Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par l’employeur dans son application du Programme national de gestion de l’assiduité (PNGA) – à la suite d’une rencontre pour examiner les motifs de l’absence de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’employeur a placé la fonctionnaire s’estimant lésée sur le PNGA et l’a obligée de remettre un billet médical pendant huit mois – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait deux déficiences – la fonctionnaire s’estimant lésée a souffert un effet préjudiciable du fait de l’imposition du PNGA – le PNGA a été imposé compte tenu des absences de la fonctionnaire s’estimant lésée liées à ses déficiences – l’employeur a mal appliqué le PNGA – l’employeur a allégué qu’il s’agirait d’une contrainte excessive de ne pas faire le suivi des absences auprès de ses employés, et que l’exigence de soumettre un billet médical était une exigence professionnelle justifiée – la Commission a conclu que l’employeur n’avait apporté aucune preuve pour étayer cette allégation ni n’avait expliqué la contrainte excessive dans les circonstances – en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), la Commission a accordé une indemnisation de 1 000 $ au titre du préjudice moral à cause de la contrainte des billets médicaux, l’application inutile du PNGA et le stress que cela avait entraîné.
Grief accueilli.
Contenu de la décision
Dossier: 566-02-11217
Loi sur la Commission des relations
de travail et de l’emploi dans le
Loi sur les relations de travail
dans le secteur public fédéral
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ENTRE
Josée Beaudoin
fonctionnaire s’estimant lésée
et
(Service correctionnel du Canada)
employeur
Répertorié
Beaudoin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Marie-Pier Dupont, avocate
Pour l’employeur : Alexandre Toso, avocat
MOTIFS DE DÉCISION
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I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage
[1] Au moment des faits pertinents au grief, la fonctionnaire s’estimant lésée, Josée Beaudoin (la « fonctionnaire »), était adjointe à la rémunération des détenus au Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur »), Centre fédéral de formation (CFF), à Laval (Québec). Son gestionnaire d’alors était André Lamoureux, gestionnaire de programmes au CFF, d’août 2013 à mars 2015.
[2] La fonctionnaire était régie par la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») pour le groupe Service des programmes et de l’administration qui a expiré le 20 juin 2014 (la « convention collective »).
[3] Dans son grief, la fonctionnaire conteste la demande de l’employeur qu’elle présente un billet médical pour justifier ses absences pour raisons médicales. La fonctionnaire allègue qu’elle a fait l’objet d’un traitement discriminatoire par l’employeur dans son application du Programme national de gestion de l’assiduité (PNGA).
[4] La fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage le 3 juin 2015 devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. Le 19 juin 2017, le nom de la Commission a été modifié par voie de législation (L.C. 2017, ch. 9) pour devenir la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Pour les fins de cette décision, le terme « Commission » comprend les prédécesseurs de la Commission.
II. Objection préliminaire de l’employeur
[5] Pendant l’audience, l’employeur a soulevé une objection basée sur l’arrêt Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 CF 109 (CA), 1980 CanLII 4207 (CAF), alléguant que certains faits présentés par la fonctionnaire, par exemple sa relation avec M. Lamoureux, débordaient la portée du grief renvoyé à l’arbitrage. J’ai admis cette preuve sous réserve de l’objection dont je traiterai plus tard dans cette décision.
III. Résumé de la preuve
A. Énoncé conjoint des faits
[6] Les parties ont déposé un énoncé conjoint des faits (ECF) et un cahier conjoint de documents. L’ECF se lit comme suit :
[…]
1. La fonctionnaire s’estimant lésée (« la fonctionnaire »), est adjointe à la rémunération des détenus avec le Service correctionnel du Canada (SCC) au Centre fédéral de formation (CFF) aux moments des faits pertinents au grief. Son gestionnaire, M. André Lamoureux, est gestionnaire de programmes d’août 2013 à mars 2015.
2. La fonctionnaire était soumise à la Convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la fonction publique du Canada (Service des programmes et de l’administration) expirant le 20 juin 2014. Une copie est jointe à l’Onglet 1 du Cahier conjoint des parties.
3. En juillet 2013, la fonctionnaire revient d’un congé maladie depuis avril 2013. À l’arrivée de M. Lamoureux comme gestionnaire en août 2013, la fonctionnaire était en retour progressif au travail. Elle est de retour à temps complet dès septembre 2013. La fonctionnaire bénéficie également d’un horaire de travail comprimé à cette époque, elle travaille donc 8.33 heures par jour avec un vendredi sur deux de congé.
4. En mars 2014, M. Lamoureux est d’avis que la fonctionnaire démontre une habitude d’utilisation de congés répétitifs et inhabituels lors des 12 derniers mois. Ainsi il soulève plusieurs congés de maladie, congés pour obligations familiales et congés pour rendez-vous médicaux depuis avril 2013, qui d’après lui sont contigus à d’autres congés prévus à l’horaire (p. ex., fin de semaine, jour comprimé, jour férié). Ces congés sont les suivants :
· Vendredi 19 avril 2013 : congé de maladie (2,75h);
· Mardi 6 août 2013 : congé pour obligations familiales (7,5h);
· Mardi 15 octobre 2013 (après jour férié) : congé pour obligations familiales (7,5h);
· Lundi 28 octobre 2013 : congé pour obligations familiales (3,75h);
· Vendredi 1 novembre 2013 : congé pour rendez-vous médical ou dentaire (4,17h);
· Vendredi 1 novembre 2013 : congé pour obligations familiales (3,75h contigu au congé pour rendez-vous médical ou dentaire);
· Vendredi 15 novembre 2013 : congé de maladie (4h);
· Jeudi 21 novembre 2013 (avant jour comprimé) : congé de maladie (8,33h);
· Vendredi 29 novembre 2013 : congé de maladie (8,33h);
· Lundi 23 décembre 2013 : congé pour rendez-vous médical ou dentaire (2h);
· Jeudi 2 janvier 2014 (après jour férié, avant jour comprimé) : congé pour obligations familiales (7,5h);
· Lundi 6 janvier 2014 : congé de maladie (8,33h);
· Jeudi 16 janvier 2014 (avant jour comprimé) : congé pour rendez-vous médical ou dentaire (2h);
· Mardi 21 janvier 2014 : congé de maladie (3h);
· Jeudi 23 janvier 2014 : congé de maladie (8,33h);
· Vendredi 24 janvier 2014 : congé pour obligations familiales (7,5h).
5. Le 28 mars 2014, M. Lamoureux communique ses observations par courriel aux relations de travail. Une copie de courriel est jointe à l’Onglet 2 du Cahier conjoint de documents des parties. M. Lamoureux a ajouté une note manuscrite concernant un congé le jeudi 10 avril 2014 pour rendez-vous médical ou dentaire, demandé le jour même, avant un jour comprimé.
6. Les relations de travail lui partagent les dispositions du Programme national de gestion de l’assiduité (« PNGA »), et suggèrent d’organiser une entrevue informelle avec la fonctionnaire. Ils indiquent que si après la rencontre la gestion jugeait que les raisons pour ses absences n’étaient pas justifiées, la gestion pourra exiger qu’un billet médical soit produit pour justifier l’absence de congé de maladie. Une copie du courriel des relations de travail est jointe à l’Onglet 2 du Cahier conjoint de documents des parties.
7. Tel qu’indiqué dans le PNGA, l’objectif est d’assurer une gestion cohérente, conciliante et équitable de l’assiduité des employés dans l’ensemble du SCC tout en respectant l’esprit des conventions collectives et en encourageant l’assiduité. Tel qu’indiqué dans l’énoncé, le PNGA porte surtout sur l’amélioration de l’assiduité des employés par le truchement de la sensibilisation, de l’intervention et de la gestion individuelle des cas. Une copie du PNGA est jointe à l’Onglet 3 du Cahier conjoint de documents des parties.
8. Ainsi, chaque mois, les superviseurs doivent surveiller et examiner les congés que leurs employés prennent. Un de leurs objectifs est de relever un scénario répétitif d’utilisation des congés au cours des 12 derniers mois. Les tendances dans la liste non exhaustive suivante sont relevées :
· Durée de congé inhabituelle.
· Importants antécédents ou habitudes d’utilisation des congés qui sont considérés inhabituels.
· Utilisation non prévue de congés de maladie et de congés pour obligations familiales.
· Solde négatif de congés de maladie.
· Utilisation d’un congé non prévu un jour où un échange réciproque de quarts a été refusé.
· Utilisation, à trois occasions ou plus, d’un congé de maladie ou d’un congé pour obligations familiales non prévu en un mois.
· Utilisation d’un congé au cours d’un quart de travail particulier.
· Utilisation d’un congé non prévu contigu à un congé annuel.
· Utilisation d’un congé non prévu contigu à un jour férié.
· Utilisation d’un congé non prévu un certain jour de la semaine ou du mois, et ce, pendant plusieurs mois.
· Utilisation d’un congé non prévu qui coïncide avec d’autres événements.
· Utilisation d’un congé non prévu après des quarts doubles ou des heures supplémentaires.
9. Des entrevues informelles avec les employés sont organisées lorsqu’un superviseur a une préoccupation. Les superviseurs examinent les motifs de l’absence en encourageant les employés à discuter des raisons pour lesquelles ils s’absentent. Ce qui semble être une mauvaise utilisation des congés pourrait ne pas l’être une fois que l’on connaît tous les faits.
10. Le 10 avril 2014, M. Lamoureux rencontre Mme Caroline Turcotte, Directrice adjointe, Interventions pour discuter des points à aborder lors d’une rencontre subséquente avec la fonctionnaire :
· Habitudes d’utilisation de congé qui sont considérées inhabituelles;
· Horaire de travail comprimé de 7h00 et se termine à 15h50, et non à 15h30;
· Les congés pour obligations familiales doivent être de 8,33 heures plutôt que de 7,5 heures, et de discuter l’enregistrement des congés (remise informelle de congés selon une procédure informelle qui aurait été établie par son équipe de gestion précédente);
· Explication sur les antécédents de congé 698 demandés, particulièrement celui toujours en attente du 16 janvier 2014.
11. Le 15 avril, 2014 la rencontre entre M. Lamoureux, Mme Turcotte, la fonctionnaire et son représentant syndical a lieu.
12. Une note de service est rédigée par M. Lamoureux et Mme Turcotte après la rencontre. Dans cette note de service, il est notamment indiqué que :
a. Les explications données par Mme [Beaudoin] sur ses absences ne sont pas satisfaisantes. Il est décidé qu’un billet médical devra être dorénavant produit pour les demandes de congé de maladie.
b. Les congés 698 doivent être demandés le plus tôt possible, soit dès que le rendez-vous est fixé et au plus tard 48 heures avant le rendez-vous. Il est décidé que deux demandes de congés 698 sont refusées, que des demandes de congé de maladie doivent être soumises pour ces dates et que Mme Beaudoin doit dorénavant respecter les directives liées à ce type de congé.
c. Mme Beaudoin soumet des demandes de congés familiaux à raison de 7,5 heures alors que ces heures de travail sont assujetties à un horaire comprimé. Il est décidé que les trois demandes de congé familial de mai 2014 de 7,5 heures sont refusées et que trois nouvelles demandes pour 8,33 heures doivent être soumises.
d. Mme Beaudoin commence ses journées en dehors des heures de travail, soit à 6h45, malgré deux demandes de son gestionnaire de respecter les heures normales prévues à la convention collective. Il est décidé que l’horaire de travail de 6 :45 à 15h35 est permis.
Une copie de cette note de service est à l’Onglet 4 du Cahier de documents conjoints des parties.
13. Le 21 mai 2014, Mme Beaudoin dépose un grief, dont une copie est à l’Onglet 5 du Cahier de documents conjoints des parties. L’énoncé du grief indique que:
Je dépose un grief contre la violation, par l’employeur, de l’article sur l’interdiction de la discrimination, de ma convention collective; de l’article sur le congé de maladie payé, de ma convention collective; et/ou de l’article sur les obligations familiales, de ma convention collective et de tous les articles pertinents de ma convention collective.
14. Comme mesures correctives, Mme Beaudoin demande dans le grief :
a. Une indemnisation de 20 000$ au titre des souffrances et des douleurs;
b. Une indemnisation de 20 000$ au titre de la pratique discriminatoire délibérée et irresponsable de l’employeur;
c. De recevoir le remboursement intégral de la perte de salaire, des avantages, et des dépenses et intérêts découlant de cette pratique discriminatoire;
d. Que tout document ou toute allusion ayant trait à cette pratique soit supprimé immédiatement de son dossier personnel en sa présence et/ou en présence de son représentant syndical;
e. Que ce grief ne lui porte pas préjudice; et
f. D’être présente à tous les paliers de grief.
15. Le 24 mai 2014, Mme Turcotte quitte sa position au CFF. Mme Micheline Beaubien la remplace à titre de Directrice adjointe, Interventions.
16. Le 3 juin 2014, le grief est entendu par l’employeur au premier palier. La réponse au premier palier, émise le 6 juin 2014, est jointe à l’Onglet 6 du Cahier de documents conjoints des parties. L’employeur rejette le grief, mais note que « la lettre remise à l’employée impose un billet médical pour les CM. Cette décision aurait dû relever de la coordonnatrice du PNGA. Je demande donc à la DAI de revoir cette situation et d’évaluer si celle-ci doit être soumise à la coordonnatrice du PNGA. La lettre du 15 avril devra être amendée en conséquence ».
17. Le 18 juillet 2014, Mme Beaudoin est convoquée à une rencontre avec le coordonnateur du PNGA, François Luneau. La note de service indique que la rencontre se tiendra avec M. Lamoureux, Mme Beaubien et, si la fonctionnaire le désire, un représentant syndical. Une copie de cette note de service est jointe à l’Onglet 7 du Cahier conjoints de documents des parties.
18. Le 24 juillet 2014, M. Luneau et M. Lamoureux rencontrent Mme Beaudoin qui est accompagnée par son représentant syndical Gervais Bernier. Mme Beaubien n’est finalement pas présente à cette rencontre. Lors de la rencontre, M. Lamoureux présente à la fonctionnaire un calendrier de ses absences connexes à des congés dans la dernière année. Les parties ne s’entendent toutefois pas sur le reste du déroulement de cette rencontre.
19. Le 25 juillet 2014, la fonctionnaire envoie un courriel à M. Luneau au sujet de la rencontre. Une copie de ce courriel est jointe à l’Onglet 8 du Cahier conjoint de documents des parties.
20. Le 15 août 2014, M. Luneau envoie un courriel à Mme Beaudoin afin de résumer la rencontre du 24 juillet 2014 ainsi que les prochaines étapes. M. Luneau avise la fonctionnaire qu’à partir du 18 août 2014, et pour une période de trois mois jusqu’au 14 novembre 2014 inclusivement, la fonctionnaire devra fournir un certificat médical pour chacune de ses absences en congé de maladie. Une copie de ce courriel est jointe à l’Onglet 9 du Cahier conjoint de documents des parties.
21. Le 14 novembre 2014, l’obligation de fournir un certificat médical prend fin. Le 3 juin 2015, la fonctionnaire renvoie son grief en arbitrage devant la Commission des Relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique fédérale.
22. Le ou vers le 10 aout 2015, l’employeur émet une décision au dernier palier de la procédure interne de grief. Une copie de cette décision est jointe à l’Onglet 10 du Cahier conjoint de documents des parties.
23. Un rapport de congé de la fonctionnaire d’avril 2013 à décembre 2014 est inclus à l’Onglet 11 du Cahier conjoint de documents des parties.
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[Sic pour l’ensemble de la citation]
B. Témoignages à l’audience
[7] La fonctionnaire a témoigné et elle a convoqué son médecin traitant, le Dr Michel Paquin, à témoigner. L’employeur a convoqué les témoins suivants : Caroline Turcotte, directrice adjointe, Interventions (« DAI »), et gestionnaire du superviseur de la fonctionnaire; Micheline Beaubien, qui a remplacé Mme Turcotte à partir du 24 mai 2014; François Luneau, coordonnateur du PNGA de juin à août 2014; M. Lamoureux, superviseur de la fonctionnaire de 2013 à octobre 2014. (À noter que l’ECF dit que M. Lamoureux était gestionnaire de programmes d’août 2013 à mars 2015, mais dans son témoignage, M. Lamoureux a dit qu’il avait quitté en octobre 2014.)
1. Chronologie des événements
[8] Les faits rapportés par les témoins à l’audience complètent les faits déjà résumés dans l’ECF.
[9] En mars et en avril 2013, la fonctionnaire a fait une demande à sa superviseure antérieure, Vicky Houde, pour un horaire variable de quatre jours par semaine. La demande en date du 21 mars 2013 a été refusée dans une note de service de Mme Houde à la fonctionnaire en date du 8 avril 2013. La deuxième demande avait été soutenue par un billet médical de son médecin, le Dr Paquin, en date du 11 avril 2013, qui indiquait ce qui suit : « Douleur chronique [..] Travail 4 jours/semaine. Révision ergonomique du poste. » Ce billet médical était lié à une des deux conditions médicales en particulier, la condition médicale A, dont souffrait la fonctionnaire.
[10] Dans une lettre adressée au Dr Paquin en date du 17 avril 2013, Mme Houde lui a demandé certaines clarifications, soit la période pour laquelle la consigne était valable et quand il prévoyait revoir la fonctionnaire pour un suivi. La fonctionnaire a témoigné que le Dr Paquin n’avait pas répondu à cette lettre parce qu’il y avait un délai dans sa demande. Après en avoir discuté avec le Dr Paquin, elle a été mise en congé de longue durée.
[11] La fonctionnaire est revenue au travail à plein temps dans la semaine du 2 septembre 2013. Elle a témoigné qu’elle se sentait encore fragile et devait prendre d’autres congés pour des raisons médicales.
[12] Concernant sa situation familiale de l’automne 2013 à 2014, elle a dit qu’elle était mariée avec trois enfants et n’avait pas de parenté proche. Elle a dû prendre surtout des congés pour obligations familiales pour ses enfants. Elle a dû aussi prendre de tels congés pour sa mère, qui a été opérée en raison d’un cancer à la fin avril début mai 2014, car il y avait seulement la fonctionnaire et son père. Elle accompagnait son père à l’hôpital et lui s’occupait de sa mère.
[13] La fonctionnaire avait aussi une autre condition médicale pour laquelle elle a été opérée en 2016 (« condition médicale B »). Cette condition médicale provoquait parfois des symptômes graves qui l’obligeaient, en 2014, à quitter le travail soudainement.
[14] La fonctionnaire a témoigné que lorsqu’elle avait commencé à travailler avec M. Lamoureux en septembre 2013, il lui avait dit qu’il ne la connaissait pas, mais qu’elle avait une réputation à refaire. Il lui a fait part qu’une autre personne avait occupé son poste pendant son absence et qu’il ne pouvait pas mettre fin à son emploi immédiatement. Comme l’autre personne occupait son bureau, la fonctionnaire a dû s’installer dans un autre bâtiment avant qu’elle puisse retourner à son poste après quelques semaines. Pendant ce temps, M. Lamoureux ne lui a pas donné du travail. La fonctionnaire a dit avoir eu l’impression que M. Lamoureux voulait la « tasser » et garder l’autre personne. Selon elle, M. Lamoureux a aussi dit qu’on lui avait fait part d’inquiétudes liées à ses absences.
[15] M. Lamoureux a témoigné que Mme Houde lui aurait fait part de préoccupations par rapport aux absences de la fonctionnaire. Il a dit que, lors de sa discussion avec la fonctionnaire, il était de bonne foi et transparent en lui faisant part qu’il s’attendait à une bonne assiduité. Il ne se souvenait pas s’il lui avait dit qu’elle avait une réputation à refaire, mais que tel n’était pas son style ni son vocabulaire. M. Lamoureux a nié qu’il n’avait pas assigné du travail à la fonctionnaire lorsqu’elle était affectée à un autre bureau.
[16] Le 21 janvier 2014, la fonctionnaire ne se sentait pas bien. Elle a ressenti des symptômes de sa condition médicale B qui l’ont obligée à quitter le travail. M. Lamoureux n’étant pas au bureau, elle l’a appelé, mais comme il ne répondait pas, elle lui a envoyé un courriel vers 11 h l’avisant qu’elle quittait pour la journée.
[17] M. Lamoureux se souvenait qu’elle lui avait envoyé un courriel qu’elle quittait. Toutefois, il n’avait pas de souvenir qu’elle l’aurait croisé le jour même, et quand elle l’avait informé qu’elle devait quitter, il aurait répondu qu’elle ne pouvait pas abandonner son poste. Elle aurait dit qu’elle ne l’abandonnait pas, mais qu’elle ne se sentait pas bien et qu’elle devait quitter. Il a dit que, lorsqu’il a vu la fonctionnaire entre 8 h et 10 h le 21 janvier 2014, elle lui semblait correcte, tout en admettant qu’il n’a pas de formation médicale. Il a fait référence à une discussion le matin même à 10 h avec la fonctionnaire et l’autre adjoint, Pascal Kajiji, concernant l’organisation des tâches. La fonctionnaire voulait qu’on lui confie un certain travail qui avait été assigné à M. Kajiji, et M. Lamoureux avait décidé de laisser le travail à M. Kajiji.
[18] On a porté à l’attention de M. Lamoureux ses notes de suivi dans lesquelles il décrit, entre autres, une discussion qu’il a eue avec Lucie Jolicoeur, une gestionnaire, le 31 janvier 2014, au sujet des problèmes de santé de la fonctionnaire et de son départ le 21 janvier 2014. Mme Jolicoeur rapportait à M. Lamoureux une conversation qu’elle aurait eue avec la fonctionnaire. Ces notes contiennent la phrase suivante : « Mme Jolicoeur ne donne pas de détails sur sa condition de santé, mais est convaincu [sic] qu’ils ne peuvent [sic] son départ hâtif, d’autant plus qu’elle débordait d’énergie la matinée de son départ hâtif. »
[19] Par avis en date du 27 janvier 2014, la fonctionnaire a été convoquée à une entrevue disciplinaire concernant son absence non autorisée du 21 janvier 2014. L’entrevue a eu lieu le 30 janvier 2014 en présence de Mme Turcotte et de M. Lamoureux. La fonctionnaire était accompagnée par son représentant syndical.
[20] La fonctionnaire était mal à l’aise de parler de ses problèmes de santé, mais a proposé de fournir un billet de son médecin qu’elle devait rencontrer le 17 février 2014, billet justifiant son absence qu’elle a effectivement remise à l’employeur. L’incident n’a pas eu de suite disciplinaire.
[21] L’employeur s’est opposé au dépôt de l’avis de convocation pour le motif que cela débordait la portée du grief. Je l’ai admis sous réserve de l’objection. J’ai décidé d’admettre cet élément de preuve, car il fait partie du contexte, et il a fait l’objet de témoignages à l’audience.
[22] À cette époque, l’employeur mettait en œuvre le PNGA pour assurer l’assiduité au travail. Il n’est pas clair d’après les témoignages à quel moment précis le programme a commencé à être appliqué.
[23] M. Lamoureux a constaté que la fonctionnaire avait plusieurs absences contigües à des fins de semaine ou à d’autres congés. Il y avait aussi des absences de dernière minute, ce qui, du point de vue opérationnel, créait une pression sur M. Kajiji. La division des programmes devenait plus grosse et la gestion avait besoin de deux adjoints en place. M. Lamoureux a témoigné qu’avant la rencontre avec la fonctionnaire du 15 avril 2014, il lui avait dit que ses absences étaient un enjeu qui lui avait été rapporté par Mme Houde et que cela affectait les opérations. Selon M. Lamoureux, lorsqu’il en parlait avec la fonctionnaire, elle lui disait que c’était son droit.
[24] En constatant que la tendance se maintenait, M. Lamoureux a contacté les Relations de travail par courriel le 28 mars 2014 pour discuter des absences de la fonctionnaire et demander s’il y avait lieu d’exiger un billet médical pour les congés de maladie. Les Relations de travail ont suggéré la tenue d’une rencontre informelle avec la fonctionnaire et, si elle ne fournissait pas des explications satisfaisantes, la gestion pourrait lui demander un billet médical pour les congés de maladie. M. Lamoureux a porté à l’attention de Mme Turcotte le fait que plusieurs demandes de congé de la fonctionnaire étaient contigües à ses jours de repos. Il avait déjà parlé aux Relations de travail pour savoir si le PNGA devrait s’appliquer. Mme Turcotte était d’avis que tel était le cas.
[25] La rencontre pour discuter des absences de la fonctionnaire dans le cadre du PNGA a eu lieu le 15 avril 2014 en présence de Mme Turcotte et de M. Lamoureux. La fonctionnaire était accompagnée par son représentant syndical, Alain Lalancette. La rencontre portait sur les absences de la fonctionnaire pour la période de janvier 2013 à avril 2014.
[26] La fonctionnaire a témoigné que les gestionnaires lui avaient indiqué qu’elle avait une tendance d’utiliser des congés contigus à des fins de semaine ou d’autres congés et ils lui ont demandé des explications. La fonctionnaire a expliqué les raisons pour les congés pour obligations familiales, soit pour ses enfants, mais elle s’est sentie mal à l’aise d’expliquer ses problèmes médicaux. Mme Turcotte lui a dit que les billets médicaux n’étaient pas assez explicatifs et devaient donner la nature de la condition médicale. On lui a dit que les congés 698 n’étaient pas pour des suivis, mais pour des rendez-vous uniques chez le médecin ou le dentiste. Pour des suivis, elle devait utiliser des congés de maladie. La fonctionnaire leur a dit qu’elle avait fait des demandes de mesures d’adaptation dans le passé qui n’avaient pas été accordées. Elle a témoigné qu’on ne lui avait pas offert de mesure d’adaptation à la rencontre.
[27] Selon M. Lamoureux, lors de la rencontre, ils ont parlé des tendances de ses absences et du besoin de fournir des explications. Selon lui, les explications de la fonctionnaire se limitaient à dire qu’elle avait besoin de repos. Il ne se souvenait pas si elle avait parlé d’autres détails. La fonctionnaire se disait fatiguée et avoir besoin de repos, mais elle prenait les congés contigus à des fins de semaine ou à d’autres congés. Les explications de la fonctionnaire n’étaient pas valables.
[28] Lorsqu’on a fait part à M. Lamoureux que la fonctionnaire avait témoigné que lui et Mme Turcotte avaient posé des questions sur sa condition médicale, il l’a nié, car cela aurait été une atteinte à sa vie privée. Il ne se souvenait pas si Mme Turcotte l’avait fait ou si la fonctionnaire avait fourni des informations.
[29] M. Lamoureux ne se souvenait pas si la fonctionnaire avait fait une demande de mesure d’adaptation. Il avait peut-être été question de faire d’autres tâches, car elle n’était pas heureuse dans son poste.
[30] M. Lamoureux ne se rappelait pas si des questions avaient été soulevées concernant la santé de la mère de la fonctionnaire ou si elle avait refusé de répondre à leurs questions. Selon lui, la rencontre avait été tendue et il avait senti une colère de la part de la fonctionnaire.
[31] Mme Turcotte se souvenait d’une rencontre cordiale. Elle ne se rappelait plus à l’audience des questions précises qu’elle aurait posées, mais selon elle, elle se serait enquise de l’état de santé de la fonctionnaire et des conséquences de sa condition médicale sur son travail, telles les limitations fonctionnelles. Si l’absence était due aux soins d’un membre de la famille, elle aurait demandé comment cette personne allait.
[32] La fonctionnaire a dit que Mme Turcotte voulait des détails, même si elle n’avait pas demandé le diagnostic. La fonctionnaire a dit que son représentant syndical s’était opposé aux questions de Mme Turcotte portant sur les congés pour obligations familiales puisqu’elles n’étaient pas incluses dans le PNGA et elle avait cessé.
[33] Les gestionnaires ont pris la décision d’exiger que la fonctionnaire produise un billet médical pour ses demandes de congé de maladie parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de ses explications et elle approchait sa limite de congés. Selon M. Lamoureux, lorsqu’un employé approche la fin de sa banque de congés, il peut se trouver sans solde. Comme il est difficile de rétablir la banque, l’employeur veut s’assurer que l’employé aura quelques congés en banque. La gestion a pris cette mesure plutôt qu’une autre parce que le fait de documenter n’était pas une contrainte excessive; elle était simple à mettre en application et assurait la présence des employés selon les exigences du service.
[34] En contre-interrogatoire, Mme Turcotte a admis que, pendant qu’elle était sous son autorité de 2009 à 2013, la fonctionnaire n’avait pas eu de problèmes d’assiduité. Mme Turcotte ne se rappelait pas si elle avait appliqué le PNGA à d’autres employés dans la même période.
[35] La fonctionnaire a rédigé des notes manuscrites dans les jours qui ont suivi la rencontre du 15 avril 2014 pendant que les faits étaient frais dans sa mémoire. L’employeur s’est opposé au dépôt des notes en preuve pour le motif qu’elles n’avaient pas été prises de façon contemporaine. Je les ai admis sous réserve du poids à leur accorder.
[36] La fonctionnaire a témoigné que, pendant la rencontre, Mme Turcotte et M. Lamoureux lui avaient posé beaucoup de questions sur sa santé et qu’elle devait être transparente avec ses gestionnaires. Elle s’est sentie attaquée et avait l’impression qu’on laissait entendre qu’elle n’était pas une bonne employée. Elle sentait que les gestionnaires tentaient d’entrer dans sa vie privée. Elle a inscrit dans ses notes que Mme Turcotte lui avait demandé plusieurs fois s’il y avait d’autres choses qu’elle voulait partager. C’est alors que la fonctionnaire leur avait dit que peut-être elle était due pour un changement de travail, et ils lui avaient offert plusieurs postes. La fonctionnaire a témoigné qu’elle aimait son poste, mais qu’elle voulait se sortir de parler de sa situation de santé. Je note que ce témoignage correspond aux notes qu’elle a rédigées.
[37] Selon le témoignage de la fonctionnaire, M. Lamoureux aurait demandé des détails au sujet du cancer de sa mère, de l’hôpital où elle était et de la durée de l’opération. Cela n’apparaît pas dans ses notes.
[38] À la suite de cette rencontre, la fonctionnaire a reçu la note de service datée du 15 avril 2014, détaillée au paragraphe 12 de l’ECF. Elle a déposé le présent grief le 21 mai 2014. Le 6 juin 2014, l’employeur a répondu au premier palier de la procédure de règlement des griefs et a rejeté le grief, en indiquant que l’exigence d’un billet médical pour chaque congé de maladie relève de la coordonnatrice du PNGA. Dans sa réponse, l’employeur demandait à la DAI de revoir la situation et de déterminer s’il y avait lieu de soumettre l’exigence de présenter un billet médical à la coordonnatrice du PNGA. La note du 15 avril 2014, toujours selon la réponse au premier palier, devait être modifiée en conséquence.
[39] La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait jamais reçu la note de service modifiée et on ne lui avait pas dit de cesser de fournir des billets médicaux. Mme Turcotte a reconnu que la note de service aurait dû préciser une date limite à l’obligation de la fonctionnaire de produire des billets médicaux pour ses congés de maladie. Elle a également témoigné qu’elle n’avait pas eu connaissance de la réponse de l’employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs et ne savait pas si la note de service du 15 avril 2014 avait été modifiée. M. Lamoureux a également témoigné qu’il n’était au courant ni du grief ni de la réponse au premier palier.
[40] Le lundi 9 juin 2014, la fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Lamoureux, dont l’objet était « Test médical », l’avisant qu’elle devait passer des tests le jeudi matin, qu’elle rentrerait au bureau plus tard et qu’elle prenait un congé de maladie pour ce faire. Il lui a répondu le lendemain en indiquant que cela ne causait pas de problème, mais qu’elle devait demander une attestation de présence parce qu’il devait veiller à l’application du PNGA.
[41] La fonctionnaire a dit que, malgré la réponse de l’employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 6 juin 2014 indiquant que la décision d’imposer l’obtention des billets médicaux relevait de la coordonnatrice du PNGA, M. Lamoureux a néanmoins demandé une attestation de présence.
[42] La fonctionnaire a fait référence à son évaluation du rendement pour 2013-2014. Elle a dit qu’elle avait rejeté l’évaluation parce qu’elle n’était pas d’accord avec l’inclusion d’un paragraphe concernant ses congés, qui se lit comme suit :
[…]
D’autre part, nous devons mentionner que Madame Beaudoin a été rencontré [sic] le 2014-04-15 par son superviseur et la directrice adjointe aux interventions, en présence de son représentant syndical, en raison d’une tendance observée d’utilisation de congés considérée comme inhabituelle au cours de la présente période d’évaluation.
[…]
[43] La fonctionnaire considérait ce paragraphe comme une atteinte à son intégrité puisque l’évaluation était disponible à d’autres gestionnaires quand elle chercherait d’autres postes. M. Lamoureux a expliqué que ce passage concerne l’assiduité et que cela était significatif puisque les absences affectent le rendement. Quant au témoignage de la fonctionnaire qu’elle était insatisfaite de son évaluation et avait demandé qu’elle soit révisée, la version finale garde ce passage et comporte la mention suivante : « Suivi des objectifs ciblés relatifs à son assiduité au travail du 2014-04-15. »
[44] L’employeur s’est opposé au dépôt de l’évaluation du rendement pour le motif qu’elle ne faisait pas partie du grief. Je l’ai admise sous réserve de l’objection.
[45] J’admets en preuve l’évaluation du rendement. Elle fait partie du grief, en ce sens qu’elle incorpore l’application du PNGA à la situation d’emploi de la fonctionnaire, exactement ce que conteste la fonctionnaire par son grief. Je note également que l’évaluation du rendement apparaît dans le cahier de documents de l’employeur.
[46] Le 18 juillet 2014, la fonctionnaire a été convoquée à une rencontre avec M. Luneau, coordonnateur du PNGA, M. Lamoureux et Mme Beaubien, qui avait remplacé Mme Turcotte. La fonctionnaire a dit que le même jour, elle a rencontré Mme Beaubien pour la mettre au courant de ce qu’elle vivait avec M. Lamoureux. La fonctionnaire a témoigné que Mme Beaubien l’avait rassurée que les événements feraient en sorte que sa situation s’améliorerait. À l’audience, Mme Beaubien n’avait aucun souvenir précis de cette conversation ni d’ailleurs de cette période.
[47] Mme Beaubien était absente de la rencontre, qui a eu lieu le 24 juillet 2013. La fonctionnaire a témoigné que, pendant la rencontre, les gestionnaires sont revenus sur la réunion du 15 avril 2014, soit qu’elle devait être plus transparente avec eux et que peu importe la situation, elle devait tout leur dire. Elle a partagé certaines informations sur sa santé parce qu’elle s’est sentie prise. Elle leur a dit qu’elle avait une condition médicale qui avait causé son départ subit. Concernant sa mère, ils lui ont dit qu’elle devait tout dire. La fonctionnaire a dit qu’on ne lui avait pas offert de mesure d’adaptation pendant la rencontre.
[48] M. Lamoureux a dit que la rencontre portait uniquement sur les absences et le PNGA. Il a présenté à la fonctionnaire un calendrier de ses absences contiguës à des congés. M. Luneau a fait part à la fonctionnaire de ce qui était attendu d’elle. Il n’avait pas de souvenir que lui ou M. Luneau avaient posé des questions sur la santé de la fonctionnaire et ils n’avaient pas posé de questions sur la santé de sa mère. Selon M. Lamoureux, la fonctionnaire aurait exprimé un sens d’injustice et peut-être un peu de colère.
[49] Selon le souvenir de M. Luneau, la rencontre a été relativement positive. Il ne se rappelait pas avoir discuté de la condition médicale de la fonctionnaire ou d’un membre de sa famille; c’était possible, mais il ne s’en souvenait pas. Il ne se souvenait pas non plus qu’on avait demandé à la fonctionnaire dès avril 2014 de fournir des billets médicaux ni qu’elle avait déposé un grief à ce sujet.
[50] Le lendemain de la rencontre, la fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Luneau qui se lit comme suit :
[…]
Suite à notre rencontre d’hier, j’aimerais simplement vous informer que je n’étais vraiment pas à l’aise de vous divulguer tout devant mon supérieur immédiat, M. André Lamoureux.
J’aurais d’ailleurs aimé que ma DAI, Mme Beaubien soit présente, car j’ai eu une rencontre mardi PM à l’effet que j’ai sérieusement un problème avec M. Lamoureux.
D’ailleurs, comme je vous ai mentionné, je suis en procédure pour une plainte aux droits de la personne (en lien avec mon grief) et je songe sérieusement à déposer une autre plainte de harcèlement aux normes de travail à l’endroit de M. Lamoureux.
Ce que je n’ai pas mentionné non plus à Mme Beaubien, c’est que M. Lamoureux continue d’exercer des commentaires inappropriés à mon endroit […] Je compte bien lui en parler également.
Si vous avez besoin d’une note de mon médecin, svp m’en faire part et il me fera plaisir de prendre r-vs avec celui-ci et de vous en procurer une.
Je comprends le principe de ne pas vouloir savoir mes problèmes physiques, mais ce sont eux qui m’ont obligés en réunion à les informer et d’ailleurs la DAI, Mme Turcotte m’a dit « Oui, tu dois informer ton gestionnaire de tes problèmes de santé »! Comme je vous ai mentionné, mon médecin n’était pas non plus en accord avec le fait que je divulgue de informations personnelles sur mes problèmes de santé.
Pour votre information, je suis en suivi pour des problèmes [causés par la condition médicale B] présentement et depuis un bout de temps.
[…]
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[51] La fonctionnaire ne sentait pas que c’était une réunion pour l’aider, mais plutôt une vengeance personnelle de la part de M. Lamoureux. Elle s’est sentie harcelée et discriminée. Malgré l’offre de la fonctionnaire, on ne lui a pas demandé de fournir des billets médicaux.
[52] Lorsque référé au courriel de la fonctionnaire, M. Luneau a dit qu’il n’avait pas souvenir de l’avoir lu avant qu’on le lui montre à l’audience. Il ne se souvenait pas de la suite de la plainte de harcèlement. Pour ce qui est de l’offre de la fonctionnaire de se procurer un billet médical, il ne se souvenait pas de lui en avoir demandé. L’interprétation de M. Luneau est que la fonctionnaire faisait état de sa condition médicale actuelle ou passée tandis qu’il lui avait demandé des billets médicaux pour des absences futures. M. Luneau n’avait aucun souvenir d’avoir parlé de la condition médicale B pendant la rencontre ni de l’avoir demandé à la fonctionnaire.
[53] La décision de demander à la fonctionnaire de fournir un billet médical pour ses absences en congé de maladie a été prise puisque des doutes avaient été soulevés quant à sa capacité de fournir une prestation de travail. M. Luneau a témoigné n’avoir eu aucune connaissance de la réponse de l’employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs indiquant que la décision du 15 avril 2014 d’imposer à la fonctionnaire l’obligation de fournir des billets médicaux aurait dû relever de la coordonnatrice du PNGA
[54] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait fait une plainte aux droits de la personne. Toutefois, elle n’a pas déposé de plainte ni de grief de harcèlement. Elle n’a pas eu recours au service de gestion informelle de conflits puisqu’elle ne savait pas qu’il existait. Elle n’a pas non plus fait une plainte de violence en milieu de travail parce qu’elle ne savait pas comment procéder.
[55] Concernant la nature des remarques désobligeantes de M. Lamoureux, la fonctionnaire a précisé qu’il lui disait qu’elle avait un caractère difficile, que ses façons de réagir à des situations n’étaient pas proportionnées et qu’elle se braquait. De plus, elle était toujours en opposition à lui.
[56] Le 15 août 2014, M. Luneau a envoyé un courriel à la fonctionnaire résumant la rencontre du 24 juillet 2014. M. Luneau l’a avisée qu’à compter du 18 août jusqu’au 14 novembre 2014 inclusivement, elle devait fournir un billet médical pour chaque absence en congé de maladie. Selon la fonctionnaire, M. Luneau était au courant qu’elle fournissait des billets médicaux depuis le 15 avril 2014. Selon lui, il ne l’était pas. Il a admis à l’audience que l’obligation de la fonctionnaire de fournir des billets médicaux dans la note de service du 15 avril 2014 aurait dû être prise en considération dans sa demande de fournir des billets médicaux pour une période de trois mois du 18 août au 14 novembre 2014.
[57] Le courriel comprenait notamment le passage suivant :
[…]
Lors de cette rencontre, M. Lamoureux a présenté un calendrier de vos absences, connexes à des congés. À 14 reprises pour l’année dernière, ce genre de situation a été constatée. Bien que nous ne remettons aucunement en questions [sic] des problèmes de santé, ce type de « pattern » (absences connexes à des congés) peut soulever des questionnements.
[…]
[58] Questionné à ce sujet, M. Luneau a dit qu’il acceptait que la fonctionnaire avait une raison médicale valide, mais il n’acceptait pas quand elle prenait ses congés.
[59] La fonctionnaire a témoigné que les événements avaient eu un impact significatif. Elle a dit qu’il s’agissait d’une atteinte à son intégrité et à sa réputation, et qu’elle sentait qu’on remettait en question comment elle était comme employée. Elle a perdu confiance en elle-même et rentrait au travail de reculons. Il a fallu du temps pour qu’elle se remette d’aplomb.
[60] Par lettre en date du 22 mai 2014, la fonctionnaire a fait une demande de congé avec étalement du revenu. Selon la fonctionnaire, en temps normal, l’employeur n’exige pas la raison pour une telle demande. Mme Beaubien a confirmé que ce n’était pas la pratique courante et qu’elle ne l’avait jamais fait. Cependant, M. Lamoureux aurait dit à la fonctionnaire qu’une lettre pourrait appuyer sa demande. Il était donc important qu’elle fournisse les motifs, mais il n’y avait pas de certitude que sa demande serait accordée.
[61] Les motifs fournis par la fonctionnaire étaient que son conjoint avait quitté son emploi pour lancer une entreprise. Cela l’amènerait à voyager tout le mois de septembre 2014 et elle voulait l’accompagner pour l’appuyer. La fonctionnaire a admis qu’elle avait menti dans ses motifs : son conjoint n’avait pas quitté son emploi et n’avait pas lancé une entreprise. Elle a témoigné qu’elle avait menti parce qu’elle ne pouvait pas écrire qu’elle demandait le congé à cause de ses problèmes avec son gestionnaire, M. Lamoureux. Sa demande ayant été accordée, la fonctionnaire a pris un congé avec étalement du revenu du 2 septembre au 6 octobre 2014.
[62] M. Lamoureux a témoigné ne pas avoir été au courant de cette demande. La lettre au dossier ne porte pas le nom du destinataire.
[63] La fonctionnaire a témoigné que Vicky Brassard, sa nouvelle gestionnaire qui avait remplacé M. Lamoureux, lui avait dit qu’elle n’aurait pas dû être sur le PNGA, car elle n’était jamais dans le négatif dans ses congés et qu’elle ne le serait plus. La fonctionnaire n’a pas eu de problèmes d’absence par la suite.
[64] À l’audience, on a demandé à la fonctionnaire d’expliquer les raisons pour chacun de ses congés de maladie ou pour obligations familiales énumérées au paragraphe 4 de l’ECF. Elle ne se souvenait pas des détails de la plupart de ses congés sauf les suivants : le 1er novembre 2013 était pour un rendez-vous dentaire, mais elle ne se souvenait pas de la raison pour le congé pour obligations familiales pris le même jour; le 23 décembre 2013 était pour un rendez-vous médical avec un spécialiste; le 2 janvier 2014 était pour s’occuper de ses enfants lors d’une journée pédagogique; le 16 janvier 2014, elle a fait la demande le jour même pour un rendez-vous dentaire puisqu’on l’avait appelée en raison d’une annulation; les 21 et 23 janvier 2014 étaient dus à sa condition médicale B. Selon le rapport des congés de la fonctionnaire, tous les congés énumérés au paragraphe 4 de l’ECF ont été approuvés par l’employeur.
2. Témoignage du Dr Paquin
[65] La fonctionnaire a été la patiente du Dr Paquin de 1989 à l’automne 2022.
[66] À l’été 2013, la fonctionnaire était en congé médical dont la cause était sa condition médicale A. Cette condition s’est manifestée premièrement en septembre 2012. Il n’y avait pas d’arrêt de travail à ce moment-là. En janvier 2013, la fonctionnaire était en attente d’une révision de son poste par un ergonome. Le premier arrêt de travail pour cette condition était le 24 avril 2013.
[67] La condition médicale A est due aux mouvements répétitifs. Cela commence de façon ponctuelle, mais cette condition est souvent chronique et peut durer entre six mois et un an. Un arrêt de travail est nécessaire. Le repos est recommandé. Parfois un retour au travail progressif est recommandé et il peut avoir des rechutes et arrêts périodiques.
[68] À la question pourquoi son billet médical du 11 avril 2013 indiquait un travail de quatre jours par semaine, le Dr Paquin a répondu que c’était probablement à la suite d’un appel téléphonique de la fonctionnaire avant l’arrêt de travail du 24 avril 2013. Il croyait que la condition médicale A progressait et voulait donner à la fonctionnaire une journée de répit pour récupérer.
[69] Le Dr Paquin a été renvoyé à ses notes en date du 23 décembre 2013 au dossier médical de la fonctionnaire indiquant une autre condition médicale. Il a dit que la condition médicale B est une maladie en soi qui revient à plusieurs reprises pendant plusieurs mois. Le Dr Paquin a adressé la fonctionnaire à un spécialiste et en juin 2014, la condition était toujours présente.
[70] Concernant son billet médical du 17 février 2014 indiquant « Absence motivée le 21 janvier », le Dr Paquin a dit qu’il avait vu la fonctionnaire à cette date. La fonctionnaire l’avait appelé pour lui dire ce qui se passait. Elle avait des symptômes de la condition médicale B le 21 janvier 2014. Il a dit que les symptômes qui se manifestaient à cette date pouvaient compromettre l’exécution des fonctions quotidiennes de la fonctionnaire et il y a aussi des douleurs liées à cette condition.
[71] En contre-interrogatoire, le Dr Paquin a d’abord été renvoyé à un billet daté du 19 mars 2013 indiquant « Patiente peut faire 37h ½ en 4 jours ». Il a reconnu que cela impliquait travailler plus d’heures que sur cinq jours. Le Dr Paquin a dit qu’il avait vu la fonctionnaire le 14 mars 2013 et que le billet était probablement en lien avec sa condition médicale A, qui nécessite du repos.
[72] Le Dr Paquin a dit que la fonctionnaire ne lui avait pas fait part de sa demande à l’employeur le 21 mars 2013 pour un horaire modifié et du refus par l’employeur le 8 avril 2013. Il a dit que le billet n’était pas lié à cette demande et il n’y a rien au dossier médical concernant la demande.
[73] Concernant la demande de la fonctionnaire de prestations d’assurance invalidité pour la condition médicale A, le Dr Paquin a dit qu’il avait préparé le document et que l’information qui s’y trouve est exacte. Il a fait les diagnostics suivant les dires de la fonctionnaire et un examen physique.
[74] À la question 1 du document, soit quand il a été consulté pour la première fois relativement à la maladie, le Dr Paquin a inscrit le 11 avril 2013, mais a dit qu’il aurait pu indiquer que ça remontait à l’automne 2012. Il a donné la même réponse pour la question 7, soit la date à laquelle sont apparus les premiers symptômes de la condition médicale A. À la question 8 du document, à savoir si la patiente a déjà présenté un état semblable ou connexe, le Dr Paquin a effectivement indiqué un état semblable, en 2005. Il a témoigné qu’entre 2005 et 2013, elle avait eu peut-être deux épisodes distincts.
[75] Lorsqu’on a suggéré au Dr Paquin que son billet médical du 11 avril 2013 n’indiquait pas une raison médicale pour le travail de quatre jours par semaine, il a affirmé que c’était lié à une condition médicale.
[76] En ce qui a trait à la lettre de Mme Houde du 17 avril 2013 lui demandant des précisions concernant ce billet, le Dr Paquin ne s’en souvenait pas ni s’il y avait répondu. Il a dit que normalement une telle lettre serait au dossier, mais en vérifiant pendant son témoignage, il ne la voyait pas.
[77] À la question 3 de la demande de prestations d’assurance invalidité, le Dr Paquin a indiqué qu’il avait recommandé un arrêt de travail le 24 avril 2013. Lorsqu’on lui avait demandé s’il avait exploré si la fonctionnaire pouvait travailler avec une mesure d’adaptation, il a répondu qu’il l’avait mise en arrêt de travail, pas une mesure d’adaptation. Elle n’avait pas de restrictions.
[78] Le Dr Paquin a été renvoyé à son billet médical du 14 août 2013 indiquant l’horaire du retour au travail progressif de la fonctionnaire. Il a précisé que les notes en bas du billet n’étaient pas les siennes et a dit qu’à la suite de ce billet, il n’y avait pas d’autres billets indiquant un horaire réduit.
[79] Concernant ses notes de consultation avec la fonctionnaire le 17 février 2014, le Dr Paquin a dit qu’elle l’avait contacté par rapport à sa condition médicale B. Le Dr Paquin a dit qu’ils avaient aussi parlé de l’autre condition médicale, bien que cela ne soit pas dans ses notes. Ses notes indiquent aussi qu’on avait demandé une IRM (imagerie par résonance magnétique), mais qu’elle n’y était pas allée puisque sa condition s’était améliorée. Il faut quatre à six mois pour passer une IRM et le Dr Paquin a vu dans le dossier qu’on avait appelé la fonctionnaire à quatre mois pour voir s’il y avait eu une amélioration.
[80] Concernant le billet médical du 17 février 2014 indiquant « Absence motivée le 21 janvier », le Dr Paquin a dit que c’était probablement lié à la condition médicale B malgré qu’il n’y avait pas de notes spécifiques à cet égard au dossier. Le billet était basé sur ce que la fonctionnaire lui avait dit qu’il s’était passé le 21 janvier 2014. Le Dr Paquin n’a pas rédigé d’autres billets médicaux pour absence en raison de la condition médicale B après le 17 février 2014. À la question s’il avait rédigé un billet voulant que la fonctionnaire pouvait s’absenter en tout moment pour sa condition médicale B, il a répondu qu’il n’en voyait pas dans le dossier.
[81] À la question si la fonctionnaire lui avait parlé de conflit au travail, le Dr Paquin n’avait pas de souvenir de cela.
[82] En réinterrogatoire, le Dr Paquin a dit que ses notes du 23 décembre 2013 indiquent que la fonctionnaire avait des symptômes liés à la condition médicale B depuis 2011. Il a affirmé qu’il pouvait arriver qu’elle doive s’absenter à cause de ces symptômes en tout temps.
[83] La fonctionnaire a demandé que ses documents médicaux soient mis sous scellés. Cette demande fait l’objet d’une ordonnance plus loin dans la décision.
IV. Résumé de l’argumentation
[84] À la clôture de la preuve, les parties ont convenu de présenter leur argumentation par écrit. La fonctionnaire a présenté 38 pages d’argumentation et une réplique de 9 pages. L’employeur a présenté 32 pages. Je n’entends pas rapporter ici toutes leurs représentations, mais seulement celles qui sont les plus pertinentes aux questions que j’ai à trancher.
A. Pour la fonctionnaire
[85] La fonctionnaire a fait valoir qu’elle a subi un traitement discriminatoire par l’employeur en relation avec l’application du PNGA et qu’elle a subi des effets préjudiciables en raison de ses absences, qui étaient dues à une déficience ou à une obligation familiale en vertu de la convention collective. La fonctionnaire a allégué qu’elle a subi les effets préjudiciables suivants :
a. des rencontres intimidantes, stressantes et causant de l’anxiété;
b. le fait d’avoir été placé [sic] sur le PNGA;
c. l’obligation de devoir apporter un billet médical pour une période de 8 mois, obligation de nature disciplinaire;
d. plusieurs notes/mémo au dossier;
e. une référence au PNGA dans son évaluation de rendement; et
f. la nécessité de prendre un congé d’étalement pour sortir de la situation.
[86] La fonctionnaire a souligné que son grief ne conteste pas le droit de l’employeur d’adopter le PNGA, mais vise plutôt son application à elle-même et le comportement de l’employeur dans les circonstances.
[87] La fonctionnaire a ensuite traité de l’objection basée sur l’arrêt Burchill soulevée par l’employeur, soit que certains faits présentés par la fonctionnaire, par exemple sa relation avec M. Lamoureux, débordent la portée de son grief. La fonctionnaire a fait valoir que cette preuve a été présentée pour établir une assise factuelle menant aux événements au cœur du grief. Elle a soumis que cela est pertinent pour établir qu’il y a eu discrimination et pour établir qu’elle devrait obtenir des dommages en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). La fonctionnaire a soumis de plus que rien dans le dossier qu’elle a soumis à l’arbitrage n’était une surprise pour l’employeur ou lui a causé un préjudice. La fonctionnaire demande le rejet de l’objection de l’employeur.
[88] La fonctionnaire a fait valoir qu’il y a lieu de faire une évaluation de la crédibilité des témoins puisque plusieurs de ses allégations de discrimination sont liées à ses discussions avec les représentants de l’employeur. À cet égard, la fonctionnaire a cité les critères énoncés dans Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA); [1952] 2 DLR 354.
[89] La fonctionnaire a soumis que son témoignage était clair et crédible, candide et franc avec une bonne mémoire sur les faits centraux, rendu en harmonie avec la preuve documentaire et la preuve en général. Elle a souligné que sa version des événements n’avait pas été ébranlée en contre-interrogatoire.
[90] La fonctionnaire a soulevé certains commentaires concernant le témoignage de témoins de l’employeur.
[91] Bien que le témoignage de Mme Beaubien ait été candide, Mme Beaubien a admis qu’elle avait peu de souvenirs des événements. Par conséquent, son témoignage était peu utile.
[92] Le souvenir des faits de Mme Turcotte était assez vague. Par ailleurs, ses réponses en contre-interrogatoire étaient candides. Elle était franche lorsqu’elle n’avait pas de souvenir précis de quelque chose, mais en reconnaissait la possibilité.
[93] En ce qui a trait à M. Luneau, à part de ce qui était contenu dans les documents, il avait un souvenir limité des événements. Quant à l’offre de la fonctionnaire de procurer un billet médical, M. Luneau a reconnu qu’il n’avait pas pris des informations qui auraient pu justifier ses absences. Il a admis qu’il ne savait pas pourquoi il n’avait pas demandé un billet médical à la fonctionnaire ou lui avoir dit de consulter son médecin, car cela aurait pu expliquer ses absences. M. Luneau a reconnu avoir des trous dans sa mémoire des événements.
[94] Quant à M. Lamoureux, la fonctionnaire a soumis qu’en contre-interrogatoire, il était sur la défensive et utilisait un ton hostile lorsque confronté à la version des faits de la fonctionnaire. M. Lamoureux avait des trous de mémoire, mais a démenti les allégations de la fonctionnaire. La fonctionnaire a suggéré qu’il y avait des incohérences dans le témoignage de M. Lamoureux en donnant comme exemple qu’il avait nié avoir demandé des détails sur la condition médicale de sa mère, mais que cela serait cohérent avec son désir d’obtenir des justifications pour ses absences. La fonctionnaire a soumis que, face à une contradiction entre son témoignage et celui de M. Lamoureux, sa version devrait être retenue.
[95] La fonctionnaire a reconnu que pour que son grief soit accueilli, elle doit présenter une preuve prima facie (à première vue) de discrimination dans le cadre du PNGA. Si cela est fait, il revient à l’employeur de démontrer qu’il a agi de manière raisonnable et non discriminatoire dans les circonstances.
[96] La fonctionnaire a fait référence au critère bien connu pour établir une allégation de discrimination, soit qu’elle doit démontrer : 1) qu’elle fait partie d’un groupe ayant une caractéristique protégée; 2) qu’elle a souffert d’un effet préjudiciable; 3) que la caractéristique protégée doit être un facteur dans l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360 au par. 33).
[97] La fonctionnaire a mis de l’avant que ce critère dans le contexte du PNGA avait été examiné par la Commission et la Cour d’appel fédérale dans Bodnar c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 71; requête en contrôle judiciaire accueillie : Canada (Procureur général) c. Bodnar, 2017 CAF 171.
[98] La fonctionnaire a fait valoir que l’application du PNGA à son endroit était discriminatoire et lui a causé des effets préjudiciables. Elle a soumis qu’en décidant ainsi, l’employeur a considéré des absences liées à ses conditions médicales. Elle a avancé que la rencontre du 15 avril 2014 était la rencontre officielle du PNGA et a traité de plusieurs sujets qui n’étaient pas directement liés à son assiduité.
[99] Selon la fonctionnaire, elle a démontré qu’elle avait une caractéristique protégée, soit la déficience, et que les faits suivants démontrent qu’elle a subi des mesures préjudiciables : elle a été rencontrée de manière intrusive par ses gestionnaires; une note de service a été placée dans son dossier et elle a dû fournir des billets médicaux pour chaque absence en congé de maladie pendant huit mois.
[100] La fonctionnaire a soumis qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve médicale afin de prouver l’existence d’une déficience. Cela est déterminé par une prépondérance de la preuve (voir Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3, aux paragraphes 84 à 86). La fonctionnaire a fait valoir que la preuve démontre qu’elle avait deux déficiences, les deux conditions médicales A et B. Elle a soumis que tel qu’il est indiqué dans Mellon, au par. 88, il n’y a pas que des déficiences qui constituent une déficience permanente qui peuvent être prises en compte comme étant une caractéristique protégée.
[101] La fonctionnaire a fait valoir que l’employeur savait que ses absences étaient en partie liées à des déficiences. L’employeur n’a pas contesté les billets médicaux qu’elle avait présentés et a approuvé des congés de maladie sans billet médical. Si l’employeur avait des doutes concernant l’existence d’une déficience chez la fonctionnaire, il aurait dû demander des informations additionnelles afin de déterminer si des mesures d’adaptation étaient possibles ou nécessaires.
[102] La fonctionnaire a soumis qu’elle a subi un effet préjudiciable dans le cadre de son emploi et la déficience en a été un facteur. Selon elle, cela est dû aux mesures prises par l’employeur à son endroit, comme par exemples l’avoir placée sur le PNGA, l’obligation de présenter des billets médicaux pour tous ses congés maladie, qui était effectivement pour une période de huit mois, d’avoir placé la note de service du 15 avril 2014 dans son dossier d’employée et d’avoir mentionné dans son évaluation du rendement pour 2013-2014 qu’elle avait été rencontrée concernant sa prise de congés et qu’un suivi devait être effectué.
[103] De plus, les rencontres du 15 avril et du 24 juillet 2014 ont eu des effets préjudiciables, car elles lui ont causé des émotions négatives. Elle avait l’impression que l’employeur ne lui faisait pas confiance, qu’elle était une mauvaise employée et qu’on tentait de s’ingérer dans sa vie privée. Elle s’est sentie attaquée, diminuée et stressée dans le cadre de son emploi.
[104] La fonctionnaire a fait valoir que les effets préjudiciables sont en lien avec ses déficiences puisque les mesures ont été prises à cause des congés qu’elle a pris, entre autres, dus à ses déficiences. Elle a soumis qu’elle a établi une preuve prima facie de discrimination.
[105] La fonctionnaire a soumis que l’employeur n’a pas fourni de justification raisonnable pour lui avoir demandé des billets médicaux pour ses congés de maladie. Selon elle, aucun des témoins de l’employeur n’a pu indiquer pourquoi cette mesure avait été imposée et ces témoins n’ont pas indiqué que ses absences causaient des problèmes opérationnels. De plus, les témoins de l’employeur ont tous confirmé ne pas s’être demandé si le processus de mesure d’adaptation serait plus approprié dans les circonstances, malgré que cela est clairement indiqué dans le PNGA.
[106] La fonctionnaire a fait valoir que l’employeur a violé l’article 43 de la convention collective concernant les congés pour obligations familiales en les utilisant dans le cadre du PNGA afin de démontrer une tendance irrégulière de prise de congés. Il s’agit d’une tentative par l’employeur de contourner la convention collective pour obtenir des renseignements personnels des employés qu’il n’a pas le droit de demander.
[107] De plus, en contestant le bien-fondé des congés pour obligations familiales sous le PNGA, l’employeur remet en question le bien-fondé du droit dans la convention collective en le caractérisant comme un comportement coupable en suggérant que la prise de ces congés autorisés constitue une tendance inhabituelle de congés.
[108] La fonctionnaire a soumis que le grief devrait être accueilli. Comme réparation, elle demande une déclaration que l’employeur a violé l’article 43 de la convention collective. De plus, elle demande le paiement de dommages en vertu de l’alinéa 53(2)e) (préjudice moral) et du paragraphe 53(3) (atteinte délibérée ou inconsidérée) de la LCDP au montant de 13 000 $ au titre de chaque disposition. (Je note que dans son grief, la fonctionnaire avait demandé le montant de 20 000 $ pour chaque disposition.) Elle a soumis que l’employeur lui a causé de la douleur et de la souffrance et elle s’est sentie attaquée et rabaissée comme employée. Par ailleurs, les actions de l’employeur étaient désorganisées et déraisonnables. Cela justifie l’octroi de dommages en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. La fonctionnaire a soumis de plus que son préjudice moral a été augmenté par le délai encouru entre le dépôt de son grief et l’audience devant la Commission.
[109] Pour ce qui est de la demande de dommages en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, les actions de l’employeur étaient inconsidérées envers la fonctionnaire en incluant des notes à son dossier et son évaluation du rendement. L’employeur n’avait pas de justification pour sa décision d’imposer la présentation de billets médicaux et n’a pas pu expliquer pourquoi il n’avait pas mis en place un processus de mesure d’adaptation.
B. Pour l’employeur
[110] L’employeur a fait valoir que bien que l’essentiel des événements ne soit pas contesté, il existe des divergences entre la preuve des parties concernant le déroulement des rencontres du 15 avril et du 24 juillet 2014. L’employeur a soumis les observations suivantes qui, selon lui, justifient de préférer sa preuve là où il y a des divergences.
[111] D’abord, la position de l’employeur est corroborée par la preuve documentaire. Rien dans la preuve n’appuie le témoignage de la fonctionnaire qu’elle a été harcelée, qu’elle s’est fait poser des questions inappropriées, ou que l’employeur lui a imposé une conséquence autre que la demande de fournir un billet médical pour justifier une absence médicale. La fonctionnaire n’a pas fait une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) ou une plainte de harcèlement à l’endroit de M. Lamoureux.
[112] Deuxièmement, le témoignage de la fonctionnaire concernant les deux rencontres n’a pas été corroboré par un témoin alors qu’elle était accompagnée par un représentant syndical à chacune des rencontres. Selon l’employeur, cela justifie de tirer une inférence négative contre la fonctionnaire sur tous les points sur lesquels les représentants syndicaux auraient pu témoigner.
[113] Troisièmement, il y a lieu de douter de l’exactitude du témoignage de la fonctionnaire à la lumière des circonstances ayant motivé les actions des différents témoins. À son retour de congé maladie à la fin de l’été 2013, la fonctionnaire n’a pas renouvelé sa demande d’horaire de quatre jours. Selon l’employeur, elle semble avoir pris elle-même les choses en main en prenant des congés auxquels elle estimait avoir droit à des dates contiguës à d’autres congés sans faire une demande de mesure d’adaptation et sans fournir une preuve médicale justifiant ce besoin. La fonctionnaire avait un antagonisme envers M. Lamoureux parce qu’il était intervenu en vertu du PNGA. De plus, elle a démontré un dédain envers celui-ci pendant son témoignage alors qu’il n’avait pas démontré d’antagonisme ou de ton hostile. Par ailleurs, la fonctionnaire n’a pas démontré cet antagonisme envers les autres témoins de l’employeur.
[114] Finalement, l’employeur a soumis que la fonctionnaire manquait de crédibilité puisqu’elle avait une propension à ne pas dire toute la vérité, voire à mentir. L’employeur a fait référence à la lettre du 17 avril 2013 de Mme Houde au Dr Paquin et a avancé que la fonctionnaire elle-même aurait dû la transmettre. Concernant le billet médical du 17 février 2014, le Dr Paquin n’avait pas de souvenir ou de note indiquant que la fonctionnaire avait eu une vive discussion au travail ayant trait à la distribution des tâches le 21 janvier 2014. L’employeur a fait valoir que cela était probablement la vraie raison de son départ soudain. Selon l’employeur, cela soulève la question à savoir comment le Dr Paquin pouvait réellement certifier l’état médical de la fonctionnaire près d’un mois plus tard.
[115] L’employeur a aussi fait référence au fait que la fonctionnaire avait donné de fausses raisons pour justifier son congé avec étalement du revenu comme un autre exemple de manque de crédibilité.
[116] Concernant son absence du 2 janvier 2014 pour congé pour obligations familiales, la fonctionnaire a indiqué en contre-interrogatoire que cela était dû à une journée pédagogique de ses enfants. Selon l’employeur, cela ne se tient pas parce que le 2 janvier est un jour férié au Québec.
[117] Selon l’employeur, les inexactitudes dans le témoignage de la fonctionnaire soulèvent des doutes que ses congés en 2013-2014 ont été pris pour les raisons prétendues.
[118] L’employeur a fait valoir qu’il s’agit de savoir si sa demande que la fonctionnaire fournisse un billet médical pour justifier ses absences médicales était discriminatoire. Il a soumis que le fait d’introduire des questions qui dépasseraient ce cadre contreviendrait au principe de l’arrêt Burchill puisque cela ne fait pas partie du libellé du grief ou de ce qui a été discuté dans la procédure de règlement des griefs. Selon l’employeur, des questions qui toucheraient à du harcèlement allégué subi par la fonctionnaire ou à un manquement allégué au devoir de prendre des mesures d’adaptation seraient un changement fondamental de la nature du grief.
[119] L’employeur a avancé que les questions en litige sont les suivantes : 1) est-ce que la fonctionnaire a établi l’existence de discrimination prima facie? 2) si oui, est-ce que l’exigence de soumettre un billet médical était une exigence professionnelle justifiée? 3) sinon, quelle est l’ordonnance appropriée dans le présent cas?
[120] L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’a pas satisfait à son fardeau de démontrer de la discrimination prima facie. En faisant référence au critère pour établir une allégation de discrimination, l’employeur a soumis que la fonctionnaire ne faisait pas partie d’un groupe ayant une caractéristique protégée puisque la simple existence d’une condition médicale ou d’une douleur ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une déficience. La fonctionnaire doit démontrer que sa condition médicale est suffisamment sévère pour l’empêcher d’accomplir son travail. À l’appui de cet argument, l’employeur a cité les décisions suivantes : Ahmad c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 60, au par 124, et Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 35, aux paragraphes 130 et 131. Selon l’employeur, il n’y a pas suffisamment de preuve pour conclure à l’existence d’une déficience protégée par la LCDP.
[121] L’employeur a soumis que la condition médicale A de la fonctionnaire n’était pas une condition chronique puisque le Dr Paquin avait indiqué sur le formulaire d’assurance-invalidité qu’il avait rempli que les premiers symptômes sont apparus le 11 avril 2013 et son dernier épisode avait eu lieu en 2015. L’employeur a souligné que les symptômes sont apparus trois jours après le refus de Mme Houde le 8 avril 2013 d’accorder un horaire modifié de quatre jours à la fonctionnaire. De plus, il n’y a jamais eu de demande de mesure d’adaptation relativement à cette condition ou de réponse à la demande de précisions de Mme Houde.
[122] L’employeur a fait valoir que le fait qu’il ait accepté que la fonctionnaire parte en congé maladie ne la dispense pas de son fardeau de la preuve (voir Ahmad, au par. 126). La preuve n’indique pas comment la condition médicale A a empêché la fonctionnaire de travailler complètement. L’employeur a soumis qu’après son retour au travail en 2013, il n’y avait pas de preuve suffisante que ses deux conditions médicales ou toute autre condition médicale rencontreraient le niveau requis pour empêcher la fonctionnaire de se présenter au travail et pour constituer une déficience au sens de la LCDP. Après que le Dr Paquin a certifié le retour au travail de la fonctionnaire à temps plein, aucun autre billet médical ne justifie un besoin de jours de repos consécutifs ou contigus à d’autres congés, une semaine de quatre jours, ou un besoin de quitter le travail à tout moment.
[123] Selon l’employeur, la preuve démontre que, le 21 janvier 2014, la fonctionnaire a quitté le travail dû à un désaccord concernant la distribution des tâches et non pas pour une raison médicale. Le billet médical du Dr Paquin justifiant l’absence est daté du 17 février 2014, soit quelques semaines après l’absence, et il a témoigné qu’il s’était fié sur ce que la fonctionnaire lui avait dit. Les résultats de l’examen fait ce jour-là n’ont rien révélé d’anormal. Il n’est pas clair comment la condition aurait empêché la fonctionnaire d’accomplir ses tâches ou de rester au travail.
[124] L’employeur a soulevé que la fonctionnaire n’avait pas rempli son fardeau de démontrer qu’elle satisfaisait aux critères requis pour démontrer l’existence d’une situation familiale protégée. Toutefois, je note que dans ses arguments en réplique, la fonctionnaire a précisé qu’en ce qui a trait à la caractéristique protégée du statut familial, elle n’a fait aucune représentation sur ce point et n’allègue pas avoir satisfait au critère pour cette caractéristique. Il n’y a donc pas lieu de traiter de cet argument de l’employeur.
[125] L’employeur a soulevé qu’il a le droit des poser des questions raisonnables pour s’assurer de la légitimité de la prise de congés pour obligations familiales, même si cet article de la convention collective (art. 43) n’est pas rédigé de la même façon que celui pour les congés de maladie. Selon lui, dans son témoignage, la fonctionnaire n’a pas pu expliquer quelle était la nature exacte de l’obligation familiale concernant ses enfants pour aucune des dates de congés pour obligations familiales.
[126] L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas subi d’effet préjudiciable découlant de l’application du PNGA ou de la convention collective. Le fait d’avoir rencontré la fonctionnaire et de lui avoir demandé un billet médical pour justifier des absences médicales ne s’élève pas au niveau requis pour constituer un effet préjudiciable. Le fait que la fonctionnaire se sente traitée injustement n’est pas non plus suffisant. La jurisprudence requiert un élément supplémentaire qui doit être préjudiciable, nocif ou hostile (voir Cheung c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTEFP 1, au par. 75; et Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 192, au par. 12). Ces deux décisions ont été citées dans Eady c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 71, aux paragraphes 107 et 108. L’employeur a fait valoir que la décision Eady établit qu’il n’y a pas d’effet préjudiciable du fait de convoquer un employé à des rencontres sous un programme de gestion de l’assiduité ou de préparer une note de service. Par ailleurs, selon la clause 35.02a) de la convention collective, il revient à l’employeur de déterminer la façon dont un employé peut justifier une absence en congé de maladie.
[127] L’employeur a souligné qu’il existe un large consensus arbitral que l’employeur peut faire des demandes raisonnables pour l’information médicale même si un employé a déjà soumis un billet médical au préalable.
[128] L’employeur n’avait pas d’autre choix que de demander un billet médical pour s’assurer que les absences de la fonctionnaire étaient légitimes puisqu’elle n’a pas envoyé de documents indiquant qu’elle avait une déficience au sens de la LCDP et elle n’a pas fait de demande de mesure d’adaptation, bien que ses gestionnaires l’aient invitée à le faire lors de la rencontre du 15 avril 2014. L’employeur a soumis que les notes manuscrites de la fonctionnaire concernant cette rencontre indiquent que Mme Turcotte a expliqué la question de mesure d’adaptation à la fonctionnaire.
[129] Selon l’employeur, les effets préjudiciables allégués par la fonctionnaire ne sont pas appuyés par l’ensemble de la preuve. Par exemple, il n’y a aucune preuve que les rencontres du 15 avril et du 24 juillet 2014 se sont déroulées dans une ambiance intimidante, stressante, ou causant de l’anxiété, ou que des questions inappropriées y ont été posées. Les témoins de l’employeur ont affirmé que les rencontres étaient cordiales et qu’ils n’avaient pas forcé la fonctionnaire à révéler de l’information confidentielle concernant sa condition médicale ou sur la condition de sa mère et n’ont pas posé de question concernant un diagnostic. L’employeur a soulevé que la fonctionnaire n’a pas fait corroborer son témoignage par les représentants syndicaux qui étaient présents aux rencontres et n’a pas conservé des notes de la rencontre du 24 juillet 2014.
[130] L’employeur a soumis que le fait de prendre un congé avec étalement du revenu ne peut pas constituer un effet préjudiciable parce que, entre autres, il a été pris à la demande de la fonctionnaire et non pas imposé par l’employeur. Si la fonctionnaire estimait sa situation intenable, elle aurait pu déposer une plainte ou un grief de harcèlement, entre autres.
[131] L’employeur a fait valoir que la référence au PNGA dans l’évaluation du rendement de la fonctionnaire ne constitue pas un effet préjudiciable, puisqu’elle est pertinente au rendement. De plus, il n’y a pas de preuve que quiconque a consulté l’évaluation du rendement ou que l’évaluation a nui à sa réputation ni que cela avait un impact dans un processus de dotation ou de promotion auquel la fonctionnaire aurait appliqué. De plus, elle a admis ne pas avoir fait une plainte de dotation.
[132] Selon l’employeur, la fonctionnaire n’a pas établi l’existence d’un effet préjudiciable.
[133] L’employeur a fait valoir que, dans l’hypothèse que la fonctionnaire a une caractéristique protégée et qu’elle a subi un effet préjudiciable, le fardeau lui incombe de démontrer qu’il existe un lien entre la caractéristique protégée et l’effet préjudiciable. Elle doit prouver que l’employeur lui a demandé de présenter des billets médicaux pour ses absences en congé maladie en raison d’une caractéristique protégée.
[134] L’employeur a soumis que, selon la preuve, la demande de billets médicaux a découlé d’absences qui tombaient sur des jours contigus à des jours fériés, des jours comprimés ou des fins de semaine, ce qui est une utilisation inhabituelle des congés, tel qu’il est indiqué dans la liste non exhaustive dans le PNGA reproduit au paragraphe 8 de l’ECF. Selon le PNGA, l’employeur peut intervenir en présence de ce type d’utilisation inhabituelle.
[135] L’employeur a fait référence au témoignage de M. Luneau à savoir que la condition médicale de la fonctionnaire n’avait eu aucun impact dans sa décision, mais que c’était plutôt l’utilisation inhabituelle de congés que la fonctionnaire n’avait pas pu expliquer de façon satisfaisante. Aucune caractéristique protégée n’a été un facteur.
[136] L’employeur a fait valoir que l’application d’un programme de gestion de l’assiduité n’est pas discriminatoire en soi et que les impressions d’un employé ne suffisent pas pour démontrer un lien entre la caractéristique protégée et l’effet préjudiciable (voir Carvalho v. Toronto Transit Commission, 2019 HRTO 862, aux paragraphes 44 et 45). La demande de fournir des billets médicaux était due aux absences de la fonctionnaire et elle était fondée sur la clause 35.02 de la convention collective ou le PNGA uniquement dans le but de favoriser sa présence au travail.
[137] De plus, la fonctionnaire n’a pas fait une demande d’accommodement pour justifier ses absences. La demande de fournir des billets médicaux n’était pas motivée par une caractéristique protégée de la fonctionnaire.
[138] L’employeur a fait valoir que, même si la fonctionnaire avait démontré l’existence de discrimination prima facie, la demande de fournir un billet médical était une exigence professionnelle justifiée qui satisfait au critère à trois volets établi dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), au par. 54.
[139] L’employeur a soutenu que les deux premiers volets du critère ont été satisfaits en raison du paragraphe 7 de l’ECF, qui indique l’objectif du PNGA d’assurer la gestion de l’assiduité des employés et du fait que la fonctionnaire ne conteste pas le droit de l’employeur d’adopter le PNGA. De plus, l’exigence de fournir un billet médical se justifie en raison de la clause 35.02 de la convention collective.
[140] L’employeur a soumis que le PNGA avait été adopté dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail, soit l’assiduité, et de façon honnête et de bonne foi en croyant qu’il était nécessaire pour réaliser l’objectif de favoriser l’assiduité au travail.
[141] L’employeur a fait valoir que de faire le suivi des absences des employés est reconnu comme une exigence professionnelle justifiée qui n’est ni stéréotypée ni arbitraire (voir Honda Canada Inc. c. Keays, [2008] 2 R.C.S. 362, 2008 CSC 39, au par. 49).
[142] L’employeur a soumis que ses témoins avaient expliqué que les absences imprévues de la fonctionnaire affectaient les opérations et que cela avait un impact sur M. Kajiji, puisque seulement la fonctionnaire et lui occupaient les mêmes fonctions et qu’ils devaient s’appuyer mutuellement.
[143] En ce qui a trait à la question de la contrainte excessive, il ne s’agit pas de savoir si les absences de la fonctionnaire entraînaient elles-mêmes une contrainte excessive, puisqu’il n’y a pas eu de demande de mesure d’adaptation ou de grief concernant le devoir de prendre des mesures d’adaptation. L’argument que le grief a trait au devoir de prendre des mesures d’adaptation changerait fondamentalement la nature du grief, contrairement à l’arrêt Burchill. L’employeur a soumis qu’il s’agirait d’une contrainte excessive pour un employeur de ne pas pouvoir faire le suivi des absences de ses employés en demandant des billets médicaux.
[144] Concernant la demande de dommages, l’employeur a soutenu que si la Commission conclut à l’existence de discrimination, les dommages accordés devraient être minimes. Si la fonctionnaire a subi un préjudice moral sous l’alinéa 53(2)a) de la LCDP, ce préjudice est minime puisque ceci est largement attribuable à d’autres facteurs que l’application du PNGA. À cet égard, l’employer a fait référence à l’antagonisme de la fonctionnaire envers M. Lamoureux depuis son retour au travail, entre autres parce qu’elle s’est sentie exclue, ainsi qu’à la discussion concernant la distribution des tâches en janvier 2014. Cela n’est pas attribuable à l’application du PNGA.
[145] En ce qui a trait à une atteinte délibérée ou inconsidérée en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP, l’employeur a fait valoir qu’il n’y avait pas de preuve que ses témoins avaient agi de cette façon. Ils ont témoigné avoir agi de bonne foi et ont choisi une mesure qui imposait le moins de restrictions et qui était raisonnable dans les circonstances.
[146] L’employeur a soumis que le délai entre les rencontres du 15 avril et du 24 juillet 2014 s’explique par des changements au CFF, dont une réorganisation qui allait augmenter la population carcérale, un changement de DAI et un changement de coordonnateur du PNGA. Selon l’employeur, la fonctionnaire aurait dû porter à l’attention de ses superviseurs la réponse à son grief au premier palier, car cela aurait pu régler la situation plus rapidement.
[147] L’employeur a fait valoir que, si la Commission conclut que des dommages sont appropriés, elle devrait être guidée par la décision de la Commission dans Bodnar. Dans Bodnar, qui traitait de l’application du PNGA, la Commission avait conclu à de la discrimination avant que sa décision soit renversée par la Cour d’appel fédérale, et a conclu que les dommages seraient de 250 $ pour préjudice moral et de 500 $ pour atteinte délibérée ou inconsidérée.
[148] L’employeur a soumis que, dans le présent cas, les dommages pour préjudice moral devraient être limités à 250 $. Comme il n’y a aucune preuve que le délai entre le dépôt du grief et l’audience devant la Commission est attribuable à l’employeur, il ne devrait pas être tenu d’indemniser la fonctionnaire pour ce délai. Il n’y a pas lieu d’accorder des dommages pour atteinte délibérée ou inconsidérée, mais si ceux-ci étaient accordés, ils devraient être minimes.
C. Réplique de la fonctionnaire
[149] Concernant l’argument de l’employeur à savoir que la fonctionnaire n’avait pas déposé une plainte contre M. Lamoureux, la fonctionnaire souligne qu’elle avait déposé une plainte à la CCDP, mais que la plainte n’avait pu procéder en raison de la préséance de la procédure de règlement des griefs.
[150] L’employeur a demandé que la Commission tire une inférence négative du fait que les représentants syndicaux n’avaient pas témoigné pour corroborer le témoignage de la fonctionnaire. La fonctionnaire souligne qu’une inférence négative peut être tirée en l’absence de preuve sur une question centrale au litige et que les témoins qui auraient pu donner cette preuve sont sous le contrôle exclusif d’une des parties au litige. Dans le présent cas, l’employeur aurait pu appeler à témoigner les deux représentants syndicaux pour corroborer sa propre version des faits.
[151] L’employeur a suggéré que la fonctionnaire aurait volontairement détruit ou volontairement omis de transmettre la lettre du 17 avril 2013 rédigée par Mme Houde adressée au Dr Paquin, qui avait témoigné n’avoir jamais reçu la lettre. La fonctionnaire a soumis que rien n’indique que la lettre lui avait été remise pour transmission au Dr Paquin, et elle n’a pas été contre-interrogée sur ce point. L’employeur n’a pas appelé Mme Houde comme témoin à cet égard.
[152] L’employeur a allégué que la fonctionnaire avait tendance à ne pas dire toute la vérité ou à mentir. La fonctionnaire a soutenu que cela n’était pas appuyé par la preuve et que l’employeur n’avait pas réussi à la discréditer en contre-interrogatoire.
[153] Concernant son absence du 2 janvier 2014, qu’elle avait témoigné était pour une journée pédagogique de ses enfants, la fonctionnaire a souligné que la convention collective (art. 30.02) n’énumère pas le 2 janvier comme jour férié et que contrairement à l’affirmation de l’employeur, la Loi sur les normes du travail du Québec ne prévoit pas que le 2 janvier soit un jour férié.
[154] La fonctionnaire a admis qu’elle avait menti pour justifier le congé avec étalement du revenu. Le mensonge était rendu nécessaire parce que M. Lamoureux exigeait une justification pour le congé et elle ne voulait pas écrire que sa véritable justification était ses problèmes avec lui. De plus, Mme Beaubien a confirmé qu’une justification n’était pas nécessaire.
[155] Concernant l’existence d’une caractéristique protégée fondée sur la condition médicale, la fonctionnaire a soumis que sa preuve et celle du Dr Paquin appuient l’existence d’une condition médicale pouvant causer des absences de manière spontanée et récurrente au travail et constituant une invalidité au sens des droits de la personne. La fonctionnaire a souligné que l’employeur n’avait pas présenté une preuve médicale pour contredire la preuve du Dr Paquin.
[156] En ce qui a trait au départ de la fonctionnaire le 21 janvier 2014 et l’argument de l’employeur voulant que le Dr Paquin n’avait pas de souvenir que la fonctionnaire lui aurait parlé d’une discussion vive, la fonctionnaire a soumis qu’elle n’avait pas de raison pour lui en parler puisque la condition médicale B était la raison de son départ. Ce n’est que M. Lamoureux qui aurait parlé de discussion vive alors que M. Kajiji aurait été présent et n’a pas été appelé à témoigner par l’employeur.
[157] La fonctionnaire a soumis que la condition médicale B était une condition chronique pour laquelle une visite médicale ponctuelle n’aurait pas aidé. Le Dr Paquin a indiqué que sa condition pouvait causer des absences et entraver les activités de la vie quotidienne. La fonctionnaire a souligné que l’employeur ne l’avait pas contre-interrogée sur sa condition médicale, sur la sévérité de celle-ci, sur les symptômes rapportés ou sur le fait que la condition médicale B avait justifié son départ le 21 janvier 2014.
[158] Concernant la condition médicale A, la fonctionnaire et le Dr Paquin ont témoigné qu’il s’agissait d’une condition chronique supportée par l’historique médical de la fonctionnaire. Selon le Dr Paquin, le congé de longue durée était devenu nécessaire puisque la condition ne s’améliorait pas et que seul un repos complet pourrait remédier à la situation causée par le mouvement répétitif au travail. La fonctionnaire a souligné que les symptômes n’étaient pas réapparus trois jours après le refus d’un horaire modifié; c’était plutôt la condition qui avait justifié sa demande pour un horaire modifié.
[159] En ce qui a trait à l’effet préjudiciable, la Cour d’appel fédérale, dans Bodnar (CAF), n’a pas écarté l’effet préjudiciable dans le cadre de rencontres individuelles.
[160] Concernant la référence de l’employeur à l’existence d’un large consensus arbitral voulant que l’employeur puisse faire des demandes raisonnables pour de l’information médicale, la fonctionnaire reconnaît que cela est exact. Cependant, elle a soumis que ce n’était pas ce qui avait eu lieu dans le présent cas. L’employeur n’a pas cherché une explication médicale et n’a pas demandé un examen médical. Il a décidé d’imposer une mesure de surveillance sans lien logique avec ses inquiétudes d’assiduité.
[161] La fonctionnaire a fait valoir qu’en raison de son horaire, il aurait été pratiquement impossible pour elle que ses congés ponctuels ne soient pas contigus à d’autres congés ou jours comprimés et que cela était démontré par le fait que les congés étaient repartis entre les lundi, mardi, jeudi et vendredi.
[162] Selon la fonctionnaire, elle a donné une explication pour ce que l’employeur considérait comme une utilisation inhabituelle de congés, soit sa condition médicale, mais l’employeur ne l’a pas cru. Cela n’équivaut pas à dire, comme l’a indiqué l’employeur, que la caractéristique protégée n’a pas constitué un facteur dans la prise de décision.
[163] Concernant la référence par l’employeur dans ses arguments à la clause 35.02 de la convention collective pour justifier sa demande pour des billets médicaux pour toutes les absences futures pour congés de maladie, la fonctionnaire a fait valoir qu’il s’agit de la première fois que l’employeur fait référence à cette clause pour justifier sa demande, qui a toujours été fondée sur le PNGA. De plus, cette interprétation n’est pas permise par la portée de la clause 35.02 et irait à l’encontre de la clause 35.03.
[164] La fonctionnaire a soumis que l’exigence professionnelle visée est l’exigence de présenter un billet médical pour toutes les absences futures, les deux rencontres avec elle et la surveillance constante de ses absences.
[165] L’employeur ne peut s’appuyer sur l’acceptation du PNGA pour affirmer que les deux premiers volets du critère de Meiorin ont été satisfaits. Il n’y a aucun lien rationnel entre les exigences imposées à la fonctionnaire et les inquiétudes de l’employeur.
[166] La fonctionnaire a souligné son désaccord avec la caractérisation de la question de la contrainte excessive par l’employeur et a soumis que ce dossier ne portait pas sur le droit de l’employeur de faire le suivi des absences de ses employés. La question est plutôt de savoir si le fait de ne pas imposer ces exigences à la fonctionnaire aurait causé une contrainte excessive. Comme il n’y a pas eu de preuve pour démontrer que oui, il n’existait aucune contrainte excessive sur l’employeur.
V. Motifs
A. Ordonnance de confidentialité
[167] La fonctionnaire a demandé que son dossier médical (pièce S-2) soit mis sous scellés. L’employeur ne s’est pas opposé à cette demande.
[168] La Commission a souvent rendu des ordonnances de mise sous scellés pour les renseignements d’ordre privé, tels des renseignements médicaux.
[169] Le critère à respecter pour pouvoir accorder une ordonnance de confidentialité a été reformulé par la Cour suprême du Canada dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, dans les termes suivants :
[38] [...] la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :
(1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
(2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et
(3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
[170] Au paragraphe 73 de Sherman (Succession), la Cour suprême du Canada a déclaré que « […] protéger les gens contre la menace à leur dignité qu’entraîne la diffusion de renseignements révélant des aspects fondamentaux de leur vie privée dans le cadre de procédures judiciaires publiques constitue un intérêt public important pour l’application du test. » La pièce S-2 contient des renseignements personnels sur l’état de santé de la fonctionnaire, l’information dont la divulgation menace la dignité de la fonctionnaire.
[171] Dans ce cas, il n’existe aucune solution de rechange à une ordonnance de mise sous scellés qui serait pratique. Presque chaque page contient des renseignements personnels sur l’état de santé de la fonctionnaire. La compréhension de la présente décision ne dépend pas de ces documents dans la pièce S-2, ni des diagnostics des deux conditions médicales A et B de la fonctionnaire.
[172] L’ordonnance n’entrave pas l’équité des procédures et protège la dignité de la fonctionnaire. Les avantages de l’ordonnance emportent sur son effet négatif au principe de transparence judiciaire.
[173] La pièce S-2 sera donc mise sous scellés.
B. Questions en litige
[174] Avant d’énoncer les questions en litige, voici quelques remarques préliminaires.
[175] Chaque partie dans son argumentation a mis en doute la crédibilité des témoins de l’autre partie. L’arrêt de principe à cet égard est Faryna, repris dans l’argumentation de la fonctionnaire. Je retiens de cette décision que la crédibilité des témoignages tient à l’ensemble d’une situation, y compris la preuve documentaire.
[176] Après neuf ans, les souvenirs s’estompent. Je ne doute pas de la bonne foi de tous les témoins que j’ai entendus. Si leurs souvenirs semblent diverger, cela s’explique par le temps et leurs différentes perspectives. M. Lamoureux était un gestionnaire soucieux d’assurer l’assiduité de son personnel, informé par le PNGA. La fonctionnaire était aux prises avec des soucis de famille et des conditions médicales sérieuses. Elle ne voyait pas la gestion de l’assiduité du même œil. D’autres témoins avaient des souvenirs imprécis, attribuables à mon sens au passage du temps.
[177] Je retiens des témoignages ce qui me semble raisonnable et je privilégie les témoignages confirmés par des documents contemporains.
[178] L’employeur a soulevé un certain nombre d’objections; certaines ont été traitées dans le résumé de la preuve. Je traite ici de l’objection de l’employeur invoquant l’arrêt Burchill pour dire que la relation de la fonctionnaire avec M. Lamoureux déborde le cadre du grief.
[179] Le grief n’a pas pour objet la relation avec M. Lamoureux, mais bien l’application du PNGA à la situation de la fonctionnaire, qui, selon la fonctionnaire, est discriminatoire. Toutefois, il est important de contextualiser les échanges qui ont eu lieu entre la fonctionnaire et l’employeur au moment des événements donnant lieu au grief, et la relation tendue entre M. Lamoureux et la fonctionnaire est certainement un facteur qui a joué dans la perception qu’avait la fonctionnaire de la situation.
[180] L’arrêt Burchill ne sert pas à écarter tout propos qui n’est pas spécifiquement dit dans le grief. L’essentiel de l’arrêt Burchill est qu’on ne peut changer la nature du grief lorsqu’il est renvoyé à l’arbitrage. Dans Burchill, le fonctionnaire s’estimant lésé tentait de transformer un grief contre une mesure administrative en un grief contre une mesure disciplinaire.
[181] Tel n’est pas le cas ici. Le grief vise clairement le caractère discriminatoire de l’imposition du PNGA à la fonctionnaire. Il est important de comprendre qui étaient les personnes impliquées et leurs rôles respectifs. Je vois la relation entre M. Lamoureux et la fonctionnaire dans cette optique. L’objection de l’employeur est rejetée.
[182] Finalement, certains commentaires de part et d’autre ne seront pas traités dans l’analyse qui suit, parce qu’ils ne sont pas pertinents. Je souligne néanmoins que le 2 janvier n’est pas un jour férié au Québec (sauf si le 1er janvier tombe un dimanche), mais à tout événement, si le 2 janvier avait été férié, la fonctionnaire n’aurait pas demandé un congé pour obligations familiales.
[183] Les questions en litige sont les suivantes, à partir du grief : la fonctionnaire a‑t‑elle été victime de discrimination? L’employeur a-t-il violé les articles de la convention collective relatifs à la discrimination, aux congés de maladie et aux congés pour obligation familiale?
1. Discrimination
[184] En ce qui a trait à l’allégation de discrimination, il y a lieu de souligner que la fonctionnaire a soumis que son grief ne conteste pas le droit de l’employeur d’adopter le PNGA, mais plutôt que son application à la fonctionnaire était discriminatoire.
[185] Conformément à l’article 210 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la Loi), la fonctionnaire a donné avis à la CCDP que son grief soulevait une question liée à l’interprétation ou à l’application de la LCDP. La CCDP a avisé la Commission qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des observations relativement à la question soulevée.
[186] La clause 19.01 de la convention collective se lit comme suit :
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[187] La convention collective ne définit pas le mot « discrimination ». L’article 7 de la LCDP, qui traite des actes discriminatoires en cours d’emploi, prévoit ce qui suit :
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[188] Le paragraphe 226(2) de la Loi confère à la Commission le pouvoir législatif d’interpréter et d’appliquer la LCDP aux questions en matière d’emploi.
[189] Je débuterai cette section de la décision en analysant si la fonctionnaire a satisfait à son fardeau d’établir une preuve prima facie de discrimination. Pour établir une preuve prima facie de discrimination, la fonctionnaire doit formuler une allégation qui, si on y ajoutait foi, justifierait une conclusion en sa faveur faute de réponse de la part de l’employeur. Tel que déjà mentionné, pour ce faire, la fonctionnaire doit démontrer: 1) qu’elle fait partie d’un groupe ayant une caractéristique protégée; 2) qu’elle a souffert un effet préjudiciable; 3) que la caractéristique protégée doit être un facteur dans l’effet préjudiciable.
[190] La fonctionnaire a allégué qu’elle avait une caractéristique protégée, soit la déficience. Selon la fonctionnaire, il s’agit de deux déficiences, soit ses deux conditions médicales A et B.
[191] La déficience fait partie des motifs de distinction illicite énumérés au paragraphe 3(1) de la LCDP et est définie comme suit à l’art. 25 de la LCDP : « […] [d]éficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue. »
[192] La fonctionnaire a soumis qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve médicale afin de prouver l’existence d’une déficience. Cela est déterminé par une prépondérance de la preuve. Selon l’employeur, la fonctionnaire ne faisait pas partie d’un groupe ayant une caractéristique protégée puisque la simple existence d’une condition médicale ou d’une douleur ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une déficience. La fonctionnaire doit démontrer que sa condition médicale est suffisamment sévère pour l’empêcher d’accomplir son travail.
[193] Afin d’être considérée comme une déficience au sens de la LCDP, il n’est pas nécessaire qu’une condition médicale empêche un employé d’accomplir ses fonctions de façon permanente. Tel qu’il est indiqué dans Ahmad, au par. 123 : « […] Une invalidité n’existe que lorsqu’un état physique ou mental particulier empêche un individu d’accomplir une partie importante de ses fonctions […] » Voir aussi Mellon, au par. 88, qui indique comme suit : « […] ce ne sont pas seulement les déficiences qui constituent une incapacité permanente qui doivent être prises en compte. »
[194] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la prépondérance de la preuve démontre que la fonctionnaire avait une caractéristique protégée, soit une déficience.
[195] J’accepte le témoignage non contredit du Dr Paquin que la fonctionnaire souffrait de la condition médicale A qui peut nécessiter un arrêt de travail complet.
[196] Le billet médical du Dr Paquin du 11 avril 2013 indiquait ce qui suit : « Douleur chronique […] Travail 4 jours/semaine. Révision ergonomique du poste. » Le Dr Paquin a témoigné qu’il croyait que la condition médicale A progressait et il voulait donner une journée de répit à la fonctionnaire pour récupérer. Dans une lettre adressée au Dr Paquin en date du 17 avril 2013, Mme Houde lui a demandé certaines clarifications, soit la période pour laquelle la consigne était valable, et quand il prévoyait revoir la fonctionnaire pour un suivi. Le Dr Paquin a témoigné qu’il ne s’en souvenait pas ni s’il avait répondu et que la lettre n’était pas dans le dossier médical de la fonctionnaire. Contrairement à l’argument de l’employeur, il n’y a aucune preuve que la lettre avait été donnée à la fonctionnaire pour transmission au Dr Paquin. Mme Houde n’a pas témoigné et la fonctionnaire n’a pas été contre-interrogée à ce sujet.
[197] Pour ce qui est de la condition médicale B, le Dr Paquin a témoigné qu’elle peut compromettre des fonctions quotidiennes et qu’il y a des douleurs liées à cette condition. Par ailleurs, il a reconnu qu’il n’avait pas rédigé d’autres billets pour absence en raison de cette condition médicale après celui du 17 février 2014 et qu’il n’y avait pas de billet indiquant que la fonctionnaire pouvait s’absenter à tout moment pour raison de la condition médicale.
[198] Cependant, les notes du Dr Paquin du 23 décembre 2013 indiquent que la fonctionnaire souffrait des symptômes de la condition médicale B depuis 2011 et il a témoigné qu’il pouvait arriver qu’elle doive s’absenter à cause de ces symptômes à tout moment. Il a dit que cette condition était une maladie en soi qui revient à plusieurs reprises pendant plusieurs mois et il y a aussi des douleurs liées à cette condition. Il a adressé la fonctionnaire à un spécialiste et la condition était toujours présente en juin 2014.
[199] La fonctionnaire a témoigné que son départ du travail le 21 janvier 2014 était dû à la condition médicale B. Selon l’employeur, son départ était plutôt dû à une vive discussion menée par M. Lamoureux concernant la distribution des tâches entre elle et M. Kajiji. Ce n’est que M. Lamoureux qui a témoigné d’une telle discussion puisque M. Kajiji, qui aurait été alors présent, n’a pas témoigné. De toute façon, même si une telle discussion avait eu lieu, cela n’a pas pour effet de contredire le témoignage de la fonctionnaire qu’elle a dû quitter en raison de sa condition médicale et l’employeur n’a pas présenté d’autre preuve contraire. Le Dr Paquin a témoigné que son billet médical du 17 février 2014 était basé sur ce que la fonctionnaire lui avait dit qui s’était passé le 21 janvier 2014. De plus, l’employeur a accepté le billet médical du 17 février 2014 pour cette absence en congé de maladie et, par conséquent, a mis fin au processus disciplinaire qu’il avait entamé.
[200] Par ailleurs, lorsqu’on a demandé à la fonctionnaire en contre-interrogatoire d’expliquer les raisons pour ses congés, elle a témoigné que ses absences en congé de maladie du 21 ainsi que du 23 janvier 2014 étaient dues à la condition médicale B.
[201] Il est vrai, comme l’a soutenu l’employeur, qu’après avoir certifié le retour au travail à temps plein de la fonctionnaire, il n’y avait pas d’autre billet médical justifiant un besoin de jours de repos consécutifs ou contigus à d’autres congés, une semaine de quatre jours ou un besoin de quitter le travail à tout moment.
[202] Toutefois, cela n’a pas pour effet de contredire le témoignage du Dr Paquin concernant les effets des deux conditions médicales sur la fonctionnaire qui ont causé des absences au travail.
[203] La preuve démontre que les deux conditions médicales en question pouvaient causer soit des arrêts ou des absences du travail périodiques qui ne sont pas nécessairement prévisibles. J’estime que, dans le présent cas, cela est suffisant pour conclure que la fonctionnaire avait une caractéristique protégée, soit une déficience.
[204] Je vais maintenant déterminer si la fonctionnaire a souffert un effet préjudiciable. En tant que rappel, la fonctionnaire a allégué qu’elle a subi les effets préjudiciables suivants :
a. des rencontres intimidantes, stressantes et causant de l’anxiété;
b. le fait d’avoir été placé sur le PNGA ;
c. l’obligation de devoir apporter un billet médical pour une période de 8 mois, obligation de nature disciplinaire ;
d. plusieurs notes/mémo au dossier ;
e. une référence au PNGA dans son évaluation de rendement ; et
f. la nécessité de prendre un congé d’étalement pour sortir de la situation.
[205] Les deux rencontres en question sont celles du 15 avril et du 24 juillet 2014. La rencontre du 15 avril avait pour but d’examiner les motifs de l’absence de la fonctionnaire, afin de déterminer si les absences étaient justifiées. À ces rencontres, la fonctionnaire est confrontée à son habitude d’absences. Il ne fait pas de doute que ces rencontres ont pu être stressantes et intimidantes et ont pu causer de l’anxiété.
[206] Concernant le fait d’avoir été placée sur le PNGA, le fait est que les gestionnaires de la fonctionnaire n’ont pas suivi la procédure prévue. Cela aurait dû être corrigé par la réponse de l’employeur au premier palier, mais curieusement, cette réponse est restée sans suite – aucun des gestionnaires qui a témoigné n’était au courant du grief ou de la réponse. La fonctionnaire avait l’impression qu’on ne l’écoutait pas, qu’on mettait en doute son intégrité, et surtout qu’on ne prenait pas au sérieux ses réels problèmes de santé. L’obligation de remettre un billet médical est certes permise par la convention collective lorsque l’employeur a des doutes sur le bien-fondé des demandes de congé de maladie. Toutefois, dans le cas de la fonctionnaire, cette exigence s’est prolongée indûment parce que M. Luneau n’avait pas été informé que l’exigence qu’il imposait d’août à novembre 2014 était en fait en vigueur depuis avril 2014. De plus, cette obligation tirait son origine du fait que l’employeur trouvait « inhabituel » que les congés de maladie précèdent ou suivent les jours de repos. Une compréhension minime de la douleur chronique dont souffrait la fonctionnaire (condition connue en raison de la note du Dr Paquin), due au mouvement répétitif, aurait éclairé l’employeur sur le besoin de repos.
[207] Il est curieux de constater que M. Luneau ne doutait pas de la véracité des problèmes de santé de la fonctionnaire, mais trouvait que les congés n’auraient pas dû suivre une semaine de travail. En ce qui a trait à l’allégation de la fonctionnaire que des notes placées dans son dossier d’employée constituent un effet préjudiciable, selon la preuve, il s’agit uniquement de la note de service du 15 avril 2014, dont le premier point indique ce qui suit :
1. Habitudes d’utilisation de congé qui sont considérées inhabituelles
Au cours de la dernière année, on note au dossier plusieurs absences (15) de madame Beaudoin relativement à des congés contigus (maladie, congés familiaux et congés 698) à d’autres congés (weekend, comprimé, jour férié). Il s’agit d’un scénario répétitif d’utilisation de congés considéré comme inhabituel. Hormis les congés de type 698, Mme Beaudoin a expliqué cette tendance par un besoin de repos découlant de sa situation de santé. Elle n’a cependant pas de preuve médicale appuyant ses prétentions. Devant ce constat, ses explications ne sont pas satisfaisantes pour justifier ces absences.
Décision : Produire dorénavant un billet médical pour les demandes de congé de maladie
[Les passages en évidence le sont dans l’original]
[208] Le placement d’une note de service au dossier est prévu comme suit dans le paragraphe 6.1 du PNGA : « Toutes les entrevues sont confidentielles et consignées par le superviseur dans une note de service au dossier, qui sera versée au dossier de l’employé et dont un exemplaire sera remis à l’employé [le passage en évidence l’est dans l’original] ».
[209] La fonctionnaire a fait valoir que, selon les témoins de l’employeur, la note de service pourrait toujours être dans son dossier d’employée. Elle a soumis que cela indique à ceux consultant le dossier que comme l’employeur considère ses absences problématiques, cela la fait paraître comme une employée problématique, nuit à sa réputation et ses chances d’obtenir d’autres postes et affecte sa perception d’elle-même comme employée.
[210] Il n’y a aucune preuve que la note de service est toujours demeurée au dossier de la fonctionnaire ni que quiconque l’a consultée.
[211] Il n’y a pas de référence au PNGA dans l’évaluation du rendement de la fonctionnaire, mais on parle d’une rencontre au sujet de son assiduité. Selon les témoignages, avant et après cette année-là (2013-2014), il n’y a pas eu de discussion sur l’assiduité de la fonctionnaire avec son superviseur. L’impact d’une évaluation, par un superviseur en particulier, semble minime.
[212] La fonctionnaire voit la nécessité de prendre un congé avec étalement du revenu comme un effet préjudiciable. Il n’est pas possible de déterminer entièrement pourquoi elle a pris un congé avec étalement du revenu. Certes, la situation avec M. Lamoureux semble s’être envenimée, mais le congé avec étalement du revenu était son choix, librement pris. Il lui permettait aussi de prendre un temps de repos. Je ne suis pas prêt à l’attribuer à la situation du PNGA.
[213] Je conclus qu’il a eu un effet préjudiciable sur la fonctionnaire du fait de l’imposition du PNGA, qui a mené à la rencontre du 24 juillet et l’obligation de remettre un billet médical pendant huit mois. Pendant ce temps, la fonctionnaire se sentait stressée et anxieuse dans le cadre de son emploi, et pensait que l’employeur ne lui faisait pas confiance.
[214] Par ailleurs, le PNGA a été imposé compte tenu des absences de la fonctionnaire. L’employeur a d’abord ciblé toutes les absences, pour finalement ne retenir que les absences médicales. Or, ces absences médicales, compte tenu de la preuve présentée par le Dr Paquin, étaient liées à ses déficiences. J’estime donc que la fonctionnaire a présenté une preuve prima facie de discrimination. Je suis d’accord avec la fonctionnaire que l’employeur n’a pas démontré que l’application du PNGA était justifiée dans les circonstances. Je ne remets pas en question le bien-fondé d’un tel programme. Toutefois, dans le cas de la fonctionnaire, il a été mal appliqué.
[215] Premièrement, l’imposition des billets pour chaque absence ne relevait pas de M. Lamoureux et de Mme Turcotte, mais de la coordonnatrice du PNGA, comme l’affirme la réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs. L’employeur a tenté de soutenir dans son argumentation qu’il revenait à la fonctionnaire d’informer l’employeur de sa propre décision. Non. Il revenait à l’employeur de corriger la situation, ce qui n’a pas été fait.
[216] Deuxièmement, la réunion du 24 juillet 2014 avec M. Luneau est assez incompréhensible puisque le PNGA était déjà appliqué depuis trois mois. Pourtant, M. Luneau ne semblait pas du tout en être au courant. M. Luneau a lui-même concédé que la conclusion de cette rencontre aurait été différente s’il avait su que la fonctionnaire avait déjà depuis avril 2014 l’obligation de remettre des billets médicaux.
[217] Finalement, même si le PNGA prévoit la possibilité pour l’employé d’expliquer ses absences, l’employeur semble avoir été complètement fermé aux explications de la fonctionnaire. Son explication de besoin de repos a été rejetée du revers de la main – pourtant, cela coïncide avec les besoins d’une personne qui souffre de la condition médicale A, selon le Dr Paquin. M. Luneau a dit qu’il n’était pas intéressé d’avoir une explication pour le passé, seulement des justifications pour l’avenir. Cela démontre une remarquable fermeture d’esprit.
[218] Cette application défectueuse du PNGA ne saurait justifier la discrimination dont la fonctionnaire a été victime.
[219] L’employeur a soumis que l’exigence de soumettre un billet médical était une exigence professionnelle justifiée. La fonctionnaire ne remet pas en question la justification du PNGA, mais l’employeur n’a pas tenu compte de la situation de la fonctionnaire. L’employeur allègue qu’il s’agirait d’une contrainte excessive de ne pas faire le suivi des absences auprès de ses employés, incluant la demande de billets médicaux. L’employeur a le fardeau d’établir une exigence professionnelle justifiée. Pour soulever cet argument en s’appuyant sur l’article 15 de la LCDP, l’employeur a le fardeau d’établir une contrainte excessive. Cependant, hormis l’allégation générale d’une contrainte excessive, l’employeur n’a apporté aucune preuve pour étayer cette allégation ni a expliqué la contrainte excessive dans la situation dans laquelle se trouvait la fonctionnaire.
2. Violation de la convention collective
[220] Dans son grief, la fonctionnaire invoque trois articles de la convention collective : l’interdiction de discrimination, les congés de maladie et les congés pour obligations familiales.
[221] J’ai déjà conclu qu’il y avait discrimination dans le traitement de la fonctionnaire.
[222] L’article sur les congés de maladie prévoit qu’ils seront accordés si l’employé est malade, et que l’employeur est en droit de demander un justificatif du congé. La violation n’est pas à cet article, puisque l’employeur a accordé les congés demandés, et avait le droit de demander un justificatif. La violation se situe au niveau de la discrimination, déjà établie.
[223] Pour ce qui est des congés pour obligations familiales, bien que ces congés aient d’abord été relevés par M. Lamoureux comme indiquant une tendance inhabituelle, ils ne semblent plus avoir fait partie du PNGA après la rencontre du 15 avril 2014, et ne sont pas mentionnés dans la note de service qui y fait suite. Les congés demandés ont tous été accordés. Par conséquent, je ne constate pas de violation de cette disposition.
3. Mesures de redressement
[224] L’employeur a montré de l’incompréhension face à la situation de la fonctionnaire, lui imposant des rencontres intimidantes et un programme de contrôle de son assiduité qui n’aurait pas dû être mis en place.
[225] Par ailleurs, les congés demandés ont été accordés, et si le congé avec étalement du revenu a pu entraîner une certaine baisse de revenus, c’était le choix de la fonctionnaire. Par conséquent, je ne constate pas de dommages matériels.
[226] Cependant, des dommages moraux en vertu de la LCDP devraient être accordés pour le stress et l’atteinte à la dignité de la fonctionnaire.
[227] L’employeur a soutenu que je devrais accorder des dommages minimes, si je devais en accorder. Il a invoqué la décision Bodnar à cet effet. La fonctionnaire m’a présenté deux décisions sur la question du montant à accorder : Cyr c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 35, et Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 15.
[228] Dans la décision Bodnar, l’arbitre de grief a accordé 250 $ pour dommages moraux et 500 $ au titre du paragraphe 53(3) de la LCDP pour un acte inconsidéré.
[229] La situation ici est différente. Le PNGA n’est pas remis en question, mais bien son application défectueuse. Je suis d’avis que la fonctionnaire a vécu inutilement une situation stressante, alors qu’elle avait des problèmes de santé. Je ne crois pas cependant qu’il y ait eu un acte délibéré ou inconsidéré de la part de l’employeur. Les gestionnaires agissaient de bonne foi, mais dans un contexte de défaut de communication entre eux.
[230] Dans la décision Cyr, l’arbitre de grief a accordé 8 000 $ au titre de dommages moraux et 10 000 $ au titre des dommages spéciaux.
[231] Les faits ne sont pas comparables aux faits dans le présent grief. Mme Cyr souffrait d’hypersensibilité environnementale fortement aggravée par le milieu de travail. La solution était le télétravail, solution confirmée par son médecin traitant. Pourtant, cette mesure d’adaptation n’a pas été mise en œuvre de façon satisfaisante, ce qui a causé beaucoup de problèmes à Mme Cyr. De plus, la situation s’est prolongée sur une longue période.
[232] Dans le présent cas, la fonctionnaire n’a jamais demandé clairement une mesure d’adaptation. Dans son esprit, sans doute, le fait de prendre des congés au besoin constituait une mesure d’adaptation, que l’employeur remettait en question en insistant pour une justification. La situation a duré d’avril à novembre 2014, et la contrainte était l’obtention d’un billet médical. J’ai déjà reconnu l’aspect discriminatoire, et l’effet préjudiciable, mais en soi le préjudice n’a aucune commune mesure avec la situation d’une employée malade obligée de se battre pour avoir droit à un milieu de travail qui respecte sa santé physique.
[233] De même, dans la décision Lloyd, l’arbitre de grief a jugé que les mesures d’adaptation étaient déficientes parce que l’employeur n’avait pas tenu compte des recommandations de son médecin. Il lui a accordé 6 000 $ pour dommages moraux, mais aucune somme pour les dommages spéciaux, jugeant que Mme Lloyd n’avait pas établi que l’employeur avait posé un acte délibéré ou inconsidéré.
[234] Encore une fois, je trouve difficile de comparer la situation dans cette décision à celle de la fonctionnaire. Elle a vécu une situation désagréable pour un certain temps, mais ses congés ont toujours été accordés, et la situation s’est réglée sans autre conséquence.
[235] La contrainte des billets médicaux, l’application inutile du PNGA et le stress que cela a entraîné méritent à mon sens une indemnisation de 1 000 $ aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.
[236] Par ailleurs, je ne pense pas qu’il y a lieu d’accorder des dommages spéciaux aux termes du paragraphe 53(3) de la LCDP. L’employeur a agi de façon malhabile, M. Lamoureux a peut-être fait preuve d’un excès de zèle, mais à sa décharge, il avait consulté les Relations de travail qui l’avaient mal conseillé, et l’autorité qui a décidé le grief au premier palier n’a pas pris la peine de l’informer du résultat. Il n’y a pas l’acharnement ou la gravité des gestes qui, à mon sens, pourrait justifier des dommages spéciaux.
[237] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[238] La pièce S-2 est mise sous scellés.
[239] Le grief est accueilli.
[240] L’employeur versera 1 000 $ à la fonctionnaire aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans les 60 jours suivant la présente décision.
Le 17 Décembre 2024.
Steven B. Katkin,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral