Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée, une adjointe de programme, a été suspendue, puis licenciée après avoir été accusée, mais non condamnée, d’avoir été illégalement dans une maison d’habitation, d’agression et de méfait après être entrée dans le logement de son partenaire par une fenêtre, l’avoir engagé dans une altercation physique et avoir endommagé des biens – l’employeur a conclu que la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée en dehors de ses heures de travail avait violé son Code de discipline, ses Règles de conduite professionnelle, et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique – les antécédents disciplinaires de la fonctionnaire s’estimant lésée comprenaient également un incident de conduite similaire pour lequel elle avait eu une suspension de deux jours – la Commission a conclu que le défendeur avait un motif juste et raisonnable de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit de la fonctionnaire s’estimant lésée – la preuve a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, elle avait commis les infractions en question et que ses actions risquaient de jeter le discrédit sur le défendeur – de plus, la décision de la licencier n’était pas excessive – son manque de franchise pendant l’enquête du défendeur a été le facteur déterminant en ce qui concerne la réadaptation de la fonctionnaire s’estimant lésée – le fait de ne pas avoir été franche a nui à la confiance qui est le fondement de la relation employeur-employé.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20241204

Dossier: 566-02-42399

 

Référence: 2024 CRTESPF 167

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Joanne Richmond

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Richmond c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Joanne Archibald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Paul Champ, avocat

Pour le défendeur : Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),

du 20 au 22 février 2024; arguments écrits reçus le 14 novembre 2024.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] La fonctionnaire s’estimant lésée, Joanne Richmond, était une employée du Conseil du Trésor (l’« employeur ») qui travaillait au sein du Service correctionnel du Canada (« SCC ») en tant qu’adjointe aux programmes, un poste de groupe et niveau CR-04, à l’établissement du Pacifique (« EP ») situé à Abbotsford, en Colombie‑Britannique.

[2] La fonctionnaire s’estimant lésée a été suspendue avec traitement le 8 novembre 2013, puis suspendue sans traitement le 11 décembre 2013 en attendant l’issue d’une enquête disciplinaire concernant sa conduite le 7 novembre 2013, en dehors des heures de travail.

[3] Dans une lettre signée le 16 mars 2014 (la « lettre de licenciement ») par Terry Hackett, directeur de l’EP (le « directeur »), il a été mis fin à l’emploi de la fonctionnaire s’estimant lésée en date du 11 décembre 2013. Voici les extraits pertinents de cette lettre de licenciement :

[Traduction]

[...]

Le 6 décembre 2013, une enquête disciplinaire a été ouverte concernant des allégations selon lesquelles vous vous seriez comportée de manière inappropriée le 7 novembre 2013, en dehors des heures de travail. À l’issue de l’enquête, il a été déterminé que des accusations avaient été portées contre vous par le service de police d’Abbotsford relativement à des infractions en contravention du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Plus précisément, il a été déterminé que vous aviez été accusée des infractions suivantes : i) se trouver dans une maison d’habitation sans excuse légitime, en contravention de l’article 349 du Code criminel; ii) voies de fait, en contravention de l’article 266 du Code criminel; iii) deux accusations distinctes de méfait (5 000 $ ou moins), en contravention du paragraphe 430(4) du Code criminel.

Le 11 décembre 2013, vous avez été suspendue sans traitement en attendant l’issue de l’enquête susmentionnée et une lettre vous a été acheminée pour expliquer les raisons de cette sanction.

Pour déterminer la mesure disciplinaire qui convenait dans le présent cas, j’ai soigneusement examiné le rapport d’enquête disciplinaire rédigé le 17 mars 2014 et j’ai pris en considération les renseignements fournis dans le cadre des audiences disciplinaires auxquelles votre représentant syndical et vous avez participé les 2 avril 2014 et 12 mai 2014.

Le 2 avril 2014, au cours de la première audience disciplinaire, vous avez reconnu que vous étiez en colère après avoir surpris votre partenaire avec une autre femme et que vous aviez endommagé un tableau lorsque vous vous trouviez au domicile de ce dernier. Vous n’avez pas reconnu votre responsabilité pour les autres dommages causés à la résidence et avez de plus affirmé que votre réaction était normale. Vous avez mentionné ne pas avoir agressé votre partenaire et que vous vous étiez souvent introduite dans sa résidence par la fenêtre de la cuisine.

Le 12 mai 2014, une deuxième audience disciplinaire a été tenue, à laquelle vous avez participé avec votre représentant syndical. L’audience visait à vous donner l’occasion d’expliquer votre conduite. Au cours de l’audience, vous avez affirmé avoir réagi ainsi parce que vous aviez déjà vécu une situation similaire dans une ancienne relation. Vous avez mentionné que vous alliez régulièrement à des séances de counseling. Je constate qu’à cette audience, vous avez continué de nier la gravité de vos gestes. Vous avez également continué de rejeter la responsabilité de vos gestes et des accusations criminelles connexes sur l’incident antérieur, sur la propriétaire et sur les policiers. Vous étiez d’avis que les conclusions formulées dans le rapport d’enquête disciplinaire étaient sévères. Vous avez également remis en question les conclusions de l’enquêteuse et avez affirmé que le rapport était erroné. Vous n’avez pas expliqué, ni à la première audience ni à la seconde, en quoi vous avez enfreint le code de conduite.

Le Service correctionnel du Canada (SCC) s’attend à ce que tous ses employés se comportent de manière compatible avec, entre autres, les Règles de conduite professionnelle du SCC et la directive du commissaire (DC) 060 Code de discipline. À la lumière de l’ensemble des éléments de preuve et des renseignements dont je dispose, j’estime que votre comportement est inacceptable dans le contexte des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline. Plus précisément, il a été déterminé que : i) vous vous êtes conduite, au travail ou en dehors des heures de travail, d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service; ii) vous avez commis un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur votre rendement au travail.

Vous avez admis avoir endommagé uniquement un tableau au cours des événements susmentionnés et avez nié avoir brisé un ordinateur portable. Dans le rapport de police, il n’est toutefois pas question d’un tableau endommagé. Selon la description des accusations de méfait faite par les policiers, vous avez sciemment endommagé un ordinateur portable, ce qui a été corroboré par la propriétaire, qui vous a vu le détruire. J’estime que vous étiez au courant des dommages causés à l’ordinateur portable, mais que vous avez intentionnellement dissimulé cette information. Vous avez par ailleurs admis être entrée dans la résidence de votre partenaire. Toutefois, vous avez minimisé vos gestes dans le contexte de cet événement particulier et vous n’avez pas reconnu avoir agressé votre partenaire. Néanmoins, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que vous vous êtes bel et bien livrée à cette agression. Au cours de la première audience disciplinaire, vous avez admis que vous étiez en colère et agitée et que votre partenaire avait dû vous retenir physiquement et vous expulser des lieux. Enfin, vous n’avez pas reconnu avoir causé les autres dommages au domicile de votre partenaire. J’estime toutefois que vous êtes à l’origine de ces dommages. Selon le rapport de police, les trous dans le mur correspondaient aux souliers à talons aiguilles que vous portiez la nuit de l’incident.

Je remarque que deux (2) mesures disciplinaires actives figurent à votre dossier personnel, dont une concerne une inconduite de même nature que celle dont il est question dans la présente affaire. En raison de cet incident similaire, vous avez été tenue de vous engager à ne pas troubler l’ordre public pour une période de neuf (9) mois, conformément à l’article 810 du Code criminel.

[...]

Votre refus répété d’assumer la responsabilité de vos gestes et votre incapacité à corriger votre comportement portent à croire que ce type de comportement se reproduira vraisemblablement dans l’avenir. À mon avis, ce comportement est inacceptable de la part d’une fonctionnaire censée agir dans le respect du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

Par conséquent, à la lumière de ce qui précède, je dois vous informer qu’il a été décidé de mettre fin à votre emploi pour des raisons disciplinaires. Ainsi, en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques et des pouvoirs qui me sont délégués par le sous-ministre, je mets fin à votre emploi au SCC en date du 11 décembre 2013.

[...]

 

[4] Le 29 mai 2014, la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief concernant son licenciement, et celui-ci a été rejeté. Le 17 décembre 2020, le grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») en tant que grief portant sur une « [...] mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire [...] ».

[5] Comme il est expliqué dans la présente décision, je juge que l’employeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer l’inconduite justifiant l’application d’une mesure disciplinaire. La mesure disciplinaire imposée était à la mesure de la gravité de l’inconduite. Par conséquent, le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée était justifié. Le grief est rejeté.

II. Résumé de la preuve

[6] La fonctionnaire s’estimant lésée a commencé à travailler au sein du SCC en 2007, dans une salle de courrier, pour une période d’emploi déterminée. Elle occupait un poste de groupe et niveau CR-03. Vers la fin de son mandat, on lui a offert un autre poste pour une durée déterminée, soit celui d’adjointe aux programmes et commis à la paie des détenus à l’EP. Peu de temps après, elle a été nommée au poste pour une période indéterminée. En septembre 2012, elle travaillait au Bureau administratif des Services correctionnels communautaires en attendant le résultat d’une enquête disciplinaire concernant un incident survenu en août 2012, donc avant l’incident du 7 novembre 2013 qui est au cœur de la présente affaire.

[7] Le but de la directive du commissaire du SCC 060 (la « DC 60 »), comme il est énoncé à l’article 1, consiste à « [é]tablir des normes de conduite rigoureuses pour les employés du Service ». Les articles 7 et 8 de la DC 60 sont au cœur même du présent grief. Ces articles figurent sous la rubrique « Infractions », et les extraits pertinents sont les suivants :

7. Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. [...]

8. Commet une infraction l’employé qui :

[...]

c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail;

[...]

 

[8] Le SCC a également publié deux documents, le Code de discipline du Service correctionnel du Canada (le « Code ») et les Règles de conduite professionnelle (les « Règles »), qui sont issues du Code. Les dispositions de l’article 8 de la DC 60 sont reprises au paragraphe 2 du Code. Le paragraphe 2 des Règles concerne également le comportement d’un employé au travail ou en dehors des heures de travail. Il prévoit en outre ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Les employés qui commettent des actes criminels ou d’autres violations graves de la loi – en particulier dans le cas de récidives ou d’infractions suffisamment graves pour entraîner l’incarcération – ne présentent pas le genre de comportement considéré comme acceptable au Service, sur les plans tant personnel que professionnel. Par conséquent, tout employé accusé d’une infraction au Code criminel ou à une loi fédérale, provinciale ou territoriale doit en aviser son superviseur avant de reprendre ses fonctions.

[...]

 

[9] Le SCC exige de ses employés qu’ils signent une déclaration attestant qu’ils ont reçu le Code et les Règles qui régissent leur emploi. Dans son témoignage, la fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé qu’elle connaissait le Code et les Règles et qu’elle savait que ceux-ci étaient applicables à sa conduite quand elle était en fonction et quand elle ne l’était pas.

A. Incident du 7 novembre 2013

[10] Dans son témoignage, la fonctionnaire s’estimant lésée a relaté l’incident du 7 novembre 2013, qui concernait son petit ami de l’époque. Celui-ci est appelé « NL » tout au long de la présente décision.

[11] Elle a affirmé dans son témoignage qu’elle pensait que NL était absent de son domicile le 6 novembre 2013 puisqu’il n’avait pas répondu à ses appels et à ses messages textes. Tôt le 7 novembre 2013, elle s’est rendue chez lui pour le surprendre à son retour. Pour entrer, elle s’est glissée par une fenêtre de cuisine non verrouillée, car elle avait entendu dire que d’autres personnes étaient parvenues à accéder à la résidence de cette façon. Dans son témoignage, elle a maintenu qu’elle ne considérait pas qu’il s’agissait d’une introduction par effraction.

[12] Il convient de noter que, tout au long de l’audience, les parties ont décrit l’accusation portée en vertu de l’article 349 du Code criminel (L.R.C., 1985, ch. C-46; le « Code criminel ») comme une [traduction] « introduction par effraction ». Lorsque cette description abrégée est employée dans la présente décision, celle-ci doit être interprétée comme englobant les dispositions de l’article 349.

[13] Selon la fonctionnaire s’estimant lésée, au moment où elle s’est introduite par la fenêtre, NL l’a interceptée et lui a dit [traduction] « ce n’est pas ce que tu penses ». La fonctionnaire s’estimant lésée a ensuite aperçu une femme dans la chambre.

[14] La fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé qu’elle avait alors [traduction] « perdu le contrôle », [traduction] « piqué une crise » et [traduction] « paniqué ». Elle s’est souvenue que NL avait réagi en lui faisant [traduction] « la prise de l’ours » pour l’empêcher d’endommager ses biens. Elle l’a poussé et se souvient d’avoir intentionnellement donné des coups de pied dans certains tableaux. Son pied a traversé le mur, mais elle n’avait pas l’intention de causer des dommages. Bien qu’elle ne se souvienne pas d’avoir endommagé un ordinateur portable, elle a affirmé qu’elle avait visionné l’enregistrement vidéo de l’interrogatoire de police dans le cadre duquel elle avait déclaré l’avoir brisé. Elle a reconnu qu’elle avait endommagé le mur.

[15] La fonctionnaire s’estimant lésée s’est souvenue que la police avait porté des accusations criminelles contre elle. Une ordonnance de non-communication avait été rendue initialement pour l’empêcher d’entrer en contact avec NL, mais l’ordonnance a été annulée. Elle a mentionné qu’elle contestait l’accusation d’introduction par effraction parce qu’elle était la bienvenue chez NL et que la fenêtre n’était pas verrouillée. Elle a affirmé qu’elle avait lutté avec NL après être entrée dans la résidence, mais qu’elle n’avait pas l’intention de l’agresser.

[16] Un témoin qui était présent au domicile de NL les 6 et 7 novembre 2013 a livré un témoignage au cours de l’audience. Cette personne est appelée « JD » tout au long de la présente décision.

[17] JD a indiqué dans son témoignage que le 6 novembre 2013, vers minuit, tandis qu’elle dormait dans la chambre de NL, elle a entendu une personne qui faisait des allers-retours sur la galerie dehors. Une lumière à détecteur de mouvement s’est allumée, ce qui l’a réveillée. Elle a fini par se rendormir. Puis, tôt le matin du 7 novembre 2013, elle s’est réveillée en entendant un fracas dans la cuisine. Elle a vu une personne faire irruption dans la chambre tandis que NL tentait de la maîtriser.

[18] JD a mentionné que cette personne était grande et avait les cheveux foncés, soit châtains ou d’un brun clair. Elle a affirmé que NL avait plus tard dit qu’il s’agissait de sa petite amie, qui est la fonctionnaire s’estimant lésée dans la présente procédure.

[19] NL a crié à JD d’appeler la police. Cette dernière est sortie de la chambre et a couru jusqu’à l’appartement de la propriétaire. Les policiers ont été appelés.

[20] JD a reconnu sur des photographies les blessures subies par NL. Elle a affirmé qu’elle ne se souvenait pas que NL ait eu des blessures avant l’arrivée de la fonctionnaire s’estimant lésée. Lorsqu’on lui a montré des photos d’un trou dans le mur et d’un tableau arraché de son cadre, elle a affirmé qu’elle ne se souvenait pas que quoi que ce soit était brisé avant l’arrivée de la fonctionnaire s’estimant lésée. Elle a reconnu son ordinateur portable endommagé sur une photo. Elle l’avait laissé sur un comptoir. Lorsqu’elle est revenue avec la propriétaire, elle a trouvé son ordinateur détruit.

[21] JD s’est souvenue que NL était préoccupé par le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée travaillait au SCC et qu’elle s’exposait à des conséquences si des accusations criminelles étaient portées contre elle. NL lui a dit que de telles accusations allaient ruiner la vie de la fonctionnaire s’estimant lésée.

[22] Le 8 novembre 2013, la fonctionnaire s’estimant lésée a communiqué avec le SCC pour l’informer que des accusations criminelles avaient été portées contre elle le 7 novembre 2013. Elle a fourni les coordonnées de l’agent chargé de l’enquête.

[23] En réponse, le SCC a dit à la fonctionnaire s’estimant lésée de prendre un congé annuel et lui a demandé de ne pas se présenter au travail jusqu’à ce que la gravité des infractions puisse être établie.

B. Rapport d’enquête et audience disciplinaire

[24] Le 6 décembre 2013, le SCC a chargé un enquêteur de mener une enquête disciplinaire. La fonctionnaire s’estimant lésée a reçu une copie de l’ordre de convocation.

[25] Le 11 décembre 2013, Vince LeBlanc, ancien directeur de l’EP, a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée pour l’informer de la tenue de l’enquête disciplinaire. Voici un extrait de la lettre en question :

[Traduction]

J’ai reçu des renseignements qui me portent à croire que vous avez commis un acte criminel ou une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité (en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province) qui pourrait jeter le discrédit sur le Service.

Plus précisément, le 7 novembre 2013 ou vers cette date, vous vous seriez livrée à des activités inappropriées et auriez par conséquent été accusée des infractions suivantes par le service de police d’Abbotsford :

1. se trouver dans une maison d’habitation sans excuse légitime – article 349 du Code criminel du Canada;

2. voies de fait – article 266 du Code criminel du Canada;

3. deux accusations distinctes de méfait de 5 000 $ ou moins –paragraphe 430(4) du Code criminel du Canada.

Ces actions, si elles sont prouvées, constituent une grave violation des Règles de conduite professionnelle et/ou du Code de discipline du SCC. Par conséquent, j’ai confié à Nigel Harper, enquêteur régional, le mandat de mener une enquête disciplinaire interne sur la question, laquelle débute dès maintenant.

[...]

Pendant l’enquête, vous êtes suspendue sans traitement, comme il est indiqué dans la lettre qui vous a été transmise aujourd’hui [...]

[...]

 

[26] Peu de temps après l’envoi de cette lettre, M. Harper est décédé et Cindy Lewis (l’« enquêteuse ») a repris les rênes de l’enquête disciplinaire.

[27] Le 11 décembre 2013, le SCC a envoyé une lettre à la fonctionnaire s’estimant lésée pour l’informer officiellement qu’elle était suspendue sans traitement. Voici un extrait de la lettre :

[Traduction]

[…]

La présente vise à vous informer qu’à compter de maintenant, vous êtes suspendue indéfiniment sans traitement en attendant l’issue de l’enquête disciplinaire sur les allégations selon lesquelles vous auriez fait l’objet des accusations criminelles suivantes le 7 novembre 2013 ou vers cette date :

1. se trouver dans une maison d’habitation sans excuse légitime – article 349 du Code criminel du Canada;

2. voies de fait – article 266 du Code criminel du Canada;

3. deux accusations distinctes de méfait de 5 000 $ ou moins –paragraphe 430(4) du Code criminel du Canada.

J’ai examiné la question de savoir si vous étiez en mesure de reprendre le travail dans votre poste d’attache selon des conditions de travail modifiées ou non. Je constate que vous êtes actuellement visée par une ordonnance qui vous interdit de communiquer avec un employé de l’Établissement du Pacifique en attendant les suites des accusations en instance concernant un incident survenu le 11 août 2012. Pour cette raison, vous avez d’abord été réaffectée au BASCC, puis à l’Établissement de Matsqui. Compte tenu de la nature des nouvelles allégations susmentionnées, j’ai déterminé qu’une suspension sans traitement était la seule voie possible. Votre présence au sein d’un établissement ou d’un autre lieu de travail du gouvernement du Canada poserait un risque élevé au plan de la sécurité pour le Service et nuirait à notre réputation auprès du public.

Durant la période de suspension, il vous est interdit d’entrer dans les locaux du SCC sans ma permission ou celle de mon représentant. Je vais continuer d’examiner régulièrement l’information à votre dossier pour déterminer si la suspension sans traitement demeure justifiée.

[Une] enquête a été ouverte et l’ordre de convocation vous a été ou vous sera transmis aujourd’hui. L’enquêteur communiquera avec vous sous peu.

[…]

 

[28] La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas présenté de grief pour contester la suspension sans traitement.

[29] Le 7 mars 2014, l’enquêteuse a présenté ses conclusions à l’issue de l’enquête.

[30] D’après le rapport d’enquête disciplinaire, la fonctionnaire s’estimant lésée a nié avoir endommagé un ordinateur portable et a affirmé que la blessure de NL était en réalité une plaie en cicatrisation qui avait formé une croûte qui s’était détachée. De plus, selon elle, NL aurait dit aux policiers qu’elle avait librement accès à sa résidence.

[31] L’incident du 7 novembre 2013 a été résumé ainsi dans le rapport d’enquête :

[Traduction]

[...]

[...] À environ 1 h, Mme Richmond se présente à la résidence de [NL], son petit ami à l’époque, et se glisse par la fenêtre de la cuisine. Elle trouve son petit ami au lit avec son ancienne partenaire, et il s’ensuit une confrontation entre Mme Richmond et [NL]. Pendant la confrontation, des biens sont endommagés. La propriétaire se rend à l’appartement deux étages plus bas et voit Mme Richmond en train d’agresser [NL]. Elle tente de parler à [NL] et demande à Mme Richmond de partir lorsque celle-ci s’approche d’elle et lui dit « va ch*** » puis lui claque la porte au nez. La propriétaire et l’autre femme quittent les lieux. La propriétaire appelle le service de police d’Abbotsford et les policiers se présentent à l’appartement de [NL]. Mme Richmond quitte avant l’arrivée des policiers et se rend chez elle, où les policiers vont procéder à son arrestation. Mme Richmond est détenue et passe la nuit en cellule.

[...]

 

[32] L’enquêteuse a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire s’estimant lésée avait enfreint la DC 60, le Code et les Règles.

[33] Après avoir reçu le rapport d’enquête disciplinaire, le directeur a tenu une audience disciplinaire consistant en deux entretiens avec la fonctionnaire s’estimant lésée, accompagnée de son représentant, le 2 avril et le 12 mai 2014.

[34] Le directeur s’est souvenu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait nié l’incident signalé et qu’elle avait dit contester tout ce qui était écrit dans le rapport d’enquête disciplinaire. Il a mentionné dans son témoignage qu’au cours de l’audience disciplinaire, il voulait qu’elle le convainque que le lien de confiance entre elle et l’employeur pouvait être restauré. Il souhaitait qu’elle reconnaisse les événements survenus le 7 novembre 2013.

[35] L’enquête disciplinaire s’est amorcée le 2 avril 2014. Le directeur a affirmé dans son témoignage que, bien que la fonctionnaire s’estimant lésée ait admis être entrée dans la résidence et avoir endommagé un tableau, elle a minimisé l’ampleur de ses actes. Elle a dit au directeur qu’elle s’était introduite dans la résidence de NL par la fenêtre de la cuisine 30 fois auparavant. Elle a ensuite admis qu’elle s’était glissée par la fenêtre seulement une fois, le 7 novembre 2013. Elle a nié avoir brisé les murs et a insisté sur le fait que les photographies des dommages avaient été prises après que NL eut été expulsé de la résidence. Elle a reconnu avoir endommagé un tableau. Elle a affirmé qu’elle participait à des séances de counseling depuis l’incident de 2012. Elle a changé de thérapeute en janvier 2014 pour travailler sur la gestion de sa colère.

[36] Le directeur s’est dit préoccupé par le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas dit la vérité au premier jour de l’audience disciplinaire. C’est pourquoi il a organisé une deuxième journée d’audience le 12 mai 2014. Il a affirmé qu’il espérait que la fonctionnaire s’estimant lésée réfléchisse aux événements et manifeste une plus grande franchise. À son avis, le fait de dire la vérité sur les événements passés était un facteur prédictif de son comportement futur. Il s’attendait d’elle qu’elle assume ses actes et qu’elle fasse preuve de transparence.

[37] Selon le directeur, au cours de la deuxième journée d’audience, la fonctionnaire s’estimant lésée a reconnu avoir perdu son sang-froid. Elle a insisté sur le fait qu’elle avait la permission d’entrer par la fenêtre de la cuisine et qu’elle n’avait pas agressé NL. Elle a ajouté que les policiers avaient mal compris la situation ou qu’ils avaient fait des suppositions erronées en l’accusant de voies de fait. Elle a soutenu qu’elle avait endommagé uniquement une photo et qu’elle n’avait rien à voir dans la destruction de l’ordinateur portable. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas brisé les murs de la résidence.

[38] La fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé dans son témoignage qu’au moment où elle a été interrogée pendant l’enquête disciplinaire, elle était terrifiée de perdre son emploi et c’est pourquoi elle a minimisé ses actes. Elle a convenu qu’elle n’avait pas admis avoir endommagé l’ordinateur portable. Elle croyait avoir raconté à la police ce qui s’était passé avec honnêteté et transparence. Elle voulait donner aux policiers tous les renseignements dont ils avaient besoin.

[39] Au moment d’établir la sanction disciplinaire pour l’incident de 2013, le directeur a mentionné avoir pris en considération les évaluations de rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée et le fait qu’elle avait fourni au SCC, le 8 novembre 2013, le nom et les coordonnées du policier chargé de l’enquête. Il a ignoré un courriel de NL dans lequel ce dernier indiquait qu’à son avis, l’affaire était de nature personnelle, n’avait aucune incidence sur le rendement au travail de la fonctionnaire s’estimant lésée et que, par conséquent, aucune sanction disciplinaire ne devrait être imposée.

[40] Le directeur a mentionné qu’il était perturbé par le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée minimisait son comportement. Les accusations criminelles étaient graves et le directeur souhaitait comprendre s’il y avait une cause sous-jacente. L’incident de 2012 était un élément pertinent à prendre en considération. Cet incident concernait également un partenaire de la fonctionnaire s’estimant lésée et s’était soldé par des accusations criminelles. Dans les deux cas, la fonctionnaire s’estimant lésée a réagi de façon incontrôlable. Elle semble avoir perdu son sang-froid et ses moyens. En 2012, elle avait fracassé une fenêtre. En 2013, elle s’est introduite dans une résidence par une fenêtre, a endommagé un tableau et d’autres biens et a agressé NL. Par suite de l’incident de 2012, le SCC a pris des mesures disciplinaires à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée parce que, par son comportement en dehors des heures de travail, elle avait enfreint le Code et les Règles.

[41] Bien qu’elle ait admis auprès des policiers qu’elle avait endommagé l’ordinateur portable, elle l’a nié devant l’ancien directeur. Elle a affirmé qu’elle était mortifiée par les gestes qu’elle avait posés au domicile de NL. Selon elle, elle avait enfreint le Code en causant des dommages matériels, mais pas en s’introduisant dans la résidence.

[42] Le directeur a convoqué la fonctionnaire s’estimant lésée à une rencontre le 16 mai 2014 et c’est dans le cadre de cette rencontre qu’il lui a remis la lettre de licenciement.

C. Enquête policière et accusations criminelles

[43] Daryl Young, enquêteur au service de police d’Abbotsford, a affirmé dans son témoignage qu’il était l’enquêteur principal attitré aux affaires domestiques. Se reportant à ses notes, il s’est souvenu s’être présenté au domicile de NL le 7 novembre 2013 et avoir enregistré séparément sur bande audio la déclaration de NL et celle de JD. Je n’ai pris appui sur aucune de ces déclarations. Dans un premier temps, NL n’était pas présent à l’audience. Il n’a pas témoigné et n’a pas pu être interrogé au sujet de sa déclaration. Dans un deuxième temps, JD a présenté une preuve directe en témoignant à l’audience au sujet des événements du 7 novembre 2013. Par conséquent, je n’ai pas jugé nécessaire d’accorder du poids à l’une ou l’autre des déclarations.

[44] Les photos prises par les policiers au domicile de NL ont été admises en preuve, y compris les photos des blessures de ce dernier, des deux ordinateurs portables endommagés, des trous dans les murs et de la fenêtre par laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée s’est introduite.

[45] Les policiers ont plus tard procédé à l’arrestation de la fonctionnaire s’estimant lésée à son domicile et lui ont fait subir un interrogatoire au poste de police. La vidéo de l’interrogatoire du 7 novembre 2013 a été admise en preuve.

[46] Au cours de l’interrogatoire, la fonctionnaire s’estimant lésée a expliqué qu’elle avait accédé à la résidence en reproduisant le comportement d’une autre personne qui avait dit être entrée en se glissant par la fenêtre de la cuisine. Elle a reconnu qu’elle avait donné des coups de pied dans deux tableaux dans l’intention de les briser. Elle a admis avoir détruit un ordinateur portable, mais elle ne savait pas qu’il y avait un deuxième ordinateur portable endommagé. Elle a expliqué que NL la retenait physiquement et qu’elle lui donnait des coups pour tenter de se libérer. Elle a affirmé qu’elle ne voulait pas lui faire de mal.

[47] Les documents confirment que la police a déposé quatre accusations criminelles contre la fonctionnaire s’estimant lésée : se trouver dans une maison d’habitation sans excuse légitime (décrit comme une [traduction] « introduction par effraction » par les parties), voies de fait, et deux accusations de méfait de moins de 5 000 $. Le 5 mai 2014, le tribunal s’est penché sur les accusations criminelles et a ordonné à la fonctionnaire s’estimant lésée de contracter un engagement.

D. Antécédents disciplinaires

[48] La lettre de licenciement faisait référence à deux questions disciplinaires, dont voici les détails.

[49] Le 19 mars 2013, la fonctionnaire s’estimant lésée a fait l’objet d’une suspension de deux jours sans traitement en raison d’un incident survenu en 2012 dans le cadre duquel elle avait rendu visite tard dans la nuit à un ancien petit ami, qui travaillait lui aussi pour le SCC et qui est appelé « TN » dans la présente décision. Frustrée parce que ce dernier avait fermé et verrouillé la porte, la fonctionnaire s’estimant lésée avait fracassé une fenêtre. Les policiers ont été appelés, et la fonctionnaire s’estimant lésée a fait l’objet d’accusations criminelles.

[50] Le passage qui suit est extrait de la lettre disciplinaire envoyée le 19 mars 2013 par Carole Chen, sous-directrice intérimaire, à la suite de l’enquête disciplinaire :

[Traduction]

[...]

J’ai examiné de façon exhaustive les conclusions de l’enquête disciplinaire ordonnée le 16 octobre 2012 par Terry Hackett, directeur par intérim, au sujet des allégations suivantes concernant des événements s’étant déroulés le 6 août 2012 ou vers cette date :

1. vous avez été impliquée dans un incident qui s’est soldé par le dépôt d’accusations criminelles contre vous pour un méfait de moins de 5 000 $;

2. en raison des événements s’étant déroulés le 6 août 2012 ou vers cette date, on vous a interdit de prendre contact avec [TN] et de vous présenter à la résidence de [TN] ou à l’adresse [adresse municipale à Langley, en C.-B.];

3. vous n’avez pas respecté les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada, notamment la deuxième règle, « Conduite et apparence ».

Le 22 novembre 2012, Terry Hackett, directeur par intérim, a tenu une audience disciplinaire pour vous donner l’occasion d’aborder le rapport d’enquête et de clarifier les faits. M. Hackett s’est entretenu avec vous et vos représentants syndicaux, Les Holland et Ben Schmidt. Aujourd’hui, nous nous réunissons à propos de la mesure disciplinaire qui sera imposée. Avant notre rencontre d’aujourd’hui, j’ai pris connaissance du rapport disciplinaire et des notes prises à l’audience le 22 novembre 2012. La responsabilisation englobe la notion d’être capable d’expliquer et de justifier la pertinence des mesures et des décisions prises, de répondre aux questions quant à celles-ci et d’être disposé à agir ainsi. À l’audience, vous n’avez pas expliqué vos gestes et n’avez à aucun moment assumé la responsabilité des actions que vous avez posées le 6 août 2012. Vous avez modifié votre version des faits à maintes reprises tout au long du processus d’enquête, y compris à l’audience disciplinaire.

J’estime que votre comportement est inacceptable dans le contexte des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline du Service professionnel du Canada, plus précisément dans le contexte où ces documents indiquent qu’un employé commet une infraction s’il :

a. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

b. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail.

En tant que fonctionnaire fédérale ayant plus de cinq années de service au sein du Service correctionnel du Canada, il est plus que raisonnable de s’attendre à ce que vous compreniez et appliquiez toutes les règles de conduite pertinentes au travail et en dehors des heures de travail, et à ce que vous adoptiez un comportement qui fasse honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. À cette occasion particulière, vous n’avez clairement pas appliqué ces comportements fondamentaux.

Aucune mesure disciplinaire ne figure actuellement à votre dossier. Après avoir soigneusement pris en considération ce facteur ainsi que le retard dans l’enquête, les conclusions et les affirmations que vous avez formulées à l’audience disciplinaire, je parviens à la conclusion qu’il s’agit d’une inconduite grave et j’estime qu’elle justifie l’imposition d’une suspension de deux (2) jours sans traitement à compter du 20 mars 2013 conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques [...]

Il convient de souligner que tous les membres du personnel doivent veiller à se conformer aux règles et exigences ministérielles dans l’exercice de leurs fonctions et à se comporter d’une manière qui fait honneur au Service correctionnel du Canada. Le Ministère prend très au sérieux l’inconduite grave et ne peut la tolérer. Si ce comportement devait se reproduire, ou si toute autre infraction était commise, des mesures disciplinaires plus sévères, pouvant aller jusqu’au licenciement, seront imposées. J’espère sincèrement qu’il ne sera pas nécessaire de prendre de telles mesures.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[51] La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas contesté la mesure disciplinaire. Elle a affirmé dans son témoignage qu’elle comprenait la suspension de deux jours imposée par le SCC parce qu’elle avait enfreint le Code. La lettre disciplinaire contenait de l’information concernant le Programme d’aide aux employés. Elle a ensuite participé à des séances de counseling pour apprendre à gérer sa colère, à se contrôler et à réagir de façon appropriée.

[52] Le 26 novembre 2013, la fonctionnaire s’estimant lésée a été suspendue pour 10 jours parce qu’elle s’était absentée à neuf reprises sans autorisation entre le 16 octobre et le 8 novembre 2013. Le passage qui suit est extrait de la lettre disciplinaire qui lui a été transmise à l’issue d’une enquête disciplinaire :

[Traduction]

[...]

Lors de l’audience disciplinaire, vous n’avez pas expliqué adéquatement pourquoi vous n’aviez pas informé Mme Lapierre que vous seriez absente. Mme Lapierre vous a communiqué la procédure pour signaler une absence qu’elle vous avait déjà transmise à maintes reprises auparavant. Mme Lapierre vous a continuellement offert son aide et elle vous a donné plusieurs occasions de corriger le problème, mais vous n’avez fait preuve d’aucune collaboration. En outre, durant l’audience, vous n’avez pas reconnu votre responsabilité et vous avez même affirmé que Mme Lapierre aurait dû simplement comprendre que vous étiez malade et qu’elle aurait en fait dû se demander pourquoi vous vous étiez présentée au travail, et non pourquoi vous n’y étiez pas.

J’estime que votre comportement est inacceptable dans le contexte des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline du Service correctionnel du Canada (SCC). Plus précisément :

· vous ne vous êtes pas présentée au travail, et ce, sans autorisation;

· vous avez omis d’obéir aux ordres ou commandements légitimes d’un responsable ou d’un supérieur hiérarchique en ne suivant pas la directive qui consiste à signaler votre absence si vous ne pouvez pas vous présenter au travail.

Après avoir soigneusement pris en considération les affirmations que vous avez formulées à l’audience disciplinaire et votre refus d’assumer la responsabilité de ne pas avoir informé votre employeur de vos absences, et en tenant compte des mesures disciplinaires antérieures à votre dossier, je parviens à la conclusion qu’il s’agit d’une inconduite grave et j’estime qu’elle justifie l’imposition d’une suspension de dix (10) jours sans traitement, du 27 novembre 2013 au 10 décembre 2013 inclusivement, conformément à l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques [...]

[...]

Il convient de souligner que tous les membres du personnel doivent veiller à se conformer aux règles et exigences ministérielles dans l’exercice de leurs fonctions et à se comporter d’une manière qui fait honneur au Service correctionnel du Canada. Le Ministère prend l’inconduite très au sérieux et ne peut la tolérer. Si ce comportement devait se reproduire, ou si toute autre infraction était commise, des mesures disciplinaires plus sévères, pouvant aller jusqu’au licenciement, seront imposées. J’espère sincèrement qu’il ne sera pas nécessaire de prendre de telles mesures.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise]

 

[53] La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas contesté la suspension de 10 jours.

III. Résumé des arguments

A. Pour l’employeur

[54] Il s’agit d’une affaire de mesures disciplinaires progressives, notamment une suspension de deux jours imposée peu de temps avant l’incident en cause pour un comportement similaire. La fonctionnaire s’estimant lésée a menti tout au long de l’enquête et du processus disciplinaire.

[55] Le SCC n’avait pas l’obligation d’établir la conduite décrite dans chacun des motifs expliqués dans la lettre de licenciement. Les motifs établis sont évalués par rapport aux critères d’un licenciement motivé.

[56] Un employé contrevient au Code ou aux Règles s’il commet une infraction en vertu d’une loi du Canada qui pourrait jeter le discrédit sur le SCC ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail. Le SCC doit uniquement démontrer que l’employé a commis une infraction et non qu’il a été déclaré coupable. La norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités.

[57] S’agissant de l’introduction dans la résidence de NL, l’article 349 du Code criminel prévoit ce qui suit :

349 (1) Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité quiconque, sans excuse légitime, s’introduit ou se trouve dans une maison d’habitation avec l’intention d’y commettre un acte criminel.

349 (1) Every person who, without lawful excuse, enters or is in a dwelling-house with intent to commit an indictable offence in it is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term of not more than 10 years or of an offence punishable on summary conviction.

(2) Aux fins des poursuites engagées en vertu du présent article, la preuve qu’un prévenu, sans excuse légitime, s’est introduit ou s’est trouvé dans une maison d’habitation fait preuve, en l’absence de toute preuve contraire, qu’il s’y est introduit ou s’y est trouvé avec l’intention d’y commettre un acte criminel.

(2) For the purposes of proceedings under this section, evidence that an accused, without lawful excuse, entered or was in a dwelling-house is, in the absence of any evidence to the contrary, proof that he entered or was in the dwelling-house with intent to commit an indictable offence therein.

 

[58] La fonctionnaire s’estimant lésée s’est introduite par une fenêtre sans cogner ni tenter d’obtenir l’autorisation d’entrer. Elle n’habitait pas à cet endroit et n’avait pas été invitée à entrer. Les motifs d’une introduction dans une maison d’habitation sans excuse légitime sont établis. En outre, elle a admis à l’enquêteur Young que c’était la première fois, le 7 novembre 2023, qu’elle s’introduisait dans la résidence par cet accès, alors qu’elle avait mentionné à l’ancien directeur du SCC qu’elle l’avait déjà fait 30 fois auparavant.

[59] S’agissant des voies de fait, l’alinéa 265(1)a) et l’article 266 du Code criminel prévoient ce qui suit :

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

265 (1) A person commits an assault when

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

(a) without the consent of another person, he applies force intentionally to that other person, directly or indirectly;

[…]

266 Quiconque commet des voies de fait est coupable :

266 Every one who commits an assault is guilty of

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

(b) an offence punishable on summary conviction.

 

[60] Les photographies versées en preuve montrent les blessures subies par NL à la poitrine, au visage, aux bras et aux mains. Rien n’indique que NL avait accepté qu’on exerce une telle force sur lui. La prépondérance des éléments de preuve permet d’établir qu’il a agi dans le but de protéger ses biens et qu’il a en conséquence été agressé.

[61] S’agissant des accusations de méfait, les alinéas 430(1)a), 430(1)b), 430(4)a) et 430(4)b) du Code criminel prévoient ce qui suit :

430 (1) Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas :

430 (1) Every one commits mischief who wilfully

a) détruit ou détériore un bien;

(a) destroys or damages property;

b) rend un bien dangereux, inutile, inopérant ou inefficace […]

(b) renders property dangerous, useless, inoperative or ineffective ….

[…]

(4) Quiconque commet un méfait à l’égard d’un bien, autre qu’un bien visé au paragraphe (3), est coupable :

(4) Every one who commits mischief in relation to property, other than property described in subsection (3),

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

(a) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding two years; or

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

(b) is guilty of an offence punishable on summary conviction.

 

[62] Pendant l’interrogatoire de police, la fonctionnaire s’estimant lésée a admis avoir [traduction] « détruit » deux tableaux et un ordinateur portable à la résidence de NL. Elle a délibérément endommagé des biens et rendu un ordinateur portable inutilisable.

[63] L’employeur a fait valoir que les éléments de preuve permettaient d’établir qu’il y avait eu manquement aux dispositions du Code et des Règles. La fonctionnaire s’estimant lésée était au fait des exigences à respecter et elle savait, à la lumière de la suspension de deux jours qui lui avait déjà été imposée dans le passé, que ce type de conduite en dehors des heures de travail justifiait des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

[64] Le directeur a organisé un deuxième entretien avec la fonctionnaire s’estimant lésée pour lui donner une deuxième chance de dire la vérité à propos des événements du 7 novembre 2013, ce qu’elle a choisi de ne pas faire encore une fois. Le directeur a jugé qu’elle avait intentionnellement dissimulé de l’information, comme les dommages causés à l’ordinateur portable et au deuxième tableau. Elle a nié l’agression et affirmé que les policiers avaient mal compris la situation. Le directeur demeurait préoccupé par l’incapacité de la fonctionnaire s’estimant lésée à contrôler ses réactions.

[65] L’employeur a soutenu qu’il s’était acquitté du fardeau de prouver que les dispositions du Code et des Règles n’avaient pas été respectées. La fonctionnaire s’estimant lésée a affiché un comportement semblable à celui pour lequel on lui avait imposé une mesure disciplinaire précédemment. Elle n’a pas exprimé en temps opportun de remords sincères à l’égard de sa conduite au cours du processus disciplinaire.

[66] De plus, le lien de confiance entre le SCC et la fonctionnaire s’estimant lésée ne pouvait pas être rétabli sur la base de mensonges. Elle n’a pas seulement minimisé ses actes; elle a menti parce qu’elle craignait de perdre son emploi. Le directeur lui a offert un deuxième entretien dans l’objectif sincère de lui permettre de réfléchir et de faire preuve de franchise. Elle a plutôt répété ce qu’elle avait déjà dit.

[67] Compte tenu des antécédents disciplinaires de la fonctionnaire s’estimant lésée, son licenciement était justifié.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[68] La fonctionnaire s’estimant lésée a concédé que la prise de mesures disciplinaires était justifiée, mais elle a soutenu que la sanction était excessive par rapport à sa conduite en dehors des heures de travail.

[69] La fonctionnaire s’estimant lésée occupait un poste administratif et elle faisait bien son travail, selon le rapport d’enquête disciplinaire. Rien n’indique que sa conduite en dehors des heures de travail a eu une incidence sur sa capacité à exercer ses fonctions.

[70] La situation dans laquelle s’est trouvée la fonctionnaire s’estimant lésée le 7 novembre 2013 était de nature purement personnelle et privée. Il ne fait aucun doute qu’elle s’est comportée de manière inappropriée, mais il s’agissait d’une réaction forte et spontanée aux circonstances.

[71] Il ne s’agissait pas d’une inconduite en milieu de travail, mais parce que l’incident a donné lieu à des accusations criminelles, la situation a été portée à l’attention de l’employeur et a entraîné des conséquences sur le maintien de son emploi.

[72] La fonctionnaire s’estimant lésée s’est introduite sur les lieux, a constaté la situation et a endommagé des biens, mais les détails précis de l’événement ne sont d’aucune utilité.

[73] La fonctionnaire s’estimant lésée a fait preuve d’honnêteté auprès du service de police d’Abbotsford. Il n’est pas contesté qu’elle n’a pas été tout à fait franche avec le SCC et qu’elle a minimisé certaines choses. Toutefois, il serait injuste d’affirmer qu’elle a menti à propos de tout.

[74] L’ancien directeur ne s’est jamais soucié du bien-être de la fonctionnaire s’estimant lésée. Contrairement à l’explication qu’il a donnée, en organisant deux entrevues disciplinaires, il ne souhaitait en fait qu’étoffer davantage le dossier de licenciement.

[75] La fonctionnaire s’estimant lésée a été humiliée et embarrassée et elle s’est retrouvée dans une situation financière extrêmement difficile.

IV. Analyse

[76] Il incombe à l’employeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le licenciement était justifié. Je suis convaincue que l’employeur s’est acquitté de ce fardeau.

[77] Mon évaluation de la présente affaire repose sur l’analyse en trois volets exposée au paragraphe 13 de la décision Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 (« Wm. Scott ») :

[Traduction]

 

[…] les arbitres devraient poser trois questions distinctes dans le cadre de griefs de congédiement typiques. D’abord, l’employé a-t-il fourni à l’employeur un motif juste et raisonnable de lui imposer des mesures disciplinaires? Dans l’affirmative, la décision de l’employeur de congédier l’employé constituait-elle une mesure excessive compte tenu des circonstances? Enfin, si l’arbitre est d’avis que le congédiement constituait une mesure excessive, quelle autre mesure serait juste et équitable?

 

A. L’employée (la fonctionnaire s’estimant lésée) a-t-elle fourni à l’employeur un motif juste et raisonnable de lui imposer des mesures disciplinaires?

[78] Pour les raisons exposées ci-dessous, j’estime que la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée le 7 novembre 2013 constituait un manquement à la DC 60, suivant le libellé du Code et des Règles

[79] Je constate que le Code et les Règles sont issus de la DC 60. Dans l’arrêt Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’adoption de la DC 60 par le commissaire du SCC constituait l’exercice d’un pouvoir dûment délégué. La DC 60 régit la conduite des employés au travail et en dehors des heures de travail. En conséquence, j’ai mis en balance la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée et les dispositions du Code et des Règles, sans avoir à me reporter aux critères établis dans la décision Millhaven Fibres Ltd. v. Oil, Chemical & Atomic Workers Int’l Union, Local 9-670, [1967] O.L.A.A. No. 4 (QL), pour l’évaluation de la conduite en dehors des heures de travail.

[80] Dans le présent cas, la DC 60 prévoit ce qui suit :

[...]

8. Commet une infraction l’employé qui :

[...]

c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail;

[...]

 

[81] Dans un premier temps, j’ai examiné si la fonctionnaire s’estimant lésée avait enfreint l’alinéa 8(d) de la DC 60. Je constate d’abord que la DC 60 renvoie au fait de commettre une infraction et non au fait d’avoir été déclaré coupable. En clair, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas été condamnée pour les infractions dont elle était accusée.

[82] Pour obtenir une condamnation, la Couronne aurait dû prouver, hors de tout doute raisonnable, que la fonctionnaire s’estimant lésée avait commis les infractions en question. En matière civile, la norme applicable est celle de la prépondérance des probabilités. Autrement dit, devant la Commission, le défendeur était uniquement tenu de démontrer qu’il était plus probable qu’improbable que la fonctionnaire s’estimant lésée ait commis les infractions dont elle était accusée.

[83] Dans l’analyse qui suit, j’ai évalué, au moyen de la norme civile de la prépondérance des probabilités, la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée en dehors des heures de travail par rapport aux éléments des infractions, pour déterminer si les éléments de preuve démontrent que celle-ci a enfreint le Code en commettant les infractions dont elle était accusée. Mes conclusions ne sont pas liées à un éventuel verdict de responsabilité criminelle.

[84] Dans un premier temps, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est introduite dans la résidence de NL sans autorisation ni invitation. Dans son témoignage, elle a protesté et affirmé qu’elle ne s’était pas [traduction] « introduite par effraction » sur les lieux, mais elle n’a pas proposé d’excuse légitime ou fourni de preuve pour justifier sa présence dans l’appartement. Le simple fait de dire qu’elle était la bienvenue chez NL n’est pas suffisamment convaincant. Sa description de la réaction de NL et les gestes qu’elle a posés dans la résidence ne vont pas dans le sens de son explication. Les éléments de preuve dont je dispose me convainquent, suivant la norme civile de la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire s’estimant lésée a commis les infractions qui lui sont reprochées en vertu de l’article 349 du Code criminel.

[85] Dans un deuxième temps, s’agissant des voies de fait, des photographies versées en preuve montrent que NL avait des coupures et des égratignures lorsque les policiers se sont présentés à sa résidence le 7 novembre 2013. JD a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait pas vu ces blessures avant l’incident. La fonctionnaire s’estimant lésée a clairement indiqué qu’elle avait résisté aux tentatives de NL de la maîtriser.

[86] On peut raisonnablement déduire que les blessures se sont produites pendant la confrontation physique entre NL et elle. Aucun élément de preuve ne laisse croire que NL avait accepté que la fonctionnaire s’estimant lésée exerce une telle force sur lui. Je conclus que, selon la norme civile, les éléments de l’infraction de voies de fait ont été établis et que la fonctionnaire s’estimant lésée a commis l’infraction dont elle était accusée en vertu des articles 265 et 266 du Code criminel.

[87] Dans un troisième temps, s’agissant du méfait, à la lumière de la preuve que constitue la vidéo de l’interrogatoire de police du 7 novembre 2013, je suis convaincue que la fonctionnaire s’estimant lésée a endommagé non pas un, mais deux tableaux et un ordinateur portable. On peut raisonnablement déduire qu’elle a également endommagé le mur derrière les tableaux. Pendant l’interrogatoire, elle a admis avoir endommagé des biens. JD a confirmé que son ordinateur portable avait été détruit. Suivant la norme civile, je suis convaincue que les éléments de l’infraction de méfait dont la fonctionnaire s’estimant lésée était accusée en vertu de l’article 436 du Code criminel ont été établis.

[88] Compte tenu de cette analyse, je suis convaincue, suivant la prépondérance des probabilités, que les éléments des infractions d’introduction dans une maison d’habitation sans excuse légitime, de voies de fait et de méfait ont été établis. L’analyse appuie la conclusion du SCC selon laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée a commis des actes criminels ou des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada. Par conséquent, la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée constituait une infraction au titre de l’alinéa 8(d) de la DC 60.

[89] Selon la lettre de licenciement, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est conduite [traduction] « [...] au travail ou en dehors des heures de travail, d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service [...] ».

[90] Objectivement, les infractions dont la fonctionnaire s’estimant lésée était accusée sont graves. Je ne doute pas du désarroi décrit par la fonctionnaire s’estimant lésée lorsqu’elle a vu JD avec NL dans la résidence de ce dernier. Dans son témoignage, elle a affirmé qu’elle avait paniqué, piqué une crise et perdu le contrôle. Toutefois, la provocation qu’elle a subie n’excuse pas sa conduite. Elle est la seule responsable des choix qu’elle a faits ce jour-là. Elle s’est introduite dans une résidence sans excuse légitime, a agressé NL et a endommagé les biens d’autrui. C’est ce qui a déclenché la séquence d’événements qui l’a menée là où elle se trouve aujourd’hui.

[91] Lorsque la fonctionnaire s’estimant lésée s’est retrouvée devant le tribunal pour répondre aux accusations criminelles, on lui a ordonné de contracter un engagement assorti de conditions dont celle de rendre des comptes à un agent de probation. L’engagement indiquait qu’un manquement aux conditions était punissable en vertu de l’article 811 du Code criminel en tant qu’acte criminel ou sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

[92] Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Tobin, au paragraphe 62, la question de savoir si la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée a porté atteinte à la réputation du SCC en est une dont le traitement commande « [...] une dose de bon sens et de discernement ». Je souligne que le discrédit n’a pas à être prouvé. (Voir Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36.)

[93] Par conséquent, j’estime que la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée constituait une infraction au sens de l’alinéa 8(c) de la DC 60.

[94] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je juge qu’un observateur relativement bien renseigné parviendrait à la conclusion que la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée le 7 novembre 2013, en dehors des heures de travail, était susceptible de jeter le discrédit sur le SCC, en contravention de l’alinéa 8(c) de la DC 60 et comme l’exprime le libellé de l’alinéa 8(d) de la DC 60 « [...] pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail ». C’est particulièrement vrai, à mon avis, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un comportement criminel et que le mandat du SCC consiste à assurer la gestion sûre et responsable de la population de délinquants.

B. La décision de l’employeur de congédier la fonctionnaire s’estimant lésée constituait-elle une mesure excessive compte tenu des circonstances?

[95] Pour évaluer si la décision de l’employeur de renvoyer la fonctionnaire s’estimant lésée constituait une mesure excessive, il est nécessaire d’examiner autant les circonstances atténuantes que les facteurs aggravants (voir Wm. Scott).

[96] Je souligne tout particulièrement que la fonctionnaire s’estimant lésée a eu une conduite grandement similaire le 6 août 2012. Une mesure disciplinaire lui a été imposée le 19 mars 2013 sous la forme d’une suspension de deux jours. J’accorde moins d’importance à la suspension de 10 jours qui lui a été imposée le 26 novembre 2013 pour absences non autorisées, bien que j’estime pertinent de la prendre en considération pour établir les antécédents dans le cadre du présent processus disciplinaire.

[97] Je reconnais que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas fait preuve de franchise envers le SCC lorsqu’elle a été interrogée à propos de sa conduite le 7 novembre 2013. Elle a faussement mentionné au directeur qu’elle s’était souvent introduite dans la résidence de NL par la fenêtre de la cuisine. Elle a toutefois dit clairement aux policiers le 7 novembre 2013 qu’il s’agissait de la seule et unique fois.

[98] Au cours de l’audience disciplinaire, la fonctionnaire s’estimant lésée a nié avoir agressé NL. Elle a caché au SCC avoir endommagé non pas un, mais deux tableaux et a nié avoir endommagé un ordinateur portable, bien qu’elle ait admis le tout aux policiers.

[99] La fonctionnaire s’estimant lésée savait que le licenciement était une conséquence possible d’un manquement au Code et aux Règles. Le SCC l’avait informée de cette possibilité le 19 mars 2013 lorsqu’il l’a suspendue à la suite de l’incident de 2012. Voici un extrait de la lettre disciplinaire :

[Traduction]

[...]

[...] Le Ministère prend très au sérieux l’inconduite grave et ne peut la tolérer. Si ce comportement devait se reproduire, ou si toute autre infraction était commise, des mesures disciplinaires plus sévères, pouvant aller jusqu’au licenciement, seront imposées. J’espère sincèrement qu’il ne sera pas nécessaire de prendre de telles mesures.

[...]

 

[100] La même information a été communiquée dans la lettre du 26 novembre 2013 qui lui a été acheminée pour l’informer de la mesure disciplinaire prise dans le contexte de ses absences non autorisées.

[101] Lorsqu’elle a témoigné devant moi, la fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé qu’elle était [traduction] « mortifiée » et [traduction] « terrifiée » au moment de l’enquête du SCC et de l’audience disciplinaire concernant l’incident du 7 novembre 2013. Elle a déclaré qu’elle [traduction] « appréhendait » de perdre son emploi.

[102] Le manque de franchise dont a fait preuve la fonctionnaire s’estimant lésée dans ses réponses aux questions concernant directement les événements du 7 novembre 2013 est problématique. Je reconnais que le fait qu’elle se soit montrée peu encline à dire la vérité au cours de l’enquête disciplinaire témoignait de son souci de préserver son emploi, mais cela n’excuse pas le mensonge.

[103] Dans Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, l’ancienne Commission a mentionné ce qui suit au paragraphe 190 : « Je suis également d’avis que le manque de franchise du fonctionnaire s’estimant lésé au cours de l’enquête menée par le défendeur constitue un facteur déterminant de son potentiel de réadaptation et de la possibilité de rétablir la nécessaire relation de confiance avec son employeur. »

[104] Je retiens le raisonnement exposé dans Brazeau. Le manque de franchise de la fonctionnaire s’estimant lésée a nui à la confiance qui constitue le fondement de la relation employeur-employé.

[105] Ces considérations viennent appuyer la conclusion selon laquelle le licenciement était approprié dans les circonstances. La sanction était à la mesure de la gravité des manquements, du comportement répété et de l’absence de franchise de la fonctionnaire s’estimant lésée au cours du processus disciplinaire.

[106] Le licenciement a pris effet le 11 décembre 2013, ce qui coïncide avec le début du congé non rémunéré de la fonctionnaire s’estimant lésée. Je souscris à la conclusion énoncée dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28, où l’ancienne Commission affirmait au paragraphe 153 que « [...] les faits sur lesquels le licenciement est fondé existaient à la date choisie du licenciement [...] ». Il n’y a pas lieu de modifier la date de licenciement.

C. Si l’arbitre est d’avis que le congédiement constituait une mesure excessive, quelle autre mesure serait juste et équitable?

[107] J’estime que le congédiement ne constituait pas une sanction excessive dans les circonstances du présent cas. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner d’autres mesures.

D. Ordonnance de mise sous scellés

[108] L’employeur a demandé le caviardage, aux onglets 4 et 5 de la pièce 1, des renseignements biographiques concernant des personnes n’ayant pas comparu devant la Commission et dont la conduite ne faisait pas l’objet de la présente procédure. L’avocat de la fonctionnaire s’estimant lésée a mentionné qu’il ne s’opposait pas au caviardage de ces pièces.

[109] Les parties ont aussi demandé la mise sous scellés de la pièce 1, onglet 23, et de la pièce 3. L’onglet 23 de la pièce 1 est le dossier d’enquête disciplinaire du SCC. Il contient des références à de nombreuses personnes qui n’ont pas comparu dans la présente affaire, de même que les adresses municipales d’employés du SCC et de membres du public.

[110] La pièce 3 consiste en un enregistrement vidéo de l’interrogatoire de police subi par la fonctionnaire s’estimant lésée le 7 novembre 2013. L’enregistrement contient de nombreuses références à des membres du public qui n’ont pas comparu devant la Commission et dont la conduite ne faisait pas l’objet de la présente procédure.

[111] En mettant en balance le principe de transparence judiciaire et le risque d’une divulgation inutile de renseignements, j’accepte les observations et j’ordonne le caviardage des onglets 4 et 5 de la pièce 1 fournie par l’employeur. La pièce 1, onglet 23, et la pièce 3 seront mises sous scellés.

V. Conclusion

[112] D’après les éléments de preuve dont je dispose, je conclus que la fonctionnaire s’estimant lésée a enfreint la DC 60, le Code et les Règles en se comportant comme elle l’a fait le 7 novembre 2013 en dehors des heures de travail. Compte tenu de la gravité du manquement reflétée par la gravité de la conduite, des antécédents disciplinaires pertinents de la fonctionnaire s’estimant lésée liés à l’incident de 2012, et de l’absence de franchise de celle-ci durant le processus disciplinaire relatif aux événements du 7 novembre 2013, je suis convaincue que l’employeur avait un motif valable de mettre fin à son emploi. Son licenciement n’était ni excessif ni déraisonnable dans les circonstances.

[113] Pour les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante.)


VI. Ordonnance

[114] Le grief est rejeté.

[115] J’ordonne que les onglets 4 et 5 de la pièce 1 soient caviardés. J’ordonne la mise sous scellés de la pièce 1, onglet 23, et de la pièce 3.

Le 4 décembre 2024.

Traduction de la CRTESPF

Joanne Archibald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

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