Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que l’employeur avait ouvert une enquête administrative sur ses actions en octobre 2023, alléguant qu’il s’agissait d’un acte de discrimination et de représailles pour un grief déposé plus tôt, en juillet. L’employeur a rejeté son grief parce qu’il était hors délai et il s’est opposé à son renvoi à la Commission. La fonctionnaire s’estimant lésée a soutenu que même si le formulaire de grief mentionnait une date antérieure au début de la période de dépôt de 25 jours, ces incidents antérieurs étaient liés à l’enquête administrative. La Commission a conclu que le grief d’octobre 2023 avait été déposé dans les délais. La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué qu’il y avait un lien entre l’enquête administrative et les événements antérieurs, mais l’incident qui a donné lieu au grief était l’enquête administrative.

Objection rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20250127

Dossiers: 566-02-50364 et 566-02-20365

 

Référence: 2025 CRTESPF 8

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

RAVINDER RAI

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Gendarmerie royale du Canada)

 

employeur

Répertorié

Rai c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Brian Russell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Tiana Knight

Pour l’employeur : Joëlle Demers

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 29 août et le 13 septembre 2024.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] Ravinder Rai, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a déposé deux griefs individuels. Dans son premier grief, déposé le 19 juillet 2023 (le « grief de juillet 2023 »), numéro de dossier de la Commission 566-02-50364, elle allègue que l’employeur, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), a enfreint l’article 19, intitulé « Élimination de la discrimination », de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (la « convention collective »), qui expire le 20 juin 2025. Dans le deuxième grief, déposé le 30 octobre 2023 (le « grief d’octobre 2023 »), numéro de dossier de la Commission 566-02-50365, la fonctionnaire allègue que la GRC a enfreint à la fois l’article 19 et l’article 18, intitulé « Procédure de règlement des griefs ».

II. Objection au grief d’octobre 2023 renvoyé à l’arbitrage

[2] Le 26 juillet 2024, la fonctionnaire a renvoyé les deux griefs à l’arbitrage au titre de l’article 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2).

[3] Le 29 août 2024, l’employeur a pris acte des renvois à l’arbitrage et a soulevé une objection préliminaire selon laquelle la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») n’avait pas compétence pour entendre le grief d’octobre 2023, parce qu’il était hors délai.

[4] Les parties ont été invitées à présenter des observations écrites supplémentaires sur la question du respect du délai. La fonctionnaire a fait valoir que le grief d’octobre 2023 avait été présenté en temps opportun, parce qu’il concernait une série d’événements survenus entre juin 2023 et octobre 2023. L’employeur n’a pas déposé d’observations supplémentaires.

[5] L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) prévoit que la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[6] La présente décision traite de l’objection préliminaire de l’employeur concernant le respect du délai pour le grief d’octobre 2023.

[7] Pour les motifs qui suivent, l’objection de l’employeur est rejetée.

III. Contexte

[8] Lorsque le grief d’octobre 2023 a été déposé, la fonctionnaire était une gestionnaire classifiée AS-05. Elle travaillait à la division « E » de la GRC à Surrey, en Colombie-Britannique.

IV. Résumé de la preuve

[9] Le 19 juillet 2023, la fonctionnaire a déposé le grief de juillet 2023, affirmant que la GRC avait constamment fait preuve de discrimination et de harcèlement à son égard, en raison de son refus constant de lui permettre de profiter d’occasions d’emploi à des postes intérimaires. Le plus récent est l’intérêt qu’elle avait manifesté pour un poste IT-04 en juin 2023.

[10] Le 17 octobre 2023, la fonctionnaire a été informée que l’employeur allait ouvrir une enquête administrative à son sujet, en raison de préoccupations soulevées par le personnel lors d’un examen de la direction.

[11] Le 30 octobre 2023, la fonctionnaire a déposé le grief d’octobre 2023, qui se lit ainsi :

[Traduction]

La clause d’élimination de la discrimination de l’article 19 de la convention collective PA

b. Préjudice à mon encontre depuis que j’ai déposé le grief (RAI_R_374.128350.IMT_030_B005.2023_231028). L’article 19 stipule qu’il ne doit y avoir « aucune ingérence ou restriction, etc... ».

Article 19 : Élimination de la discrimination — 19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, son identité ou expression de genre, sa situation familiale, son état matrimonial, ses caractéristiques génétiques, son incapacité, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

Article 18 : Procédure de règlement des griefs — 18.02 Sous réserve de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et conformément aux dispositions dudit article, l’employé-e peut présenter un grief contre l’employeur lorsqu’il ou elle s’estime lésé : b. par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

18.06 Il est interdit à toute personne de chercher, par intimidation, par menace de renvoi ou par toute autre espèce de menace, à amener un employé-e s’estimant lésé à renoncer à son grief ou à s’abstenir d’exercer son droit de présenter un grief, comme le prévoit la présente convention.

 

[12] En guise de mesure corrective, la fonctionnaire a demandé ce qui suit :

[Traduction]

Que l’employeur cesse de faire preuve de discrimination à mon égard en raison de mon sexe et de mon origine ethnique.

Que je sois indemnisée pour toutes les pertes, y compris le salaire et les avantages, ainsi que toute perte de salaire et toute dépense supplémentaire pouvant résulter de cette situation.

Que l’employeur mette fin aux pratiques discriminatoires et prenne des mesures pour y remédier et/ou pour empêcher qu’une pratique identique ou similaire ne se reproduise à l’avenir.

Que l’employeur m’accorde les droits, occasions et privilèges qui me sont ou m’ont été refusés en raison de ces pratiques.

Que je reçoive une indemnité de 20 000 $, ou toute autre somme jugée appropriée, pour le préjudice moral subi, en compensation de l’engagement délibéré et inconsidéré de mon employeur dans les pratiques discriminatoires.

Que je reçoive une indemnité de 20 000 $ ou toute autre somme jugée appropriée, en compensation de l’engagement délibéré et inconsidéré de mon employeur dans les pratiques discriminatoires.

Que le dépôt de ce grief ne me portera pas préjudice dans mes relations futures avec mon employeur.

Que je sois indemnisée intégralement.

 

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[13] La GRC conteste la compétence de la Commission pour entendre le grief d’octobre 2023, au motif qu’il est hors délai. Elle fait valoir que le grief a été déposé le 30 octobre 2023 et que la fonctionnaire invoque une discrimination continue depuis le 23 juin 2023. Elle fait valoir que le grief a été déposé au-delà du délai de 25 jours prévu par la convention collective. Elle a rejeté le grief pour ce motif aux premier, deuxième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs. Elle soutient donc que la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief, parce qu’il est hors délai.

B. Pour la fonctionnaire

[14] La fonctionnaire soutient que la Commission a compétence pour entendre le grief d’octobre 2023, parce qu’il a été déposé dans le délai prescrit par la convention collective.

[15] La fonctionnaire soutient que le grief de juillet 2023 a été déposé en raison de la discrimination et du harcèlement persistants qu’elle a subis ainsi que du refus constant de la GRC de lui permettre de profiter d’occasions d’emploi à des postes intérimaires; la dernière en date est son intérêt pour le poste IT-04 en juin 2023.

[16] La GRC a informé la fonctionnaire qu’une enquête administrative avait été ouverte, en raison des préoccupations exprimées par des membres du personnel à son sujet. La fonctionnaire a déposé le grief d’octobre 2023 le 30 octobre 2023. Elle soutient que le grief a été déposé 13 jours civils après qu’elle a pris connaissance de l’enquête administrative, soit dans le délai prévu par la convention collective. Elle soutient que l’ouverture de l’enquête administrative constituait une nouvelle pratique de discrimination et de représailles découlant de son dépôt du grief de juillet 2023.

[17] La fonctionnaire soutient que le contenu du grief d’octobre 2023 est de nature continue. Dans la section de son formulaire de grief intitulée « Date de chaque action, omission ou situation ayant donné lieu au grief », elle a indiqué [traduction] « de juin 2023 à aujourd’hui », pour cerner le premier maillon de la chaîne de discrimination exposée dans le grief de juillet 2023. Elle fait valoir que l’expression [traduction] « à aujourd’hui » constitue le cœur de la violation de la convention collective; c’est une partie essentielle du grief d’octobre 2023, et il s’agit de discrimination et de représailles continues.

[18] Pour étayer sa position, la fonctionnaire invoque le formulaire de grief. Elle soutient que la clause 18.06 (sur les représailles) et l’article 19 (sur l’élimination de la discrimination) sont tous deux mentionnés en ce qui a trait à l’enquête administrative du 17 octobre 2023. Elle souligne également le libellé du grief d’octobre 2023, dans lequel elle allègue le préjudice qu’elle a subi depuis qu’elle a déposé le grief de juillet 2023. Elle cite la décision Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 37, pour faire valoir son argument.

[19] La fonctionnaire soutient qu’au moment d’examiner ses observations, la Commission devrait adhérer au principe selon lequel les décideurs ne devraient pas insister sur le libellé précis d’un grief, mais devraient l’entendre, dans la mesure où il reflète le véritable différend entre les parties. Selon la fonctionnaire, le grief d’octobre 2023 porte sur la discrimination et les représailles qu’elle a subies, en raison de l’enquête administrative ouverte à la suite du dépôt du grief de juillet 2023. Elle soutient que le point de départ de ce modèle de discrimination était en juin 2023 et que la violation de la convention collective a été prise en compte dans le grief de juillet 2023. Selon elle, les faits qui ont donné lieu au grief d’octobre 2023 se sont déroulés le 17 octobre 2023, lorsqu’elle a pris connaissance de l’enquête administrative.

VI. Motifs

[20] J’ai examiné les observations des parties et, pour trancher l’objection de l’employeur, je dois déterminer l’essence du grief d’octobre 2023 et l’incident qui y a donné lieu. Cet incident détermine la date à laquelle le grief aurait dû être déposé et s’il a été déposé dans les délais.

[21] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le grief d’octobre 2023 a été présenté en temps opportun et je rejette l’objection de l’employeur.

A. Règle de la convention collective

[22] L’article 18 de la convention collective fixe le délai pour déposer un grief. La clause 18.15 est ainsi libellée :

18.15 Un employé-e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause 18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief. L’employeur peut présenter un grief de principe de la manière prescrite par la clause 18.04 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé de vive voix ou par écrit ou à laquelle il prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief de principe.

18.15 A grievor may present a grievance to the first level of the procedure in the manner prescribed in clause 18.08, not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which the grievor is notified or on which the grievor first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the grievance. The Employer may present a policy grievance in the manner prescribed in clause 18.04 not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which the Employer is notified orally or in writing or on which the Employer first becomes aware of the action or circumstances giving rise to the policy grievance.

 

B. L’essence du grief d’octobre 2023

[23] Les griefs ne sont pas des documents juridiques bien rédigés. Pour déterminer l’essence ou la nature d’un grief, il faut l’examiner dans le contexte des faits et de son libellé. En outre, il faut tenir compte à la fois de la section des détails et de la mesure corrective demandée (voir la décision Bowden, au par. 37).

[24] Dans son objection, l’employeur fait valoir que la fonctionnaire allègue être victime de discrimination continue depuis le 23 juin 2023, mais qu’elle a déposé le grief d’octobre 2023 le 30 octobre 2023, soit au-delà du délai prévu par la convention collective. Je ne partage pas cet avis.

[25] Dans les détails du grief, la fonctionnaire allègue être victime de discrimination depuis qu’elle a déposé le grief de juillet 2023. Elle soutient que le dépôt de ce grief et l’ouverture de l’enquête administrative par la GRC le 17 octobre 2023 étaient liés. Elle a déposé le grief d’octobre 2023 neuf jours ouvrables après l’ouverture de l’enquête administrative. En outre, dans la section du grief concernant la date de l’action, de l’omission ou de la situation donnant lieu au grief, elle a indiqué de juin 2023 à aujourd’hui.

[26] L’employeur n’a pas répondu aux observations de la fonctionnaire selon lesquelles le délai de présentation du grief avait été respecté, car le grief portait sur des faits qui s’étaient déroulés entre juin 2023 et octobre 2023. En l’absence de réponse contraire de l’employeur, je suis satisfait de l’explication de la fonctionnaire selon laquelle le grief concernait des faits qui, selon elle, étaient liés. L’incident qui a donné lieu aux questions faisant l’objet du grief était l’avis d’enquête administrative du 17 octobre 2023, de sorte que le grief a été déposé dans le délai prévu par la convention collective.

[27] Je fonde ma décision sur les détails décrits dans le grief d’octobre 2023 déposé par la fonctionnaire, son contexte, la section concernant la « Date de chaque action, omission ou situation ayant donné lieu au grief » et l’absence de réponse de l’employeur concernant l’explication de l’agent négociateur.

[28] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[29] L’objection de l’employeur concernant le respect du délai est rejetée.

Le 27 janvier 2025.

Traduction de la CRTESPF

Brian Russell,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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