Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante était une employée de longue date de l’intimé – elle faisait partie d’un groupe qui s’est plaint du comportement du nouveau directeur général auprès du sous-ministre – elle a également déposé une plainte de harcèlement contre le directeur général et a demandé qu’elle soit mise en suspens parce qu’elle devait assister à une entrevue – sa plainte de harcèlement a été communiquée au directeur général avant son entrevue – le comité de sélection était composé d’employés qui relevaient du directeur général – la plaignante a échoué à deux questions d’entrevue et a été éliminée du processus de nomination – elle a déposé une plainte en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13), alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite – la Commission a conclu que les trois membres du comité de sélection étaient au courant des allégations de harcèlement de la plaignante à l’endroit du directeur général – le directeur général a souvent utilisé l’expression « se débarrasser de la vieille garde » et apporter du « sang neuf » dans un contexte public – la Commission a déduit que la plaignante faisait partie de ce que le directeur général a appelé la « vieille garde » – la preuve a révélé que, lors de réunions, le directeur général avait publiquement déprécié la plaignante – la Commission a conclu que chaque membre du comité de sélection était au courant de la dure histoire entre la plaignante et le directeur général – la Commission a conclu que l’intimé avait le devoir de mener une évaluation qui ne suscitait pas une crainte raisonnable de partialité – la plainte a été déposée dans le contexte d’un milieu de travail régi par la peur – la Commission a conclu qu’aucun des membres du comité de sélection n’aurait pu être considéré comme vraiment objectif dans ce milieu en raison de la conduite du directeur général – la Commission a considéré dans son ensemble l’accumulation d’actions impliquant la plaignante et a conclu qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité dans son évaluation – la Commission a fait des recommandations et a émis une déclaration d’abus de pouvoir.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20241128

Dossier: 771-02-39145

 

Référence: 2024 CRTESPF 165

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Kathy Bolton

plaignante

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Justice)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Bolton c. Administrateur général (ministère de la Justice)

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même et St. Clair Currie

Pour l’intimé : Mathieu Cloutier, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Alain Jutras

Affaire entendue par vidéoconférence,
les 26 et 27 juillet 2022
.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Kathy Bolton (la « plaignante ») a vu sa candidature éliminée d’un processus de nomination interne annoncé (portant le numéro 2018-JUS-IA-111504; le « processus de nomination ») visant à pourvoir deux postes IS-06 (chacun intitulé « gestionnaire, Communications ») au ministère de la Justice (« MJ ») et à créer un bassin de candidats qualifiés afin de doter des postes similaires au MJ et ailleurs. Le 24 septembre 2018, elle a porté plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en invoquant l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; « LEFP »), au motif que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite au cours du processus de nomination.

[2] La plaignante a déclaré qu’elle avait eu une carrière fructueuse au sein de la Direction des communications du MJ (la « Direction »), mais qu’elle avait eu l’impression que cette carrière avait été freinée par une nouvelle directrice générale qui faisait savoir très clairement qui elle aimait et qui elle n’aimait pas, qui rabaissait publiquement la plaignante et d’autres employés durant les réunions et qui parlait ouvertement de remplacer la « vieille garde » par du « sang neuf ». Avec un groupe de collègues, la plaignante a porté plainte (la « plainte collective ») à la sous-ministre, qui a convoqué une réunion de l’ensemble de la Direction, mais rien n’a changé. La plaignante a présenté sa candidature pour un poste IS-06 en espérant se qualifier pour faire partie du bassin et trouver un poste de gestionnaire ailleurs.

[3] Inquiète pour ses collègues, elle souhaitait laisser une trace de ce qu’elle considérait comme des abus non documentés, mais elle a été informée par la Direction générale du milieu de travail du MJ que le seul moyen de consigner ces abus consistait à déposer une plainte officielle de harcèlement personnel contre la directrice générale. C’est donc ce qu’elle a fait, en demandant que la plainte soit mise en suspens jusqu’à la fin du processus de nomination. Sans qu’elle en soit avisée, sa plainte a été transmise à la directrice générale, une semaine avant son entrevue.

[4] La plaignante a qualifié d’abus de pouvoir la nomination au comité de sélection des personnes qu’elle a décrites comme [traduction] « les plus proches conseillers » de la directrice générale pour mener un processus de nomination dans un milieu de travail où les opinions et les préférences de la directrice générale étaient bien connues et où le comité de sélection était au courant du rôle que la plaignante a joué dans la plainte collective ainsi que de sa plainte personnelle pour harcèlement. Le processus de nomination était donc entaché d’une crainte raisonnable de partialité.

[5] Le comité de sélection était constitué de Charles Stanfield, directeur des communications numériques et ministérielles, Michel Champagne, directeur des communications électroniques, et Kirstan Gagnon, directrice générale adjointe. MM. Stanfield et Champagne ont affirmé dans leurs témoignages que le comité de sélection a mené un processus équitable et neutre, que la directrice générale n’y a pas été impliquée et n’y a exercé absolument aucune influence, en précisant que la plaignante avait simplement fourni des réponses inadéquates à deux questions de l’entrevue.

[6] Il a été établi selon la prépondérance de la preuve que chaque membre du comité de sélection était au fait, au moins en partie, de la conduite méprisante de la directrice générale envers la plaignante ou des prétendus problèmes de harcèlement. Le processus de nomination suscitait une crainte raisonnable de partialité et, pour les motifs exposés ci-dessous, la plainte sera accueillie.

II. Résumé des témoignages

A. Chantal Macdonald

[7] Mme Macdonald était conseillère principale en communications et cheffe d’équipe à la Direction des communications du MJ. Elle a témoigné après avoir reçu une citation à comparaître.

[8] Mme Macdonald a décrit des réunions informelles qui se tenaient dans le corridor chaque matin, où les gestionnaires et certains employés faisaient le point rapidement sur l’état des dossiers en cours et les priorités de la journée. Ces réunions informelles se déroulaient devant les bureaux de la directrice générale et de M. Stanfield. La directrice générale posait des questions pour s’enquérir de l’avancement de différents dossiers.

[9] Selon Mme Macdonald, au cours de ces réunions, la directrice générale se montrait souvent extrêmement méprisante envers certains employés, dont la plaignante. Par exemple, si la directrice générale interrogeait la plaignante sur l’état d’un dossier, ses questions étaient très insidieuses, du genre : [traduction] « Pourquoi est-ce que ça n’a pas été fait, Kathy? Comprends-tu, Kathy? » Elle martelait fréquemment chaque question en répétant le nom de la plaignante et en employant un ton dénigrant.

[10] En revanche, d’autres employés étaient abordés de manière respectueuse et amicale. Il arrivait parfois, si la plaignante n’était pas en mesure de répondre immédiatement à une question sur un dossier, que la directrice générale lui dise avec mépris : [traduction] « Pourquoi est-ce que tu ne connais pas la réponse, Kathy? ». Par contre, lorsqu’un des employés qu’elle favorisait n’avait pas de réponse à offrir, le ton et le langage corporel de la directrice générale changeaient complètement. Elle souriait et disait : [traduction] « Ok, eh bien, est-ce que tu peux me trouver la réponse? […] Merci! » Mme Macdonald a constaté qu’en général, les jeunes hommes étaient favorisés et que ce genre de communication leur était réservé. Elle trouvait les réunions informelles très inconfortables et pénibles en raison de ce comportement. Elle a précisé que M. Stanfield y était régulièrement présent.

[11] Mme Macdonald a déclaré que la directrice générale parlait souvent de M. Stanfield comme étant son « arrangeur » (« fixer » en anglais), dans le sens où, selon sa compréhension, il était chargé de trouver une solution à tout pour la directrice générale; par exemple, s’occuper des dossiers problématiques ou des employés qu’elle n’aimait pas. Mme Macdonald estimait que M. Stanfield était capable de traiter les gens de manière respectueuse, et la directrice générale se connaissait assez bien pour savoir qu’elle n’avait pas les mêmes aptitudes, de sorte qu’elle lui demandait à lui de régler les problèmes.

[12] Mme Macdonald ne s’est pas jointe au groupe qui s’est plaint à la sous-ministre de la conduite de la directrice générale, car elle était en vacances à ce moment-là, mais elle était au courant de la démarche imminente. Elle avait compris que le groupe portait plainte pour du harcèlement, le manque d’équité dans des processus de nomination, les traitements de faveur accordés à certains employés, le milieu de travail toxique et le sentiment général que la directrice générale régnait par la peur.

[13] Mme Macdonald a décrit l’effet profond qu’a eu sur elle l’atmosphère engendrée par la directrice générale. Elle n’était plus heureuse dans son travail et s’efforçait simplement de finir ses journées. Elle se répétait des mots d’encouragement pour se convaincre d’aller travailler chaque matin. Au début, elle y passait 5 minutes, puis 10, et finalement une demi-heure, jusqu’à ce qu’elle soit un jour prise de panique lorsqu’elle a tenté de se forcer à entrer dans l’édifice.

[14] Elle est alors allée voir son directeur, M. Stanfield, et lui a demandé d’être affectée aux ressources humaines (« RH »). Il lui a fait savoir qu’on avait besoin d’elle à la Direction, vu qu’elle était cheffe d’équipe. Elle lui a répondu qu’elle ne pouvait pas continuer à travailler dans les mêmes conditions et que, si elle ne pouvait pas être affectée ailleurs, elle serait obligée de démissionner ou de prendre un congé de maladie prolongé. Il lui a demandé un temps de réflexion et lui a annoncé plus tard qu’il avait trouvé une solution avec la directrice générale. Elle pouvait s’en aller aux RH, mais elle devait continuer d’assister à toutes les réunions et à tous les événements de la Direction des communications.

[15] Pendant qu’elle était en affectation aux RH, Mme Macdonald a manqué un événement de la Direction des communications. La directrice des RH a alors reçu un appel lui rappelant que Mme Macdonald devait être présente à toutes les réunions et à tous les événements de la Direction des communications. Mme Macdonald a indiqué que la vue de la directrice générale provoquait trop d’anxiété chez et qu’elle ne pouvait pas participer aux réunions. La directrice des RH l’a informée qu’elle pouvait cesser d’y aller. Si elle n’avait pas libérée de cette obligation, Mme Macdonald se serait déclarée malade pour les réunions, car elle n’était tout simplement pas capable d’y participer.

[16] Cependant, consciente qu’elle pouvait toujours être retirée de son affectation, elle a commencé à chercher un poste ailleurs, afin de s’assurer qu’elle n’aurait jamais à revenir à la Direction des communications. En juin 2019, elle a officiellement quitté cette direction après y avoir passé dix ans.

[17] En contre-interrogatoire, Mme Macdonald a déclaré qu’elle ne savait pas que la plaignante avait déposé une plainte officielle de harcèlement et qu’elle n’était pas au courant de la tenue d’une enquête sur le harcèlement. Elle a confirmé qu’elle n’était pas une amie de la plaignante, seulement une ancienne collègue. Elle a réitéré aussi qu’elle ne savait rien du processus de nomination en cause et qu’elle ne pouvait parler que de l’environnement de travail.

B. Cindy Reiter

[18] Mme Reiter était rédactrice principale de discours et travaillait à la Direction des communications depuis 27 ans. Elle a témoigné après avoir reçu une citation à comparaître.

[19] Mme Reiter a déclaré qu’elle assistait parfois aux réunions informelles du matin, généralement lorsqu’elle remplaçait son superviseur, mais qu’elle avait cessé d’y aller parce qu’elle les trouvait trop pénibles. Elle a raconté que, lors de ces réunions, la directrice générale ciblait très souvent certaines personnes, les insultait, leur coupait la parole ou les ignorait tout simplement, sans répondre à leurs questions ou à leurs commentaires. Elle faisait très clairement sentir qu’elle n’aimait pas certaines personnes. Selon Mme Reiter, les trois employés qui en ont le plus souffert étaient Marlene Spatuk, M. Champagne et la plaignante, tous trois souvent visés par la directrice générale.

[20] Mme Reiter a précisé que, à son avis, le processus de dotation était manipulé et les règles n’étaient pas respectées. De façon générale, elle a constaté que les membres de la [traduction] « vieille garde » (expression utilisée par la directrice générale), qui étaient principalement des femmes et quelques hommes plus âgés, étaient retirés de leur poste par différents moyens ou se voyaient enlever des tâches. Ces personnes étaient ensuite été progressivement remplacées par du [traduction] « sang neuf » – des employés plus jeunes et moins expérimentés.

[21] C’était le cas de Mme Spatuk, qui avait mentionné à M. Stanfield son souhait de poser sa candidature à un poste. Comme M. Stanfield lui a conseillé d’acquérir d’abord de l’expérience dans d’autres domaines, elle a accepté une affectation de quatre mois moins un jour, et un employé a été muté d’un autre service pour occuper temporairement son poste à elle. Peu de temps après, Mme Spatuk a annoncé à Mme Reiter qu’il n’était pas certain qu’elle puisse reprendre son poste. Mme Reiter a ensuite appris de son supérieur que le nouvel employé avait été affecté de manière permanente au poste de Mme Spatuk. En fin de compte, Mme Spatuk a pris sa retraite.

[22] Un autre exemple est celui de M. Champagne, qui avait été remplacé dans son rôle de gestionnaire par un employé 20 ans plus jeune et beaucoup moins expérimenté. M. Champagne avait été muté à un rôle de « conseiller spécial » en RH, ce qui avait troublé tout le monde. Selon elle, M. Champagne exerçait désormais des fonctions peu importantes tandis que son jeune remplaçant effectuait du travail de gestion.

[23] Mme Reiter a expliqué que le remplacement progressif des employés plus âgés se faisait parfois par la création de « postes sosies », c’est-à-dire qu’un deuxième poste semblable en tous points au premier était créé, de sorte qu’il y avait alors deux personnes au même niveau, jusqu’au départ du titulaire initial. À ce moment-là, le premier poste était éliminé et l’employé le plus jeune restait simplement en place. Mme Reiter a déclaré qu’en 27 ans de carrière à la Direction, elle n’avait jamais été témoin ni consciente d’une telle pratique.

[24] Elle a expliqué par ailleurs que certains employés avaient tout bonnement cessé de postuler, étant convaincus qu’ils seraient écartés parce qu’ils savaient que la haute direction ne les aimait pas. Elle a rencontré un représentant syndical pour lui faire part de l’atmosphère qui régnait au travail et de ce qu’elle considérait comme de nombreuses irrégularités en matière de dotation. Elle a fourni au syndicat des informations sur sept processus de nomination dans lesquels elle estimait que les règles n’avaient pas été respectées. Elle a demandé au syndicat d’en prendre connaissance et a donné suite à cette demande par courrier électronique.

[25] Mme Reiter a affirmé qu’elle avait été en mesure, la plupart du temps, d’éviter les mauvais traitements de la directrice générale, mais qu’elle était constamment stressée de voir d’autres personnes en être victimes ou d’en entendre parler lorsque des employés venaient pleurer dans son bureau. Le taux d’absentéisme et les niveaux de stress à la Direction étaient très élevés. Elle a affirmé ne plus pouvoir supporter l’atmosphère de travail.

[26] Mme Reiter a expliqué que certains employés voulaient se plaindre à la sous-ministre et qu’elle avait accepté d’accompagner un groupe de huit personnes à la Direction générale du milieu de travail. Les représentants de la Direction générale se sont montrés compréhensifs et ont affirmé qu’ils parleraient à la sous-ministre. En conséquence, la sous-ministre a convoqué une réunion de l’ensemble de la Direction des communications, à laquelle elle a assisté avec la directrice générale, qui s’est excusée auprès de tous les employés. Toutefois, ces excuses n’ont pas été bien accueillies au sein de la Direction. Mme Reiter a compris que la directrice générale, après la réunion, devait être accompagnée par la Direction générale du milieu de travail pour améliorer sa façon de traiter le personnel; malgré tout, il n’y a pas eu d’amélioration. Par exemple, à un moment donné, la directrice générale a apporté une boîte de beignes, en a offert un à une employée, puis a crié contre elle.

[27] Le poste qu’occupait Mme Reiter au sein de la Direction des communications était le travail de ses rêves, et elle souhaitait vivement y rester. Cependant, l’atmosphère de travail l’a vraiment affectée, tout comme les graves pénuries de personnel créées par le départ de nombreux employés. Finalement, elle a dû partir elle aussi.

[28] Seules trois questions ont été posées à Mme Reiter en contre-interrogatoire, et elles lui ont permis de confirmer qu’elle n’avait pas fait partie du comité de sélection pour les processus de nomination qu’elle a remis en question, qu’elle n’avait pas participé à la prise de décision et qu’elle ne pouvait pas décrire le raisonnement sous-tendant ces processus.

C. La plaignante

[29] La plaignante a été engagée en 2009 en tant que conseillère principale en communications. Elle a été responsable de plusieurs dossiers importants et très médiatisés, tels que la légalisation du cannabis, l’aide médicale à mourir et plusieurs questions de sécurité nationale. Elle a exercé les fonctions de gestionnaire IS-06 par intérim pendant quatre mois, au cours desquels son poste d’attache n’a pas été pourvu, ce qui l’a obligée à faire entre 60 et 80 heures supplémentaires par mois, puisqu’elle cumulait les deux emplois.

[30] Tout au long de sa carrière, elle a toujours entretenu d’excellentes relations avec ses collègues et ses supérieurs. Ses évaluations ont toujours indiqué que son rendement correspondait aux attentes ou les dépassait, et elle a toujours pensé qu’elle faisait du très bon travail. Elle a reçu plusieurs prix, dont le prix d’excellence de la sous-ministre. Son ancien gestionnaire a recommandé sa candidature pour une formation en gestion en lui disant qu’elle était en bonne voie d’être nommée à un poste de direction. À ce moment-là, elle était la seule employée de la Direction à être envoyée pour suivre une formation de gestionnaire.

[31] Elle a déclaré qu’après l’arrivée de la nouvelle directrice générale, la Direction a basculé d’un effectif de gestionnaires constitué de six femmes et deux hommes à un effectif de six hommes et deux femmes. Les femmes plus âgées et certains hommes plus âgés étaient délibérément remplacés par des employés plus jeunes de plusieurs façons. Au moins une poignée de femmes qui ont quitté la Direction lui ont précisé qu’elles ne pouvaient pas rester parce que la directrice générale agissait en tyran.

[32] La plaignante évitait autant que possible la directrice générale, mais ne cessait d’être quand même rabaissée, ignorée et humiliée par elle, souvent lors des réunions informelles et devant ses collègues et les gestionnaires. La directrice générale a souvent exprimé sa volonté de [traduction] « se débarrasser de la vieille garde » et, d’après ses actions, c’est exactement ce qu’elle semblait faire. Cette situation était extrêmement troublante pour tout le monde. De nombreuses injustices ont été commises au sein de la Direction. Huit personnes sont parties en congé de maladie de longue durée. Comme la plaignante était championne de la santé mentale en milieu de travail, elle a vu de nombreuses personnes pleurer dans son bureau à cause de la situation.

[33] À la fin de 2016 et au début de 2017, elle a demandé conseil à la Direction générale du milieu de travail, qui fait partie des RH, sur la façon de déposer une plainte concernant l’environnement de travail. Elle a alors appris que, si 10 % des employés se manifestaient, la Direction générale du milieu de travail pourrait intervenir. Au printemps de 2018, la plaignante et un groupe d’employés ont rencontré les représentants de la Direction générale du milieu de travail et ont demandé que ces questions soient soulevées auprès de la sous-ministre; cette dernière a convoqué une réunion pour que la directrice générale présente ses excuses à l’ensemble des employés de la Direction des communications.

[34] La directrice générale a alors expliqué que certaines personnes n’étaient pas satisfaites des changements qu’elle apportait. Elle a déclaré qu’elle était désolée de ne pas pouvoir être plus transparente sur les changements visant la dotation, mais que c’était en raison de l’état du financement souvent incertain. Il ne s’agissait pas de véritables excuses. La sous-ministre a mis son bras autour des épaules de la directrice générale en indiquant qu’elles avaient eu une franche conversation, puis elle a réitéré son appui envers la directrice générale. La plaignante a souligné que la sous-ministre n’avait pas eu d’entretien à cœur ouvert avec des membres du personnel, seulement avec la directrice générale.

[35] La situation qui persistait était tellement perturbante pour l’ensemble de la Direction qu’une enquête aurait dû être lancée, mais les employés ont simplement été informés qu’ils recevraient un soutien continu. Une réunion ultérieure a bien eu lieu avec la cheffe de cabinet de la sous-ministre, ainsi qu’une journée de réflexion de la Direction et une formation en communications. Cependant, rien n’a jamais été fait pour remédier directement à la situation.

[36] Après la réunion « d’excuses », il n’y a eu aucune amélioration. La directrice générale était censée recevoir un encadrement par l’intermédiaire de la Direction générale du milieu de travail, ce qu’elle a fait pendant un certain temps, mais elle a ensuite déclaré qu’elle continuerait à travailler avec son propre conseiller. Les employés ont été invités à signaler tout nouveau problème à leurs gestionnaires, mais ces derniers leur ont simplement fait savoir qu’ils étaient tous embarqués dans le même bateau.

[37] La plaignante ne voulait pas déposer une plainte de harcèlement uniquement pour elle-même. Elle ne souhaitait pas non plus obtenir le poste de gestionnaire en communications, compte tenu de la situation dans ce secteur – son objectif était de se qualifier pour faire partie du bassin et de chercher un emploi ailleurs. Cependant, à titre de championne de la santé mentale, elle était préoccupée par le départ d’un si grand nombre d’employés et se sentait responsable d’aider ceux qui restaient. Comme rien de concret n’était ressorti des efforts des employés jusqu’à ce moment, elle a estimé qu’il était important d’au moins consigner l’information, afin de garder des preuves. Une foule d’événements se sont déroulés sans conséquences ni même de traces. La Direction générale du milieu de travail n’a pas voulu recevoir les informations dont la plaignante disposait à cette fin et lui a répété que seul le dépôt d’une plainte de harcèlement lui permettait de soulever ces questions.

[38] Ne voyant pas d’autre solution, la plaignante a rencontré des représentantes de la Direction générale du milieu de travail et leur a expliqué qu’elle était engagée dans le processus de nomination. De ses échanges avec les représentants, elle a retenu qu’une plainte de harcèlement pouvait être mise en suspens. Par conséquent, elle a envoyé sa plainte par courriel à la Direction générale du milieu de travail le 8 juin 2018, où elle a demandé par écrit à deux reprises que la plainte soit suspendue; elle voulait aussi savoir combien de temps pouvait durer la suspension sans que le traitement de la plainte soit enclenché. Elle s’est exprimée comme suit :

[Traduction]

Bonjour Eve et Helena,

Merci de m’avoir rencontrée il y a quelques semaines et de m’avoir expliqué toutes mes options.

J’ai décidé que je devais vous présenter ma plainte pour harcèlement aujourd’hui, mais je voudrais vous demander de la mettre en suspens jusqu’à ce que d’autres processus actuellement en cours soient terminés. Ça ne devrait pas être très long, selon moi, mais je me demandais quand même combien de temps la suspension peut durer.

N’hésitez pas à me faire signe s’il y a des questions ou des préoccupations dont vous aimeriez discuter avec moi.

Je sais que nous sommes vendredi, en fin de journée, mais si vous pouviez accuser réception de mon courriel lundi, je vous en serais très reconnaissante.

[…]

Merci beaucoup. Au plaisir d’avoir de vos nouvelles!

Kathy

[…]

[Je mets en évidence]

 

[39] Le 13 juin 2018, soit le mercredi suivant, la Direction générale du milieu de travail a transmis la plainte à la directrice générale sans en avertir la plaignante. Celle-ci n’a pas reçu de réponse à son courriel du 8 juin 2018, où elle demandait pendant combien de temps la plainte pouvait être suspendue sans être traitée et exprimait le souhait d’être informée s’il y avait un point quelconque à discuter.

[40] La plaignante a eu le choc d’apprendre que sa plainte de harcèlement avait été transmise à la directrice générale contre sa volonté expresse. Elle était très mal à l’aise à la perspective de se présenter à une entrevue menée par un comité de sélection qui, selon elle, était composé des plus proches conseillers de la directrice générale, auxquels cette dernière avait probablement demandé conseil après avoir reçu la plainte de harcèlement.

[41] Le lundi 18 juin 2018, elle a écrit à Eve Nadeau, avec copie à Susan Harrison et à Helena Santos. Elle y demandait pourquoi la plainte avait été transmise et sollicitait de l’aide pour savoir comment procéder, étant donné que ses souhaits n’avaient pas été respectés :

[Traduction]

Bonjour Eve,

Je suis très contrariée d’apprendre que la plainte que je vous ai envoyée le 8 juin a été communiquée à la personne mise en cause.

Il y a quelques semaines, lorsque nous avons discuté, toi, Helena et moi-même, de la possibilité de mettre la plainte en suspens, j’en ai conclu que le traitement de la plainte ne commencerait pas avant le moment dont nous aurions convenu. Dans mon courriel, j’avais demandé que la plainte ne soit pas encore traitée et, dans le formulaire de plainte lui-même, j’ai indiqué que la plainte devait être mise en suspens pendant 6 mois. Lorsque je lis le guide du SCT sur l’application du processus de résolution du harcèlement et le guide du MJ sur le processus de plainte pour harcèlement, je vois qu’ils indiquent tous deux que la partie en cause est informée seulement du dépôt d’une plainte contre elle, et alors seulement une fois que la plainte a été reçue, étudiée et jugée correspondre à la définition de harcèlement.

Je travaille chez moi aujourd’hui, et j’ai une entrevue ce jeudi pour un poste de gestionnaire à la Direction. Cette entrevue se déroule devant un groupe des principaux conseillers de la partie mise en cause : la directrice générale adjointe, un directeur et un gestionnaire principal de la Direction. Je ne me sens pas à l’aise d’aller travailler, et encore moins de faire une présentation et d’être interviewée dans ces circonstances.

Je ne sais pas trop quoi faire maintenant. Comment dois-je procéder? C’est un véritable choc pour moi. Je te prie de me rassurer en me confirmant que le présent courriel sera tenu confidentiel.

Merci.

Kathy

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

[Je mets en évidence]

 

[42] Le mardi 19 juin 2018, Mme Nadeau a répondu en ces termes :

[Traduction]

Bonjour Kathy,

Je suis désolée d’apprendre que tu es en plein milieu d’un concours pendant le processus de traitement de ta plainte, et je m’imagine à quel point ça doit être stressant pour toi.

Lorsque nous t’avons rencontrée, Helena et moi, nous voulions examiner les options parmi quatre mécanismes possibles. Nous t’avons mentionné toutes les deux que, si tu choisissais le processus formel, tu pourrais demander que ta plainte soit laissée en suspens pendant que tu poursuis le processus informel pour tenter de résoudre les problèmes. En fait, le recours au processus informel constitue la seule façon de mettre en suspens un processus formel.

Nous avons également expliqué que le seul processus qui peut se dérouler parallèlement à une plainte de harcèlement est celui de la plainte de violence au travail. Toutefois, il n’est pas possible de demander qu’un mécanisme de plainte soit mis en suspens une fois qu’il a été engagé, pour des raisons autres que la poursuite d’un processus informel (comme la médiation). Une fois qu’un recours formel est exercé, il doit suivre son cours, sauf si des services de médiation sont demandés ou que la plainte est retirée.

En ce qui concerne le présent courriel, sois certaine qu’il restera confidentiel.

Je reconnais qu’il peut être difficile de s’y retrouver dans ce type de processus et j’espère avoir apporté suffisamment d’éclaircissements.

Eve

[…]

[Je mets en évidence]

 

[43] Dans son témoignage, la plaignante a raconté que cette réponse l’avait désemparée et que, cet après-midi-là, elle avait écrit ce qui suit à Mme Nadeau, avec copie à Mmes Harrison et Santos :

[Traduction]

Merci pour ta réponse, Eve, mais si, pour une raison quelconque, il était impossible que ma plainte soit mise en suspens, pourquoi ne pas me l’avoir dit, puisque c’était le but de ma demande? Si vous m’en aviez informée, je vous aurais fait savoir que je ne voulais donc pas engager de recours dans ces conditions. Et je ne comprends toujours pas pourquoi vous avez envoyé la plainte à la partie mise en cause avant que tous ces détails soient réglés. Comme je l’ai indiqué ci-dessous, même les politiques en la matière précisent que la personne est informée du dépôt d’une plainte contre elle – et non pas de la teneur de la plainte elle-même – et seulement une fois que la plainte a été reçue, étudiée et jugée correspondre à la définition de harcèlement. Est-ce que ça signifie que ma plainte a été jugée répondre à la définition de harcèlement, puisqu’une copie a été envoyée à la personne mise en cause?

Je comprends qu’il est impossible de revenir en arrière maintenant que la personne mise en cause a pu prendre connaissance de la plainte, mais j’aimerais comprendre pourquoi vous lui avez transmis la plainte alors que j’ai précisément demandé dans mon courriel et dans le formulaire de plainte lui-même qu’elle soit mise en suspens et même pas enclenchée, et surtout pas que son contenu intégral soit transmis à la personne visée. Vraiment, je ne comprends toujours pas. Le fait qu’elle ait reçu la plainte, qu’elle l’ait lue et qu’elle ait très probablement sollicité l’avis de ses principaux conseillers, qui me passeront en entrevue jeudi, me cause inutilement beaucoup d’anxiété.

Peux-tu me rappeler à quel moment vous avez envoyé ma plainte à la personne visée? Était-ce dans un courriel ou par la poste? Et dites-moi si la personne visée a été tenue également de garder toute cette affaire confidentielle, comme on m’a demandé de le faire dans la lettre qui m’a été envoyée?

J’espère que tu pourras répondre à toutes mes questions.

Merci.

[Je mets en évidence]

 

[44] Mme Harrison a répondu le lendemain, soit le mercredi 20 juin 2018, avec copie à Mmes Nadeau et Santos. Elle n’a pas abordé l’objet principal de la correspondance de la plaignante ni réagi à sa détresse évidente. Elle n’a pas répondu à la question de la plaignante, qui voulait savoir pourquoi sa plainte avait été transmise alors qu’elle avait expressément demandé le contraire, tant dans le formulaire de plainte que dans le courriel qui l’accompagnait. La plaignante n’a reçu aucun conseil ni aucune aide en réponse à sa question sur les mesures qu’elle pouvait prendre au sujet de son entrevue. Mme Harrison lui a répondu de la façon suivante :

[Traduction]

Bonjour, Kathy.

Pour ce qui est de ta question sur la date exacte à laquelle une copie de ta plainte a été envoyée à la partie mise en cause, je ne pourrai y répondre que vendredi, à mon retour au bureau. Mais je peux te dire que c’était vers la fin de la semaine dernière. Je confirmerai vendredi.

Je peux t’assurer également que la lettre qui a été envoyée à la personne visée contenait bien la mise en garde concernant la confidentialité des informations. Les deux lettres (celle qui t’a été envoyée et celle qui était adressée à la partie mise en cause) contiennent des paragraphes similaires, voire identiques. Je confirmerai également cette information vendredi, lorsque je pourrai consulter le dossier.

[…]

 

[45] Constatant qu’elle était laissée à elle-même et qu’elle n’avait pas d’autre option, la plaignante a décidé de passer l’entrevue le lendemain, du mieux qu’elle le pouvait, malgré les circonstances. Elle a décrit l’énorme stress causé par cette situation, en ajoutant néanmoins qu’elle se débrouillait généralement bien sous la pression. Dès son entrée dans la salle d’entrevue, elle a fait une petite blague pour jauger l’atmosphère. Le comité de sélection était composé de gestionnaires, mais il s’agissait tout de même de ses collègues, de gens avec qui elle travaillait. Toutefois, la plaisanterie n’a même pas provoqué un sourire; il régnait une froide formalité dans la salle qui a fait comprendre à la plaignante que, comme elle le craignait, ils étaient probablement au courant de sa plainte de harcèlement.

[46] Il ne faisait aucun doute aux yeux de la plaignante, même si elle ne pouvait en être certaine, que la directrice générale avait parlé de la plainte de harcèlement à M. Stanfield, son confident et arrangeur, et même si elle ne l’avait pas fait, il était déjà bien conscient que la plaignante était une des cibles de la directrice générale. Tout le monde le savait à la Direction.

[47] Par la suite, la plaignante est tombée malade, selon elle en raison du nombre important d’heures supplémentaires qu’elle avait accumulées au cours des trois mois où elle a occupé le poste de gestionnaire sans être remplacée, du stress excessif causé par l’envoi de sa plainte de harcèlement à la directrice générale juste avant son entrevue et de son incapacité de se qualifier à l’issue de la procédure de nomination. Finalement, elle a pris un congé avec étalement du revenu puis un congé sans solde avant de partir en invalidité de longue durée et finalement prendre sa retraite pour raisons médicales.

[48] La plaignante s’est demandé comment le comité de sélection aurait pu être neutre alors que la directrice générale parlait tellement ouvertement de ses favoris ainsi que de son désir de voir la vieille garde partir et du sang neuf arriver. Elle ciblait les employés plus âgés et les détruisait devant leurs collègues et leurs supérieurs. Du travail a été retiré aux employés d’expérience, hommes et femmes, qui ont aussi été remplacés par de jeunes hommes grâce à la création de postes sosies. Le stratagème était si répandu que, selon la plaignante, les subalternes de la directrice générale ne pouvaient vraiment rien faire qui était contraire à sa volonté. Comme la plaignante l’a affirmé, ils savaient que la directrice générale se comportait en tyran. Même s’ils avaient essayé d’être objectifs, comment pouvaient-ils vraiment l’être dans ce contexte?

[49] En contre-interrogatoire, on a demandé à la plaignante de clarifier ses propos, plus précisément le fait qu’elle ait déclaré avoir travaillé avec les membres du comité de sélection pendant des années, alors que Mme Gagnon était à la Direction seulement depuis un an. Elle a répondu qu’elle avait travaillé avec MM. Stanfield et Champagne pendant des années et avec Mme Gagnon depuis son arrivée à la Direction. Elle a mentionné par ailleurs qu’elle avait parlé avec Mme Gagnon d’une plainte éventuelle de harcèlement. Ce témoignage n’a pas été approfondi en contre-interrogatoire et n’a pas été réfuté par Mme Gagnon, qui n’a pas été assignée à témoigner.

[50] La plaignante a confirmé qu’elle avait signé l’avis d’entrevue, où il était conseillé aux candidats de signaler toute préoccupation au comité, mais elle a expliqué qu’elle avait eu l’impression de ne pas avoir d’autre choix que d’aller de l’avant. Elle s’était informée de la marche à suivre auprès de la Direction générale du milieu de travail, qui ne lui a jamais donné de réponse. La situation était stressante, étant donné que sa plainte de harcèlement avait été transmise à la directrice générale contre son gré; la froideur des membres du comité avait ajouté à son malaise. Elle a essayé de tirer le meilleur parti d’une situation pénible. Elle savait qu’il n’était pas dans son intérêt d’évoquer le stress qu’elle vivait, ce qui l’aurait obligée d’expliquer aux membres du comité les doutes qu’elle avait concernant leur neutralité.

[51] La plaignante a été interrogée afin qu’elle explique pourquoi, après avoir été informée par la Direction générale du milieu de travail qu’une plainte de harcèlement pouvait être suspendue seulement si elle faisait l’objet d’une médiation formelle, elle n’avait pris aucune mesure au sujet de la prétendue partialité du comité. Elle a répondu qu’au contraire elle s’était adressée au bureau du commissaire à l’intégrité du secteur public, où on lui avait dit qu’il était possible de porter plainte, mais que toute autre enquête devait d’abord être close. En attendant, elle pouvait solliciter une aide financière pour se payer un avocat si elle subissait des représailles. Elle a donc consulté un avocat.

[52] La plaignante a confirmé en contre-interrogatoire que sa plainte de harcèlement personnel avait été l’objet d’une enquête et jugée sans fondement. Quant aux raisons pour lesquelles elle n’avait pas contesté cette décision, elle a répondu qu’elle ne voulait pas porter plainte personnellement pour le harcèlement, mais plutôt déposer une plainte qui concernait d’autres employés, car elle n’était qu’une victime parmi de nombreuses autres. En tant que championne de la santé mentale, elle était préoccupée pour l’ensemble des employés de la Direction. Cependant, la Direction générale du milieu de travail l’a informée que tout ce qui touchait d’autres employés échappait à la portée de sa plainte, qui a été limitée à quelques incidents n’impliquant que la plaignante elle-même. Elle ne s’attendait pas à avoir gain de cause. Elle a toutefois souligné également que, même si le rapport d’enquête avait conclu que l’allégation de harcèlement n’était pas fondée, il y était précisé que la directrice générale avait fait preuve [traduction] « […] d’un manque flagrant de jugement et de maîtrise de soi ». Le défendeur n’a pas contesté cette affirmation.

[53] Plus important encore, selon la plaignante, le problème systémique n’a jamais fait l’objet d’une enquête.

D. M. Champagne

[54] M. Champagne était membre du comité d’évaluation. Il a témoigné après avoir reçu une citation à comparaître.

[55] M. Champagne s’est décrit lui-même comme un vétéran de la fonction publique, puisqu’il y travaille depuis 38 ans. Il a été nommé à un poste IS-06 à la fin des années 1990 puis a été gestionnaire des communications électroniques de 2006 à 2017, année où la directrice générale a mis en place une nouvelle structure. Depuis, il a reçu différentes affectations : RH, dossiers relatifs à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, initiatives à l’échelle ministérielle et un dossier prioritaire au sein de la direction de la pratique du droit. À titre de directeur des communications électroniques, il avait auparavant dirigé une équipe de neuf personnes qui relevaient directement de lui, mais il a souligné qu’il avait toujours privilégié une gestion décentralisée.

[56] Pour ce qui est de sa participation au comité de sélection, il a expliqué que la Direction traversait une période difficile, que de nombreuses personnes étaient parties et que des postes essentiels devaient être pourvus. Comme il avait déjà participé à des processus de nomination, la directrice générale a pensé qu’il serait une personne idéale pour mener à bien celui-là et lui a demandé s’il était prêt à s’occuper des questions de RH. Il a participé au processus de nomination en question et, plus tard, à un processus visant la dotation d’un poste IS-05, mais avant la conclusion de ce dernier, il a été affecté à la Direction de la pratique du droit pour s’y consacrer pendant deux ans à un dossier prioritaire.

[57] M. Champagne a participé aux réunions informelles après l’arrivée de la directrice générale en 2015, mais, selon lui, seulement [traduction] « pendant une courte période d’environ un an, ou un an et demi » avant son affectation aux questions de RH à l’automne 2017. Il a expliqué qu’il y assistait quand il était encore gestionnaire mais que, lorsque son rôle a changé, sa présence est devenue irrégulière, puisqu’il n’était plus impliqué dans les activités quotidiennes de la Direction.

[58] À la question de savoir s’il avait déjà vu la directrice générale se montrer agressive envers des employés, M. Champagne a répondu en ces termes : [traduction] « Pas à ma connaissance; nous avons des échéances, il faut accomplir nos tâches, mais les premières années, non; il fallait juste faire ce qu’on avait à faire. Croyez-moi j’ai longuement réfléchi à ça » [je mets en évidence]. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait vu la directrice générale critiquer certaines personnes en particulier, il a répondu : [traduction] « Pas au cours de ces premières années, et par la suite je ne peux pas vraiment le savoir, parce que je n’étais pas là tout le temps » [je mets en évidence]. En réinterrogatoire, il a répété qu’il n’avait jamais vu personne se faire rabaisser, en tout cas, a-t-il souligné de nouveau, [traduction] « pas à ce moment-là » [je mets en évidence], c’est-à-dire durant l’année ou année et demie où il a travaillé comme gestionnaire relevant de la directrice générale et où il assistait encore régulièrement aux réunions informelles.

[59] M. Champagne a décrit l’implication de la directrice générale dans le processus de nomination en insistant vigoureusement : [traduction] « Elle était complètement distincte de ça! Je travaillais avec Charles Stanfield et Kirstan Gagnon, la directrice générale n’avait absolument rien à y voir, elle ne s’occupait de rien ». Il a déclaré qu’il n’avait jamais discuté de quoi que ce soit avec elle, qu’il n’avait reçu aucune directive de sa part et qu’il n’avait subi aucune pression ou été informé d’attentes quelconques lorsqu’il siégeait au comité de sélection. Il a participé au processus de nomination comme il l’aurait fait pour toute autre question touchant les RH.

[60] M. Champagne a précisé qu’il connaissait la plaignante depuis son arrivée au MJ, qu’il n’avait jamais eu le moindre problème avec elle, qu’elle était une personne très agréable et qu’il l’appréciait. Il a indiqué qu’elle avait très bien réussi les étapes du processus de nomination jusqu’à l’entrevue, où elle a échoué à deux questions. Pour la question 2, destinée à évaluer le critère A2, les conseils qu’elle a donnés se situaient à un niveau trop élevé et n’établissaient pas suffisamment de liens avec l’incidence spécifique sur le MJ. En ce qui concerne la question 5, destinée à évaluer le critère C5 sur les valeurs et l’éthique, le comité de sélection voulait aborder l’aspect technique d’une mise en situation délicate impliquant de l’insubordination et de l’absentéisme, ainsi que l’aspect humain, où la plaignante s’était bien débrouillée.

[61] M. Champagne a confirmé qu’il relève de M. Stanfield, qui doit rendre des comptes à la directrice générale. En ce qui concerne ses relations avec cette dernière, il a déclaré qu’elle était une bonne directrice générale, une personne très efficace, capable de respecter des délais serrés, et qu’il avait une relation professionnelle avec elle. Il a nié qu’elle l’ait jamais rabaissé ou insulté, qu’elle l’ait ciblé ou traité injustement.

[62] Selon lui, l’année 2017 a été marquée par une transition difficile. Les changements apportés par la directrice générale se concrétisaient dans l’ensemble du gouvernement fédéral, qui est devenu une organisation basée sur le Web, avec des discussions et un dialogue 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cette transformation s’opérait partout, et l’évolution a été brusque et abrupte pour les cadres supérieurs, qui n’y ont pas réagi de manière optimale. Il était bien placé pour apporter un autre son de cloche et avait mené des consultations auprès du personnel.

[63] Interrogé sur le harcèlement, il a affirmé qu’en avril 2018, une plainte de harcèlement avait été déposée et que la sous-ministre avait convoqué une réunion de l’ensemble de la Direction. Il savait donc qu’il y avait des problèmes concernant la directrice générale et certains employés. Il n’a pas été informé de ces problèmes avant et n’a reçu que très peu de détails à propos de la réunion, mais il était au courant que la directrice générale était censée suivre une formation et bénéficier d’un accompagnement.

[64] Quand on lui a demandé s’il savait que la plaignante avait déposé une plainte de harcèlement personnel, M. Champagne a répondu : [traduction] « Je ne crois pas; c’était en 2018. Je ne pense pas; je savais qu’il y avait des problèmes » [je mets en évidence].

E. M. Stanfield

[65] M. Stanfield a expliqué que la Direction n’avait pas mené de processus de nomination visant à pourvoir un poste IS-06 depuis un certain temps et qu’il fallait doter deux postes alors vacants, tout en regardant vers l’avenir.

[66] Une série d’outils d’évaluation a été utilisée – une lettre de motivation et le CV de chaque candidat, ainsi qu’un examen écrit comprenant la rédaction d’une note d’information. Avant l’entrevue, les candidats ont été invités à préparer une courte présentation PowerPoint à partir des informations qu’ils avaient déjà colligées pour écrire la note d’information. La première question de l’entrevue consistait à passer la présentation PowerPoint en revue à l’intention du comité. L’énoncé des critères de mérite et l’affiche du poste décrivaient les connaissances et les aptitudes recherchées ainsi que la manière dont elles seraient évaluées. Le guide d’entrevue soulignait les critères qui seraient évalués lors de l’entrevue.

[67] M. Stanfield a précisé que le poste IS-06 est un poste de haut rang pour le personnel des communications; par conséquent, l’expérience dans des dossiers complexes fait partie des qualifications essentielles. La portée du poste est large. Il s’agit de fournir des conseils, de réaliser des projets de développement, de savoir travailler avec des collègues et de connaître suffisamment bien les politiques et des pratiques qui orientent le travail. Il a affirmé que le comité recherchera la profondeur pour un poste de direction, car un gestionnaire doit être quelqu’un qui peut diriger et gérer, quelqu’un qui peut analyser et synthétiser l’information.

[68] Il a raconté que le comité avait lu aux candidats les instructions relatives à l’entrevue afin de leur expliquer clairement sur quoi l’entrevue portait et comment elle se déroulait, puis de leur demander s’ils avaient des questions. Il incombait à chaque candidat de faire part des préoccupations qu’il avait, et la plaignante n’en a soulevé aucune.

[69] Selon M. Stanfield, le processus de nomination avait été difficile à mener; le comité de sélection voulait des communicateurs chevronnés et bien équilibrés, capables d’assumer un rôle de gestion. La plaignante a obtenu de bons résultats pour sa lettre de motivation, son CV et l’examen écrit. La rédaction de la note d’information était solide et lui a permis de bien répondre à la première question de l’entrevue, où elle devait décrire la présentation PowerPoint basée sur le contenu de la note. La plaignante a aussi donné une réponse solide et bien claire à la question 3, mais n’a pas fourni assez d’éléments pour obtenir la note de passage à la question 2 (qui évaluait le critère A2 – être capable d’analyser, de synthétiser et de donner des conseils sur des questions complexes) et à la question 5 (qui évaluait le critère C5 – faire preuve d’intégrité et de respect).

[70] La question 2 visait à permettre aux candidats d’identifier les priorités et de formuler des recommandations à ce sujet. La plaignante a relevé quelques considérations importantes, telles que le suivi de la réaction des médias et l’examen du contexte public, mais elle n’a établi aucun lien précis entre ces priorités et le travail du MJ. Elle n’a décrit aucune mesure particulière à prendre et donné aucun détail. Les conseils étaient trop généraux, portant par exemple sur le renouvellement de la relation avec les communautés autochtones. Le comité de sélection voulait savoir ce que cette priorité signifiait plus particulièrement pour le MJ.

[71] La question 5 concernait la façon de gérer un bon employé dont le comportement était devenu troublant, marqué notamment par de l’insubordination et de l’absentéisme. La réponse de la plaignante était bonne, mais elle ne touchait que la moitié de l’équation – le soutien à offrir à l’employé. La question visait à évaluer la compétence des candidats en matière d’intégrité et de respect, et il fallait que la personne comprenne les obligations du gestionnaire envers le reste du personnel en plus de la nécessité de soutenir l’employé; cet aspect était absent de la réponse de la plaignante.

[72] La note de la plaignante a été calculée conformément au guide d’entrevue et à l’échelle de cotation, qui fournissaient au comité des rappels généraux, des mots clés et des facteurs permettant d’évaluer et de noter les réponses. Le guide indiquait le type de réponses attendues et certains des éléments clés requis. Chaque membre a pris des notes puis le comité a analysé les forces et les faiblesses relevées chez les candidats en les comparant aux réponses attendues dans le guide de cotation. Tous les candidats avaient été invités à fournir des références, mais pour accélérer le processus, seules les références de ceux qui avaient réussi l’entrevue ont été examinées. Il fallait obtenir la note de passage à chaque question, même si l’aptitude ou la compétence en question avait été évaluée en faveur du candidat à une autre étape du processus de nomination.

[73] M. Stanfield a souligné que, pour tous les candidats internes, une entrevue ratée était un événement difficile à vivre et décevant, de sorte qu’au lieu d’envoyer simplement une lettre des RH, les membres du comité de sélection ont, par courtoisie, décidé de communiquer d’abord avec leurs collègues pour leur faire part de la décision. Ils ont donc appelé la plaignante pour lui expliquer les réponses attendues aux deux questions auxquelles elle avait échoué et l’ont vivement encouragée à demander une discussion informelle pour en savoir plus. C’est ce qu’ils ont fait avec les trois candidats internes non retenus, qui étaient leurs collègues.

[74] Selon M. Stanfield, aucune accusation de partialité n’a été formulée contre le comité, et il était important à ses yeux de mener une procédure juste afin de répondre à ses besoins en personnel. Il a travaillé avec les membres de son comité de sélection pour élaborer des documents et mettre en place un processus de nomination assorti des bons outils pour identifier les candidats de qualité. Il était gestionnaire de la dotation depuis un bon bout de temps et n’était motivé que par ses besoins en dotation. Il savait ce qu’il fallait faire et avait toute latitude, avec le comité de sélection et l’aide des RH, pour trouver le bon candidat.

[75] M. Stanfield a nié avoir subi des pressions de la part de la directrice générale pour inclure ou exclure des candidats. À la question de savoir s’il était au courant de la plainte de harcèlement déposée par la plaignante, il a répondu par la négative, mais a ajouté : [traduction] « Je dirai que des questions ont été soulevées et que j’en ai eu vent lorsque notre sous-ministre nous a convoqués à une réunion dans la salle de conférence pour nous dire que des problèmes étaient examinés, mais je n’avais pas d’informations précises ».

[76] Après l’interrogatoire principal de M. Stanfield, la plaignante a demandé à la Commission de révoquer son représentant afin qu’elle puisse agir seule en son nom propre pour le reste de l’audience. Elle a été informée que la Commission ne pouvait pas prononcer la révocation, mais qu’elle pouvait le faire elle-même si elle le souhaitait. Elle a confirmé qu’elle voulait poursuivre l’audience et agir en son nom propre. L’audience a été ajournée pour une longue période, et la plaignante a renvoyé son représentant puis s’est préparée à poursuivre l’audience. À la reprise, elle a contre-interrogé M. Stanfield.

[77] En contre-interrogatoire, M. Stanfield a confirmé que la plaignante avait satisfait aux critères évalués aux questions 2 et 5 de l’entrevue à d’autres étapes du processus de nomination où ils avaient aussi été évalués. La plaignante a demandé si, dans ces conditions, il n’aurait pas été judicieux de réexaminer les notes qu’elle avait obtenues pour ces critères et, peut-être, de prendre connaissance de ses références. Il a répondu que les candidats devaient recevoir une note de passage à chaque question, que la compétence ait été ou non évaluée favorablement à un autre stade du processus. En outre, l’entrevue était évaluée uniquement sur la base des questions; les références n’étaient examinées que si le candidat réussissait l’entrevue.

[78] M. Stanfield a confirmé qu’il n’avait eu aucune information précise sur une plainte de harcèlement quelconque ni discuté avec la directrice générale à ce sujet. Comme beaucoup de gens au sein de la Direction, il savait qu’il y avait des problèmes depuis la réunion convoquée par la sous-ministre, mais les renseignements qui y avaient été communiqués étaient d’ordre général, sans [traduction] « aucune attribution ou aucun nom », selon ses propres termes. Interrogé sur ce qu’il avait tiré de cette réunion, il a répondu qu’il travaillait en étroite collaboration avec la directrice générale et qu’ils avaient une relation professionnelle fructueuse. Il a retenu de la réunion ce qu’il avait pu constater chez elle, et il n’a jamais été témoin de quoi que ce soit qui l’aurait obligé à réagir comme gestionnaire.

[79] On a informé M. Stanfield que Mme Macdonald avait déclaré s’être adressée à lui pour se plaindre de problèmes qu’elle avait avec la directrice générale. Il a répondu que [traduction] « devant les dossiers et le travail à faire, les gens ont des idées différentes sur l’approche à adopter ». Il a essayé d’aider Mme Macdonald à résoudre ses problèmes au travail et à s’adapter à une nouvelle directrice générale. Il occupait son poste depuis dix ans, accordait une grande importance à ses relations de travail et se sentait obligé d’apporter son aide. Il a précisé ce qui suit : [traduction] « J’en aurais entendu parler. Si je vois quelque chose qui cloche, je veux que le lieu de travail fonctionne bien. Nous avions travaillé sur la question des exigences professionnelles, ce qui posait parfois un défi, notamment pour comprendre les idées de la directrice générale et la manière de fonctionner en équipe ».

[80] M. Stanfield a déclaré qu’il ne se souvenait que des discussions avec Mme Macdonald portant sur les différentes visions du travail. Il lui a été précisé qu’elle l’avait informé des difficultés grandissantes qu’elle éprouvait à venir travailler et de la crise de panique qu’elle avait faite en essayant de se forcer à entrer dans l’édifice. M. Stanfield a répondu qu’il ne se souvenait de rien d’aussi lourd, mais qu’il était au courant des difficultés de Mme Macdonald avec certains des dossiers dont elle était responsable.

[81] Invité à préciser le type de difficultés en question, il a répondu qu’une plus grande clarté était nécessaire au sujet des champions ministériels et de la nouvelle priorité accordée aux questions liées à la réconciliation, qui constituaient un champ de préoccupation nouveau avec lequel elle n’était pas familière. La Direction avait une nouvelle personne responsable des communications qui, à juste titre, disait au personnel comment faire le travail. La relation avec les communautés autochtones avait changé et le personnel devait s’y adapter.

[82] Lorsqu’on lui a demandé si Mme Macdonald, en fait, ne lui avait pas expliqué pourquoi elle devait quitter la Direction, M. Stanfield n’a pas offert de réponse directe. Il a déclaré qu’elle était solide sur les questions liées à la paye et qu’elle entretenait d’excellentes relations avec les RH. Les questions relatives au système de paye Phénix se retrouvaient quotidiennement dans les médias et, pour elle à l’époque, il s’agissait d’un dossier passionnant et stimulant. Un poste s’est ouvert et, grâce aux bonnes relations qu’elle avait nouées avec les RH, Mme Macdonald a eu l’occasion de travailler sur ces questions.

[83] Il a été porté à l’attention de M. Stanfield que Mme Macdonald lui aurait annoncé qu’elle ne voulait pas démissionner mais qu’elle serait obligée de le faire, ou bien de partir en congé de maladie, si elle ne pouvait pas être affectée ailleurs. Il a de nouveau répondu que Mme Macdonald éprouvait des difficultés relativement à son rôle, qu’elle s’intéressait aux communications liées à la paye et que lui avait la responsabilité de soutenir les employés et d’assurer le bon déroulement des activités sur le lieu de travail.

[84] M. Stanfield a confirmé qu’il assistait régulièrement aux réunions informelles. À la question de savoir s’il avait été témoin de situations où la directrice générale avait rabaissé certains employés, utilisé un ton méprisant ou levé les yeux au ciel lorsqu’ils parlaient, il a répondu : [traduction] « Non, j’ai rien vu de ça. J’étais là en tant que participant régulier ». Il a précisé qu’il s’agissait de réunions nécessairement courtes et rapides, vu qu’elles portaient sur les priorités du moment. Les réunions informelles suivaient un certain rythme afin de garantir une utilisation optimale du temps de travail quotidien.

[85] Il se souvenait effectivement de la réunion convoquée par la sous-ministre et qui, selon lui, a permis de [traduction] « sensibiliser tout le monde » à ces questions. Lorsqu’on lui a demandé de décrire quelles étaient ces questions, il a de nouveau rappelé [traduction] « l’absence d’attribution », mais en expliquant que les gens de la Direction avaient appris que le style de la directrice générale soulevait des problèmes, que la sous-ministre se penchait sur la question et la prenait au sérieux.

[86] Selon lui, la situation avait été abordée en termes très généraux et [traduction] « ça n’arrivait pas tous les jours, pour bon nombre d’entre nous, d’être convoqués à une réunion par la sous-ministre. La plupart des gens ne savaient rien et sont sortis de la réunion en n’ayant pas appris grand-chose de plus […] il s’agissait simplement de nous faire savoir qu’un examen de la situation était en cours ». Il se souvenait néanmoins que la directrice générale devait respecter certaines mesures de suivi, mais il n’avait rien à y voir; c’est la sous-ministre qui s’en était occupée.

[87] À la question de savoir si M. Champagne relevait de lui, M. Stanfield a répondu que M. Champagne était le responsable des communications électroniques, qu’il lui rendait effectivement compte, mais qu’il s’agissait uniquement d’un rapport hiérarchique fonctionnel. À son avis, la Direction ne disposait pas d’une structure de gestion solide et avait de nombreux besoins en personnel, de sorte que M. Champagne consacrait beaucoup de temps aux questions de RH, dont faisait partie le processus de nomination en cause. Interrogé sur ce point, M. Stanfield a confirmé que M. Champagne avait été gestionnaire avant d’exercer un rôle lié aux RH, plus particulièrement qu’il avait été gestionnaire des communications IS-06, poste où il relevait du chef des services créatifs; il a de nouveau souligné que, même si M. Champagne lui rendait compte, il ne s’agissait que d’un rapport fonctionnel.

[88] Pour ce qui est de savoir s’il avait entendu la directrice générale affirmer qu’il fallait remplacer la vieille garde par du sang neuf, M. Stanfield a répondu par la négative et précisé qu’il s’en serait souvenu si ç’avait été le cas. Il a expliqué qu’une restructuration était en cours, que des changements importants étaient effectués et qu’il y avait des mouvements d’employés – l’organisation était en évolution, comme c’est le cas dans toutes les directions des communications. On lui a fait remarquer qu’au cours de l’année et demie qui a suivi l’arrivée de la directrice générale, entre cinq et sept femmes gestionnaires avaient quitté la Direction. Il en a convenu, mais a précisé que certaines étaient parties en raison d’une promotion, d’autres avaient pris leur retraite et d’autres encore avaient fait des choix personnels pour concilier leur vie professionnelle et leur vie privée, étant donné que le travail n’est jamais terminé en communications. Toutes sortes de motifs personnels pouvaient expliquer cette situation, à ses yeux.

[89] M. Stanfield a reconnu qu’un certain nombre de membres du personnel étaient partis en congé de maladie, mais il ne savait pas pourquoi ils en étaient arrivés là; il n’avait pas d’informations précises concernant la directrice générale. Quand on lui a demandé s’il avait déjà vu autant de personnes prendre de longs congés de maladie, il a répondu qu’à tout moment, dans une équipe de 60 personnes, certains se trouveront en congé, ce qui n’était rien d’inhabituel. Quant à la question de savoir s’il était normal que l’effectif passe de 73 à 50 personnes, il a répondu qu’il lui faudrait examiner les chiffres, car certains employés étaient partis et d’autres étaient arrivés, et le budget disponible pour les salaires jouait toujours un rôle important.

[90] Enfin, M. Stanfield a déclaré qu’il n’avait pas connaissance d’une plainte formelle de harcèlement et que le comité n’en avait pas discuté.

III. Résumé des observations

A. Pour la plaignante

[91] La plaignante a fait valoir que la présence des trois plus proches conseillers de la directrice générale au sein du comité de sélection constituait un abus de pouvoir, étant donné la plainte collective – qui a reçu énormément d’attention lorsque la sous-ministre s’est adressée à l’ensemble du personnel de la Direction, en plus de sa plainte de harcèlement personnel et du fait que la directrice générale montrait très clairement qui elle aimait ou n’aimait pas et rabaissait la plaignante devant témoins.

[92] Peu importe que la directrice générale ait exercé ouvertement une influence, ou pas, les membres du comité de sélection ne pouvaient, dans ce contexte, que prendre les mesures qui, ils le savaient, correspondaient aux souhaits de leur supérieure.

[93] La demande exprimée clairement par la plaignante, soit de mettre en suspens sa plainte de harcèlement, a été ignorée, de sorte que la plainte a été transmise à la directrice générale une semaine avant l’entrevue de la plaignante. Dans ces conditions, celle-ci ne pouvait pas s’attendre à un comité de sélection impartial.

[94] Il était inutile qu’on lui donne l’occasion, durant l’entrevue, de préciser qu’elle vivait un stress psychologique. Si elle avait évoqué ce stress, elle aurait alors dû s’expliquer et, donc, faire savoir qu’elle doutait de la capacité du comité de rester objectif. Comment aurait-elle pu exprimer ce genre de doute au début de l’entrevue? Et que pouvait-elle vraiment attendre d’eux? Compte tenu de la situation, elle n’aurait pas été en mesure de proposer un autre moment où elle se serait sentie à l’aise de passer l’entrevue. En plus, elle avait été avertie par la Direction générale du milieu de travail qu’elle n’était pas autorisée à discuter de sa plainte de harcèlement avec qui que ce soit – la situation était sans issue.

[95] On lui avait dit qu’elle était en lice pour obtenir un poste de gestion, et elle était la seule à avoir été envoyée en formation comme gestionnaire. Elle avait reçu de nombreux prix, dont le prix d’excellence de la sous-ministre, qui n’est décerné qu’à une poignée de personnes chaque année.

[96] Dans son témoignage, M. Stanfield a contredit directement Mme Macdonald, qui a affirmé lui avoir parlé des mauvais traitements infligés par la directrice générale. Mme Macdonald était une bonne employée, mais M. Stanfield a nié avoir été au courant de ses difficultés avec la directrice générale, sauf pour ce qui était de son adaptation à une nouvelle vision du travail.

B. Pour le défendeur

[97] Les allégations de partialité n’ont été étayées par aucun élément de preuve. La plaignante était d’avis que les membres du comité de sélection étaient logiquement au courant de la plainte de harcèlement, mais M. Stanfield a déclaré sans équivoque qu’il ne l’était pas. La plaignante n’a pas remis en question l’intégrité des membres du comité. Elle était très troublée par la façon dont la directrice générale la traitait, selon elle, sauf que l’audience ne portait pas sur un grief de harcèlement ou une enquête, mais sur le processus de nomination. Elle n’a pas prouvé l’existence d’un lien entre le harcèlement et le processus de nomination.

[98] Il a été conseillé à la plaignante, dont c’était la responsabilité, de faire savoir au comité de sélection qu’elle se trouvait indisposée et qu’elle avait besoin d’être rassurée. Elle ne l’a pas fait, et le comité de sélection n’était pas responsable de ne pas avoir réagi à ce qu’il ne savait pas. En ne se manifestant pas, la plaignante n’a pu se défaire de sa perception de partialité et a ensuite fait des reproches aux membres du comité de sélection.

[99] La plaignante conteste son échec aux deux critères pour lesquels elle a obtenu la note de passage à d’autres étapes du processus de nomination, mais le comité de sélection disposait d’une grande marge de manœuvre pour fixer les exigences, qui étaient les mêmes pour tous les candidats. La plaignante n’a apporté aucune preuve qu’elle avait fourni de bonnes réponses et n’a pas contesté le témoignage de M. Stanfield sur ce point ni fourni d’éléments de preuve en sens contraire. Par conséquent, la Commission dispose uniquement de la preuve présentée par le défendeur quant au fait que la plaignante n’aurait pas satisfait aux critères C5 et A2 et du raisonnement du comité de sélection expliquant son échec.

[100] Le défendeur ne conteste pas le fait que la plaignante a suivi une formation en gestion et qu’elle a obtenu de nombreux prix, mais aucun de ces éléments ne signifie qu’une personne sera retenue dans un processus de nomination quelconque. M. Stanfield a déclaré qu’il s’agissait d’un processus de nomination difficile; on recherchait un gestionnaire de haut niveau dans le domaine des systèmes d’information. Les candidats devaient remplir toutes les exigences et donner les bonnes réponses à toutes les questions. Le comité de sélection possédait un vaste pouvoir discrétionnaire concernant les outils d’évaluation qu’il utiliserait et la manière dont il choisirait le bon candidat.

[101] Mme Macdonald a allégué avoir été harcelée par la directrice générale, s’est déclarée malheureuse et a décidé de quitter la Direction. Son témoignage n’avait aucun lien avec le processus de nomination. L’audience ne visait pas à établir s’il y avait eu harcèlement. Mme Macdonald n’a pas participé au processus de nomination et son témoignage ne devrait pas être pris en compte.

[102] Il en va de même pour Mme Reiter. Elle a décrit des situations pénibles et le traitement injuste réservé par la directrice générale à certains employés. Elle a prétendu qu’il y avait des problèmes à la Direction à cause de la directrice générale. La plaignante a déposé une plainte de harcèlement, qui a été jugée infondée. Le témoignage de Mme Reiter ne devrait recevoir que peu de poids ou devrait être écarté.

[103] Mme Reiter a raconté que la plaignante était une victime de la directrice générale, qui la rabaissait et l’humiliait, mais elle a affirmé la même chose au sujet de M. Champagne, ce que ce dernier a réfuté en disant qu’il n’avait jamais été ciblé, insulté ou méprisé. Les événements qui se produisaient lors des réunions informelles sont de nature subjective et n’établissent aucun lien avec le processus de nomination. M. Champagne n’avait rien à gagner ou à perdre dans la présente instance, ce qui soulève la question de la crédibilité à accorder aux allégations à ce propos.

[104] Les doutes de Mme Reiter concernant sept scénarios de dotation constituent du ouï-dire et n’ont aucune valeur probante. Peu d’éléments de preuve, voire aucun, n’ont été présentés en ce qui concerne des actes de discrimination fondée sur l’âge et le genre. La Commission a eu l’occasion d’évaluer MM. Champagne et Stanfield. La plaignante et ses témoins ont formulé des reproches très véhéments à l’endroit de la directrice générale, mais rien qui touchait le processus de nomination ou qui entachait l’intégrité du comité de sélection. Des allégations graves ont été formulées, mais aucune n’a été corroborée – la plaignante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

[105] La plaignante a déclaré qu’elle avait déposé une plainte formelle le 8 juin parce qu’elle voulait simplement que l’information soit consignée quelque part. La Direction générale du milieu de travail n’a rien à voir avec le défendeur. La plaignante n’a présenté aucune preuve dénotant de la mauvaise foi. Dès qu’une plainte formelle est déposée, la personne mise en cause doit en être informée. Le fait que la plainte n’ait pas été mise en suspens n’a rien à voir avec les notes attribuées à la plaignante pour les deux questions en cause.

[106] La preuve présentée par la plaignante n’a pas établi que sa candidature avait été rejetée pour des raisons autres que celles qu’ont invoquées MM. Champagne et Stanfield. Ils ont tous deux estimé qu’elle s’était très bien débrouillée; elle a été présélectionnée, a réussi l’épreuve écrite et a obtenu d’excellents résultats pour sa présentation PowerPoint et dans certaines questions de l’entrevue. On ne peut en déduire qu’il y avait partialité. Par contre, la plaignante n’a pas reçu une bonne note à deux questions, et les raisons en ont été communiquées à la Commission sans être réfutées.

[107] La plaignante avait l’impression que les membres du comité de sélection étaient au courant de sa plainte de harcèlement, mais elle a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’une certitude, qu’elle pouvait se tromper et qu’elle ne disposait d’aucune preuve en ce sens. Elle a affirmé que M. Stanfield devait être au courant, mais elle n’en était pas certaine, et il était également possible que la directrice générale ne lui en ait pas touché mot. Il a indiqué qu’il n’était pas au courant. Le fait qu’il aurait dû l’être, selon elle, ne suffit pas à établir la partialité. Les membres du comité de sélection ont agi avec courtoisie. Ils ont appelé la plaignante préalablement à l’envoi de la lettre générique l’informant qu’elle n’avait malheureusement pas été retenue, et ils ont fortement suggéré la tenue d’une discussion informelle qui l’aiderait à faire mieux la prochaine fois.

[108] M. Champagne est un gestionnaire de longue date. Il n’avait aucun parti pris; au contraire, il aimait beaucoup la plaignante et travaillait avec elle depuis des années. Il a donné les mêmes raisons que M. Stanfield pour expliquer l’échec de la plaignante à ces deux questions. Bien que Mme Reiter l’ait désigné comme une des victimes de la directrice générale, il l’a clairement nié, en affirmant qu’il n’avait pas eu de mauvaise expérience avec elle et qu’elle était une dirigeante efficace. Comme M. Stanfield, il n’a pas été témoin du comportement méprisant de la directrice générale envers qui que ce soit. M. Champagne a présenté un témoignage qui devrait recevoir un poids important parce qu’il a été assigné par la plaignante et que ses propos contredisaient ceux de Mme Reiter, qui avait aussi été convoquée comme témoin par la plaignante.

[109] La plaignante n’a pas fait part de ses préoccupations aux membres du comité de sélection, ni avant, ni après son entrevue. M. Stanfield a déclaré que ces doutes n’ont jamais été portés à son attention et ajouté qu’il consacre énormément de temps à bâtir de bonnes relations au travail et que, s’il avait été au courant, il aurait été tenu d’y réagir.

[110] MM. Stanfield et Champagne ont tous deux déclaré que la directrice générale n’avait aucunement participé au processus de nomination, et la plaignante n’a pas démontré le contraire au moyen des éléments de preuve qu’elle a présentés. Il y avait seulement une grande part de ouï-dire au sujet du harcèlement présumé, qui a été l’objet de l’enquête formelle et qui était clairement non fondé.

C. La réplique de la plaignante

[111] En réponse à l’affirmation du défendeur, selon laquelle M. Champagne n’avait rien à gagner ou à perdre en témoignant, la plaignante a souligné que l’audience était publique et que la décision le serait aussi. Elle a fait valoir qu’à la date de l’audience, MM. Champagne et Stanfield relevaient toujours de la directrice générale, qu’ils savaient tous deux très bien comment elle traitait les gens et que, par conséquent, ils avaient tous deux beaucoup à perdre. De son côté, elle n’avait rien à perdre ou à gagner en contestant le processus de nomination, si ce n’était de parvenir à faire cesser le traitement qui lui a été réservé à elle-même et à un grand nombre de ses collègues à la Direction.

[112] Il était difficile de croire que M. Stanfield n’avait jamais parlé à qui que ce soit des problèmes liés à la directrice générale. En outre, Mme Macdonald a clairement déclaré dans son témoignage qu’elle lui en avait bel et bien touché un mot.

[113] Même si elle a toujours eu de bonnes relations avec MM. Stanfield et Champagne, la plaignante a soutenu que leurs témoignages comportaient au moins un parti pris inconscient, étant donné qu’ils doivent travailler avec la directrice générale, qui se livre à de l’intimidation. La situation avait un caractère systémique – une atmosphère toxique régnait au sein de la Direction, les gens étaient démolis, rentraient chez eux malades, faisaient des crises de panique et présentaient des symptômes de stress post-traumatique. Le lien avec le processus de nomination réside dans le fait que les membres du comité de sélection étaient profondément impliqués dans cette situation; ils la vivaient jour après jour. Leurs témoignages ont montré qu’ils continuent de faire ce qu’ils sont obligés de faire.

[114] La plaignante a reconnu que sa plainte de harcèlement avait été jugée infondée, mais elle a souligné que le rapport d’enquête avait mentionné expressément que la directrice générale avait fait preuve [traduction] « […] d’un manque flagrant de jugement et de maîtrise de soi ». Dans ces conditions, il était hautement improbable que M. Stanfield n’ait rien su du harcèlement ou de la plainte de la plaignante.

D. Pour la Commission de la fonction publique

[115] La Commission de la fonction publique (« CFP ») n’a pas pris position sur le bien-fondé de la plainte, mais a présenté des observations écrites générales et liées précisément aux politiques.

IV. Motifs

A. Analyse des éléments de preuve

[116] Des problèmes de crédibilité ont surgi à plusieurs reprises au cours de l’audience. Afin de déterminer la crédibilité d’un témoignage, il faut évaluer dans quelle mesure il correspond aux probabilités raisonnables rattachées à une situation factuelle particulière. L’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « TDFP ») l’a expliqué comme suit dans la décision Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10 :

[…]

78 Le Tribunal doit procéder à une analyse de la crédibilité des témoins devant ces preuves contradictoires afin de déterminer laquelle de ces deux versions est la plus crédible. Le critère à appliquer est bien établi dans la jurisprudence tel qu’indiqué dans la décision Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, para. 45. Ce critère est expliqué ainsi à la page 357 de la décision Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.) :

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est conforme aux probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, le véritable critère permettant de déterminer la véracité du récit d’un témoin dans un cas de cette nature doit être la conformité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnables, compte tenu des conditions et de l’endroit [Traduction].

[…]

 

1. L’arrangeur

[117] Mme Macdonald a raconté dans son témoignage que la directrice générale appelait fréquemment M. Stanfield son « arrangeur », ce qui voulait dire, selon Mme Macdonald, qu’il trouvait une solution à tout ce qui devait être arrangé aux yeux de la directrice générale, par exemple des dossiers problématiques ou le cas d’employés qu’elle n’aimait pas. La plaignante a employé les mêmes mots pour décrire la relation de travail entre M. Stanfield et la directrice générale. Il lui était difficile de croire que la directrice générale ne parlerait pas de la plainte de harcèlement à son [traduction] « confident et arrangeur ».

[118] Aucun de ces témoignages n’a été contesté sur ce point et M. Stanfield ne l’a pas nié non plus. En conséquence, j’accepte les propos non contestés de la plaignante et de Mme Macdonald quant au fait que la directrice générale désignait ouvertement M. Stanfield comme étant son arrangeur et qu’il jouait ce rôle au sein de la Direction.

2. Les réunions informelles

[119] Mme Macdonald, Mme Reiter et la plaignante étaient des employées de longue date qui avaient énormément apprécié leur travail dans les services de communications du MJ, fonctions qu’elles exerçaient depuis 27 ans pour Mme Reiter, 19 ans pour la plaignante et près de 10 ans pour Mme Macdonald. Elles en étaient venues à vivement détester ce qu’elles ont toutes décrit comme un environnement de travail toxique qui s’est mis en place à l’arrivée de la directrice générale à la Direction.

[120] Les réunions informelles quotidiennes offraient un exemple de cet environnement malsain et ont fourni aux trois témoins des exemples précis et évocateurs du comportement souvent méprisant et condescendant de la directrice générale envers la plaignante et d’autres personnes. Les trois ont déclaré que, lors de ces réunions informelles, la directrice générale montrait clairement par son comportement les employés qu’elle favorisait et ceux qu’elle dédaignait. Elle souriait et parlait aux employés privilégiés avec courtoisie, même quand ils ne pouvaient pas lui donner les informations qu’elle recherchait. Elle traitait les autres avec un manque de respect marqué, que ce soit dans la manière dont elle s’adressait à eux ou dans son attitude humiliante, comme le fait de lever les yeux au ciel lorsqu’ils parlaient ou de les ignorer et de ne pas répondre à leurs questions ou à leurs commentaires.

[121] Selon Mme Reiter, Mme Spatuk, M. Champagne et la plaignante étaient les employés qui [traduction] « en souffraient le plus ». Mme Reiter, maintenant à la retraite, a présenté un témoignage sincère sur les réunions informelles qui n’a pas été contesté en contre-interrogatoire. Mme Macdonald et elle trouvaient toutes deux les réunions informelles extrêmement inconfortables et pénibles, parce qu’elles étaient témoins de ce comportement. Mme Reiter a déclaré que, même si elle a pu éviter d’y assister la plupart du temps, elle a cessé de s’y présenter tellement il était éprouvant de voir et d’entendre de ce qui s’y passait. Le témoignage de ces trois personnes n’a pas été contesté en contre-interrogatoire.

[122] Mme Reiter a déclaré que M. Champagne était un de ceux qui [traduction] « recevaient le pire traitement ». Le défendeur a fait valoir que M. Champagne a nié avoir subi de mauvais traitements de la directrice générale et que, par conséquent, le témoignage de Mme Reiter sur la conduite de la directrice générale à son égard et à l’égard de la plaignante devrait être rejeté.

[123] Les témoignages de Mme Reiter et de M. Champagne divergeaient sur la question de savoir si M. Champagne avait été victime du comportement négatif de la directrice générale au cours des réunions informelles. Toutefois, cette question n’a pas grand-chose à voir avec les allégations dans la présente affaire, qui portent sur l’existence d’une crainte raisonnable de partialité envers la plaignante. À ce sujet, les témoignages de la plaignante, de Mme Macdonald et de Mme Reiter concordent sur le fait que la directrice générale rabaissait et humiliait la plaignante durant les réunions informelles. Le témoignage de M. Champagne n’a pas contredit la preuve relative à la plaignante sur ce point. Il a simplement répondu [traduction] « pas à ma connaissance » en précisant qu’il ne parlait que de l’année ou de l’année et demie pendant laquelle il a assisté régulièrement aux réunions informelles.

[124] Même pour le gestionnaire le plus inattentif, il serait difficile de ne pas remarquer le comportement flagrant observé par les trois témoins lors de petites réunions tenues dans le couloir. Or, si on se fie à son témoignage, M. Stanfield est tout le contraire d’un gestionnaire inattentif. Il a insisté sur son empathie envers les gens, sur la nécessité d’établir et de préserver des relations solides en milieu de travail, sur l’importance qu’il fallait accorder à ces relations de même que sur sa disponibilité auprès des employés. Il a déclaré que, s’il avait été témoin de quoi que ce soit, il n’aurait pas pu, en tant que gestionnaire, rester les bras croisés.

[125] Ces réunions se tenaient tous les matins devant son bureau et celui de la directrice générale. Il a confirmé qu’il y assistait tous les jours quand il était membre participant régulier. Trois témoins crédibles ont soutenu que le comportement de la directrice générale était fréquent et extrêmement troublant. Mme Macdonald a déclaré qu’il était difficile d’assister aux réunions informelles en conséquence. Mme Reiter, bien qu’elle ait rarement été visée personnellement, a cessé de s’y présenter parce que c’était trop pénible à voir.

[126] Il est contraire à la prépondérance des probabilités que, durant toutes les réunions quotidiennes, sur plusieurs années, un gestionnaire attentif et dévoué comme M. Stanfield n’ait jamais remarqué que la plaignante, ou qui que ce soit d’autre, se faisait rabaisser ou humilier par les mots, le ton de la voix ou le langage corporel de la directrice générale. Je trouve qu’il est plus probable qu’improbable qu’il ait été témoin de cette conduite méprisante.

3. La vieille garde ou du sang neuf

[127] La plaignante et Mme Reiter ont toutes deux raconté que la directrice générale parlait souvent de se débarrasser de la « vieille garde » et d’apporter du « sang neuf ». M. Stanfield a affirmé qu’il n’a jamais entendu la directrice générale dire de telles choses et qu’il s’en serait souvenu, le cas échéant. Ces propos de Mme Reiter et de la plaignante n’ont pas été remis en question durant le contre-interrogatoire. J’accepte leurs témoignages incontestés sur le fait que la directrice générale utilisait souvent ces expressions en public à la Direction.

[128] La plaignante était une employée de longue date, engagée bien avant l’arrivée de la directrice générale. Dans ces circonstances et sur la base des éléments de preuve présentés, j’en déduis qu’elle faisait partie de ce que la directrice générale appelait la « vieille garde ».

[129] Mme Reiter et la plaignante ont également souligné qu’un certain nombre d’employés d’expérience avaient perdu leur poste ou une partie de leurs fonctions par différents moyens, notamment la création de postes sosies, ce qui les a amenés à quitter la Direction, à partir en congé de maladie ou à prendre leur retraite prématurément. Elles ont fait valoir qu’il s’agissait d’une tendance marquée à la Direction, ce que Mme Reiter n’avait jamais vu en 27 ans.

[130] Mme Reiter a déclaré que certains employés n’avaient pas posé leur candidature à des postes, car ils étaient convaincus qu’ils seraient écartés parce que la haute direction ne les aimait pas. Elle a rencontré un représentant syndical pour tenter d’améliorer l’ambiance au travail et a fourni au syndicat des informations sur sept scénarios de dotation en personnel qui, selon elle, devaient être réexaminés. Elle était d’avis que les règles n’avaient pas été respectées et que ces scénarios semblaient viser à remplacer la vieille garde par du sang neuf.

[131] Le défendeur a fait valoir que le témoignage de Mme Reiter était irrecevable en tant que ouï-dire et dénué de valeur probante, et il a posé à Mme Reiter seulement trois questions en contre-interrogatoire, qui visaient toutes à démontrer simplement qu’elle n’était au courant d’aucune décision en matière de dotation, ce qu’elle a confirmé sans hésiter. Bien sûr, Mme Reiter ne savait pas tout, mais elle pouvait néanmoins témoigner sur ce qu’elle avait observé, sur ce qu’elle voyait se produire sur le lieu de travail.

[132] Elle n’a pas laissé entendre qu’elle connaissait intimement la situation de M. Champagne. Toutefois, elle l’a vu passer d’un poste de gestionnaire à la tête d’un service complet, où il dirigeait neuf subalternes, à un poste où il s’occupait de projets mineurs, pendant qu’une personne 20 ans plus jeune faisait son travail. Elle a constaté, ce que son supérieur lui a confirmé, que Mme Spatuk avait été remplacée définitivement lorsqu’elle a accepté une affectation de courte durée dans le but de bonifier son expérience et de chercher à obtenir une promotion pour, en fin de compte, prendre sa retraite. Le défendeur n’a contesté directement aucune des déclarations de Mme Reiter et n’a pas cherché à les expliquer.

[133] Mme Reiter, Mme Macdonald et la plaignante ont également affirmé que certains membres de la « vieille garde » étaient simplement partis en raison de l’environnement de travail toxique. Au moins une poignée de gestionnaires ont annoncé à la plaignante qu’ils n’avaient pas le choix de s’en aller parce que la directrice générale agissait en tyran. Mme Reiter a expliqué qu’il y a eu de nombreux départs, ce qui a engendré une pénurie de personnel qui, avec l’augmentation de l’absentéisme, a aggravé le niveau déjà élevé de stress et de tension au sein de la Direction. Mme Reiter et la plaignante ont toutes deux déclaré que d’autres employés sont venus dans leurs bureaux respectifs pour parler, souvent en pleurant, de ces problèmes. Ce qui avait été l’emploi de rêve de Mme Reiter pendant de nombreuses années s’est transformé en un milieu de travail insupportable. Elle aurait vraiment voulu rester, mais est arrivé le moment où elle a dû partir elle aussi.

[134] M. Champagne était gestionnaire des communications électroniques depuis 2006. Il a raconté que la nouvelle directrice générale est arrivée en 2015 puis qu’elle a mis en place, en 2017, une nouvelle structure qui a modifié son rôle à lui. À un autre moment, il a décrit sa transition professionnelle en expliquant que la directrice générale le voyait comme la personne idéale pour s’occuper de ce processus de nomination et lui avait demandé s’il accepterait de travailler sur des questions liées aux RH. Il s’est efforcé de dépeindre la situation sous son meilleur jour et a minimisé toute allusion négative au comportement de la directrice générale dans son témoignage. C’est tout à fait compréhensible.

[135] Ni lui ni M. Stanfield n’ont expliqué pourquoi il s’occupait de « projets spéciaux » depuis 2017 pendant qu’un autre employé effectuait le travail rattaché au poste de gestion qu’il occupe toujours. Ils n’ont pas non plus précisé quel était le poste de l’employé qui faisait ce travail. Ils ont tous deux mentionné divers projets spéciaux sur lesquels M. Champagne avait travaillé et ont constamment parlé de son « rôle » plutôt que de son poste; il était clair qu’il s’agissait de deux notions différentes. M. Champagne a reconnu qu’il n’avait plus neuf employés sous sa direction, mais il a indiqué que son équipe [traduction] « avait toujours été décentralisée ». Il a déclaré qu’il assistait régulièrement aux réunions informelles lorsqu’il était gestionnaire, mais que sa participation était devenue sporadique lorsqu’il a [traduction] « cessé d’être impliqué dans les opérations quotidiennes ».

[136] Mme Reiter s’est exprimée plus catégoriquement en précisant que M. Champagne avait été remplacé à son poste de gestionnaire par un employé 20 ans plus jeune et comptant beaucoup moins d’expérience, ce qui avait perturbé tout le monde. Cet aspect de son témoignage n’a pas été attaqué en contre-interrogatoire.

[137] Les propos plus vagues de MM. Champagne et Stanfield quant à la façon dont M. Champagne en est venu à jouer un « rôle » différent tout en continuant à occuper le même poste n’ont pas contredit la version de Mme Reiter et l’ont même plutôt confirmée. M. Stanfield a déclaré que M. Champagne était gestionnaire mais qu’il faisait beaucoup de travail dans le domaine des RH. Il a reconnu que lorsqu’il exerçait le « rôle » de gestionnaire, M. Champagne rendait des comptes au chef des services créatifs alors qu’il relevait désormais de lui, mais il a souligné qu’il s’agissait uniquement d’une relation hiérarchique fonctionnelle.

4. La situation de Mme Macdonald

[138] Mme Macdonald a déclaré avoir annoncé à M. Stanfield qu’elle était obligée de partir en raison du comportement de la directrice générale. Elle lui a raconté que l’environnement de travail l’affectait de plus en plus émotionnellement, au point où elle avait fait une crise de panique à l’idée d’entrer dans l’édifice, et qu’elle ne pouvait pas continuer à travailler dans ces conditions. Lorsqu’il s’est braqué initialement contre l’idée d’une affectation, Mme Macdonald a persisté et lui a fait comprendre que soit elle recevait une affectation, soit elle devait démissionner ou partir en congé de maladie prolongé.

[139] En contre-interrogatoire, M. Stanfield n’a pas répondu directement à plusieurs questions directes sur les raisons que Mme Macdonald lui avait données pour expliquer qu’elle devait changer de lieu de travail. Il a plutôt exprimé des généralités au sujet de son évaluation du problème de Mme Macdonald et de son rendement au travail – il savait seulement qu’elle éprouvait des difficultés pour gérer certains de ses dossiers ou pour comprendre la vision d’une nouvelle directrice générale et faire la transition nécessaire.

[140] Quand on lui a demandé si Mme Macdonald ne l’avait pas en fait informé qu’elle devait démissionner, ou bien partir en affectation ou prendre un congé de maladie, il a répondu qu’elle connaissait extrêmement bien les questions de paye, qu’elle avait l’impression que Phénix était une question passionnante et stimulante à l’époque et qu’elle avait noué de bonnes relations avec les RH qui lui ont donné l’occasion de travailler sur les dossiers de paye.

[141] Le témoignage de Mme Macdonald sur ce qu’elle a dit à M. Stanfield n’a pas été remis en question durant le contre-interrogatoire ni été directement réfuté par M. Stanfield lors de son interrogatoire principal. Lorsque M. Stanfield a été contre-interrogé à ce sujet, sa réplique la plus directe au témoignage de Mme Macdonald a été d’affirmer qu’il ne se souvenait de rien d’aussi lourd qu’une crise de panique. En outre, il a simplement raconté une histoire différente, celle d’une employée qui avait du mal à assumer ses responsabilités et qui ne pouvait pas s’adapter au changement.

[142] J’accepte le témoignage de Mme Macdonald. Contrairement à ce qu’a affirmé M. Stanfield, qui a prétendu ne pas être au courant de quoi que ce soit pouvant être reproché à la directrice générale dans sa conduite envers certains employés, je suis d’avis qu’il était au courant de la situation de Mme Macdonald, parce que cette dernière lui en avait parlé.

5. Le comité de sélection était au courant des problèmes de harcèlement soulevés par la plaignante

[143] M. Champagne a été équivoque lorsqu’on lui a demandé s’il savait que la plaignante avait déposé une plainte de harcèlement. Il a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne crois pas, c’était en 2018. Je ne pense pas; je savais qu’il y avait des problèmes ». Je déduis de cette réponse qu’il était au courant des problèmes de harcèlement présumé à l’endroit de la plaignante. Il est possible qu’il ait su ou pas qu’elle avait déposé une plainte.

[144] En contre-interrogatoire, la plaignante a mentionné qu’elle avait parlé à Mme Gagnon d’une plainte de harcèlement. L’avocat du défendeur n’a pas approfondi cette question avec la plaignante. Il n’a pas cherché à contester ce témoignage ni convoqué Mme Gagnon à la barre pour le réfuter. On ne savait pas exactement si la plaignante avait parlé à Mme Gagnon de sa plainte ou de la plainte collective; cependant, au minimum, ce témoignage non contesté indique que Mme Gagnon était au courant de l’existence d’une plainte de harcèlement liée à la plaignante, puisque la plaignante était impliquée dans les deux.

[145] M. Stanfield a déclaré dans son témoignage principal qu’il ne savait rien de la plainte de harcèlement déposée par la plaignante. Questionné à nouveau en contre-interrogatoire, il a répondu qu’il ne savait rien de précis, en ajoutant toutefois ce qui suit : [traduction] « Je dirai que des questions ont été soulevées et que la situation a été portée à mon attention lorsque notre sous-ministre nous a convoqués à une réunion dans la salle de conférence pour annoncer que des problèmes étaient examinés. Mais je n’avais pas d’informations précises » [je mets en évidence].

[146] Interrogé sur la plainte collective, il a déclaré : [traduction] « Je n’avais pas d’informations précises, comme beaucoup de gens à la Direction, à cause de la réunion avec la sous-ministre où il n’y avait eu aucune attribution ni aucune personne identifiée » [je mets en évidence] et [traduction] « je me souviens effectivement que la réunion en avril avec la sous-ministre a sensibilisé tout le monde » [je mets en évidence]. Lorsqu’on lui a demandé quel était l’objet de cette sensibilisation, M. Stanfield a répondu ceci :

[Traduction]

Sans aucune attribution, certains problèmes ont été soulevés à propos du style [de la directrice générale] et du fait qu’elle [la sous-ministre] s’était saisie du dossier et le prenait au sérieux, c’était de nature très générale, pour beaucoup d’entre nous, il était rare de se faire convoquer à une réunion par la sous-ministre, donc la plupart ne savaient rien et n’ont pas appris grand-chose non plus – la réunion visait juste à nous informer que la situation était prise en main.

[Je mets en évidence]

 

[147] J’en déduis que ce langage inclusif était destiné à faire comprendre que M. Stanfield était comme tout le monde – un membre de la masse non informée de gens convoqués à une réunion très inhabituelle de tout l’effectif de la Direction avec la sous-ministre et qui n’en ont pas vraiment tiré de renseignements clairs. Ces propos entrent en contradiction frappante avec son poste de gestionnaire et avec les éléments de preuve incontestés selon lesquels il était connu sur le lieu de travail comme l’« arrangeur » de la directrice générale.

[148] En outre, M. Stanfield a insisté sur l’importance de ses obligations à titre de gestionnaire et sur la valeur qu’il accordait à l’établissement et au maintien de bonnes relations au travail, ainsi qu’à son rôle de soutien auprès des employés. Selon lui, s’il avait été témoin d’un comportement inacceptable de la part de la directrice générale, il aurait été obligé, en tant que gestionnaire, de s’en occuper.

[149] Pourtant, lorsque la sous-ministre a estimé que la situation dont elle avait été informée était suffisamment grave pour justifier que la directrice générale présente ses excuses à l’ensemble de la Direction, puis qu’elle-même mette ses bras autour de la directrice générale et annonce aux employés qu’elles avaient eu une conversation franche, que la directrice générale bénéficierait d’un encadrement et qu’il y aurait un soutien continu pour les employés, M. Stanfield ne s’est pas senti obligé de même chercher à savoir ce qui se passait ou qui était impliqué. Il s’est contenté de rester dans l’ignorance, de ne pas avoir, selon ses propres termes, [traduction] « d’informations précises » et d’accepter simplement que l’information reçue par tous les employés de la direction ne comportait [traduction] « aucune attribution ». Cette réaction ne correspond absolument pas à la valeur qu’il prétendait accorder au respect de ses obligations de gestionnaire et au soutien qu’il disait offrir à ses employés.

[150] Je souligne et j’accepte également le témoignage de la plaignante selon lequel son rôle dans la plainte collective était de notoriété publique au sein de la Direction. Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que M. Stanfield ait au moins su que la plaignante avait quelque chose à voir avec cette plainte.

[151] En conséquence, j’estime qu’il est plus probable qu’improbable que les trois membres du comité de sélection étaient au courant de la situation de la plaignante et du harcèlement qu’elle disait subir de la part de la directrice générale. Les éléments de preuve n’étaient pas clairs quant à l’ampleur des informations qu’ils possédaient ou des détails qui leur avaient été transmis, mais je suis d’avis, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils savaient tous quelque chose.

B. Une crainte raisonnable de partialité

[152] L’article 77 de la LEFP dispose qu’un candidat non retenu dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne peut présenter une plainte à la Commission selon laquelle il n’a pas été nommé en raison d’un abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite par le directeur général dans l’exercice de ses attributions. Le prédécesseur de la Commission a défini l’« abus de pouvoir » dans la décision Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2016 CRTESPF 33, en ces termes :

[…]

[13] Le plaignant allègue un abus de pouvoir dans l’évaluation de ses qualifications. Comme il est indiqué dans Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8 au paragr. 71, un abus de pouvoir est essentiellement une mesure que le législateur n’aurait pu envisager dans le cadre du pouvoir discrétionnaire conféré à l’autorité déléguée. En d’autres termes, agir d’une façon « outrageuse, déraisonnable ou inacceptable ». Comme le Tribunal l’a souvent déclaré, un abus de pouvoir est une question de degré. Il ne peut pas s’agir d’une omission ou d’une erreur équivalant à un abus de pouvoir; le comportement doit plutôt être d’une nature si flagrante qu’il ne peut pas être envisagé par le gestionnaire délégué dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire.

[14] Il est important également d’indiquer que le fardeau de la preuve incombe au plaignant; ce dernier doit établir que le défendeur a commis une erreur de nature si grave qu’elle constitue un abus de pouvoir.

[…]

 

[153] En l’espèce, la plaignante allègue qu’un abus de pouvoir a eu lieu et invoque une crainte raisonnable de partialité.

[154] Le critère servant à déterminer qu’il existe une crainte raisonnable de partialité est bien établi (voir Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, et Newfoundland Telephone Co c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623). Il a été appliqué maintes fois dans des affaires de dotation (voir Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, et plus récemment Massabki c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2022 CRTESPF 79; Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37, et Menzies c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 68).

[155] La Commission doit se demander si un observateur relativement bien informé pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez le défendeur. Il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y ait eu partialité : celleci doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente (voir Denny, au par. 124).

[156] Le défendeur m’a renvoyée à la décision Wepruk c. Sous-ministre de la santé, 2018 CRTESPF 14, où la Commission a conclu que l’environnement de travail était effectivement toxique, mais que la plaignante ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir qu’il y avait une crainte de partialité de la part du défendeur. La plaignante dans la décision Wepruk alléguait, entre autres, que la composition du comité d’évaluation ne pouvait pas mener à une évaluation juste et impartiale étant donné le harcèlement et la discrimination dont elle a fait l’objet au travail et des griefs qu’elle avait déposés.

[157] Les faits dans la décision Wepruk sont très différents des circonstances en l’espèce. Dans l’affaire Wepruk, la Commission a souligné que deux des trois membres du comité ne connaissaient pas la plaignante. Et lorsqu’il y avait une différence entre les évaluations des membres du comité, le directeur régional s’en remettait à l’expert en la matière, qui n’avait aucune impression préconçue à l’égard de la plaignante. Il a fait de même pour les évaluations de tous les candidats. L’expert en la matière a également expliqué dans son témoignage qu’il était devenu membre du comité de sélection lorsque son directeur général avait donné son nom à titre de volontaire pour évaluer le processus de nomination en cause. Il n’avait jamais rencontré le directeur régional et ne connaissait pas la plaignante.

[158] Dans la décision Denny, la CFP a soutenu que l’apparence de partialité était préoccupante parce que les éléments de preuve démontraient que le plaignant et un évaluateur « avaient eu maille à partir dans le passé », de sorte que davantage de mesures auraient dû être prises pour atténuer la crainte de partialité, notamment faire en sorte qu’une autre personne administre l’examen. Le TDFP a estimé que d’autres personnes qualifiées auraient pu administrer l’examen et a conclu que le défendeur avait abusé de son pouvoir en demandant à l’évaluateur de le faire en dépit d’une crainte raisonnable qu’il puisse faire preuve de partialité à l’encontre du plaignant.

[159] En l’espèce, les problèmes de la plaignante n’étaient pas directement liés à un membre du comité de sélection, mais plutôt à la directrice générale. Cependant, elle a précisé que ses problèmes étaient bien connus au sein de la Direction. La directrice générale exprimait son opinion négative sur certains employés, dont la plaignante, avec vigueur, mépris et sans se cacher. Mme Reiter et Mme Macdonald en ont été fréquemment témoins.

[160] Pour les motifs exposés plus haut dans la présente décision, j’estime qu’il est plus probable qu’improbable que M. Stanfield ait été témoin de la conduite méprisante de la directrice générale envers la plaignante, qu’il savait que la conduite de la directrice générale posait problème au sein de la Direction et qu’il était au courant du rôle de la plaignante dans la plainte collective. J’ai également constaté que M. Champagne autant que Mme Gagnon étaient informés des problèmes de harcèlement soulevés par la plaignante à l’endroit de la directrice générale. Chacun des membres du comité de sélection connaissait au moins en partie les rapports difficiles entre la plaignante et la directrice générale. De plus, ils travaillaient tous directement avec la directrice générale qui, en raison de son poste, exerçait un pouvoir sur eux. Par conséquent, comme dans la décision Denny, davantage de mesures auraient pu, et auraient dû, être prises pour atténuer la crainte de partialité; par exemple, il aurait fallu nommer des membres au comité de sélection qui n’étaient pas au courant de ces difficultés.

[161] Un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité au sein du comité dans cette affaire.

[162] Comme dans la décision Denny, le défendeur estimait qu’il incombait à la plaignante de mentionner toute question de partialité avant l’entrevue. C’est exactement ce qu’a déclaré M. Stanfield dans son témoignage. La plaignante a soulevé la question auprès de la Direction générale du milieu de travail avant son entrevue, ce qui était logique, car le comportement des membres de la Direction générale avait exacerbé une situation de partialité potentielle. Non seulement la plaignante a-t-elle soulevé la question, mais elle a aussi demandé de l’aide pour connaître la marche à suivre. La Direction générale du milieu de travail a répondu brièvement, sans aborder ce sujet, mais elle a complètement ignoré le problème de partialité ainsi que la demande d’aide et de conseils de la plaignante. Dans ces conditions, celle-ci avait toutes les raisons de penser qu’elle devait se débrouiller seule et qu’elle n’avait qu’à essayer de tenir bon. Il est donc tout à fait compréhensible qu’elle ait été réticente à mentionner un problème de partialité aux personnes mêmes qui faisaient l’objet de ses doutes.

[163] En outre, la Direction générale du milieu de travail avait indiqué par écrit qu’elle ne devait pas discuter de la plainte de harcèlement avec qui que ce soit. La plaignante en a déduit qu’elle était liée par cette directive. Avant l’entrevue, apprenant que sa plainte avait été transmise à la directrice générale, contre son gré, elle a posé la question suivante : [traduction] « Et dites-moi si la personne visée [la directrice générale] a été tenue également de garder toute cette affaire confidentielle, comme on m’a demandé de le faire dans la lettre qui m’a été envoyée? » Elle a reçu la réponse suivante de la Direction générale : [traduction] « […] je peux t’assurer également que la lettre qui a été envoyée à la personne visée contenait bien la mise en garde concernant la confidentialité des informations », ce qui a persuadé la plaignante, l’après-midi précédant son entrevue, que sa plainte de harcèlement devait rester confidentielle.

[164] L’avocat du défendeur a soulevé le fait que la plaignante n’ai pas manifesté son malaise, ce qui l’a empêchée de se défaire de sa perception de partialité, puis qu’elle [traduction] « [fasse ensuite] des reproches aux membres du comité de sélection ». Comme l’a expliqué la plaignante :

[Traduction]

Mettez-vous vraiment à ma place et imaginez comment j’aurais pu leur dire que je mettais en doute leur partialité? À quoi j’aurais pu réellement m’attendre d’eux alors qu’ils relèvent d’une personne qui est bien connue pour agir en tyran – sans oublier que je n’étais pas autorisée à en parler à qui que ce soit – la situation était sans issue.

 

[165] Dans la décision Denny, le TDFP a clairement indiqué que les membres du comité de sélection ont le devoir d’agir de manière juste, ce qui implique de veiller à ce que leur évaluation soit impartiale et ne suscite pas de crainte raisonnable de partialité. Le manquement à ce devoir constitue un abus de pouvoir (voir Gignac, au par. 71). Dans ces circonstances, il aurait été tout à fait irréaliste et injuste de s’attendre à ce que la plaignante soulève les problèmes de partialité dans une entrevue, surtout lorsqu’elle avait reçu l’instruction de ne divulguer aucune information sur sa plainte de harcèlement. Ce n’est pas à la plaignante de veiller à l’équité de la procédure, mais au comité de sélection.

[166] Le défendeur a également fait valoir que la plaignante n’avait pas démontré que sa candidature avait été rejetée pour d’autres raisons que celles citées par MM. Champagne et Stanfield. Le rôle de la Commission n’est pas de réévaluer la plaignante, mais plutôt de juger s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir Vaudrin c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 19, au par. 65 et Broughton c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2007 TDFP 20, au par. 54). Comme je l’indique plus haut dans la présente décision, le défendeur a l’obligation de procéder à une évaluation qui ne suscite pas de crainte raisonnable de partialité. Le fait de ne pas remplir ce devoir constitue un abus d’autorité.

[167] Dans la décision Parker c. le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2010 TDFP 21, comme dans la décision Denny, le TDFP a souligné que les tribunaux avaient reconnu qu’il est difficile d’établir une preuve directe de parti pris et que, par conséquent, l’équité exige qu’il n’y ait aucune crainte raisonnable de partialité. Le TDFP s’est demandé si un observateur relativement bien informé du processus de nomination pourrait raisonnablement percevoir un parti pris chez une ou plusieurs des personnes ayant évalué la plaignante.

[168] Avant le processus de nomination en cause dans la décision Parker, la plaignante avait exprimé des préoccupations quant à un possible conflit d’intérêts, sans lien avec le processus en question, impliquant la gestionnaire d’embauche. Sa supérieure n’a pris aucune mesure en conséquence et c’est l’administration centrale qui est intervenue pour retirer le dossier à la gestionnaire d’embauche. La plaignante avait l’impression que sa relation avec sa supérieure avait changé par la suite et craignait de s’être placée dans une position précaire en soulevant la question du conflit d’intérêts.

[169] Sa supérieure était la gestionnaire d’embauche dans le cadre du processus de sélection en litige. Une des membres du comité de sélection était également au courant du conflit d’intérêts possible mentionné par la plaignante. En outre, une autre membre du comité de sélection avait envoyé à la gestionnaire un message remettant en question le comportement de la plaignante lors d’une réunion où elle aurait critiqué sa gestionnaire et deux autres personnes qui évaluaient certains aspects de sa candidature. Cette membre a dû se retirer du comité de sélection, mais la gestionnaire a montré le message à la plaignante et en a discuté avec elle peu avant son entrevue.

[170] Comme dans le cas présent, les membres du comité de sélection dans l’affaire Parker ont nié toute influence ou ingérence de la part de la gestionnaire, et leur témoignage au sujet de la prestation peu satisfaisante de la plaignante en entrevue n’a pas été remis en question. Toutefois, le TDFP a estimé que, s’il était approprié que la gestionnaire discute du message avec la plaignante, rien ne prouvait que l’affaire était urgente au point où il était nécessaire de le faire si près de l’évaluation et que la gestionnaire n’avait pas pris en considération l’impact que le message et sa discussion à ce propos avec la plaignante auraient sur cette dernière.

[171] Selon le TDFP, un observateur relativement bien informé examinerait les éléments de preuve non contestés au sujet du message, de la situation possible de conflit d’intérêts soulevée par la plaignante et de son sentiment de s’être placée dans une position précaire après l’avoir fait. Le tribunal s’est exprimé en ces termes :

[…]

67 Il arrive souvent que les personnes chargées de l’évaluation des candidats connaissent ceux‑ci de près ou de loin, notamment en raison du poste qu’elles occupent au sein de l’organisation. Dans certaines circonstances, des renseignements personnels pertinents peuvent s’avérer être des outils importants dans l’évaluation des candidats.

68 Toutefois, en l’espèce, non seulement un observateur relativement bien informé tiendrait compte des connaissances des membres du comité d’évaluation, mais il considérerait dans leur ensemble toutes les mesures prises par rapport à la plaignante et à sa candidature. L’observateur en arriverait donc à la conclusion que, selon toute vraisemblance, le comité d’évaluation a fait preuve de parti pris contre la plaignante.

69 […] En l’espèce, l’ensemble complexe de relations, de connaissances et de démêlés entre les membres du comité d’évaluation et la plaignante, de même que les événements ayant précédé l’entrevue donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[172] Dans la présente affaire, bien que la directrice générale n’ait pas siégé au comité de sélection, son confident et arrangeur, M. Stanfield, était chargé du processus de nomination. M. Champagne avait été gestionnaire, mais depuis 2017, il était affecté à divers rôles au gré de la directrice générale et rendait des comptes désormais à M. Stanfield. Mme Gagnon n’a pas témoigné, et on sait peu de choses sur son rôle dans cette affaire, mais deux faits ressortent clairement : nommée directrice générale adjointe depuis peu (un an), elle relevait de la directrice générale, et la plaignante avait discuté avec elle d’une plainte de harcèlement visant la directrice générale. Dans ce contexte, il n’était pas déraisonnable pour la plaignante de se demander : [traduction] « Comment auraient-ils pu ne pas prendre les mesures qui correspondaient à ce que la directrice générale, ils le savaient, souhaitait? »

[173] Comment, en effet? Les éléments de preuve incontestés ont décrit une direction gérée par la peur. Aucun des membres du comité de sélection ne pouvait être considéré comme étant réellement objectif, même s’ils s’efforçaient tous de l’être. Le comportement de la directrice générale les a compromis en créant un tel environnement. En l’espèce, le défendeur aurait dû s’assurer que les membres du comité de sélection échappaient complètement à la sphère d’influence de la directrice générale et qu’ils ne savaient rien de son penchant pour ou contre un quelconque candidat, dont la plaignante.

[174] En outre, comme l’a déclaré le TDFP dans la décision Parker, un observateur relativement bien informé « tiendrait compte non seulement des connaissances des membres du comité [de sélection], mais il considérerait dans leur ensemble toutes les mesures prises par rapport à la plaignante et à sa candidature ».

[175] Pour considérer dans leur ensemble toutes les mesures prises par rapport à la plaignante et à sa candidature, un observateur relativement bien informé devrait tenir compte du mépris exprimé publiquement par la directrice générale envers la plaignante, des commentaires publics de la directrice générale sur la nécessité de se débarrasser de la « vieille garde » et d’apporter du « sang neuf », de la participation active de la plaignante dans la plainte collective et de la communication de la plainte de harcèlement de cette dernière à la directrice générale la semaine précédant l’entrevue, accompagnée de la directive de garder la plainte confidentielle.

[176] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, je suis d’avis qu’un observateur relativement bien informé pourrait raisonnablement percevoir que le comité avait un parti pris, consciemment ou non, contre la plaignante. En conséquence, je conclus que le défendeur a abusé de son pouvoir, contrairement à l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

C. La mesure corrective

[177] Le paragraphe 81(1) de la LEFP décrit comme suit les mesures correctives qui peuvent être ordonnées lorsque la Commission estime qu’une plainte est indiquée :

(1) Si elle juge la plainte fondée, la Commission des relations de travail et de l’emploi peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

 

[178] La plaignante ne travaille plus à la Direction depuis 2018; elle n’est jamais revenue après ces événements et a finalement pris sa retraite de la fonction publique pour des raisons médicales. Elle a retiré sa demande initiale d’être réévaluée [traduction] « […] de manière équitable et impartiale […] par un comité […] qui ne relève pas directement de la directrice générale […] » et ne demande que la révocation de la nomination.

[179] Selon l’article 30 de la LEFP, une personne peut être nommée à un poste si l’administrateur général est convaincu qu’elle possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. Il n’a pas été prouvé que la personne nommée ne remplissait pas les critères de mérite; ses qualifications n’ont pas non plus été contestées; la plaignante l’a franchement décrite comme très compétente. Par conséquent, il ne serait pas approprié de révoquer la nomination.

[180] Dans un contexte similaire, la Commission s’est exprimée ainsi dans la décision Gomy c. Sous-ministre de la Santé, 2019 CRTESPF 84 :

[…]

[140] En l’espèce, la preuve appuie la conclusion qu’il existe une crainte raisonnable de partialité par rapport à l’évaluation du plaignant. […]

[141] Il n’existe pas de preuve, toutefois, que la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères de mérite. […] je ne tire pas la conclusion que l’évaluation des réponses données par la personne nommée a été faite de manière illégitime pour des motifs d’abus de pouvoir. J’en arrive plutôt à la conclusion qu’il existe une crainte raisonnable de partialité par rapport à l’évaluation du plaignant.

[142] Pour ces raisons, j’estime que la révocation de la nomination en l’espèce n’est pas appropriée. […] Puisque je n’ai pas de raison de croire que sa nomination résulte d’un abus de pouvoir et que je ne dispose d’aucun élément de preuve qui indiquerait que cette personne n’est pas qualifiée, je conclus que la révocation de sa nomination n’est pas appropriée.

[143] J’estime plutôt que, dans les circonstances de cette plainte, une déclaration selon laquelle Mme Messier a abusé du pouvoir discrétionnaire qui lui a été délégué puisqu’il existe une crainte raisonnable de partialité par rapport à l’évaluation du plaignant est suffisante. […]

[…]

 

[181] La mesure corrective en l’espèce, dans ces circonstances, sera une déclaration selon laquelle il y a eu abus de pouvoir.

D. Recommandations

[182] Comme la Cour fédérale l’a indiqué dans la décision Canada (Procureur général) c. Beyak, 2011 CF 629, la Commission peut également formuler des recommandations pour éviter que la situation ayant mené à un abus de pouvoir se répète. Par conséquent, je fais les recommandations suivantes :

[183] En m’appuyant sur les témoignages que j’ai entendus en l’espèce, je recommande que le défendeur revoie ses pratiques de dotation pour veiller au respect de la LEFP.

[184] En m’appuyant sur les témoignages que j’ai entendus en l’espèce, je conclus que la Direction générale du milieu de travail a causé un préjudice considérable à la plaignante et qu’elle n’a pas assumé la responsabilité de ses actes. Je souligne également la tentative du défendeur de se distancier de la Direction générale du milieu de travail, son avocat allant jusqu’à dire que cette Direction générale [traduction] « n’a rien à voir avec le défendeur ».

[185] Je recommande au défendeur de mettre en place des politiques et des procédures révisées ou nouvelles concernant les plaintes de harcèlement et les processus de nomination, afin de s’assurer qu’une aide concrète peut être fournie et que les employés ne sont pas placés dans des situations difficiles comme l’a été la plaignante dans la présente affaire.

[186] Pour les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante.)


 

V. Ordonnance

[187] La plainte est accueillie.

[188] Je déclare que le défendeur a abusé de son pouvoir en raison de la crainte raisonnable de partialité qui a été suscitée dans son évaluation de la plaignante.

Le 28 novembre 2024.

 

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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