Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte alléguant que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ce qui concerne le choix du processus et l’application du principe du mérite dans le cadre d’un processus de nomination interne non annoncé. Il a retiré l’allégation concernant l’application du principe du mérite. Le plaignant a allégué qu’il a n’a pas été considéré pour la nomination en raison notamment de ses activités syndicales et de ses divergences d’opinion avec l’équipe de gestion, des facteurs qui ont rendu la décision de l’intimé entachée d’une crainte raisonnable de partialité. Il a reconnu que l’intimé avait le droit d’opter pour l’un ou l’autre des processus de nomination, mais il a prétendu que la décision de procéder avec un processus de nomination non annoncé n’était pas justifiée dans le présent cas. Il a aussi allégué que l’intimé avait établi un système de contournement afin de nommer des employés pour des périodes de moins de quatre mois, pour ensuite les nommer pour des périodes excédant cette période. La Commission a déterminé que le statut et les responsabilités syndicales du plaignant n’ont pas créé une présomption de crainte raisonnable de partialité à son égard et que la preuve n’étayait pas cette allégation. La décision de ne pas nommer le plaignant dans le poste n’était pas attribuable au gestionnaire qui, selon le plaignant, entretenait un sentiment négatif envers lui. La preuve n’a pas démontré qu’il y a eu animosité entre le plaignant et les individus ayant participé au processus de nomination, ni qu’il y ait eu un parti pris à son encontre. La Commission a conclu que la décision de procéder au moyen d’un processus non annoncé était motivée par un besoin opérationnel existant. Le choix du processus a été justifié dans la lettre de justification de la décision de sélection. Le titulaire du poste, qui était hautement qualifié, a soudainement quitté lorsque l’équipe faisait face à des délais pour terminer un projet d’une importance majeure. La Commission a aussi conclu que l’allégation grave selon laquelle l’intimé avait établi un système de contournement n’a pas dépassé le stade d’une simple assertion; il n’y avait aucune preuve pour l’étayer.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20250128

Dossier: 771-02-46657

 

Référence: 2025 CRTESPF 9

Loi sur la Commission

des relations de travail et

de l’emploi dans le secteur

public fédéral et Loi sur l’emploi

dans la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Stéphane Goulet

plaignant

 

et

 

Administrateur général

(ministère de la Défense nationale)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Goulet c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Adrian Bieniasiewicz, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale

Pour l’intimé : Maryse Lepage, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale

Affaire entendue par vidéoconférence

les 7 et 8 mai 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Aperçu de la plainte devant la Commission

[1] Stéphane Goulet (le « plaignant ») a déposé une plainte d’abus de pouvoir contre l’administrateur général du ministère de la Défense nationale (l’« intimé »). La plainte concerne la nomination de Hugo Leroux (la « personne nommée ») dans le poste de planificateur/analyste mécanique sur une base intérimaire de plus de quatre mois. Ce poste est classifié au groupe et au niveau EG-04 au sein du ministère de la Défense nationale, au 202e Dépôt d’ateliers, dans l’est de Montréal (le « poste EG-04 »).

[2] Plus précisément, le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite, car la nomination reposerait strictement sur le fait que la personne nommée a déjà fait partie de la même organisation que le gestionnaire délégué et a porté l’uniforme. De plus, la nomination serait fondée sur un système de favoritisme en faveur des anciens militaires.

[3] De surcroît, le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir en optant pour un processus de nomination non annoncé, dans le but de favoriser la personne nommée en raison de son passé militaire et d’écarter le plaignant, en raison notamment de ses activités syndicales et de ses divergences d’opinion avec l’équipe de gestion. L’intimé n’aurait également pas justifié le choix du processus et aurait établi un système de contournement de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi ») comme il l’a fait en l’espèce. Ce système de contournement consisterait tout d’abord à nommer des employés pour des périodes de moins de quatre mois, ne pouvant pas faire l’objet d’une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi, pour ensuite les nommer pour des périodes excédant quatre mois, comme ce fût le cas en l’espèce.

[4] Lors de l’audience, le plaignant a retiré toutes les assertions, telles que détaillées dans ses allégations du 16 mars 2023, au soutien de l’allégation d’abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite. Il a aussi retiré l’assertion selon laquelle l’intimé avait choisi le processus non annoncé pour favoriser la personne nommée en raison de son passé militaire.

[5] L’intimé nie toutes les allégations et demande à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de rejeter la plainte. La Commission de la fonction publique n’a pas participé à l’audience et ne s’est pas prononcée sur le bienfondé de la plainte. Elle a toutefois déposé des arguments généraux et spécifiques à la Politique de nomination de la Commission de la fonction publique.

[6] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la plainte est non fondée.

II. Résumé de la preuve

[7] Le plaignant a appelé deux témoins, soit Sonya Simard et Johanne Rouillard. Mme Simard occupe un poste d’attache avec Service Canada comme agente aux fraudes majeures. Les 21 et 22 février 2023, elle a facilité une session ayant pour but d’harmoniser les relations entre les parties patronale et syndicale. Lors de cette session, elle a constaté que le colonel Christopher Moyle, commandant du 202e Dépôt d’ateliers au moment pertinent, n’était pas très engagé dans les exercices pratiques et ne prêtait pas attention aux réponses du plaignant. Elle n’a toutefois entendu aucun propos de la part du colonel Moyle à l’égard du plaignant. En contre interrogatoire, Mme Simard a confirmé que personne n’avait interpellé le colonel Moyle pour dénoncer la situation en ce qui concerne le plaignant.

[8] Mme Rouillard occupe le poste de tailleur à la base militaire Valcartier. Elle est vice-présidente adjointe régionale au sein du l’Union des employés de la Défense nationale (UEDN) et présidente de la section locale 10507. Mme Rouillard a témoigné sur le déroulement de la rencontre du comité consultatif patronal-syndical au 202e Dépôt d’ateliers tenue en octobre 2022.

[9] Tout d’abord, Mme Rouillard a remarqué que les représentants de la partie patronale étaient assis d’un côté de la table et les représentants de la partie syndicale de l’autre. Or, normalement, tous essaient de s’asseoir côte à côte et non en position de confrontation. Au moment de sa présentation en tant que vice-présidente adjointe régionale, le colonel Moyle a sursauté et a demandé au plaignant pourquoi il y avait quelqu’un du syndicat régional à la rencontre. Elle a aussi remarqué que le colonel Moyle n’était pas d’accord avec les arguments du plaignant. Lorsque le plaignant a proposé des rencontres entre les membres et le colonel Moyle pour leur permettre de lui poser des questions directement, ce dernier lui a répondu fermement qu’il n’avait pas à lui dire comment faire son travail. Mme Rouillard a retorqué que ce n’est pas ce que le plaignant essayait de faire.

[10] Lors de son contre-interrogatoire, Mme Rouillard a admis qu’elle ignorait si sa présence à la rencontre avait été annoncée au préalable. Cependant, selon elle, ce n’était pas tant sa présence qui avait fait sursauter le colonel Moyle, mais plutôt le terme « régionale » dans son titre de vice-présidente adjointe régionale. Elle n’a pas nié que le colonel Moyle a clôturé cette rencontre en disant qu’il appréciait sa relation avec les syndicats et que la communication était franche et bonne même si tous ne peuvent pas toujours être d’accords, comme noté dans le procès-verbal du mois de novembre 2022.

[11] Le plaignant a témoigné qu’il occupe le poste de technicien en intégration de systèmes d’armement, classifié au groupe et au niveau GL-MAM-10, au 202e Dépôt d’ateliers depuis 2010. Depuis déjà presque quatre ans, il occupe le poste de président de la section locale 10526 de l’UEDN, dont les membres travaillent au 202e Dépôt d’ateliers. Dans le cadre de ses fonctions syndicales, il s’occupe des enjeux liés aux relations de travail, fait des auditions de griefs et participe aux rencontres avec l’équipe de gestion.

[12] À l’été ou l’automne 2022, le plaignant a présenté son curriculum vitae en réponse à l’avis d’intérêt visant à combler le poste EG-04 pour une période de moins de quatre mois. Toutefois, sa candidature n’a pas été retenue. Le 2 février 2023, il a été informé que M. Leroux avait été nommé dans le poste EG-04 pour une période intérimaire de plus de quatre mois. Durant la période pertinente, Marie-Claude Lepage occupait le poste de chef du service corporatif. Sa relation avec elle n’était pas très bonne et, selon le plaignant, elle était très réfractaire envers le syndicat. Leurs opinions divergeaient.

[13] MM. Martin Brosseau, Jasmin Guérette et Hugo Lafrance siégeaient au comité de sélection dans le cadre du processus de nomination non annoncé pour combler le poste EG-04. Le plaignant avait une bonne relation avec M. Lafrance. M. Brosseau est un retraité de l’armée canadienne. Le plaignant n’a pas eu de problèmes avec lui. Quant à M. Guérette, il était major et portait l’uniforme pendant son passage au 202e Dépôt d’ateliers de 2013 à 2015. Durant cette période, le plaignant a eu des frictions avec M. Guérette au niveau syndical. Ils avaient des points de vue divergents. Il se rappelle que le ton a monté à une occasion. Cette période de friction n’a pas duré longtemps car M. Guérette a quitté quelques mois après que le plaignant avait commencé à assumer des responsabilités syndicales. M. Guérette est revenu au 202e Dépôt d’ateliers aux alentours de 2020, mais le plaignant n’a pas vraiment eu affaire à lui directement. M. Guérette est le conjoint de Mme Lepage.

[14] La personne nommée dans le poste EG-04 a travaillé pendant plusieurs années au 202e Dépôt d’ateliers comme militaire. Il portait l’uniforme. À son arrivée au 202e Dépôt d’ateliers, il occupait sensiblement les mêmes fonctions que le plaignant. Ils étaient dans la même équipe, quoiqu’ils travaillaient sur différents projets.

[15] Le colonel Moyle pouvait paraître convivial et compréhensif sur certains points lors des rencontres de corridor ou dans son bureau. Toutefois, dans un contexte plus formel, il avait des positions très fermées et se montrait un peu plus autoritaire. Il faisait savoir au plaignant qu’il n’appréciait pas toujours ses suggestions. Le colonel Moyle avait le dernier mot par rapport à tout ce qui touchait les relations de travail. Il approuvait les processus de nomination de plus de quatre mois.

[16] Plusieurs plaintes de pratiques déloyales ont été déposées par des représentants syndicaux contre le colonel Moyle vers la fin de 2022 en raison de ses agissements. Ces plaintes, regroupées en une seule, ont été réglées. Au début de l’année 2023, le plaignant a déposé un grief individuel pour représailles en raison de ses fonctions syndicales. Au moment de l’audience, le grief suivait toujours son cours.

[17] Selon le plaignant, le colonel Moyle et les trois membres du comité de sélection auraient utilisé le processus non annoncé pour bloquer l’avancement de sa carrière en raison de leurs divergences de point de vue. Ils privilégieraient les militaires ou anciens militaires, comme la personne nommée. Il y aurait un système de favoritisme envers les militaires. Les employés civils sont désavantagés car ils ne peuvent pas acquérir de l’expérience. Toutefois, le plaignant ne conteste pas le fait que M. Leroux est qualifié pour le poste EG-04 et satisfait aux critères de mérite.

[18] En contre-interrogatoire, le plaignant a précisé que les plaintes de pratiques déloyales et son grief individuel ont été déposés plutôt durant l’été 2021. Le plaignant n’a pas été en mesure de fournir une copie de l’avis d’intérêt que l’intimé aurait émis pour combler le poste EG-04 pour une période de moins de quatre mois, ni sa date exacte. Selon le plaignant, quatre personnes, incluant la personne nommée et lui, ont soumis leur candidature en réponse à l’avis d’intérêt.

[19] Le plaignant a confirmé que ses échanges avec le colonel Moyle ont eu lieu lors des rencontres du comité consultatif patronal-syndical, des audiences de griefs au 2e palier et, de façon un peu moins formelle, lors des discussions de corridor ou dans le bureau du colonel Moyle. Le plaignant a confirmé que lors des discussions informelles, le colonel Moyle était plus ouvert et plus cordial.

[20] Le plaignant ne sait pas si le colonel Moyle ou Mme Lepage ont été personnellement impliqués dans le processus de nomination en question. Toutefois, le colonel Moyle a signé le document en lien avec ce processus. Le plaignant a confirmé que M. Guérette avait haussé le ton une seule fois lors de leur échange durant l’hiver 2014-2015. Le plaignant ne nie pas d’avoir remercié le colonel Moyle et le commandant-adjoint pour leur écoute et leur ouverture et avoir dit qu’il souhaitait travailler avec eux sur les dossiers importants avant leur départ, comme indiqué dans le procès-verbal du 11 mai 2023. Le plaignant ne peut pas dire qu’on ne l’écoutait pas à la table, ou qu’on ne lui donnait pas la parole. Au contraire, c’était respectueux. Toutefois, il n’obtenait pas toujours les résultats souhaités.

[21] L’intimé a appelé deux témoins, soit Martin Joseph Jean-Charles Brosseau et Jasmin Guérette. M. Brosseau est chef de programme, plan, contrôle et stratégies au 202e Dépôt d’ateliers. M. Guérette est le chef de groupe, développement au 202e Dépôt d’ateliers.

[22] M. Brosseau a expliqué que le poste EG-04 se rattache directement au Projet M777 pour les canons d’artillerie légers. Le Projet M777 vise une série de modifications des canons, selon les spécifications fournies dans le mandat donné par les Forces armées canadiennes. L’employé occupant le poste EG-04 doit assumer le rôle d’analyste technique principal de toutes les tâches devant être effectuées sur la composante armement du canon. Plus précisément, en résumé, il doit analyser toutes les instructions du travail qui devait être fait sur le canon, structurer le travail, et le séquencer de façon logique afin de permettre à l’équipe de production de faire la séquence de production en série. C’est vers l’automne 2020 que l’intimé a commencé à organiser les équipes pour le Projet M777.

[23] M. Leroux a été initialement nommé dans le poste EG-04 le 27 octobre 2022 pour une période de moins de quatre mois. Le 27 février 2023, à la suite d’un processus non annoncé, il a été nommé dans le poste jusqu’au 27 octobre 2023. La première nomination a été faite en réponse au départ soudain du titulaire du poste EG-04. Le projet devait avancer. Il leur fallait donc rapidement remplacer l’employé qui avait quitté. Il a été déterminé que la personne nommée possédait les compétences techniques recherchées, notamment en matière de rédaction de documents techniques, de préparation et d’ordonnancement des tâches nécessaires à la poursuite du projet. Comme il fallait que le remplacement se fasse rapidement, l’équipe de gestion a décidé de ne pas procéder avec un avis d’intérêt.

[24] Quant à la nomination pour une période de plus de quatre mois, l’intimé a utilisé un processus de nomination non annoncé afin de ne pas ralentir le projet. De plus, depuis quelques mois, ils avaient en poste la personne nommée qui faisait un bon travail, s’était bien intégrée au sein de l’équipe et qui avait une bonne maîtrise technique du travail à accomplir. Elle n’avait pas besoin d’être formée. L’équipe de gestion a déterminé que les besoins du projet devaient malheureusement primer sur les opportunités de développement des autres employés.

[25] M. Brosseau a précisé que le colonel Moyle n’a pas participé à ce processus de nomination et n’a pas influencé le choix de la personne nommée, même s’il détient les autorités financières pour doter les postes dans son unité. Le rôle de Mme Lepage consistait à le conseiller sur le choix d’un processus de nomination et l’informer des conséquences potentielles du choix. La décision concernant le choix du processus lui appartenait.

[26] Il connaissait le plaignant uniquement dans un contexte professionnel. Leurs échanges, majoritairement dans le cadre des responsabilités syndicales du plaignant, étaient toujours polis et cordiaux. M. Brosseau ne connaissait pas la personne nommée. Il avait très peu d’interactions avec les gens travaillant sur le plancher.

[27] En résumé, l’expertise technique, l’intégration au niveau de l’équipe, la polyvalence et la débrouillardise de la personne nommée, qui ont permis de faire avancer le projet, ont justifié sa nomination intérimaire dans le poste EG-04. Quoique le plaignant et la personne nommée étaient dans la même équipe de travail, contrairement au plaignant, la personne nommée avait une expérience de travail sur l’ensemble du système et avait donc une bonne compréhension des interactions des différents sous-systèmes et une meilleure expertise technique sur le système en entier. La personne nommée avait une bonne capacité de rédaction technique, qui est une composante très importante du travail.

[28] M. Brosseau a confirmé que la présence de Mme Rouillard lors de la rencontre du comité consultatif patronal-syndical en octobre 2022 avait créé une réaction chez le colonel Moyle, mais il ne pouvait pas dire pourquoi.

[29] En contre-interrogatoire, M. Brosseau a confirmé que le colonel Moyle avait signé la lettre d’offre de la personne nommée. L’équipe qui travaillait sur le Projet M777 était sous la responsabilité de M. Guérette, qui n’avait pas de pouvoirs délégués en matière de dotation. M. Lafrance était l’adjoint de M. Guérette. Il était en quelque sorte l’analyste principal. Il était responsable du développement et du mentorat des analystes.

[30] En ce qui a trait à la nomination de moins de quatre mois, M. Brosseau n’y a pas participé dans les moindres détails. M. Guérette s’occupait du [traduction] « travail préparatoire ». M. Brosseau ne sait pas qui a choisi la personne nommée. Ce choix a été fait par l’un des chefs de groupe à l’époque. Il n’a que formalisé la décision.

[31] M. Brosseau s’est dit conscient de l’importance de bien justifier toute décision de nomination. Les raisons justifiant le choix de M. Leroux pour une période intérimaire de plus de quatre mois sont articulées dans le document « Justification de décision de sélection » du 11 janvier 2023. On y fait référence notamment à la qualité du travail livré par la personne nommée, à son sens de l’initiative, à sa proactivité et à sa débrouillardise. Lorsqu’on y réfère à la polyvalence de la personne nommée, on fait allusion à son habileté de travailler sur le système d’armement au complet. En ce qui a trait à la justification du choix du processus non annoncé, la lettre indique que c’était « [d]ans le but de pallier au manque de technologue en Armement pour supporter la mise en place du Projet M777 […] ».

[32] M. Brosseau n’a pas entendu de propos négatifs ou de sous-entendus de la part du colonel Moyle ou de ses subalternes au sujet du plaignant.

[33] En réinterrogatoire, M. Brosseau a clarifié que l’expression « besoin opérationnel » mentionnée dans lettre de justification du 11 janvier 2023 se réfère à l’aspect de production et de livraison de l’équipement à temps, qui prime sur les autres besoins, comme le fait de donner des opportunités de développement aux autres employés ou de regarder s’il n’y a pas des gens plus qualifiés à l’extérieur. Ils n’avaient pas le temps de mener un processus annoncé en entier.

[34] M. Guérette a témoigné que le groupe Développement au 202e Dépôt d’ateliers est responsable du développement de l’outillage, de la résolution des problèmes techniques plus complexes pour les programmes de production et du développement des procédures de travail pour la mise en place des réparations et des modifications des véhicules Léopard 2 et des canons M777. Ce groupe se compose d’une petite équipe spécialisée. On y retrouve le chef de groupe, un technologue principal, deux coordonnateurs de projets et des analystes. De plus, sous le chef de groupe (parallèle au technologue principal), il y a un ingénieur et deux concepteurs spécialistes en électronique. C’est le chef de groupe qui initie un processus de nomination, si le besoin se présente.

[35] L’employé dans le poste EG-04 est responsable, dans le cadre du Projet M777, de créer une séquence de travail. La séquence de travail débute avec le démontage de l’équipement et se poursuit jusqu’à son remontage, en collaboration avec différents ateliers et le gestionnaire d’équipement. En d’autres mots, l’employé dans le poste EG-04 est responsable de la préparation des instructions de travail permettant de faire les modifications et les réparations des canons M777. Une fois ces instructions développées, un prototype est construit et une première validation est faite avec les techniciens et le gestionnaire d’équipement. Il s’agit d’un travail exigeant. Il faut que les instructions de travail soient fonctionnelles et permettent aux techniciens de suivre les différentes étapes. Les instructions de travail sont comme un manuel de l’utilisateur. Une fois cette phase terminée, le travail est transféré au groupe de production pour une production de masse et le besoin du poste EG-04 au groupe Développement diminue drastiquement.

[36] Le plaignant travaille dans le programme Production Fabrication Composantes et Électronique (« le programme Production FCE »). Il est un spécialiste en hydraulique. Avant d’être nommé dans le poste EG-04, M. Leroux travaillait aussi dans le programme Production FCE. Toutefois, ils travaillaient dans différentes bâtisses, ne faisaient pas les mêmes tâches et n’avaient pas les mêmes responsabilités. Le plaignant est assigné à l’hydraulique. Or, la personne nommée travaillait directement sur l’armement (pièces de Léopard ou de M777). Lorsqu’on parle d’armement, ça peut être aussi simple qu’un pistolet avec toutes ses composantes, allant jusqu’au mortier, les canons et les véhicules blindés. Les techniciens assignés à l’armement font la remise à neuf et l’inspection de l’armement. En revanche, le spécialiste de l’hydraulique, comme le plaignant, teste et répare des composantes spécifiques liées aux systèmes hydrauliques.

[37] La nomination de M. Leroux dans le poste EG-04 pour une durée de moins de quatre mois s’est faite dans le contexte d’un départ soudain de l’un des analystes en armement. Il fallait le remplacer. Suite aux discussions, il a été décidé que la personne nommée était le meilleur candidat pour remplacer l’employé qui avait quitté. L’intimé n’a pas procédé avec un avis d’intérêt pour cette nomination. En raison des modifications des tâches initialement précisées dans le mandat, le projet a été prolongé et la nomination intérimaire a dû l’être aussi.

[38] En ce qui concerne la nomination de plus de quatre mois, M. Guérette a participé à l’élaboration des critères de mérite et à l’évaluation narrative. Son technologue principal et lui ont révisé le curriculum vitæ de la personne nommée et ont évalué chacun des critères. C’est aussi lui qui a rédigé la justification de décision de sélection du 11 janvier 2023 qui a été signée par M. Brosseau. Ils n’ont pas considéré d’autres employés pour le poste EG-04 quoique, non officiellement, M. Guérette y avait réfléchi. Les besoins opérationnels sont établis par l’armée et non par le 202e Dépôt d’ateliers. Le Projet M777 revêt une priorité et une importance élevées pour l’armée, compte tenu de la situation en Europe et dans le reste du monde.

[39] C’est M. Guérette qui a demandé de prolonger la nomination intérimaire de la personne nommée afin de palier à un manquement de techniciens en armement dans le groupe Développement, en raison du départ non prévu du titulaire du poste. Il fallait faire avancer le projet. Les choses allaient bien avec la personne nommée. M. Guérette ne pouvait pas aller chercher un analyste au sein de l’équipe Production car cet analyste était déjà affecté à ses tâches. Cela aurait créé un trou dans l’équipe Production. Le groupe Développement grossit de façon intérimaire pour se concentrer sur un projet. Une fois que le projet entre en phase de production, le groupe rapetisse.

[40] M. Guérette connaît le plaignant depuis 2014. Ils avaient une bonne relation, généralement parlant. Il connaissait la personne nommée depuis 2008. Ils ont été déployés en Afghanistan ensemble. C’était son subordonné. Il n’a pas de relation personnelle avec lui. La personne nommée avait déjà travaillé sur le canon M777 dans le passé durant plusieurs années, avant de travailler au 202e Dépôt d’ateliers. Quant à Mme Lepage, c’est sa conjointe. Elle était chef du service corporatif. Dans ce rôle, elle devait s’assurer que les directives étaient respectées et que les choix des gestionnaires étaient adéquats.

[41] En contre-interrogatoire, M. Guérette a indiqué que le colonel Moyle, quoiqu’il ait signé la lettre d’offre, ne savait pas qui était le meilleur candidat pour faire le travail. M. Brosseau est un chef de programme. Son spectre de responsabilités est très large. Il n’est pas sur le plancher. M. Guérette est le mieux placé pour évaluer les candidats. La personne nommée occupe toujours le poste EG-04 sur une base intérimaire, car le transfert du Projet M777 en production a été retardé.

[42] M. Guérette n’a pas le souvenir d’une différence d’opinion entre lui et le plaignant dans le passé qui aurait marqué le plaignant. Il n’a pas été témoin d’altercations, de différences d’opinion ou de montées de ton de voix entre le plaignant et le colonel Moyle. Mme Lepage n’était pas présente lors des discussions entourant le choix du processus ou du candidat, ou lors des breffages donnés au colonel Moyle.

[43] Il est possible que, à un certain moment, la personne nommée travaillait à côté du plaignant dans la même bâtisse, mais ils ne faisaient pas le même travail.

[44] M. Guérette a précisé en réinterrogatoire qu’il n’a aucun souvenir d’avoir haussé le ton à l’endroit du plaignant. À sa connaissance, la plus récente prolongation de la nomination intérimaire de la personne nommée n’a pas été contestée.

III. Analyse et motifs

[45] Lors de l’argumentation finale, le plaignant a réitéré qu’il retire toutes les assertions formulées dans ses allégations du 16 mars 2023 en lien avec le favoritisme à l’égard des militaires.

[46] Par conséquent, il ne reste qu’à examiner les questions suivantes pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir :

1) La décision de l’intimé de ne pas nommer le plaignant dans le poste EG-04 est-elle entachée d’une crainte raisonnable de partialité à son égard?

2) L’intimé a-t-il adéquatement justifié sa décision de procéder au moyen d’un processus non annoncé?

3) L’intimé a-t-il instauré un système de contournement en ayant recours à des nominations intérimaires de moins de quatre mois pour ensuite les prolonger?

 

A. Abus de pouvoir

[47] La Loi ne fournit pas une définition exhaustive de ce qui constitue un abus de pouvoir. Le paragraphe 2(4) de la Loi précise cependant que l’abus de pouvoir comprend notamment la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Le terme « notamment » implique nécessairement que des actes répréhensibles autres que ceux énumérés au paragraphe 2(4) permettent de conclure à un abus de pouvoir au sens de la Loi (voir Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux par. 33 à 35).

[48] Une simple erreur, omission ou conduite irrégulière ne justifiera pas l’intervention de la Commission. La conduite, l’erreur ou l’omission contestée doit être déraisonnable, inacceptable ou outrageante de telle manière qu’il ne pouvait être l’intention du législateur que la personne en situation d’autorité exerce son pouvoir discrétionnaire de cette manière (voir Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, au par. 25). Dans le cadre d’une plainte d’abus de pouvoir, la partie plaignante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus de nomination (voir Portree c. l’administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, au par. 47).

B. La preuve ne supporte pas l’allégation de crainte raisonnable de partialité

[49] La jurisprudence reconnaît qu’une crainte raisonnable de partialité constitue une forme de mauvaise foi. Une preuve d’intention n’est pas requise pour la démontrer (voir Harnois c. Administrateur général (Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2024 CRTESPF 106, au par. 100). Toutefois, des simples suppositions, des spéculations ou des conjectures ne permettent pas de conclure à une crainte raisonnable de partialité. Cette crainte doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente (voir Palmquist c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2020 CRTESPF 6, au par. 77).

[50] Dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 372, la Cour suprême du Canada a formulé le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité comme suit :

[…] La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique? » […]

 

[51] Ce critère a été quelque peu reformulé en matière de plaintes d’abus de pouvoir en dotation (voir Green c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2018 CRTESPF 69, au par. 89). La version reformulée se lit comme suit :

[…] un observateur relativement bien renseigné qui étudierait le processus percevrait-il raisonnablement la partialité chez une ou plusieurs des personnes participant à l’évaluation de la plaignante?

 

[52] Le plaignant ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de l’intimé de ne pas le nommer dans le poste EG-04 est entachée d’une crainte raisonnable de partialité à son égard. Je suis d’accord avec l’intimé que le statut et les responsabilités syndicales du plaignant ne créent pas une présomption de crainte raisonnable de partialité à son égard.

[53] D’entrée de jeu, la preuve révèle que le colonel Moyle n’a pas participé au processus de nomination, outre le fait d’avoir signé la lettre d’offre. Selon les témoins de l’intimé, le colonel Moyle ne s’est pas immiscé dans le processus de nomination et n’est pas intervenu dans le choix de la personne nommée. Il avait délégué son autorité en matière de dotation à ses chefs de programmes, soit notamment à M. Brosseau. Cette absence de participation du colonel Moyle dans le processus de nomination réfute l’allégation du plaignant selon laquelle il aurait bloqué, ou tenté de bloquer, sa nomination dans le poste EG-04 en raison de son statut syndical ou de divergences d’opinion. M. Brosseau a également témoigné qu’il n’avait pas entendu des propos négatifs de la part du colonel Moyle à l’endroit du plaignant. Une allégation de crainte raisonnable de partialité ne peut pas se limiter à des spéculations et des soupçons (voir Palmquist).

[54] Le plaignant n’a déposé aucune preuve pour étayer son allégation selon laquelle le colonel Moyle entretenait, ou entretient, un sentiment négatif envers lui, et encore moins que les autres personnes au 202e Dépôt d’ateliers ont été de quelque façon que ce soit influencées par les états d’âmes du colonel Moyle à l’endroit du plaignant.

[55] Considérant ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’analyser plus en profondeur la relation qui existait entre le colonel Moyle et le plaignant durant la période pertinente. La preuve révèle que la décision de ne pas nommer le plaignant dans le poste EG-04 n’est ni directement ni indirectement attribuable au colonel Moyle.

[56] Je conclus également que la preuve ne supporte pas le fait qu’il y a eu animosité entre le plaignant et les trois individus ayant participé au processus de nomination, à savoir MM. Brosseau, Guérette et Lafrance, ni qu’il y ait eu un parti pris à son encontre, que ce soit de manière générale ou, plus particulièrement, en raison de son statut syndical ou de divergences d’opinions.

[57] Le plaignant a témoigné avoir eu une bonne relation avec M. Lafrance. Quant à M. Brosseau, le plaignant a confirmé ne pas avoir eu beaucoup d’échanges avec lui et a précisé que leur relation n’était pas problématique. En ce qui a trait à M. Guérette, le plaignant a précisé que lors du premier passage de M. Guérette au 202e Dépôt d’ateliers de 2013 à 2015, ils ont eu des frictions durant une période qui n’a pas duré longtemps. En effet, M. Guérette a quitté le 202e Dépôt d’ateliers quelques mois après que le plaignant a commencé à assumer des responsabilités syndicales. Le plaignant a témoigné que le ton a monté une seule fois, lors de leur discussion durant l’hiver 2014-2015. Lorsque M. Guérette est revenu au 202e Dépôt d’ateliers en 2020, le plaignant n’a pas eu affaire à lui directement.

[58] Outre le fait que cette courte période de friction a eu lieu environ huit ans avant que le processus de nomination faisant l’objet de la présente plainte ait eu lieu, le plaignant ne m’a fourni aucun détail à ce sujet. Je ne sais pratiquement rien de cet incident qui s’est déroulé il y a des années, et M. Guérette ne s’en souvient pas.

[59] Tout d’abord, même si je devais accepter que le ton ait effectivement monté lors d’une discussion entre le plaignant et M. Guérette, ce seul fait en soit, en l’absence d’autres informations pertinentes, ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part de ce dernier à l’égard du plaignant. Si le plaignant considérait cet incident isolé comme marquant, je me serais attendu à un peu plus de détails de sa part. De plus, le plaignant n’a pas établi de lien entre le haussement de ton à l’hiver 2014-2015, si effectivement haussement de ton il y a eu, et le processus de nomination qui a eu lieu au début de 2023. Après tout, le plaignant en avait le fardeau (Praught et Pellicore c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 1, au par. 66.; Jayawardena c. Statisticien en chef du Canada de Statistique Canada, 2012 TDFP 2, au par. 51).

[60] Quant à Mme Lepage, rien dans la preuve ne me permet de conclure qu’elle a participé au processus de nomination. Il se peut qu’elle ait fourni des conseils à M. Brosseau en lien avec ce processus de nomination, mais sans plus. En bout de ligne, c’est M. Brosseau qui a décidé que le processus serait non annoncé. D’ailleurs, M. Guérette a confirmé dans son témoignage que Mme Lepage n’était présente ni lors des discussions sur le choix du processus, ni lors de celles portant sur le choix du candidat. Enfin, en ce qui concerne la relation entre le plaignant et Mme Lepage, elle se limite à une vague allégation du plaignant selon laquelle cette relation « n’était pas très bonne » et que Mme Lepage adoptait une position réfractaire envers le syndicat.

[61] Rien dans ce qui précède ne me permet de conclure que Mme Lepage a conspiré avec les membres du comité de sélection pour empêcher la nomination du plaignant au poste EG-04, comme semble le suggérer le plaignant.

[62] La partie qui allègue l’existence d’une crainte raisonnable de partialité doit en faire la preuve avec des éléments convaincants, démontrés selon la prépondérance des probabilités. Des insinuations vagues, des spéculations ou des suppositions non fondées ne suffisent pas pour établir une telle allégation. La preuve doit être tangible et suffisamment précise pour convaincre une personne raisonnable et informée des faits que la crainte alléguée est fondée (voir Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, au par. 124; Haller c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2022 CRTESPF 100, au par. 72).

[63] Or, en l’occurrence, le plaignant ne s’est pas déchargé de son fardeau de la preuve. Je suis d’avis qu’un observateur relativement bien informé ne pourrait raisonnablement pas percevoir de partialité dans le cadre du processus de nomination de la part des personnes identifiées par le plaignant.

C. L’intimé a justifié sa décision de procéder avec un processus non annoncé

[64] L’intimé a justifié son choix de recourir à un processus non annoncé. Ce choix était motivé par un besoin opérationnel existant. Je tire cette conclusion de fait après avoir attentivement examiné le contenu de la lettre de justification de la décision de sélection datée du 11 janvier 2023, produite en preuve, ainsi que les témoignages pertinents.

[65] L’article 33 de la Loi permet à la Commission de la fonction publique (et donc la personne à qui le pouvoir de dotation est délégué, en l’occurrence l’intimé), de choisir entre un processus annoncé et un processus non annoncé pour doter un poste. L’article en question se lit comme suit:

Processus de nomination

Appointment processes

33 La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

33 In making an appointment, the Commission may use an advertised or non-advertised appointment process.

 

[66] Le plaignant ne conteste pas tant le fait que l’intimé avait le droit d’opter pour l’un ou l’autre des processus de nomination dans le présent cas. Plutôt, il dénonce l’absence de justification de la part de l’intimé pour avoir procédé au moyen d’un processus non annoncé. Par conséquent, selon le plaignant, l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix du processus. Je ne suis pas d’accord.

[67] Les témoins de l’intimé sont venus expliquer le contexte dans lequel tant la nomination de moins de quatre mois, qui ne peut pas faire l’objet d’une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi, que celle de plus de quatre mois ont été faites. En résumé, le 202e Dépôt d’ateliers a reçu un mandat de l’armée pour faire des réparations et la réfection de canons d’artillerie légers M777. C’est le Projet M777. Les équipes en lien avec ce projet ont commencé à être organisées vers l’automne 2020. Un employé hautement qualifié qui travaillait sur le projet a soudainement quitté la fonction publique. Il fallait le remplacer rapidement afin que le projet puisse se poursuivre et que le prototype puisse être complété et envoyé en production de masse. Le Projet M777 était d’une grande priorité et d’une importance majeure pour l’armée compte tenu de la situation en Europe et ailleurs dans le monde. Cette preuve est non contestée.

[68] C’est dans ce contexte que M. Leroux a été nommé dans le poste EG-04 pour une période de moins de quatre mois, du 27 octobre 2022 au 26 février 2023. Comme le projet n’était toujours pas terminé à la fin de cette période, l’intimé a décidé de prolonger sa nomination pour une période additionnelle de huit mois, à partir du 27 février jusqu’au 27 octobre 2023. Cette deuxième nomination a été effectuée au moyen d’un processus non annoncé.

[69] Dans la lettre de justification de la décision de sélection datée du 11 janvier 2023, l’intimé motive sa décision de recourir à un processus non annoncé par un besoin opérationnel. L’extrait pertinent de la lettre se lit comme suit :

« Besoin opérationnel, processus interne non annoncé, zone de sélection 202 DA à Montréal

Motivation;

Dans le but de pallier au manque de technologue en Armement pour supporter la mise en place du Projet M777 dans le Groupe Développement, j’aimerais prolonger l’intérim au-delà de quatre mois de M. Hugo Leroux. »

[…]

 

[70] M. Brosseau a signé cette lettre. Lors de son témoignage, il a précisé que le « besoin opérationnel » mentionné dans la lettre fait référence à la production et à la livraison de l’équipement dans les délais, ainsi qu’à l’avancement du projet afin que l’organisation puisse livrer un prototype pour la production. En raison de ce qui précède, il n’avait pas le temps de doter le poste en ayant recours à un processus annoncé.

[71] M. Guérette a ajouté qu’il fallait prolonger la nomination intérimaire pour compléter le prototype. Il a aussi expliqué que le besoin de « […] pallier au manque de technologue en Armement pour supporter la mise en place du Projet M777 dans le Groupe Développement, » s’explique par le départ soudain du titulaire du poste. Il n’y avait pas de technicien/analyste en armement dans le groupe Développement. Cette preuve est non contredite.

[72] Je retiens de la lettre de justification du 11 janvier 2023 que la décision de l’intimé de recourir au processus non annoncé pour nommer la personne nommée s’explique par le besoin de faire avancer le Projet M777. C’est ce besoin opérationnel qui est à l’origine de la décision de l’intimé de recourir à un processus non annoncé. Il est vrai que la justification fournie par l’intimé dans la lettre en question est relativement brève. Toutefois, elle est convaincante et, de ce fait, suffisante. Le plaignant n’a présenté aucune preuve démontrant que cette justification n’était pas ancrée dans la réalité. Ce n’est pas parce que le plaignant aurait souhaité une justification plus détaillée que je peux conclure à un abus de pouvoir. Je ne vois rien de déraisonnable, d’inacceptable ou d’outrageant dans la décision de l’intimé de recourir à un processus non annoncé, compte tenu de la preuve qui m’a été présentée (voir Davidson).

[73] Je ne suis pas d’accord avec le plaignant que la justification fournie dans la lettre du 11 janvier 2023 ne reflète pas les témoignages de M. Brosseau et M. Guérette. Au contraire, ces témoins ont confirmé le besoin opérationnel auquel l’organisation était confrontée, à savoir le départ soudain d’un employé hautement qualifié du groupe Développement travaillant sur le Projet M777, ainsi que la nécessité de s’assurer que le projet progresse efficacement, pour les raisons déjà explicitées ci-dessus. Le fait que ces témoins aient détaillé la justification consignée dans la lettre ne la contredit en rien. Si les témoins ne faisaient que répéter ce qui apparaît dans le document, je ne vois pas en quoi leur présence aurait été utile.

[74] Pour cette même raison, contrairement à ce qu’avance le plaignant, je suis d’avis que les témoins peuvent ajouter des éléments non précisés dans la justification écrite (Savoie c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 78, au par. 23). Bien entendu, cette preuve testimoniale doit être crédible et s’aligner sur la justification initialement fournie, plutôt que la contredire. Cela étant, rien dans ce qui précède ne doit être interprété comme permettant à l’intimé de se soustraire à son obligation de justifier adéquatement, avant de procéder à la nomination de la personne retenue, sa décision de recourir à un processus non annoncé, sous prétexte qu’il pourra fournir cette justification ultérieurement lors de l’audience devant la Commission.

[75] Enfin, les faits dans Hunter c. Sous-ministre de l’Industrie, 2019 CRTESPF 83, qui a été citée par le plaignant, se distinguent des faits dans le présent cas. Je suis d’accord avec l’intimé que la raison qui a amené la Commission à conclure, dans Hunter, que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ayant eu recours au processus non annoncé était attribuable à une série d’erreurs qui équivalaient à de la mauvaise foi. Tel n’est pas le cas dans la présente affaire.

[76] Le plaignant ne conteste pas le fait que l’intimé a adéquatement évalué les critères de mérite avant de procéder à la nomination intérimaire de plus de quatre mois de M. Leroux. D’ailleurs, le plaignant a concédé que la preuve ne permet pas de conclure que la personne nommée ne satisfait pas aux critères de mérite établis. Sur ce point, je suis d’accord avec le plaignant.

D. La preuve n’étaye pas le fait que l’intimé a établi un système de contournement

[77] Le plaignant a allégué que l’intimé avait établi un système de contournement de la Loi en choisissant des candidats de manière discrétionnaire pour des nominations intérimaires de moins de quatre mois, pour ensuite les nommer pour des périodes indéterminées. Quoiqu’il s’agit d’une allégation grave, le plaignant n’a présenté aucune preuve pour l’étayer. En d’autres termes, cette allégation n’a pas dépassé le stade d’une simple assertion.

[78] Le fait que l’intimé ait nommé M. Leroux au poste EG-04 pour une période de moins de quatre mois, puis prolongé sa nomination intérimaire pour une durée déterminée de plus de quatre mois, ne soutient en rien l’allégation selon laquelle l’intimé contourne systématiquement la Loi, à mauvais escient. Il suffit de dire qu’en l’absence de toute preuve en lien avec cette allégation, son analyse s’arrête ici (Ralph c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 256, au par. 34; Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 650, au par. 28).

[79] Ainsi, le plaignant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, comme il en avait le fardeau, que l’intimé a abusé de son pouvoir, que ce soit dans l’application du principe du mérite ou dans le choix du processus.

[80] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit:

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[81] La plainte est rejetée.

Le 28 janvier 2025.

Adrian Bieniasiewicz,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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