Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La personne nommée avait occupé le poste à titre intérimaire pendant près de deux ans avant d’être nommée pour une période indéterminée dans le cadre d’un processus de nomination non annoncé. La plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le choix du processus lorsqu’il a accordé des nominations intérimaires à la personne nommée sans avoir au préalable avisé tous les employés de l’opportunité, afin qu’ils puissent être pris en considération. Elle a également allégué qu’il avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en se fondant sur le curriculum vitae de la personne nommée, l’évaluation de son rendement et la connaissance personnelle du gestionnaire délégué du travail de la personne nommée pour compléter l’évaluation du mérite. La Commission a conclu que la plainte portait sur la nomination de la personne nommée pour une période indéterminée et non sur les nominations intérimaires antérieures. Le choix du processus par l’intimé pour la nomination pertinente a été énoncé dans une justification détaillée de la décision de sélection. L’intimé était en droit de se fier aux connaissances personnelles du gestionnaire délégué, au curriculum vitae de la personne nommée et à une évaluation de son rendement dans son évaluation du mérite. La Commission a conclu que la preuve présentée à l’audience était insuffisante pour établir que, selon la prépondérance des probabilités, l’intimé avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé ou dans son évaluation des critères de mérite.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20250107
Dossier: 771-02-46262
Référence: 2025 CRTESPF 1
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et fonction publique |
|
ENTRE
Mary D’Angelo Prosperi
plaignante
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)
intimée
et
AUTRES PARTIES
Répertorié
D’Angelo Prosperi c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)
Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Tara Baxter, représentante
Pour l’intimée : Sarah Rajguru, avocate
Pour la Commission de la fonction publique : Marc-Olivier Payant, analyste principal
Affaire entendue par vidéoconférence
les 27 et 28 juin 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Plainte devant la Commission
[1] En novembre 2022, l’administrateur général de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« intimée » ou ASFC) a nommé une employée à un poste de gestionnaire des opérations commerciales régionales pour une période indéterminée, au moyen d’un processus de nomination non annoncé. Dans la présente décision, cette personne est désignée par le terme « personne nommée ».
[2] Le poste en question, classifié au groupe et au niveau FB-06, fait partie de la Division des opérations commerciales (la « Division ») de l’intimée, située à Hamilton, en Ontario. La personne titulaire de ce poste assume la gestion de l’unité de gestion des risques liés aux rajustements, aussi connue sous le nom de l’« unité de GRLR ».
[3] La plaignante, Mary D’Angelo Prosperi, a présenté une plainte à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») aux termes des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Elle soutient que l’intimée a abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé et dans son évaluation des critères de mérite.
[4] La plainte dans l’affaire qui nous occupe porte essentiellement sur le fait que, avant la tenue du processus de nomination en cause (processus numéro 2022-INA-GTAR-FB6-9341), l’intimée avait accordé à la personne nommée une ou plusieurs affectations intérimaires de longue durée au poste en question, sans informer d’abord tous les employés de la possibilité d’intérimaire et sans leur donner la possibilité de faire prendre en considération leur candidature. La personne nommée occupait le poste de gestionnaire des opérations commerciales régionales depuis la création de l’unité de GRLR. Il semblerait qu’elle ait occupé ce poste pendant près de deux ans avant que le poste en question soit doté pour une période indéterminée.
[5] La plaignante, qui est maintenant à la retraite, aurait voulu être prise en considération pour la nomination intérimaire ainsi que pour la nomination subséquente pour une période indéterminée. Elle estime qu’elle n’a pas eu la possibilité de manifester son intérêt pour ce poste. Elle croit qu’elle satisfaisait à tous les critères de mérite.
[6] La plaignante soutient également que l’intimée a abusé de son pouvoir dans l’évaluation du mérite, car, pour procéder à l’évaluation des critères de mérite, elle s’est fondée sur le curriculum vitæ de la personne nommée, sur une évaluation de la gestion du rendement effectuée par une personne autre que le gestionnaire délégataire et sur la connaissance personnelle qu’avait ce dernier du travail de la personne nommée. Elle soutient que l’intimée s’est fondée sur des renseignements inappropriés et incomplets pour évaluer la candidature de la personne nommée.
[7] La Commission de la fonction publique a déposé des arguments écrits, mais n’a pas participé à l’audience.
[8] Dans les affaires relatives à la dotation, c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve. Bien que la plaignante estime que les pratiques de dotation de l’intimée à l’époque manquaient de transparence et ont nui à la progression de carrière d’employés qualifiés de la Division, la preuve qu’elle a présentée à l’audience était insuffisante pour établir que, selon la prépondérance des probabilités, l’intimée avait abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé. De la même façon, son allégation selon laquelle l’intimée a abusé de son pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite n’était pas étayée par la preuve présentée à l’audience.
[9] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.
II. Résumé de la preuve
A. Les témoins
[10] Quatre témoins ont témoigné à l’audience. Je vais présenter de manière générale le témoignage des témoins pour mettre en contexte le résumé de la preuve qui suivra au sujet du choix d’un processus non annoncé et de l’évaluation des critères de mérite.
[11] La plaignante a témoigné. Bien qu’elle soit maintenant à la retraite, pendant la période pertinente, la plaignante était agente principale (FB-04) à l’unité de l’observation des programmes commerciaux (qui faisait partie de la Division). Elle a appris la nomination de la personne nommée pour une période indéterminée lorsqu’elle a vu la « Notification de candidature retenue » affichée sur un site Web d’emplois du gouvernement fédéral. La plaignante estime qu’elle satisfaisait à toutes les qualifications essentielles figurant dans cette notification de candidature retenue et elle aurait voulu que sa candidature soit prise en considération pour le poste FB‐06. Sa candidature avait déjà fait partie d’un bassin FB‐06, mais ce n’était plus le cas au moment du processus de nomination en question.
[12] La plaignante a aussi expliqué dans son témoignage que, au sein de la Division, les nominations intérimaires constituaient une voie d’accès vers des nominations subséquentes pour une période indéterminée, effectuées au moyen de processus de nomination non annoncés. Selon elle, au cours des six ou sept années précédant le processus de nomination en cause, elle n’avait jamais vu passer de [traduction] « lettre d’appel » visant à solliciter des manifestations d’intérêt pour des nominations intérimaires à des postes FB‐06, comme le poste dont il est question dans la présente affaire. Habituellement, elle n’était informée des nominations intérimaires et des nominations subséquentes pour une période indéterminée que lorsque quelqu’un y avait déjà été nommé. La plaignante a témoigné que la direction n’avait pas diffusé de lettre d’appel avant que la personne nommée soit nommée par intérim au poste en question. La plaignante a affirmé que, si elle avait vu une lettre d’appel, elle aurait manifesté son intérêt pour le poste et aurait demandé à être prise en considération pour une nomination intérimaire.
[13] La plaignante a également appelé à comparaître Danny Rinaldi à titre de témoin. Celui-ci était le directeur intérimaire de la Division pendant environ une semaine à la fin de 2022. C’est pendant cette semaine-là qu’a eu lieu la nomination en cause. M. Rinaldi a examiné la justification de la décision de sélection et l’évaluation narrative. Convaincu que les documents étaient complets et qu’ils fournissaient les renseignements requis à l’appui du choix d’un processus non annoncé et de la nomination de la personne nommée, il a signé les documents. Il ne connaissait pas la personne nommée ni la plaignante, et il n’avait pas non plus une connaissance détaillée des exigences opérationnelles au sein de l’unité de GRLR. Pour ces raisons, le témoignage de M. Rinaldi concernant le processus de nomination en cause revêtait une pertinence limitée et ne sera donc pas mentionné dans la présente décision. En revanche, son témoignage portant sur les pratiques courantes de l’intimée pour communiquer les possibilités de nomination intérimaire était pertinent, et il en sera brièvement question un peu plus loin dans le résumé de la preuve.
[14] Le dernier témoin que la plaignante a appelé à comparaître est David George, le président de la section locale du Syndicat des douanes et de l’immigration (SDI), un des syndicats membres de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Le SDI était l’agent négociateur de la plaignante. M. George a témoigné des discussions qui ont eu lieu en 2019 à une rencontre d’un comité régional de consultation patronale-syndicale où il avait été question de la transparence dans l’utilisation par l’intimée des nominations intérimaires. Il sera question de son témoignage dans la portion du résumé de la preuve intitulée « Preuve liée aux engagements de l’intimée en matière de dotation ».
[15] L’intimée a appelé un témoin, Christopher Yau. Au moment des faits, M. Yau était le directeur adjoint par intérim de la Division pour la région du Grand Toronto, en Ontario. Il était responsable de la surveillance de l’unité de GRLR et, à ce titre, il a supervisé la personne nommée pendant son intérim, jusqu’à ce qu’elle soit nommée pour une période indéterminée. C’est lui qui a préparé et signé la justification de la décision de sélection ainsi que l’évaluation narrative dont il a déjà été question. M. Yau était le gestionnaire délégataire.
B. Description du poste et du travail effectué par la Division
[16] M. Yau et la plaignante ont témoigné au sujet de la création de l’unité de GRLR, de la nature du travail qui y est effectué et de la nature du travail accompli dans l’unité au sein de laquelle travaillait la plaignante avant la création de l’unité de GRLR.
[17] L’unité de GRLR a été créée en décembre 2020 dans la foulée d’une restructuration de la Division visant à préparer l’ASFC en vue de ce qui a été décrit à l’audience comme une grande transformation des systèmes englobant la mise en œuvre d’un nouveau système électronique devant servir à la réception, au traitement et à l’analyse des demandes pour l’importation de marchandises. Ce système est connu sous le nom de « Système de gestion des cotisations et des recettes de l’ASFC ». Les témoins l’ont désigné par l’acronyme [traduction] « GCRA », et je ferai de même.
[18] Le GCRA était en cours d’élaboration depuis plusieurs années et, à la date de l’audience, il n’avait toujours pas été mis en œuvre. À la période pertinente, son lancement était prévu pour octobre 2023, soit près de 11 mois après le processus de nomination en cause.
[19] Avant la restructuration de la Division en vue de la mise en œuvre du GCRA, une équipe communément appelée [traduction] « équipe d’analyse B2 » apportait des modifications aux déclarations en détail des importations qui étaient demandées par les importateurs.
[20] Les responsabilités de l’équipe d’analyse B2 comprenaient également une tâche appelée [traduction] « évaluation des risques », que la plaignante a décrite comme l’évaluation des risques liés aux nouvelles demandes d’importation de marchandises. L’évaluation des risques sous-entendait le tri des demandes et le transfert des demandes à faible risque à d’autres unités aux fins de traitement.
[21] Le traitement des demandes pour la réévaluation ou le remboursement des droits et des taxes demandait beaucoup de temps. Le traitement d’une demande nécessitait des mois de travail, et il arrivait souvent que l’équipe d’analyse B2 accumule un arriéré de demandes à traiter. Il arrivait aussi parfois que l’équipe n’arrive pas à respecter les normes de service existantes pour le traitement et la fermeture des demandes. Bien que M. Yau ne l’ait pas dit expressément, il se dégageait globalement de son témoignage que, au moment où l’unité de GRLR a été créée en remplacement de l’équipe d’analyse B2, il y avait un arriéré de demandes et les normes de service n’étaient pas satisfaites.
[22] Le témoignage de la plaignante et celui de M. Yau au sujet du travail de l’équipe d’analyse B2 étaient généralement cohérents. Toutefois, leur description des similarités entre le travail de l’équipe d’analyse B2 et celui de l’unité de GRLR qui l’a remplacée différait. Selon la plaignante, le travail était le même. Dans son témoignage, M. Yau a expliqué qu’il y avait des différences considérables.
[23] Il n’est pas nécessaire que je décrive les similitudes et les différences énoncées par la plaignante et M. Yau. Le poste en cause est celui de gestionnaire des opérations commerciales régionales. La personne titulaire est responsable de l’unité de GRLR, et non de l’équipe d’analyse B2. Les facteurs pertinents pour trancher la plainte dans la présente affaire sont le travail effectué au sein de l’unité de GRLR, les qualifications essentielles requises pour y être nommé comme gestionnaire et les qualifications de la personne nommée.
[24] L’insistance de la plaignante sur la nature identique du travail effectué dans les deux unités était directement liée à son argument selon lequel elle était qualifiée pour le poste et sa candidature aurait dû être prise en considération pour une nomination. Comme je l’expliquerai plus loin, la plaignante aurait voulu que sa candidature soit prise en considération pour le poste et aurait fort bien pu posséder les qualifications nécessaires, mais le fait qu’elle ait été qualifiée ou non ne fait pas l’objet du litige.
C. Le choix d’un processus non annoncé
[25] Je traiterai d’abord du témoignage de M. Yau concernant sa décision de doter le poste en cause au moyen d’un processus non annoncé, puis de la justification de la décision de sélection de deux pages qu’il a préparée, pour les aspects qui diffèrent de son témoignage à l’audience ou le complètent.
[26] Dans son témoignage, M. Yau a affirmé que les facteurs qui l’avaient amené à choisir un processus non annoncé étaient le climat de travail, la nécessité de préparer l’unité de GRLR en vue de la transition vers le GCRA et la nature des qualifications requises pour le poste.
[27] M. Yau a expliqué que la division de Hamilton comptait quatre postes de gestionnaire de niveau FB-06. Chaque titulaire de ces postes avait la responsabilité d’une équipe distincte. Pendant la période visée, il y avait eu beaucoup de roulement de personnel à la gestion dans trois des quatre équipes. Il a affirmé que les gestionnaires [traduction] « changeaient constamment » au sein de ces équipes. Pendant longtemps, différentes personnes occupant des postes de gestion avaient fait un passage au sein de ces équipes à titre intérimaire. En raison de l’instabilité au sein de la direction et de la supervision, il y avait une augmentation de problèmes liés aux relations de travail et de l’insatisfaction des employés.
[28] L’unité de GRLR était la seule équipe de la Division à bénéficier d’une stabilité au niveau de la gestion. La personne nommée était la gestionnaire par intérim de l’unité depuis sa création en 2020. Avant, elle avait été gestionnaire par intérim de l’équipe du classement tarifaire. En plus de la gestion de l’unité de GRLR, la personne nommée s’occupait du mentorat des gestionnaires intérimaires qui effectuaient des affectations par rotation dans les autres équipes et leur offrait de l’aide. M. Yau était d’avis que, par ses efforts, elle contribuait à l’amélioration du climat de travail.
[29] M. Yau a témoigné que, en vue de la transition de l’ancien système utilisé par la Division au GCRA, il fallait éliminer le plus possible, voire entièrement, l’arriéré de demandes, ce qui représentait un travail considérable.
[30] Comme il a déjà été expliqué, l’unité de GRLR avait été créée en 2020 en vue de la mise en œuvre du GCRA. Selon M. Yau, le travail de la personne nommée à titre de gestionnaire intérimaire de l’unité avait permis une diminution de l’arriéré de demandes et une amélioration du respect des normes de service. L’unité était sur la bonne voie afin que son arriéré soit éliminé à temps pour la transition vers le GCRA. La personne nommée avait également élaboré des politiques et des procédures pour orienter le personnel de l’unité dans le cadre de la transition vers le GCRA. M. Yau a témoigné qu’il était essentiel de la maintenir en poste pour assurer l’état de préparation interne de la Division en vue de la mise en œuvre du GCRA.
[31] À l’audience, M. Yau a expliqué quels étaient, à son avis, les besoins au sein de l’unité de GRLR et de la Division. Il a affirmé que la gestionnaire de l’unité de GRLR devait posséder une expérience appréciable de l’observation des programmes commerciaux, du classement tarifaire et de l’évaluation des risques. Selon lui, le titulaire du poste de gestionnaire devait bien connaître des questions comme la préservation de la preuve en cas de litige, les affaires décisives portées en appel et les analyses de laboratoire en cours dans des dossiers importants.
[32] M. Yau était d’avis que la personne nommée possédait ces connaissances. Elle possédait en outre une vaste expérience dans les opérations commerciales, l’évaluation des risques et l’admissibilité aux traitements tarifaires. Elle avait également démontré ses compétences en gestion pendant plus de trois ans, soit la période durant laquelle elle avait occupé des postes de gestionnaire à titre intérimaire.
[33] La plaignante a témoigné qu’elle satisfaisait à toutes les qualifications essentielles pour le poste. Elle cumulait 35 années d’expérience à un poste de niveau FB-04. Elle avait acquis de l’expérience dans la gestion des personnes, l’application des droits de douanes dans le respect du régime législatif et l’évaluation des risques. Elle avait de l’expérience dans le traitement de réclamations et de demandes complexes. Elle a témoigné qu’elle n’aurait pas eu besoin de beaucoup de formation pour assumer le rôle de gestionnaire dont il est ici question.
[34] À la période visée, il y avait un bassin de candidats qualifiés de niveau FB-06 qui avait été créé dans le cadre d’un processus de dotation national visant à trouver des candidats qualifiés pour divers secteurs et rôles au sein de l’ASFC. Ni la personne nommée ni la plaignante ne faisaient partie de ce bassin. Selon M. Yau, il n’était pas possible de nommer quelqu’un provenant de ce bassin parce que tous les candidats qui en faisaient partie et qui possédaient une expérience appréciable du commerce avaient déjà été nommés à d’autres postes.
[35] Comme il a déjà été mentionné, M. Yau a préparé une justification de la décision de sélection. Une grande partie de ce document est consacrée aux qualifications de la personne nommée, notamment son expérience appréciable à titre d’agente principale de l’observation des programmes commerciaux, au programme du classement tarifaire (pendant 6 ans et demi) et à l’unité de gestion des risques (pendant 7 ans), et sa vaste expérience de la gestion (pendant 3 ans et demi). Dans le document de justification, la personne nommée est décrite comme possédant [traduction] un « [...] agencement unique de connaissances approfondies [de l’observation des programmes commerciaux], des principaux programmes et des principes de gestion des risques, soit des connaissances essentielles au succès de l’équipe de GRLR ».
[36] Dans la justification de la décision de sélection, M. Yau a énuméré les facteurs à l’origine de sa décision de procéder à la nomination au moyen d’un processus non annoncé, soit le caractère essentiel de l’unité de GRLR pour la réussite globale de la mise en œuvre du GCRA et la nécessité de maintenir les améliorations apportées aux normes de service de l’unité sous la direction de la personne nommée. Il a fait valoir qu’un changement au sein de la direction de l’unité de GRLR à un moment aussi important aurait pu empêcher la Division de se préparer adéquatement en vue de la transition vers le GCRA.
[37] Les facteurs pertinents énumérés dans le document de justification de la décision de sélection comprenaient également le rôle joué par la personne nommée dans l’amélioration de la culture du milieu de travail, dont il a déjà été question.
[38] Le document de justification de la décision de sélection présenté en preuve différait du témoignage présenté par M. Yau à l’audience sur un aspect important, soit la raison pour laquelle l’intimée n’avait pas utilisé le bassin FB‐06 qui existait à l’époque pour doter le poste en cause. Le document de justification était axé sur la candidature de la personne nommée et non sur le fait que tous les candidats faisant partie du bassin FB‐06 qui possédaient l’expérience et les connaissances nécessaires avaient déjà été nommés à d’autres postes.
[39] La justification de la décision de sélection indique ce qui suit :
[Traduction]
[...]
Il existe un bassin de candidats qualifiés de niveau FB‐06 en vigueur, mais il n’est pas utilisé parce que [la personne nommée] est jugée essentielle au succès de l’unité de GRLR pour maintenir les normes de service de l’équipe B2 et faire en sorte que [la Division] demeure sur la bonne voie pour assurer la mise en œuvre réussie du GCRA [...] Il est essentiel de maintenir la prestation des programmes au niveau actuel pour assurer l’état de préparation de [la Division] en vue de la priorité absolue de [l’ASFC], soit la mise en œuvre du GCRA. Comme c’est elle qui gère [l’unité de GRLR] depuis sa création, seule [la personne nommée] possède les connaissances pratiques de tous les aspects nécessaires [...]
[...]
Un changement dans l’équipe de direction de l’unité de GRLR à ce stade-ci aurait des répercussions sur le succès de l’initiative de restructuration de la Division, nuirait grandement au respect des normes de service et à l’état de préparation en vue de la mise en œuvre du GCRA, et alourdirait la charge de travail de la direction en raison de l’augmentation des conflits en matière de relations de travail. Tout nouveau gestionnaire embauché qui viendrait de l’extérieur de [la Division] aurait besoin d’un temps de formation considérable pour en arriver seulement à un niveau de travail de base dans [l’unité de GRLR], ce que [la Division] ne peut pas se permettre. [La Division] ne peut pas se permettre de recul au sein de l’équipe de GRLR, car son rôle est trop important pour l’atteinte des priorités de [l’ASFC].
[...]
D. L’évaluation des critères de mérite
[40] La majeure partie de la preuve et des arguments présentés par la plaignante à l’audience portait sur la façon dont l’intimée avait évalué la capacité de la personne nommée de communiquer efficacement par écrit. La plaignante désapprouvait certains adjectifs utilisés par M. Yau pour décrire la nature et la portée de la contribution de la personne nommée au sein de l’unité de GRLR, mais, à l’audience, elle n’a pas soutenu que la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères du poste sur le plan des études, de l’expérience et des qualités personnelles.
[41] M. Yau a préparé une évaluation narrative de six pages expliquant en quoi la personne nommée satisfaisait aux critères de mérite. La partie de ce document qui porte sur la capacité de la personne nommée de communiquer efficacement par écrit énonce ce qui suit :
[Traduction]
[La personne nommée] communique efficacement par écrit avec les intervenants internes et externes, les employés, les gestionnaires, la haute direction et les clients, afin de leur transmettre les exigences relatives au programme. [La personne nommée] prépare des documents écrits et révise les dossiers de cas rédigés par les membres de son équipe. Elle fournit une orientation écrite à tous les niveaux de la direction sur des enjeux liés aux programmes et elle a parfois à expliquer des questions complexes liées aux cas et les répercussions connexes. [Elle] communique régulièrement par courriel avec l’administration centrale pour clarifier des politiques et veiller à l’application cohérente des programmes.
[42] D’autres renseignements sur les compétences de rédaction de la personne nommée figurent dans une section de l’évaluation narrative portant sur ses compétences dans les langues officielles. Dans cette section, M. Yau a affirmé qu’elle avait démontré ses compétences en rédaction par la création de procédures de fonctionnement normalisées et par son rôle de direction au sein d’un comité chargé d’examiner des notes d’information destinées à la haute direction.
[43] Dans son témoignage, M. Yau a expliqué que, pour préparer l’évaluation narrative, il s’était fondé sur le curriculum vitæ et les évaluations de rendement antérieures de la personne nommée ainsi que sur sa connaissance personnelle du travail de la personne nommée, à titre de superviseur immédiat. Il a témoigné qu’il avait évalué sa capacité de communiquer par écrit en se fondant sur l’ensemble des écrits qu’elle avait produits, c’est‐à‐dire tous les documents qu’elle avait préparés et qu’il avait examinés pendant qu’il était son supérieur. Il était son superviseur depuis au moins 2020, le moment où elle était devenue la gestionnaire intérimaire de l’unité de GRLR.
[44] M. Yau a tenu compte des messages qu’elle envoyait quotidiennement par courriel, notamment ceux qui visaient à lui fournir des mises à jour et des renseignements ou ceux dans lesquels elle lui demandait des orientations. Il a tenu compte de ses contributions à la préparation de procédures de fonctionnement normalisées et de ses efforts visant à faire en sorte que ces procédures soient rédigées dans un langage clair et simple. Il a également pris en considération son travail au sein d’un comité chargé d’examiner des notes d’information destinées à la haute direction. Il arrivait souvent que la personne nommée examine le contenu de notes d’information préparées par d’autres, afin de s’assurer que les documents étaient d’assez bonne qualité pour être présentés à la haute direction. Elle devait donc examiner les recommandations et les renseignements présentés dans les notes d’information pour veiller à ce que les recommandations soient présentées clairement, bien expliquées et appuyées par des faits.
E. Preuve liée aux engagements de l’intimée en matière de dotation
[45] Comme il a déjà été précisé, M. George est le président de la section locale du SDI. En novembre 2019, il a participé à une réunion du comité régional de consultation patronale-syndicale où il a notamment été question de transparence dans l’utilisation de nominations intérimaires par l’intimée. À cette réunion, la direction de l’ASFC pour la région du Grand Toronto a présenté aux représentants de l’agent négociateur un document intitulé [traduction] « Transparence en dotation - engagements de la direction ».
[46] Ce document comportait toute une série de mesures visant à répondre aux préoccupations que les représentants de l’agent négociateur avaient soulevées relativement à un manque de transparence dans les nominations intérimaires. Le document comporte 11 puces sous le titre [traduction] « Étapes pour assurer la transparence, l’équité et la cohérence ». Ces puces présentent globalement les engagements de la direction, soit communiquer les possibilités de nomination intérimaire aux employés au moyen de réunions d’équipe, de courriels et de notes d’information et afficher l’information sur un wiki (un site Web collaboratif); utiliser les bassins existants et les mécanismes de gestion des talents; informer les employés lorsqu’elle a l’intention de prolonger les nominations intérimaires.
[47] Dans le compte rendu de la réunion de novembre 2019, le document est décrit comme énonçant [traduction] « [...] les principes directeurs à l’intention des gestionnaires pour assurer la transparence, l’équité et la cohérence lorsque des renseignements sont diffusés aux membres du personnel sur les possibilités d’emploi ». L’une des mesures de suivi énumérées dans le compte rendu énonçait l’engagement de la direction de fournir un lien vers un wiki où les lettres d’appel pour les possibilités d’emploi seraient affichées. MM. Rinaldi et Yau ont témoigné que, en date de l’audience, le wiki en question n’existait plus.
[48] Au sujet du document [traduction] « Transparence en dotation - engagements de la direction », M. George a affirmé qu’il présentait une stratégie et un engagement de la direction pour répondre aux préoccupations qu’avaient exprimées les agents négociateurs. Toutefois, selon la plaignante, son contenu constituait une entente entre la direction et son agent négociateur.
[49] MM. Rinaldi et Yau n’étaient pas d’accord. Ils ont tous deux décrit le document comme énonçant un engagement de la direction relativement aux nominations intérimaires. Ils ont aussi insisté pour dire que l’engagement en question ne s’appliquait pas aux nominations pour une période indéterminée comme celle qui est en cause.
[50] Dans leur témoignage, MM. Rinaldi et Yau ont affirmé qu’ils croyaient que l’intimée avait respecté son engagement lorsque la personne nommée s’était vu offrir des nominations intérimaires au poste en cause par le passé. Ils ont expliqué que, à l’époque, l’intimée avait procédé à ce qui était considéré comme un [traduction] « appel d’intérêt » lancé de vive voix pour la nomination intérimaire. M. Yau a précisé que c’était l’un de ses collègues qui avait lancé l’appel, mais il ne se rappelait pas qui il s’agissait.
[51] M. Yau a témoigné qu’il avait ensuite appris que l’intérêt des employés du bureau de Hamilton avait été sondé et que les personnes qui avaient manifesté leur intérêt avaient reçu des précisions sur la possibilité de nomination intérimaire. Selon M. Yau, il n’y avait pas que la personne nommée qui avait manifesté son intérêt.
[52] Je tiens ici à faire une distinction entre un appel d’intérêt et une lettre d’appel. Dans son argumentation, la plaignante a beaucoup insisté sur le défaut de l’intimée de diffuser une lettre d’appel avant d’offrir l’intérim à la personne nommée.
[53] Un appel d’intérêt, selon les renseignements fournis par MM. Yau et Rinaldi, est une demande adressée aux employés de vive voix pendant une réunion d’équipe ou d’information ou des rencontres individuelles avec les employés pour sonder leur intérêt. Les appels d’intérêt ne se font pas par écrit.
[54] MM. Yau et Rinaldi ont décrit la lettre d’appel comme une lettre ou un avis écrit visant à solliciter des manifestations d’intérêt. Ils ont expliqué que l’intimée ne diffusait des lettres d’appel que pour les affectations de même niveau, et non pour les possibilités d’intérim. Si l’intimée diffusait des lettres d’appel pour les intérims, il s’agirait alors d’un processus annoncé aux termes de la LEFP, et ce processus devrait respecter toutes les exigences de la LEFP applicables à ce type de processus, notamment l’affichage sur le site Web d’emploi du gouvernement du Canada et le respect des droits de priorité au sein de la fonction publique fédérale.
[55] M. George ne se souvenait pas s’il y avait eu des possibilités de nomination intérimaire qui n’avaient pas été communiquées aux employés après la publication du document [traduction] « Transparence en dotation - engagements de la direction ».
III. Motifs
[56] Comme il a déjà été mentionné, le fardeau de la preuve incombe à la plaignante. C’est donc elle qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimée a abusé de son pouvoir; voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 48 à 55.
[57] L’abus de pouvoir constitue plus qu’une simple erreur ou omission; voir Tibbs, au par. 65. L’abus de pouvoir nécessite la mauvaise foi, le favoritisme personnel, un acte répréhensible grave ou un acte contraire à l’intention du législateur lorsqu’il a délégué à l’intimé le pouvoir discrétionnaire énoncé à l’article 33 de la LEFP; voir Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, au par. 40; Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au par. 47; Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, au par. 25.
[58] La plaignante soutient que l’intimée a abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé et dans l’évaluation des critères de mérite. Je traiterai successivement de ces allégations, y compris des arguments de chacune des parties à cet égard.
A. Le choix d’un processus non annoncé
[59] La majeure partie de la preuve et des arguments présentés par la plaignante à l’audience portait sur le choix de l’intimée d’opter pour un processus non annoncé, quoique de façon indirecte. La plaignante s’est surtout concentrée sur les nominations intérimaires.
[60] La plaignante a soutenu qu’il y avait eu un manque de transparence dans les nominations intérimaires et qu’il n’y avait pas eu d’accès équitable aux possibilités d’intérim. Elle a globalement décrit les nominations intérimaires comme une façon d’accéder par la suite à des nominations pour une période indéterminée au moyen de processus non annoncés.
[61] La plaignante soutient que, dans le présent cas, l’intimée a agi de mauvaise foi en offrant à la personne nommée un intérim au poste en cause sans d’abord informer les employés de la Division et sans fournir aux candidats intéressés la possibilité de manifester leur intérêt à la direction. Selon la plaignante, l’intimée a contrevenu à l’entente qu’elle avait conclue avec son agent négociateur en 2019 et qui est exposée dans le document [traduction] « Transparence en dotation - engagements de la direction ». Elle soutient que la nomination subséquente de la personne nommée au moyen d’un processus non annoncé, après que cette dernière eut occupé le poste en cause de façon intérimaire, était teintée de mauvaise foi et constituait un abus de pouvoir.
[62] La plaignante fait valoir que, durant la période visée, l’intimée avait souvent recours à des processus non annoncés pour nommer des personnes à un poste qu’elles occupaient déjà à titre intérimaire, ce qui empêchait des candidats qualifiés et expérimentés de postuler et de voir leur candidature prise en considération pour des promotions. Selon la plaignante, c’est ce qui s’est produit dans le présent cas. À cet égard, la plaignante invoque Tibbs.
[63] L’intimée soutient que le choix d’un processus non annoncé relevait de son vaste pouvoir discrétionnaire en matière de dotation. Elle fait valoir que son choix de processus était fondé sur des préoccupations légitimes quant aux répercussions d’un changement de direction dans l’unité de GRLR, notamment en ce qui a trait au climat de travail, à la continuité de la prestation des programmes et à l’état de préparation de l’unité de GRLR en vue de la mise en œuvre du GCRA. Les considérations opérationnelles qui ont amené l’intimée à choisir un processus non annoncé étaient amplement étayées par la preuve présentée à l’audience. L’intimée s’appuie notamment sur Brown c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 15.
[64] L’article 33 de la LEFP confère aux administrateurs généraux et à leurs gestionnaires délégataires un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix du processus de nomination. La LEFP n’établit aucune préférence entre les processus annoncés et les processus non annoncés. Ainsi, il est bien établi que les administrateurs généraux et leurs gestionnaires délégataires disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix du processus de nomination; voir, par exemple, Clout c. Sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 TDFP 22; Morris c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 9. Toutefois, ils doivent exercer ce pouvoir discrétionnaire de façon conforme à l’objet de la LEFP et en instaurant des pratiques d’emploi équitables et transparentes; voir Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 7.
[65] Autrement dit, le fait de choisir un processus non annoncé ne constitue pas, en soi, un abus de pouvoir. Pour que la Commission accueille une plainte d’abus de pouvoir dans le choix d’un processus, le plaignant doit montrer que, selon la prépondérance des probabilités, la décision de l’administrateur général de choisir un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir; voir Jarvo c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, au par. 7.
[66] La plaignante est donc tenue de montrer que, selon la prépondérance des probabilités, ses allégations d’abus de pouvoir sont fondées. Ces allégations doivent reposer sur la plainte présentée à la Commission. Il importe de mentionner que sa plainte portait sur la nomination de la personne nommée pour une période indéterminée au terme d’un processus non annoncé faisant suite à des nominations intérimaires antérieures.
[67] Aucun renseignement n’a été fourni sur la durée ou, le cas échéant, la prolongation de la nomination intérimaire en cause. Il m’est donc impossible de statuer sur la question de savoir si la plaignante aurait eu un droit de recours devant la Commission pour contester la nomination intérimaire de la personne nommée. Or, ce qui est certain, c’est que la plaignante n’a pas présenté de plainte concernant les nominations intérimaires de la personne nommée et elle ne peut pas maintenant remonter dans le temps pour contester une nomination intérimaire qui a eu lieu il y a des années.
[68] Il n’en découle toutefois pas que les arguments et la preuve de la plaignante concernant ces nominations intérimaires antérieures n’ont aucune pertinence. En effet, ils font partie du contexte de sa plainte relative au choix d’un processus non annoncé, surtout en ce qui concerne son allégation vague selon laquelle l’intimée a depuis longtemps pour pratique généralisée d’utiliser des processus non annoncés pour nommer des personnes ayant occupé les postes en question à titre intérimaire. Je comprends que la question de l’équité et de la transparence des processus de nomination est indirectement liée à son allégation d’abus de pouvoir dans le choix du processus de nomination.
[69] Toutefois, la preuve présentée à l’audience n’était pas suffisante pour me permettre de conclure que l’intimée avait adopté une pratique comme celle qu’avait décrite la plaignante. Outre les vagues mentions faites par la plaignante d’autres situations au cours desquelles de longs intérims ont mené à des nominations pour une période indéterminée au terme de processus non annoncés, aucune preuve documentaire n’a été fournie à l’appui de cette allégation. De plus, les témoins de la plaignante, MM. George et Rinaldi, n’ont pas expressément traité de cette question dans leur témoignage à l’audience.
[70] Un élément central de la thèse de la plaignante est l’existence d’une entente entre l’intimée et son agent négociateur, selon laquelle l’intimée était tenue d’informer les employés de la Division de toute possibilité d’intérim et de leur permettre de manifester leur intérêt.
[71] Malheureusement, la preuve présentée à l’audience ne permettait pas de conclure qu’une telle entente existait à la période visée. MM. George, Rinaldi et Yau ont tous affirmé que le document [traduction] « Transparence en dotation - engagements de la direction » constituait un engagement pris par la direction de l’ASFC. C’est d’ailleurs ce qu’on peut déduire du titre et du contenu du document. Un engagement ne constitue toutefois pas une entente qui lie les parties.
[72] Même si une telle entente existait, MM. Rinaldi et Yau ont témoigné qu’un avis concernant la possibilité de nomination intérimaire avait été signifié aux employés, mais pas par écrit. La plaignante a déclaré qu’elle n’avait jamais reçu de lettre d’appel au sujet de la nomination intérimaire, mais elle n’a pas contesté le témoignage de MM. Rinaldi et Yau au sujet d’un appel d’intérêt lancé de vive voix.
[73] De plus, le témoignage de M. George appuyait généralement celui des deux autres témoins. Il ne se rappelait aucune situation où des possibilités de nominations intérimaires n’auraient pas été communiquées aux employés après l’engagement pris par la direction de l’ASFC visant l’accroissement de la transparence à cet égard. M. George étant le président de la section locale, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait été mis au courant de situations de ce type, étant donné que l’intimée s’était récemment engagée à communiquer les possibilités de nominations intérimaires aux employés.
[74] Dans ses observations finales, la plaignante a soutenu que, étant donné que MM. Rinaldi et Yau ne se souvenaient pas du moment où l’appel d’intérêt avait été lancé ni de la personne qui l’avait fait, la Commission devrait conclure que l’intimée n’avait pas lancé d’appel d’intérêt et qu’elle n’avait pas respecté la transparence et l’équité, et il y aurait lieu de tirer une conclusion de mauvaise foi. Je ne partage pas cet avis.
[75] Il n’est guère étonnant qu’un témoin ait du mal à se souvenir du nom de la personne qui a lancé un appel d’intérêt ou de la date à laquelle celui-ci a été lancé lorsqu’il est question d’une nomination intérimaire effectuée dans un environnement de travail où ce type de nomination est très courant, dans un contexte où le témoin est questionné plus d’un an et demi après les faits.
[76] De plus, étant donné que la plaignante n’a pas fourni la preuve d’une pratique généralisée ou de longue date consistant à utiliser des processus non annoncés pour nommer des personnes à des postes qu’elles occupaient déjà à titre intérimaire, la question de savoir si un appel d’intérêt a bel et bien été lancé a peu de pertinence, voire aucune, pour déterminer si l’intimée a abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé des années plus tard.
[77] Le choix d’un processus est normalement étayé par une justification écrite de l’administrateur général. Dans le présent cas, cette explication était fournie dans la justification de décision de sélection préparée et signée par M. Yau. M. Rinaldi a également apposé sa signature sur ce document.
[78] La justification de la décision de sélection est détaillée et elle énonce les besoins opérationnels sérieux et urgents qui ont contraint l’intimée à nommer la personne nommée au terme d’un processus non annoncé. La justification indique qu’un changement au sein de la direction de l’unité de GRLR à un moment aussi crucial aurait pu empêcher la Division de se préparer adéquatement en vue de la transition vers le GCRA.
[79] À l’audience, M. Yau a présenté un témoignage qui concordait avec la justification qu’il avait rédigée en 2022. Son témoignage était clair, concis et crédible. Comme il a été précisé dans le résumé de la preuve, M. Yau a affirmé que les facteurs qui l’avaient amené à choisir un processus non annoncé étaient le climat de travail, la nécessité de préparer l’unité de GRLR en vue de la transition vers le GCRA et la nature des qualifications requises pour le poste.
[80] L’unité de GRLR se préparait en vue de la transition vers le GCRA. Il fallait éliminer le plus possible, voire entièrement, l’arriéré de demandes au sein de l’unité pour assurer son état de préparation en vue de la transition. La plaignante n’était pas d’accord avec M. Yau quant à l’importance qu’il accordait à cette transition ou à la portée du travail requis de la part de la direction pour se préparer en vue de cette transition, mais elle n’a présenté aucune preuve objective pour prouver le contraire.
[81] La plaignante n’a pas non plus contesté les arguments de M. Yau, énoncés dans son témoignage et dans sa justification de la décision de sélection, concernant le climat de travail et les répercussions possibles d’un changement de direction sur ce climat à un moment aussi crucial pour l’unité de GRLR et la Division dans son ensemble.
[82] Dans son témoignage, la plaignante a répondu aux arguments de l’intimée concernant l’unique agencement de qualifications qui étaient requises pour le poste. Toutefois, la preuve qu’elle a présentée à cet égard portait surtout sur ses connaissances et son expérience de travail. Elle a comparé sa candidature à celle de la personne nommée et a soutenu que cette dernière n’était pas la seule qui possédait cet agencement unique de qualifications.
[83] Je comprends que la plaignante juge qu’il est injuste que sa candidature n’ait pas été prise en considération. Elle possédait une vaste expérience et des connaissances pertinentes. Elle était intéressée par une nomination constituant une promotion. Toutefois, la décision de prendre en considération la candidature d’une seule personne, comme l’intimée l’a fait dans le présent cas, est expressément autorisée à l’article 30(4) de la LEFP. L’affirmation de la plaignante selon laquelle elle était qualifiée pour le poste elle aussi n’établit pas que l’intimée a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination en cause; voir Jack c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 26, au par. 18; voir aussi Clout, aux paragraphes 31 et 32.
[84] Comme il a été mentionné précédemment, il y avait un bassin FB‐06 en vigueur à l’époque. L’intimée a néanmoins décidé de ne pas doter le poste en nommant un candidat issu de ce bassin. Selon le témoignage de M. Yau à l’audience, le bassin ne contenait plus de candidats ayant de l’expérience dans le domaine de l’observation des programmes commerciaux. Il avait déjà décidé que le gestionnaire de l’unité de GRLR devrait posséder une expérience appréciable de l’observation des programmes commerciaux.
[85] Dans la justification de la décision de sélection, il n’est pas mentionné que la décision de l’intimée de ne pas utiliser le bassin était attribuable à l’absence de candidats possédant l’expérience requise. Il est plutôt indiqué que le bassin n’a pas été utilisé parce que la personne nommée était jugée essentielle au succès de l’unité de GRLR et à la transition vers le GCRA.
[86] À mon avis, les deux explications susmentionnées ne sont pas contradictoires ni incompatibles. M. Yau avait déterminé que l’expérience de l’observation des programmes commerciaux et les connaissances connexes étaient des exigences importantes, compte tenu des défis qu’avaient alors à relever l’unité de GRLR et la Division dans son ensemble ainsi que des défis à venir. La plaignante n’a pas contesté l’affirmation de M. Yau selon laquelle le bassin ne contenait plus de candidats possédant cette expérience. Il est possible qu’il n’y ait plus eu de candidats possédant l’expérience de l’observation des programmes commerciaux dans le bassin, tout comme il est possible que la personne nommée ait été jugée essentielle au succès de l’unité de GRLR et à la transition vers le GCRA. Ces affirmations ou conclusions ne s’excluent pas mutuellement ni ne sont contradictoires.
[87] Pour conclure sur cette question, je conviens qu’un recours abusif aux processus non annoncés pourrait entraîner une baisse de motivation et un découragement chez les employés qui aimeraient voir leur candidature prise en considération pour une promotion et avoir la possibilité de manifester leur intérêt. Cependant, aucune preuve n’a été fournie à la Commission pour étayer une conclusion selon laquelle le choix de l’intimée d’avoir recours à un processus non annoncé pour nommer la personne nommée au poste de gestionnaire des opérations commerciales régionales constituait un abus de pouvoir.
B. L’évaluation des critères de mérite
[88] À l’audience, la plaignante a soutenu que l’intimée avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite du poste en cause en se fondant sur des renseignements inappropriés ou incomplets. Selon la plaignante, le gestionnaire délégataire, M. Yau, ne pouvait pas raisonnablement attester que la personne nommée satisfaisait aux critères de mérite en se fondant uniquement sur son curriculum vitæ, sa connaissance personnelle du travail accompli par la personne nommée lorsqu’il la supervisait et une évaluation du rendement préparée par quelqu’un d’autre. La plaignante invoque Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, et Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48.
[89] L’intimée a soutenu que le gestionnaire délégataire avait préparé une évaluation narrative détaillée qui démontrait que la personne nommée satisfaisait à tous les critères de mérite au moment de sa nomination. Le gestionnaire délégataire s’est fondé sur des sources d’information acceptables et appropriées pour évaluer sa candidature, y compris sur l’ensemble des documents écrits qu’elle avait produits.
[90] Selon l’intimée, le fait que la plaignante ait pu être qualifiée pour le poste et intéressée par cette possibilité n’a rien à voir avec la question de savoir s’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite. Suivant la jurisprudence de la Commission, l’administrateur général dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour choisir la personne à nommer parmi les candidats, et les candidats intéressés ne bénéficient pas d’un droit d’accès garanti à une nomination. L’intimée se fonde sur Jack et Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24.
[91] Le libellé de la LEFP et la jurisprudence connexe fournissent une orientation pertinente à la Commission lorsqu’elle doit statuer sur une plainte relative à la dotation. Dans les paragraphes suivants, j’énonce des principes bien connus et bien établis.
[92] Les nominations doivent être fondées sur le mérite, aux termes de l’article 30(1) de la LEFP. Le mérite pour un poste donné est établi en fonction des critères de mérite. Les administrateurs généraux ont le pouvoir d’établir les critères de mérite relatifs aux postes qu’ils ont l’intention de doter; voir l’article 30(2). Pour ce faire, ils disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire; voir Visca, au par. 42. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu. Les critères de mérite établis par l’administrateur général doivent être liés au travail à accomplir et respecter ou dépasser les normes de qualification applicables; voir l’article 31.
[93] Avant de procéder à une nomination, l’administrateur général doit s’assurer que la personne en question satisfait aux critères de mérite au moment de la nomination; voir l’article 30(2)a) de la LEFP. Pour décider si une personne possède les qualifications pour le poste, l’administrateur général peut avoir recours à toute méthode d’évaluation qu’il estime indiquée; voir l’article 36 de la LEFP.
[94] À l’audience, la plaignante n’a pas allégué ni soutenu que la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères du poste sur le plan des études, de l’expérience et des qualités personnelles. Toutefois, comme il a déjà été mentionné, la plaignante a soutenu que M. Yau n’avait pas raisonnablement pu attester que la personne nommée satisfaisait aux critères de mérite en se fondant uniquement sur son curriculum vitæ, sa connaissance personnelle du travail accompli par la personne nommée lorsqu’il la supervisait et une évaluation du rendement préparée par quelqu’un d’autre.
[95] Cet argument n’est pas étayé par les exigences de la LEFP ni par la jurisprudence de la Commission et de ses prédécesseurs. Le recours à la connaissance personnelle peut constituer un outil d’évaluation légitime; voir Robertson c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 11, au par 63, et De Santis c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2016 CRTEFP 34, au par. 33. Je ne vois aucune raison de principe pour laquelle le gestionnaire délégataire ne pourrait pas se fonder sur une évaluation du rendement préparée par quelqu’un d’autre pour évaluer si un candidat satisfait aux critères de mérite. Rien dans la LEFP ni dans la jurisprudence ne permet de conclure que l’administrateur général n’est pas autorisé à évaluer une candidature en se fondant sur une évaluation du rendement préparée par un autre superviseur ou gestionnaire. Au contraire, le fait que l’évaluation du rendement ait été préparée par une autre personne pourrait sans doute, dans des circonstances comme celles du présent cas, ajouter un élément d’objectivité à l’évaluation des critères de mérite.
[96] À l’audience, la plaignante n’a pas maintenu son allégation selon laquelle la personne nommée avait été évaluée en fonction d’un « Énoncé des critères de mérite » moins strict que celui qui avait été utilisé au cours d’un processus annoncé antérieur visant la dotation du même poste, et elle n’a pas non plus remis en question ni contesté les critères de mérite établis par l’intimée.
[97] Dans son contre-interrogatoire de M. Yau et dans ses observations finales, la plaignante s’est principalement concentrée sur la façon dont l’intimée avait évalué la capacité de communiquer efficacement par écrit de la personne nommée. Elle a soutenu que l’intimée avait abusé de son pouvoir en se fondant sur l’évaluation faite par M. Yau de l’ensemble des documents écrits de la personne nommée, plutôt que de se fonder sur des types ou des catégories précis de textes qu’elle avait rédigés afin d’établir si elle satisfaisait au critère relatif à la capacité de communiquer efficacement par écrit.
[98] Il était loisible à l’intimée de choisir la méthode d’évaluation qu’elle jugeait appropriée pour évaluer la capacité de communiquer efficacement par écrit. Il lui était aussi loisible de se fonder sur la connaissance personnelle de M. Yau et sur son évaluation des compétences en rédaction de la personne nommée. M. Yau avait supervisé la personne nommée pendant une longue période et avait reçu quotidiennement de nombreuses communications écrites de sa part.
[99] Rien dans la LEFP ni dans la jurisprudence ne permet de conclure que l’administrateur général n’est pas autorisé à évaluer l’ensemble des documents écrits produits par un candidat. De plus, il n’est pas interdit à l’administrateur général, dans le cadre de son évaluation, de prendre en considération des documents écrits produits par une autre personne et que le candidat aurait révisés pour en améliorer la clarté et l’exhaustivité.
[100] L’administrateur général doit être convaincu que le candidat a démontré qu’il possédait la compétence de communiquer efficacement par écrit. Les documents écrits produits par le candidat doivent donc faire partie de cette évaluation. Toutefois, les documents écrits produits par une autre personne et révisés par le candidat dans le cadre de ses fonctions n’ont pas à être écartés, puisqu’ils peuvent également fournir des renseignements pertinents, particulièrement lorsqu’ils s’adressent à des destinataires comme des cadres supérieurs.
[101] Dans le présent cas, les pièces de correspondance qui faisaient partie des documents écrits de la personne nommée variaient sur le plan du fond et de la forme. Il y avait notamment beaucoup de pièces de correspondance produites par la plaignante. Après avoir examiné la description des pièces de correspondance fournie par M. Yau, je suis convaincue que leur quantité était suffisante et que leur nature était suffisamment variée pour permettre à l’intimée d’évaluer avec diligence et rigueur les compétences de rédaction de la personne nommée.
[102] L’intimée a évalué la personne nommée en fonction des critères de mérite établis pour le poste. Pour ce faire, elle a utilisé une méthode d’évaluation qu’elle estimait indiquée. Suivant la LEFP, il lui était loisible de se fonder sur la connaissance personnelle du gestionnaire délégataire, sur le curriculum vitæ de la personne nommée et sur une évaluation du rendement la concernant. Compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée à l’audience, je conclus que l’intimée n’a pas abusé de son pouvoir dans l’évaluation du mérite.
IV. Conclusion
[103] La plaignante est maintenant à la retraite et l’était déjà depuis un certain temps à la date de l’audience, mais sa déception et sa frustration de ne pas avoir eu accès à des promotions qui l’intéressaient étaient encore bien vives. La plaignante avait travaillé pour l’intimée pendant très longtemps. Elle croyait qu’elle était qualifiée pour le poste et elle aurait voulu que sa candidature soit prise en considération. Toutefois, la LEFP confère aux administrateurs généraux un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix du processus de nomination et l’évaluation du mérite. La plaignante désapprouve peut-être la décision et les mesures prises par l’intimée, mais la preuve présentée à l’audience m’amène à conclure que l’intimée n’a pas abusé de son pouvoir.
[104] Pour conclure, j’aimerais adresser les commentaires suivants aux représentantes de la plaignante et de l’intimée.
[105] L’audience tenue dans le présent cas était la première fois que les représentantes des deux parties comparaissaient devant la Commission pour une question liée à la dotation. Je tiens à les féliciter pour la qualité de leurs arguments et pour la collaboration dont elles ont fait preuve tout au long de l’audience.
[106] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[107] La plainte est rejetée.
Le 7 janvier 2025.
Traduction de la CRTESPF
Amélie Lavictoire,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral