Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant était un représentant de l’agent négociateur représentant un membre de l’unité de négociation dans un grief alléguant du harcèlement. Le membre a déposé un grief lié à la convention collective en vertu de la Loi et a présenté une plainte de harcèlement en vertu du Code. La défenderesse a fait enquête et a nommé une personne compétente en vertu de la version du Règlement alors en vigueur en réponse à la plainte de harcèlement. Le plaignant, à titre de représentant de l’agent négociateur, a communiqué avec un témoin du harcèlement puisque l’enquête était en cours. La défenderesse l’a puni pour cela. Le plaignant a soutenu qu’il s’agissait d’une pratique déloyale de travail en vertu de la Loi. La Commission a conclu que le plaignant avait présenté une cause défendable qu’il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire en raison de son statut de représentant de l’agent négociateur, ce qui était contraire au sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi, et elle a rejeté la requête en rejet de la défenderesse de la plainte de pratique déloyale de travail. Cependant, elle a conclu que le plaignant n’avait pas établi une cause défendable de violation du Code, puisqu’il n’y avait aucun rôle pour un représentant syndical dans une enquête sur le harcèlement menée par une personne compétente en vertu de la version du Règlement en vigueur au moment pertinent.

Objection accueillie en partie.

Contenu de la décision

Date: 20241126

Dossiers: 561-34‑42967

et 560‑34‑42968

 

Référence: 2024 CRTESPF 163

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Code canadien du travail

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Patrick Chabbert

plaignant

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

défenderesse

Répertorié

Chabbert c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des plaintes présentées en vertu de l’alinéa 190g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et de l’article 133 du Code canadien du travail

Devant : Patricia Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui‑même

Pour la défenderesse : Chris Hutchison, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 27 juin et les 15 et 19 juillet 2024.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plaintes devant la Commission

[1] Patrick Chabbert (le « plaignant ») a déposé des plaintes de pratique déloyale de travail et de représailles contre la défenderesse, soit l’Agence du revenu du Canada, lorsque, en sa qualité de représentant syndical, il a reçu une réprimande écrite pour avoir communiqué avec un témoin potentiel de harcèlement. Pendant toute la période pertinente, M. Chabbert était le délégué syndical, puis le délégué syndical principal pour le Syndicat des employé‑e‑s de l’impôt (SEI) pour la section locale 50021, qui est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Il représentait un employé relativement à un grief et à une plainte pour violence en milieu de travail lorsqu’il a été menacé, puis il s’est vu imposer une mesure disciplinaire sous forme de réprimande écrite. Il a fait valoir que les actes de la défenderesse contrevenaient au paragraphe 186(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») et à l’article 133 du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L‑2; le « Code »).

[2] La défenderesse a demandé que les plaintes soient rejetées. La défenderesse a soutenu que le plaignant n’a pas présenté une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu au paragraphe 186(2) de la Loi et qu’il n’avait pas qualité pour présenter la plainte. Elle a également fait valoir qu’il n’avait pas qualité pour porter plainte en vertu de l’article 133 du Code et qu’il n’avait pas présenté une cause défendable.

[3] La présente décision se limite à déterminer si le plaignant a présenté une cause défendable de pratique déloyale de travail et de représailles et s’il a qualité pour présenter ces plaintes.

[4] L’agent négociateur, l’AFPC, n’a déposé aucune plainte d’ingérence en vertu du paragraphe 186(1) de la Loi. Même si je parlerai de l’AFPC et du SAI de manière interchangeable, l’AFPC est l’agent négociateur, et le SAI est un élément de l’AFPC qui fournit une représentation directe aux membres du syndicat.

[5] Pour les motifs qui suivent, je dois conclure que le plaignant a présenté une cause défendable selon laquelle la défenderesse a contrevenu au sous‑alinéa 186(2)a)(i) de la Loi. Si je considère ses allégations comme véridiques, je conclus qu’il existe une cause défendable selon laquelle la défenderesse l’a menacé et lui a imposé une mesure disciplinaire parce qu’il est un représentant d’une organisation syndicale qui, à l’époque, était un délégué syndical qui représentait un membre relativement à un grief de harcèlement et à une plainte de violence en milieu de travail.

[6] Le plaignant a présenté une cause défendable selon laquelle une mesure disciplinaire lui avait été imposée en raison de son rôle de délégué syndical consistant à obtenir le témoignage d’un témoin aux fins d’une procédure de règlement des griefs et d’une plainte de violence en milieu de travail d’un employé.

[7] Un délégué syndical est un représentant clé du syndicat au niveau local qui assure la représentation du syndicat et des fonctionnaires s’estimant lésés à titre individuel. Le plaignant allègue que la défenderesse l’a ciblé en raison de son rôle consistant à représenter un employé. De plus, il allègue que la mesure disciplinaire a eu un effet dissuasif parce qu’elle l’a empêché d’obtenir d’autres témoignages à titre de délégué syndical. Il allègue que ce faisant, la défenderesse souhaitait dissimuler le harcèlement.

[8] Le but du paragraphe 186(2) de la Loi est d’empêcher la défenderesse d’intervenir dans les affaires des employés exerçant des activités légitimes de relations de travail et de les cibler. Le plaignant a présenté une cause défendable selon laquelle le paragraphe 186(2) a été enfreint.

[9] Toutefois, le plaignant n’a pas présenté une cause défendable de représailles en vertu du Code. Même si je considère les allégations comme fondées, il n’a pas satisfait aux conditions requises qui sont énoncées dans White c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 52. Plus particulièrement, ses allégations, si elles sont considérées comme véridiques, ne permettent pas d’établir qu’il a agi conformément à la partie II du Code lorsqu’il a cherché à obtenir le témoignage d’un témoin potentiel de harcèlement. En vertu de la partie XX de la version du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86‑304 (Règlement CSST) en vigueur à l’époque, le rôle des représentants syndicaux n’est pas défini dans le cadre d’une enquête sur la violence en milieu de travail.

[10] Ni l’ancienne partie XX du Règlement CSST ni la partie II du Code ne comporte de disposition autorisant les représentants syndicaux à interroger des témoins potentiels avant que la personne compétente n’effectue une enquête sur la violence en milieu de travail. Par conséquent, l’obtention d’un témoignage de témoin, en tant que représentant syndical, aux fins d’une plainte de violence en milieu de travail, n’est pas conforme à la partie II du Code.

II. Historique de la procédure

[11] Une audience a été inscrite au calendrier du 25 au 27 juillet 2024. Avant l’audience, la Commission a prévu une conférence préparatoire à l’audience le 13 juin. Les deux parties ont été invitées à formuler des commentaires sur la question de savoir s’il était approprié de procéder par voie d’arguments écrits à l’aide du cadre d’analyse de la cause défendable.

[12] Le plaignant n’était pas d’accord pour que l’on procède au moyen d’arguments écrits et il a allégué que l’affaire avait déjà été tranchée il y a trois ans. La défenderesse n’était pas d’accord et a fait remarquer que « l’analyse de la cause défendable » devait être déterminée avant qu’une décision ne soit rendue sur le fond.

[13] Après avoir entendu les parties, la Commission a déterminé que la question de savoir si les plaintes satisfaisaient au seuil de la cause défendable n’avait pas encore été tranchée. Elle a également estimé qu’il était dans l’intérêt d’une administration de la justice efficace d’entendre leurs arguments juridiques concernant le cadre d’analyse de la cause défendable. La Commission a établi un calendrier pour la présentation des arguments écrits, que les parties ont respecté.

[14] Cela signifie que la Commission doit décider, si les allégations du plaignant sont considérées comme véridiques, si la défenderesse a contrevenu au paragraphe 186(2) de la Loi et à l’article 147 du Code.

[15] Après la conférence préparatoire à l’audience, le plaignant a écrit à la Commission pour lui faire savoir qu’il ne souscrivait toujours pas à sa décision de procéder par voie d’arguments écrits. Elle lui a répondu et a expliqué que l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) confère à la Commission le pouvoir de trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience. La Commission a également fait remarquer que la décision de procéder par voie d’arguments écrits avait déjà été prise lors de la conférence préparatoire à l’audience à laquelle le plaignant avait assisté.

III. Contexte

[16] Les parties n’ont pas déposé un énoncé conjoint des faits, mais je vais résumer les principales allégations du plaignant.

[17] En septembre 2019, un membre de l’unité de négociation que M. Chabbert représentait a déposé un grief et une plainte pour violence en milieu de travail, alléguant qu’il avait été victime de harcèlement, en vertu de la partie XX du Règlement CSST en vigueur à l’époque.

[18] Pendant toute la période pertinente, M. Chabbert a représenté le membre en sa qualité de délégué syndical, puis de délégué syndical principal de la section locale 50021 du SEI.

[19] Tant le grief que la plainte pour violence en milieu de travail alléguaient que le membre que représentait M. Chabbert avait été victime de harcèlement en milieu de travail.

[20] Avant de communiquer avec le témoin potentiel, M. Chabbert a communiqué avec la représentante de la défenderesse pour l’informer que de nouveaux renseignements provenant de documents récupérés dans le cadre du processus d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) comportaient le nom d’un témoin potentiel et pour l’aviser qu’il communiquerait avec cette personne.

[21] M. Chabbert a ensuite communiqué avec le témoin potentiel en sa qualité de représentant du syndicat et de l’employé.

[22] En vertu de la version précédente du Règlement CSST, si la défenderesse prenait connaissance d’allégations de violence en milieu de travail, elle devait nommer une personne compétente si l’affaire ne pouvait pas être réglée. Cette personne était censée être une personne impartiale, bien informée et chevronnée qui ferait ensuite enquête sur l’affaire et rédigerait un rapport final contenant des recommandations (voir les par. 20.9(1) à (6) de la partie XX du Règlement CSST).

[23] Lorsque le plaignant a communiqué avec le témoin potentiel, la personne compétente avait été nommée, mais l’enquête sur la violence en milieu de travail n’avait pas commencé.

[24] Après avoir appris que le plaignant avait communiqué avec le témoin potentiel, la défenderesse a donné une réprimande écrite à M. Chabbert pour ingérence dans une enquête en milieu de travail.

IV. Cadre juridique pour évaluer une cause défendable en vertu du paragraphe 186(2) de la Loi

[25] Les plaintes qui comportent une allégation de non‑respect du paragraphe 186(2) de la Loi sont assujetties à un fardeau de la preuve inversé prévu par le paragraphe 191(3) de la Loi : « La présentation par écrit […] de toute plainte faisant état d’une contravention […] constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle‑ci de prouver le contraire. »

[26] Toutefois, avant que ce fardeau de la preuve inversé puisse s’appliquer, le plaignant doit se fonder sur une des circonstances prévues au paragraphe 186(2) de la Loi (Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95, au par. 88; Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier, 2008 CRTFP 37, aux par. 31 et 32; Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, aux par. 103 à 108).

[27] Par conséquent, le cadre d’analyse de la cause défendable exige que la Commission examine, si les allégations du plaignant sont considérées comme véridiques, s’il existe une cause défendable d’une violation du paragraphe 186(2) de la Loi. Une plainte qui ne démontre pas un lien raisonnable avec les interdictions énoncées au paragraphe 186(2) de la Loi peut être rejetée (Fortier c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 51, au par. 101).

[28] Dans Gabon c. ministère de l’Environnement, 2022 CRTESPF 6, et Idahosa c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 17, la Commission a adopté le cadre d’analyse de la cause défendable dans le contexte d’une plainte pour pratique déloyale de travail en vertu du paragraphe 186(2). Les deux décisions s’appuient sur le cadre d’analyse énoncé comme suit dans Hughes :

[…]

[86] […] On a demandé aux parties de déterminer si les trois plaintes devant moi constituaient, à première vue, un cas défendable de violation de la LRTFP. Plus particulièrement, on leur a demandé de déterminer si, supposant que la Commission établisse que toutes les allégations mises de l’avant soient fondées, les plaintes constituaient un cas défendable de violation par le défendeur des dispositions de la LRTFP sur les pratiques déloyales de travail.

[…]

 

[29] En outre, lorsqu’elle a appliqué le cadre d’analyse, la Commission a appliqué la même approche rigoureuse aux faits, tout en tenant compte de l’avertissement suivant énoncé dans Hughes :

[…]

[105] […] [s’il y a] quelque doute que ce soit sur ce que les faits révèlent – présumant que les faits sont véridiques – [la Commission] doi[t] opter pour une conclusion de cas défendable […] [Elle doit] aussi conserver la possibilité pour le plaignant de faire entendre ses plaintes […]

[…]

 

[30] J’adopte la même approche.

[31] De plus, dans Idahosa, la Commission a fait remarquer qu’étant donné le cadre d’analyse de la cause défendable, elle pouvait effectivement ne pas tenir compte des faits allégués du défendeur à la première étape de l’analyse.

[32] Je suis du même avis.

[33] Même si j’ai lu les arguments de la défenderesse, y compris ses allégations, je me concentrerai uniquement sur les allégations du plaignant afin de déterminer s’il a présenté une cause défendable. Toutefois, si une cause défendable est établie en vertu du paragraphe 186(2) de la Loi, il incombera à la défenderesse d’établir qu’elle ne s’est pas livrée à une pratique déloyale de travail. Étant donné que la présente décision se limite à l’analyse de la cause défendable, je ne procéderai que sur cette base.

V. Résumé des allégations du plaignant

[34] Le plaignant a présenté ses plaintes le 3 mai 2021. Dans la lettre d’accompagnement, il a fourni les renseignements généraux suivants :

[Traduction]

[…]

Le contexte des plaintes est que j’ai fait l’objet d’une mesure disciplinaire alors que j’agissais en ma qualité de délégué syndical principal de la section locale 50021 du SEI de l’AFPC. Je représentais un employé qui avait déposé un grief et une plainte pour violence en milieu de travail en vertu du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. J’ai fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir communiqué avec un témoin potentiel.

[…]

 

[35] Dans le formulaire 26, le plaignant décrit comme suit les actes qui ont donné lieu à la plainte en vertu de l’article 133 du Code :

[Traduction]

Le 30 octobre 2020, Karen Morrow […] m’a menacé de m’imposer une mesure disciplinaire. Le 4 février 2021, une mesure disciplinaire a été prise […] La menace et la mesure disciplinaire constituaient des représailles pour ma représentation d’un employé dans le cadre d’une plainte pour violence en milieu de travail en vertu de la partie XX du RCSST.

 

[36] Dans la case pour indiquer la mesure corrective qu’il demandait, le plaignant a demandé que [traduction] « tout document concernant la mesure disciplinaire soit retiré de mon dossier personnel […] » et [traduction] « [une] déclaration selon laquelle la défenderesse a enfreint l’article 147 du Code canadien du travail ».

[37] Dans le formulaire 16 que le plaignant a soumis, il a écrit ce qui suit pour expliquer ce qui a donné lieu à la plainte en vertu de l’alinéa 190g) de la Loi qui alléguait une violation du paragraphe 186(2) de la Loi :

[Traduction]

Le 30 octobre 2020, Karen Morrow (directrice, BSF [bureau des services fiscaux] de Winnipeg) m’a menacé de m’imposer une mesure disciplinaire. Le 4 février 2021, une mesure disciplinaire a été prise (réprimande écrite). La menace et la mesure disciplinaire constituaient des représailles pour ma représentation d’un employé en ma qualité de délégué syndical principal de la section locale 50021.

 

[38] En tant que mesure corrective, le plaignant a demandé des mesures presque identiques, comme suit : [traduction] « Que tout document concernant la mesure disciplinaire soit retiré de mon dossier personnel […] » et [traduction] « [une] déclaration selon laquelle l’employeur a enfreint le paragraphe 186(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral ».

[39] Le plaignant a fourni des renseignements généraux supplémentaires à sa plainte lorsque la Commission a exigé que les parties fournissent des arguments sur le cadre d’analyse de la cause défendable.

[40] Le plaignant a fait remarquer qu’un employé avait déposé une plainte de harcèlement le 26 septembre 2019 et qu’il avait également déposé un grief le même jour, en vertu de l’article 18 de la convention collective pertinente concernant le harcèlement. Pendant toute la période pertinente, le plaignant était le représentant de cet employé en sa qualité de délégué syndical et de délégué syndical principal.

[41] Au début d’octobre 2019, le grief a été mis en suspens, en attendant le règlement de la plainte de harcèlement.

[42] Le 9 décembre 2019, la représentante de la défenderesse a informé l’employé et le plaignant que la défenderesse mènerait une enquête interne.

[43] Le plaignant a soutenu qu’en janvier 2020, l’employé qu’il représentait a reçu des documents en vertu d’une demande d’AIPRP qui identifiaient une personne en tant que témoin potentiel du harcèlement.

[44] Le 28 janvier 2020, le plaignant a communiqué avec la représentante de la défenderesse pour l’informer des renseignements supplémentaires contenus dans les documents provenant de la demande d’AIPRP, y compris la participation d’un témoin potentiel au harcèlement.

[45] À une date non divulguée en octobre 2020, l’employé a été informé que l’enquête interne de la défenderesse était terminée.

[46] Le plaignant allègue qu’il a communiqué avec le témoin potentiel avant que la personne compétente ne soit nommée.

[47] Le plaignant a communiqué avec le témoin potentiel le 30 octobre 2020 pour tenter d’obtenir tout témoignage relatif au harcèlement. Il s’est présenté comme le représentant syndical de l’employé.

[48] Le même jour, la défenderesse a menacé de prendre une mesure disciplinaire contre le plaignant pour avoir communiqué avec un témoin potentiel du harcèlement.

[49] Le 4 février 2021, le plaignant a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir communiqué avec le témoin potentiel.

VI. Analyse

[50] Comme je l’ai indiqué dans l’aperçu, la présente décision porte sur la question de savoir si le plaignant a établi une cause défendable selon laquelle la défenderesse a commis une pratique déloyale du travail et s’il existe une cause défendable selon laquelle elle a pris des mesures de représailles. J’ai divisé l’analyse en deux parties. Dans la partie A, j’examine la question de savoir s’il existe une cause défendable selon laquelle la défenderesse a enfreint le paragraphe 186(2) de la Loi. Dans la partie B, j’examine la question de savoir s’il existe une cause défendable selon laquelle elle a pris des mesures de représailles, en violation de l’article 147 du Code.

A. La cause défendable fondée sur le paragraphe 186(2) de la Loi

[51] Le paragraphe 186(2) de la Loi interdit à la défenderesse ou à une personne occupant un poste de direction ou de confiance, ou à l’officier au sens de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R‑10), de se livrer à des pratiques déloyales de travail.

[52] Alors que le paragraphe 186(1) de la Loi interdit à la défenderesse de prendre des mesures précises contre un syndicat, le paragraphe 186(2) interdit les pratiques déloyales de travail à l’égard des personnes exerçant leurs droits légitimes d’association, y compris leurs droits de témoigner et de déposer des griefs, et ce qui est généralement décrit dans la loi comme « tout droit prévu par la présente partie » ou les parties 2 ou 2.1. Ces parties portent sur les griefs et les dispositions particulières propres à la Gendarmerie royale du Canada.

[53] Comme l’ont souligné les décisions antérieures de la Commission, seul un agent négociateur peut porter plainte pour violation du paragraphe 186(1). Les plaintes déposées en vertu du paragraphe 186(2), comme la présente plainte, peuvent être présentées par des personnes qui allèguent que leurs défendeurs ont pris des mesures de représailles contre eux en raison de leurs activités syndicales ou de griefs prescrits.

[54] La disposition pertinente, soit le paragraphe 186(2) de la Loi, se lit en partie comme suit :

186(2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui‑ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur:

186(2) No employer, no person acting on the employer’s behalf, and, whether or not they are acting on the employer’s behalf, no person who occupies a managerial or confidential position and no person who is an officer as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act or who occupies a position held by such an officer, shall

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants:

(a) refuse to employ or to continue to employ, or suspend, lay off, discharge for the promotion of economy and efficiency in the Royal Canadian Mounted Police or otherwise discriminate against any person with respect to employment, pay or any other term or condition of employment, or intimidate, threaten or otherwise discipline any person, because the person

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

(i) is or proposes to become, or seeks to induce any other person to become, a member, officer or representative of an employee organization, or participates in the promotion, formation or administration of an employee organization,

(ii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1, ou pourrait le faire,

(ii) has testified or otherwise participated, or may testify or otherwise participate, in a proceeding under this Part or Part 2 or 2.1,

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1,

(iii) has made an application or filed a complaint under this Part or Division 1 of Part 2.1 or presented a grievance under Part 2 or Division 2 of Part 2.1, or

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1;

(iv) has exercised any right under this Part or Part 2 or 2.1 ….

[…]

[Je mets en évidence]

 

[55] Ces dispositions sont assez courantes dans les lois sur les relations de travail partout au pays. Leur but est de garantir qu’un défendeur n’intervienne pas dans les activités syndicales légitimes ou ne prenne pas des mesures de représailles contre les employés pour l’exercice de certains droits collectifs et de représentation.

[56] De plus, l’article 5 de la Loi porte sur les libertés des employés. Contrairement à l’argument de la défenderesse, j’estime qu’il est pertinent au présent cas. Il s’agit d’une garantie de la liberté de tous les employés, selon le cas, de se joindre aux organisations syndicales de leur choix et de participer à leurs activités légitimes, ce qui comprend certainement le fait de représenter des employés dans le cadre de griefs et de plaintes.

[57] Les allégations du plaignant mentionnent d’abord une violation générale du paragraphe 186(2), mais ses arguments en réponse sont plus précis. Ils allèguent précisément une violation du sous‑alinéa 186(2)a)(i).

[58] Le plaignant fait valoir qu’en communiquant avec un témoin potentiel de harcèlement, il avait agi en sa qualité de délégué syndical et de représentant de l’employé relativement au grief de harcèlement et à la plainte de violence en milieu de travail.

1. Il n’existe aucune cause défendable selon laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir participé à l’administration d’une organisation syndicale

[59] Le plaignant fait valoir qu’en menaçant de lui imposer une mesure disciplinaire et en lui imposant finalement une telle mesure, la défenderesse s’est livrée à une pratique déloyale de travail parce qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour avoir participé à l’administration d’une organisation syndicale.

[60] Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que selon une lecture du paragraphe 186(1), conjointement avec le paragraphe 186(2), l’administration d’une organisation syndicale concerne les affaires internes de cette organisation. Elle ne concerne pas la représentation.

[61] Le paragraphe 186(1) fait référence à l’interdiction pour la défenderesse de participer à la « […] formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle‑ci […] », alors que le sous‑alinéa 186(2)a)(i) interdit à la défenderesse de commettre une série d’actions parce que la personne « […] adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation […] [je mets en évidence]. »

[62] Lorsque des mots différents sont utilisés dans des lois, des significations différentes doivent être attribuées. Par conséquent, même si les représentants des organisations syndicales participent à son administration, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que le législateur n’avait pas l’intention que « l’administration d’une telle organisation [syndicale] » soit synonyme d’être un représentant d’une organisation syndicale.

[63] L’« administration d’une telle organisation [syndicale] » comprend des activités légales qui vont de la fourniture régulière de renseignements et de mises à jour aux membres jusqu’à la mise à jour des listes de membres et des sites Web internes du syndicat. D’autre part, le fait d’être un représentant d’une organisation syndicale ou d’un syndicat comprend les activités associées à la représentation, comme la représentation du syndicat ou des personnes dans le cadre de griefs et de plaintes, lors de réunions mixtes patronales‑syndicales ou au sein du comité en matière de santé et de sécurité au travail. Les allégations du plaignant portent uniquement sur la supposée réponse de la défenderesse à la représentation d’un employé par le plaignant. Par conséquent, en examinant les allégations du plaignant, je conclus qu’il n’y a tout simplement pas d’allégations selon lesquelles la défenderesse a menacé de lui imposer une mesure disciplinaire ou lui a imposé une telle mesure parce qu’il a participé à l’administration d’une organisation syndicale.

2. Il existe une cause défendable selon laquelle le plaignant a été ciblé parce qu’il est un représentant syndical

[64] J’estime que le plaignant a allégué qu’il avait été ciblé parce qu’il est un [traduction] « représentant d’une organisation syndicale ». Les arguments du plaignant peuvent manquer de la précision d’un avocat chevronné. Toutefois, je conclus que le contexte global de la plainte est que le plaignant a été ciblé alors qu’il représentait un employé dans le cadre d’un grief et d’une plainte pour violence en milieu de travail dans son rôle de délégué syndical et plus tard de délégué syndical principal.

[65] La défenderesse soutient que le plaignant doit alléguer qu’il a été ciblé simplement parce qu’il est un représentant d’une organisation syndicale.

[66] Je ne suis pas du même avis.

[67] Ce qui est nécessaire pour satisfaire au seuil de la cause défendable, c’est une allégation d’une relation causale entre la mesure disciplinaire de la défenderesse et l’acte du plaignant, ou, dans le présent cas, son statut de représentant syndical. La défenderesse ne fournit aucune jurisprudence pour étayer son argument selon lequel, afin d’établir une cause défendable d’une violation du paragraphe 186(2), le plaignant doit alléguer qu’il a été ciblé simplement parce qu’il est un représentant d’une organisation syndicale.

[68] De plus, la mesure disciplinaire de la défenderesse doit être prise après l’acte du plaignant, par exemple, après que le plaignant soit devenu un représentant du syndicat (voir Idahosa c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 17, au par. 26). Je conclus que cette allégation de relation causale est présente. Le moment choisi n’est pas un facteur aussi important puisque le plaignant allègue que les actes contestés de la défenderesse portent sur son statut permanent de représentant syndical tout au long de la période au cours de laquelle il représentait un employé, et surtout après avoir interrogé un témoin potentiel du harcèlement présumé.

[69] Le plaignant répète tout au long de ses arguments qu’il a agi en sa qualité de représentant syndical en tout temps lorsqu’il a :

1. communiqué avec la représentante de l’employeur pour l’informer d’un témoin potentiel;

2. communiqué avec le témoin potentiel;

3. fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

 

[70] Il ne s’agit pas d’allégations secondaires, mais bien du cœur même de la plainte. De plus, le plaignant formule des allégations concernant les représailles présumées de la défenderesse qui sont directement liées à son statut et à ses activités en tant que représentant syndical.

[71] Voici quelques exemples : [traduction] « […] Pendant toute la période pertinente, je représentais la victime dans le cadre de mon rôle de délégué syndical, puis de délégué syndical principal de la section locale 50021 de l’AFPC/SEI. »

[72] Le plaignant allègue que le 30 octobre 2020, il a communiqué avec le témoin potentiel pour tenter d’obtenir tout témoignage relatif au harcèlement présumé. Il fait remarquer que [traduction] « […] je me suis présenté comme le représentant syndical de la victime ».

[73] Le plaignant allègue que le 30 octobre 2020, l’employeur l’a menacé de prendre des mesures disciplinaires pour avoir communiqué avec le témoin potentiel.

[74] Les arguments de la défenderesse semblent ne pas tenir compte du fait que le plaignant allègue qu’il a été ciblé non seulement pendant qu’il représentait un employé, mais parce qu’il le faisait en sa qualité de délégué syndical de la section locale.

[75] Le plaignant allègue que la lettre de réprimande qu’il a reçue le 4 février 2021 constituait un acte de punition. Il soutient que cela a eu un effet dissuasif qui l’a empêché de communiquer avec d’autres témoins potentiels en sa qualité de délégué syndical. Je cite ces allégations supplémentaires pertinentes contenues dans la plainte :

[Traduction]

[…]

Dans le présent cas, l’employeur a non seulement enfreint mon droit de participer librement aux activités syndicales légitimes en me punissant pour avoir communiqué avec un témoin potentiel, mais il a créé un effet dissuasif qui m’a empêché de communiquer avec d’autres témoins potentiels.

En raison de ses violations, l’employeur a créé des circonstances dans lesquelles j’étais perdant quoi que je fasse. Si j’avais communiqué avec des témoins potentiels, j’aurais été soumis à des menaces et à une mesure disciplinaire. Et si je ne communiquais pas avec des témoins potentiels, je perdrais ma liberté de participer pleinement à la représentation de la victime.

[…]

 

[76] Les allégations du plaignant selon lesquelles la défenderesse cherchait à le punir et à l’empêcher de faire son travail établissent un lien direct entre les représailles présumées et son rôle de représentant du syndicat.

[77] Par conséquent, en lisant attentivement les allégations, je conclus que le plaignant allègue en fait que la défenderesse l’a menacé le 30 octobre 2020 et lui a imposé une mesure disciplinaire le 4 février 2021 parce qu’il était un représentant d’une organisation syndicale et qu’il tentait de faire son travail.

[78] En outre, contrairement à l’argument de la défenderesse, une allégation ou une proposition selon laquelle la défenderesse a refusé de reconnaître le droit de l’employé d’être représenté par l’agent négociateur n’est pas nécessaire pour atteindre le seuil d’une cause défendable en vertu du sous‑alinéa 186(2)a)(i). Tout ce qui est requis sont des allégations qui établissent un lien de causalité entre le statut de l’employé à titre de représentant d’une organisation syndicale et les actes de la défenderesse interdits en vertu du paragraphe 186(2). La teneur de l’ensemble de la plainte est que le plaignant a été ciblé par la défenderesse parce qu’il agissait dans son rôle de délégué syndical relativement à un grief et à une plainte de harcèlement.

[79] À cette fin, je conclus que l’affaire dont je suis saisi peut être facilement distinguée de Baun c. Opérations des enquêtes statistiques, 2018 CRTESPF 54, dans laquelle il n’y avait pas de telles allégations de lien de causalité entre le statut de l’employée et les actes contestés du défendeur. La plaignante dans Baun a formulé des allégations selon lesquelles le paragraphe 186(2) avait été enfreint, mais c’est là que se termine la similitude avec le présent cas. Mme Baun n’a été à aucun moment une représentante syndicale et elle n’a formulé aucune allégation selon laquelle elle avait été visée en raison d’une participation à des activités syndicales légitimes, comme la représentation d’un membre. En fait, Mme Baun était à l’origine représentée par son syndicat et celui‑ci a ensuite retiré son appui à son grief de licenciement.

[80] De plus, le fait que le grief était en suspens n’a aucune incidence sur la question de savoir si le plaignant a continué de représenter l’employé à l’égard du grief. La défenderesse a laissé entendre dans ses arguments qu’il ne représentait plus l’employé à l’égard du grief puisqu’il était en suspens. Toutefois, on aurait pu demander, en tout temps, au plaignant de retirer le grief de la suspension et il aurait pu continuer à recueillir des renseignements et des éléments de preuve qui auraient pu être utiles pour le régler ou le faire progresser. Quoi qu’il en soit, le plaignant allègue qu’il était toujours le représentant syndical à l’égard du grief lorsqu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, et il s’agit des allégations que j’ai examinées.

[81] Par conséquent, non seulement le plaignant avait qualité pour déposer une plainte en vertu du paragraphe 186(2) à titre de personne qui [traduction] « est un représentant d’une telle organisation [syndicale] », mais je conclus également qu’il a présenté une cause défendable en vertu du paragraphe 186(2) selon laquelle il a été menacé et a fait l’objet d’une mesure disciplinaire en raison de son rôle syndical.

[82] Dans Joe c. Marshall, 2021 CRTESPF 27, au paragraphe 120, la Commission a souligné le rôle et les responsabilités importants des représentants syndicaux élus qui doivent bénéficier de protections pour les activités syndicales légitimes.

Le fait d’être un dirigeant syndical élu comporte un ensemble d’obligations et de responsabilités accrues. C’est pourquoi il existe une loi qui protège les activités syndicales licites. Entre autres, la Commission doit veiller à ce que les libertés syndicales énoncées dans la Loi puissent être exercées en toute impunité. Comme l’a déterminé la CRTFP dans Quadrini, il est essentiel, pour assurer l’intégrité du régime de relations de travail, que les personnes aient la possibilité d’exercer les droits qui leur ont été accordés par ces lois, sans avoir à craindre de représailles. S’il en était autrement, étant donné la possibilité qu’il y ait abus de pouvoir dans le cadre de la relation employeur‑employé, « […] l’effet dissuasif qu’aurait la menace de représailles pour qui exerce ses droits acquis découlant de la loi pourrait faire en sorte d’atténuer la force réelle de ces droits » (Quadrini, au paragraphe 45). Les représentants syndicaux doivent être en mesure d’exercer leurs activités légales sans crainte de réprimande, d’ingérence ou d’intimidation de la part de l’employeur.

 

[83] Dans cette affaire, l’ancienne Commission a déterminé qu’un président syndical local avait établi une cause défendable de violation du paragraphe 186(2) lorsque le défendeur a amorcé une enquête disciplinaire contre le président local pour avoir prétendument incité un complot visant à discréditer les membres de la direction. Une fois que le fardeau a été transféré au défendeur pour établir qu’il ne s’était pas livré à une pratique déloyale de travail, il ne s’est pas acquitté de son fardeau. L’ancienne Commission a conclu que le défendeur avait amorcé l’enquête pour intimider le président de la section locale, intervenant ainsi dans l’administration du syndicat et empêchant le président d’exercer des activités syndicales légitimes, y compris la représentation des membres du syndicat (Joe c. Marshall, au par. 109).

[84] Dans Fortier c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2024 CRTESPF 51, une partie de la plainte alléguait une violation du paragraphe 186(2) de la Loi. La plaignante dans ce cas a allégué que l’enquête administrative du défendeur sur sa représentation d’un membre, à titre de présidente de la section locale, constituait une discrimination et une pratique déloyale de travail. Elle a également allégué que les actes du défendeur l’avaient empêchée de représenter un membre au cours d’une enquête et qu’ils avaient nui aux relations patronales‑syndicales. La Commission a conclu que les allégations, si elles étaient considérées comme véridiques, présentaient une cause défendable de violation de cette disposition. De plus, la Commission a bénéficié d’une audience complète et a finalement conclu que le défendeur avait intimidé et menacé la plaignante en raison de son rôle de représentante syndicale dans la représentation du membre.

[85] Même si les faits de Joe et Fortier ne sont pas identiques à ceux du cas dont je suis saisi, il existe des similitudes frappantes. En premier lieu, un représentant syndical local a allégué que le défendeur avait pris des mesures pour mettre fin à la représentation en prenant des mesures disciplinaires. En deuxième lieu, il a été allégué que les actes du défendeur avaient eu un effet néfaste sur la représentation des membres. Ces allégations sont semblables à celles de l’affaire dont je suis saisi, dans laquelle le plaignant allègue que la mesure disciplinaire a été motivée par le désir de dissimuler le harcèlement et qu’elle a eu un effet dissuasif sur sa capacité, en tant que représentant syndical, de représenter un employé.

[86] Je conclus donc, compte tenu de mon analyse des allégations présentées par le plaignant, qu’il a présenté une cause défendable de violation du sous‑alinéa 186(2)a)(i).

[87] Étant donné que j’ai conclu qu’il existe une cause défendable en vertu du sous‑alinéa 186(2)a)(i), il n’y a pas lieu d’analyser la question de savoir si le plaignant a présenté une cause défendable de violation des sous-alinéas 186(2)a)(ii) à (iv) de la Loi. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, le plaignant s’est concentré sur le sous‑alinéa 186(2)a)(i). Ses allégations n’examinent pas dans quelle mesure il existe une cause défendable de violation des sous‑alinéas 186(2)a)(ii) à 186(2)a)(iv).

[88] Ma conclusion selon laquelle le plaignant a présenté une cause défendable de violation du sous‑alinéa 186(2)a)(i) ne signifie pas qu’il y a eu violation de ce sous-alinéa. Si l’affaire se poursuit, il incombera à la défenderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne s’est pas livrée à une pratique déloyale de travail en vertu du paragraphe 186(2).

B. Le cadre d’analyse de la cause défendable en vertu de l’article 133 du Code

[89] Le plaignant soutient également que la défenderesse a enfreint l’article 133 du Code. Il allègue que sa menace et sa réprimande écrite constituaient des représailles pour avoir représenté un employé dans le cadre d’une plainte pour violence en milieu de travail en vertu de la partie XX de l’ancien Règlement CSST.

[90] Voici les dispositions pertinentes du Code :

133 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

133 (1) An employee, or a person designated by the employee for the purpose, who alleges that an employer has taken action against the employee in contravention of section 147 may, subject to subsection (3), make a complaint in writing to the Board of the alleged contravention.

 

[91] L’article 147 du Code se lit comme suit :

147 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

147 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

(a) has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

(b) has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

 

[92] Dans Brassard c. Conseil du Trésor (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada), 2021 CRTESPF 130, la Commission a appliqué le cadre d’analyse de la cause défendable à une affaire concernant des allégations de violation de l’article 133.

[93] Au paragraphe 30, la Commission a décrit le cadre d’analyse comme suit : « En prenant les faits allégués comme avérés, je dois décider si la plaignante a établi une cause défendable selon laquelle le défendeur aurait contrevenu à l’art. 147 du Code. » Je suis confrontée à la même tâche dans le présent cas.

[94] De plus, même si le plaignant allègue que le critère à quatre volets énoncé dans Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2007 CRTFP 52, pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 147, est désuet, je ne suis pas du même avis. Vallée constitue toujours un guide utile pour analyser la question de savoir si la défenderesse a commis des actes interdits qui étaient liés à l’exercice par le plaignant de droits ou d’actes qui étaient conformes à la partie II du Code.

[95] Toutefois, la reformulation du critère dans White est utile, et le libellé dans ses première et quatrième parties s’harmonisent certainement davantage avec le libellé de l’article 147. Par conséquent, j’utiliserai la formulation du critère dans White pour déterminer si les allégations du plaignant, si elles sont considérées comme véridiques, établissent une cause défendable de violation de l’article 147. J’ai reproduit le critère comme suit :

[…]

1. Le plaignant a‑t‑il observé les dispositions de la partie II du Code ou cherché à en assurer l’application (article 147)?

2. Le défendeur a‑t‑il pris une mesure interdite par l’article 147 du Code à l’égard du plaignant (articles 133 et 147)?

3. Existe‑t‑il un lien direct entre a) les mesures prises contre le plaignant et b) l’observation des dispositions de la partie II du Code ou le fait de chercher à en assurer l’application par le plaignant?

[…]

 

[96] Le plaignant allègue qu’il a agi conformément à la partie II du Code en tentant d’obtenir le témoignage d’un témoin au sujet du harcèlement subi par l’employé qu’il représentait. Il allègue que le témoignage était nécessaire pour aider la personne compétente dans le cadre de l’enquête éventuelle de la personne.

[97] Le plaignant allègue également que l’employé qu’il représentait avait droit à l’équité procédurale et qu’en obtenant le témoignage du témoin, il a agi conformément aux dispositions de la partie II sur la santé et la sécurité au travail en s’assurant que ce droit était respecté. Toutefois, le plaignant ne précise pas dans ses arguments en vertu de quelles dispositions de la partie II il a agi ou lesquelles il a cherché à appliquer.

[98] Je souscris aux commentaires de la Commission dans White selon lesquels la phrase « […] observait la partie II […] » du Code est plus vaste que simplement exercer des droits en vertu de la partie II. Toutefois, j’ai du mal à voir comment le plaignant a présenté une cause défendable selon laquelle il observait la partie II ou qu’il a cherché à faire appliquer l’une de ses dispositions.

[99] Agir conformément à la partie II reviendrait à faire ce qui est en conformité avec elle ou ce qui assure son application. Cette partie du Code vise à protéger la santé et la sécurité au travail. Elle énonce les mesures qui visent à prévenir les accidents, les occurrences de harcèlement et de violence et les blessures ou maladies physiques ou psychologiques qui sont liés au milieu de travail ou qui peuvent y survenir. La partie II énonce également les obligations des employeurs et des employés. Elle décrit le rôle important des comités stratégiques en matière de santé et de sécurité, qui sont un mécanisme essentiel pour soulever, discuter et régler les problèmes de santé et de sécurité en milieu de travail.

[100] Comme je l’ai déjà mentionné à la partie A, le plaignant allègue qu’il était un délégué syndical lorsqu’il a été confronté aux représailles, mais il n’y a aucune allégation selon laquelle il faisait quoi que ce soit qui puisse être interprété comme ayant « observ[é] les dispositions de la partie II ». Par exemple, il n’allègue pas qu’il était un représentant de la santé et de la sécurité exerçant l’une des fonctions prescrites en vertu de la partie II.

[101] Rien dans la partie II du Code ou dans la partie XX de l’ancien Règlement CSST ne fait référence au droit d’un représentant syndical d’obtenir le témoignage d’un témoin aux fins d’une plainte de violence en milieu de travail. Comme la Commission l’a fait remarquer dans Archer c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 105, au paragraphe 49, rien dans l’ancienne partie XX du Règlement CSST ne fait référence à la représentation d’un employé ou n’oblige le syndicat à représenter un employé dans le cadre d’une enquête effectuée par une personne compétente.

[102] Par conséquent, l’obtention d’un témoignage de témoin, en tant que représentant syndical, aux fins d’une enquête par la personne compétente ne peut pas être interprétée comme observant les dispositions de la partie II ou comme cherchant à faire appliquer cette partie, étant donné qu’il s’agit du rôle de la personne compétente et non du représentant syndical, d’obtenir le témoignage aux fins d’une enquête et de produire un rapport écrit comportant des conclusions et des recommandations (voir le par. 20.9(4) de la partie II du Règlement CSST). En fait, la défenderesse ne peut même pas révéler à la personne compétente l’identité de toute personne concernée par la plainte de violence en milieu de travail sans le consentement de la personne (voir l’art. 20.9 du Règlement CSST).

[103] En outre, contrairement à l’argument du plaignant, rien dans l’article 240 de la Loi ne peut être interprété comme conférant aux représentants syndicaux le droit de communiquer avec des témoins potentiels dans le cadre d’une enquête sur la violence en milieu de travail. L’article 240 est une disposition d’application qui explique la façon dont la partie II du Code s’applique à la fonction publique et à ses employés. Il explique également la façon dont certains termes de cette partie doivent être interprétés dans le contexte de la Loi. Il ne confère aucun droit substantiel aux représentants syndicaux d’interroger les témoins aux fins de l’enquête menée par les personnes compétentes nommées.

[104] Même si l’employé que le plaignant représentait avait certainement le droit à l’équité procédurale dans le cadre de toute enquête sur la violence en milieu de travail en vertu de la partie II, cela ne comprend pas le droit du plaignant, en tant que représentant syndical, d’obtenir le témoignage pour la personne compétente qui mène l’enquête. Le plaignant ne fournit aucune autorité dans la Loi ou dans la jurisprudence de la Commission pour étayer cet argument.

[105] Par conséquent, je conclus que la tentative d’obtenir le témoignage aux fins de l’enquête d’une personne compétente, en tant que représentant du syndicat, ne peut pas être assimilée au fait d’avoir observé les dispositions de la partie II ou d’avoir cherché à appliquer l’une des dispositions de cette partie.

[106] Cette conclusion ne doit pas être interprétée comme diminuant de quelque façon que ce soit le rôle important que jouent les représentants syndicaux pour aider à prévenir et à lutter contre la violence en milieu de travail, y compris le harcèlement. Toutefois, le Code et l’ancien Règlement CSST stipulent que, dans le contexte d’une plainte en vertu de la partie XX du Règlement CSST, la réalisation d’enquêtes sur le milieu de travail, y compris l’entrevue de témoins potentiels, n’est ni le droit ni la responsabilité des représentants syndicaux.

[107] Je vais maintenant aborder brièvement les deux cas qui ont été invoqués par le plaignant.

[108] La demande présentée devant la Cour fédérale dans Pronovost c. Agence du revenu du Canada, 2017 CF 1077, qui a été accueillie, n’a pas examiné la question dont je suis saisie. Il s’agissait plutôt d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un employeur de rejeter une plainte pour violence en milieu de travail dans laquelle la demanderesse n’avait pas eu la possibilité de fournir une rétroaction sur le rapport de la personne compétente. La Cour a conclu que l’enquête de la personne compétente était « gravement déficiente » et a ordonné qu’une nouvelle enquête sur le milieu de travail soit menée par une autre personne compétente.

[109] Dans Anderson c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CFPI 667, le demandeur a demandé le contrôle judiciaire d’une décision de recours en dotation rendue par l’Agence du revenu du Canada. Citant la décision de principe de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour a confirmé que l’équité procédurale, dans le contexte des procédures de recours en dotation de l’Agence du revenu du Canada, comprend le droit de présenter de façon significative « […] les faits pertinents et de faire étudier pleinement et objectivement sa position par le décideur ». En fin de compte, la Cour a conclu que le demandeur avait eu la possibilité suffisante d’être entendu. Dans le cas dont je suis saisie, si je considère les allégations du plaignant comme véridiques, la personne compétente avait été choisie lorsque le plaignant a communiqué avec le témoin, mais aucune enquête n’avait été amorcée et aucun rapport final n’avait été publié. Par conséquent, le cas Anderson n’est pas utile, car les faits et le contexte sont très différents.

[110] Aucun de ces cas ne permet d’étayer la position du plaignant selon laquelle la communication avec un témoin potentiel aux fins d’une plainte pour violence en milieu de travail correspond à observer les dispositions de la partie II du Code ou à chercher à faire appliquer l’une de ces dispositions.

[111] Étant donné que le plaignant n’a pas réussi à établir une cause défendable selon laquelle il satisfaisait au premier volet du critère énoncé dans White, il n’est pas nécessaire de passer aux autres parties du critère. Par conséquent, je conclus qu’il n’a pas présenté une cause défendable de violation de l’article 133 du Code.

[112] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[113] La requête en rejet est accueillie en partie.

[114] La plainte 561‑34‑42967 alléguant une violation du paragraphe 186(2) de la Loi sera inscrite au calendrier aux fins d’une audience sur le fond en temps opportun.

[115] La plainte 560‑34‑42968 alléguant une violation de l’article 133 du Code est rejetée.

Le 26 novembre 2024.

Traduction de la CRTESPF

Patricia Harewood

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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