Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La plaignante a déposé une plainte au motif que l’intimé avait abusé de son pouvoir aux termes de l’al. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) dans le cadre d’un processus de nomination annoncé – ce processus visait à doter les postes de responsable des agents de libération conditionnelle et de gestionnaire, Centre correctionnel communautaire (CCC), classifiés au groupe et au niveau WP-05 – la plaignante a allégué que l’évaluation de son examen écrit par le gestionnaire dont il est question suscite une crainte raisonnable de partialité en raison des remarques qu’il a tenues à son égard et des interventions qu’elle a faites en sa qualité de présidente de la section locale – l’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite – il a soutenu que la preuve n’étaye pas l’allégation de crainte raisonnable de partialité ou de conflit d’intérêts entre la plaignante et le gestionnaire en raison de ses responsabilités syndicales – la Commission a déterminé que l’intimé avait abusé de son pouvoir, puisque les remarques formulées par le gestionnaire selon lesquelles la plaignante aurait de la difficulté à faire preuve d’impartialité et à demeurer non partisane, à certains égards, en raison de ses responsabilités syndicales, suscitent une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation de la candidature de la plaignante – la Commission a déclaré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite dans le cadre du processus de nomination, en raison d’une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation de la plaignante – la Commission a également déterminé que les circonstances du présent cas ne requéraient pas la révocation de la nomination de la personne nommée.
Plainte accueillie.
Contenu de la décision
Date: 20241213
Dossier: 771-02-42522
Référence: 2024 CRTESPF 177
des relations de travail et de l’emploi
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ENTRE
AndrÉanne Samson
plaignante
et
Administrateur Général
(Service correctionnel du Canada)
intimé
Répertorié
Samson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)
Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Devant : Adrian Bieniasiewicz, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale
Pour l’intimé : Maryse Lepage et Geneviève Brunet Baldwin, avocates
Pour la Commission de la fonction publique : Lissa Mussely et Fabien Vadnais, avocats
MOTIFS DE DÉCISION
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I. Plainte devant la Commission
[1] Andréanne Samson (la « plaignante ») a déposé une plainte au motif que l’administrateur général du Service correctionnel du Canada (l’« intimé » ou SCC) a abusé de son pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP) dans le cadre du processus de sélection annoncé 2019-PEN-IA-QUE-156219 (le « processus de sélection »). Ce processus visait à doter les postes de responsable des agents de libération conditionnelle et de gestionnaire, Centre correctionnel communautaire (CCC), classés au groupe et au niveau WP-05.
[2] Plus précisément, la plaignante allègue que l’évaluation de son examen écrit par le gestionnaire dont il est question suscite une crainte raisonnable de partialité en raison des remarques qu’il a tenues à son égard et des interventions qu’elle a faites en sa qualité de présidente de la section locale.
[3] L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir dans l’application du mérite. Essentiellement, il plaide que la preuve n’étaye pas l’allégation de crainte raisonnable de partialité ou de conflit d’intérêts entre la plaignante et le gestionnaire en raison de ses responsabilités syndicales.
[4] La Commission de la fonction publique (CFP) a participé à l’audience. Quoiqu’elle ne se soit pas prononcée sur le bien-fondé de la plainte, elle a présenté des arguments visant à réfuter l’allégation initiale de la plaignante selon laquelle elle était une partie intimée dans le présent dossier, au même titre que l’intimé. Cela étant dit, la plaignante a concédé, lors des plaidoiries de clôture, que la CFP n’est pas une partie intimée dans la présente plainte.
[5] Pour les raisons qui suivent, j’ai déterminé que l’intimé a abusé de son pouvoir. Plus précisément, je suis d’avis que les remarques formulées par le gestionnaire selon lesquelles la plaignante aurait de la difficulté à faire preuve d’impartialité et demeurer non partisane, à certains égards, en raison de ses responsabilités syndicales, suscitent une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation de la candidature de la plaignante.
II. Ordonnance de mise sous scellés et de confidentialité
[6] Avant le début de l’audience, l’intimé et la CFP ont demandé que certains documents soient mis sous scellés afin de protéger la validité ou l’utilisation continue de tout ou partie d’un test standardisé préparé par le Centre de psychologie du personnel (CPP). Après avoir considéré les arguments des parties, j’ai déterminé que la demande satisfait au critère à trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, formulé comme suit :
1) la publicité des débats judiciaires pose-t-elle un risque sérieux pour un intérêt public important?;
2)l’ordonnance sollicitée est-elle nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque?;
3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent-ils sur ses effets négatifs?
[7] Plus spécifiquement, je suis d’accord avec les arguments de l’intimé et de la CFP selon lesquels permettre au public d’accéder aux documents identifiés ci-dessous pose un risque sérieux pour un intérêt public important. Certes, protéger le principe du mérite dans le contexte des processus de dotation dans la fonction publique fédérale, en préservant la validité ou l’utilisation continue de tout ou partie d’un test standardisé, est dans l’intérêt public. Le principe du mérite permet notamment de maintenir la confiance du public dans le régime de dotation dans la fonction publique fédérale. Son importance est d’ailleurs codifiée à l’alinéa 17(4)c) et au paragraphe 17(5) du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6; le « Règlement »).
[8] Quant au deuxième volet du critère, je suis d’avis que le risque est en lien avec la divulgation des documents identifiés dans l’ordonnance ci-dessous. Je ne crois pas qu’il y ait d’autres mesures raisonnables permettant d’écarter le risque appréhendé. Compte tenu de l’information contenue dans les documents en question, je ne crois pas que leur caviardage serait une mesure raisonnable et suffisante dans les circonstances.
[9] Considérant ce qui précède, je considère que les avantages de l’ordonnance de confidentialité l’emportent sur les effets préjudiciables au principe de la publicité des débats judiciaires.
[10] Par conséquent, j’ai entériné le projet d’ordonnance de mise sous scellés et de confidentialité proposé conjointement par toutes les parties et j’ai ordonné que :
2) le représentant de la plaignante, la plaignante et Anne Côté, pour l’intimé, informent la CFP qu’ils ont été exposés au contenu des documents identifiés au paragraphe 1 ci-dessus, s’ils participent à un processus de recrutement interne au sein de la fonction publique fédérale utilisant les tests de simulation 528 ou 557. Cet engagement demeure en vigueur tant et aussi longtemps que ces tests sont utilisés par la CFP;
3) le représentant de la plaignante ne copie pas, ne photocopie pas ou autrement reproduit les documents identifiés au paragraphe 1 ci-dessus, en tout ou en partie, et ne les transmet pas à la plaignante.
[11] J’ai également imposé un huis clos pour la partie de l’audience durant laquelle le contenu des documents identifiés au paragraphe 1 de mon ordonnance a été discuté.
III. Résumé de la preuve
[12] À l’été 2019, la plaignante a présenté sa candidature dans le cadre du processus de sélection. À ce moment, elle occupait le poste d’agente de libération conditionnelle au bureau de libération conditionnelle de Ville-Marie, classé au groupe et au niveau WP-04. En résumé, ses fonctions consistaient à s’assurer que les délinquants, parfois dangereux, respectent les conditions qui leur ont été imposées. Elle avait approximativement 9 années d’expérience dans ce domaine de travail.
[13] Il y a quatre CCC dans le district Montréal métropolitain à savoir le CCC Hochelaga, le CCC Martineau, le CCC Ogilvy et le CCC Sherbrooke. Les CCC sont des établissements résidentiels pour délinquants sous responsabilité fédérale, gérés par le SCC. Y sont hébergés des personnes en diverses formes de libération comme la semi-liberté, la libération conditionnelle totale, et la libération d’office, incluant ceux sous ordonnance de surveillance longue durée. Selon la plaignante, la clientèle dans les CCC est instable et elle est à risque de récidive. Le CCC Martineau offre également des services spécialisés en santé mentale. Il héberge des délinquants qui ont des déficiences intellectuelles et des problèmes de santé mentale, parfois lourds.
[14] Parallèlement à son emploi, la plaignante assumait des responsabilités syndicales depuis 2014. Durant la période pertinente, elle occupait le poste de présidente de la section locale no 10088, Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice (SESJ). Il s’agit d’un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). À l’automne 2019, la plaignante a pris congé pour aller travailler au bureau régional de l’AFPC comme conseillère syndicale.
[15] Selon la plaignante, le SCC baigne dans une culture militaire. On ne questionne pas, et si on le fait, on se fait juger. À partir de la deuxième moitié de 2017, la plaignante a mené « plusieurs combats chauds » dans les CCC en sa qualité de présidente de la section locale. Durant toute la période pertinente, Michel Morin occupait le poste de directeur de secteur intérimaire et était responsable de quatre CCC identifiés précédemment. M. Morin a évalué la plaignante dans le cadre du processus de sélection et il est visé par une allégation de crainte raisonnable de partialité. Les incidents décrits par la plaignante se résument comme suit.
A. Incident du 1er août 2017, CCC Martineau
[16] Le 1er août 2017, en raison du mécanisme défectueux des portes, un bénéficiaire a pénétré dans la zone sécurisée des employés avec une lame de rasoir. Il s’y est barricadé et mutilé devant des employés membres du SESJ. Une intervention policière spécialisée (SWAT) a été nécessaire pour évacuer le bénéficiaire du CCC. Plusieurs employés ont été ébranlés par l’événement. À la suite de l’incident, la plaignante a demandé à M. Morin de mettre en place plusieurs mesures de sécurité pour apaiser le sentiment de peur chez les employés. La plaignante a aussi demandé au vice-président syndical de l’époque de soulever les problèmes de sécurité au CCC Martineau, dont M. Morin était le directeur, auprès de la sous-commissaire du SCC. Selon la plaignante, il y avait un sentiment de peur chez les employés membres que les choses n’allaient pas assez vite.
B. Incident du 28 décembre 2017, CCC Martineau
[17] Le deuxième incident s’est produit le 28 décembre 2017. Un délinquant a lancé un extincteur d’incendie à travers une vitre de l’aire sécurisée des employés. L’employé sur les lieux a dû activer son bouton de panique.
C. Incident du 31 décembre 2017, CCC Martineau
[18] Le 31 décembre 2017, il y a eu du grabuge sur une autre porte de l’aire sécurisée. Vu l’absence de caméras de surveillance, le malfaiteur n’a pas pu être identifié.
[19] La plaignante a discuté avec M. Morin de ces incidents ainsi que de la problématique liée à la sécurité des lieux. Ses membres la contactaient pour connaître la stratégie visant à rendre le milieu de travail plus sécuritaire. Ils se sentaient en danger.
D. Plainte en vertu du Code canadien du travail
[20] Selon la plaignante, M. Morin n’a pas pris d’actions immédiates pour sécuriser le CCC. Constatant l’inaction de M. Morin, la plaignante a suggéré aux membres employés du CCC Martineau de déposer une plainte en vertu de l’article 127.1 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code ») (« plainte en vertu de l’article 127.1 du Code »). Les employés ont déposé la plainte le 5 janvier 2018. La plaignante a aidé les membres à la rédiger et les a guidés au niveau de son dépôt. Selon la plaignante, M. Morin savait qu’elle y était impliquée.
[21] La plaignante a témoigné que sa relation avec M. Morin était extrêmement tendue en janvier 2018. La plaignante essayait de trouver une solution avec l’employeur pour éviter que des incidents similaires ne se reproduisent. M. Morin ne comprenait pas pourquoi les employés avaient déposé la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code. Il banalisait les incidents. Selon lui, il s’agissait d’incidents isolés; le délinquant ne visait pas un employé en particulier et la sécurité était la responsabilité de tous. Bref, il était d’avis qu’il ne s’agissait que d’une autre difficulté avec un détenu en santé mentale. Selon la plaignante, cette situation a donné lieu à des tensions et le ton montait entre elle et M. Morin.
[22] Lors de sa rencontre avec M. Morin en début de janvier 2018, à la suite du dépôt de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code, la plaignante a noté qu’il y avait une discordance au niveau du sérieux de la situation. Il est à noter que trois autres personnes étaient présentes lors de la rencontre. La plaignante a mentionné à M. Morin que les employés n’étaient pas contents, qu’ils craignaient pour leur sécurité et qu’ils n’iraient pas travailler dans l’aire administrative au 2 étage du CCC Martineau où les incidents se sont déroulés tant qu’elle n’aurait pas reçu de sa part une réponse écrite à la plainte. Elle a ajouté que sans mesures de sécurité additionnelles, elle allait demander aux membres de maintenir la plainte.
[23] M. Morin a répondu par écrit à la plainte le 11 janvier 2018. Il y résume la rencontre du 9 janvier, fait des recommandations et propose des pistes de solutions. Vers la fin de la réponse, M. Morin indique qu’il s’attend à ce que les employés membres du SESJ réintègrent les bureaux du 2e étage le 15 janvier 2018. Le 12 janvier 2018, les employés ont répondu qu’ils allaient évaluer de nouveau le risque que représente le retour au 2e étage avant d’y retourner. Cette réponse a été rédigée par la plaignante.
[24] La plainte en vertu de l’article 127.1 du Code a été ultimement renvoyée à Emploi et Développement social Canada (EDSC) pour enquête le 14 février 2018. La plaignante a aidé avec la rédaction du formulaire d’enregistrement de la plainte. EDSC a accueilli la plainte et M. Morin a été informé qu’une inspection du CCC Martineau aura lieu le 28 mars 2018 pour comprendre l’ensemble du problème. Selon la plaignante, M. Morin en a été très contrarié. Il a écrit un courriel un peu en panique pour savoir quand et en vertu de quel article EDSC allait enquêter. La situation était tendue et conflictuelle entre la plaignante et M. Morin. Ce dernier était irrité. Son ton était sec et froid.
E. Problèmes au CCC Hochelaga
[25] En février 2018, la plaignante a eu une nouvelle confrontation avec M. Morin au sujet de boutons de panique portatifs, soit le seul outil de sécurité avec des caméras, au CCC Hochelaga. Le CCC Hochelaga accueille des délinquants sexuels à haut risque et les employés qui y travaillent sont majoritairement des femmes. Ce problème avait déjà été soulevé lors d’une rencontre de santé et sécurité au travail. C’était une situation connue.
F. Problèmes de salubrité, CCC Martineau
[26] Toujours en début de 2018, la plaignante a soulevé avec M. Morin des problèmes de salubrité au CCC Martineau. Elle lui a suggéré que des services d’une firme de nettoyage soient retenus pour remédier au problème. Le supérieur de M. Morin en a eu vent et a dit à M. Morin que « son CCC est sale ». M. Morin n’était pas content et sur la défensive. Il en était irrité. Il n’était pas d’accord avec la solution proposée par la plaignante. M. Morin a discrédité les préoccupations soulevées par la plaignante auprès de son supérieur, le directeur de district par intérim. Selon M. Morin, la situation était sous contrôle et les tâches de nettoyage reviennent aux résidents. Dans son témoignage, la plaignante a également fait référence au courriel de la gestionnaire du CCC Martineau dans lequel elle confirme qu’il y avait des problèmes de salubrité à certains égards.
[27] Lors d’une rencontre patronale-syndicale qui s’est tenue le 22 février 2018, la plaignante a réitéré les problèmes existants au niveau de la santé et sécurité au travail au CCC Martineau et ceux en lien avec les boutons de panique au CCC Hochelaga. Elle a fait des pressions pour que les choses bougent. Le même jour, à la suite de la rencontre patronale-syndicale, M. Morin lui a envoyé un courriel dans lequel il mentionne que les alarmes fonctionnent et que l’endroit est sécuritaire. Selon elle, M. Morin ne reconnaissait pas les faits.
G. Rénovations au CCC Ogilvy
[28] En mars 2018, la plaignante a fait connaître à M. Morin son mécontentement en lien avec des travaux de rénovation au CCC Ogilvy, car lors d’une des rencontres du comité local de santé et sécurité au travail, il avait été rapporté que des traces d’amiante pouvaient y être présentes dans les joints et le plâtre. Elle a demandé aux employés membres du SEJS d’être vigilants. Elle a contacté M. Morin et a demandé que des tests de qualité de l’air soient faits et qu’un rapport d’incident soit produit. Selon la plaignante, M. Morin était irrité par son appel.
H. Sorties médiatiques
[29] La plaignante a fait deux sorties médiatiques pour dénoncer les conditions et la charge de travail des membres, ainsi que pour défendre leur travail. L’employeur ne l’a pas apprécié et, en ce qui a trait à la deuxième sortie médiatique qui a eu lieu en janvier 2020, un gestionnaire lui a crié après, lors d’une rencontre patronale-syndicale.
[30] Selon la plaignante, sa relation avec M. Morin entre début 2018 et été 2019 était tendue et difficile. Cette situation dépassait la relation normale entre un représentant de l’employeur et un représentant syndical. Quand elle a soumis sa candidature dans le cadre du processus de sélection, ses relations avec M. Morin étaient difficiles. Ils vivaient des situations conflictuelles de façon simultanée et très ouvertement. Elle a tenu tête à M. Morin et l’a souvent critiqué ouvertement.
[31] La plaignante a témoigné que M. Morin et une autre gestionnaire, Karine Dutil, étaient impliqués dans le processus de sélection. La plaignante a passé les deux premières épreuves, mais a échoué la troisième qui avait pour objectif d’évaluer deux compétences clé en leadership, à savoir : « [p]réserver l’intégrité et le respect » et « [p]romouvoir l’innovation et orienter le changement ». Ces compétences étaient évaluées à l’aide de l’outil d’évaluation DRC. Le DRC est conçu et fourni par la CFP. La plaignante se rappelle d’avoir été invitée à une séance de formation en lien avec le DRC offerte par la Dre Caroline van de Velde, spécialiste de l’évaluation, du CPP. Toutefois, elle n’a pas pu y participer en raison de sa charge de travail. Elle a demandé de reprendre la séance, toutefois, aucune autre séance n’était offerte. Elle a pu tout de même contacter la Dre van de Velde pour y poser des questions en lien avec le DRC.
[32] En juin 2020, après avoir été avisée qu’elle n’avait pas réussi, elle a demandé une discussion informelle. Elle a eu lieu le 7 juillet 2020. C’est lors de cette discussion qu’elle a appris que M. Morin avait coté son DRC. La plaignante est d’avis qu’avec les exemples de situations qu’elle a fournis dans le DRC, M. Morin pouvait facilement l’identifier.
[33] Durant la rencontre, la plaignante et M. Morin ont passé en revue chacune des compétences, ainsi que les indicateurs de comportement y afférents. La plaignante prenait des notes. Lorsqu’ils sont arrivés à l’indicateur de comportement « [e]xécute les décisions de manière impartiale, transparente et non partisane », lié à la compétence « [p]réserver l’intégrité et le respect », M. Morin a mentionné que la plaignante avait de la difficulté à agir de façon impartiale et non partisane en raison de ses responsabilités syndicales. La plaignante a témoigné qu’elle est restée un peu sous le choc. Elle a répété à M. Morin mot par mot ce qu’elle avait entendu. Il lui a confirmé que c’était bien le cas. Elle a retenu de cette rencontre que, parce qu’elle est représentante syndicale, elle était incapable d’adopter un certain comportement ou une certaine attitude. Par courriel du 14 juillet 2020, elle a soumis à M. Morin, en pièce jointe, un résumé de leur discussion. L’extrait pertinent du résumé se lit comme suit :
[...]
Puis, nous avons discuté du troisième indicateur, soit d’Exécuter les décisions de manière impartiale, transparente et non-partisane [sic]. J’aurais également échoué cet indicateur. En fait, l’exemple mentionné pour celui-ci fait état d’une situation où j’apportais un point dans le cadre d’une rencontre patronale-syndicale à titre de représentante syndicale. Tu m’as alors mentionné que lorsque que [sic] je représente des membres, il s’avère difficile pour moi de faire preuve d’impartialité et d’être non-partisane. Pour m’assurer d’avoir bien entendu et compris tes propos, j’ai tenu à te dicter textuellement ta réponse. Tu as alors validé cette dernière. Tu m’as demandé si j’avais compris celle-ci, ce en quoi j’ai répondu par la positive. J’ai toutefois tenu à te préciser que je n’étais pas en accord avec cette dernière.
[...]
[34] Le courriel se termine par la phrase suivante : « Si je ne reçois pas de nouvelle d’ici vendredi le 17 juillet, je prendrai pour acquis qu’aucun ajout ne s’avère nécessaire. »
[35] M. Morin a répondu au courriel de la plaignante le 17 juillet 2020. L’extrait pertinent de son courriel se lit comme suit :
[...]
Je suis surpris de ton document en lien avec la rétroaction / discussion informelle qui s’est déroulée le 7 juillet 2020 vers 13h30. Considérant les objectifs et la raison d’être de la rétroaction et de la discussion informelle (tel qu’indiqué plus bas), je n’émettrai aucun commentaire sur le contenu du document que tu m’as soumis.
[...]
[36] La plaignante a déposé un grief pour contester l’attitude de M. Morin qui, selon elle, était discriminatoire à son endroit en raison de ses fonctions syndicales.
[37] En contre-interrogatoire, la plaignante a confirmé que c’est pour le poste de responsable des agents de libération conditionnelle WP-05 qu’elle a soumis sa candidature.
[38] M. Morin a été son superviseur immédiat très brièvement, pour quelques mois seulement, à partir du mois de février ou mars 2020. En ce qui concerne la fréquence de ses rencontres avec M. Morin dans le cadre de ses fonctions syndicales durant la période pertinente, soit à partir de 2017, elle était minimalement quatre fois par an lors de réunions patronales-syndicales. Ils avaient aussi des échanges de courriels et téléphoniques soutenus. Elle se rappelle d’avoir également eu une rencontre de suivi avec M. Morin en début du mois de janvier 2018, à la suite du dépôt de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code. Après janvier 2018, elle n’avait plus vraiment de rencontres formelles avec M. Morin. Leurs échanges étaient plus par courriel et par téléphone.
[39] La plaignante a confirmé que la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code avait été déposée par ses membres et qu’elle ne l’avait pas signée. Cependant, bien que l’employeur n’était pas au courant de l’étendue de son implication dans la plainte, il en était conscient de son implication.
[40] La plaignante a confirmé que les échanges qu’elle avait qualifiés d’extrêmement tendus avec M. Morin avaient eu lieu lors des rencontres et dans les courriels. Lors de la réunion du 9 janvier 2018, M. Morin a minimisé l’importance de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code.
[41] En ce qui a trait aux échanges de courriels concernant la problématique touchant les boutons de panique portatifs, la plaignante a admis que M. Morin n’avait pas écrit que les demandes étaient futiles, comme elle a indiqué dans son témoignage. C’était plutôt son interprétation du courriel de M. Morin du 22 mars 2018, considérant que les mesures de sécurité demandées n’étaient pas mises en place. Enfin, la plaignante n’a pas pu préciser quel élément précis du courriel de M. Morin à EDSC du 19 mars 2018, où il posait des questions concernant l’inspection du CCC Martineau à la suite de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code, lui donnait l’impression qu’il était en panique. Elle a confirmé que c’est Nawel Dendani, agente de santé mentale au CCC Martineau qui était la représentante des plaignants dans la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code.
[42] La plaignante a cité Yves Bernard comme son prochain témoin. M. Bernard est un ancien employé avec le SCC. Durant la période pertinente, il était le responsable des agents de libération conditionnelle, au groupe et au niveau WP-05, au bureau de libération conditionnelle de Ville-Marie. Il a commencé à travailler avec M. Morin au début de la pandémie, lorsque ce dernier y est venu en affectation.
[43] M. Bernard a témoigné que, vers la fin du mois de septembre ou début d’octobre 2017, M. Morin lui avait dit qu’« il avait de la difficulté à composer avec la plaignante ».
[44] En contre-interrogatoire, M. Bernard a précisé que ce commentaire avait été fait lors d’un 5 à 7, à l’extérieur du cadre professionnel. Il a partagé ce commentaire avec le représentant de la plaignante et la plaignante dans le cadre du présent dossier, il y a 4 à 6 mois.
[45] Lorsque l’avocate de l’intimé lui a demandé si ce sont ces mots exacts que M. Morin avait prononcé au sujet de la plaignante lors du 5 à 7, M. Bernard a répondu qu’il ne pouvait pas le confirmer. Toutefois, il se rappelle des mots suivants prononcés par M. Morin : « Andréanne » et « difficile ». C’est le seul moment que M. Morin a partagé ses états d’âmes au sujet de la plaignante.
[46] La CFP a cité comme son seul témoin la Dre Aoife Brennan. Depuis septembre 2023, la Dre Brennan est à la tête de Services de défense des examens au sein de la division Recherche et Développement, qui fait partie du CPP de la CFP. Le CPP offre aux ministères et agences fédéraux des outils et services d’évaluation qui peuvent être utilisés pour le recrutement, la sélection ou le développement du personnel. En ce qui concerne l’unité des Services de défense des examens, sa principale tâche est de gérer les contestations des tests de la CFP. À toutes les époques pertinentes, la Dre Brennan occupait le poste de psychologue principale responsable de la défense des tests, au sein de la Division de la recherche et du développement.
[47] La Dre Brennan a résumé le processus généralement suivi par les ministères clients pour obtenir des outils et services d’évaluation du CPP ou de la CFP. Dans le présent cas, le SCC, soit le ministère client, a soumis une demande de services d’évaluation. En résumé, la CFP devait entre autres élaborer les gabarits du DRC en consultation avec le ministère client, offrir aux candidats deux séances d’orientation en lien avec le DRC, valider les exemples du DRC, fournir une formation aux membres du comité d’évaluation pour corriger les DRC et fournir une spécialiste de l’évaluation pour la correction des DRC. Elle a souligné que c’est le client qui détermine la note de passage pour chaque compétence.
[48] Quant au spécialiste de l’évaluation, il offre notamment des séances de formation aux membres du comité de sélection, siège au comité de sélection pour superviser le processus et sert de membre d'évaluation. Le comité de sélection est composé d’un ou deux experts en la matière, à la discrétion du client, ainsi que d’un spécialiste de l’évaluation.
[49] Lors de son interrogatoire par l’intimé, la Dre Brennan a confirmé avoir eu des discussions avec la Dre van de Velde, spécialiste de l’évaluation impliquée dans la correction des DRC dans la cadre du processus de sélection, au sujet des enjeux faisant l’objet de la présente plainte. La Dre Brennan a aussi précisé qu’elle ne savait pas à quel moment les candidats avaient appris qui siégeait sur le comité de sélection.
[50] En ce qui a trait à l’évaluation des DRC, la Dre Brennan a expliqué que chaque membre du comité de sélection devait évaluer les DRC individuellement de son côté. C’était le 1er tour. Par la suite, dans le cadre du 2e tour, le membre du comité de sélection expert en la matière et la spécialiste de l’évaluation révisent ensemble leurs évaluations des DRC pour chaque candidat. Si leurs évaluations ne correspondent pas, ils ont des discussions pour parvenir à un consensus. Ils doivent parvenir à un consensus, et non à une moyenne.
[51] Lorsque l’intimé lui a demandé ce qui pouvait être fait pour prévenir une partialité dans l’évaluation, la Dre Brennan a expliqué que la partialité pouvait être consciente ou inconsciente. Il n’est pas possible d’éliminer la partialité à 100 %. Cependant, le processus d’évaluation des DRC est conçu pour être aussi objectif que possible. L’évaluateur doit être capable d’expliquer sa cotation. De nombreuses étapes sont nécessaires pour minimiser la partialité. L’un des rôles du spécialiste de l’évaluation est d’assurer la qualité du processus d’évaluation. S’il remarque qu’une personne est trop sévère ou trop indulgente, il peut la ramener sur le bon chemin. Un spécialiste de l’évaluation est également un membre actif du comité et reçoit la justification des évaluations des autres membres. De plus, pour préserver l’anonymat des candidats, leurs noms ne sont pas disponibles pour les évaluateurs du ministère client. Cependant, un membre du comité peut deviner qui il évalue en fonction des informations incluses par le candidat dans l’outil d’évaluation. On ne peut donc pas garantir complètement l’anonymat.
[52] Lors du contre-interrogatoire, la Dre Brennan a confirmé que le courriel envoyé à M. Morin par la plaignante, accompagné de la pièce jointe résumant la discussion informelle, lui avait été transmis par la Dre van de Velde. La Dre Brennan croit en avoir discuté avec la Dre van de Velde qui était impliquée dans le processus de sélection en tant que spécialiste d’évaluation. Cependant, le résumé de la rencontre informelle, à lui seul, ne lui a pas permis de conclure que l’évaluation n’avait pas été faite conformément aux règles en place. Elle ne connaissait pas le contexte.
[53] En juillet 2021, le représentant de la plaignante a fait parvenir à la Dre Brennan des courriels dont un détaillant des problèmes au niveau de l’évaluation de la plaignante dans le cadre du processus de sélection. Valérie Beaulieu, conseillère en ressources humaine, SCC, a été mise en copie conforme. En résumé, le représentant écrit que la plaignante allègue qu’elle avait un conflit d’intérêts avec le gestionnaire qui l’a évaluée et il fait référence au concept de crainte raisonnable de partialité. La Dre Brennan a confirmé que ce courriel lui avait permis de mieux comprendre le contexte dans lequel ces allégations avaient été faites.
[54] Après avoir reçu ce courriel, la Dre Brennan a contacté Mme Beaulieu pour en discuter et obtenir plus d’information. Mme Beaulieu a dit à la Dre Brennan qu’elle allait se renseigner sur les enjeux soulevés dans le courriel. La Dre Brennan a dit à Mme Beaulieu que, si le SCC estimait qu’il y avait eu un conflit d’intérêts perçu ou réel, le CPP pourrait réévaluer les DRC de la plaignante en faisant appel à un spécialiste de l’évaluation du CPP et à un gestionnaire du SCC qui ne sont pas au courant de la situation entre M. Morin et la plaignante. Mme Beaulieu a répondu que, étant donné qu’une plainte formelle en dotation avait été déposée et qu’ils étaient en pleine période d’échange de documents, cela ne serait pas le moment approprié pour réévaluer les DRC de la plaignante.
[55] La Dre Brennan a confirmé qu’il n’y avait pas de note de passage minimale obligatoire pour les DRC. Ce sont les clients qui la déterminent. Elle a aussi confirmé que les documents qui ont été fournis aux évaluateurs dans le présent dossier, à savoir « Dossier des réalisations du candidat (DRC) Lignes directrices pour les évaluateurs » et la présentation PowerPoint « Formation des évaluateurs – Service Correctionnel Canada – Processus WP-05 – Dossier des réalisations du Candidat » ne traitent pas des enjeux propres aux conflits d’intérêts et la partialité.
[56] Lors du ré-interrogatoire, la Dre Brennan a précisé que peu de temps avant la médiation, Mme Beaulieu lui a demandé si le CPP était prêt à réévaluer les DRC de la plaignante si le SCC en faisait la demande. La Dre Brennan a répondu par l’affirmative. C’est la dernière fois qu’elle a eu des nouvelles de Mme Beaulieu.
[57] L’intimé a cité deux témoins, à savoir la Dre van de Velde et M. Morin.
[58] La Dre van de Velde est gestionnaire par intérim des services d’évaluation de psychologie au CPP, à la CFP, depuis septembre 2023. Durant la période pertinente, elle occupait le poste de spécialiste de l’évaluation, au sein du CPP. La Dre van de Velde a participé en tant qu’évaluatrice dans plusieurs processus de dotation, dont approximativement 5 où le DRC a été utilisé. Le DRC est utilisé pour évaluer des compétences clé en leadership à la lumière d’exemples de rendement et de réalisations professionnelles fournis par les candidats. Les deux compétences clé en leadership évaluées dans le processus de sélection étaient : « [p]romouvoir l’innovation et orienter le changement » et « [p]réserver l’intégrité et le respect ». Pour chaque compétence clé, il y avait trois indicateurs de comportement. Au total, 30 candidats ont été évalués à l’aide du DRC. Il est à noter que chaque compétence est évaluée à l’aide d’un DRC distinct.
[59] La Dre van de Velde a témoigné qu’une copie du document « Dossier des réalisations du candidat (DRC) Lignes directrices pour les évaluateurs » et la présentation PowerPoint « Formation des évaluateurs – Service Correctionnel Canada – Processus WP-05 – Dossier des réalisations du Candidat », qui servent de guide de cotation aux évaluateurs et expliquent les étapes du DRC, ont été remises à M. Morin et à Mme Dutil avant qu’ils suivent la formation sur le DRC. Lors de cette dernière, les évaluateurs experts en la matière et la spécialiste de l’évaluation ont discuté des compétences clés et des indicateurs de comportement que les candidats devaient démontrer. Ils ont également procédé à un « calibrage » pour définir ce que signifie une note de 3 sur 5 au niveau WP-05 en termes de compétences, afin de s’assurer de l'uniformité de la cotation.
[60] La Dre van de Velde a expliqué que les comportements recherchés dans les exemples fournis par les candidats étaient évalués sur une échelle de 1 à 5. La même échelle est utilisée au niveau des compétences pour donner une cote globale. La note de passage, qui est déterminée par le gestionnaire d’embauche, est normalement établie à 3, toujours sur une échelle de 1 à 5. Elle a été établie à 3 sur 5 dans le processus de sélection et ce, avant de procéder à l’évaluation des DRC des candidats.
[61] En février 2020, la Dre van de Velde a offert aux candidats deux séances de formation en lien avec le DRC. Elles se sont tenues par téléconférence pour garder l’anonymat des candidats, le même jour; une en avant-midi, l’autre en après-midi. M. Morin était également sur appel au cas où les candidats avaient des questions concernant le processus de sélection. La plaignante n’a pas participé à la séance. Elle a toutefois demandé à la Dre van de Velde si elle pouvait reprendre la séance. Comme il n’y en avait pas d’autres de prévues, la Dre van de Velde a invité la plaignante à la contacter si elle avait des questions, ce que la plaignante a fait.
[62] Les candidats devaient valider ou attester les événements et exemples qu’ils avaient fournis dans leur DRC par un valideur. Plus précisément, ce dernier devait attester si les événements et exemples fournis étaient représentatifs du rendement habituel du candidat au travail. La spécialiste de l’évaluation pouvait contacter les valideurs si jamais elle avait des questions de précision.
[63] M. Morin a noté les DRC de 16 candidats; Mme Dutil de 14 candidats. Il fallait s’assurer que l’évaluateur n’était pas aussi un valideur pour la personne qu’il évaluait. La spécialiste de l’évaluation a, quant à elle, noté les DRC de tous les candidats. Les copies des DRC complétés distribuées aux évaluateurs, autre que celles de la spécialiste de l’évaluation, étaient anonymisées. Leurs noms ont été remplacés par un numéro. Lors du 1er tour, chaque évaluateur, y inclut la spécialiste de l’évaluation, devait coter les DRC individuellement. Les évaluateurs devaient rechercher dans les exemples fournis par les candidats des indicateurs de comportement pour chacune des compétences. La cotation des indicateurs de comportements par M. Morin dans le cas de la plaignante différait de celle de la spécialiste en évaluation.
[64] Le 2e tour consistait en une séance d’intégration. Durant celle-ci, les évaluateurs partageaient les cotes qu’ils avaient attribuées à chaque indicateur de comportement, pour chaque compétence et chaque candidat. S’il y avait des divergences au niveau de la cotation, il leur fallait arriver à un consensus; ils ne pouvaient pas donner une moyenne des cotes attribuées. Afin de parvenir à un consensus, ils révisaient les exemples fournis par les candidats et expliquaient la raison de la cote assignée.
[65] La Dre van de Velde a témoigné qu’il pouvait arriver que le gestionnaire d’embauche connaisse le candidat. Afin de s’assurer que la correction demeure le plus possible impartiale, l’outil d’évaluation est standardisé. Les candidats reçoivent les mêmes documents et informations, ils disposent d’un même temps pour compléter le DRC, ils savent à l’avance quelles compétences seront évaluées et quels sont les indicateurs de comportement. Une formation est offerte aux membres du comité. Il y a des lignes directrices claires en ce qui a trait aux étapes à suivre lors de la correction. De plus, lors de la séance d’intégration, la spécialiste de l’évaluation s’assure que les cotes sont basées sur les exemples fournis. De plus, la validation des exemples de situations fournis par les candidats par des valideurs permet de s’assurer qu’ils sont représentatifs du rendement habituel du candidat.
[66] Lors de la séance d’intégration, M. Morin et la Dre van de Velde se sont entendus pour attribuer à la plaignante une note globale de 2 sur 5 pour la compétence « [p]réserver l’intégrité et le respect » et une note globale de 1 sur 5 pour la compétence « [p]romouvoir l’innovation et orienter le changement ». Par conséquent, la plaignante a été éliminée du processus. La Dre van de Velde a précisé que, même en tenant compte uniquement des cotes qu’elle avait attribuées lors du 1er tour, la plaignante n’aurait pas obtenu une note de passage pour aucune des deux compétences clés.
[67] La spécialiste de l’évaluation a confirmé que M. Morin ne lui avait rien dit au sujet de la plaignante et qu’elle n’avait rien remarqué dans le déroulement du processus qui aurait pu lui faire douter de l’impartialité du processus de correction des DRC.
[68] Lors du contre-interrogatoire, la Dre van de Velde a confirmé que, lors du 1er tour, M. Morin avait donné une cote inférieure à la sienne pour tous les indicateurs de comportements. Elle a également confirmé que la note -3 n’existe pas dans le guide de cotation; toutefois, elle l’a utilisée aux fins de discussion lors de la session d’intégration.
[69] Elle a également confirmé que l’organisation aurait pu établir la note de passage à 2 sur 5. Toutefois, il y aurait un risque que le candidat soit nommé au poste sans véritablement détenir toutes les compétences requises. Lors de la formation donnée aux évaluateurs, la Dre van de Velde a recommandé que le valideur ne soit pas l’évaluateur et ce, afin de minimiser le risque d’un potentiel conflit d’intérêts.
[70] La Dre van de Velde a admis qu’il n’y avait aucune façon pour elle de savoir si l’évaluateur évaluait un exemple de situation dans lequel il avait été impliqué. M. Morin ne lui a pas divulgué qu’il avait été impliqué dans un exemple fourni par la plaignante. Ils ne peuvent pas garantir l’anonymat à 100 %. Il est possible que des situations où le gestionnaire d’embauche puisse identifier un candidat à partir de l’exemple fourni se produisent dans le cadre d’un processus interne ou au sein d’une petite organisation. La première fois qu’elle a eu vent des allégations d’un possible conflit d’intérêts, d’une crainte raisonnable de partialité ou de partialité c’était lors d’une discussion entourant la divulgation sélective des documents ayant trait à la présente plainte. Elle ne pouvait pas dire quand les candidats avaient découvert le nom de leur évaluateur. Elle ne se rappelait pas d’avoir entendu M. Morin commenter le fait que la plaignante était une déléguée syndicale.
[71] En ré-interrogatoire, la Dre van de Velde a confirmé que, lors de la séance d’orientation en février 2020 offerte aux candidats, elle avait mentionné que M. Morin était présent à l’appel conférence pour répondre à leurs questions en lien avec le processus de sélection.
[72] L’intimé a cité M. Morin comme son deuxième témoin. M. Morin occupe le poste de directeur de district associé Montréal-Métro depuis août 2018. Au moment des incidents relatés par la plaignante, M. Morin occupait le poste de directeur de secteur pat intérim. Il était le directeur des CCC Ogilvy, Martineau, Hochelaga et Sherbrooke. Entre février et juillet 2020, il était en affectation au bureau de libération conditionnelle de Ville-Marie, en tant que directeur de secteur par intérim. C’est uniquement durant cette période qu’il a été le gestionnaire immédiat de la plaignante et ce, sur papier seulement, car la plaignante était en congé pour travailler au sein de l’AFPC. Il connaissait la plaignante avant le lancement du processus de sélection.
[73] M. Morin a témoigné qu’il entretenait des relations professionnelles cordiales avec la plaignante. Ils se rencontraient principalement lors des réunions patronales-syndicales, à raison de 4 ou 5 fois par année. Étaient présentes lors de ces rencontres l’équipe de gestion et l’équipe syndicale. Ses interactions avec la plaignante lors de ces rencontres se déroulaient bien. Il n’y avait pas d’échanges personnels avec elle; les discussions se déroulaient en groupe. En 2020, en tant que son gestionnaire immédiat, il a échangé des courriels avec elle au sujet de ses demandes de congé liées à son travail avec l’AFPC.
[74] M. Morin se souvenait de l’incident au CCC Martineau en 2017 lorsqu’un délinquant s’est mutilé. La gestion a eu beaucoup de discussions avec les employés au sujet des caméras de surveillance, du système de verrouillage des portes, etc. Il a fait des rappels au niveau de la sécurité. Les employés demandaient que l’employeur installe des caméras de surveillance un peu partout. Toutefois, cette initiative demandait de l’argent et l’approbation à un niveau plus haut.
[75] À la suite des discussions qu’il a eues avec l’équipe en place, M. Morin, la gestionnaire du CCC Martineau ainsi que deux personnes du syndicat, ont convenu que les employés allaient pouvoir déposer une plainte en vertu de l’article 127.1 du Code. Par conséquent, il savait que la plainte s’en venait. Il était d’accord qu’elle soit déposée car elle allait probablement l’aider à obtenir des fonds et résoudre des problèmes de sécurité soulevés par les employés. La plainte a été ultimement renvoyée au EDSC, car certains éléments n’avaient pas été résolus de manière satisfaisante pour les employés. L’EDSC est venu faire une inspection au CCC Martineau. La plainte en vertu de l’article 127.1 du Code a donné lieu à des recommandations et des modifications au CCC en question.
[76] M. Morin se souvenait également de l’incident en décembre 2017 où un délinquant avait essayé de défoncer une vitre avec un extincteur d’incendie. Cet incident a fait l’objet d’un suivi.
[77] Il savait que les employés au CCC Martineau craignaient pour leur santé et sécurité. Il a eu des discussions avec les employés et les gestionnaires à ce sujet. Cela faisait partie de son travail en tant que directeur du secteur de s’assurer de la sécurité et du bien-être des employés. Le dépôt de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code n’a pas eu d’impact sur ses relations avec les représentants syndicaux, ni, plus spécifiquement, avec la plaignante.
[78] Mme Dutil et lui se sont portés volontaires pour participer au processus de sélection. Ils y étaient impliqués du début jusqu’à la fin. L’objectif du processus était d’établir un bassin des candidats qualifiés pour faire des nominations aux postes de responsable des agents de libération conditionnelles et de gestionnaire d’un CCC. Les gestionnaires délégués étaient la directrice de district Montréal-Métro et la directrice de district est-ouest. Ce sont elles qui ont choisi les outils d’évaluation. Environ 80 personnes avaient soumis leur candidature.
[79] M. Morin a entre autres participé à l’élaboration des énoncés de critères de mérite en commun pour les deux postes dont les responsabilités sont différentes et il a procédé à l’affichage du processus avec Mme Dutil et à la présélection des candidats. Toujours avec Mme Dutil, il a supervisé le premier examen écrit. Cependant, il ne l’a pas corrigé; la correction a été faite à l’externe. Il a participé à l’élaboration et à la correction du deuxième examen. Il s’est aussi impliqué au niveau de la troisième épreuve, soit le DRC, et a procédé à sa correction commune avec la Dre van de Velde.
[80] Selon lui, les candidats savaient qu’il était impliqué dans le processus de sélection. Tous les courriels envoyés aux candidats précisaient que lui et Mme Dutil étaient des personnes de référence. En ce qui a trait au DRC, le comité de sélection était composé de Mme Dutil, de la Dre van de Velde et de lui-même.
[81] M. Morin a reçu une formation pertinente à l’administration d’un DRC. La Dre van de Velde était aussi disponible pour répondre aux questions qu’il avait en lien avec cet outil d’évaluation. Une conseillère en ressources humaines était aussi présente pour le guider, au besoin. La Dre van de Velde était responsable du contrôle de qualité de l’administration du DRC.
[82] Une fois les DRC complétés par les candidats et leurs exemples validés par les valideurs, ils ont été envoyés à la Dre van de Velde. Cette dernière lui a remis les DRC des 16 candidats; les DRC des 14 candidats restants ont été remis à Mme Dutil. Les DRC étaient anonymisés et identifiés par un numéro.
[83] À la suite des discussions qu’il a eues avec la Dre van de Velde afin d’être plus efficace et de s’assurer qu’il était constant dans l’évaluation de tous les candidats, il a évalué la première compétence pour tous les 16 candidats et, par la suite, il a fait de même pour la deuxième compétence. Une fois sa correction terminée, il a révisé son travail encore une fois pour s’assurer que son évaluation était la plus adéquate possible.
[84] La correction se faisait individuellement, avec le manuel qui leur avait été fourni. Sa cotation n’était pas finale. Une fois que la correction des DRC était terminée, il y avait une mise en commun de la correction avec la Dre van de Velde, qui elle aussi avait corrigé les DRC de son côté. Ils ont eu des discussions par rapport à la cotation qu’ils avaient attribuée dans le but d’arriver à un consensus, quand la cotation divergeait.
[85] Dans les cas limites, pour tout ce qui se rapprochait de la note de passage qui était de 3 sur 5, Mme Dutil et lui s’étaient échangés des copies pour faire une deuxième correction. Par la suite, il y avait une mise en commun avec la Dre van de Velde. La correction des DRC a été finalisée vers la fin du mois de février ou début mars 2020.
[86] La plaignante n’a pas obtenu une note de passage dans cette épreuve. Par conséquent, elle n’a pas été invitée à participer au dernier test, qui consistait en une mise en situation.
[87] Quoique que les DRC ont été anonymisés, M. Morin a confirmé qu’il lui avait été possible d’identifier qu’il corrigeait les DRC de la plaignante à partir de la situation qu’elle y avait décrite. Toutefois, selon lui, le but de l’exercice était de faire une correction rigoureuse et non d’identifier les candidats.
[88] M. Morin a décrit la discussion informelle avec la plaignante comme particulièrement difficile. Elle l’a questionné sur la formation qu’il avait reçue pour corriger les DRC. Il avait l’impression que c’était lui qui se faisait évaluer. À la suite de la discussion informelle, la plaignante lui a transmis par courriel le résumé de la rencontre et lui a demandé de confirmer le contenu.
[89] La personne nommée dans le poste de responsable des agents de libération conditionnelle a depuis quitté le poste.
[90] M. Morin connaît M. Bernard depuis longtemps. Ce dernier occupait le poste de responsable des agents de libération conditionnelle au bureau de libération conditionnelle de Ville-Marie, durant la période en question. Ils se voyaient à l’extérieur du cadre professionnel. Depuis que M. Morin a été en affectation au bureau de libération conditionnelle de Ville-Marie, durant la première moitié de 2020, leur relation a évolué. Ils ne se parlent plus maintenant. Il ne se rappelait pas du commentaire qu’il aurait fait à M. Bernard en 2017 au sujet de la plaignante.
[91] M. Morin a conclu son témoignage en disant qu’il s’était toujours assuré de traiter les gens équitablement dans le cadre de la correction des examens. Il a affirmé être quelqu'un de juste et d'équitable dans la vie.
[92] En contre-interrogatoire, M. Morin a précisé que le sujet d’impartialité n’avait pas été abordé lors de la séance de formation sur le DRC. Toutefois, il a confirmé avoir reçu les formations nécessaires pour faire des nominations. Il a suivi des formations pertinentes à la dotation offertes par l’École de la fonction publique du Canada, il a suivi une formation en ressources humaines et il a reçu l’encadrement nécessaire. Les Ressources humaines sont toujours impliquées dans les processus de sélection et lui prodiguent des conseils. Il a également reçu une formation sur les valeurs fondamentales de la dotation. Dans les formations qu’il a reçues, les questions touchant aux conflits d’intérêts et à la partialité ont sûrement été abordées. Il a également suivi la formation sur les préjugés inconscients; c’est une formation obligatoire. Cela étant dit, il ne se rappelait pas s’il avait suivi cette dernière avant ou après le processus de sélection.
[93] En réponse à la question à savoir s’il savait qu’il corrigeait le DRC de la plaignante, il a réitéré qu’il ne cherchait pas à savoir l’identité du DRC qu’il corrigeait. Il a fait la correction selon les outils qui lui avaient été fournis et il a corrigé le DRC de la plaignante de la même façon qu’il a corrigé les DRC des autres candidats. Il a toutefois admis qu’il savait que la plaignante était la présidente de la section locale no 10088. Cette information figurait dans l’exemple fourni par la plaignante dans un de ces DRC.
[94] Il se rappelait d’avoir eu beaucoup d’échanges avec Mme Beaulieu en lien avec le processus de sélection, mais il ne se rappelait pas si la question des conflits d’intérêts avait été abordée.
IV. Résumé de l’argumentation
A. Pour la plaignante
[95] D’entrée de jeu, la plaignante concède que, contrairement à ce qu’elle a avancé dans ses allégations du 1er septembre 2021, il n’y a qu’une seule partie intimée dans le présent dossier est c’est l’administrateur général du SCC. La CFP n’est pas une partie intimée, quoi qu’elle aurait pu avoir contribué à l’abus de pouvoir allégué.
[96] L’argument premier de la plaignante est qu’il y a eu une crainte raisonnable de partialité de la part d’un membre du comité de sélection. Plus spécifiquement, en raison de ses responsabilités syndicales, et notamment en raison de son implication au niveau de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code, M. Morin ne l’a pas évaluée de façon juste. Dès qu’il a su qu’il évaluait son DRC, il aurait dû s’exclure. Les mesures d’atténuation mises en place étaient insuffisantes, compte tenu des circonstances. Tout candidat dans un processus de sélection a le droit d’être évalué par une personne juste et impartiale. Un tiers ne pourrait pas conclure que M. Morin l’avait évaluée de façon impartiale. La plaignante ne s’attendait pas à ce que M. Morin l’évalue. Le fait que la Dre van de Velde était impliquée dans l’évaluation de son DRC n’est pas une mesure d’atténuation suffisante et ne permet pas d’écarter l’allégation selon laquelle il y a eu une crainte raisonnable de partialité. La cotation donnée par M. Morin était toujours inférieure à celle donnée par la spécialiste d’évaluation. La CFP a aussi fait quelques gaffes en ne donnant pas de formation aux évaluateurs sur l’impartialité et le conflit d’intérêts.
[97] Il y a aussi un témoin de l’extérieur qui est venu témoigner pour dire que la relation entre la plaignante et M. Morin était difficile. Sur ce, la plaignante m’a renvoyé à la décision Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37. De plus, M. Morin a admis dans son témoignage qu’il parlait des gens à l’extérieur avec M. Bernard. Selon la plaignante, il y avait même un témoin de la CFP qui est venu témoigner que la situation en question était problématique. Le fait que M. Morin aurait appuyé la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code n’est pas pertinent. Lors de la discussion informelle, M. Morin a mis l’accent sur ses responsabilités syndicales. Selon la plaignante, M. Morin l’a évaluée alors qu’il savait qu’il était en conflit avec elle. Sur ce, la plaignante me renvoie à la décision Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6. Selon la plaignante, il faut se mettre dans ses pieds (voir Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30).
[98] Enfin, la plaignante précise qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’il y a un lien entre son échec et la crainte raisonnable de partialité. Elle a droit à une évaluation impartiale. Il n’est pas nécessaire de démontrer que M. Morin avait une intention illégitime dans l’évaluation de la plaignante.
[99] Comme redressements, la plaignante demande à la Commission de déclarer qu’il y a eu abus de pouvoir au niveau de l’application du mérite et d’ordonner la révocation de la nomination de la personne nommée. La plaignante précise qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne nommée n’avait pas satisfait au critère de l’application du mérite pour ordonner sa révocation. À l’appui de cet argument, elle me renvoie à la décision Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29. Selon elle, la violation grave de ses droits dans le processus de sélection justifie une révocation. La plaignante admet cependant que, compte tenu que la personne n’est pas dans le poste, une telle ordonnance serait sans effet et plus académique. La plaignante concède que dans les circonstances du présent dossier, une déclaration d’abus de pouvoir serait un redressement satisfaisant.
B. Pour la CFP
[100] Bien que la CFP ait offert des services d’évaluation à SCC, l’administrateur général du SCC est le seul intimé dans le cadre de cette plainte. La CFP est une partie à toutes les plaintes déposées auprès de la Commission en vertu de la LEFP. Toutefois, elle n’est l’intimée que lorsque la CFP elle-même était l’organisation d’embauche ou si le pouvoir de nomination pour le processus en question n’a pas été délégué à l’administrateur général par la CFP (ce dernier cas est extrêmement rare). À l’appui de son argument, la CFP me renvoie à l’article 1 du Règlement et aux articles 77 et 81 de la LEFP. En effet, selon l’article 81 de la LEFP, une ordonnance de mesures correctives ne peut être rendue que contre le titulaire du pouvoir de nomination pour le processus en question.
[101] De plus, l’article 24 du Règlement ne prévoit qu’un seul intimé : l’administrateur général ou la CFP (dans ce dernier cas, lorsque la CFP détenait le pouvoir de nomination), et non les deux. Cela est également soutenu par le Guide de procédures pour les plaintes relatives à la dotation (version de janvier 2021), à la section « Qui sont les parties? »
[102] Dans la présente plainte, étant donné que le ministère responsable de la dotation est le SCC et que le pouvoir de nomination a été délégué à l’administrateur général du SCC, le titulaire du pouvoir de nomination est l’administrateur général du SCC, et ce dernier est le seul intimé dans la présente plainte.
[103] Contrairement à ce que prétend la plaignante, le devoir de s’assurer que tout processus de sélection soit impartial revient au ministère client en vertu de la LEFP et des lignes directrices de la CFP. Dans le présent cas, les évaluateurs du SCC ont signé un formulaire confirmant qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts ou autre. Bref, la responsabilité d’indiquer s’il y a un conflit d’intérêts revient à l’évaluateur.
C. Pour l’intimé
[104] L’intimé souligne que les intentions imputées à M. Morin ne sont pas appuyées par de la preuve. La présente plainte est fondée sur l’alinéa 77(1)a) de la LEFP. Le paragraphe 2(4) de cette même loi définit ce qui constitue un abus de pouvoir. Le fardeau de la preuve nécessaire pour démontrer qu’il y a eu un abus de pouvoir est très élevé. Il est vrai que l’intention n’est pas requise pour établir un abus de pouvoir, toutefois, la partie plaignante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que des erreurs ou des omissions sérieuses ont été commises. Dans le présent cas, cette preuve n’a pas été présentée.
[105] La plaignante n’attaque pas l’outil d’évaluation. Elle allègue plutôt que la correction de ses DRC par M. Morin a été entachée d’une crainte raisonnable de partialité.
[106] La question en litige dans le présent cas est à savoir s’il y a eu un abus de pouvoir de la part de l’intimé par le fait que M. Morin a agi de façon partiale. En d’autres termes, était-il en situation de conflit d’intérêts avec la plaignante, ce qui a entraîné un abus de pouvoir lorsqu’il a corrigé ses DRC? La plaignante erre en présumant de la partialité de M. Morin en raison du simple fait qu’elle exerçait des responsabilités syndicales. Rien dans la jurisprudence n’établit qu’il y a une présomption de conflits d’intérêts, ou que la plaignante a été évaluée de façon partiale, par le fait qu’elle était une représentante syndicale ou avait des fonctions syndicales. La position de la plaignante est basée sur la présomption que son employeur va faire preuve de partialité lorsqu’il va corriger ses DRC parce qu’elle occupe des fonctions syndicales.
[107] Le DRC est un outil d’évaluation sérieux élaboré par la CFP. Son objectif est d’évaluer les compétences clé en leadership. Dans le cadre du processus de sélection en question, l’intimé recherchait des candidats qui avaient des compétences clé en leadership. C’est la raison pour laquelle l’intimé a fait appel à la CFP pour obtenir un DRC. Le mandat de la CFP est de s’assurer que les nominations sont faites en fonction du mérite. Ultimement, ces sont les candidats qui doivent remplir le DRC à l’aide d’exemples ou d’événements de leur choix.
[108] Les évaluateurs, M. Morin et Mme Dutil, ont reçu une formation sur la façon d’évaluer le DRC. Comme il a été expliqué par la Dre Brennan et la Dre van de Velde, une psychologue de la CFP participe à l’évaluation d’un DRC pour assurer une évaluation la plus objective possible. Toutefois, la participation d’un gestionnaire expert en la matière est aussi nécessaire pour permettre à la psychologue de mieux comprendre les exigences au niveau du terrain. Le simple fait que M. Morin connaissait la plaignante ne justifiait pas qu’il se retire du processus. La responsabilité d’éviter une situation de conflit d’intérêts peut être assumée partagée dans le présent cas. La plaignante aura pu aussi dénoncer cette situation, ce qu’elle n’a pas fait. De plus, il n’y a pas de preuve que M. Morin croyait qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité. Selon lui, il n’y avait pas de conflit donc il n’avait pas à se retirer. L’intimé me renvoie à l’attestation signée par M. Morin dans laquelle il s’engage à respecter les valeurs en dotation y énumérées. Dans le présent cas, il n’y a pas d’exemples concrets qui lui auraient fait penser qu’il y avait un conflit d’intérêts. Par conséquent, il ne s’est pas retiré de l’évaluation des DRC de la plaignante. De plus, le fait que la plaignante a fait des sorties médiatiques, qu’elle a été impliquée dans la préparation de la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code ou qu’elle a dénoncé les conditions de travail dans les CCC n’ont pas dérangé M. Morin. Il a d’ailleurs admis que l’incident au CCC Martineau avait été traumatisant. De plus, il était de concert avec le syndicat pour déposer la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code. Dans un des courriels, M. Morin a indiqué qu’il prenait cette plainte au sérieux.
[109] En ce qui a trait aux rencontres patronales-syndicales, les échanges se faisaient toujours en comité. C’est tout à fait normal que le syndicat y soulève des préoccupations pertinentes aux conditions de travail des employés. Toutefois, rien n’indique qu’il y avait de l’animosité entre la plaignante et M. Morin.
[110] Les décisions Amirault et Monfourny se distinguent du présent cas, car, contrairement aux faits dans ces décisions, il n’y a pas eu de plainte contre M. Morin ni de conflit réel entre lui et la plaignante.
[111] Le DRC était censé rester anonyme. Toutefois, la plaignante s’est identifiée à travers la réalisation qu’elle a choisie d’y inclure. L’intimé ne conteste pas que M. Morin a pu identifier la plaignante. Toutefois, la question qu’il faut se demander est de savoir s’il y a des faits qui appuient l’allégation qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité. En ce qui concerne la conversation qui a eu lieu en 2017 entre M. Morin et M. Bernard, dans un contexte privé et en dehors des heures de travail, le fait que deux personnes ventilent ne démontre pas que M. Morin était partial. D’ailleurs, le témoignage de M. Bernard n’était pas concluant; il ne se rappelle pas des mots exacts que M. Morin a utilisés.
[112] Enfin, même si l’on ne tenait compte que de l’évaluation de la Dre van de Velde, la plaignante aurait tout de même échoué. La participation de cette dernière dans la correction du DRC devrait nous rassurer. L’intimé m’a renvoyé à plusieurs décisions de la Commission qui traitent notamment de la question de partialité et les activités syndicales. J’en discute brièvement dans mes motifs.
[113] L’intimé demande que la plainte soit rejetée. Toutefois, si la Commission accueille la plainte, elle ne devrait pas ordonner la révocation de la personne nommée. Tout d’abord, la révocation n’est pas un redressement automatique. De plus, la personne nommée n’est plus dans le poste et il n’y a aucune preuve qu’elle n’a pas satisfait aux critères de mérite.
V. Motifs
[114] La question au cœur du litige est de savoir si la conduite de M. Morin, en lien avec l’évaluation de la plaignante dans le cadre du processus de sélection, suscite une crainte raisonnable de partialité et, par conséquent, a entraîné un abus de pouvoir de l’intimé dans l’application du mérite.
[115] Avant d’aborder cette question, il me semble toutefois important de noter que la plaignante a concédé dans ses remarques de clôture que l’administrateur général du SCC est la seule partie intimée dans la présente plainte. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de déterminer si la CFP aurait également pu être considérée comme une partie intimée dans le contexte de la présente plainte, comme l’avait initialement allégué la plaignante. Cela étant dit, et à titre purement incident, les arguments avancés par la CFP, selon lesquels elle ne devrait pas être considérée comme partie intimée dans la présente plainte, semblent, à première vue, convaincants.
A. Abus de pouvoir et crainte raisonnable de partialité
[116] La LEFP ne fournit pas une définition exhaustive de ce qui constitue un abus de pouvoir. Le paragraphe 2(4) de la LEFP précise cependant que l’abus de pouvoir comprend notamment la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Le terme « notamment » implique nécessairement que des actes répréhensibles autres que ceux énumérés au paragraphe 2(4) permettent de conclure à un abus de pouvoir au sens de la LEFP.
[117] Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 33 à 38, la Cour fédérale du Canada a confirmé que le législateur n’avait pas l’intention d’imposer une définition statique de la notion d’abus de pouvoir. Il revient à la Commission d’interpréter la notion d’abus de pouvoir à la lumière des circonstances propres à chaque cas, tout en évitant d’adopter une interprétation qui aurait pour effet d’atténuer sa portée et, par conséquent, empêcher les employés d’exercer un recours en vertu de la LEFP.
[118] Cela étant dit, une simple erreur, omission ou conduite irrégulière ne suffit pas pour conclure à un abus de pouvoir. La conduite, l’erreur ou l’omission contestée doit être déraisonnable, inacceptable ou outrageante de telle manière qu’il ne pouvait être l’intention du législateur que la personne en situation d’autorité exerce son pouvoir discrétionnaire de cette manière (voir Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, au par. 25). En effet, pour établir qu’il y a eu abus de pouvoir, la partie plaignante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus de nomination. Il n’est pas nécessaire que l’acte soit intentionnel (voir Tibbs c. le sous‐ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 73 et 74).
[119] Il est bien établi dans la jurisprudence de la Commission qu’une crainte raisonnable de partialité constitue un abus de pouvoir au sens du paragraphe 2(4) de la LEFP (voir Denny, au par. 122; Bédard c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 15, au par. 51(« Bédard 2010 ») ; Amirault, au par. 77; Palmquist c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2020 CRTESPF 6, au par. 77).
[120] Il est également bien reconnu en matière de dotation dans la fonction publique fédérale qu’il n’est pas nécessaire d’établir une intention pour conclure que les actions ou les omissions de la personne visée suscitent une crainte raisonnable de partialité (voir Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10, au par. 62; et Monfourny, au par. 70). Cela étant dit, des simples suppositions, des spéculations ou des états d’âmes ne sont pas suffisants pour conclure à une crainte raisonnable de partialité. Cette crainte doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente (voir Palmquist, au par. 77).
[121] Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, la Cour suprême du Canada a formulé le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité comme suit :
[...]
[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question [...] de façon réaliste et pratique. [...]
[...]
[122] Dans le contexte des plaintes de dotation sous la LEFP, ce critère a été légèrement reformulé dans les termes suivants (voir Green c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2018 CRTESPF 69, au par. 89; Palmquist, au par. 78; et Denny, aux paragraphes 125 et 126) :
89 [...] un observateur relativement bien renseigné qui étudierait le processus percevrait-il raisonnablement la partialité chez une ou plusieurs des personnes participant à l’évaluation de la plaignante?
[123] Enfin, je tiens à rappeler qu’il n’est pas nécessaire qu’un plaignant établisse que le décideur était, dans les faits, partial à son égard. La jurisprudence reconnaît qu’il est très difficile, voire impossible, de déterminer si un décideur a abordé l’affaire avec des idées réellement préconçues. Par conséquent, il suffit de démontrer que la conduite du décideur suscite une crainte raisonnable de partialité, selon un observateur bien renseigné (voir R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au par. 109; et Monfourny, au par. 90).
B. Les remarques de M. Morin suscitent une crainte raisonnable de partialité
[124] Comme j’en discuterai plus longuement ci-après, je suis d’avis qu'un observateur relativement bien informé des faits du dossier percevrait raisonnablement une crainte de partialité chez M. Morin à l’égard de la plaignante. Plus précisément, il conclurait que les commentaires de M. Morin en lien avec les responsabilités syndicales de la plaignante faits dans le contexte même de l’évaluation de cette dernière suscitent une crainte raisonnable de partialité.
[125] La teneur de ces commentaires doit être appréciée à la lumière des interactions entre la plaignante et M. Morin durant la période pertinente, c’est-à-dire à partir de l'été 2017 et par la suite, ainsi que de leur contexte.
[126] L’intimé ne conteste pas que, dans le cadre de ses fonctions en tant que présidente de la section locale no 10088, SESJ, la plaignante a soulevé plusieurs enjeux liés à la santé et à la sécurité de ses membres dans les différents CCC, comme il a été détaillé précédemment dans les motifs. L’intimé ne conteste pas que la plaignante a soulevé ces problèmes directement avec M. Morin, que ce soit de vive voix, par courriel ou, en comité, lors des rencontres patronales-syndicales, et a insisté qu’une solution y soit apportée pour protéger la santé et la sécurité de ses membres. En tant que directeur de quatre CCC dont il est question dans le présent cas, M. Morin devait gérer les problèmes soulevés par la plaignante, en sa qualité de présidente de la section locale, et y répondre. La preuve révèle également que la plaignante a même informé le supérieur de M. Morin, soit Sébastien Pilon, directeur de district par intérim, de certains de ces enjeux dans les CCC dont M. Morin était responsable.
[127] En ce qui a trait plus précisément à la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code, il est vrai que la plaignante ne l’a pas signée, toutefois, l’intimé n’a pas nié que M. Morin savait que la plaignante était impliquée dans la préparation de cette plainte. C’était un secret de Polichinelle. D’ailleurs, M. Morin mentionne lui-même dans sa note de service du 11 janvier 2018, résumant la rencontre de suivi en lien avec la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code déposée le 5 janvier 2018, à laquelle la plaignante a d’ailleurs été présente, que la plaignante « supporte » la représentante des plaignants du CCC Martineau « dans la démarche », faisant allusion à cette plainte. De plus, durant cette même rencontre, la plaignante a souligné de vive voix à M. Morin, toujours en lien avec la plainte en vertu de l’article 127.1 du Code, ce qui suit :
[...]
[...] qu’elle demanderait à ses membres de ne pas aller travailler au 2ième étage tant qu’elle n’aurait pas reçu le compte-rendu écrit [en réponse à la plainte]. Par la suite, les employés du CCC-Martineau seront consultés. Étant donné qu’il s’agit d’une plainte en vertu de l’article 127.1, ceux-ci verront si ce qui est proposé leur convient, où [sic] s’ils poursuivent en demandant une enquête.
[...]
[128] La plainte a finalement été renvoyée pour enquête et accueillie par EDSC, ce qui a mené à une inspection du CCC Martineau, dont M. Morin était le directeur. Bref, je n’ai aucun doute que M. Morin savait que la plaignante était impliquée dans cette plainte et avait vivement dénoncé la situation au CCC Martineau.
[129] La plaignante et M. Morin ont une perception diamétralement opposée quant à l’impact que ces nombreuses interventions de la plaignante, comme détaillées précédemment, ont eu sur leur relation professionnelle. Selon la plaignante, pendant la période pertinente, leur relation était tendue et difficile. Ils vivaient des situations conflictuelles de façon simultanée et très ouvertement, car elle lui a tenu tête et l’a souvent critiqué ouvertement. Leur relation « dépassait la relation normale entre un représentant de l’employeur et un représentant syndical ». En revanche, selon M. Morin, la plaignante et lui entretenaient des relations professionnelles cordiales et ses interactions avec la plaignante lors des rencontres patronales-syndicales se déroulaient bien.
[130] Toutefois, même si je donnais foi au témoignage de M. Morin selon lequel il entretenait des relations professionnelles cordiales avec la plaignante, et ce malgré les multiples interventions de celle-ci, en sa qualité de présidente de la section locale, une personne bien renseignée aurait conclu que les commentaires de M. Morin à savoir que la plaignante n’est pas en mesure, ou aurait de la difficulté, d’exécuter les décisions de façon impartiale et non partisane parce qu’elle représente des membres, suscitent une crainte raisonnable de partialité.
[131] D’entrée de jeu, il est important de souligner que M. Morin savait qu’il corrigeait les DRC de la plaignante, bien que l’examen ait été censé être anonyme. Dans son témoignage, il a confirmé qu’il lui avait été possible d’identifier qu’il corrigeait les DRC de la plaignante à partir de la situation qu’elle avait décrite dans un de ses DRC. Dans les plaidoiries de clôture, l’intimé a réitéré que M. Morin savait qu’il corrigeait les DRC de la plaignante.
[132] La première fois que M. Morin a remis en doute la capacité de la plaignante d’être impartiale et non partisane dans l’exécution des décisions, en raison de ses responsabilités syndicales, fut par écrit, dans le DRC de la plaignante.
[133] Plus précisément, c’est dans le contexte de l’évaluation de l’indicateur de comportement suivant « [e]xécute les décisions de manière impartiale, transparente et non partisane », lié à la compétence « [p]réserver l’intégrité et le respect », que M. Morin a conclu, à partir de l’exemple de situation fourni par la plaignante, qu’elle manque d’impartialité et qu’elle est partisane en raison de ses responsabilités syndicales, plus précisément, parce qu’elle représente des membres. Ses mots exacts se lisent comme suit : « représente membres donc Ø impartialité – partisane ». C’est le seul commentaire qu’on retrouve dans le DRC en lien avec cet indicateur de comportement. M. Morin a attribué une note de 1 sur 5 pour cet indicateur : « [i]nférieur aux critères du niveau WP-05 ». L’exemple de situation en question présenté par la plaignante dans le DRC traite des suggestions qu’elle a faites en tant que présidente de la section locale lors d’une rencontre patronale-syndicale à laquelle M. Morin était présent. Le but de cette rencontre était de trouver des solutions communes aux préoccupations des membres et de l’exécutif local. Il se peut que les événements relatés par la plaignante dans l’exemple de situation ne démontrent pas qu’elle a le comportement recherché. Je ne dis pas le contraire. Je ne suis pas ici pour réévaluer son DRC. Cependant, je trouve troublant que M. Morin ait attribué la prétendue difficulté de la plaignante d’exécuter les décisions de manière impartiale et non partisane au seul fait qu’elle représente des membres. Cette conclusion suscite la question à savoir si un gestionnaire, qui représente la gestion, est capable d’exécuter les décisions de manière impartiale et non partisane. Je suis d’avis qu’une personne bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la remarque de M. Morin selon laquelle la plaignante aurait de la difficulté à accomplir certaines tâches parce qu’elle représente des membres suscite une crainte raisonnable de partialité à son égard.
[134] Je retiens du témoignage de la spécialiste de l’évaluation que chaque indicateur de comportement devait être évalué à partir des exemples de situations fournis par les candidats. Or, il appert qu’au lieu de se poser la question si la plaignante a démontré, à partir de l’exemple de situation fourni, qu’elle est capable d’exécuter les décisions de manière impartiale, transparente et non partisane, M. Morin a conclu qu’elle ne l’est pas parce qu’elle représente des membres. Cette conclusion semble être basée sur une idée préconçue selon laquelle un représentant syndical n’est pas capable ou a de la difficulté d’être impartial et non partisan dans l’exécution des décisions. Or, rien n’est de plus faux. M. Morin a évalué cet indicateur de comportement en s’appuyant sur une considération non pertinente. Le fait que la plaignante agisse à titre de présidente de la section locale ne doit pas la favoriser ou lui nuire dans un processus de nomination (voir Bédard c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 23 (« Bédard 2023 »), au par. 96).
[135] De plus, je note qu’il n’y a aucune suggestion dans la copie du DRC corrigée par la spécialiste de l’évaluation que la plaignante ne serait pas en mesure d’exécuter les décisions de façon impartiale et non partisane, en raison de ses responsabilités syndicales. Le fait que la plaignante ait eu à représenter des membres ne semble pas avoir été retenu par la psychologue comme un facteur pertinent dans l’évaluation des DRC de la plaignante. Les seuls commentaires indiqués par la Dre van de Velde en lien avec cet indicateur de comportement se lisent comme suit : « preuve d’honnêté [sic] et transparence, demeure important d’informer tous du pourquoi des décisions, démontre impartialité et agi de façon non-partisane [sic] ». Elle lui a accordé une note de 2 sur 5 : « [q]uelque peu inférieur aux critères du niveau WP-05 ».Je m’explique mal cette différence entre les remarques de M. Morin et ceux de la Dre van de Velde.
[136] Lors de la discussion informelle, M. Morin réitère sa vision selon laquelle la plaignante peut avoir de la difficulté à demeurer impartiale et non partisane en raison de ses fonctions de représentante syndicale. Ce commentaire est fait encore une fois en lien avec l’indicateur de comportement visant à mesurer si la plaignante serait capable d’« exécute[r] les décisions de manière impartiale, transparente et non partisane » au niveau WP-05. Plus précisément, il mentionne de vive voix à la plaignante que, lorsqu’elle représente des membres, il s’avère difficile pour elle de faire preuve d’impartialité et d’être non partisane. M. Morin n’a pas nié avoir tenu ces propos. En fait, cette remarque ne fait que refléter le commentaire que M. Morin a consigné par écrit dans le DRC de la plaignante, comme il a été discuté précédemment.
[137] Or, je considère que cette remarque est non pertinente à l’évaluation de la plaignante. M. Morin n’avait pas à évaluer si la plaignante est impartiale et non partisane lorsqu’elle représente les membres. Ce n’est pas cette question que le DRC cherchait à évaluer. M. Morin aurait dû plutôt se questionner si, à partir de l’exemple de situation fourni dans le DRC, la plaignante a démontré qu’elle est capable d’exécuter les décisions de manière impartiale, transparente et non partisane, et expliquer pourquoi. Je réitère que les responsabilités syndicales de la plaignante n’auraient pas dû rentrer en ligne de compte lors de son évaluation (voir Bédard 2023, au par. 96). Je retiens également que les commentaires de la psychologue consignés dans les DRC de la plaignante ne supportent pas une telle conclusion.
[138] Une personne bien renseignée conclurait que les remarques de M. Morin, selon lesquelles la plaignante ne pourrait pas, ou aurait de la difficulté, à exécuter les décisions de façon impartiale et non partisane au niveau WP-05 parce qu’elle représente des membres suscitent une crainte raisonnable de partialité à son égard.
[139] La preuve ne dit pas si, lors de la séance d’intégration, l’experte de l’évaluation a remarqué le commentaire écrit de M. Morin selon lequel la plaignante « représente membres donc Ø impartialité – partisane ». Toutefois, si elle l’a vu, je me serais attendu à ce qu’elle sonne l’alarme, vu la nature troublante de cette observation.
[140] Le présent cas n’existerait probablement pas si la copie du DRC de la plaignante avait été donnée à Mme Dutil pour correction, ou du moins, si on lui avait demandé de corriger le DRC de la plaignante de son côté pour s’assurer de la validité des résultats. Après tout, Mme Dutil n’avait pas agi en tant que valideuse pour aucun des exemples de situation fournis par la plaignante. J’ignore pourquoi cela n’a pas été fait.
[141] Contrairement à ce que soumet l’intimé, la question n’est pas de savoir si la présence de la psychologue constituait une mesure d’atténuation suffisante pour repousser l’allégation de crainte raisonnable de partialité. Il s’agit plutôt de déterminer si chacune des personnes ayant participé à l’évaluation de la plaignante était impartiale, car tout candidat a le droit d’être évalué par un membre du comité de sélection qui l’est (voir Bédard 2010, par. 52, et Denny, au par. 126). Pour préserver l’intégrité du système de dotation dans la fonction publique fédérale, aussi bien en substance qu’en apparence, ce droit ne peut faire l’objet ni de compromis ni de demi-mesures. En effet, chaque personne faisant partie du comité d’évaluation a été tenue de signer une déclaration attestant qu’elle avait respecté les valeurs directrices en dotation.
[142] Le corollaire de ce droit est qu’il n’est pas pertinent de se demander si le candidat aurait tout de même réussi l’évaluation s’il avait été évalué par une personne qui n’est pas visée par une allégation de partialité ou de crainte raisonnable de partialité. Le fait que la plaignante n’aurait pas réussi son examen même si M. Morin n’avait pas participé à la correction de son DRC n’est pas pertinent. D’ailleurs, ce facteur ne figure pas parmi les éléments à considérer lorsqu’il s’agit d'appliquer le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité.
[143] Contrairement à ce que prétend l’intimé, la plaignante ne pouvait pas soulever la question de conflit d’intérêts entre elle et M. Morin avant son évaluation, car ce n’est que lors de la discussion informelle qu'elle a appris que M. Morin avait corrigé son DRC.
[144] Outre ce qui précède, je note également que le pointage attribué par M. Morin pour chaque indicateur de comportement est, sans exception, inférieur à celui de la spécialiste de l’évaluation, et que les commentaires qu’il a formulés sont plus négatifs. Plus précisément, M. Morin a attribué la note de 1 sur 5 pour tous les indicateurs de comportement, à l’exception d’un seul pour lequel il a donné la note de 2 sur 5. La spécialiste de l’évaluation, qui ne connaissait pas la plaignante, a donné la note de 2 sur 5 pour quatre indicateurs de comportement, et une note de 3- pour les deux autres. En tout, il y avait six indicateurs de comportement, soit trois par compétence.
[145] En ce qui concerne les remarques que M. Morin aurait faites à M. Bernard au sujet de la plaignante en 2017, dans un contexte privé, je suis d’accord avec l’intimé que le témoignage de M. Bernard à ce sujet n’est pas concluant. Il n’est pas clair ce que M. Morin a dit par rapport à la plaignante, et il serait imprudent de ma part de spéculer à ce sujet.
[146] Enfin, je note que la jurisprudence soumise par l’intimé portant sur la partialité et les activités syndicales est très spécifique aux faits présentés dans chacune des décisions citées. Ces décisions n’abordent pas la question de crainte raisonnable de partialité en lien avec des propos négatifs tenus par un ou plusieurs membres du comité de sélection à l’égard d’un candidat, que ce soit en raison de ses responsabilités syndicales ou autres motifs. Ces décisions sont d’une pertinence limitée dans le cadre du présent cas.
C. Redressement
[147] Il n’est pas contesté que la Commission dispose du pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 81 de la LEFP, d’ordonner la révocation d’une nomination lorsqu’elle conclut à un abus de pouvoir. Il appartient à la Commission de décider, à la lumière des faits présentés, si elle doit exercer ce pouvoir discrétionnaire et ordonner la révocation de la nomination de la personne nommée.
[148] La plaignante n’allègue pas que la personne nommée ne satisfait pas aux critères de mérite, qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’élaboration des critères de mérite ou encore que l’intimé a fait preuve de favoritisme à l’endroit de la personne nommée.
[149] Je suis d’avis que les circonstances du présent cas ne requièrent pas que la Commission révoque la nomination de la personne nommée. Une déclaration suffira pour envoyer un message clair à l’intimé qu’il a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite, en raison d’une crainte raisonnable de partialité.
[150] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[151] La plainte est accueillie.
[152] Je déclare que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans le cadre du processus de sélection, en raison d’une crainte raisonnable de partialité dans l’évaluation de la plaignante.
[153] J’ordonne que la pièce I-1 – « Dossier des réalisations du candidat (DRC) Lignes directrices pour les évaluateurs » – et la pièce I-2 – « Formation des évaluateurs – Service Correctionnel Canada – Processus WP-05 – Dossier des réalisations du Candidat » – soient mis sous scellés.
[154] J’ordonne au représentant de la plaignante, à la plaignante et à Anne Côté, pour l’intimé, d’informer la CFP qu’ils ont été exposés au contenu des documents mis sous scellés, s’ils participent à un processus de recrutement interne au sein de la fonction publique fédérale utilisant les tests de simulation 528 ou 557 (les « tests »). Cet engagement demeure en vigueur tant et aussi longtemps que les tests sont utilisés par la CFP.
[155] J’ordonne au représentant de la plaignante de ne pas copier, photocopier ou autrement reproduire les documents mis sous scellés, en tout ou en partie, et de ne pas les transmettre à la plaignante.
Le 13 décembre 2024.
Adrian Bieniasiewicz,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral