictif avant d’entrer dans la maison, de le voir avec une caméra vidéo et de reconnaître d’autres membres du personnel qui jouaient des rôles.
[187] Dans l’après-midi du 28 août 2015, la fonctionnaire et sa partenaire ont été dépêchées par radio afin de répondre à un code rouge et à un code bleu, c’est‑à‑dire à une urgence liée à une agression violente et à une urgence médicale, respectivement, à la maison réservée aux visites familiales privées. M. Shea avait préparé l’événement de manière à ce qu’il soit enregistré sur support audio et vidéo. La simulation d’incident comprenait de fausses éclaboussures de sang sur le plancher et sur la fausse détenue.
[188] Au début de la vidéo captée à l’intérieur de la maison, on voit la fonctionnaire ouvrir la porte et entrer dans la maison, apparemment sans tenter de communiquer avec la détenue blessée, bien que celle‑ci pleurait et criait : [traduction] « […] il a un couteau […] il va encore me poignarder ».
[189] Même un observateur inexpérimenté verrait clairement que la fonctionnaire est entrée et restée dans la maison sans se rendre compte qu’un assaillant violent et armé se trouvait dans le petit espace clos. La victime ensanglantée était assise sur le sol en bordure de la cuisine, de sorte que la fonctionnaire puisse l’apercevoir dès qu’elle ouvrirait la porte d’entrée.
[190] M. Shea a expliqué qu’il s’agissait d’un incident présentant un risque très élevé pour les IPL répondant à l’appel, étant donné qu’une personne avait déjà été poignardée et que l’assaillant était toujours dans la maison. Après avoir visionné la vidéo, il a déclaré que la fonctionnaire ne s’était pas souciée du danger de la situation, dont elle n’avait absolument aucune conscience, non plus que du fait qu’elle s’était exposée à un risque important de se faire également attaquer et poignarder en entrant dans la maison et en y restant pendant plusieurs minutes pendant qu’elle parlait à la victime. Il a aussi fait remarquer qu’elle n’avait pas essayé de fouiller la victime pour savoir si elle était en possession d’une arme qu’elle aurait pu utiliser pour attaquer la fonctionnaire et sa partenaire.
[191] M. Shea a également souligné qu’on pouvait clairement entendre la victime essayer de mettre la fonctionnaire en garde en lui disant haut et fort : [traduction] « […] il va encore me poignarder », après quoi l’assaillant a également commencé à crier. La fonctionnaire n’a pas eu la moindre réaction qui aurait montré qu’elle reconnaissait le danger dans lequel elle avait mis sa partenaire et elle-même en entrant et en restant dans la maison. On peut voir dans la vidéo qu’à un moment, la fonctionnaire s’est approchée de l’endroit où elle entendait l’assaillant crier alors que celui-ci se tenait derrière un coin et hors de sa vue.
[192] Dans son témoignage, la fonctionnaire a affirmé qu’elle était en mesure de voir l’assaillant, mais compte tenu de l’angle de la vidéo, il est difficile de savoir si elle aurait pu le voir au détour du coin. Plus important encore, M. Shea a fait remarquer qu’il était absurde qu’elle se soit approchée de l’assaillant armé, puisqu’elle n’était pas elle-même armée et aurait pu être attaquée à son tour.
[193] M. Shea a expliqué que la réaction appropriée, que tous les IPL de l’établissement doivent connaître, consiste d’abord à évaluer la situation et à sécuriser les lieux, puis à assurer la sécurité personnelle des IPL répondant à l’appel. Il a ajouté qu’il aurait été désastreux que les IPL répondant à l’appel soient entrés dans une maison où se trouvait un assaillant armé et soient ensuite attaqués, puis blessés, ou pire encore, par l’une ou les deux personnes qui étaient à l’intérieur.
[194] M. Shea a expliqué que la fonctionnaire n’aurait pas dû entrer dans la maison sans d’abord tenter de déterminer qui s’y trouvait et quel était l’état de la victime. Il a fait observer que dans ce scénario, la victime aurait pu être armée et dangereuse et attaquer la fonctionnaire. Il a également souligné que la victime avait été poignardée au bras, de sorte que les membres du personnel auraient pu lui parler et lui demander de sortir de la maison sans y entrer et se mettre en danger.
[195] Plusieurs heures de l’audience ont été consacrées à l’examen de la vidéo de l’incident simulé, au cours desquelles des témoins ont formulé des commentaires et ont été contre‑interrogés par la fonctionnaire. M. Shea a décrit avec précision de nombreuses autres lacunes dans le rendement de la fonctionnaire. Il a notamment indiqué que la fonctionnaire avait bien appelé l’équipe d’intervention médicale à se rendre sur les lieux. À son arrivée devant la porte de la maison où la fonctionnaire avait finalement conduit la victime, l’équipe lui a posé quatre questions essentielles, à savoir si les lieux étaient sûrs, dans quel état était la victime, s’il y avait d’autres IPL sur place et si quelqu’un avait déjà appelé le 911 pour obtenir un transport médical.
[196] M. Shea a affirmé que la fonctionnaire semblait dépassée par les événements, puisqu’elle n’avait répondu qu’à une seule des quatre questions essentielles. L’équipe de renfort composée de deux IPL est alors arrivée à la porte de la maison, après quoi la fonctionnaire leur a dit d’entrer dans la maison, en précisant qu’il y avait un homme armé d’un couteau à l’intérieur. M. Shea a déclaré qu’il ne s’agissait pas de la procédure appropriée et qu’il était extrêmement grave d’envoyer d’autres IPL et de les placer dans une situation très dangereuse.
[197] Il a ajouté qu’aucun membre du personnel n’aurait dû entrer dans la maison alors que l’attaquant armé s’y trouvait. Il a précisé que l’ensemble du personnel de l’EEF connaissait le plan d’intervention à suivre dans une telle situation, lequel pourrait éventuellement consister à dépêcher l’EIU de l’EEF ou à appeler la police locale.
[198] Dans son résumé du scénario de formation, M. Shea a déclaré que, en dépit du fait que la fonctionnaire comptait plusieurs mois d’expérience de travail en tant qu’IPL, sa performance avait été un véritable échec. Il a affirmé qu’elle avait failli à tous les aspects de ses fonctions et que, pire encore, elle n’avait ni conscience ni respect de sa sécurité ou de celle de ses collègues, et n’était pas à même de les protéger.
[199] Enfin, M. Shea a expliqué que, afin de réduire tout risque de partialité de sa part dans l’évaluation des compétences de la fonctionnaire, il avait discuté de son rapport sur la performance de cette dernière avec la GC, l’agent négociateur et la directrice. Il a ajouté qu’il accordait plus de chances aux membres des minorités visibles et qu’il s’efforçait d’être plus compréhensif et de participer à l’engagement de l’employeur en matière d’embauche et de valorisation des personnes appartenant à des minorités visibles.
[200] Il a déclaré qu’il avait offert son aide à la fonctionnaire et que si elle avait été victime de harcèlement et de racisme pendant son emploi à l’EEF, comme elle l’a affirmé à l’audience, elle aurait pu se confier à lui. Elle ne lui a cependant rien mentionné de tel. Il a ajouté qu’il aurait immédiatement pris des mesures pour mettre fin à tout traitement raciste dont la fonctionnaire affirme maintenant avoir été victime.
[201] S’agissant de la réplique écrite soumise par la fonctionnaire au sujet de son plan d’action et des accusations connexes de harcèlement qu’elle a formulées après avoir été suspendue, M. Shea a dit, lors de l’interrogatoire principal, qu’il avait lu le courriel et mené une enquête à ce sujet. Il n’a toutefois rien trouvé qui puisse étayer les allégations de la fonctionnaire et a affirmé que les craintes qu’elle avait d’être maltraitée par sa GC, Mme McQuaid, n’étaient que le résultat d’un problème de gestion du rendement causé par le rendement insatisfaisant de la fonctionnaire et par la difficulté qu’elle éprouvait à être gérée et incitée à s’améliorer.
[202] Il a affirmé qu’il ignorait que la fonctionnaire avait demandé à relever d’un GC autre que Mme McQuaid. Il a ajouté que, selon lui, les antécédents de Mme McQuaid en tant que représentante de haut niveau de l’agent négociateur avant qu’elle ne devienne GC lui avaient permis d’acquérir une expérience qui l’aidait à mieux comprendre les problèmes rencontrés par les IPL.
[203] Au cours du contre-interrogatoire de deux jours mené par la fonctionnaire, cette dernière a demandé à M. Shea pourquoi elle n’avait pas été autorisée à parler lors de sa réunion avec la directrice, le 25 août 2015. M. Shea a répondu que ce n’était pas exact et que la représentante de son agent négociateur avait assisté à la réunion et s’était exprimée plusieurs fois en son nom.
[204] Quand la fonctionnaire a affirmé qu’elle avait été maltraitée par Mme McQuaid qui avait par exemple refusé de lui verser la rémunération à laquelle elle avait droit pour un [traduction] « court remplacement » qu’elle avait fait après qu’on l’ait appelé chez elle pour un quart de travail supplémentaire, M. Shea a répondu que c’était bien ce qui s’était passé, mais que le problème de rémunération avait été corrigé et qu’elle avait été payée pour cette période de travail.
[205] Questionné sur le fait que plusieurs éléments du plan d’action visant à améliorer le rendement de la fonctionnaire ne concernaient que des problèmes ponctuels, M. Shea a répondu que certains de ces éléments, comme le fait d’avoir sorti de l’établissement des dossiers de détenues protégés, concernaient peut-être des problèmes ponctuels, mais qu’ils témoignaient d’une sérieuse erreur de jugement de la part de la fonctionnaire. Quand la fonctionnaire a soutenu que la direction de l’EEF et lui-même avaient planifié son échec et que son dernier scénario de formation simulant une visite familiale violente faisait partie de ce plan, M. Shea a nié avoir dit à la partenaire d’intervention de la fonctionnaire de ne rien faire. Au contraire, il a déclaré qu’il avait demandé à la partenaire de la fonctionnaire de laisser cette dernière prendre les rênes de l’intervention, mais que celle‑ci n’avait pas su lui donner les bonnes instructions.
[206] La fonctionnaire a tenté d’attaquer les déclarations de M. Shea en examinant la vidéo de l’exercice de simulation et en indiquant les aspects qui, selon elle, relevaient en fait de la procédure établie, par exemple le fait d’avoir demandé à sa partenaire d’inspecter les chambres au cas où il y aurait d’autres personnes à l’intérieur de la maison. M. Shea a répondu que la fonctionnaire n’aurait jamais dû entrer dans la maison dans une situation d’agression violente et d’urgence médicale, qualifiée de code rouge et de code bleu, ce qui aurait dû lui faire comprendre qu’il y avait eu une agression violente et qu’il n’était pas prudent d’entrer dans la maison, du moins sans la présence de renforts sur place et d’un meilleur équipement, dont des outils défensifs, de sorte à assurer une certaine protection contre l’assaillant.
[207] M. Shea a ajouté qu’au mieux, la fonctionnaire aurait pu jeter un coup d’œil à travers la porte pour évaluer l’état de la victime. Il a également affirmé que, lorsque la fonctionnaire était entrée dans la maison et avait vu la victime couverte de sang, elle ne savait de toute évidence plus quoi faire, car elle avançait et reculait nerveusement.
[208] Lorsque la fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait correctement évalué l’état de la victime et l’avait ensuite fait sortir de la maison de façon sécuritaire, M. Shea a répondu qu’elle n’aurait pas dû entrer et rester dans la maison. Par ailleurs, lorsqu’ils sont finalement sortis de la maison, la fonctionnaire marchait plusieurs pas derrière la victime, de sorte qu’elle ne maîtrisait pas bien la détenue. Quand la fonctionnaire lui a demandé de reconnaître qu’elle avait sécurisé les lieux une fois la victime sortie de la maison, M. Shea a répondu qu’elle avait tort et qu’elle avait fait courir un grave danger aux IPL appelés en renfort lorsqu’elle leur avait demandé d’entrer dans la maison, sachant que l’assaillant et une arme se trouvaient toujours à l’intérieur.
[209] La fonctionnaire a de nouveau contesté les déclarations de M. Shea en affirmant qu’à leur arrivée sur les lieux, elle avait demandé aux IPL appelés en renfort d’entrer dans la maison et de sécuriser les lieux en récupérant l’arme. Il a de nouveau répondu qu’il s’agissait de la mauvaise chose à faire et qu’elle avait fait courir un grave danger à ces IPL. Il a également souligné que personne n’avait passé d’appel radio pour dépêcher un GC sur les lieux de l’incident ou pour demander à la répartition d’appeler le 911 afin de répondre à l’urgence médicale, soit la blessure à l’arme blanche.
[210] La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait demandé à sa partenaire de trouver une compresse ou une serviette dans la maison afin d’arrêter l’hémorragie de la victime. En guise de réponse, M. Shea a répété qu’ils risquaient tous sérieusement d’être attaqués et que la seule priorité qu’elle aurait dû avoir à l’esprit était de ne pas rester dans une petite maison dangereuse et non sécurisée, plutôt que de tenter de prodiguer les premiers soins à la victime.
[211] La fonctionnaire s’est également opposée aux déclarations de M. Shea en laissant entendre qu’elle avait donné les bonnes directives aux IPL arrivés en renfort en leur disant qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. En réponse, il a souligné que, dans la vidéo, on pouvait entendre la fonctionnaire dire aux renforts d’entrer dans la maison et qu’une détenue se trouvait à l’intérieur. Il a ajouté qu’elle n’avait donné aucun renseignement utile aux IPL arrivés en renfort, comme le nombre de personnes se trouvant dans la maison, leur sexe et l’endroit où ils se trouvaient.
[212] Dans son témoignage au sujet du scénario de formation, la fonctionnaire a expliqué qu’elle avait pris les rênes de l’intervention et que, lorsqu’elle était entrée sur les lieux et avait vu la victime ensanglantée sur le sol, elle lui avait demandé ce qu’il se passait. Elle a déclaré avoir appelé la répartition afin de demander l’envoi de membres du personnel médical et avoir ensuite demandé à sa partenaire d’inspecter les autres pièces de la petite maison.
[213] La fonctionnaire a affirmé qu’elle pouvait voir les pieds de l’autre individu caché derrière l’angle d’un mur, qu’elle pouvait le voir et qu’il y avait du sang sur le sol. Elle a dit à son partenaire d’aller chercher une serviette qu’elle utiliserait comme compresse sur la blessure saignante de la victime. Elle a ensuite demandé à la victime si elle pouvait se lever, puis ils sont sortis.
[214] Alors qu’elle visionnait à nouveau la vidéo, la fonctionnaire a affirmé que, lorsque les IPL appelés en renfort étaient arrivés, elle leur avait dit qu’il y avait un homme armé d’un couteau à l’intérieur et qu’ils devraient entrer dans la maison. Elle a déclaré qu’elle pensait avoir bien agi en s’occupant de la blessure de la victime et en demandant à sa partenaire d’aller chercher une serviette à placer sur la plaie pour arrêter l’hémorragie.
[215] Lors de son contre‑interrogatoire au sujet de cet incident, la fonctionnaire a admis qu’elle pouvait entendre la victime crier avant d’entrer par la porte de la maison. Elle a également reconnu qu’elle n’avait pas essayé de communiquer avec la victime avant de franchir la porte et d’entrer dans la maison. Elle a convenu qu’elle n’avait pas tenté de demander à la victime si elle pouvait sortir seule de la maison avant d’y entrer. La fonctionnaire a aussi admis qu’elle était incapable de voir l’assaillant et qu’elle ignorait où il se trouvait lorsqu’elle est entrée dans le bâtiment et qu’elle a commencé à parler à la victime. Elle a reconnu qu’elle avait appelé la répartition pour demander de l’aide médicale, mais qu’elle n’avait pas demandé à une autre unité d’IPL en patrouille de venir en renfort. Elle a alors ajouté qu’elle avait eu l’intuition, au moment d’être dépêchée sur les lieux de l’incident, qu’il devait s’agir d’un scénario de formation.
[216] Interrogée à ce sujet, la fonctionnaire a reconnu qu’elle avait passé plus de deux minutes dans le bâtiment avant que la victime ne commence à s’exclamer bruyamment : [traduction] « Il va encore me poignarder, il va encore m’avoir ». Puis, on peut entendre l’assaillant dire ce qui suit : [traduction] « Je vais le faire ». Elle a expliqué qu’à ce stade, elle avait commencé à essayer de relever la victime et de la faire sortir du bâtiment. La fonctionnaire a également reconnu qu’elle n’avait pas répondu au membre du personnel médical arrivé à l’extérieur du bâtiment, lorsqu’il lui avait demandé si les lieux étaient sûrs. En outre, elle a admis qu’elle n’avait pas, par elle‑même ou au moyen d’un appel radio à la répartition, contacté le 911 pour signaler l’urgence médicale. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas pu tout faire seule.
[217] La fonctionnaire a également contesté les détails fournis par M. Shea au sujet de l’incident survenu en août, à savoir qu’elle n’avait pas répondu à un appel d’urgence lié à une agression, de sorte que son partenaire avait dû intervenir seul. Elle a affirmé qu’elle avait informé la GC Kowalchuk de son mal de tête et qu’elle était en train de marcher jusqu’au bureau de la GC McQuaid lorsque l’appel a été lancé. M. Shea a répondu qu’il importait peu qu’elle fût en train de marcher pour aller voir la GC : elle aurait dû répondre à l’appel radio d’urgence. En outre, il a vérifié auprès de la GC Kowalchuk, qui a affirmé qu’elle avait parlé à la fonctionnaire et que celle‑ci lui avait dit qu’elle était apte à exercer ses fonctions.
[218] La fonctionnaire a également contre‑interrogé M. Shea au sujet de ses déclarations sur la vidéo présentée à l’audience de la détenue faisant l’objet d’une SARS. Elle lui a expliqué qu’elle n’avait pas été affectée à cette tâche, mais que, au contraire, elle avait découvert ce qui se passait lors d’une patrouille mobile. Elle a allégué que tous les autres membres du personnel visibles dans la séquence vidéo avaient conspiré en vue de la faire mal paraître.
[219] M. Shea a rejeté cette allégation et déclaré que la GC Perry lui avait dit que la fonctionnaire avait été affectée à la SARS de la détenue. Il a affirmé que la fonctionnaire avait adopté la position appropriée derrière l’IPL qui, depuis plus de 15 minutes, assurait la SARS à la porte de la pièce où la détenue était confinée. Il a déclaré que la fonctionnaire s’était correctement positionnée en vue d’assurer la SARS, ce qu’elle avait fait immédiatement après que la première IPL eut quitté son poste pour prendre une pause dans une pièce adjacente.
[220] M. Shea a rejeté l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle elle n’avait aucune idée de ce qui se passait lorsqu’elle était entrée dans le couloir pendant sa patrouille mobile et qu’elle s’était simplement arrêtée pour bavarder avec la détenue placée en isolement. La fonctionnaire en a rajouté et a déclaré que, même si elle n’avait pas été affectée à la surveillance de cette détenue, elle avait voulu dire au groupe d’IPL réunis dans la pièce voisine que la détenue pouvait les voir à travers une vitre. M. Shea a répondu que, si la fonctionnaire avait réellement été en patrouille mobile à ce moment‑là, elle n’aurait même pas dû se trouver dans cette partie du bâtiment, car celle-ci n’était l’objet d‘aucune patrouille mobile.
[221] La fonctionnaire a ensuite accusé l’IPL M d’avoir abandonné son poste dans la vidéo qui a été montrée à plusieurs reprises lors de l’audience. Elle a contredit M. Shea, affirmant que lorsque le poste avait été abandonné, elle avait simplement rendu visite à la détenue, qu’elle a dit connaître en raison de son travail dans l’établissement. M. Shea a rejeté l’affirmation selon laquelle l’IPL M avait abandonné son poste.
[222] Lorsque la fonctionnaire a affirmé à M. Shea que sa supérieure, Mme McQuaid, l’avait harcelée, il a répondu que ce n’était pas vrai. Il a déclaré que, au contraire, il s’agissait purement d’une question de rendement insatisfaisant de la part de la fonctionnaire et d’une tentative de sa superviseure de l’amener à améliorer son travail. Il a expliqué qu’il avait examiné cette allégation et qu’il en avait parlé à d’autres personnes, mais qu’il avait conclu qu’elle n’était pas fondée. Il a ajouté que de nombreux autres GC avaient observé la fonctionnaire et essayé de l’aider, de sorte qu’il n’y avait pas de risque de partialité de la part de l’un ou l’autre des GC.
[223] La fonctionnaire a également interrogé M. Shea au sujet des circonstances dans lesquelles elle avait été suspendue et escortée hors de l’établissement. Elle lui a demandé d’expliquer pourquoi on l’avait fait se sentir comme une criminelle en la faisant escorter par deux gestionnaires devant de nombreux membres du personnel, et pourquoi le personnel avait été avisé par écrit de son licenciement et prié de ne pas la contacter. Elle lui a aussi demandé de lui dire si sa photo avait été affichée ou distribuée. Elle a mentionné le courriel suivant, que M. Shea a envoyé aux GC le 10 octobre 2015 :
[Traduction]
GC
Veuillez noter que Mme Marston a été renvoyée en cours de stage hier au motif que son rendement ne répondait pas aux normes d’un intervenant de première ligne. Mme Marston ne semblait pas satisfaite de la décision et a déclaré qu’elle pourrait médiatiser son expérience professionnelle au sein du SCC.
Les autres IPL peuvent être informés du fait que Mme Marston n’est pas autorisée à revenir sur place. Veuillez toutefois ne pas encourager d’autres discussions, ni y participer, et ne pas divulguer d’autres renseignements concernant le renvoi en cours de stage.
Il s’agit d’une situation difficile et je comprends qu’elle puisse avoir des répercussions émotionnelles sur notre personnel. Si vous pensez qu’un membre du personnel ou vous-même avez besoin d’aide, n’hésitez pas à demander le soutien du PAE, de la GSIC, de la direction ou d’un autre membre du personnel de soutien.
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à m’en faire part. Vous pouvez me joindre en personne, par courriel ou par téléphone.
Henry Shea,
DAO
EEF
[224] La fonctionnaire a interrogé M. Shea au sujet de la directive qu’il avait donnée, selon elle, au personnel de ne pas lui parler. Elle a soutenu que cette directive visait à garantir qu’elle n’obtiendrait aucun soutien de la part de ses collègues au moment où elle en avait besoin. Il a répondu que ce n’était pas vrai et qu’en fait, il avait communiqué avec la représentante de l’agent négociateur de la fonctionnaire, qui faisait partie du personnel de l’EEF, et avec la GC Vollrath, qui avait une formation en gestion du stress, pour leur demander de soutenir la fonctionnaire et de lui offrir toute l’aide du PAE qu’elle souhaitait recevoir. Il a nié l’allégation selon laquelle le personnel aurait été menacé afin d’éviter qu’il ne parle à la fonctionnaire ou ne lui offre son soutien.
[225] M. Shea a répondu que des plans avaient été élaborés avec soin en vue de préserver la dignité de la fonctionnaire à sa sortie de l’EEF, mais qu’elle avait refusé de coopérer, qu’elle avait prolongé la durée de la sortie bien au-delà de ce qui était nécessaire et qu’elle avait attiré l’attention sur elle pendant sa lente sortie. Il a déclaré ne pas avoir connaissance d’un affichage ou d’une diffusion de sa photo, ni d’un bulletin, d’une affiche ou d’un courriel adressé à l’ensemble du personnel à son sujet, mais a affirmé qu’il est de pratique courante qu’un avis soit envoyé à l’entrée principale dans le cas où, à l’instar de la fonctionnaire, une personne n’a plus accès à l’établissement.
[226] Interrogé à ce sujet, M. Shea a déclaré qu’il n’existait pas de protocole normalisé sur la façon dont les membres du personnel sont renvoyés et quittent l’établissement, mais qu’il avait personnellement accompagné des membres du personnel à la sortie après leur renvoi. À la question de savoir s’il était courant d’appeler la GRC quand des membres du personnel sont escortés à la sortie, il a répondu que ce n’était pas le cas, mais a ajouté qu’il n’avait jamais vu un membre du personnel refuser de quitter l’établissement comme l’avait fait la fonctionnaire. Il a expliqué que, d’après son expérience, les membres du personnel se contentaient de partir dès que possible une fois informés qu’ils devaient le faire. Il a également nié avoir dit à la représentante de l’agent négociateur de la fonctionnaire ce qu’elle devait faire ou ne pas faire, ajoutant qu’il ne ferait jamais une telle chose.
III. Le témoignage de la fonctionnaire
[227] La fonctionnaire a été la seule personne à témoigner à l’appui de sa cause. Au début de son témoignage, elle a expliqué que son travail à l’EEF était pour elle la réalisation d’une ambition de carrière, puisqu’elle avait travaillé très fort pour y parvenir et qu’elle avait déménagé de l’est du Canada pour occuper cet emploi. Elle a déclaré qu’elle avait remporté un prix d’excellence pendant sa formation d’IPL et qu’elle comptait passer sa carrière au SCC, où elle aspirait à progresser jusqu’aux rangs de la direction. Elle a toutefois expliqué que, quelques semaines après son arrivée à l’EEF, elle avait fait part de ses ambitions à sa superviseure, Mme McQuaid, et avait été stupéfaite d’entendre cette dernière éclater de rire et lui répondre qu’elle n’atteindrait jamais les rangs de la direction et qu’elle ne serait jamais directrice. Elle a affirmé qu’au cours de cette conversation dans la bulle du poste de contrôle, Mme McQuaid lui a raconté qu’elle avait eu une mauvaise expérience avec des hommes jamaïcains. La fonctionnaire a déclaré avoir constaté un changement dans l’attitude de Mme McQuaid à son égard et que celle‑ci avait commencé à la maltraiter après cette conversation.
[228] La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait demandé à relever d’un autre superviseur, affirmant que Mme McQuaid la harcelait et nourrissait des préjugés raciaux à son égard. Elle a raconté l’incident relatif à l’urgence survenue dans la baignoire, au cours duquel Mme McQuaid lui avait reproché de ne pas avoir correctement agi et s’était ensuite moquée d’elle en lui lançant d’un ton sarcastique : [traduction] « Et tu veux un jour devenir GC… ».
[229] La fonctionnaire a également déclaré qu’après l’incident, elles avaient eu une discussion de débreffage et que Mme McQuaid l’avait critiquée et lui avait dit qu’elle n’était pas réceptive à la rétroaction. La fonctionnaire a expliqué qu’elle s’était alors renfermée sur elle-même et avait commencé à répondre aux critiques de Mme McQuaid par « ok ». Selon elle, ces réponses ont ensuite été jugées comme témoignant d’un manque de responsabilisation, ce qui, d’après elle, était inexact et injuste à son égard.
[230] La fonctionnaire a ajouté que si elle avait eu un superviseur qui l’avait traitée équitablement et qui lui avait parlé de ses problèmes de rendement, elle aurait peut‑être reconnu qu’elle avait des lacunes.
[231] La fonctionnaire a également déclaré qu’elle avait essayé à plusieurs reprises de s’exprimer lors de réunions avec des gestionnaires, mais que ceux‑ci avaient rejeté ses idées ou l’avaient interrompue et avaient essayé de la réduire au silence. Elle a insisté sur la réunion du 19 juin à laquelle ont participé Mme Contini, M. Shea et Mme McQuaid. Elle a indiqué que Mme McQuaid l’avait interrompue à plusieurs reprises au cours de cette réunion.
[232] La fonctionnaire a expliqué qu’elle estimait son plan d’action en grande partie injuste, du fait qu’il ne lui donnait pas d’objectifs mesurables, qu’il était vague (au sujet, par exemple, de l’utilisation appropriée de la radio), qu’il n’y était question que des aspects prétendument insatisfaisants de son rendement et qu’il ne faisait pas état de ses réussites. Elle a ajouté que certains problèmes [traduction] « ponctuels » y figuraient à perpétuité.
[233] La fonctionnaire a déclaré qu’à son entrée en fonction à l’EEF, elle n’avait pas reçu de veste de sécurité. Dans son témoignage, elle a affirmé qu’à son arrivée, l’employeur n’avait pas de veste à sa taille. Elle a expliqué qu’elle n’avait donc pas pu suivre la FCE dans l’unité carcérale, car le port de la veste de sécurité y est obligatoire.
[234] La fonctionnaire a ensuite laissé entendre dans son argumentation que c’est pour ça qu’elle avait eu des problèmes pendant son affectation à cette unité, comme il en a été précédemment question. En contre-interrogatoire, Mme McQuaid a contesté l’affirmation selon laquelle la fonctionnaire n’aurait pas reçu de veste de sécurité et a ajouté que ce n’était pas exact, d’après ce dont elle se souvenait.
[235] Je constate que le témoignage et l’argument de la fonctionnaire, selon lesquels elle n’avait pas reçu de veste de sécurité et n’avait donc pas pu suivre sa FCE à l’unité carcérale, supposent nécessairement qu’elle a accepté une affectation au PCUC, qui est d’une importance capitale, alors qu’elle ne savait apparemment pas ce qu’elle faisait étant donné qu’elle n’avait pas reçu de formation concernant cette unité.
[236] Par conséquent, la fonctionnaire a, de son propre aveu, clairement fait preuve d’un manque de jugement en acceptant une affectation à un poste essentiel à la sécurité du personnel et des détenues sans savoir en quoi consistait ce poste, ce qui va bien au-delà d’un simple rendement insatisfaisant dans l’exercice de ses fonctions.
[237] L’employeur a témoigné au sujet de ce qu’il considérait comme des lacunes dans la tenue des dossiers de détenues de la fonctionnaire. Cette dernière a abordé cette question lorsqu’elle a contre‑interrogé Mme McQuaid et a contesté la véracité de ce qui avait été décrit comme étant des lacunes. Les lacunes en question ont été à nouveau expliquées. La fonctionnaire a également demandé à Mme McQuaid d’admettre qu’elle lui avait dit de ne pas s’asseoir à l’ordinateur des services administratifs lorsqu’elle était affectée au poste de patrouille mobile. Mme McQuaid n’a pas nié qu’elle l’avait dit, mais a dit que tous les IPL qui étaient affectés au poste de patrouille mobile avaient le temps, au cours d’une journée, non seulement de faire le travail nécessaire sur leurs rapports d’intervention, mais aussi de marcher et d’assurer la sécurité active des détenues.
[238] Dans son témoignage sur cette question, la fonctionnaire n’a pas prétendu que ses rapports d’intervention étaient satisfaisants, mais plutôt que l’employeur n’aurait pas dû s’attendre à ce qu’elle remplisse des rapports d’intervention en plus de toutes les autres tâches qu’elle accomplissait et pour lesquelles elle devait s’améliorer. Elle a déclaré qu’il n’y avait pas suffisamment d’ordinateurs sur le lieu de travail et qu’elle ne pouvait donc pas accéder à l’un d’entre eux lorsqu’elle en avait besoin pour produire ses rapports à temps. Mme McQuaid a déclaré que la rédaction de rapports est une composante normale et attendue du travail de tous les IPL et a rejeté l’affirmation selon laquelle la fonctionnaire n’avait pas suffisamment accès à un ordinateur sur son lieu de travail.
[239] La fonctionnaire a aussi fait valoir, en réponse au témoignage de l’employeur, qu’elle était incapable d’exercer les fonctions attachées au PCUC avec compétence et qu’elle aurait dû être affectée à un poste moins exigeant, vraisemblablement plus adapté à ses compétences (déficientes).
[240] L’employeur a répliqué en invoquant le témoignage de Mme McQuaid, qui a expliqué qu’en raison des quarts de travail rotatifs et des besoins en personnel de soutien, tous les IPL doivent être compétents et aptes à être affectés à n’importe quel poste de l’établissement. Dans son contre-interrogatoire à ce sujet, Mme Bouchard a répondu à la fonctionnaire que tous les IPL doivent être capables de travailler à tous les postes de l’établissement et qu’il n’est pas possible d’affecter un IPL à un ou deux postes seulement, s’il s’agit des seules tâches qu’il peut accomplir de manière compétente. Elle a ajouté qu’après huit mois de travail, un IPL doit posséder les compétences nécessaires pour occuper tous les postes et accomplir toutes les tâches au sein de l’établissement, ce qui n’était pas le cas de la fonctionnaire, malgré les efforts considérables déployés pour l’aider, l’encadrer et lui donner de la formation supplémentaire.
[241] La fonctionnaire a insisté avec vigueur sur plusieurs questions lors de son contre‑interrogatoire de Mme McQuaid et a fait valoir que chacune d’elles prouvait que de fausses allégations avaient été formulées à son endroit. Elle a souligné que Mme McQuaid avait déclaré à tort, après avoir visionné une vidéo, que la fonctionnaire avait mis sa tête dans l’embrasure de la porte d’une cellule d’isolement pendant qu’une détenue était en train d’y être placée. Elle s’est également attardée à la question de son retard au travail ou de son absence inexpliquée et a établi que l’avis qu’elle avait reçu pendant un jour de repos n’était pas suffisant pour qu’elle puisse se présenter au travail.
[242] La fonctionnaire a également soutenu avoir été [traduction] « piégée » lorsqu’on lui avait demandé d’apporter des dossiers de détenues à la maison afin de rédiger des rapports de cas et qu’on l’avait ensuite appelée pour l’inviter à rencontrer Mme McQuaid à l’extérieur de l’établissement, dans la zone des fumeurs, où elle avait été informée qu’elle avait enfreint la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels.
[243] La fonctionnaire a également soulevé de nombreuses questions et problèmes concernant les différentes versions du plan d’action élaboré afin qu’elle améliore ses compétences. Elle a fait valoir que certains éléments de son plan d’action concernaient des événements ponctuels et n’auraient pas dû y figurer ou, du moins, y demeurer pendant les nombreuses semaines au cours desquelles elle avait tenté de suivre ce plan d’action.
[244] Dans son témoignage à ce sujet, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait été dupée par Mme McQuaid, qui lui avait demandé d’apporter les dossiers dans la zone des fumeurs. La fonctionnaire a expliqué que Mme McQuaid était en train de fumer à l’extérieur et qu’elle lui avait demandé d’apporter les dossiers d’une détenue pour qu’elles en discutent. Elle a affirmé qu’elle avait fait ce qui lui avait été demandé, mais qu’elle n’avait jamais emporté les dossiers à la maison.
[245] La fonctionnaire a expliqué qu’une erreur liée à un [traduction] « court remplacement » figurait dans son plan d’action et avait été utilisée contre elle. Elle n’aurait été prévenue, pendant un jour de repos, qu’un nouveau quart de travail lui avait été attribué que par un courriel interne auquel Mme McQuaid savait qu’elle n’avait pas accès pendant son absence.
[246] La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait que rarement, voire jamais, été prévenue des nombreuses réunions organisées par la direction pour discuter de son rendement. Elle a allégué que la direction violait ainsi le droit que lui conférait la convention collective d’être prévenue deux jours à l’avance et d’être représentée par un agent négociateur. Elle a également admis que sa représentante avait effectivement été invitée à plusieurs de ces réunions, mais que quand bien même la représentante avait été prévenue, elle ne l’avait pas été, ce qui s’inscrivait dans le cadre des efforts déployés par l’employeur pour la réduire au silence, étant donné qu’elle ne pouvait pas se préparer aux réunions.
[247] La fonctionnaire s’est appuyée sur des documents de correspondance montrant que la directrice avait écrit au sujet du renvoi de la fonctionnaire dès le 6 août. Selon la fonctionnaire, cela signifiait que le commentaire formulé ultérieurement sur la possibilité qu’elle avait encore de prouver qu’elle était compétente n’était pas sincère.
[248] La fonctionnaire a voulu produire en preuve des messages textes qui, selon elle, provenaient de collègues de l’EEF qui la prévenaient qu’ils avaient entendu dire que la direction voulait régler son cas. L’employeur s’est opposé à ce que ces messages soient admis en preuve, car ils n’étaient pas identifiés (aucun nom ni numéro de téléphone ne les accompagnaient) et, de ce fait, il était impossible de faire témoigner les auteurs, de les contre‑interroger afin de vérifier dans quel contexte ils avaient été rédigés, etc.
[249] Je n’ai pas admis les messages textes comme pièces justificatives étant donné que, premièrement, il était difficile de savoir qui faisait quoi et quelle était la source de ces ragots, et que, deuxièmement, comme l’a fait remarquer l’employeur, s’il était possible de tirer des renseignements pertinents de ces textes, il aurait fallu que les noms des auteurs soient communiqués à l’audience, de sorte que ces derniers auraient pu être appelés à témoigner et soumis à un contre-interrogatoire.
[250] La fonctionnaire a établi que son paiement en guise de préavis n’avait été versé que le 9 novembre 2022, soit sept ans après la fin de son emploi, ce que l’employeur a concédé. Elle a déclaré qu’elle avait également dû déployer beaucoup d’efforts en vue de recevoir la rémunération à laquelle elle avait droit pour son [traduction] « court remplacement », et qu’elle avait reçu l’aide de M. Shea à cet effet après son renvoi. Elle a précisé qu’il s’agissait d’un paiement net de 187 $ après les retenues obligatoires.
[251] La fonctionnaire a fait remarquer qu’elle avait tenté à plusieurs reprises, au moyen de courriels adressés à M. Shea, puis de demandes d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP), d’obtenir une copie de dossiers, de courriels et de vidéos montrant, par exemple, la zone des fumeurs et le stationnement au moment où elle avait été escortée hors de l’établissement, afin de l’aider à prouver ses allégations selon lesquelles elle avait été victime d’un traitement raciste de la part de l’employeur. Elle a ajouté qu’elle n’avait jamais reçu la vidéo qui, de l’aveu de M. Shea, aurait montré l’entrée principale et la zone des fumeurs.
[252] La fonctionnaire a également déclaré qu’elle avait demandé à M. Shea de lui rédiger une lettre de recommandation, mais que, après son départ, il avait cessé de répondre à ses messages à ce sujet.
[253] La fonctionnaire a également fait remarquer qu’il avait fallu sept ans à l’employeur pour lui envoyer son paiement en guise de préavis. Elle a fait valoir que cette attente déraisonnable et celle, tout aussi déraisonnable, de plus de six ans pour la réponse à sa demande d’AIPRP témoignaient du manque de respect dont elle avait été victime pendant toute la durée de son emploi au SCC, et même après, en raison d’un préjugé racial à son encontre fondé sur le fait qu’elle est une Canadienne noire d’origine jamaïcaine.
[254] Au cours de son contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a confirmé qu’elle avait signé sa lettre d’offre, datée du 12 janvier 2015, laquelle précisait qu’elle commencerait son emploi par une période de stage.
[255] Interrogée sur l’incident où la détenue était inconsciente, la fonctionnaire a confirmé qu’elle n’avait pas contacté la répartition par radio pour signaler une urgence médicale et qu’elle n’avait pas demandé que l’on envoie des renforts sur place. Elle a affirmé qu’elle avait plutôt appelé sa GC et que, si elle avait agi ainsi, c’est parce qu’il s’agissait de son premier véritable incident d’urgence et qu’elle était sous le choc.
[256] Interrogée au sujet d’une patrouille effectuée le 11 juillet 2015, à propos de laquelle l’IPL Lindon a déclaré que la fonctionnaire l’avait laissée seule dans une unité d’habitation avec une détenue et que la situation avait dégénéré, la fonctionnaire a donné une longue réponse qui a abouti à l’allégation que c’était l’IPL Lindon qui, en fait, l’avait laissée seule avec des détenues pendant la patrouille.
[257] Lorsqu’il lui a été reproché, lors du contre‑interrogatoire, de ne pas avoir donné d’instructions verbales à la détenue dont, comme l’a montré la vidéo, la fonctionnaire avait pincé la peau en tentant de lui passer les menottes, la fonctionnaire a répondu qu’elle avait bien donné des instructions verbales à la détenue à deux reprises, mais que celle‑ci n’avait pas obtempéré. La Commission a constaté que les paroles de la fonctionnaire n’étaient pas audibles dans l’enregistrement et que sa bouche et ses lèvres ne bougeaient pas au moment où, selon elle, elle aurait donné des instructions verbales à la détenue.
[258] Interrogée au sujet du rapport selon lequel elle aurait quitté les lieux où se trouvait une détenue irritée qui résistait à sa partenaire et qui devait être douchée après avoir été aspergée d’OC, la fonctionnaire a expliqué qu’elle n’était pas partie [traduction] « sans raison », mais plutôt qu’elle avait également reçu de l’OC dans la bouche et qu’elle devait la rincer. Quand on lui a rappelé que l’IPL Rodgers avait déclaré dans son témoignage que la fonctionnaire avait reçu l’ordre de revenir sur les lieux pour prêter main‑forte, mais que la vidéo la montrait se tenant à l’extérieur de la salle de douche tandis que d’autres IPL arrivaient et passaient devant elle pour aider à maîtriser la détenue, la fonctionnaire a répondu qu’elle voyait qu’il y avait suffisamment d’agents sur place et qu’ils n’avaient pas besoin d’elle.
IV. Les observations des parties, ainsi que l’analyse et les motifs
[259] La jurisprudence est bien établie dans la présente affaire et elle n’a pas été contestée dans les observations finales des parties. Ces observations finales et la présente décision sont axées sur l’application du droit aux faits présentés en preuve.
[260] Dans la présente affaire, la fonctionnaire n’a pas tenté d’établir qu’elle s’était acquittée de ses tâches professionnelles de manière compétente. Au contraire, elle a allégué et tenté de démontrer que, dès le début de son emploi au SCC, elle avait subi un traitement défavorable du fait qu’elle était une Jamaïcaine noire et que l’employeur avait planifié son échec et conspiré en vue de la faire mal paraître dans l’exercice de ses fonctions.
[261] La Commission a déclaré que les employeurs disposent d’un large pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation de l’aptitude des employés au cours d’une période de stage, comme indiqué ci‑après dans la décision Kagimbi c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 19 (Kagimbi) (confirmée dans : Kagimbi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 400 et Kagimbi c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 74)
[…]
69 Dès 1978, la Cour suprême du Canada dans Jacmain c. Procureur général du Canada et al., [1978] 2 R.C.S. 15, a statué que le droit de l’employeur de renvoyer un employé en cours de stage était très large et que ce droit est inattaquable à moins que l’employeur ait agi de mauvaise foi. La Cour s’exprime ainsi à la page 37 de sa décision :
[…]
Le droit appartenant à l’employeur de renvoyer un employé au cours du stage est très large. Pour employer les mots de l’art. 28 de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique précité, il suffit qu’il y ait un motif, une raison. L’avocat de l’appelant a loyalement reconnu à l’audition que le texte, à première vue, permet à l’employeur d’invoquer à peu près n’importe quel motif et que sa décision est inattaquable pourvu que sa conduite ne soit pas entachée de mauvaise foi.
[…]
[262] L’employeur n’avait qu’à établir que la fonctionnaire était en cours de stage au moment du licenciement, qu’elle avait reçu une lettre énonçant les motifs de celui‑ci et qu’une indemnité en guise de préavis lui avait été versée, voir le par. 111 dans Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134 (Tello).
[263] Comme il a été énoncé dans la décision Kirlew c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 28 (Kirlew), et dans la décision Tello, la Commission n’a pas compétence pour instruire un grief lié au renvoi en cours de stage. La fonctionnaire a été renvoyée en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP), qui prévoit que l’administrateur général d’une organisation, y compris du SCC, peut aviser le fonctionnaire en cours de stage de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis fixé.
[264] L’alinéa 211a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; « la Loi »), interdit le renvoi à l’arbitrage par la Commission de tout grief individuel portant sur un licenciement prévu sous le régime de la LEFP.
[265] Comme elle l’a conclu dans les décisions Kirlew et Tello, la Commission a compétence sur un licenciement en cours de stage si le fonctionnaire peut établir que le licenciement constituait un subterfuge ou un camouflage, était de mauvaise foi, constituait une mesure disciplinaire déguisée ou était entaché par un motif de discrimination illicite. Pour vicier ce qui aurait autrement été un exercice valide du pouvoir discrétionnaire de l’employeur, il lui suffit de démontrer que la discrimination n'a été qu’un des nombreux facteurs pris en considération au moment du licenciement.
[266] Dans l’affaire dont je suis saisi, l’employeur avait le fardeau initial d’établir que la fonctionnaire était en cours de stage lorsqu’elle a été licenciée, qu’elle avait été informée des motifs du licenciement et qu’une indemnité en guise de préavis lui avait été versée. Il s’agit d’un critère peu exigeant.
[267] L’employeur a fait valoir en conclusion que les nombreux incidents rapportés dans les témoignages oraux et les nombreuses pièces audio et vidéo établissaient clairement que la fonctionnaire avait de graves problèmes de rendement et que, en dépit de plusieurs mois de formation supplémentaire, elle n’avait pas atteint un niveau de rendement acceptable. En fait, lors de l’analyse finale en août 2015, il a été jugé qu’elle présentait un danger pour elle-même, pour les autres membres du personnel et pour les détenues en raison de son manque de jugement et de son rendement insatisfaisant.
[268] La fonctionnaire a parfois fait valoir qu’elle avait bien exécuté certaines tâches ou qu’elle avait bien réagi lors d’incidents, et s’est opposée à des témoignages en ce sens. Je souligne, par exemple, son témoignage et le contre‑interrogatoire bien préparé des témoins à propos de l’incident lié à la détenue inconsciente dans la baignoire. La fonctionnaire a soulevé une question raisonnable quant au fait que sa partenaire plus âgée lui avait dit d’attendre à la porte de la salle de bain et qu’elle avait voulu en faire autant afin d’éviter qu’elles ne se retrouvent coincées dans une très petite pièce par des détenues, sans autre issue.
[269] La fonctionnaire a également formulé des allégations au sujet d’autres problèmes, comme le fait de ne pas avoir reçu de veste de protection à son entrée en fonction et d’avoir été critiquée au sujet de l’escorte d’une détenue jusqu’à une cellule d’isolement, alors que, selon elle, elle n’avait pas pu marcher à côté de la détenue, car le couloir était trop étroit.
[270] J’ai écouté attentivement des jours de témoignages et observé des heures de vidéo au moyen desquels la fonctionnaire a cherché à démontrer qu’en fait, son rendement au cours des incidents n’était pas déficient. Je me suis penché sur l’incident de la détenue inconsciente dans la baignoire remplie, à propos duquel la fonctionnaire a déclaré que sa partenaire lui avait dit de faire le guet à la porte, afin de veiller à ce qu’elles ne se retrouvent pas toutes les deux coincées dans la petite salle de bains si les autres détenues de l’unité d’habitation décidaient de devenir agressives. Un raisonnement déductif permet de penser qu’il s’agit là d’une préoccupation plausible et d’une réaction possiblement valable à l’incident.
[271] L’employeur n’a pas produit d’éléments de preuve sur la question du sauvetage dans la petite salle de bain qui auraient permis à la Commission de déterminer quelle aurait été l’intervention appropriée d’un IPL selon la formation pertinente. La fonctionnaire a également relevé avec justesse une erreur d’identité dans le témoignage de Mme McQuaid, laquelle a déclaré que la fonctionnaire s’était incorrectement penchée dans l’embrasure de la porte d’une cellule d’isolement, de sorte qu’elle s’était exposée à un risque de blessure si la détenue était soudainement devenue violente et avait fermé la porte pendant que sa tête était encore dans l’embrasure.
[272] Je suis également conscient du témoignage non contesté de la fonctionnaire, laquelle affirme avoir correctement appliqué les menottes à l’occasion, y compris lors d’un exercice improvisé de sa propre initiative, au cours duquel elle est entrée dans le bureau de Mme McQuaid, l’a interrompue dans son travail et l’a surprise en lui passant les menottes.
[273] Toutefois, même si j’acceptais tous les arguments de la fonctionnaire selon lesquels elle se serait bien acquittée de ses tâches, ceux‑ci ne suffiraient pas à surmonter la preuve claire et convaincante concernant les motifs pour lesquels l’employeur a dû exercer son pouvoir discrétionnaire de mettre fin à son emploi en cours de stage.
[274] La preuve a clairement établi que, dans les cas les plus importants où la fonctionnaire avait dû faire preuve de discernement, son rendement avait laissé à désirer. Il est ressorti de la preuve non contestée qu’elle avait laissé sa partenaire lutter dans une douche pour maîtriser une détenue agitée. La preuve non contestée a montré qu’elle n’avait pas réagi à temps lorsqu’elle avait dû ouvrir une porte à une collègue de PCUC, ce qui aurait pu occasionner un grave incident.
[275] La preuve non contestée a révélé que la fonctionnaire avait choisi à deux reprises de ne pas répondre à la répartition lorsqu’elle a été appelée à intervenir d’urgence. La preuve vidéo a établi clairement que la fonctionnaire s’était éloignée à deux reprises lors de sa SARS d’une détenue qui s’était automutilée la même nuit.
[276] Enfin, comme l’a décrit M. Shea, la vidéo du scénario de formation a montré que la fonctionnaire n’avait absolument pas conscience de la situation dangereuse dans laquelle elle s’était placée pendant plus de deux minutes lorsqu’elle était entrée dans l’unité d’habitation et qu’elle y était restée pour parler à la victime poignardée en avançant et en reculant nerveusement, bien que la victime s’était empressée de lui dire qu’elles risquaient toutes deux d’être attaquées par l’homme qui l’avait poignardée et qui n’était qu’à quelques mètres de là.
[277] Jusqu’à la fin de l’audience, il était évident, à la lumière du témoignage et des observations finales de la fonctionnaire, qu’elle n’avait ni reconnu ni compris le problème le plus important et le plus urgent dans son intervention lors du scénario de formation, à savoir sa sécurité et celle de sa partenaire, ainsi que le grave risque qui pesait sur leur vie dans une telle situation, comme l’a expliqué en détail M. Shea dans son témoignage.
[278] Il est important de souligner que, en dépit des semaines d’audience consacrées aux témoignages sur le rendement de la fonctionnaire, la présente décision ne porte pas sur un licenciement pour des motifs non disciplinaires, qui nécessiterait de la Commission qu’elle se prononce sur le caractère raisonnable de la conclusion de l’employeur sur la question du rendement insatisfaisant de la fonctionnaire. L’employeur devrait alors satisfaire à une norme plus élevée et la Commission devrait nécessairement se livrer à un examen minutieux du rendement de la fonctionnaire et de l’évaluation qu’en a faite l’employeur, ainsi que des efforts qu’il a déployés pour aider l’employée, notamment au moyen d’une formation.
[279] Au contraire, en l’espèce, l’employeur n’avait qu’à satisfaire à la norme moins exigeante, selon laquelle il devait envoyer à la fonctionnaire une lettre exposant les motifs de la décision de la renvoyer en cours de stage, lui donner ce préavis dans le délai prescrit ou lui verser une indemnité tenant lieu de préavis, et enfin confirmer son statut de stagiaire. Les éléments de preuve présentés à l’audience ont confirmé le respect de toutes ces exigences.
[280] Une fois cette conclusion tirée, il incombait à la fonctionnaire d’établir que son licenciement constituait un subterfuge ou un camouflage, était de mauvaise foi et était entaché de préjugés raciaux (voir Jacmain c. Procureur général (Canada), [1978] 2 RCS 15). Tout élément de preuve clair et convaincant d’un préjugé racial ayant joué le moindre rôle dans le licenciement, comme le prétend la fonctionnaire, donnerait compétence à la Commission pour trancher l’affaire.
[281] Dans la décision Kirlew, la Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 131 :
[131] Afin que la Commission puisse conclure que la discrimination a été un facteur dans la formation et l’évaluation du fonctionnaire, comme il le prétend, celui-ci doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination, c’est‑à‑dire, présenter une preuve qui porte sur les allégations formulées, et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en sa faveur, en l’absence de réplique de l’employeur (voir O’Malley). Pour décider si une preuve prima facie a été établie, on ne doit pas tenir compte de la réplique du défendeur aux allégations (voir Lincoln au par. 22). [Les affaires citées sont Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), et Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204.]
[282] Dans ses observations finales, la fonctionnaire a donné de nombreux exemples de ce qu’elle considérait comme des actes discriminatoires à son égard. En fait, la plupart des points abordés par l’employeur à l’audience ont été qualifiés par la fonctionnaire de mauvais traitement, de harcèlement et de conspiration de la part de l’employeur, qui, selon elle, l’aurait embauchée pour montrer des progrès en matière d’action positive, avant de déployer des efforts malveillants et racistes pour se débarrasser d’elle parce qu’il et, en particulier, sa superviseuse, Mme McQuaid, n’aimaient pas les Jamaïcains.
[283] La fonctionnaire a fait valoir qu’elle n’avait pas reçu sa veste de sécurité obligatoire au début de son emploi à l’EEF à cause de préjugés raciaux et que ça faisait partie d’un plan conçu pour la faire échouer. Elle a soutenu que sans sa veste, elle n’avait pas pu participer à la FCE du PCUC, ce qui avait par la suite entraîné ses problèmes au sein de l’unité.
[284] Je ne suis pas d’accord. La preuve relative à l’indisponibilité de la veste était liée à la taille, qui ne convenait pas à la fonctionnaire. Je n’ai entendu aucune observation liée à un motif de distinction illicite concernant la taille de la veste.
[285] Je rejette l’allégation de la fonctionnaire concernant ses mauvais résultats au PCUC et le fait qu’elle n’ait pas été disponible pour ouvrir les portes en temps voulu afin d’assurer le passage sécuritaire de ses collègues. Si, comme elle l’a prétendu, elle n’avait pas été convenablement formée sur les activités et les responsabilités liées au PCUC et que, essentiellement, elle ne savait pas ce qu’elle faisait, elle n’aurait jamais dû accepter d’y être affectée.
[286] L’acceptation par la fonctionnaire d’un poste essentiel à la sécurité des activités de l’établissement alors que, d’après son propre témoignage, elle n’avait pas reçu la formation nécessaire pour s’acquitter correctement de ses fonctions est, comme l’a déclaré M. Shea dans son témoignage, la preuve de son manque de discernement.
[287] C’est le même argument qui a été avancé à l’égard de l’incident survenu pendant la SARS, avec le même résultat démontrant le manque de discernement de la part de la fonctionnaire. La fonctionnaire a déclaré qu’elle ne savait pas ce que les autres IPL faisaient sur les lieux de la SARS et que, pendant dix minutes, elle avait observé d’autres IPL se tenant debout sans rien faire, après quoi ils avaient tous commencé à quitter la salle où avait lieu la SARS. La fonctionnaire a admis qu’elle n’avait pas demandé ce qui se passait et a déclaré qu’elle avait simplement rendu une brève visite à la détenue faisant l’objet de la SARS.
[288] Encore une fois, d’après le témoignage de la fonctionnaire elle‑même et comme l’a déclaré M. Shea, même si la fonctionnaire n’avait pas été affectée à la SARS, sa formation aurait dû lui permettre de reconnaître la situation et elle a manqué de discernement en omettant de demander des explications.
[289] L’incident relatif à la SARS soulève un autre problème important dans le dossier de la fonctionnaire, à savoir son affirmation selon laquelle elle serait passée par hasard devant les lieux de la SARS au cours d’une patrouille mobile et n’aurait pas compris ce qui se passait. Encore une fois, comme l’a fait observer M. Shea, les actions de la fonctionnaire, telles qu’elles sont étayées par la vidéo, correspondent parfaitement à la façon dont les IPL sont formés pour assumer la SARS et relever un collègue.
[290] La fonctionnaire a attendu sur place pendant près de 15 minutes, puis s’est positionnée très près du dos de l’IPL M, laquelle se trouvait à la porte, les yeux rivés sur la détenue, depuis 10 minutes. La fonctionnaire a ensuite attendu 90 secondes avant le départ de l’IPL M, puis s’est avancée jusqu’à la porte pour surveiller la détenue à l’intérieur de la pièce.
[291] J’estime que le témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle est simplement passée à côté de l’événement et a attendu le temps nécessaire pour rendre visite à la détenue manque de crédibilité. Comme l’a fait remarquer M. Shea, même si la fonctionnaire n’était réellement que passée à côté de l’événement et qu’elle avait aperçu tous les autres IPL abandonner leur poste et la SARS, tout IPL compétent aurait reconnu la situation et aurait su qu’il devait assurer la SARS et, soit rappeler les autres IPL, soit contacter la répartition par radio, afin d’éventuellement mobiliser un GC pour rectifier l’affectation.
[292] Je souligne également que le témoignage de la fonctionnaire a mis la crédibilité de celle‑ci à rude épreuve en ce qui concerne sa réponse relative à d’autres incidents. Dans sa réponse à l’une des vidéos de menottage, où il était allégué qu’elle n’avait pas donné de directives verbales à la détenue et ne l’avait pas maîtrisée, elle a déclaré qu’elle avait dirigé la détenue en lui parlant à voix basse. Cependant, tandis que la voix de la fonctionnaire est inaudible dans la vidéo, il est important de souligner que l’on peut voir sa bouche, qui ne bouge pas au moment où la fonctionnaire affirme qu’elle dirigeait la détenue à voix basse.
[293] L’allégation de la fonctionnaire selon laquelle Mme McQuaid lui aurait demandé de mettre son masque de sécurité lors de l’incident médical simulé manque de crédibilité, étant donné que la preuve a établi que la fonctionnaire avait été formée à l’utilisation appropriée du masque. La fonctionnaire a déclaré avoir obtenu les meilleures notes lors de son cours de formation, qui comprenait les premiers soins et l’utilisation appropriée du masque de sécurité. Il semble déraisonnable que, ayant été formée à l’utilisation appropriée du masque, la fonctionnaire ait, comme elle le prétend, mal compris la consigne [traduction] « mets le masque de sécurité » alors qu’elle s’apprêtait à pratiquer la respiration artificielle sans le masque.
[294] L’aveu de la fonctionnaire voulant qu’elle ait laissé seule sa partenaire qui tentait de maîtriser une détenue agressive qui lui résistait dans une douche se passe de commentaires. Les témoins de l’employeur qui se sont exprimés à ce sujet ont déclaré qu’un IPL ne devait jamais abandonner son partenaire dans une situation potentiellement dangereuse. Je me contente de faire remarquer la faiblesse de l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle elle avait dû partir afin de se rincer les yeux et que d’autres renforts étaient arrivés pour aider sa partenaire, de sorte qu’elle n’avait pas eu besoin de se joindre à l’intervention.
[295] J’estime qu’il est peu probable que la fonctionnaire ait voulu protéger Mme McQuaid, comme elle le prétend, en ne signalant pas la présumée menace selon laquelle la GRC serait appelée pour l’expulser, alors que, le 1er octobre 2015, elle a écrit un long courriel à la directrice, dans lequel elle affirmait avoir été mal traitée à sa sortie de l’établissement. Interrogée à ce sujet lors de son contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a répondu qu’elle n’avait pas mentionné la menace dans son courriel parce qu’elle savait que Mme McQuaid aurait déjà des ennuis du fait qu’elle lui avait pris son matériel à son départ de l’EEF. La fonctionnaire ne voulait pas créer davantage d’ennuis à Mme McQuaid en révélant à la directrice qu’elle l’avait menacée d’appeler la GRC. Cette explication semble peu probable, compte tenu de l’animosité que la fonctionnaire a exprimée à l’égard de Mme McQuaid et de l’importance de la menace dans l’argumentation de la fonctionnaire à l’audience.
[296] J’estime également que l’affirmation implicite de la fonctionnaire, selon laquelle l’IPL M serait vue en train d’abandonner son poste sur la vidéo de la SARS n’est pas crédible. Lorsque je le lui ai demandé, elle a confirmé son allégation selon laquelle l’IPL M avait abandonné sa SARS. La vidéo montre l’IPL M debout à son poste de SARS, les yeux rivés sur la détenue à travers une fenêtre et la main sur la poignée de la porte, prête à entrer dans la cellule en cas d’urgence. En présence de plusieurs autres IPL, l’IPL M s’éloigne ensuite de la porte de la cellule de la détenue 90 secondes après que la fonctionnaire se soit placée tout près derrière elle pour prendre le relais.
[297] La fonctionnaire s’avance ensuite immédiatement jusqu’à la porte et commence à surveiller la détenue. Il semble hautement improbable que l’IPL M ait abandonné son poste de SARS d’une manière aussi structurée et en présence de tant d’autres IPL, tandis que la fonctionnaire était dans une position exemplaire pour la relever à ce moment exact, comme l’ont expliqué M. Shea et la GC Perry.
[298] À la lumière de ces quelques exemples probants remarquables et importants, je rejette l’affirmation selon laquelle la décision de l’employeur de congédier la fonctionnaire était de mauvaise foi ou constituait un subterfuge, un camouflage et une mesure disciplinaire déguisée.
[299] Enfin, la fonctionnaire a allégué que la décision de l’employeur était entachée de préjugés raciaux. Elle a fait valoir qu’il l’avait traitée de façon différente et défavorable depuis son arrivée à l’EEF. Elle a fait remarquer qu’elle n’avait pas reçu de veste de sécurité et qu’elle n’avait donc pas pu suivre sa FCE dans le PCUC. Elle a déclaré qu’au cours de sa brève période de service, elle avait été soumise à bien plus de scénarios de formation spéciaux que n’importe quel autre IPL. Elle a évoqué une conversation qui, selon elle, se serait déroulée pendant un quart de nuit et au cours de laquelle Mme McQuaid aurait admis éprouver des sentiments négatifs à l’égard des hommes jamaïcains, après avoir eu une mauvaise expérience avec l’un d’entre eux.
[300] La fonctionnaire a déclaré que Mme McQuaid s’était montrée sarcastique et qu’elle lui avait dit qu’elle ne serait jamais directrice. Elle a ajouté qu’elle avait demandé à relever d’un superviseur autre que Mme McQuaid, mais que sa demande avait été ignorée. La fonctionnaire a formulé plusieurs allégations graves selon lesquelles l’employeur en général et Mme McQuaid en particulier nourrissaient des sentiments racistes à l’égard des personnes d’origine jamaïcaine.
[301] La fonctionnaire a tenté d’invoquer le rapport sur le climat qui, comme je l’ai déjà mentionné, n’a pas été admis en preuve et qui, je le souligne, n’a pas non plus été admis par la Commission dans la décision Kirlew. Je ne suis pas convaincu par l’allégation que Mme McQuaid a niée, à savoir qu’elle aurait exprimé des sentiments antijamaïcains en raison d’expériences antérieures n’ayant rien à voir avec la fonctionnaire.
[302] La fonctionnaire a également présenté un dossier bien documenté de jurisprudence où l’existence d’un préjugé racial avait été établie et a fait valoir qu’il devrait en être de même en l’espèce. J’ai lu toutes les décisions qu’elle a citées dans ses observations, et j’ai analysé comme suit celles qui étaient pertinentes en l’espèce.
[303] La fonctionnaire a d’abord fait référence à une décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, Bageya v. Daydem International, 2010 HRTO 1589, par. 59 à 64 et 101, dans laquelle il a été conclu qu’une gestionnaire qui avait licencié un homme noir africain nourrissait des préjugés raciaux en raison de sa crainte alimentée par le stéréotype racial voulant que les hommes noirs africains soient menaçants et dangereux. Le Tribunal a tiré cette conclusion après avoir, entre autres, entendu le témoignage présenté par la gestionnaire du fonctionnaire, laquelle avait admis qu’elle avait eu peur du fonctionnaire après qu’il eut manifesté son mécontentement parce qu’il lui avait été demandé de déplacer son bureau. Après avoir contre‑interrogé lui‑même la gestionnaire, le président de l’instance a relevé de légères variations dans la façon dont la gestionnaire s’efforçait d’expliquer et de justifier sa peur et s’est appuyé en partie sur la conclusion que son témoignage n’était pas crédible. L’affaire dont je suis saisi est différente, car rien ne me permet de conclure que les témoins de l’employeur ont manqué de crédibilité dans leur témoignage.
[304] La fonctionnaire a également mentionné ma décision dans l’affaire Grant c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 59, dans laquelle j’ai fait droit à une demande pour violation des droits de la personne fondée sur un préjugé racial. Dans cette affaire, le membre de la direction n’avait pas pu ou n’avait pas voulu expliquer le raisonnement qui sous‑tendait ses décisions de suspendre le fonctionnaire, qui se décrivait comme étant de grande taille et de race noire, de le faire escorter hors de l’établissement, de placer une photo du fonctionnaire au bureau de sécurité de l’entrée principale à la vue des autres membres du personnel et de dire à ceux‑ci que le fonctionnaire n’avait plus le droit d’être sur la propriété. Étant donné l’absence, non seulement d’un motif non discriminatoire raisonnable et valable, mais de toute justification de ses décisions, j’ai conclu qu’il fallait en déduire l’existence de préjugés raciaux fondés sur le même stéréotype préjudiciable que celui relevé dans la décision Bageya, à savoir que les hommes noirs sont violents et dangereux.
[305] Il est important de souligner que dans l’affaire Grant, il ne s’agissait pas d’un renvoi en cours de stage, mais plutôt d’un licenciement pour des raisons non disciplinaires et d’une violation de la clause de non‑discrimination contenue dans la convention collective applicable. Dans l’affaire Grant, j’ai conclu à l’existence d’une preuve accablante que la décision de l’employeur, à savoir que le rendement du fonctionnaire était inférieur à la norme, était raisonnable.
[306] Toutefois, en ce qui concerne le second grief portant sur la clause de non‑discrimination, j’ai conclu que la façon dont le plaignant avait été traité après sa suspension était entachée de préjugés raciaux. L’affaire dont je suis saisi aujourd’hui ne porte que sur le renvoi en cours de stage et ne comprend pas de deuxième grief fondé sur la violation d’une clause de non‑discrimination, ce qui aurait obligé la fonctionnaire en l’espèce à se faire représenter par son agent négociateur, qui s’est retiré plus tôt dans le processus.
[307] Je fais également une distinction entre l’affaire Grant et la présente affaire, car l’employeur en l’espèce a présenté des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire et des mesures qu’il a prises pour qu’elle quitte l’enceinte de l’EEF.
[308] Dans ses observations, la fonctionnaire a beaucoup insisté sur les préjugés raciaux qui auraient entaché la façon dont elle aurait été traitée à sa sortie de l’EEF et lorsqu’elle s’est attardée à l’extérieur de l’établissement dans la zone des fumeurs. Elle a expliqué qu’elle s’était sentie humiliée devant de nombreux autres membres du personnel, qui avaient été retenus à la porte pendant qu’elle sortait, puis qu’elle avait été maltraitée par Mme McQuaid dans la zone des fumeurs.
[309] L’employeur a répondu à ces observations et a rappelé les témoignages de M. Shea, de Mme McQuaid et de Mme Vollrath, qui ont tous déclaré que des efforts avaient été déployés pour prévoir un moment très discret et peu occupé avant le changement d’équipe pour annoncer la mauvaise nouvelle à la fonctionnaire et lui demander de quitter l’établissement. Ils ont raconté que la fonctionnaire avait fait une scène en refusant de suivre les directives et en retardant l’ensemble du processus. L’employeur a fait remarquer qu’en contre‑interrogatoire, la fonctionnaire avait retiré son témoignage voulant que Mme McQuaid ait crié contre elle durant leur interaction dans la zone des fumeurs.
[310] La fonctionnaire a également rappelé le témoignage de Mme McQuaid, laquelle avait admis qu’elle avait peur de la fonctionnaire et qu’elle craignait que celle‑ci soit tellement bouleversée qu’elle pourrait la suivre chez elle et, implicitement, s’en prendre à elle. La fonctionnaire a expliqué que la suggestion qu’elle pourrait être capable de faire du mal à une autre personne l’avait profondément bouleversée.
[311] Enfin, la fonctionnaire a fait valoir que la négligence de l’employeur, qui a mis plus de six ans à répondre à sa demande d’AIPRP et sept ans à lui verser son paiement en guise de préavis, témoignait d’un manque de respect motivé par le racisme et du traitement préjudiciable dont elle avait été victime pendant toute la durée de son emploi à l’EEF.
[312] La preuve a confirmé que le 29 octobre 2015, la fonctionnaire a écrit une lettre dans laquelle elle demandait l’ensemble des messages échangés à son sujet par une longue liste de membres du personnel, ainsi que toute vidéo relative à son plan d’action et à l’évaluation de ce dernier. Elle a également écrit le 15 décembre 2015 pour demander tout document ou fichier (audiovisuel et écrit) créé à son sujet par une longue liste de personnes. Plus tard, le 31 octobre 2018, la fonctionnaire a de nouveau demandé une liste de fichiers vidéo enregistrés à sept dates précises au cours de son emploi au SCC, y compris la vidéo de la zone des fumeurs captée lors de son dernier jour à l’EEF, soit le 29 septembre 2015.
[313] Après avoir exprimé son mécontentement devant le défaut de l’employeur de lui remettre la vidéo de la zone des fumeurs, la fonctionnaire a présenté une demande d’ordonnance de production de la vidéo au cours des préparatifs préalables à l’audience.
[314] L’employeur a répondu qu’il était surchargé de demandes d’AIPRP et que son défaut de verser l’indemnité de départ pendant sept ans était sans doute dû aux nombreux problèmes rencontrés à l’époque par le système de paye centralisé de la fonction publique.
[315] L’employeur a fait remarquer que, dans une affaire semblable concernant le SCC, la Commission avait précédemment conclu que le fait de ne pas avoir versé l’indemnité de départ à un employé renvoyé en cours de stage n’entachait pas l’exercice, par ailleurs valable, du pouvoir discrétionnaire de l’employeur (voir la décision Kagimbi) :
[…]
76 Mme Kagimbi n’est pas d’accord avec la preuve soumise par l’employeur quant à ses lacunes au travail. Elle croit qu’elle a agi correctement lors des incidents impliquant les détenus RC et CO. Elle admet avoir perdu la clé des menottes et avoir demandé de répéter à un interlocuteur sur les ondes radio. Elle prétend cependant que de tels incidents arrivent à d’autres à l’occasion. Elle nie l’incident de la barrière et celui de l’alarme portative. Même en écartant les incidents niés par Mme Kagimbi, l’employeur s’est quand même acquitté de son fardeau de preuve. Ma tâche n’est pas de déterminer avec précision si Mme Kagimbi a agi correctement dans les différentes situations qui m’ont été présentées. Le fardeau de l'employeur est de me prouver que Mme Kagimbi était en stage et qu'il était insatisfait de ses capacités à occuper le poste d’agent correctionnel. Il s’est acquitté de ce fardeau.
77 Mme Kagimbi m’a renvoyé à Wallace où la Cour suprême du Canada rappelle que la perte d’un emploi est toujours un événement traumatisant pour un employé et que les employeurs doivent alors « assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement ». Cette mention doit être placée dans son contexte car la Cour examinait alors le processus ou la façon de congédier un employé. Quoiqu’il en soit, dans le cas d’un renvoi en cours stage, l’employeur doit être de bonne foi dans sa prise de décision de mettre fin à l’emploi en cours de stage. Il ne peut utiliser le renvoi en cours de stage pour camoufler une autre forme de renvoi. Cependant, cela ne veut pas dire que l’employeur est tenu d’être transparent avec l’employé au cours de son stage et de l’informer de ses lacunes au travail afin de lui donner la chance de se corriger. Le gros bon sens et les bonnes pratiques de gestion le voudraient mais le droit ne l’exige pas.
78 Mme Kagimbi a soulevé les erreurs de l’employeur dans la gestion du préavis de la fin de la période de stage. Tout d’abord, l’employeur n’a fait aucune mention du préavis dans la lettre de renvoi et il a renvoyé Mme Kagimbi sur le champ le 17 septembre 2007. Puis, il lui a payé deux semaines de salaire en guise de préavis six mois après l’avoir renvoyée. Enfin, lors de l’audience soit plus de cinq ans après le renvoi, l’employeur admet qu’il aurait dû lui payer un mois de salaire en guise de préavis. Il ne fait de doute que Mme Kagimbi a droit à un mois de salaire en guise de préavis et que l’employeur doit lui payer ces sommes. L’employeur a d’ailleurs admis son erreur lors de l’audience et s’est engagé à payer à Mme Kagimbi ce qu’il lui doit.
79 Cette erreur de l’employeur n’invalide pas pour autant le renvoi en cours de stage. Le paragraphe 62(1) de la LEFP prévoit que l’employeur peut mettre fin au stage au terme du délai et que l’employé perd sa qualité de fonctionnaire au terme du délai. Le paragraphe 62(2) de la LEFP prévoit que l’employeur peut aussi verser une indemnité monétaire équivalente à la valeur du préavis. Il est clair que l’employeur n’a pas respecté la LEFP mais ce manquement ne donne pas d’autre droit substantif que d’obtenir le paiement du préavis tel qu'il aurait dû être fait au départ. Le paiement du préavis n’a rien à voir avec la justesse de la décision de renvoi et, s’il n’est pas correctement payé, cela n’entraîne pas l’annulation du renvoi. Le préavis fournit plutôt à l’employé une période de temps pour l’aider à s’ajuster à sa nouvelle situation et le soutenir financièrement. S’il y a eu des délais ou des erreurs dans le paiement du préavis, l’obligation de l’employeur se limite à corriger pleinement et adéquatement ces erreurs.
[…]
[316] Pour les mêmes raisons que dans la décision Kagimbi, je refuse de voir dans le fait que l’employeur n’a pas traité la demande d’AIPRP de la fonctionnaire et son paiement en guise de préavis une preuve de sa mauvaise foi ou de ses préjugés raciaux.
[317] La fonctionnaire m’a demandé de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité des témoins de l’employeur relativement aux interactions dans la zone des fumeurs, étant donné le défaut de l’employeur de produire les fichiers vidéo demandés à cet égard.
[318] Je refuse de le faire. Je formulerai plus loin des commentaires détaillés sur la pratique bien établie de l’employeur consistant à conserver les éléments de preuve vidéo inculpatoires sur les incidents, mais pas nécessairement tous les éléments de preuve vidéo vraisemblablement pertinents qui pourraient éventuellement constituer des éléments de preuve disculpatoires pour un fonctionnaire.
[319] Toutefois, j’estime que les divergences alléguées qui auraient pu être résolues grâce à ces éléments de preuve vidéo n’ont pas une grande valeur probante aux fins du règlement de la présente affaire. La question est celle de savoir si Mme McQuaid a agité ses mains en l’air, ce qu’elle a nié avoir fait et qui est corroboré par le témoignage de Mme Vollrath.
[320] La fonctionnaire a également fait valoir que les préjugés raciaux de l’employeur étaient évidents dans la présumée menace de Mme McQuaid d’appeler la GRC pour la faire expulser de la propriété et dans la peur que Mme McQuaid a dit avoir éprouvée du fait des émotions exacerbées de la fonctionnaire et de la colère véhémente dont elle était la cible. Mme McQuaid a déclaré qu’elle avait peur de la fonctionnaire.
[321] À l’instar de la Commission dans la décision Kirlew, j’estime que, même si j’admettais que la peur avouée de Mme McQuaid à l’égard de la fonctionnaire était motivée consciemment ou inconsciemment par des préjugés raciaux, la preuve accablante montre que ceux-ci n’ont joué aucun rôle dans la décision de l’employeur de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage.
[322] Par conséquent, le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, n’est pas respecté, car le traitement différent réservé à la fonctionnaire doit être lié d’une manière ou d’une autre à sa race et à son origine ethnique.
[323] Qui plus est, j’estime que, même si j’avais accepté toutes les allégations de la fonctionnaire et reconnu l’existence d’un lien avec sa race, de façon à établir une preuve prima facie de discrimination, l’employeur a quand même présenté des éléments de preuve qui démontrent de façon convaincante qu’il a mis fin au stage en raison des lacunes importantes et généralisées dans le rendement de la fonctionnaire et que sa décision, fondée sur le rendement insatisfaisant, n’était aucunement liée à la discrimination.
[324] J’arrive à ces conclusions pour les mêmes motifs que ceux reproduits ci‑après, qui sont tirés de la décision Kirlew :
[…]
[99] Il se peut que des choses désagréables soient survenues dans le milieu de travail, mais elles ne constituaient pas une discrimination en tant que facteur du licenciement. Les lacunes qui avaient été relevées étaient réelles, et elles n’étaient pas liées à la discrimination. Aucune preuve prima facie n’a été établie, comme l’exige la jurisprudence (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 (« O’Malley ») et Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204).
[100] Même si les allégations du fonctionnaire évoquant un comportement importun de la part de certains agents étaient vraies, ces comportements n’ont pas joué un rôle déterminant dans les évaluations dont il a fait l’objet, ni dans la décision de la direction de le congédier. Il a prétendu qu’il avait été traité différemment. D’après la preuve présentée dans les rapports, il semble que cela ait été attribuable au fait qu’il ne fonctionnait pas au niveau attendu. C’est la raison pour laquelle la FCE avait été prolongée.
[101] La version des événements qu’a présentée le fonctionnaire a soulevé certains problèmes de crédibilité. […]
[…]
[325] Comme dans l’affaire Kirlew, et plus particulièrement en ce qui concerne l’aveu de Mme McQuaid selon lequel elle a eu peur lors du départ agité et prolongé de la fonctionnaire de l’établissement et, plus tard, de la zone des fumeurs, j’estime que la preuve montre sans équivoque que cette peur n’a joué aucun rôle dans la décision de l’employeur de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage.
[326] Contrairement aux conclusions que j’ai tirées dans la décision Grant, je ne peux pas conclure, à la lumière de la preuve dont je dispose, que la race de la fonctionnaire a joué un quelconque rôle dans la façon dont elle a été traitée par le SCC et dans les circonstances entourant son départ de l’EEF après qu’elle eut été informée de sa suspension et de son renvoi en cours de stage.
[327] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la Commission n’a pas compétence pour examiner le grief, et la requête de l’employeur en rejet de l’affaire est accueillie.
V. La préservation, la divulgation et la production d’éléments de preuve
[328] Des heures ont été consacrées à la gestion du dossier, puis à l’audience, pour examiner ce qui, selon la fonctionnaire, constituait des actions de l’employeur visant à lui refuser l’accès à des éléments de preuve pertinents et à détruire ceux‑ci. La fonctionnaire a fait valoir que certains des fichiers vidéo sur lesquels l’employeur s’appuyait n’avaient pas été produits en réponse à ses demandes d’AIPRP, mais étaient apparus juste avant le début de la première journée d’audience de la Commission.
[329] Comme je l’ai déjà mentionné, la preuve a établi que la fonctionnaire avait demandé des renseignements au moyen d’une demande d’AIPRP. Après avoir pris connaissance de l’allégation ci‑dessus, l’avocat de l’employeur a fait remarquer à juste titre que la fonctionnaire n’avait pas demandé la vidéo de l’entrée principale et de la zone des fumeurs dans sa demande initiale d’AIPRP présentée en décembre 2015. Elle a demandé ces vidéos beaucoup plus tard, en janvier 2024.
[330] Toutefois, le problème ne réside pas dans la question de savoir si la fonctionnaire a correctement formulé sa demande. L’employeur aurait vraisemblablement répondu que les fichiers vidéo n’étaient plus en sa possession, étant donné que, comme il l’a expliqué dans des affaires antérieures soumises à la Commission, ces fichiers ne sont gardés en mémoire que pour une période de 30 jours avant d’être effacés.
[331] Il s’agit d’une pratique inacceptable et injuste que de rapidement copier et conserver les fichiers vidéo contenant des éléments de preuve inculpatoires et incriminants que l’employeur peut ensuite utiliser pour se défendre lors d’une audience de la Commission, mais de ne pas conserver et de détruire les fichiers vidéo qui pourraient contenir des éléments de preuve disculpatoires susceptibles d’aider un fonctionnaire. Comme l’a expliqué l’employeur, les fichiers vidéo ne sont stockés que pendant quelques semaines et sont ensuite automatiquement effacés à mesure que la mémoire de l’ordinateur destinée aux fichiers vidéo est épuisée.
[332] La présente formation de la Commission a déjà déclaré l’employeur coupable d’obstruction à l’administration de la justice dans la décision Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 95, au par. 10.
[333] Je suis d’avis que son défaut de préserver des éléments de preuve vraisemblablement pertinents soulève la même préoccupation.
[334] Le SCC devrait mettre en œuvre des politiques visant à préserver, une fois qu’un grief est déposé, non seulement les éléments de preuve, y compris les fichiers vidéo, qu’il considère comme inculpatoires, mais aussi tous les autres fichiers connexes et éléments de preuve sur vidéo qui sont vraisemblablement pertinents et qui pourraient être utiles à un fonctionnaire dans la présentation de sa preuve devant la Commission.
[335] Le SCC doit prendre note du fait que son manquement continu à préserver les éléments de preuve vraisemblablement pertinents, y compris les fichiers vidéo qui pourraient éventuellement aider la Commission à rendre des décisions justes et équitables fondées sur l’examen de tous les éléments de preuve pertinents, pourrait mener à une autre conclusion selon laquelle il a fait obstruction à l’administration de la justice devant la Commission.
VI. Ordonnance de mise sous scellés
[336] L’employeur a demandé la mise sous scellés de deux pièces contenant des plans détaillés du site de l’EEF et des pièces vidéo révélant clairement l’identité de plusieurs détenues. La fonctionnaire ne s’est pas opposée à cette demande.
[337] À l’instar de la Commission dans la décision Sahadeo c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2024 FPSLREB 12, au par. 12, je conclus que la protection de l’identité des détenues est un intérêt public important, puisque ces détenues sont des tiers, sans intérêt direct dans les griefs. La mise sous scellés des vidéos est nécessaire pour protéger leur identité, et il n’existe pas d’autres mesures raisonnables pour prévenir le risque.
[338] J’estime que de placer à l’abri du regard du public les plans de l’EEF et d’autres renseignements concernant l’établissement est une question importante de sécurité publique. Il n’existe aucune autre mesure raisonnable permettant d’écarter le risque qu’un accès à ces renseignements poserait pour la sécurité publique. Je conclus que les avantages de la protection de l’aménagement et des détails de l’EEF l’emportent sur les effets négatifs de l’ordonnance de mise sous scellés (Sahadeo, paragraphe 13).
[339] Conformément à la décision Sahadeo rendue par la Commission et à la position récemment adoptée à l’égard de telles ordonnances dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, par. 38, je conclus qu’il y a lieu d’accorder l’ordonnance de mise sous scellés demandée par l’employeur.
[340] Pour les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[341] Le grief est rejeté.
[342] Les pièces V-1, V-2, E-2 et E-3 sont mises sous scellés.
Le 18 novembre 2024.
Traduction de la CRTESPF.
Bryan R. Gray,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi dans le
secteur public fédéral