Date : 20241112
Dossier : 566‑02‑42167
Référence : 2024 CRTESPF 153
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral et
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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entre
A.B.
fonctionnaire s’estimant lésé
et
Conseil du Trésor
(ministère de la Défense nationale)
défendeur
Répertorié
A.B. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Ronald A. Pink, c.r., et Sophie Pinot, avocats
Pour le défendeur : Joel Stelpstra, avocat, Services juridiques du Conseil du Trésor
Affaire entendue à Halifax (Nouvelle‑Écosse)
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION
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(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Introduction
[1] Il s’agit d’un cas de licenciement. En 2019, A.B, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a été reconnu coupable d’une infraction grave prévue au Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C‑46). Les actes pour lesquels le fonctionnaire a été reconnu coupable ont eu lieu lorsqu’il n’était pas en service, ne concernaient aucun de ses collègues ou gestionnaires et sont survenus des années avant que les accusations menant à sa déclaration de culpabilité aient été portées contre lui.
[2] L’employeur a licencié le fonctionnaire le 26 septembre 2019. L’employeur a déclaré que les actes pour lesquels le fonctionnaire avait été déclaré coupable violaient ses normes de conduite et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (CVESP). Il a expliqué que les normes et le Code énonçaient des principes en fonction desquels les employés exerçaient leurs rôles et responsabilités, qu’ils soient en service ou non. Il a affirmé que le respect de ces principes faisait partie des conditions d’emploi du fonctionnaire. L’employeur a soutenu que le [traduction] « comportement délibéré » du fonctionnaire était inacceptable et qu’il ne pouvait être approuvé ni toléré.
[3] La question que je dois trancher est celle de savoir si la déclaration de culpabilité du fonctionnaire – ou l’infraction pour laquelle il a été reconnu coupable – justifiait une mesure disciplinaire et, dans l’affirmative, s’il était approprié de procéder à un licenciement, plutôt que d’appliquer une sanction moindre. La réponse se dégagera de l’analyse des principes établis dans la décision Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers International Union, Local 9‑670, [1967] O.L.A.A. No. 4 (QL) (« Millhaven Fibres »).
[4] Compte tenu des faits et des motifs qui suivent, j’ai jugé que le licenciement n’était pas justifié et que le fonctionnaire devait être réintégré dans ses fonctions, selon certaines modalités.
[5] Je dois également préciser que, compte tenu de la nature des infractions criminelles pour lesquelles le fonctionnaire a été reconnu coupable en 2019 et de ma décision d’ordonner la réintégration du fonctionnaire dans son milieu de travail, j’ai décidé d’anonymiser le nom de certains des témoins, ainsi que celui du fonctionnaire. Les parties recevront une légende leur permettant de divulguer ces noms si cela devient nécessaire sur le plan juridique dans le cadre d’une instance judiciaire ou d’une procédure administrative. J’ai également décidé pour la même raison que l’ensemble du dossier, y compris toutes les pièces, devait être assujetti à une ordonnance de mise sous scellés.
II. L’audience et la preuve
[6] Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits (« ECF »; pièce A1), qui a été complété par le témoignage de témoins. Les déclarations figurant dans l’ECF portent sur les éléments essentiels de l’affaire. Les témoignages des témoins et les documents joints à l’ECF fournissent le contexte des déclarations.
[7] Le fonctionnaire a présenté un recueil de documents (pièce U2). L’employeur a présenté un recueil de documents supplémentaires (pièce E3).
[8] L’employeur exploite l’Installation de maintenance de la flotte Cape Scott (« IMF‑CS » ou, plus généralement, « Cape Scott »), qui est une installation spécialisée de réparation et d’entretien de la Marine royale canadienne, située à l’arsenal canadien de Sa Majesté à Halifax, en Nouvelle‑Écosse (ECF, onglet 2).
[9] Au nom de l’employeur, j’ai entendu les témoignages des témoins suivants :
1) Le capitaine David Benoit (à la retraite), qui était commandant de Cape Scott de 2018 à 2020 et qui a formulé la recommandation en 2019 de licencier le fonctionnaire;
2) Margaret Miller, qui était gestionnaire du centre de travail pendant toute la période pertinente et dont les responsabilités comprenaient la dotation et la participation à des réunions avec le personnel, ainsi que le centre des systèmes de soutien à Cape Scott, où le fonctionnaire travaillait;
3) « JK », qui a servi dans les forces armées canadiennes à titre de militaire pendant 30 ans avant de prendre sa retraite et de revenir à titre d’employé civil et qui, pendant toute la période pertinente, était superviseur au centre des systèmes de soutien qui employait un groupe de spécialistes en systèmes électroniques (SSE), dont faisait partie le fonctionnaire;
4) « CD », un collègue du fonctionnaire en 2015;
5) « EF », un autre collègue du fonctionnaire en 2015;
6) « GH », un technicien en électronique (TE) qui travaille au centre des systèmes de soutien depuis octobre 2020 et qui ne connaissait pas le fonctionnaire et n’avait jamais rencontré celui‑ci, mais qui a témoigné au sujet de ses préoccupations quant à la possibilité que le fonctionnaire retourne au travail si le grief était accueilli.
[10] J’ai entendu le témoignage du fonctionnaire pour son propre compte.
[11] Je fais remarquer qu’il y avait peu de désaccords entre les parties quant aux faits qui ne figurent pas dans l’ECF. Les différends, lorsqu’il y en avait, concernaient plutôt les déductions ou les conséquences juridiques à tirer de ces faits. Les témoignages des témoins ont souvent été présentés davantage pour étayer les conclusions qu’une partie souhaitait que je tire plutôt que pour appuyer un différend important. Par conséquent, je présenterai les déclarations figurant dans l’ECF accompagnées des conclusions de fait que j’ai tirées des témoignages et des documents et je ferai référence aux pièces ou aux témoignages particuliers uniquement lorsqu’il sera nécessaire de le faire pour expliquer une conclusion donnée.
III. Aperçu des faits et contexte
A. Les faits concernant le milieu de travail
[12] Les conditions d’emploi du fonctionnaire étaient régies par la convention collective conclue entre le Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (Est) (l’« agent négociateur ») et le Conseil du Trésor qui a expiré le 31 décembre 2022 (ECF, onglet 1).
[13] Le fonctionnaire a commencé à travailler pour l’employeur à titre d’apprenti en réparation de navires en 2009. Il a ensuite été nommé au poste de TE en 2011, puis de SSE en 2015 (ECF, onglet 3). Selon la lettre d’offre, le fonctionnaire était, pendant toute la période pertinente, assujetti au Code de valeurs et d’éthique du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC) (le « Code du MDN et des FAC ») et au CVESP (ECF, onglet 19 et ECF, onglet 2).
[14] Pendant la période en question, il y avait environ de 10 à 12 SSE qui travaillaient au centre des systèmes de soutien (le « centre »). Un SSE devait avoir une cote de sécurité. En cas d’incident pouvant avoir des répercussions sur cette cote de sécurité ou de l’obtention de renseignements en ce sens, la direction remplissait un document connu sous le nom de [traduction] « Rapport de changement de situation » (RCS) et le soumettait à un examen. Le RCS était ensuite examiné et une décision était prise quant à savoir si la cote de sécurité du SSE devait être révoquée ou non.
[15] En ce qui concerne les fonctions et les obligations d’un SSE, elles comprenaient le fait de consacrer environ 20 p. 100 du temps de travail au centre, où des tâches étaient attribuées et où il était également possible de travailler sur certains aspects des tâches attribuées. La majeure partie du temps était consacrée à travailler sur les systèmes électroniques et l’équipement à bord des navires.
[16] Lorsqu’ils étaient à bord d’un navire, les SSE travaillaient normalement en équipes de deux, pour deux raisons principales. La première concernait la sécurité. Les SSE travaillaient avec des systèmes électroniques et électriques à haute tension. Ils travaillaient dans des espaces étroits, éventuellement isolés. Le fait d’avoir un partenaire fournissait une mesure de sécurité dans l’éventualité où un SSE éprouvait des difficultés. La deuxième concernait le rendement. Il n’est pas toujours simple de savoir comment installer, réparer ou mettre à niveau un système électronique ou un équipement particulier. Ainsi, deux têtes valent mieux qu’une. De plus, le fait de travailler en équipe signifiait qu’un SSE plus chevronné pouvait encadrer et former un apprenti.
[17] Toujours en ce qui a trait au travail en équipe, il convient aussi de mentionner que, au fil du temps, un SSE avait tendance à travailler avec le même partenaire ou les mêmes partenaires, ce qui n’est pas surprenant, puisque les personnalités, les intérêts et les styles de travail diffèrent dans une certaine mesure. Toutefois, la décision finale quant à savoir si deux SSE devaient travailler ensemble ou non revenait aux superviseurs, et non aux travailleurs eux-mêmes.
[18] Enfin, étant donné la taille relativement petite du groupe de SSE et le fait qu’ils travaillaient en étroite collaboration, il n’est pas surprenant que les secrets ou les confidences aient été difficiles à garder. De même, cependant, l’incidence de la divulgation de ces renseignements variait en fonction des points de vue et des opinions personnels de la personne qui les recevait.
B. Les antécédents du fonctionnaire et sa première déclaration de culpabilité pour une infraction prévue au Code criminel
[19] Lorsque le fonctionnaire a commencé à travailler en tant qu’apprenti pour l’employeur en 2009, il était dans une union de fait avec une femme qui avait trois enfants, relation qui avait commencé au début de 2006. Au début de la relation, les enfants étaient âgés d’environ un an, quatre ans et cinq ans. Le fonctionnaire vivait avec sa partenaire et fournissait un soutien économique et émotionnel à elle et à ses enfants.
[20] À un moment donné au cours de la dernière partie de la période de 2009 à 2014, le fonctionnaire a eu une conduite inappropriée à l’égard des filles de sa partenaire. Ces incidents ont été révélés pour la première fois lorsque la fille, alors âgée de 13 ans, a signalé à sa mère des attouchements inappropriés sur ses vêtements pendant une séance de chatouilles. La fille a signalé ces incidents à sa mère à la mi‑août 2014. La mère l’a ensuite signalé à la police. La police a interrogé la mère, la fille et le fonctionnaire. Tous ont été décrits comme ayant été ouverts et ayant bien collaboré. Le fonctionnaire a admis les incidents et a présenté ses excuses à la mère. À l’époque, la police a décidé qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour porter des accusations criminelles et a fermé l’enquête (ECF, onglet 4).
[21] La relation entre le fonctionnaire et la mère a donc été rompue. Le fonctionnaire a quitté le foyer. En septembre 2014, la fille a ensuite signalé d’autres incidents de conduite inappropriée de sa part, y compris des attouchements sur ses vêtements qui l’avaient mise mal à l’aise et le fait qu’il soit entré dans la salle de bain pendant qu’elle prenait une douche. De plus, une amie de la fille a signalé avoir été touchée par le fonctionnaire de façons qui l’avaient mise mal à l’aise pendant qu’elle et la fille étaient à la plage et jouaient dans l’eau. Le fonctionnaire a été interrogé. Il a admis les incidents, mais a nié avoir eu une intention inappropriée. La police l’a accusé de deux chefs de contacts sexuels, infraction visée à l’article 151 du Code criminel (ECF, onglet 4).
[22] Le fonctionnaire a signalé l’accusation au directeur général, bien que la date exacte du signalement soit inconnue. Toutefois, il est clair que le signalement a été effectué avant que le fonctionnaire plaide coupable aux deux chefs d’accusation. Cet élément est connu parce qu’un représentant de l’employeur avait assisté à une audience de la cour à la fin de 2015 et avait pris des notes détaillées sur les incidents dont le fonctionnaire avait été accusé. Les notes indiquaient également que le fonctionnaire avait admis les incidents et en avait assumé l’entière responsabilité, avait présenté ses excuses à la cour et avait promis de poursuivre ses séances de consultation et de ne plus jamais récidiver (voir l’ECF, onglet 4; pièce U2, onglet 4, pour une copie plus complète des notes de l’employeur sur les comparutions devant la cour).
[23] Les séances de consultation mentionnées (auprès d’une psychologue qui s’était spécialisée dans le domaine) avaient commencé avant qu’il ne plaide coupable, et ont continué par la suite. Le fonctionnaire a été jugé à faible risque de récidive par rapport à d’autres délinquants sexuels et motivé à améliorer la maîtrise de ses impulsions. La Couronne a également reconnu que le fonctionnaire avait plaidé coupable, accepté sa responsabilité et épargné aux victimes le traumatisme découlant d’un procès. La Couronne a également reconnu que les incidents se trouvaient à l’extrémité inférieure de l’échelle de gravité pour ce type d’infraction, si une telle échelle existe pour les crimes contre les mineurs (pièce U2, onglet 4).
[24] En novembre 2015, le fonctionnaire a été condamné à 180 jours de détention, soit 90 jours pour chaque infraction, et à une période de probation de 24 mois (ECF, onglet 5 et ECF, onglet 4). Il a été inscrit à perpétuité au Registre national des délinquants sexuels, a dû fournir un échantillon d’ADN et, pendant sa période de probation, il ne devait avoir aucun contact direct avec des filles de moins de 16 ans (pièce U2, onglet 4).
C. Le retour du fonctionnaire au lieu de travail au printemps 2016
[25] Après sa libération (et pendant sa période de probation), le fonctionnaire est retourné au travail (ECF, onglet 7).
[26] Mme Miller a témoigné que, avant le retour au travail du fonctionnaire, la direction avait discuté des facteurs énoncés dans la décision Millhaven Fibers, qui seront exposés plus loin dans la présente décision. Elle s’est rappelé que le facteur le plus problématique était la volonté des collègues du fonctionnaire de travailler avec lui.
[27] C’est peut‑être pour cette raison que l’employeur a tenu une réunion à la fin de mars ou au début d’avril 2016 avec les collègues du fonctionnaire au centre, à laquelle la direction a assisté. Mme Miller y était, ainsi que des représentants du Programme d’aide aux employés (PAE). Elle a témoigné que deux des collègues du fonctionnaire (EF et CD) se sentaient trahis par son comportement et refusaient de travailler avec lui (voir également la pièce E3, onglet 4). Deux autres étaient contrariés par sa conduite, mais acceptaient de travailler avec lui au besoin, même s’ils n’avaient pas l’intention de le côtoyer après les heures de travail. Deux autres, soit LM et OP (son délégué syndical), estimaient que le fonctionnaire avait purgé sa peine pour les infractions commises et qu’il méritait une deuxième chance (pièce E3, onglet 4). (En fait, selon les mots de Mme Miller, LM a pris le fonctionnaire [traduction] « sous son aile » lors du retour au travail du fonctionnaire.)
[28] Mme Miller, JK et CD ont témoigné au sujet de la réunion. Leurs témoignages quant à la position de l’employeur étaient les mêmes : le fonctionnaire retournerait au travail et ses collègues [traduction] « ne devaient pas recourir à des injures et devaient bien se comporter » (selon les mots de CD). S’ils avaient besoin d’aide pour composer avec le retour du fonctionnaire, ils pouvaient faire appel au PAE. Mme Miller a témoigné que la direction ne souhaitait pas que les collègues aient des ennuis en raison de gestes ou de paroles à l’égard du fonctionnaire au retour de ce dernier; elle souhaitait écouter leurs préoccupations, mais également éviter tout problème possible.
[29] Les préoccupations de la direction au sujet d’éventuels conflits avec les collègues ne se sont pas concrétisées. Après son retour vers mars 2016, le fonctionnaire a travaillé sans incident. Il a continué à travailler en équipe avec certains des autres SSE, y compris LM, mais pas avec d’autres, comme CD, qui refusait de lui parler autrement que par nécessité pour le travail. CD et EF ont témoigné qu’ils avaient demandé à ne pas être affectés à travailler avec le fonctionnaire, ce que leur superviseur, JK, semblait avoir accepté. Mme Miller s’est rappelé que CD et EF étaient les seuls collègues qui étaient très contrariés par le retour au travail du fonctionnaire. Ce dernier a continué de fournir un excellent rendement au travail. (Mme Miller a témoigné qu’il s’agit d’un excellent technicien et qu’il n’avait pas de problèmes de comportement au travail.)
[30] Je dois mentionner que, en fin de compte, CD et EF ont tous deux quitté le centre après le retour au travail du fonctionnaire. L’un est allé occuper un poste de direction et l’autre a été muté à un autre ministère. Selon le témoignage de CD, qui a été corroboré par le témoignage de Mme Miller, j’ai été convaincu que lui et EF avaient exprimé leur souhait de procéder à ces changements de carrière quelque temps avant que les problèmes du fonctionnaire ne soient connus. Par conséquent, j’ai été convaincu que, même si leur réticence à travailler avec le fonctionnaire à son retour a pu précipiter leur départ respectif du centre, ce n’est pas l’élément qui a causé leur départ.
[31] Mme Miller a également évoqué des préoccupations qu’elle avait au sujet de la présence occasionnelle d’élèves du secondaire venus observer le travail effectué à Cape Scott. Elle a expliqué que cette initiative découlait du souhait de l’employeur de susciter l’intérêt pour le travail et les métiers. Les visites se déroulaient en groupe et avaient normalement lieu dans des espaces ou des salles de réunion séparés des aires de travail du fonctionnaire. Rien dans les éléments de preuve ne laissait entendre qu’il avait jamais été en contact avec ces groupes.
[32] Je dois également faire remarquer que, même si les accusations portées contre le fonctionnaire et sa déclaration de culpabilité ont été signalées dans un RCS, elles n’ont pas entraîné la révocation ni la modification du statut de sa cote de sécurité.
D. La deuxième déclaration de culpabilité, en janvier 2019
[33] En octobre 2018, le fonctionnaire a été accusé de deux autres chefs d’accusation pour des infractions prévues aux articles 151 et 271 du Code criminel. Les éléments de preuve dont je dispose étaient clairs et n’ont pas été contestés par les témoins de l’employeur : les incidents qui ont donné lieu aux accusations se sont produits pendant la même période que ceux qui avaient donné lieu à la déclaration de culpabilité de 2015. Ils portaient sur les mêmes types de plaintes et concernaient les mêmes plaignantes. Les incidents n’étaient pas survenus avec des plaignantes différentes et n’avaient pas eu lieu après la fin de la relation du fonctionnaire avec la mère en 2014 (voir, en général, ECF, onglet 5).
[34] Le 6 février 2019, le fonctionnaire a informé l’employeur des accusations portées contre lui et de sa déclaration de culpabilité subséquente (ECF, onglet 9).
[35] Le capitaine Benoit a affirmé qu’il avait été informé des accusations en fin de journée le 14 février 2019. Il a fait remarquer que le fonctionnaire avait informé son superviseur des accusations et que celles-ci découlaient [traduction] « […] d’un événement antérieur survenu en […] [2014] ». Il a également ajouté que le fonctionnaire avait été reconnu coupable et qu’il avait purgé une peine de 90 jours pour cette infraction antérieure. Le capitaine Benoit a ajouté ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Cet incident a eu lieu au cours de la période initiale, et une deuxième victime n’a signalé l’incident à la police que plus tard. [Le fonctionnaire] a été reconnu coupable et sera condamné à une peine […] Tous ces événements ont eu lieu en dehors des heures de travail et non sur la propriété du MDN. [Le fonctionnaire] a commencé à travailler pour l’IMF en 2009 et n’a fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
Nous avons consulté les Relations de travail pour déterminer la marche à suivre.
Étant donné que le procès est déjà terminé, je m’attends à ce que les médias s’intéressent peu à la question, voire pas du tout, mais, dans un contexte où la date d’imposition de la peine approche, l’intérêt médiatique pourrait augmenter.
[…]
[36] Je fais remarquer qu’aucun élément de preuve attestant un quelconque intérêt des médias n’a été présenté, à part une simple mention dans un journal local qui ne précisait pas l’employeur. J’en déduis que la conduite du fonctionnaire, son identité et le poste qu’il occupe pour le compte de l’employeur ont échappé à l’attention du public et des médias.
[37] Le 4 mars 2019, l’employeur a produit un [traduction] « Avis d’inconduite » afin de déterminer si une mesure disciplinaire devait être prise (ECF, onglet 10, et ECF, onglet 6). (Je fais remarquer qu’aucun avis de ce genre n’avait été donné au fonctionnaire à la suite de la déclaration de culpabilité de 2015.) De plus, un RCS concernant la cote de sécurité du fonctionnaire a été préparé et envoyé. Comme en 2016, ce rapport n’a pas entraîné la révocation de sa cote de sécurité (voir la pièce E3, onglet 3).
[38] Le 6 mars 2019, l’employeur a convoqué une réunion avec le fonctionnaire pour discuter des accusations criminelles portées contre lui et de l’enquête connexe (ECF, onglet 11, et ECF, onglet 7).
[39] À l’appui de sa position dans le cadre de l’enquête, le fonctionnaire a soumis une lettre en son nom et des lettres de son superviseur immédiat, JK, de son délégué syndical, OP, et de sa psychologue traitante, la Dre Angela Connors (ECF, onglet 12, et pièce U2, onglets 10 à 13).
[40] Dans une lettre datée du 6 mars 2019, JK a décrit le fonctionnaire comme un SSE extrêmement brillant et talentueux, ce qui en faisait un atout précieux au centre et pour l’employeur. Il a expliqué que le fonctionnaire travaillait [traduction] « très bien » avec ses collègues techniciens. Le fonctionnaire disposait de sa [traduction] « confiance totale » pour effectuer tout le travail d’une excellente façon (pièce U2, onglet 11).
[41] OP, dans une lettre datée du 7 mars 2019, a déclaré qu’il travaillait avec le fonctionnaire depuis environ 10 ans et l’a décrit comme [traduction] « […] un travailleur consciencieux et un collègue respectueux et amical ». Il a ajouté qu’il savait que le fonctionnaire avait éprouvé [traduction] « […] des difficultés et qu’il en avait subi les conséquences ». Il estimait que le fonctionnaire avait [traduction] « […] exprimé des remords sincères et avait travaillé fort pour changer » (pièce U2, onglet 13).
[42] Dans une lettre datée du 7 mars 2019, la Dre Connors, chef du programme judiciaire pour délinquants sexuels des Services de santé mentale et de lutte contre les dépendances de Santé Nouvelle‑Écosse, a affirmé que le fonctionnaire participait au programme depuis septembre 2016, qu’il suivait un traitement hebdomadaire depuis près de neuf mois et qu’il avait continué de participer volontairement à un programme de soutien mensuel pour aider d’autres personnes. Elle a ajouté qu’il avait travaillé avec diligence à régler ses difficultés, qu’il était ouvert au changement et qu’il avait été franc au sujet de ses antécédents et de son comportement. Selon la psychologue, [traduction] « […] le traitement du fonctionnaire était considéré comme un succès ». Elle a conclu en déclarant que [traduction] « […] jamais [elle] n’avait considéré que le fonctionnaire présentait un risque en milieu de travail ou dans la collectivité » (pièce U2, onglet 12).
[43] Dans son témoignage, Mme Miller a reconnu que, à la réunion, elle avait dit au fonctionnaire et au représentant de l’agent négociateur qu’il y avait un nouveau commandant et que les règles de conduite [traduction] « en vigueur » étaient beaucoup plus strictes qu’elles ne l’étaient en 2015, en partie en raison de l’opération Honour, qui faisait désormais partie de la politique du MDN en matière d’éthique (voir également l’ECF, onglet 7). L’opération Honour découlait d’allégations et de signalements d’inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes qui avaient été très médiatisés. Elle visait à éliminer les cas d’inconduite sexuelle et à favoriser [traduction] « […] une culture où chacun est traité avec dignité et respect » (pièce E3, onglet 6).
[44] Le fonctionnaire a été condamné à une détention de huit mois. Il a également été condamné à une période de probation subséquente de 30 mois (ECF, onglet 13). Un représentant de l’employeur a assisté à l’audience et a pris des notes qui ont ensuite été fournies à Mme Miller, laquelle a ensuite transmis les renseignements au capitaine Benoit (pièce E3, onglet 3).
[45] Le fonctionnaire a été incarcéré.
[46] Immédiatement après la libération du fonctionnaire, l’employeur l’a licencié pour des motifs disciplinaires (ECF, onglet 15). Comme je l’ai déjà mentionné, la lettre indiquait que, en raison de sa déclaration de culpabilité, le fonctionnaire avait contrevenu aux normes de conduite de l’employeur et au CVESP. Il a ajouté que les normes et le Code énonçaient des principes en fonction desquels les employés exerçaient leur rôle et leurs responsabilités et qu’ils constituaient les conditions d’emploi. L’employeur a déclaré que le [traduction] « comportement délibéré » du fonctionnaire était inacceptable et qu’il ne pouvait être toléré.
E. Les motifs du licenciement par l’employeur
[47] Le vice‑amiral A. G. McDonald, qui était alors commandant de la Marine royale canadienne, a signé la lettre de licenciement. Ses responsabilités comprenaient le pouvoir de licencier les employés civils. Le capitaine Benoit a témoigné qu’il avait recommandé au vice‑amiral McDonald de prendre la décision de licencier le fonctionnaire. Il avait formulé sa recommandation et rédigé la lettre pour la faire signer par le vice‑amiral après avoir consulté des membres de son personnel.
[48] Le capitaine Benoit a témoigné en contre‑interrogatoire qu’il avait été commandant à Cape Scott de 2018 à 2020. Il avait pris connaissance des premiers événements de 2015 à la suite de l’enquête effectuée en 2019. Il a témoigné que, lorsqu’il avait formulé la recommandation de licencier le fonctionnaire, il avait compris que le fonctionnaire était retourné au travail après sa première déclaration de culpabilité en 2015, qu’il avait affiché un bon rendement au travail après son retour, qu’il faisait partie du Comité mixte de santé et sécurité au travail et que personne n’avait soulevé de préoccupations quant à la présence du fonctionnaire au centre avant la déclaration de culpabilité de 2019. Il a convenu que, au cours des trois années qui s’étaient écoulées entre le retour au travail du fonctionnaire en mars 2016 et sa deuxième incarcération en 2019, il n’y avait pas eu de problème et aucune plainte n’avait été déposée quant à sa présence ou à son travail au centre, et que la réputation de l’employeur auprès du public n’avait pas été ternie à la suite de la déclaration de culpabilité du fonctionnaire en 2016. Toutefois, il a ajouté que, à ce moment‑là, il ne savait pas que la déclaration de culpabilité de 2019 découlait des mêmes circonstances qui avaient donné lieu à celle de 2016. (Je fais remarquer que le capitaine Benoit a dû oublier son courriel du 14 février 2019.) Il a convenu que le fonctionnaire avait payé sa dette envers la société par ses déclarations de culpabilité et son incarcération. Il a convenu qu’aucune perte de réputation découlant de la déclaration de culpabilité de 2016 ne lui avait été signalée. Il a reconnu que la cote de sécurité du fonctionnaire n’avait pas été révoquée ni modifiée à la suite de l’une ou l’autre des déclarations de culpabilité et il a ajouté que, si une préoccupation avait été soulevée, il en aurait eu connaissance.
[49] Malgré tout, le capitaine Benoit a conclu que la conduite en dehors des heures de travail du fonctionnaire constituait une violation grave du CVESP. Par conséquent, le lien de confiance entre l’employeur et le fonctionnaire avait été irrémédiablement rompu, ce qui justifiait le licenciement du fonctionnaire.
[50] On a demandé au capitaine Benoit d’indiquer les dispositions particulières du CVESP qu’il croyait que le fonctionnaire avait violées. Pendant l’interrogatoire principal, il a témoigné qu’il avait examiné le document du MDN intitulé Normes de conduite et de discipline – Personnel civil (DOAD 5016‑0) et qu’il croyait que le paragraphe 3.10 s’appliquait à la conduite du fonctionnaire. Ce paragraphe est libellé en partie comme suit :
3.10 Les employés du MDN doivent :
a. respecter les exigences en matière de conduite pertinentes prévues dans :
i. les lois et règlements;
ii. les politiques et directives ministérielles;
iii. les politiques du Conseil du Trésor;
iv. le Code de valeurs et d’éthique du secteur public;
b. agir d’une manière qui est :
i. conforme aux intérêts du Ministère;
ii. conforme aux intérêts du public;
iii. neutre en ce qui concerne la participation à des activités politiques, conformément à l’article 33 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]
[51] Le capitaine Benoit a également invoqué le Code du MDN et des FAC pour étayer sa recommandation. En contre‑interrogatoire, à la question de savoir à quelle partie du Code il renvoyait, il a indiqué les tableaux 1 (« Principes d’éthique du MDN et des FC ») et 2 (« Valeurs et comportements attendus des employés du MDN et des membres des FC »), qui sont libellés de la manière suivante :
PRINCIPES D’ÉTHIQUE
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COMPORTEMENTS ATTENDUS
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1. RESPECTER LA DIGNITÉ DE TOUTE PERSONNE
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En tout temps et en tout lieu, les employés du MDN et les membres des FC respectent la dignité humaine et la valeur de chaque personne en adoptant les comportements suivants :
1.1 Ils traitent chaque personne avec respect et équité.
1.2 Ils valorisent la diversité et l’avantage de combiner les qualités uniques et les forces propres à une main‑d’œuvre diversifiée.
1.3 Ils favorisent l’établissement et le maintien de milieux de travail sûrs et sains, exempts de harcèlement et de discrimination.
1.4 Ils travaillent ensemble dans un esprit d’ouverture, d’honnêteté et de transparence qui favorise l’engagement, la collaboration et la communication respectueuse.
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2. SERVIR LE CANADA AVANT SOI‑MÊME
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En tout temps et en tout lieu, les employés du MDN et les membres des FC s’acquittent de leurs engagements de façon à servir de leur mieux le Canada, sa population et sa démocratie parlementaire, ainsi que le MDN et les FC en adoptant les comportements suivants :
2.1 Ils prennent des décisions et agissent en tout temps dans l’intérêt public.
2.2 Ils accomplissent leur devoir ou acceptent leurs responsabilités en appliquant les normes éthiques les plus rigoureuses.
2.3 Ils évitent ou empêchent les situations qui pourraient donner lieu à des conflits d’intérêts personnels ou organisationnels.
2.4 Ils communiquent aux décideurs l’information, les analyses et les conseils nécessaires en s’efforçant toujours d’être ouverts, francs et impartiaux.
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3. OBÉIR À L’AUTORITÉ LÉGALE ET L’APPUYER
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En tout temps et en tout lieu, les employés du MDN et les membres des FC préservent le régime canadien de démocratie parlementaire et ses institutions en adoptant les comportements suivants :
3.1 Ils respectent la primauté du droit.
3.2 Ils exercent leurs fonctions conformément aux lois, aux politiques et aux directives de façon non partisane et objective.
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TABLEAU 2 – VALEURS ET COMPORTEMENTS ATTENDUS DES EMPLOYÉS DU MDN ET DES MEMBRES DES FC
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VALEURS SPÉCIFIQUES
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COMPORTEMENTS ATTENDUS
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1. INTÉGRITÉ
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Les employés du MDN et les membres des FC servent l’intérêt public en adoptant les comportements suivants :
1.1 Ils se conduisent toujours avec intégrité et d’une manière qui peut résister à l’examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.
1.2 Ils n’utilisent jamais leur rôle officiel en vue d’obtenir de façon inappropriée un avantage pour eux‑mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu’un.
1.3 Ils prennent toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre, dans l’intérêt public, tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel entre leurs responsabilités officielles et leurs affaires personnelles.
1.4 Ils agissent de manière à préserver la confiance du MDN et des FC, ainsi que celle de leurs pairs, de leurs superviseurs et de leurs subordonnés.
1.5 Ils respectent les normes éthiques les plus rigoureuses, communiquent et agissent avec honnêteté et évitent la tromperie.
1.6 Ils font preuve d’un engagement envers l’équité et la justice et sont déterminés à découvrir la vérité sans égard aux conséquences personnelles.
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2. LOYAUTÉ
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Les employés du MDN et les membres des FC font toujours preuve de respect envers le Canada, sa population et sa démocratie parlementaire ainsi qu’envers le MDN et les FC en adoptant les comportements suivants :
2.1 Ils exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne.
2.2 Ils protègent adéquatement les renseignements et les divulguent par des moyens formellement autorisés seulement lorsqu’ils y ont été dûment autorisés.
2.3 Ils veillent à ce que tout le personnel soit traité de manière équitable et se voi[e] offrir des possibilités de perfectionnement professionnel et d’avancement.
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3. COURAGE
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Les employés du MDN et les membres des FC font preuve de courage en adoptant les comportements suivants :
3.1 Ils font face aux défis, physiques ou moraux, avec détermination et force de caractère.
3.2 Ils font le bon choix parmi des solutions difficiles.
3.3 Ils ne tolèrent aucun comportement contraire à l’éthique.
3.4 Ils examinent et règlent les questions d’éthique avec les autorités compétentes.
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4. INTENDANCE DES RESSOURCES
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Les employés du MDN et les membres des FC utilisent les ressources de façon responsable en adoptant les comportements suivants :
4.1 Ils veillent à l’utilisation efficace et efficiente des biens, des ressources et des fonds publics dont ils ont la responsabilité.
4.2 Ils tiennent compte des répercussions à court et à long terme de leurs actions sur les personnes et l’environnement.
4.3 Ils acquièrent, conservent et mettent en commun les connaissances et l’information de la façon indiquée.
4.4 Ils offrent un but et une orientation afin de motiver le personnel, à la fois individuellement et collectivement, à atteindre les normes de rendement les plus élevées.
4.5 Ils s’assurent que les ressources sont en place en vue de relever les défis dans l’avenir.
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5. EXCELLENCE
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Les employés du MDN et les membres des FC font preuve d’excellence professionnelle dans l’exercice de leurs fonctions en adoptant les comportements suivants :
5.1 Ils améliorent continuellement la qualité des politiques, des programmes et des services qu’ils fournissent à la population canadienne et aux autres parties du secteur public.
5.2 Ils privilégient un environnement de travail qui favorise l’esprit d’équipe, l’acquisition du savoir et l’innovation ou contribuent à celui‑ci.
5.3 Ils fournissent des services équitables, opportuns, efficients et efficaces dans le respect des langues officielles du Canada.
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[52] Mme Miller, contrairement au capitaine Benoit, occupait un poste de direction lorsque le fonctionnaire est retourné au travail en 2015 (et lorsque l’employeur a pris les mesures qui ont suivi). Elle a convenu en contre‑interrogatoire que, si les incidents visés par la déclaration de culpabilité de 2019 avaient été inclus dans les déclarations de culpabilité de 2016, le fonctionnaire serait peut-être encore au travail.
[53] Le 18 octobre 2019, l’agent négociateur a déposé le présent grief en vue de contester le licenciement. Le 18 septembre 2020, l’employeur l’a rejeté au dernier palier (ECF, onglet 16).
[54] Le 8 octobre 2020, l’agent négociateur a renvoyé le grief à l’arbitrage (ECF, onglet 17).
[55] Le dossier disciplinaire du fonctionnaire était vierge (ECF, onglet 18).
F. Le sondage de l’employeur auprès des employés du centre des systèmes de soutien en 2023
[56] JK a témoigné que, si le grief devait être accueilli et que le fonctionnaire devait retourner au travail, il aurait des inquiétudes personnelles. Toutefois, il est tenu, vu son expérience, sa formation et ses responsabilités en tant que superviseur, de faire ce qui doit être fait. Si le fonctionnaire devait retourner au travail, il travaillerait avec lui et ses collègues afin de s’assurer que le retour se passe bien.
[57] Je fais remarquer que, à l’origine, le présent grief devait faire l’objet d’une audience à l’automne 2023. Avant la date de l’audience, l’employeur a demandé à JK de mener un sondage auprès des employés du centre afin de déterminer les préoccupations éventuelles, le cas échéant. JK a tenu un sondage officieux et a constaté que trois employés n’avaient exprimé aucune réserve, étant donné que le fonctionnaire avait purgé sa peine. Deux nouveaux membres du centre, qui n’avaient pas travaillé avec le fonctionnaire, ont exprimé des inquiétudes.
[58] GH, le membre ayant le moins d’ancienneté, a témoigné qu’il n’avait jamais rencontré le fonctionnaire et qu’il savait seulement que le fonctionnaire y avait travaillé dans le passé. Il a expliqué qu’il avait appris les circonstances des déclarations de culpabilité du fonctionnaire par l’entremise d’un site Web (qu’il ne pouvait pas préciser) et que, compte tenu de ces renseignements, il estimait qu’il serait très mal à l’aise de travailler avec le fonctionnaire, qu’il refuserait de travailler avec lui et qu’il demanderait à être affecté à un autre lieu de travail.
[59] Je dois préciser que j’étais convaincu que le témoignage de GH devait être écarté. GH n’a jamais rencontré le fonctionnaire. Il n’a jamais travaillé au centre pendant que le fonctionnaire y était. Plus important encore, j’ai appris, à la suite de discussions subséquentes avec les avocats de l’employeur et du fonctionnaire, que, lorsque l’employeur avait communiqué avec lui pour la première fois, GH n’était pas certain de vouloir témoigner. Toutefois, CD (qui avait quitté le centre depuis longtemps) l’avait appelé pour lui fournir un lien électronique vers le recueil de documents de l’employeur. Ces documents comprenaient les notes du procès prises par l’employeur en 2015 et la décision de la cour de 2019 et incluaient donc des renseignements dont GH n’aurait normalement pas eu connaissance.
[60] J’ai conclu que le témoignage de GH avait été entaché par l’animosité dont CD faisait preuve à l’égard du fonctionnaire, ce qui avait amené CD à fournir à GH des renseignements qu’il n’aurait pas eus normalement. Si GH avait uniquement disposé des renseignements qu’il avait au début, c’est‑à‑dire que le fonctionnaire avait été reconnu coupable d’un crime, il n’aurait peut‑être pas eu les préoccupations qu’il a commencé à avoir après l’intervention de CD, selon ce qu’il a affirmé.
IV. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
[61] L’avocat de l’employeur a d’abord fait remarquer que les faits étaient simples, c’est-à-dire que les différences de points de vue entre les parties tenaient à l’importance accordée aux actes et aux conséquences de ceux-ci. Il a soutenu que la déclaration de culpabilité du fonctionnaire pour contact sexuel avec une mineure l’avait rendu inapte à poursuivre son emploi. La conduite du fonctionnaire a dû avoir une incidence importante sur ses victimes.
[62] L’avocat de l’employeur a souligné le fait que le retour au travail du fonctionnaire en 2015 n’avait pas été facile à gérer. Certains de ses collègues avaient exprimé des préoccupations à l’idée de travailler avec lui; deux avaient en fait refusé de le faire. Le fait que l’employeur ait trouvé un moyen de gérer le retour au travail du fonctionnaire ne signifie pas que le résultat était idéal.
[63] L’avocat de l’employeur a ensuite passé en revue les principes énoncés dans la décision Millhaven Fibers. Il a ainsi expliqué la raison pour laquelle le fonctionnaire avait pu retourner au travail en 2015, mais pas en 2019. Il a souligné l’existence d’un nouveau commandant. Plus particulièrement, la culture de travail de l’employeur avait changé, et ce dernier n’était plus prêt à fermer les yeux sur les cas d’inconduite sexuelle qui lui étaient signalés. L’opération Honour était l’expression de cette nouvelle culture et attitude. La réputation de l’employeur aurait pu être compromise si le public avait su qu’il employait une personne reconnue coupable d’infractions d’ordre sexuel. Il y avait aussi le fait que certains employés avaient des préoccupations telles qu’ils avaient examiné les dossiers des cours pour savoir exactement les infractions pour lesquelles le fonctionnaire avait été reconnu coupable. Cela a donné lieu à des rumeurs en milieu de travail et, si ces rumeurs avaient été connues du public, elles auraient nui à la réputation de l’employeur.
[64] L’avocat de l’employeur a soutenu que les personnes travaillant dans la fonction publique, qu’il s’agisse de civils ou de militaires, sont tenues de respecter des normes supérieures à celles qui s’appliquent aux membres ordinaires du public. Le CVESP et le Code du MDN et des FAC s’appliquaient au fonctionnaire pendant toute la période visée, aussi bien sur place qu’à l’extérieur et en dehors des heures de travail. Ces codes faisaient partie des conditions d’emploi du fonctionnaire. Par conséquent, il était lié par les dispositions qu’ils contenaient.
[65] L’avocat de l’employeur a soutenu que le fait que la conduite du fonctionnaire n’ait pas été rendue publique (c’est‑à‑dire que la réputation de l’employeur n’ait pas été entachée) n’était pas pertinent. Il suffisait que la conduite soit telle que si elle avait été rendue publique, elle aurait nui à la réputation de l’employeur. L’employeur, plus particulièrement dans le cas qui nous occupe, a le droit de se dissocier d’une conduite odieuse, afin d’éviter la possibilité d’un risque pour sa réputation. Comme il l’a fait en lançant l’opération Honour, l’employeur devrait pouvoir déclarer qu’il n’était plus prêt à fermer les yeux sur une telle conduite. En 2019, il n’était pas tenu de suivre la même voie qu’il avait suivie en 2015. Le grief devrait être rejeté.
[66] Lorsqu’il a présenté ses arguments, l’avocat de l’employeur a invoqué les décisions suivantes : Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 76; Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28; Munroe c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2021 CRTESPF 136; CEP Atlantic Communications Council, Local 2289 v. Bell Aliant Regional Communications L.P., [2010] C.L.A.D. No. 419 (QL) (« CEP Atlantic »); City of Toronto v. Toronto Professional Fire Fighters’ Association, Local 3888 (non publiée, le 12 novembre 2014); International Alliance of Theatrical Stage Employees, Local 210 v. Oilers Entertainment Group, 2020 CanLII 29409 (AB GAA) (« Oilers »); Unifor, Local 892 v. Mosaic Potash Esterhazy Limited, 2018 SKQB 68; Ontario Public Service Employees Union (Richard) v. The Crown in Right of Ontario (Ministry of Transportation) (non publiée, le 30 janvier 2013); et Ontario (Transportation) v. Ontario Public Service Employees Union, 2013 ONSC 7227.
B. Pour le fonctionnaire
[67] L’avocat du fonctionnaire a commencé en précisant que le fonctionnaire avait abandonné toute demande de rémunération rétroactive ou de dommages‑intérêts dans l’éventualité où son grief serait accueilli.
[68] L’avocat du fonctionnaire a soutenu que la décision de l’employeur, et donc le cas dont je suis saisi, ne portaient que sur le changement d’état d’esprit et de culture de l’employeur pendant la mise en œuvre du programme de l’opération Honour. Les incidents à l’origine de la déclaration de culpabilité de 2019 se sont produits en même temps et auprès des mêmes victimes que ceux qui avaient donné lieu à la déclaration de culpabilité de 2016. S’ils avaient été inclus dans la déclaration de culpabilité de 2016, le licenciement n’aurait pas eu lieu. De plus, le fonctionnaire avait purgé sa peine, payé sa dette envers la société, travaillé avec diligence pour se réadapter et s’était bel et bien réadapté. Pour évaluer si la décision de l’employeur de le licencier était juste, il faudrait l’évaluer en fonction des seuls facteurs énoncés dans la décision Millhaven Fibers, et non de l’opération Honour.
[69] L’avocat du fonctionnaire a également soutenu que le présent cas soulevait des questions d’équité. Il a laissé entendre qu’il y avait des éléments de preuve indiquant la subornation de témoin qui était motivée par des attitudes moralisatrices et punitives envers le fonctionnaire.
[70] En ce qui a trait à l’opération Honour, l’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’elle représentait un changement dans la culture de l’employeur qui, aussi louable soit-il, devait être appliqué de manière prospective et non rétroactive. Il serait inéquitable et injuste de l’appliquer à des événements qui se sont produits avant son entrée en vigueur.
[71] L’avocat du fonctionnaire a soutenu que les cas concernant le droit d’un employeur de licencier un employé pour une conduite en dehors des heures de travail dépendent des faits. Il a fait remarquer que les faits dans des affaires comme Oilers étaient plus extrêmes que ceux de l’affaire dont je suis saisi. Ils comportaient également un risque beaucoup plus élevé pour la réputation de l’employeur. Cet élément est particulièrement important, étant donné que l’employeur n’a pas été en mesure de nommer une réaction ou des préoccupations que le public aurait eues à l’égard des déclarations de culpabilité du fonctionnaire, ni prouvé que le public avait même eu connaissance des événements. Il n’a pas non plus fait état de dommages à sa réputation. En ce qui concerne toute répercussion sur les collègues, les deux seuls qui ont quitté le centre avaient déjà prévu partir pour occuper différents postes avant la déclaration de culpabilité du fonctionnaire en 2015. Les autres étaient disposés à travailler avec lui après 2014. Le seul employé actuel qui avait fait part de sa réticence à travailler avec lui, soit GH, avait vu son jugement entaché par les efforts de CD pour influencer défavorablement son opinion à l’égard du fonctionnaire.
[72] L’avocat du fonctionnaire a souligné les faits suivants dans le contexte d’une analyse fondée sur la décision Millhaven Fibers : aucun nouvel acte criminel n’a été commis après 2014, le fonctionnaire a purgé sa peine, il a entrepris une réadaptation et a continué d’y participer, il a fait preuve de remords, et il a compris et reconnu l’incidence néfaste de sa conduite sur ses victimes. Tous ces faits distinguent son cas de ceux qui ont été invoqués par l’employeur.
[73] Dans ses arguments, l’avocat du fonctionnaire a distingué les cas invoqués par l’employeur du présent cas et a renvoyé aux cas suivants : Guillemette c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 12; Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e éd., par. 7:15 (« Off‑duty Behaviour » [comportement en dehors des heures de travail]); Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 6e éd., par. 12.117; Port Moody (City) v. C.U.P.E., Loc. 825, 1997 CanLII 22648 (BC LA); Ottawa‑Carleton District School Board v. O.S.S.T.F., District 25 (2006), 154 L.A.C. (4th) 387; Nova Scotia Teachers’ Union v. Nova Scotia Community College, [2003] N.S.L.A.A. No. 14 (QL); Kativik Regional Government (Transport) v. Kativik Regional Government Employees’ Union, 2006 CanLII 205 (CA LA); Coquitlam Library Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 561, [1997] B.C.C.A.A.A. No. 337 (QL); Moloney Electric Inc. v. Unifor, Local 55N (2015), 256 L.A.C. (4th) 113; Ontario (Workers’ Compensation Board) v. Canadian Union of Public Employees, Local 1750 (1995), 45 L.A.C. (4th) 257; et Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58.
[74] Pour conclure, l’avocat du fonctionnaire a demandé que le grief soit accueilli. Il a répété que le fonctionnaire ne demanderait aucune rémunération rétroactive si le grief était accueilli.
C. La réponse de l’employeur
[75] L’avocat de l’employeur a soutenu que l’employeur avait le droit de se fonder sur le CVESP et le Code du MDN et des FAC pour examiner ou réexaminer la conduite antérieure d’un employé. Le fait qu’il ait pris une certaine décision en fonction d’un ensemble donné de faits ne l’empêchait pas d’adopter une autre approche lorsque le même ensemble de faits lui était soumis. Il a également soutenu que le CVESP et le Code du MDN et des FAC s’appliquaient à la fois au travail et à la conduite en dehors des heures de travail.
[76] L’avocat de l’employeur a également soutenu que la société et les préoccupations à l’égard d’une conduite comme celle du fonctionnaire avaient évolué. Certaines des décisions invoquées par l’agent négociateur, comme la décision Port Moody (City), pourraient ne plus être valides en droit. Ces cas plus anciens, s’ils étaient tranchés aujourd’hui, pourraient ne pas l’être de la même manière.
V. Analyse et décision
[77] L’argument de l’employeur revient à dire que sa décision de licencier le fonctionnaire était justifiée par les raisons suivantes :
1) Le fonctionnaire a commis une infraction grave qui était prévue au Code criminel, ce qui a porté atteinte à la réputation de l’employeur.
2) Ses collègues seraient perturbés si le fonctionnaire retournait au travail.
3) La conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail a contrevenu à ses conditions d’emploi établies par le CVESP et le Code du MDN et des FAC.
[78] Les deux premières justifications ont été tirées du cas Millhaven Fibers.
A. Question A : la décision Millhaven Fibres
[79] La décision Millhaven Fibres n’est pas récente. Elle est également quelque peu problématique sur le plan du raisonnement.
[80] Les faits entourant l’affaire Millhaven Fibers sont décrits ci-après. Il y a eu une grève dans le cadre de laquelle certains employés ont franchi les lignes de piquetage. La grève s’est terminée par un règlement, qui prévoyait l’entente selon laquelle [traduction] « […] aucune mesure de représailles ne serait prise contre un employé ayant participé à la grève ou n’y ayant pas participé » (voir le par. 5). Malgré l’entente, le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas (qui avait participé à la grève) a menacé deux des employés qui avaient franchi les lignes de piquetage et, en outre, dans un deuxième incident, a endommagé leurs biens. La police a interrogé le fonctionnaire s’estimant lésé, mais n’a finalement porté aucune accusation contre lui. Le fonctionnaire s’estimant lésé a admis qu’il avait commis les dommages, a déclaré qu’il était intoxiqué à l’époque et a fourni un dédommagement. L’employeur a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé.
[81] Le conseil d’arbitrage qui a entendu le grief se composait de trois membres. Dans sa décision, le président du conseil a renvoyé (sans toutefois les nommer) à des cas d’arbitrage, dont il a tiré les principes qu’il a proposé d’appliquer à la conduite en dehors des heures de travail. Au paragraphe 19, il a déclaré ce qui suit : [traduction] « De façon générale, il est clair que le droit d’un employeur de congédier un employé ayant commis des actes répréhensibles en dehors du lieu de travail dépend des répercussions de cette conduite sur le fonctionnement de l’entreprise. » Il a ensuite affirmé que, pour qu’un licenciement en raison d’une conduite en dehors des heures de travail soit maintenu, l’employeur avait [traduction] « le fardeau » de démontrer ce qui suit, au paragraphe 20 :
[Traduction]
[…]
1) la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé cause un tort à la réputation ou au produit de l’entreprise;
2) le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé le rend incapable d’exécuter ses tâches de façon satisfaisante;
3) le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé entraîne une incapacité ou un refus de la part des autres employés de travailler avec lui ou une réticence à le faire;
4) le fonctionnaire s’estimant lésé est coupable d’une infraction grave au Code criminel, de sorte que son inconduite cause un tort à la réputation générale de l’entreprise et de ses employés;
5) l’inconduite empêche l’entreprise de remplir correctement sa fonction consistant à gérer ses opérations et à diriger son effectif avec efficience.
[82] Selon cette analyse, le président a conclu que le licenciement était justifié. Il a confirmé le congédiement, mais a néanmoins recommandé que l’employeur embauche le fonctionnaire s’estimant lésé à un autre poste. Un autre membre du conseil d’arbitrage (Storie) a convenu que le grief devait être rejeté, mais ne souscrivait pas à la recommandation. Un autre membre (Storey) était dissident. Il a souligné que les éléments de preuve n’étayaient pas une conclusion concernant l’un ou l’autre de ces cinq facteurs. Rien n’indiquait que les activités de l’employeur avaient été touchées, que les collègues du fonctionnaire s’estimant lésé ne travailleraient pas avec lui et que la réputation ou les produits de l’employeur avaient été endommagés. Il n’y avait pas non plus eu d’infraction au Code criminel, dans la mesure où aucune accusation n’avait été portée à la suite de la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé.
[83] Ces réserves au sujet du raisonnement du président n’étaient pas dénuées de fondement.
[84] Les arbitres de grief et les arbitres de différends ont fait remarquer que les facteurs 2, 3 et 5 se chevauchaient. Ils constituent dans une large mesure des expressions de la même chose : une conduite en dehors des heures de travail qui perturbe les activités de l’employeur sur place.
[85] Aussi, les facteurs 1 et 4 confondent deux façons distinctes dont la conduite d’un employé en dehors des heures de travail peut nuire à la réputation de l’employeur ou à celle de ses produits.
[86] Le premier type de conduite en dehors des heures de travail consiste pour l’employé à critiquer publiquement l’intégrité ou la réputation de l’employeur ou la qualité ou l’innocuité de ses produits. Ces critiques peuvent porter atteinte à la réputation de l’employeur. La question de savoir s’il y a une réelle atteinte dépend de la nature de la critique, du contexte dans lequel elle est formulée et de l’intention de l’employé. Si l’employé savait ou aurait dû savoir que la critique porterait atteinte à la réputation de l’employeur, il y aurait des motifs d’envisager de prendre une mesure disciplinaire pour une telle conduite en dehors des heures de travail.
[87] Le deuxième type de conduite en dehors des heures de travail consiste pour l’employé à adopter des comportements qui suscitent l’indignation sociale ou morale ou l’attention de la police et du système judiciaire. Une telle conduite, même si l’employé ne l’affiche pas dans le but de ternir la réputation de l’employeur, peut quand même nuire à celle‑ci, et pourrait raisonnablement amener l’employeur à craindre que le public ait une opinion défavorable de lui pour avoir employé une telle personne.
[88] La difficulté inhérente à ce type de conduite est que, pour que l’employeur puisse agir en fonction de cette préoccupation, il doit présumer que la réaction du public est fondée, raisonnable et exempte de préjugés ou de partialité. Il est parfois difficile de s’en assurer, surtout à l’ère actuelle de signalement de la vertu sur les médias sociaux. C’est pourquoi les arbitres de grief et les arbitres de différends en sont venus à élaborer un critère plus général et objectif, soit la question de savoir ce que penserait un membre du public sensé et raisonnable s’il était informé de tous les faits; en particulier, jugerait-il que l’emploi continu de l’employé nuit tellement à la réputation de l’employeur que cet emploi en deviendrait impossible ou indéfendable? Voir, par exemple, Ottawa‑Carleton District School Board, au par. 17; Munroe, au par. 119; et Oilers, au par. 75.
[89] Le deuxième type de conduite en dehors des heures de travail peut aussi nécessiter une mise en balance ou du moins la prise en compte de valeurs et de questions de politiques sociales concurrentes. Par exemple, le licenciement d’un employé qui a été accusé, mais qui n’a pas encore été reconnu coupable d’un crime, grave ou non, va à l’encontre de la présomption d’innocence. De plus, même si cet employé est reconnu coupable, on peut se demander si le refus de l’employer après qu’il a purgé sa peine est contraire aux principes de la réadaptation; voir l’analyse à cet égard dans Phillips Cables Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 7276 (1974), 5 L.A.C. (2d) 274, citée dans CEP Atlantic, au par. 19.
[90] Enfin, comme l’a fait remarquer le membre dissident du conseil d’arbitrage dans la décision Millhaven Fibers, je souligne également qu’aucune source n’a été fournie relativement au quatrième facteur, soit une infraction grave au Code criminel; voir le point 4 au par. 48. Il n’y a pas non plus eu d’analyse du type de violation ou d’infraction au Code criminel qui satisferait à ce facteur. Est‑ce que toute infraction au Code criminel satisferait à ce critère? Ou est‑ce que seules les infractions graves, comme le meurtre, y satisferaient? Toutefois, il est difficile de voir comment une déclaration de culpabilité pour une agression survenue en dehors des heures de travail dans le cadre d’une bagarre de bistrot qui ne concernait aucun membre de l’équipe de l’employeur pourrait avoir une incidence sur les activités de ce dernier.
[91] De plus, on ne sait pas si le président dans la décision Millhaven Fibers avait à l’esprit une conduite qui avait un lien avec le milieu de travail et les activités de l’employeur ou une conduite qui n’avait aucun lien avec ceux-ci. S’il s’agissait du premier cas de figure, la référence au Code criminel n’était pas nécessaire. La nécessité d’établir un lien entre la conduite en dehors des heures de travail et les activités de l’employeur a été reconnue comme une justification nécessaire à la prise d’une mesure disciplinaire; voir, par exemple, Munroe, aux par. 116 et 124; et Brown et Beatty, au par. 7:15. Or, s’il s’agissait du deuxième cas de figure, alors les préoccupations ne sont pas dissipées quant à la façon et au moment dont un employeur doit céder à l’indignation publique, qu’elle soit réelle ou crainte, ou aux circonstances dans lesquelles il doit le faire. (L’arbitre de différends dans la décision CEP Atlantic a soulevé des doutes et des questions semblables au paragraphe 50.) Le fait que de telles questions sont restées sans réponse est d’autant plus préoccupant qu’il n’était pas nécessaire dans la décision Millhaven Fibers d’aller au‑delà des faits, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé avait verbalement harcelé un collègue et endommagé les biens de celui-ci, comportement qui respectait clairement le principe du « lien ».
[92] En fin de compte, les cinq facteurs énoncés dans la décision Millhaven Fibers constituent en fait une distraction par rapport à ce que je considère comme la seule et unique question à trancher pour savoir si une conduite en dehors des heures de travail pouvait justifier une mesure disciplinaire : cette conduite a‑t‑elle eu une incidence préjudiciable sur la réputation de l’employeur, ses produits ou services, ou ses activités, ou aurait-on raisonnablement pu s’attendre à ce qu’elle en ait une? Si la réponse est affirmative, une mesure disciplinaire allant jusqu’au licenciement peut être justifiée. Si la réponse est négative, comme l’a fait remarquer le président dans la décision Millhaven Fibers, au paragraphe 25, [traduction] « […] l’employeur n’a pas à devenir le surveillant de tout acte personnel des employés […] »; voir également Munroe, au par. 113; et Moloney Electric Inc., aux par. 44 et 45.
[93] Le fait d’effectuer l’analyse en examinant les cinq facteurs énumérés dans la décision Millhaven Fibres ne lui ajoute rien; il vaut mieux tenter d’établir si la conduite en dehors des heures de travail peut justifier une mesure disciplinaire non pas en faisant référence à ces cinq facteurs, mais plutôt à une seule question : quelle incidence, le cas échéant, peut‑on raisonnablement dire que la conduite en dehors des heures de travail, de nature criminelle ou non, aurait eue sur l’entreprise et les activités de l’employeur?
[94] En ce qui concerne les faits qui m’ont été présentés, je n’ai pas été convaincu que la déclaration de culpabilité du fonctionnaire en 2019 pour sa conduite en dehors des heures de travail était suffisante pour justifier une mesure disciplinaire, encore moins un licenciement, et ce, pour de nombreuses raisons, à la lumière des faits et de la jurisprudence invoquée par les parties.
[95] Tout d’abord, en ce qui concerne les activités de l’employeur, rien n’indique que la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail avant 2015 (pour laquelle il a été déclaré coupable en 2019) ait eu une incidence démontrable sur les activités de l’employeur. Les actes pour lesquels il a été reconnu coupable n’avaient rien à voir avec le lieu de travail. Le fonctionnaire travaillait comme SSE sur des pièces d’équipement électrique, avec des adultes. Il n’a pas enseigné à des enfants et n’a pas travaillé ni eu de contact étroit avec eux. Ce n’était pas un agent d’exécution de la loi en matière de transport qui travaillait avec des agentes de nuit et qui, à de nombreuses reprises, en dehors de ses heures de travail, s’était masturbé et avait fait preuve d’exhibitionnisme en présence de jeunes femmes, comme dans la décision Ontario Public Service Employees Union. Ce n’était pas un psychologue‑conseil qui travaillait avec des délinquantes et qui avait harcelé et intimidé une ancienne partenaire et qui, par conséquent, avait été licencié, comme dans la décision Tobin. Ce n’était pas un agent correctionnel travaillant dans un établissement correctionnel qui avait été déclaré coupable d’agression sexuelle, comme dans la décision Basra. Il ne s’agissait pas non plus d’un employé qui avait plaidé coupable à des accusations de contacts sexuels avec une mineure beaucoup plus graves et perturbants que l’infraction commise par le fonctionnaire et qui travaillait dans le même établissement que le père de la mineure en question, comme dans la décision Oilers. Tous ces cas constituaient des exemples de conduite en dehors des heures de travail qui amèneraient un membre raisonnable du public, mis au courant des faits dans ces cas, à conclure qu’une telle conduite était incompatible avec les fonctions et les obligations professionnelles de l’employé.
[96] De plus, rien dans les éléments de preuve n’indique que la déclaration de culpabilité du fonctionnaire en 2019 a réellement nui aux activités de l’employeur. Il ne s’agissait pas, par exemple, d’un employé dont la déclaration de culpabilité pour une infraction liée aux armes à feu et son comportement agressif en général avaient amené ses collègues à craindre pour leur sécurité, comme dans la décision Munroe. Le fait que certains de ses collègues aient été mal à l’aise en raison de sa déclaration de culpabilité de 2015 n’était pas suffisant en soi pour justifier le licenciement; voir, par exemple, Moloney Electric Inc. ou Port Moody (City). Cela est d’autant plus vrai que le retour au travail du fonctionnaire en 2016 n’a entraîné aucune perturbation aux activités de l’employeur.
[97] Il n’y avait pas non plus d’élément de preuve permettant d’étayer une conclusion selon laquelle un retour au travail à ce moment-là perturberait les activités de l’employeur, à plus forte raison que le fonctionnaire avait travaillé avec ses collègues après 2015 sans incident et sans aucune conséquence défavorable sur le travail du centre. À cet égard, je fais remarquer que le sondage de 2023 de l’employeur au milieu de travail n’a fait état que de légères inquiétudes de la part de certains (pour les motifs déjà mentionnés, j’ai écarté le témoignage de GH sur ce point).
[98] Pour conclure cette partie de l’analyse, je n’ai donc pas été convaincu que la déclaration de culpabilité de 2019 justifiait une mesure disciplinaire, encore moins un licenciement, et c’est à l’employeur qu’il incombait de me convaincre sur ce point. La conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail n’était pas connue du grand public. Même si cela avait été le cas (ce qui était peu probable, étant donné que des mineures étaient concernées), rien ne laissait entendre qu’un membre du public sensé aurait estimé que le fonctionnaire ne devait pas se voir offrir une deuxième chance et ne devait pas retourner à son ancien emploi. Le fonctionnaire avait été déclaré coupable d’infractions commises bien avant 2019, et il n’avait pas récidivé. Il avait payé sa dette envers la société et avait continué, de sa propre volonté, à obtenir un soutien professionnel à l’égard d’une telle conduite. Il avait reconnu et regretté l’incidence de sa conduite sur ses victimes. Il ne travaillerait pas avec des mineurs. Il s’agit là de facteurs positifs qui militeraient en faveur du fonctionnaire dans l’esprit d’un membre du public sensé qui serait informé des faits. Rien dans ces faits ne pourrait étayer une conclusion selon laquelle la conduite du fonctionnaire en dehors des heures de travail porterait ou pourrait porter atteinte à la réputation de l’employeur ou à sa capacité d’exercer ses activités.
[99] Il reste à trancher la question de savoir si la conduite en dehors des heures de travail a contrevenu aux conditions d’emploi du fonctionnaire au motif qu’elle a violé le CVESP et le Code du MDN et des FAC.
B. Question B : la violation présumée du CVESP et Code du MDN et des FAC
[100] La lettre de licenciement du 26 septembre 2019 faisait état de violations des Normes de conduite de l’employeur et du CVESP. Elle ne précisait pas les normes ou les valeurs qui n’avaient pas été respectées. Le capitaine Benoit a souligné les passages déjà cités. Toutefois, en toute déférence, les affirmations qu’ils contiennent sont trop vagues, subjectives et générales pour donner une orientation permettant de savoir si une conduite en dehors des heures de travail particulière devrait être suffisante pour justifier une mesure disciplinaire, encore moins un licenciement. Au mieux, les affirmations représentent un idéal à atteindre plutôt que des directives à suivre.
[101] Étant donné la position de l’employeur selon laquelle ces normes et le CVESP faisaient partie des conditions d’emploi du fonctionnaire, je me serais attendu à ce qu’un avis d’enquête sur une inconduite ait été produit concernant la conduite du fonctionnaire après la déclaration de culpabilité de 2015 si l’employeur avait réellement été préoccupé par cette conduite. Or, aucun avis n’a été produit.
[102] Je fais également remarquer que Mme Miller, dans son témoignage, a affirmé que, depuis la déclaration de culpabilité du fonctionnaire en 2015, l’employeur se souciait des principes énoncés dans la décision Millhaven Fibres. En fait, presque tous ses éléments de preuve et ses arguments portaient sur le critère énoncé dans la décision Millhaven Fibers, et non sur le CVESP et le Code du MDN et des FAC. Ainsi, je n’ai pas été convaincu que la conduite du fonctionnaire avait enfreint ce code ou que, si tel avait été le cas, cette violation aurait ajouté quoi que ce soit à l’analyse découlant de la décision Millhaven Fibers, qu’il s’agisse d’arguments allant dans le même sens que cette analyse ou à l’encontre de celle-ci.
C. Ordonnance de confidentialité
[103] Au début des présents motifs, j’ai signifié ma décision, à la suite de la demande des deux parties, d’anonymiser les noms du fonctionnaire et de certains des témoins, ainsi que de mettre sous scellés le dossier. Les parties ont présenté cette demande conjointement, en vue de protéger l’identité des victimes mineures mentionnées dans les plaintes de nature criminelle. Je dois expliquer les motifs de cette décision parce que la Commission est assujettie au principe de la publicité des débats judiciaires. Les demandes d’ordonnances de confidentialité, qui limitent l’application de ce principe, sont assujetties au critère tel qu’il est énoncé par la Cour suprême du Canada dans les décisions Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (« Sierra Club ») et Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, [2021] 2 R.C.S. 75 (« Sherman (Succession) »).
[104] Dans la décision Sherman (Succession), la Cour a souligné qu’il existe une forte présomption en faveur du principe de la publicité des débats judiciaires, ce qui signifie qu’il y a une forte présomption en faveur de la transparence et de l’accès du public aux éléments de preuve et aux procédures des tribunaux quasi judiciaires comme la Commission. Le fait qu’un tel accès puisse occasionner des désagréments personnels ou un embarras pour les parties ne suffit pas en soi à justifier une dérogation au principe de la publicité des débats judiciaires (Sherman (Succession), au par. 32). Au paragraphe 38 de la décision Sherman (Succession), la Cour a présenté trois critères que doit remplir une personne ou une partie qui demande une exception au principe de la publicité des débats judiciaires :
1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et
3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
[105] La Cour a néanmoins reconnu qu’il pouvait y avoir des intérêts en matière de vie privée qui allaient au‑delà du simple intérêt personnel et qui concernaient un intérêt public important. Les intérêts publics importants peuvent inclure l’intérêt commercial général de préserver des renseignements commerciaux confidentiels, la bonne administration de la justice pour assurer l’équité d’un procès, l’anonymisation des noms des jeunes contrevenants pour favoriser leur réadaptation personnelle, les renseignements relatifs à des problèmes de santé stigmatisés, l’orientation sexuelle, le fait d’avoir été victime d’une agression sexuelle ou de harcèlement, ou des renseignements mis à la disposition du public qui font partie de l’identité fondamentale et de la dignité de la personne. Le juge Kasirer a fait l’observation suivante au paragraphe 73, au nom de la Cour :
[…] protéger les gens contre la menace à leur dignité qu’entraîne la diffusion de renseignements révélant des aspects fondamentaux de leur vie privée dans le cadre de procédures judiciaires publiques constitue un intérêt public important pour l’application du test.
[106] Il a ensuite déclaré ce qui suit au paragraphe 76 :
[…] Reconnaître que la vie privée, considérée au regard de la dignité, n’est sérieusement menacée que lorsque les renseignements contenus dans le dossier judiciaire sont suffisamment sensibles permet d’établir un seuil compatible avec la présomption de publicité des débats. Ce seuil est tributaire des faits […]
1. La publicité des débats judiciaires présente un risque sérieux pour un intérêt public important
[107] Je conclus que la publicité des débats judiciaires dans le présent cas présente un risque sérieux pour des intérêts publics importants, y compris la dignité des victimes mineures, du fonctionnaire et d’autres tierces parties.
[108] La protection des mineures peut constituer un intérêt public important lorsqu’il s’agit de limiter la publicité des débats judiciaires (A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 RCS 567, au par. 17). Bien que le fait que les renseignements concernent des mineurs ne suffise pas en soi à réfuter la présomption de publicité des débats judiciaires (Sherman (Succession), au par. 92), il est suffisant dans le présent cas, dans la mesure où les renseignements concernent des actes de nature sexuelle commis contre des personnes mineures. Il est reconnu qu’il existe un intérêt public important dans la protection des personnes qui ont été victimes d’agression sexuelle ou de harcèlement (Sherman (Succession), au par. 77, citant Fedeli v. Brown, 2020 ONSC 994, au par. 9), surtout lorsque ces personnes étaient mineures au moment où les actes ont été commis. Ces renseignements touchent à ce que la Cour suprême du Canada a appelé « le cœur même des renseignements biographiques » qui sont constitués de « détails intimes ou personnels concernant une personne » (Sherman (Succession), au par. 75). Il y a un risque sérieux pour la dignité « […] lorsque les personnes perdent le contrôle sur la possibilité de fournir des renseignements sur elles‑mêmes qui touchent leur identité fondamentale, car un aspect très sensible de qui elles sont qu’elles n’ont pas décidé consciemment de communiquer est désormais accessible à autrui et risque de façonner la manière dont elles sont perçues en public » (Sherman (Succession), au par. 71). Dans le présent cas, la publicité des débats judiciaires présente un risque sérieux pour la dignité des victimes mineures concernées.
[109] La publicité des débats judiciaires présente également un risque sérieux pour la dignité du fonctionnaire : « En cas d’atteinte à la dignité, l’incidence sur la personne n’est pas théorique, mais pourrait entraîner des conséquences humaines réelles, y compris une détresse psychologique […] » (Sherman (Succession), au par. 72). Compte tenu de la nature des infractions pour lesquelles le fonctionnaire a été reconnu coupable, la publicité l’exposerait à un examen public qui irait au cœur même de sa dignité en tant que personne. Le fait de nommer le fonctionnaire l’exposerait également à un traitement négatif possible en milieu de travail (comme en témoigne ce qui s’est passé après sa deuxième déclaration de culpabilité) : voir, par exemple, A.B. c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 53, au par. 152, comme il est expliqué dans Matos c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2024 CRTESPF 7, au par. 24. Étant donné que j’ordonne la réintégration du fonctionnaire, il existe un intérêt à lui permettre de réintégrer ses fonctions avec succès sans porter atteinte à sa dignité.
[110] Il existe également un risque sérieux pour les intérêts en matière de dignité d’autres tierces parties, comme la partenaire actuelle du fonctionnaire (avec qui il entretient une relation de longue date) et l’enfant de cette dernière (maintenant jeune adulte) : voir, par exemple, Fonctionnaire s’estimant lésé X c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 74, au par. 111.
[111] Je suis convaincu que, dans les circonstances particulières du présent cas, il est approprié d’anonymiser le nom du fonctionnaire et de certains des témoins.
2. L’ordonnance de confidentialité est nécessaire
[112] Je conclus que les deux ordonnances demandées, soit l’anonymisation et la mise sous scellés du dossier, constituent des mesures nécessaires parce qu’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable.
[113] Le refus d’accorder l’anonymisation du nom du fonctionnaire entraînerait, par déduction, l’identification de tierces personnes qui ne sont pas concernées par la présente affaire, y compris les victimes mineures. Il est également nécessaire que le fonctionnaire ne soit pas associé à la nature des infractions, à des fins de protection de sa propre dignité. Lorsque des renseignements de nature délicate peuvent simplement être omis dans une décision, l’anonymisation peut ne pas être nécessaire. Toutefois, dans le présent cas, il est nécessaire d’examiner les infractions pour trancher le grief. Il n’existe aucune solution de rechange raisonnable à l’anonymisation du nom du fonctionnaire. En ce qui concerne les témoins, compte tenu de la taille relativement réduite du milieu de travail, l’anonymisation de certains témoins est nécessaire afin que le nom du fonctionnaire ne soit pas divulgué.
[114] Je conclus que l’ordonnance de mise sous scellés de l’ensemble du dossier est nécessaire. Le caviardage n’aurait pas constitué une mesure de rechange satisfaisante. Le dossier contient un ensemble complexe de documents, de notes et de pièces de correspondance qui comportent divers types de renseignements personnels ou factuels pouvant mener à l’identification du fonctionnaire ou des plaignants tiers. La tâche de tenter de trouver et de caviarder tous les types de renseignements qui pourraient mener à l’identification aurait été trop complexe, à plus forte raison que le défaut de caviarder certains renseignements par inadvertance pourrait mener à l’identification malgré tout. L’ordonnance respecte le principe de la proportionnalité.
[115] Les ordonnances de confidentialité exigent la recherche d’un équilibre entre le principe de la publicité des débats judiciaires et l’intérêt public important lié à la protection de la dignité des personnes. Étant donné ce qui précède, je conclus que les avantages de l’octroi de l’ordonnance de confidentialité l’emportent sur la violation du principe de la publicité des débats judiciaires.
[116] Je suis donc convaincu qu’il est approprié d’anonymiser le nom du fonctionnaire et de certains témoins, ainsi que de mettre sous scellés l’ensemble du dossier, y compris toutes les pièces.
[117] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[118] Le grief est accueilli.
[119] Le fonctionnaire doit réintégrer ses fonctions deux semaines après la date de la présente décision, sans toucher de rémunération rétroactive pour toute période antérieure à cette date, mais sans perdre d’ancienneté.
[120] J’ordonne que le nom du fonctionnaire soit anonymisé en tant qu’AB dans la décision et dans l’intitulé.
[121] J’ordonne que le nom des témoins soit anonymisé en tant que CD, EF, GH et JK dans la décision.
[122] J’ordonne la mise sous scellés de l’ensemble du dossier (dossier de la Commission no 566‑02‑42167) et de toutes les pièces qu’il contient.
[123] La Commission demeurera saisie de toute question découlant de la mise en œuvre de la présente décision pendant une période 60 jours suivant la date de la décision.
Traduction de la CRTESPF
Augustus Richardson,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral