Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La politique sur la vaccination exigeait la vaccination contre le virus de la COVID-19, sous réserve de mesures d’adaptation pour des raisons de droits de la personne. Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé des mesures d’adaptation en fonction de ses croyances, ce qui est un motif de distinction illicite inclus dans la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective pertinente. L’employeur a rejeté sa demande. Le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que le fait de se faire vacciner contre la COVID-19 allait à l’encontre de son système de croyances, qu’il a appelé spiritualité terrestre. La Commission a examiné le sens ordinaire du mot « croyance », son utilisation en association avec la religion dans le contexte des droits de la personne dans d’autres administrations, et l’orientation du droit des droits de la personne dans l’ensemble du Canada, et a conclu que le terme « croyances » dans le contexte de la convention collective pertinente signifiait une croyance qui est synonyme de religion. La Commission a ensuite évalué sa demande conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, comme suit : 1) la personne a une pratique ou une croyance qui est liée à la religion; 2) la croyance est sincère. La Commission a conclu que la spiritualité terrestre du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas une croyance religieuse parce qu’elle manquait deux des caractéristiques les plus communes de la religion : elle n’avait pas d’Être suprême ou ne répondait pas à des questions fondamentales ou ultimes ayant trait à des questions profondes et impondérables, et elle n’était pas exercée de façon collective. Bien qu’elle ait été convaincue de la sincérité de la croyance du fonctionnaire s’estimant lésé, la Commission a rejeté le grief.
Grief rejeté.
Contenu de la décision
Date: 20250219
Référence: 2025 CRTESPF 19
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et |
|
entre
Robert Frankovic
fonctionnaire s’estimant lésé
et
(ministère des Transports)
employeur
Répertorié
Frankovic c. Conseil du Trésor (ministère des Transports)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Christopher Rootham, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Meghan O’Halloran et Mathieu Delorme, Association canadienne des agents financiers
Pour l’employeur : Larissa Volinets Schieven, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 12 juillet, le 27 août et les 10 et 24 septembre 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Aperçu
[1] En 2021, le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a établi une politique exigeant que tous les employés soient vaccinés contre la COVID‑19, sous réserve de mesures d’adaptation pour des motifs médicaux ou religieux. Robert Frankovic, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a demandé une mesure d’adaptation fondée sur sa croyance. L’employeur a refusé sa demande. Le fonctionnaire a déposé un grief en vue de contester ce refus et a renvoyé le grief à l’arbitrage.
[2] J’ai rejeté le grief.
[3] Le fonctionnaire affirme que la prise du vaccin contre la COVID‑19 va à l’encontre de son système de croyances qu’il appelle spiritualité fondée sur la terre. Le présent cas porte sur deux questions : quelle est la définition du terme « croyance » dans la convention collective qui s’applique au présent grief, et est‑ce que la spiritualité fondée sur la terre du fonctionnaire constitue une croyance?
[4] J’ai conclu que le terme « croyance » dans la convention collective est synonyme du terme « religion ». J’ai conclu ainsi pour cinq raisons, que je vais expliquer dans la présente décision, notamment : il s’agit de son sens ordinaire, il est généralement utilisé en association avec la religion; une telle définition est conforme au droit en matière de droits de la personne de manière plus générale; cette signification est conforme au contexte des autres termes et expressions de cette convention collective et le fonctionnaire fait référence à sa conviction comme religieuse.
[5] J’ai également conclu que la spiritualité fondée sur la terre du fonctionnaire n’est pas une conviction religieuse. Il n’existe aucune définition unique de la religion, et il n’existe aucune liste de conditions nécessaires ou suffisantes pour qu’une conviction soit religieuse. Toutefois, la conviction du fonctionnaire ne présente pas deux des caractéristiques les plus courantes de la religion : elle ne comporte aucun Être suprême ou une réponse à des questions fondamentales ou ultimes ayant trait à des questions profondes et impondérables, et elle n’est pas exercée de façon communautaire.
[6] Même si j’ai été convaincu de la sincérité de la conviction du fonctionnaire, j’ai rejeté le grief. Mes motifs sont les suivants.
II. Contexte général du grief et le processus suivi pour le trancher
[7] Le contexte général du présent cas est le même que celui fourni par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») dans Bedirian c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2024 CRTESPF 58, aux paragraphes 5 à 8 et je le répéterai donc simplement :
[5] Le 6 octobre 2021, le Conseil du Trésor a adopté la Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique sur la vaccination »). La Politique sur la vaccination exigeait que tous les employés de l’administration publique centrale soient entièrement vaccinés contre la COVID‑19. Les employés qui n’étaient pas entièrement vaccinés ont été divisés en trois catégories : les employés partiellement vaccinés (c.-à-d. les employés qui ont reçu une dose d’un vaccin autorisé, mais qui n’ont pas reçu une série complète de vaccins), les employés qui ne peuvent pas être entièrement vaccinés et les employés qui ne souhaitent pas être entièrement vaccinés. La Politique sur la vaccination définissait un employé qui ne pouvait pas être entièrement vacciné comme un employé qui ne pouvait pas être entièrement vacciné « […] en raison d’une contre‑indication étayée par un certificat médical, pour un motif religieux ou tout autre motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Les employés qui ne pouvaient pas être vaccinés se sont vu accorder des mesures d’adaptation au point de subir une contrainte excessive en faisant du télétravail, en se voyant confier d’autres tâches, en se soumettant à des tests obligatoires de dépistage de la COVID‑19 ou sous forme d’une combinaison de ces mesures.
[6] Les employés avaient jusqu’au 29 octobre 2021 pour soit attester qu’ils avaient été vaccinés, soit demander des mesures d’adaptation. Les employés ont reçu un formulaire à remplir pour indiquer s’ils avaient été vaccinés ou s’ils avaient demandé des mesures d’adaptation. Les employés qui demandaient des mesures d’adaptation en raison de leurs croyances religieuses ont reçu un affidavit vierge dans lequel ils pouvaient expliquer la raison pour laquelle leur croyance religieuse leur interdisait de recevoir le vaccin contre la COVID‑19. Il incombait à la direction d’examiner les demandes de mesures d’adaptation et de décider si des mesures d’adaptation devaient être accordées aux demandeurs pour des motifs religieux. La direction pouvait demander aux employés qui demandaient des mesures d’adaptation de fournir des renseignements supplémentaires avant de prendre sa décision.
[7] En fin de compte, si la direction décidait qu’un employé n’avait pas justifié sa demande de mesures d’adaptation, l’employé était mis en congé sans solde s’il persistait à ne pas être vacciné.
[8] L’employeur a suspendu la Politique sur la vaccination le 20 juin 2022.
[8] Le processus suivi pour trancher le présent grief était également le même que celui décrit dans Bedirian, aux paragraphes 9 à 18. De plus, la jurisprudence énumérée au paragraphe 19 de Bedirian a été considérée comme une [traduction] « jurisprudence commune » dans le présent grief, ce qui signifie que les parties pouvaient les invoquer sans fournir de copies. Les parties étaient libres d’invoquer différentes décisions, et c’est ce qu’elles ont fait. Même si je ne les ai pas toutes énumérées ou citées, je les ai toutes lues en préparant les présents motifs. Enfin, les parties m’ont également demandé de scinder le présent grief en tranchant uniquement la question de savoir si le fonctionnaire avait droit à une mesure d’adaptation et en leur accordant la possibilité de régler tout différend concernant la réparation, au besoin, après avoir pris cette décision.
III. Faits concernant le fonctionnaire
[9] Le fonctionnaire est employé de manière continue au sein du ministère des Transports (plus communément appelé Transports Canada) depuis le 7 janvier 2004. Il occupait un poste au groupe et au niveau FI‑02 jusqu’à ce qu’un exercice de conversion de classification ait modifié sa classification à CT‑FIN‑02 le 28 septembre 2023.
[10] Le 29 octobre 2021, il a présenté une demande de mesure d’adaptation, conformément à la Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la « Politique sur la vaccination »). Conformément à ce qui était exigé, il a fait une affirmation solennelle d’une déclaration sous serment attestant de ses convictions. Le texte fondamental de sa déclaration sous serment se lit comme suit :
[Traduction]
Mes convictions religieuses et pratiques spirituelles sont axées sur le respect pour la nature et d’un mode de vie sain, ainsi que de la coexistence avec la nature et son environnement. Je passe beaucoup de temps à chercher l’esprit intérieur, le réconfort et la tranquillité sur une propriété forestière et agricole que je possède dans le sud de l’Ontario où un certain nombre de mes activités comprennent la gestion et la plantation d’arbres. Il s’agit d’éviter les pratiques agricoles modernes telles que l’utilisation de produits chimiques développés et promus par des scientifiques de l’industrie agrochimique et approuvés par des scientifiques du gouvernement. Bon nombre de ces produits sont ultérieurement rappelés en raison de leur incidence préjudiciable sur l’environnement, le sol, les rivières, l’écosystème et ceux qui ont manipulé ces produits.
Le vaccin contre la Covid‑19 n’est pas naturel et l’injecter dans mon corps va à l’encontre de mes convictions spirituelles et religieuses. Ma spiritualité fondée sur la terre et le temps passé dans la nature sur ma propriété (et ailleurs) ont contribué à me maintenir dans un état physique et spirituel très sain. Je m’entoure régulièrement d’une existence naturelle en utilisant des formes traditionnelles d’agriculture et de jardinage où l’écosystème est équilibré et où je ressens un sentiment de tranquillité et de coopération avec la nature où j’évite les produits chimiques et de santé synthétiques modernes que de nombreux médecins et scientifiques recommandent – qui finissent souvent par nuire à l’environnement et à notre santé à long terme. Ce faisant, je trouve mon esprit intérieur, ma passion spirituelle et je vis une coexistence saine avec la nature et l’environnement.
Ma spiritualité avec la nature a été renforcée par mes visites à de nombreuses fermes conventionnelles (chimiques) où il est difficile de trouver un écosystème équilibré abritant de nombreuses belles créatures comme les papillons monarques, les libellules, les abeilles, les faucons (pour n’en nommer que quelques‑uns), tout cela en raison des produits chimiques recommandés par nos scientifiques de l’industrie et du gouvernement (ministères de l’Agriculture et de Santé Canada). Cette approche moderne « chimique ou scientifique » généralement acceptée a fait en sorte que bon nombre de nos communautés agricoles aient des écosystèmes sans vie et sans âme. Il s’agit d’un défi pour moi d’exprimer l’esprit intérieur de paix et de tranquillité d’être en nature où ma conviction et mes pratiques religieuses en nature impliquent d’éviter l’utilisation de produits chimiques approuvés par le gouvernement et de coexister avec toutes les créatures vivantes. Il faut être là pour l’apprécier pleinement! Je trouve beaucoup de spiritualité, de réconfort et de bonne santé grâce à mon approche naturelle de la vie et à mon partenariat avec la nature (spiritualité fondée sur la terre).
[11] L’employeur a rejeté sa demande le 3 décembre 2021. En réponse, le fonctionnaire a fourni des renseignements supplémentaires le 10 décembre 2021, dans une lettre de deux pages. Cette lettre (à l’exclusion de la formule de politesse et de la date) se lit comme suit :
[Traduction]
[…]
Je souhaite fournir des éléments de preuve et des renseignements supplémentaires liés à mon exemption religieuse pour le vaccin contre la covid.
Ma spiritualité fondée sur la terre était axée sur mon lien physique et spirituel avec la nature. Cela concerne le respect de la nature et de toutes les formes de vie de la Terre, y compris mon corps, ce qui implique de ne pas modifier chimiquement ou génétiquement les arbres, les plantes que je cultive ou la façon dont je prends soin de mon propre corps. Je passe beaucoup de temps sur ma propriété forestière où j’établis un lien avec la nature en passant beaucoup de temps dans la forêt, en méditant et en plantant des arbres et des plantes, et en encourageant un écosystème naturel diversifié. Dans la forêt, je trouve la plus grande partie de ma spiritualité et j’établis un lien avec la nature, la terre et moi‑même.
Mes convictions concernant la spiritualité de la Terre et de la nature m’empêchent d’injecter des produits chimiques modernes qui détruisent une grande partie de l’écosystème et de l’esprit de la terre et des plantes. J’applique ces convictions et principes à mon corps et à ma santé physique, c’est‑à‑dire manger sainement et ne pas injecter dans mon corps des substances qui modifient mon système immunitaire ou mon corps de quelque manière que ce soit.
J’ai appris et adopté ces pratiques auprès de divers groupes, y compris des peuples autochtones et des naturalistes qui vivent de la terre, cultivent et consomment des aliments sains sans produits chimiques, et ont une forte spiritualité avec la nature et la terre. J’ai beaucoup appris de ces personnes sur leurs pratiques spirituelles liées à la forêt et sur la façon dont on peut être en bonne santé physique et spirituelle en ayant un lien avec la terre et ses différentes formes de vie.
Injecter quelque chose d’artificiel dans mon corps qui modifie mon système immunitaire va à l’encontre de ma spiritualité fondée sur la terre, tout comme je ne vais pas injecter de produit chimique dans mes arbres, plantes ou écosystème.
La nature est mon inspiration, ma source de sens et de réconfort, et d’où je tire beaucoup de sagesse. Je, comme d’autres personnes ayant une spiritualité fondée sur la terre, trouve une immense spiritualité en étant dans la nature et en vivant sans les produits développés par les grandes entreprises pharmaceutiques, dont bon nombre se révèlent plus tard ne pas être sûrs ou sont expérimentaux. Prendre le vaccin contre la covid serait d’injecter quelque chose d’artificiel dans mon corps, modifiant mon système immunitaire et serait une offense à ma spiritualité fondée sur la terre.
Ma conviction religieuse est axée sur la pureté d’un environnement naturel, y compris mon corps, et sur la mesure dans laquelle les personnes en santé physique et spirituelle peuvent être en harmonie avec la nature. Je maintiens ce lien symbiotique et ce partenariat avec la nature en excluant l’utilisation de produits chimiques modernes, y compris les nouveaux vaccins à ARNm promus par les grandes entreprises pharmaceutiques. Je maintiens cette pratique dans ma propre vie en cultivant mes propres aliments sans utiliser de produits chimiques et en rejetant les injections ou les nombreuses pilules créées par l’industrie pharmaceutique. Comme je l’ai affirmé dans mon argument initial, de nombreux produits chimiques développés pour l’agriculture nuisent à l’écosystème et, par conséquent, nuisent à l’esprit intérieur et à la spiritualité que l’on ressent en se promenant dans une propriété agricole chimique sans vie par opposition à un environnement naturel (sans produits chimiques ou artificiels) où les formes de vie et l’esprit de la nature sont présents. Ces produits chimiques et autres injections des produits des grandes entreprises pharmaceutiques dans la nature nuisent à toutes ses formes de vie et à ses esprits de vie. Je l’applique à mon corps naturel et à mon système immunitaire, car injecter un vaccin dans mon corps va à l’encontre de mes convictions spirituelles.
Les politiciens et les bureaucrates actuels chargés du gouvernement canadien ne devraient pas avoir le droit de me forcer à injecter quelque chose d’artificiel dans mon corps pour que je puisse garder mon emploi et mon gagne‑pain. Cela empiète sur mes convictions religieuses et ma spiritualité avec la terre et toutes ses formes de vie, y compris mon corps.
[12] L’employeur a mis le fonctionnaire en congé non payé le 31 décembre 2021. Ensuite, le 24 février 2022, l’employeur a écrit au fonctionnaire pour lui dire qu’il avait examiné les renseignements supplémentaires qu’il avait présentés, mais qu’il maintenait sa décision.
[13] Le fonctionnaire a déposé un grief pour contester le refus par l’employeur de sa demande. L’employeur a rejeté le grief, et le fonctionnaire l’a renvoyé à l’arbitrage.
[14] La procédure de règlement du présent grief a permis au fonctionnaire de déposer une autre déclaration sous serment à l’appui de son grief. Dans cette deuxième déclaration sous serment, il a résumé les renseignements fournis précédemment, mais il a également expliqué davantage la nature de ses convictions, en affirmant ce qui suit :
[Traduction]
Je considère la forêt comme mon église avec un sentiment de respect envers la nature (Terre mère). Je m’aligne avec la nature, en honorant la nature et en faisant tout pour la respecter et la restaurer. Par exemple, ramasser les déchets (matériaux non biologiques) que quelqu’un a jetés près de mon ruisseau. J’estime que jeter des déchets ou des produits artificiels dans l’écosystème est incorrect et offensant et je n’adopte pas ces pratiques lorsque je suis dans la nature.
J’ai également planté et transplanté de nombreuses gaules dans des régions qui étaient intensivement cultivées afin de rajeunir le sol et d’améliorer l’écosystème (redonner vie). Je gère les arbres pour favoriser une croissance saine. J’ai un profond respect pour les arbres. Je trouve qu’en plantant des arbres cela me rapproche de ma spiritualité fondée sur la terre. Lorsque je suis dans la nature entourée d’arbres, je trouve qu’il y a une expérience mystique lorsque je suis immergé dans la forêt. Être dans la forêt nourrit mon âme.
Je m’efforce d’améliorer (rajeunir) la nature en n’utilisant que des matériaux biologiques et en n’utilisant pas de produits chimiques ou d’autres matériaux inorganiques lorsque je travaille dans la forêt ou que je cultive. Je considère les produits chimiques comme une guerre contre la nature.
La nature est diversifiée et non une monoculture, je vis selon cette devise en ne plantant pas qu’un seul type d’arbre dans une zone, notamment je plante diverses plantes et arbres sur les terres que je restaure à la nature (forêt), qui étaient utilisées comme ferme traditionnelle en monoculture. Les arbres constituent un aspect essentiel de ma spiritualité fondée sur la terre et je suis donc contre la coupe à blanc des forêts. Être parmi les arbres me permet de réfléchir à mes ancêtres et à leurs esprits dans la forêt et à la façon dont ils vivaient de la nature et redonnaient à la terre en plantant des arbres.
Ma spiritualité fondée sur la terre invoque un rôle de type environnementaliste dans ma vie, où je gère la durée de vie des plantes et des arbres, par exemple, en plantant des graines (glands ou noyers noirs) ou en transplantant de jeunes gaules. Le reboisement est une façon pour moi d’établir un lien avec ma spiritualité en améliorant la santé d’une terre dégradée et où j’établis une relation plus saine avec la nature.
J’ai un sentiment de connexion à l’existence humaine dans la nature, car elle expose la vie, la croissance et la mort ou la décomposition tout au long des saisons, me faisant réfléchir à ma propre existence et mon but sur cette terre.
Mon moi intérieur (paysage) a un lien avec ce paysage extérieur de la nature (terre), cela me donne un objectif, un accomplissement spirituel de faire partie d’un processus et d’un monde plus importants où je ne me sens pas seul et où j’ai moins peur de la mort. Je vois ce cycle de vie dans la nature, c’est‑à‑dire la vie et la mort, et comment mes actions, c’est‑à‑dire planter et gérer la forêt et la terre, contribuent à ce cycle de vie tout au long des saisons.
J’établis un lien spirituel et j’interagis avec cet écosystème en marchant dans la nature ou en faisant du travail physique dans la nature, où l’épuisement physique me mène à méditer et à me sentir en harmonie avec la nature. Cette profonde interconnexion avec la nature me donne l’impression d’être vivant ici, ensemble avec tous les autres êtres vivants, et de faire partie de quelque chose de plus grand, où je réfléchis à la façon dont mes ancêtres interagissaient avec la terre. C’est ainsi que je reçois ma « communion » avec la nature.
Avec plus de la moitié de ma vie maintenant terminée, mon lien spirituel avec la nature croît chaque jour et contribue à me faire réfléchir à mon existence et à mon objectif dans la vie. Cela a renforcé un objectif de vie actuel qui est de travailler avec la terre et d’en vivre de manière naturelle, tout en étant un bon gardien de la terre et de la forêt. Je ressens un grand épanouissement spirituel et un sentiment d’aider Terre mère à se renouveler lorsque je plante des arbres et que je les fertilise de manière biologique, que je les réduis en paillis et que je les arrose pendant les périodes de sécheresse estivale, les aidant ainsi à grandir. Je respecte les plantes et les arbres que je cultive et gère et je ressens leur présence et leurs esprits lorsque je suis immergé dans des organismes vivants. Observer d’autres organismes vivre les uns des autres m’apporte beaucoup d’épanouissement spirituel alors que je vois nos rôles se déployer dans l’incroyable terrain de jeu de Terre mère.
Tous les humains viennent de la compréhension fondamentale – « nous avons tous couru nus à travers la forêt ». Nous avons tous à un moment donné eu cette relation avec la spiritualité fondée sur la terre. Ceux d’entre nous qui ont ou qui redécouvrent cette spiritualité fondée sur la terre constatent qu’il n’y a pas de dogme ou de bible religieuse concernant la spiritualité fondée sur la terre. Il existe une quantité infinie de religions autochtones ou fondées sur la terre et, par conséquent, toute généralisation de la spiritualité est difficile. Il n’existe aucune règle ou hiérarchie stricte autre que d’avoir une référence pour la terre et tous les êtres vivants, y compris soi‑même et son corps. Le système de convictions partagé par les divers adeptes de la spiritualité fondée sur la terre peut être résumé comme suit : Respecter la terre, toutes ses créatures, y compris soi‑même et son corps. Cela inclut de ne pas endommager la terre avec les nombreux produits chimiques disponibles pour une utilisation dans les industries agricoles ou forestières.
Selon cette spiritualité fondée sur la terre en laquelle je crois, les humains sont considérés comme ne pas être séparés de la nature et nous devrions avoir une relation physique et spirituelle avec la nature. Nous croyons que « notre église est dans les bois » et que les humains ne sont pas censés dominer la nature.
Puisque nous croyons que nous faisons partie de la nature, nous devons être gentils envers Terre mère et en prendre soin et de tous ses éléments (eau, air, terre). Par exemple, ne pas polluer et l’utiliser uniquement par nécessité. Les activités de préservation du Jour de la Terre sont un moyen pour la plupart des gens de redonner à la nature et d’aider à améliorer l’environnement. Par exemple, le compostage, le nettoyage des matériaux inorganiques dans le paysage et la culture d’aliments de manière naturelle (biologique) nous permettront de réaliser notre objectif global d’une planète plus saine et d’un individu plus sain, tant sur le plan physique que sur le plan spirituel.
Ce système de convictions complet que je respecte consiste à ne pas endommager l’écosystème, l’environnement ou moi‑même ni y introduire de produits artificiels. Cela inclut le rejet des nombreux produits chimiques et des produits artificiels utilisés dans la gestion des forêts, l’agriculture et la médecine, car ils vont à l’encontre de la loi naturelle et des systèmes naturels. Suivre cet ordre naturel est essentiel pour mon système de convictions, car j’ai une référence pour la terre, son sol, son écosystème et moi‑même. Violer le système naturel de Terre mère est un affront à mes convictions spirituelles, c’est‑à‑dire ma spiritualité fondée sur la terre et une menace pour Terre mère elle‑même.
Voici quelques vidéos et sites Web que j’ai récemment trouvés qui portent sur la spiritualité ou les religions fondées sur la terre.
[…]
Je crois en ce qui suit comme convictions ou valeurs fondamentales de ma spiritualité fondée sur la terre :
· Gérance de l’environnement : préserver la terre et ses écosystèmes, harmoniser avec les principes de conservation de l’environnement et de défense de l’environnement.
· Lien avec la Terre : le lien que les humains partagent avec la planète, déclarant que « toute matière, énergie et vie sont une unité interreliée dont nous sommes partie intégrante » et plaident en faveur de vivre en harmonie avec la nature tant à l’échelle locale qu’à l’échelle mondiale.
J’ai joint des photographies prises le 30 mai 2024 sur ma propriété de forêt‑agricole qui démontrent mes pratiques en nature, c’est‑à‑dire sans produits chimiques, travaillant avec la nature, c’est‑à‑dire la diversité des plantes, laisser pousser les choses (y compris les « mauvaises herbes », rajeunir l’écosystème et le reboisement des terres qui étaient exploitées chimiquement depuis des années (ce qui les rendait sans vie, au détriment de Terre mère). Je trouve la spiritualité dans la restauration et le rajeunissement de la nature. C’est ainsi que je reçois ma « communion » avec la nature.
[15] L’employeur n’a déposé aucun élément de preuve dans le cadre du présent grief et a choisi de ne pas contre‑interroger le fonctionnaire.
IV. La demande de l’employeur que la Commission ne tienne pas compte de la deuxième déclaration sous serment
[16] La sincérité des convictions d’un employé doit être évaluée au moment où il a présenté sa demande de mesure d’adaptation, et non en fonction de renseignements supplémentaires fournis pour la première fois lors d’une audience; voir Bedirian, au par. 60; Wilfrid Laurier University v. United Food and Commercial Workers Union, 2022 CanLII 120371 (ON LA), au par. 84; Nova Scotia Union of Public & Private Employees, Local 13 v. Halifax Regional Municipality, 2022 CanLII 129860 (NS LA), au par. 134.
[17] En invoquant ce principe, l’employeur s’oppose à une partie du contenu de la deuxième déclaration sous serment du fonctionnaire, qui a été préparée et déposée aux fins de la présente audience.
[18] Le fonctionnaire soutient que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est « évolutive », ce qui signifie que l’employeur et la Commission ont l’obligation de tenir compte de nouveaux renseignements au moment qu’ils sont fournis. Par conséquent, l’employeur devait tenir compte des renseignements supplémentaires fournis dans le cadre de la procédure de règlement des griefs qui figurent dans sa deuxième déclaration sous serment, et, vraisemblablement, je dois également tenir compte de ces renseignements.
[19] Le fonctionnaire fait valoir que [traduction] « […] les tribunaux ont également reconnu la nature « évolutive » du processus de mesures d’adaptation », mais il n’a inclus aucune référence à des décisions judiciaires à l’appui de cette proposition. Il a plutôt cité une décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO), McDonald v. Mid‑Huron Roofing, 2009 HRTO 1306. Cette décision faisait référence à ce que le fonctionnaire appelle la nature évolutive de la mesure d’adaptation comme quelque chose qu’un employeur doit faire [traduction] « [p]our répondre à la partie procédurale de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation […] » et qu’une [traduction] « […] omission de satisfaire aux aspects procéduraux de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation – l’obligation de s’enquérir et d’évaluer – constitue une forme de discrimination en soi […] » [je mets en évidence]. Le problème est qu’il s’agit de la loi en Ontario, mais pas à l’échelle fédérale. Contrairement à l’Ontario, il n’existe aucune obligation procédurale distincte de prendre des mesures d’adaptation dans la compétence fédérale; voir Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, au par. 25; et Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 131.
[20] Le fonctionnaire soutient également que sa deuxième déclaration sous serment est conforme aux renseignements fournis dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, ce qui la rend admissible, car l’employeur avait l’obligation de tenir compte de ces renseignements. J’ai de véritables préoccupations concernant cet argument.
[21] En premier lieu, il existe un principe général selon lequel les déclarations faites pendant la procédure de règlement des griefs sont privilégiées et inadmissibles (peu importe si les déclarations ont été faites dans le but de régler le grief). Il existe un certain nombre d’exceptions à ce principe, comme lorsque les discussions et les arguments concernant le grief sont nécessaires pour définir la portée du litige – dans cette compétence, communément appelée une question Burchill, intitulée ainsi après Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.). Voir la discussion dans International Union of Operating Engineers, Local Union No 955 v. North American Mining Ltd., 2014 CanLII 50001 (AB GAA), au titre d’un exemple du traitement de cette question. Le fonctionnaire ne soulève pas du tout cette question. Je reconnais que l’employeur ne s’est pas particulièrement opposé à la déclaration sous serment pour ce motif, mais le fondement privilégié de la procédure de règlement des griefs mine toujours l’argument du fonctionnaire selon lequel la déclaration sous serment est admissible simplement parce qu’elle contient les mêmes renseignements que ceux communiqués au cours de la procédure de règlement des griefs.
[22] En deuxième lieu, le fonctionnaire a déposé son grief le 23 décembre 2021 et demande une réparation remontant au début de son congé non payé. Le fondement du principe selon lequel ce type de cas est tranché sur la base des renseignements fournis à l’employeur au moment où il a pris sa décision est que l’employeur n’a pas l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé relativement à une caractéristique protégée secrète. Par conséquent, si je traitais les arguments relatifs au grief présentés en avril 2022 comme s’ils avaient entraîné une conclusion de discrimination, la réparation ne remonterait qu’à cette date, ce qui n’est pas ce que le fonctionnaire a demandé dans son grief.
[23] Comme je l’ai dit, je suis préoccupé par l’argument du fonctionnaire. Néanmoins, j’admets la plupart des objections de l’employeur malgré mes préoccupations. Essentiellement, je suis d’accord avec l’argument subsidiaire du fonctionnaire selon lequel les renseignements qu’il a fournis ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve, mais visent à expliquer le contenu de la première déclaration sous serment et les renseignements supplémentaires fournis peu de temps après.
[24] L’employeur était particulièrement préoccupé par les références du fonctionnaire aux bois comme étant son « église », à la nature comme « Terre mère » et à un « Créateur ». Cependant, je ne crois pas que le fonctionnaire essaie d’ajouter de nouveaux renseignements à sa demande. Je crois qu’il tente plutôt d’expliquer les renseignements qu’il a déjà fournis. Le fonctionnaire a énoncé ce qui suit dans ses arguments :
[Traduction]
[…]
[…] M. Frankovic soutient qu’il est inapproprié d’appliquer le concept de l’ordre supérieur du point de vue des religions monothéistes qui possèdent souvent une divinité bien définie. M. Frankovic et les adeptes de la spiritualité fondée sur la terre ont une vision plus complexe et diversifiée de la divinité. Si nous devions examiner ses convictions sous l’angle du judéo‑christianisme prédominant qui caractérise les sociétés occidentales, Terre mère occuperait la position de cet être supérieur. Le respect et la révérence témoignés par M. Frankovic envers la planète sont très similaires à ceux d’un catholique pratiquant qui vénère Dieu et Jésus. Cependant, comme il n’y a pas de véritable équivalence à un être supérieur comme celui qui existe dans la plupart des religions, la raison pour laquelle le Tribunal a précédemment déclaré que tous les éléments de la politique de la CODP ne sont pas nécessaires pour qu’une pratique ou un système de croyances soit déterminé être une croyance devient évidente.
[…]
[25] Je reviendrai sur cette idée de religions non théistes plus loin dans ma décision lorsque je trancherai la question de savoir si la spiritualité fondée sur la terre dont parle le fonctionnaire constitue une croyance. Toutefois, ce que je retiens également de ce passage, c’est que le fonctionnaire utilise l’expression « Terre mère » comme une métaphore pour expliquer sa vision de l’environnement. D’après ses arguments, je crois comprendre qu’il ne croit pas en une divinité ou en une « Terre mère » littérale, mais qu’il utilise plutôt l’expression pour expliquer ses convictions aux personnes ayant une vision théiste de la religion. J’ai traité son emploi des mots « église » et « Créateur » de la même manière.
[26] Je reconnais que, dans ses arguments en réponse, le fonctionnaire est allé plus loin en qualifiant la Terre mère et le Créateur d’une force [traduction] « […] chargée de la gouvernance de l’univers et de la vie qu’il abrite »; toutefois, je n’ai rien vu dans ses éléments de preuve laissant entendre qu’il adopte cette conviction. Ses arguments initiaux saisissent le point de manière plus précise : Terre mère et le Créateur sont des métaphores, non des divinités chargées de la gouvernance de l’univers et de la vie qu’il abrite.
[27] Le fonctionnaire fait également référence à ses ancêtres pour la première fois dans sa deuxième déclaration sous serment. Je vais admettre en preuve et examiner ces éléments de preuve pour des raisons semblables à celles relatives à « Terre mère ». Le fonctionnaire ne soutient pas qu’il est adepte du culte des ancêtres, ou s’il l’est, alors il n’allègue jamais qu’il ne peut pas se faire vacciner en raison de son culte des ancêtres. Il essaie simplement d’expliquer à quel point l’environnement est important pour lui.
[28] L’employeur souligne une incohérence entre les arguments du fonctionnaire et sa première déclaration sous serment et s’y oppose lorsqu’ils discutent de quels produits médicaux qu’il utilise. Dans la mesure de toute incohérence, je vais bien sûr me fier à sa déclaration sous serment et non à ses arguments écrits en tant qu’élément de preuve.
[29] L’employeur s’est également opposé aux photographies d’arbres, de fleurs et d’autres végétaux qui sont jointes à la deuxième déclaration sous serment du fonctionnaire. Ayant lu sa déclaration sous serment et ses arguments attentivement, je ne suis toujours pas sûr de la raison pour laquelle il a joint ces photographies – que ce soit pour me convaincre de la sincérité de son lien avec la nature ou pour me permettre de partager ce lien. Quoi qu’il en soit, son objectif a été réalisé. Toutefois, l’employeur ne doute jamais de la sincérité du lien de M. Frankovic avec la nature. Comme je l’expliquerai plus en détail plus loin, la véritable question à trancher dans le présent cas est celle de savoir si la forme particulière de spiritualité fondée sur la terre dont parle le fonctionnaire constitue une « croyance ». Par conséquent, je n’ai accordé aucun poids à ces photographies, même si j’ai apprécié les regarder.
[30] Enfin, dans le passage que j’ai cité plus tôt de la deuxième déclaration sous serment, j’ai exclu une liste de sites Web que le fonctionnaire a fournie. Je les ai omis parce que plusieurs d’entre eux étaient des liens vers des sites qui ne sont plus disponibles et parce qu’ils ne constituaient pas des sources fiables de renseignements sur les convictions du fonctionnaire (par opposition à la spiritualité fondée sur la terre de manière plus générale).
[31] Par conséquent, j’ai considéré la deuxième déclaration sous serment comme une explication des renseignements que le fonctionnaire a fournis à l’employeur en octobre et en décembre 2021.
V. La signification du terme « croyance »
[32] Le présent grief comporte une allégation de violation de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective conclue entre l’agent négociateur du fonctionnaire (l’Association canadienne des agents financiers; ACAF) et l’employeur du groupe FI (expirée le 6 novembre 2022). Cette clause interdit la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs, y compris la « croyance » et la « confession religieuse ». L’ensemble de la clause se lit comme suit :
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[Je mets en évidence]
[33] Le fonctionnaire soutient que son spiritualisme fondé sur la terre constitue une « croyance ». L’employeur n’est pas du même avis.
[34] Les deux parties ne s’entendent pas sur la signification du terme « croyance », qui n’est pas défini dans la convention collective. Essentiellement, le différend entre les parties porte sur la question de savoir si, ou dans quelle mesure, le terme « croyance » englobe le terme « religion ».
[35] Le fonctionnaire cite Hendrickson Spring, Stratford Operations v. U.S.W.A., Loc. 8773 (Kaiser), 2005 CanLII 94140 (ON LA), qui définit le terme « croyance » de manière très large, comme suit :
[Traduction]
[…]
Le terme « croyance » […] comporte une signification large et peut être interprété pour inclure presque tout système de croyances qui englobe un ensemble de convictions religieuses particulières, mais aussi de nombreuses autres croyances philosophiques, laïques et personnelles – les « ‑ismes » (comme ceux contenus dans des mots comme « écologisme », « conservatisme », « libéralisme » ou « socialisme »).
[…]
[36] L’employeur soutient que la référence à la « croyance » dans la convention collective renvoie au motif de distinction illicite de la « religion » dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP).
[37] J’ai conclu que la signification du terme « croyance » est synonyme de religion.
A. Signification de « croyance » dans le Code des droits de la personne de l’Ontario
[38] Les deux parties ont présenté de longs arguments sur des décisions de l’Ontario qui définissent le terme « croyance ». Le Code des droits de la personne (L.R.O. 1990, chap. H. 19) de l’Ontario interdit la discrimination fondée sur la « croyance » et ne mentionne rien au sujet de la religion. Par conséquent, il y a un grand nombre de décisions de l’Ontario qui interprètent le terme « croyance ».
[39] Ces décisions ont commencé avec R. v. Ontario (Labour Relations Board), [1963] 2 O.R. 376 (HCJ). Ce cas portait sur l’interprétation de la Labour Relations Act (R.S.O. 1960, c. 202) de l’Ontario, qui stipulait qu’un syndicat qui fait preuve de discrimination envers une personne fondée sur la « croyance » ne serait pas accrédité en vertu de ses dispositions. La version actuelle de cette loi (Loi de 1995 sur les relations de travail (L.O. 1995, chap. 1, annexe A)) interdit la discrimination fondée sur un motif énuméré dans le Code des droits de la personne. Dans ce cas, un membre du syndicat s’est opposé à ce que son syndicat exige qu’il respecte les [traduction] « principes sociaux chrétiens ». La Haute Cour de justice de l’Ontario a conclu que cela n’équivalait pas à une discrimination fondée sur la croyance. Ce faisant, elle a dit ce qui suit sur la signification de ce terme :
[Traduction]
[…]
Il convient de se rappeler que ce que la loi interdit, c’est l’accréditation d’un syndicat qui prend des mesures discriminatoires contre une personne en raison de sa croyance. La signification de ce terme n’est en aucun cas claire. Selon une interprétation stricte, il pourrait signifier qu’un syndicat qui interdit l’adhésion aux personnes qui adoptent une certaine croyance ne peut pas être accrédité, ou il pourrait signifier que l’adhésion à une croyance particulière comme condition d’adhésion constitue un obstacle à l’accréditation. Comme je l’ai indiqué, je suis enclin à estimer que l’une ou l’autre serait discriminatoire au sens de la loi. La véritable question est la suivante : Que signifie le terme « croyance »? La dérivation du mot vient du latin : « credo » – je crois. Le Oxford Dictionary donne sa signification la plus ancienne comme étant « un système de croyances religieuses professées » ou une définition plus générale « une confession de foi ». Le New English Dictionary de Murray donne deux significations appropriées des mots : « une formule de conviction religieuse » ou « un système de croyances religieuses acceptées ou professées ».
Peu importe la signification accordée au mot « credo », elle doit concerner une déclaration de conviction religieuse. Les convictions religieuses, la théologie et les normes de conduite éthique ou sociale sont des choses très différentes […] Les principes sociaux ne concernent en aucun cas des convictions religieuses. […]
[…]
[40] La Haute Cour de justice a également énoncé des choses qui font grincer des dents à un public moderne (comme le fait que les syndicats devraient assurer le respect des principes éthiques ou sociaux chrétiens en raison de leur attrait universel, mais veiller à ne pas admettre les communistes). Toutefois, l’idée que le terme « croyance » est étroitement lié à la religion demeure.
[41] Les tribunaux de l’Ontario ont de nouveau abordé cette question dans Jazairi v. Ontario (Human Rights Commission) (1997), 146 D.L.R. (4e) 297 (Ont. Div. Ct.) et 1999 CanLII 3744 (ON CA). Dans ce cas, un professeur a allégué avoir été victime de discrimination fondée sur la croyance dans le processus d’octroi de permanence en raison de ses points de vue sur le conflit israélo‑palestinien. La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a rejeté sa plainte parce qu’elle a conclu que ses points de vue étaient politiques, et que le terme « croyance » n’inclut pas les points de vue politiques. Les deux instances judiciaires étaient du même avis.
[42] La Cour divisionnaire a interprété le terme « croyance » comme suit :
[Traduction]
[…]
[34] Le terme « croyance » n’est pas défini par le Code des droits de la personne de l’Ontario. Aucune commission d’enquête de l’Ontario n’a déterminé si la définition de « croyance » englobe la « conviction politique ». Toutefois, une commission d’enquête de l’Ontario a fait référence au Webster’s New International Dictionary dont la définition de « croyance » comprend « parfois un résumé de principes ou un ensemble d’opinions professées ou respectées en science ou en politiques, ou autres domaines semblables » : Rand v. Sealy Eastern Ltd. (1982), 1982 CanLII 4878 (TDP ON), 3 C.H.R.R. D/938 at D/942 (Commission d’enquête de l’Ontario).
[35] Dans le Black's Law Dictionary, 6e édition, 1990, le terme « croyance » est défini comme une « confession des articles de foi, une déclaration officielle de conviction religieuse, toute formule ou confession de foi religieuse, et un système de croyances religieuses ». Voici d’autres définitions :
Croyance 1. un ensemble de principes ou d’opinions, en particulier en tant que philosophie de vie (sa croyance est la modération en toute chose). 2. a. (souvent le Credo) = Credo des Apôtres (voir Apôtre). b. un résumé officiel de la doctrine chrétienne (cf. Credo de Nicée, Credo d’Athanase). c. le Credo comme partie de la messe : Le Concise Oxford Dictionary of Current English (8e éd.) (1990) à la p. 272.
Croyance 1. Une déclaration officielle de conviction religieuse, une confession de foi. 2. Une déclaration autoritaire de certains articles de la foi chrétienne considérés comme essentiels; par exemple, le Credo des Apôtres et le Credo de Nicée. 3. Toute déclaration ou tout système de croyances, principes ou opinions. [Moyen anglais crede, vieil anglais creda, tiré du latin credo, « Je crois. »] : Le Houghton Mifflin Canadian Dictionary of the English Language (1982), à la page 311.
Croyance – toute formule ou confession de foi religieuse, un système de croyances religieuses, en particulier tel qu’exprimé ou exprimable dans une déclaration précise; parfois un résumé de principes ou un ensemble d’opinions professées ou respectées en science ou en politiques, ou autres domaines semblables : comme sa croyance d’espoir : Webster’s New International Dictionary (1977) à la page 13.
Croyance – 1. Une forme de mots énonçant de manière autoritaire et concise la conviction générale de l’Église chrétienne, ou ces articles de foi qui sont considérés comme essentiels; un résumé de la doctrine chrétienne : généralement et correctement appliqué aux trois énoncés de conviction connus sous le nom de Credo des Apôtres, de Nicée et d’Athanase (le Credo, sans qualification, équivaut généralement au Credo des Apôtres); b. Une répétition de la croyance, comme acte de dévotion; c. Plus généralement : Une formule ou conviction religieuse; une confession de foi, en particulier une considérée comme autoritaire et contraignante pour les membres d’une communion; 2. Un système de croyances religieuses accepté ou professé; la foi d’une communauté ou d’un particulier, notamment telle qu’elle est exprimée ou susceptible d’être exprimée dans une formule précise; b. Un système de croyances en général; un ensemble d’opinions sur un sujet quelconque, par exemple la politique ou la science; c. Conviction, foi (en référence à un seul fait) rare. Le Oxford English Dictionary (2e éd.) (1989) à la page 1141.
Croyance – 1. Une brève formule autoritaire de conviction religieuse; 2. un ensemble de convictions fondamentales; aussi : un principe directeur : Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary (1991), à la page 305.
Croyance – 1. Un résumé officiel de la doctrine chrétienne, en particulier de ceux connus sous le nom de (Credo des Apôtres), du Credo d’Athanase et du Credo de Nicée; 2. Une répétition de la croyance en tant qu’acte de dévotion, en particulier dans le cadre de la messe; 3. Un système de croyances religieuses; 4. Un ensemble d’opinions ou de principes sur un sujet quelconque, en particulier une philosophie politique; 5. Conviction ou confiance en; un article de foi : Le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (1993), à la page 545.
[36] Dans les lois canadiennes en matière de droits de la personne, les termes « croyance », « religion » et « conviction religieuse » sont utilisés de manière synonyme et se distinguent de l’expression « conviction politique ». Au Manitoba, les lois font référence à « la religion ou la croyance, ou religieux, une association religieuse ou une activité religieuse » à l’article 9(2)d) et aux « convictions, liens ou activités politiques » à l’article 9(2)k). À Terre‑Neuve, la « religion » et la « croyance religieuse » sont distinguées de la « conviction politique ». À l’Île‑du‑Prince‑Édouard, la « religion » et la « croyance » sont distinguées de la « conviction politique ». Voir le Code des droits de la personne du Manitoba, L.M. 1987‑88, c. 45, C.P.L.M. c H175, le Human Rights Code de Terre‑Neuve, R.S.N.L. 1990, c H‑14; et la Human Rights Act de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, R.S.P.E.I. 1988, c. H‑12.)
[37] L’utilisation d’un libellé clairement différent par différents organes législatifs peut révéler un objectif législatif différent de la part d’un organe législatif particulier […].
[…] les différences de libellé entre les provinces ne devraient pas obscurcir les objectifs essentiellement semblables de telles dispositions, à moins que le libellé ne témoigne clairement d’un objectif différent de la part d’une législature provinciale particulière. [Je mets en évidence]
[38] La conviction religieuse est un élément du terme « croyance » tel qu’il figure dans les lois en matière de droits de la personne et de travail : selon le juge en chef de l’Ontario McRuer dans R. v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Trenton Construction Workers Association, Local 52 (1963), 1963 CanLII 117 (ON SC), 39 D.L.R. (2d) 593 (H.C.J.). Voir aussi Morra v. Metropolitan Separate School Board (1981), 1981 CanLII 4309 (ON HRT), 3 C.H.R.R. D/1034 (Commission d’enquête de l’Ontario).
[39] Il est significatif que l’article 5(1) du Code n’énumère pas la « religion » comme un motif de distinction illicite. À mon avis, même si le terme croyance peut inclure un ensemble complet de principes, son sens ordinaire à l’article 5(1) exige un élément de conviction religieuse.
[40] Même si on peut dire que l’opinion politique peut constituer une croyance, aucun élément de preuve n’indique que les points de vue du demandeur constituent une croyance. Je ne suis pas prêt à conclure que les points de vue politiques du demandeur, sans aucun doute partagés par d’autres dans la société, constituent une croyance simplement parce que le demandeur est originaire de l’Iraq. Selon les faits du présent cas, l’argument du demandeur selon lequel les engagements politiques et religieux peuvent être si harmonisés qu’ils constituent une « croyance » n’est pas établi. Que ce soit une perspective politique, comme le communisme, qui est composée d’un système de croyances ou de structure cohérent et reconnaissable, peut constituer une « croyance » n’est pas en litige et n’est pas déterminé.
[…]
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[43] La Cour d’appel de l’Ontario a approuvé le résultat, mais a été plus prudente dans ses motifs et a donné une mise en garde au paragraphe 28 comme suit : [traduction] « J’estime qu’il s’agit d’une erreur de traiter des scénarios hypothétiques. Évidemment, l’opinion personnelle de l’appelant sur cette question unique des relations entre les Palestiniens et Israël ne constitue pas une croyance. »
[44] La prochaine tentative de définir le terme « croyance » qui m’a semblé éclairante pour le présent cas se trouve dans R.C. v. District School Board of Niagara, 2013 HRTO 1382. Dans ce cas, le TDPO a conclu que l’athéisme est une croyance, en déclarant ce qui suit :
[Traduction]
[…]
[30] À mon avis, une interprétation fondée sur l’objet de l’interdiction de la discrimination en raison de la « croyance » dans le Code inclut une interdiction de discrimination fondée sur le fait qu’une personne est athée. Accepter les arguments du défendeur équivaudrait à conclure que le Code ne protège que les convictions fondamentales concernant soi‑même, l’humanité et la nature liées à sa propre définition lorsqu’elles acceptent l’existence d’une divinité ou comportent des pratiques particulières. Le but d’interdire la discrimination fondée sur la croyance inclut s’assurer que les particuliers ne sont pas victimes de discrimination dans le cadre de leur emploi, de services ou d’autres domaines sociaux prévus dans le Code parce qu’ils rejettent une, plusieurs ou toutes les convictions et pratiques religieuses ou croient qu’il n’existe aucune divinité.
[31] Il est bien établi que la croyance prévue dans le Code englobe, au moins, la discrimination fondée sur la religion : Loomba v. Home Depot Canada, 2010 HRTO 1434, au paragraphe 96; Ataellahi v. Lambton County (EMS), 2011 HRTO 1758, aux paragraphes 6 à 8. La protection contre la discrimination en raison de la religion, à mon avis, doit inclure la protection de la conviction des demandeurs qu’il n’existe aucune divinité, une conviction profondément personnelle sur l’absence d’existence d’une divinité ou d’un être supérieur qui régit leur perception d’eux‑mêmes, de l’humanité et du monde. Les convictions des demandeurs concernent la religion et visent à garantir que les gens sont traités de manière égale, peu importe leurs points de vue et pratiques en matière religieuse. Il n’est pas nécessaire, dans le présent cas, de décider si la croyance peut parfois englober des convictions de base sur des questions fondamentales autres que la religion.
[32] Afin de définir ce qui est inclus dans le motif de croyance, le Tribunal s’est souvent appuyé sur la jurisprudence en matière de liberté de religion en vertu de l’article 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés et aux valeurs de la Charte […] Puisque la liberté de religion en vertu de l’article 2a) de la Charte englobe à la fois la liberté de pratiquer une religion et l’exigence de non‑discrimination entre les religions, cette jurisprudence peut être particulièrement utile pour traiter les allégations de croyance […]
Dans R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295, l’arrêt de principe sur la liberté de religion, la Cour suprême a statué que la protection de la liberté de religion et de conscience en vertu de la Charte comprend à la fois la conviction et la non‑conviction. […]
[…]
[37] Ce passage [tiré de Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47] ne laisse pas entendre pas que la Cour exige maintenant, contrairement à sa déclaration claire dans Big M, qu’un système de croyances accepte l’existence d’une divinité et/ou ait un ensemble organisé de pratiques pour bénéficier de la protection de la liberté de religion ou contre la discrimination fondée sur la croyance. La conviction selon laquelle il n’existe aucune divinité, aucun surhumain ou aucun pouvoir de contrôle est tout aussi liée à la « foi spirituelle, à la définition de soi et à l’épanouissement spirituel » qu’une conviction de son existence. La Cour dans Amselem fait remarquer que la religion tend à concerner une conviction d’un tel pouvoir, et concerne généralement un système particulier complet, des dogmes et des pratiques, mais elle ne déclare pas que ce sont des exigences pour qu’un ensemble de convictions relatives à la nature du monde et relève de la liberté de religion.
[…]
[45] Le TDPO a invoqué en partie l’article 18(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui accorde la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le TDPO a ensuite déclaré au paragraphe 41 ce qui suit : [traduction] « [m]ême si le libellé inclut “religion ou conviction”, l’article 18, à mon avis, a les mêmes objectifs que la protection de la croyance dans le Code ». Enfin, le TDPO s’est appuyé en partie sur la traduction française de « croyance », qu’il a déclaré [traduction] « […] indique une compréhension plus large de la croyance qui tient compte des convictions, plutôt que seulement l’identification avec un ensemble officiel de points de vue religieux ».
[46] En 2015, la CODP a publié sa Politique de prévention de la discrimination fondée sur la croyance. Cette politique a énoncé cinq caractéristiques d’une croyance, à savoir, une croyance :
· est sincère, profonde et adoptée de façon volontaire;
· est intégralement liée à l’identité de la personne et à la façon dont cette personne se définit et s’épanouit;
· constitue un système particulier de convictions qui est à la fois exhaustif et fondamental, et régit la conduite et les pratiques de la personne;
· aborde les questions ultimes de l’existence humaine, dont les idées sur la vie, son sens, la mort et l’existence ou non d’un Créateur et (ou) d’un ordre d’existence supérieur ou différent;
· a un lien quelconque avec une organisation ou une communauté professant un système commun de convictions, ou une connexion à une telle communauté.
[47] Le TDPO a appliqué cette définition, même s’il n’était pas lié par celle‑ci; voir, par exemple, DiRenzo v. Toronto (City), 2024 HRTO 395, aux paragraphes 9 et 10; et Knauff v. Ontario (Natural Resources and Forestry), 2023 HRTO 1729.
[48] Les deux parties ont présenté des arguments sur la politique de la CODP. Les deux parties ont soutenu que la politique n’établit pas un critère juridique exécutoire en Ontario et que la Commission ne serait pas liée par celle‑ci même si elle en établissait un. Néanmoins, les deux parties ont présenté des arguments sur la signification de la politique de la CODP – notamment, si une croyance doit satisfaire aux cinq caractéristiques énoncées dans la politique. L’employeur affirme que les cinq caractéristiques doivent être satisfaites, invoquant en partie Knauff, qui a déclaré que [traduction] « […] un système de croyances non religieuses doit quand même aborder les cinq parties du critère ». Le fonctionnaire affirme que les cinq caractéristiques sont pertinentes (invoquant des déclarations du TDPO à cet effet dans 13 cas), mais que la pertinence n’est pas la même chose que le fait d’être déterminante.
[49] Compte tenu de l’argument principal des parties selon lequel je ne suis pas lié par la politique de la CODP, j’ai décidé de ne pas tenter de l’interpréter ou de décider si chaque caractéristique constitue une condition nécessaire selon les modalités de cette politique. Il n’appartient pas à la Commission d’interpréter une politique non exécutoire adoptée par un autre organisme administratif à un ordre de gouvernement différent concernant des lois qui ne s’appliquent pas à la Commission.
[50] Le TDPO a résumé sa position de manière concise dans Lin v. Toronto Court Services, 2017 HRTO 18, comme suit : [traduction] « Le terme « croyance » n’est pas défini dans le Code. Le terme comprend, sans toutefois s’y limiter, la « croyance religieuse » ou la « religion ». Le terme peut être plus large que la religion, il n’est pas sans limites. Toutes les convictions, opinions, expressions, pratiques ou affaires de conscience ne constituent pas une croyance en vertu du Code. » En d’autres termes, en Ontario, une croyance est une conviction religieuse ou quelque chose adjacente ou semblable à celle‑ci.
B. La jurisprudence de l’Ontario n’est pas déterminante
[51] Malgré le fait que les deux parties ont invoqué une importante jurisprudence de l’Ontario, cette jurisprudence portant sur la définition du terme « croyance » dans le Code des droits de la personne de l’Ontario ne détermine pas de manière concluante la signification du même terme dans cette convention collective. Je dis cela pour deux raisons.
[52] En premier lieu, l’interprétation de la loi est différente de l’interprétation de la convention collective. L’interprétation de la loi consiste à discerner l’intention du législateur en se référant au texte, au contexte et à l’objet de la loi interprétée; voir Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, au par. 73; et Bernard c. Canada (Institut professionnel de la fonction publique), 2019 CAF 236, au par. 7. En revanche, l’interprétation d’une convention collective consiste à discerner l’intention des parties. Les arbitres de différends et les arbitres de grief le font en lisant les mots de la convention dans leur contexte intégral, selon leur sens grammatical et ordinaire, en conformité avec l’intention des parties lors de la conclusion de cette convention; voir Moniz c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2023 CRTESPF 79, au par. 104.
[53] Les approches en matière d’interprétation des lois et des conventions collectives sont semblables et donneront souvent lieu au même résultat. Bon nombre de maximes d’interprétation des lois sont souvent utilisées pour interpréter les conventions collectives, et vice versa. Toutefois, les termes d’une convention collective doivent être examinés dans ce contexte, ce qui pourrait donner lieu à un résultat différent de l’interprétation des lois. Par conséquent, dans le présent cas, ma tâche consiste à déterminer l’intention des parties et non l’intention de l’Assemblée législative de l’Ontario.
[54] Cela est particulièrement le cas parce que les parties à une convention collective sont libres de négocier un libellé visant à éliminer la discrimination qui dépasse celui énoncé dans les lois : « Les lois sur les droits de la personne fixent un minimum auquel les parties ne peuvent pas se soustraire par contrat. Elles pourront le faire si, de ce fait, elles accroissent et protègent davantage les droits de la personne des gens concernés. » (Newfoundland Association of Public Employees c. Terre‑Neuve (Green Bay Health Care Centre), [1996] 2 RCS 3, au par. 26)
[55] En deuxième lieu, cette convention collective est rédigée différemment du Code des droits de la personne de l’Ontario. Le Code des droits de la personne interdit la discrimination fondée sur la croyance. Cette convention collective interdit toute discrimination fondée sur les croyances et la confession religieuse.
[56] Le fonctionnaire soutient que cela signifie que les parties ont utilisé les termes « religion » et « croyance » comme des concepts différents, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas être synonymes. Même si le fonctionnaire ne le formule pas ainsi, il applique la présomption contre la tautologie ou que lorsque des mots différents sont utilisés, ils sont censés avoir des significations différentes.
[57] L’employeur fait valoir que les parties n’ont pas utilisé les termes « croyance » et « religion », mais ont plutôt utilisé les termes « croyance » et « confession religieuse ». Ces deux termes, ensemble, constituent la religion : la croyance est la manifestation individuelle et personnelle des convictions de chacun, tandis que la confession religieuse est l’acte d’appartenir à un groupe ou une communauté religieuse.
[58] Je reconnais que la Commission a appliqué le critère énoncé dans Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, dans Bedirian. L’employeur soutient que cela signifie que « croyance » doit être synonyme de religion. Toutefois, dans Bedirian, la Commission a indiqué clairement qu’elle appliquait Amselem parce que « [l]es parties ont convenu qu’Amselem devrait également s’appliquer dans le présent cas en ce qui concerne l’interprétation de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective » (voir le paragraphe 32). Pour cette raison, Bedirian ne permet pas de répondre complètement à cette question.
[59] Je reviendrai bientôt aux arguments contradictoires des parties. Toutefois, pour l’instant, il suffit de souligner que les deux parties conviennent que la convention collective est rédigée différemment du Code des droits de la personne de l’Ontario et que chacune s’appuie sur la façon dont la convention est rédigée pour étayer sa thèse respective. Par conséquent, j’ai conclu que la jurisprudence de l’Ontario ne permet pas de trancher cette question.
C. Le terme « croyance » est un synonyme d’une croyance religieuse au sens large
[60] J’ai conclu que le terme « croyance » est étroitement lié au terme « religion ». Toutefois, je tiens également à souligner que le terme « religion » dans ce contexte est défini de manière très large. Je suis parvenu à cette conclusion pour cinq raisons.
1. Sens ordinaire du terme « croyance »
[61] En premier lieu, j’ai examiné le sens ordinaire du terme creed (croyance). Le New Shorter Oxford English Dictionary le définit comme suit :
[Traduction]
Croyance /kʁwajɑ̃s / n. OE [f. comme credo] 1 Un résumé officiel de la doctrine chrétienne, en particulier de ceux connus sous le nom de (Credo des Apôtres), du Credo d’Athanase et du Credo de Nicée. OE 2 Une répétition de la croyance en tant qu’acte de dévotion, en particulier dans le cadre de la messe. LME 3 Un système de croyances religieuses. M16 4 Un ensemble d’opinions ou de principes sur un sujet quelconque, en particulier une philosophie politique. E17 5 Conviction ou confiance en; un article de foi. Rare E19.
[Je mets en évidence]
[62] Le dictionnaire en ligne Merriam‑Webster Dictionary définit le terme creed (croyance) comme suit :
[Traduction]
croyance
1 une brève formule de conviction religieuse faisant autorité
2 un ensemble de convictions fondamentales
[Le passage en évidence l’est dans l’original]
[63] Le terme français « croyance » a une définition semblable. Le Robert Dico en Ligne définit le terme comme suit :
Définition de croyance
1. Action, fait de croire une chose vraie, vraisemblable ou possible. ‑ certitude, conviction, foi. La croyance à, en qqch.
2. Ce que l’on croit (surtout en matière religieuse). Croyances religieuses. – conviction.
[64] Comme le montrent ces définitions, le terme « croyance » peut parfois avoir une connotation purement laïque, mais il est largement associé à une conviction religieuse.
2. L’utilisation du terme « croyance » dans d’autres compétences est associée à la religion
[65] En deuxième lieu, l’Ontario n’est pas la seule compétence à utiliser le terme « croyance ». J’ai trouvé son utilisation dans d’autres compétences instructives.
[
66
]
Le Code des droits de la personne de la Saskatchewan de 2018 (2018 LS, c S‑24.2), à l’article 2(1), interdit la discrimination fondée à la fois sur la « foi » et la « religion », mais définit le terme « foi » comme signifiant « foi religieuse ». Les dispositions législatives de la Saskatchewan comportent également des dispositions qui utilisent les termes « foi » et « religion » côte à côte, comme à l’article 16(10), qui permet la discrimination par des organisations sans but lucratif qui s’occupent des intérêts des personnes pour de nombreux motifs, y compris leur « […] foi, […] leur religion […] ». Le Code des droits de la personne du Manitoba (CPLM c H175) interdit la discrimination fondée sur « […] la religion ou la croyance ou les croyances religieuses, les associations religieuses ou les activités religieuses […] » (à l’article 9(2)d)). La
Loi sur les droits de la personne
du Nouveau‑Brunswick (LRN‑B 2011, c 171) interdit la discrimination fondée sur « la croyance ou la religion » à l’article 2.1f). Fait intéressant, la version anglaise de la loi du Nouveau‑Brunswick mentionne la religion dans son préambule et à l’article 13a) en précisant son objectif (prévenir la discrimination fondée sur certains motifs), mais pas la croyance. Cela montre le chevauchement entre les deux termes.
[67] Le principe de noscitur a sociis est une maxime d’interprétation des lois qui s’applique lorsque les mots sont associés les uns aux autres (souvent liés par les mots « et » ou « ou »). Un législateur place des mots à proximité les uns des autres et les relie lorsque les termes sont censés être associés les uns aux autres et partager un sens commun : voir, par exemple, 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, au par. 195. Le fait que ces trois autres provinces utilisent le terme « croyance » en association avec « religion » indique que les termes sont étroitement liés les uns aux autres.
[68] La Loi sur les droits de la personne du Nouveau‑Brunswick est également instructive d’une manière différente, car elle interdit séparément la discrimination fondée sur les « convictions ou les activités politiques » (voir l’article 2.1p)). Le Code des droits de la personne du Manitoba fait la même chose, en interdisant la discrimination fondée sur « […] les convictions politiques, associations politiques ou activités politiques […] »
(à l’article 9(2)k)). Si le fonctionnaire a raison et qu’une croyance inclut tous les « ismes », il ne serait pas nécessaire d’interdire séparément la discrimination fondée sur les convictions politiques, car presque toutes les convictions politiques peuvent être visées par un « isme » (libéralisme, anarchisme, etc.). Il s’agit d’une autre indication que le terme « croyance » est associé à la conviction religieuse et non à d’autres formes de conviction.
3. Interpréter le terme « croyance » comme signifiant la religion fait en sorte que le terme est conforme avec le droit relatif aux droits de la personne dans l’ensemble du Canada
[69] En troisième lieu, une interprétation de la croyance qui est synonyme d’une conviction religieuse est conforme à la convergence du droit relatif aux droits de la personne dans l’ensemble du Canada.
[70] Comme l’a déclaré la Commission dans Bedirian, la clause 46.01 est semblable au libellé de la LCDP. En examinant les motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP et la clause 46.01, ils sont les mêmes, à l’exception de l’utilisation de croyances et de deux autres différences explicables : la LCDP interdit la discrimination fondée sur des caractéristiques génétiques (ce qui est expliqué par la modification de la LCDP pour ajouter ce motif de distinction illicite peu avant que les parties signent la présente convention collective; de plus, la dernière convention collective des parties a ajouté ce motif) et la clause 46.01 interdit la discrimination fondée sur l’adhésion à l’ACAF (qui englobe le motif prévu aux articles 186(1)b) et 186(2)a)(i) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) plutôt que dans la LCDP et puisque cette dernière ne pouvait pas interdire la discrimination fondée sur l’adhésion à une seule organisation syndicale). De plus, la clause 46.01 interdit la discrimination fondée sur une « incapacité mentale ou physique », alors que la LCDP ne mentionne que la « déficience »; cependant, il s’agit d’une distinction sans différence, car le terme « déficience » est défini de manière à englober à la fois les déficiences mentales et physiques (voir l’article 25 de la LCDP).
[71] L’employeur soutient que cette similitude indique que les motifs énoncés à la clause 46.01 doivent être synonymes des motifs énoncés dans la LCDP. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’une clause d’élimination de la discrimination doit suivre la LCDP. Les parties sont libres d’interdire plus de motifs de discrimination que ceux prévus dans la LCDP (et l’ont fait en ce qui concerne l’adhésion ou l’activité à l’ACAF), comme je l’ai déjà mentionné. Toutefois, je suis d’accord pour dire qu’il existe un chevauchement entre la clause 46.01 et la LCDP pour deux raisons.
[72] En premier lieu, le chevauchement est conforme aux articles 226(2)a) et b) de la LRTSPF, qui confèrent à la Commission le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LCDP et d’accorder des dommages conformément aux articles 53(2)e) et 53(3) de cette loi. Il serait inhabituel que les parties à une convention collective s’éloignent trop de la LCDP dans une clause d’élimination de la discrimination compte tenu du fait que cette disposition confère à la Commission le pouvoir d’interpréter la LCDP même en l’absence d’une clause d’élimination de la discrimination. Selon la principale incidence de la clause 46.01, elle confère à la Commission la compétence sur le différend. La Commission n’a aucune compétence autonome sur l’application de la LCDP aux fonctionnaires fédéraux; voir Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50. La clause 46.01 confère à la Commission le pouvoir sur le présent différend en vertu de l’article 209(1)a) de la LRTSPF; en d’autres termes, en reproduisant (ou en reproduisant presque) la LCDP dans la convention collective, l’ACAF et le Conseil du Trésor ont veillé à ce que la Commission ait compétence sur le présent grief et de nombreuses autres questions en matière de droits de la personne soulevées par les fonctionnaires fédéraux de cette unité de négociation.
[73] En deuxième lieu, un chevauchement entre la clause 46.01 et la LCDP fait en sorte que l’interprétation de cette clause relève d’un principe plus général selon lequel les dispositions relatives aux droits de la personne doivent être interprétées ou appliquées de manière semblable dans toutes les compétences partout au Canada. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie‑Britannique c. Berg, [1993] 2 RCS 353 :
[…]
[…] Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière […]
[…]
[74] La Cour suprême du Canada a dit des choses semblables dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, au par. 46, où elle a conclu qu’un handicap prévu dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (L.R.Q., ch. C‑12) est la même chose qu’une déficience prévue dans d’autres lois sur les droits de la personne parce « […]
qu’il ne faut pas se réfugier derrière des différences de terminologie pour conclure à des divergences fondamentales entre les objectifs poursuivis par les lois en matière de droits de la personne ».
[75] Les lois sur les droits de la personne dans l’ensemble du Canada interdisent de manière universelle la discrimination fondée sur la religion et les convictions religieuses, que ce soit en utilisant le terme « religion » (comme dans la LCDP), le terme « croyance » avec le terme « religion » (comme en Saskatchewan), ou le terme « croyance » seul (comme en Ontario). L’un des objectifs fondamentaux des lois sur les droits de la personne est d’interdire la discrimination fondée sur la religion. Cet objectif s’applique également à la clause 46.01.
[76] Il n’existe aucun tel consensus sur l’interdiction de la discrimination fondée sur les convictions politiques ou d’autres « ismes ». Comme je l’ai déjà souligné, certaines compétences interdisent expressément la discrimination fondée sur ce motif; comme je l’ai également souligné, cela indique un manque de consensus sur l’interdiction de la discrimination fondée sur la conviction concernant un « isme », comme le laisse entendre le fonctionnaire.
[77] Une interprétation de « croyance » qui est synonyme de « religion » est conforme à l’esprit du droit relatif aux droits de la personne de manière plus générale, et l’utilisation du mot « croyance » ne démontre pas clairement un objectif différent dans cette convention collective.
4. Les termes « croyance » et « confession religieuse » peuvent être des choses différentes, tous deux liés à la religion
[78] En quatrième lieu, je reviens sur l’argument des parties concernant la question de savoir si l’utilisation du terme « croyance » avec l’expression « confession religieuse » déclenche la présomption contre la tautologie selon laquelle la croyance doit signifier quelque chose de différent de la religion. Ayant examiné les arguments des deux parties, je suis d’accord avec l’employeur pour dire que les termes « croyance » et « confession religieuse » ne sont pas synonymes d’une manière qui déclenche cette présomption. Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que la confession religieuse signifie exactement cela – l’affiliation à une religion particulière. D’autre part, la croyance concerne un système de croyances, et non seulement une affiliation à une religion. Une personne pourrait être affiliée à une religion sans croire en ses principes.
[79] Malgré ma conclusion, je tiens à aborder deux arguments subsidiaires présentés par l’employeur.
[80] En premier lieu, l’employeur soutient que les termes d’une convention collective devraient être interprétés de la manière dont les parties l’ont voulu lorsqu’elles les ont négociés. L’employeur invoque la décision de la Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2024 CRTESPF 129. Dans ce cas, la fonctionnaire s’estimant lésée souhaitait présenter des éléments de preuve concernant une proposition de négociation présentée en 2021. La Commission a refusé d’admettre cet élément de preuve parce que la clause en litige avait été négociée en 1989 et en 2017, donc une proposition présentée en 2021 « […] [n]’éclaire par sur ce que les parties avaient l’intention de faire en 1989 ou en 2017 » (voir le paragraphe 10). L’employeur affirme ensuite que le terme « croyance » a été ajouté à la convention collective il y a plus de 35 ans et qu’il devrait être interprété selon la jurisprudence telle qu’elle existait à ce moment‑là plutôt que selon des décisions plus modernes.
[81] Cette décision concerne la pertinence des éléments de preuve de négociation. Cela ne signifie pas que l’on doit interpréter une clause d’une convention collective sans tenir compte des décisions interprétant des phrases semblables rendues après la date de négociation de cette convention. Il en est particulièrement ainsi lorsqu’il s’agit de traiter la clause 46.01 qui reproduit en grande partie la LCDP. L’interprétation des motifs de distinction illicite peut évoluer avec le temps afin de tenir compte de la compréhension évolutive de la société en matière de discrimination et de son incidence. Cela est tout aussi vrai pour le libellé de la convention collective que pour le libellé des lois.
[82] Je ne suis pas d’accord avec la proposition selon laquelle les parties ont eu l’intention de figer la signification de chaque motif illicite au moment où elles ont négocié pour la première fois la clause de la convention collective. Par exemple, la signification de l’expression « situation de famille » a changé radicalement après la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110. La Commission a appliqué Johnstone à maintes reprises à l’interprétation de « situation de famille » dans des clauses semblables des conventions collectives dans l’ensemble du secteur public fédéral. L’argument de l’employeur laisse entendre que la Commission a eu tort de le faire et qu’elle aurait plutôt dû adopter la jurisprudence sur la « situation de famille », telle qu’elle existait lorsque ces clauses ont été négociées dans les années 1980 et 1990 ou aurait dû décider de ce que les parties entendaient en ne tenant pas compte de Johnstone. Je ne peux pas être d’accord pour dire que la Commission devrait figer la jurisprudence en matière de droits de la personne au moment où les parties ont négocié une clause d’élimination de la discrimination.
[83] En deuxième lieu, l’employeur a souligné que les parties avaient modifié la clause 46.01 de leur dernière convention collective pour supprimer les termes « croyance » et « confession religieuse » et les remplacer par le terme « religion ». L’employeur affirme que les parties l’avaient fait pour rendre plus clair que la clause 46.01 devrait être harmonisée avec la LCDP. Le fonctionnaire a répondu en disant qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté pour étayer cette supposition, et qu’en fait, les 35 années pendant lesquelles il ne l’avait pas fait laissent entendre un autre motif de la modification. Dans ses arguments en réponse, l’employeur a réitéré son allégation selon laquelle le changement tenait compte de l’intention de clarifier que la convention collective est conforme à la LCDP.
[84] J’ai conclu que la modification du libellé après le dépôt du grief n’est pas pertinente. Comme il est indiqué dans Bendix Home Systems Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America, Local 3054, 1975 CanLII 2149 (ON LA) : [traduction] « Il serait impossible et inapproprié de conclure que toute clause de la nouvelle convention donne nécessairement des indices sur le sens de toute clause de l’ancienne convention. » Je refuse de tirer une conclusion sur la signification du terme « croyance » en fonction de son remplacement par le terme « religion » dans la nouvelle convention collective.
5. Le fonctionnaire qualifie ses convictions de religion
[85] En cinquième lieu, les parties font référence au présent cas comme concernant la religion. L’employeur fait référence à la « religion » et non à la « croyance » dans la Politique sur la vaccination. Dans sa déclaration sous serment à l’appui du présent grief, le fonctionnaire caractérise sa demande comme suit : [traduction] « […] pour une mesure d’adaptation pour des motifs religieux parce que j’ai une sincère conviction religieuse qui m’empêche d’être pleinement vacciné. » Il demande des dommages pour la raison suivante : [traduction] « Transports a fait preuve de discrimination à mon égard fondée sur mes convictions religieuses (croyance) […] ». Lorsqu’il a demandé une mesure d’adaptation pour la première fois, il a fondé cette demande sur ses « convictions religieuses et pratiques spirituelles ».
[86] Le fonctionnaire affirme également qu’il demande des dommages en application des articles 53(2)e) et 53(3) de la LCDP. Si le terme « croyance » signifiait autre chose que la religion dans la LCDP, la discrimination fondée sur la croyance ne pourrait pas donner lieu à des dommages en vertu de la LCDP.
[87] Pour ces cinq raisons, j’ai conclu que le terme « croyance » signifie une conviction qui est synonyme de religion.
VI. Le spiritualisme fondé sur la terre dont parle le fonctionnaire constitue‑t‑il une croyance?
[88] Ayant conclu que le terme « croyance » signifie une conviction qui est synonyme de religion, je dois maintenant examiner ce qui constitue une religion.
A. Une définition polythétique de « religion »
[89] Il ne s’agit pas d’une tâche facile. La signification du terme « religion » a tourmenté les philosophes et théologiens pendant des siècles. Dans United States v. Seeger, 380 U.S. 163 (1965), la Cour suprême des États‑Unis a traité des allégations des objecteurs de conscience qui étaient autorisés à se retirer du service militaire obligatoire en raison de leur [traduction] « formation et croyance religieuses », expression définie comme signifiant [traduction] « la conviction d’une personne relativement à un Être suprême concernant des tâches supérieures à celles découlant de toute relation humaine, mais [à l’exception] essentiellement des points de vue politiques, sociologiques ou philosophiques ou un simple code moral personnel ». Aucun des objecteurs de conscience n’était membre de ce que nous considérerions comme des religions organisées. La Cour suprême des États‑Unis a cerné la difficulté de déterminer ce qui est, ou n’est pas, une « religion », en déclarant ce qui suit :
[Traduction]
Nous estimons que peu contesteraient la proposition selon laquelle dans aucun domaine de l’activité humaine l’outil linguistique ne s’est avéré aussi inadéquat dans la communication des idées que dans le traitement des questions fondamentales de la condition de l’homme dans la vie, dans la mort, ou dans le jugement et la rétribution finaux […] Plus de 250 sectes habitent notre pays. Certains croient en un Dieu purement personnel, d’autres en une divinité surnaturelle; d’autres encore considèrent la religion comme un mode de vie, envisageant, comme objectif ultime, le jour où tous les hommes pourront vivre ensemble dans une compréhension et une paix parfaites. Il y a ceux qui considèrent Dieu comme la profondeur de notre être; d’autres, comme les bouddhistes, cherchent un état de repos durable par le renoncement de soi et la purification intérieure; dans la philosophie hindoue, l’Être suprême est la réalité transcendante qui est vérité, connaissance et bonheur […] Cette vaste panoplie de convictions révèle l’ampleur du problème auquel le Congrès était confronté lorsqu’il a entrepris de fournir une exemption du service armé. Il met également en évidence le soin que le Congrès a constaté être nécessaire dans l’élaboration d’une exemption qui serait conforme à sa politique de longue date de ne pas faire de choix parmi les convictions religieuses.
[90] Dans « Delimiting Religion » (2009) 21 Method and Theory in the Study of Religion 157, de Craig Martin, le professeur Martin souligne à la page 159 que [traduction] « [l]es étudiants de premier cycle participent perpétuellement à des débats animés sur la question de savoir si le bouddhisme constitue “véritablement” une religion ». Il souligne que le débat porte vraiment sur la question de savoir si [traduction] « […] le bouddhisme compte comme une religion, étant donné telle ou telle définition du terme religion ». Le professeur Martin et d’autres (comme Ludwig Wittgenstein, Philosophical Investigations (1953), et un large éventail de livres et de documents académiques depuis cette époque) discutent sur la difficulté d’une définition monothétique de la religion et proposent plutôt une définition polythétique.
[91] Les systèmes juridiques sont généralement fondés sur des définitions monothétiques : les définitions juridiques regorgent de conditions nécessaires et suffisantes pour répondre à une définition particulière. Toutefois, les promoteurs d’une définition polythétique de la religion, comme ces auteurs, soulignent qu’il n’existe aucune définition monothétique satisfaisante de la religion. La religion est plutôt mieux définie en comparant une conviction particulière à d’autres convictions considérées comme religieuses et en décidant si cette conviction appartient à la même famille que celle considérée comme religieuse. Par exemple, une religion pourrait être définie comme ayant quelques‑unes ou la plupart d’un ensemble de 10 caractéristiques, mais la religion A pourrait avoir les caractéristiques 1 à 4 et 7 à 10, tandis que la religion B pourrait avoir les caractéristiques 3 à 7 et 9.
[92] Dans Amselem, la Cour suprême du Canada a adopté une définition polythétique de la religion. Elle a déclaré ce qui suit :
[…]
[…]
[Je mets en évidence]
[93] La Cour suprême couvre beaucoup dans ce paragraphe : une religion s’entend typiquement d’un système complet de dogmes et de pratiques et comporte généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante et concerne un être divin ou le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle. Cette couverture n’est pas accidentelle : la Cour énonce une définition polythétique de la religion, même si les décisions juridiques exigent habituellement des définitions monothétiques et nécessitent un résultat binaire (est‑ce une religion, oui ou non) au lieu de permettre des nuances de gris.
[94] Par conséquent, j’adopte une approche polythétique pour déterminer si la conviction particulière du fonctionnaire est de nature religieuse.
B. Appliquer la définition polythétique de « religion » en comparant la conviction du fonctionnaire à d’autres convictions religieuses ou non religieuses
[95] Appliquer une définition polythétique peut être difficile. J’ai décidé d’aborder cette question en déterminant ce qui a déjà été déterminé comme une religion (ou une croyance, en Ontario) par d’autres décideurs et en les divisant en colonnes. Je peux ensuite examiner si la forme de spiritualisme fondé sur la terre dont parle le fonctionnaire est plus semblable à ce qui figure dans l’une ou l’autre des deux colonnes.
[96] Dans le tableau suivant, j’ai énuméré les religions et les croyances dans la première colonne et les croyances non religieuses ou non confessionnelles dans la deuxième. Les références pour chacune de ces entrées se trouvent à l’annexe A de la présente décision. Je suis particulièrement redevable à l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance (mai 2012) de la Commission ontarienne des droits de la personne et aux parties pour avoir fourni plusieurs exemples plus récents.
Religion ou croyances |
Pas une religion ou une croyance |
· Judaïsme · Christianisme, y compris les sous‑ensembles suivants : ჿ Témoins de Jéhovah ჿ Adventiste du septième jour ჿ Pentecôtistes ჿ Frères huttériens ჿ Worldwide Church of God (Église universelle de Dieu) ჿ Christian Living Church of God (Église du Dieu vivant) ჿ Christian Churches of God (Églises chrétiennes de Dieu) ჿ Messe latine (partie du catholicisme) ჿ Orthodoxie d’Orient (sous diverses formes) ჿ Baptiste ჿ Mouvement « Je suis » ჿ Essene · Islam · Raëlien · Falun Gong · Pratiques spirituelles autochtones · Wicca · Rastafarisme · Sikhisme · Hare Krishna · Église de scientologie · Athéisme |
· Reiki (le transfert de l’énergie universelle de la force vitale à un bénéficiaire) · Judo (plus précisément, l’acte de saluer son adversaire) · Opinions politiques · Véganisme éthique · Autonomie corporelle · Méthodes traditionnelles de guérison naturelle · Conviction fondée sur une approche holistique qui consiste à n’utiliser que des produits naturels · Individualisme ou choix individuel, autonomie personnelle, autonomie corporelle · Liberté académique ·Pastafarianisme (qui est une satire ou une parodie d’autres religions) · MOVE |
[97] Deux attributs importants et courants des convictions caractérisées comme religieuses sont manquants de la conviction du fonctionnaire.
1. La spiritualité fondée sur la terre dont parle le fonctionnaire ne se préoccupe pas d’un Être suprême ou de questions fondamentales sur des affaires profondes et impondérables
[98] En premier lieu, les systèmes de convictions dans la colonne des religions traitent de questions liées à des affaires profondes et impondérables. Souvent, cela se manifeste sous une forme d’Être suprême. Les exemples habituels de cette manifestation sont les religions monothéistes du judaïsme, du christianisme et de l’islam. D’autres religions dans cette colonne partagent cette caractéristique : les Raëliens croient en l’espèce extraterrestre des Élohim, la Wicca a la Grand‑Mère et le Dieu Cornu, et même les pratiques spirituelles autochtones font référence au Créateur. Dans Amselem, la Cour suprême a qualifié cela de « puissance divine, surhumaine ou dominante ».
[99] Comme je l’ai déjà mentionné, le fonctionnaire ne croit pas dans un Être suprême, et son utilisation de « Terre mère » est une métaphore, et non le nom d’une divinité.
[100] Je reviens maintenant sur les arguments du fonctionnaire concernant les religions non théistes ou panthéistes. Je suis entièrement d’accord avec le fonctionnaire pour dire que les systèmes de convictions non théistes ou panthéistes peuvent toujours s’inscrire dans la définition de la religion, malgré l’absence d’un Être suprême dans ces systèmes de convictions.
[101] Les tribunaux aux États‑Unis ont abordé cette question au moyen d’un processus d’analogie, cherchant un certain aspect du système de croyances qui est analogue ou qui tient des [traduction] « […] positions parallèles dans la vie de leurs détenteurs respectifs […] » à un Être suprême (voir Seeger, at 854; voir également Welsh v. United States, 398 U.S. 333 (1970), à la p. 340; Malnak v. Yogi, 592 F.2d 197 (1979), à la p. 207; Africa v. Pennsylvania, 662 F.2d 1025 (1981), à la p. 1032).
[102] La façon la plus courante d’articuler cette analogie dans la jurisprudence américaine est qu’une religion concerne [traduction] « […] des questions fondamentales et ultimes ayant trait à des questions profondes et impondérables » (voir Africa, à la p. 1032; et, plus récemment, Fallon v. Mercy Catholic Medical Center, 877 F.3d 487 (2017)). Comme la Cour d’appel du troisième circuit l’a dit dans Africa à la page 1033 :
[Traduction]
[…] Les religions traditionnelles examinent et tentent de répondre à ce qu’on pourrait qualifier au mieux de questions « ultimes » – des questions liées, entre autres, à la vie et à la mort et au bien et au mal. Bien sûr, il n’est pas nécessaire que tous les principes d’une théologie établie soient axés sur de telles questions élémentaires; il est cependant difficile de concevoir une religion qui ne traite pas de ces préoccupations plus importantes. […]
[103] Dans Amselem, la Cour suprême du Canada faisait allusion à un point semblable « par analogie » lorsqu’elle a décrit le but de la religion comme étant de « […] permett[re] à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle [je mets en évidence] ».
[104] La décision dans Africa concernait un système de croyances très semblable à celui adopté par le fonctionnaire. Le système de croyances dans Africa était l’organisation MOVE. Le demandeur dans ce cas croyait en la primauté de la nature ou des choses naturelles, par exemple : [traduction] « L’existence de l’eau est d’être bue et non empoisonnée, la présence de l’air est d’être respirée et non polluée, le but de la nourriture est d’être mangée et non déformée » (à la page 1026). La Cour d’appel du troisième circuit a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une religion en partie parce qu’elle ne concernait pas des questions ultimes, déclarant ce qui suit à la page 1033 :
[Traduction]
Nous concluons que l’organisation MOVE, telle que décrite par Africa à l’audience ci‑dessous, ne satisfait pas au critère des idées « ultimes ». Sauf pour sa préoccupation de vivre en harmonie avec les principes énoncés de la nature, MOVE ne mentionne pas, encore moins n’insiste sur ce qui pourrait être classé comme une préoccupation fondamentale. MOVE ne soutient pas être théiste : en effet, elle ne reconnaît aucun Être suprême et ne fait référence à aucune force transcendante ou toute dominante. De plus, contrairement à d’autres religions reconnues, avec lesquelles elle est comparée à des fins du premier amendement, MOVE ne semble pas adopter une thèse en ce qui concerne les questions de moralité personnelle, de mortalité humaine, ou le sens et le but de la vie. L’organisation, par exemple, n’a pas d’équivalent fonctionnel des Dix Commandements, des Évangiles du Nouveau Testament, du Coran musulman, du Veda de l’hindouisme ou de la Science de l’intelligence créative de la méditation transcendantale. Africa soutient qu’il a découvert une manière souhaitable de mener sa vie; il ne fait toutefois pas valoir que son régime est d’une manière ou d’une autre moralement nécessaire ou requis. Compte tenu de ce manque d’engagement envers des principes directeurs, la philosophie de MOVE n’est pas suffisamment analogue aux théologies plus « traditionnelles ».
[Je mets en évidence]
[105] Le système de croyances du fonctionnaire est semblable en ce qu’il a indiqué une façon souhaitable de vivre sa vie qui lui procure une profonde connexion spirituelle avec la Terre. Le plus près qu’il arrive à décrire sa conviction en termes de questions fondamentales et ultimes est lorsqu’il dit ce qui suit : [traduction] « Selon cette spiritualité fondée sur la terre en laquelle je crois, les humains sont considérés ne pas être séparés de la nature et nous devrions avoir une relation physique et spirituelle avec la nature. » Le fait que nous devrions avoir une relation physique et spirituelle avec la nature n’est pas la même chose que de proposer qu’une telle relation est moralement nécessaire ou requise.
[106] Le fonctionnaire souligne également les avantages pour la santé (tant physique que mentale) de son système de croyances. Cela est semblable aux systèmes de convictions qui ont été jugés non religieux ou une croyance dans Knauff (véganisme éthique); Cassell c. ConnectWell Community Health, 2024 HRTO 1070 (conviction holistique en n’utilisant que des produits naturels); Affleck v. The Attorney General of Ontario, 2021 ONSC 1108 (les avantages pour la santé de boire du lait non pasteurisé).
[107] Enfin, même si je ne suis pas au courant de décisions canadiennes concernant le fait que l’environnementalisme constitue une religion, le tribunal de district des États‑Unis pour le district Nord de l’Oklahoma a conclu que ce n’était pas le cas dans Krause v. Tulsa City‑County Library Commission, 2017 U.S. Dist. LEXIS 8849. Cependant, dans ce cas, le demandeur a simplement affirmé que l’environnementalisme est une religion fondée sur la protection de l’environnement sans fournir plus de renseignements et, par conséquent, je n’ai pas accordé beaucoup de poids à cette décision.
[108] Je prends une pause pour affirmer que j’ai lu la formulation du fonctionnaire de manière large et libérale. Mon rôle n’est pas de disséquer ses convictions simplement parce qu’elles ne sont pas articulées avec la clarté et la précision d’un avocat ou d’un théologien (voir Passarella v. Aspirus, Inc., 108 F.4e 1005 (2024), à la p. 1011). Toutefois, même en lisant les éléments de preuve du fonctionnaire de manière large et libérale, je ne vois pas son système de croyances aborder le genre de questions fondamentales de bien et de mal ou de sens de la vie qui sont courantes dans les convictions religieuses.
2. Il n’existe aucun élément communautaire dans la spiritualité fondée sur la terre du fonctionnaire
[109] En deuxième lieu, les convictions figurant dans la colonne des religions ont tendance à être communautaires. La Cour suprême du Canada a exposé la nature communautaire de la religion dans de nombreux cas, y compris École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, au par. 60 (« La liberté de religion au sens où il faut l’entendre pour l’application de la Charte doit donc tenir compte du fait que les convictions religieuses sont bien ancrées dans la société et qu’il existe des liens solides entre ces croyances et leur manifestation par le truchement d’institutions et de traditions collectives […]; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, au par. 89 (« La religion est une question de foi, intimement liée à la culture. Elle est de nature individuelle, quoique profondément communautaire. »); Ktunaxa Nation c. Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, aux paragraphes 73 (énonçant l’argument selon lequel « […] liberté de religion comporte un volet collectif et que l’État ne peut agir d’une façon qui restreint ou détruit la dimension collective d’une religion ») et 74 (concluant que « Il est vrai que cette liberté de religion comporte un volet collectif […] »); Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32, au par. 64 (« La capacité des fidèles religieux de se rassembler et de créer des communautés cohésives de croyances et de pratiques est un aspect important de la liberté religieuse […] »). Voir également Chagai Schlesinger, « The Significance of Conscience in Community: Rethinking the ‘Hands Off Religion’ Doctrine » (2023) 36 Can. J.L. & Juris. aux pages 463 à 475 ([traduction] « La religion est un phénomène social qui est réalisé collectivement et en communauté […]… la religion est une forme communautaire de développement et de pratique des engagements normatifs [le passage en évidence l’est dans l’original] »).
[110] La jurisprudence américaine fait référence à ce qu’elle appelle les [traduction] « caractéristiques structurelles de la religion » : l’existence de cérémonies, de clergé, d’organisation ou de caractéristiques d’identification officielles de la religion (voir Africa, aux pages 1035 et 1036). La Cour suprême des États‑Unis a également déclaré qu’une religion est [traduction] « partagée par un groupe organisé » (voir Wisconsin v. Yoder, 406 U.S. 205 (1972), à la p. 405). Je ne suis pas convaincu que l’exigence d’une caractéristique [traduction] « structurelle » de la religion en tant que critère juridique a été adoptée par la tradition juridique canadienne, ni même qu’elle soit appropriée. Cependant, il s’agit d’une autre façon d’exprimer le caractère communautaire de la religion. La religion est habituellement pratiquée en groupe. Même les personnes qui se livrent à une exploration individuelle de la religion (par exemple, les ermites ou les méditants) fondent leurs convictions sur celles partagées par une communauté de croyants plus large.
[111] Comme l’employeur l’a fait valoir au paragraphe 52 de ses arguments écrits, le système de croyances du fonctionnaire manque cet aspect communautaire. Même s’il fait parfois référence à un groupe collectif pour décrire sa conviction ([traduction] « […] nous croyons que nous faisons partie de la nature » ou [traduction] « […] nous devons être gentils envers Terre mère et en prendre soin […] [je mets en évidence dans les deux citations] »), il n’identifie pas cette communauté plus large à laquelle il appartient. Le plus près qu’il en parvient est lorsqu’il déclare ce qui suit : [traduction] « J’ai appris et adopté ces pratiques auprès de divers groupes, y compris des peuples autochtones et des naturalistes […] ». Cependant, le fait d’avoir appris auprès d’autres groupes ne signifie pas qu’une personne fait partie de ces groupes ou de toute communauté de convictions.
[112] Je tiens à réitérer que ni l’un ni l’autre de ces éléments (un lien avec des questions fondamentales et un aspect communautaire) ne constitue des conditions nécessaires d’une religion. Il est concevable qu’une chose puisse être religieuse même si elle ne traite que de questions pragmatiques ou si elle n’a qu’un seul adepte. Toutefois, il s’agit de deux indicateurs solides d’une religion. Leur absence dans le présent cas m’amène à conclure que la conviction du fonctionnaire n’est pas religieuse et ne constitue pas une croyance au sens prévu dans cette convention collective.
[113] Je tiens également à réitérer que ma conclusion concerne la forme particulière de spiritualité fondée sur la terre du fonctionnaire. Il est possible qu’il existe d’autres formes de spiritualité fondée sur la terre qui constituent des religions et des croyances parce qu’elles traitent de questions fondamentales ou ultimes liées à des affaires profondes et impondérables, ou comportent un élément communautaire, ou les deux. Chaque cas doit être examiné en fonction du système de croyances particulier adopté par un employé.
VII. Le fonctionnaire est sincère dans ses convictions
[114] L’employeur ne conteste pas la sincérité du souhait du fonctionnaire de ne pas être vacciné. Même si l’employeur a qualifié sa thèse comme ne pas reconnaître la sincérité concernant le fait que le fonctionnaire fait partie d’un système complet de dogmes et de pratiques, selon sa thèse principale, les convictions du fonctionnaire ne constituent pas une croyance.
[115] Je tiens à énoncer clairement ma conclusion selon laquelle les convictions du fonctionnaire sont sincères. Son témoignage était crédible. Il a démontré son lien profond avec la nature et sa compréhension que le fait que les vaccins soient créés de façon artificielle signifie que les prendre va à l’encontre de son système de croyances. Le présent cas n’est pas comme Bedirian. Le fonctionnaire m’a convaincu que ses convictions sont sincères au sens où elles sont à la fois crédibles et font partie d’un système de croyances complet qu’il suit de manière cohérente.
[116] Si son spiritualisme fondé sur la terre satisfaisait à la définition d’une croyance, j’aurais accueilli le grief et remis la réparation appropriée aux parties aux fins de règlement.
[117] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VIII. Ordonnance
[118] Le grief est rejeté.
Le 19 février 2025.
Traduction de la CRTESPF
Christopher Rootham,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral
ANNEXE A |
Religion
Le judaïsme (y compris toutes les nuances de l’orthodoxie) – Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47
Le christianisme, y compris les sous‑ensembles suivants :
· Les Témoins de Jéhovah – Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 S.C.R. 299
· L’adventiste du septième jour – Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 R.C.S. 536; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970
· Pentecôtistes – Friesen v. Fisher Bay Seafood Ltd., 2009 BCHRT 1
· Frères huttériens – Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37
· Worldwide Church of God – Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489
· Christian Living Church of God – Koroll v. Automodular Corp., 2011 HRTO 774
· Christian Churches of God – Derksen v. Myert Corps Inc., 2004 BCHRT 60
· Messe latine (partie du catholicisme) – Public Health Sudbury & Districts v. Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 48440 (ON LA)
· Baptiste – Kurvits c. Canada (Conseil du Trésor) [1991] D.C.D.P. No 7 (TCDP)
· Mouvement “I Am” – United States v. Ballard, 322 U.S. 78 (1944)
· Orthodoxie d’Orient – British Columbia Rapid Transit Company Limited v. Canadian Union of Public Employees, Local 7000, 2022 CanLII 100817 (BC LA) (Église orthodoxe ukrainienne en particulier)
· Essene – Affleck v. The Attorney General of Ontario, 2021 ONSC 1108
Islam – Webber Academy Foundation v. Alberta (Human Rights Commission), 2023 ABCA 194; Qureshi v. G 4S Security Services (Canada) Ltd., 2009 HRTO 409
Raëlien – Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco‑Nord, 2010 HRTO 2460; Gilbert c. 2093132 Ontario, 2011 HRTO 672
Falun Gong – Huang v. 1233065 Ontario, 2011 HRTO 825
Pratiques spirituelles autochtones – Kelly v. British Columbia (Ministry of Public Safety and Solicitor General)(No. 3), 2011 BCHRT 183; Ewert c. Canada, 2023 CF 1054; Ktunaxa Nation c. Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54
Wicca – Humber College v. O.P.S.E.U. (1987), 31 L.A.C. (3d) 266
Athéisme – R.C. v. District School Board of Niagara, 2013 HRTO 1382
Rastafarisme – Barker v. St. Elizabeth Health Care, 2016 HRTO 94
Sikhisme – Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1985), [1985] 2 R.C.S. 561
Hare Krishna – R. v. Harrold, 1971 CanLII 1148 (BC CA)
Scientologie – Church of Scientology v. The Queen (No. 6), 1987 CanLII 122 (ON CA)
Pas une religion
Reiki (le transfert de l’énergie universelle de la force vitale à un bénéficiaire) – Young and Young on behalf of Young v. Petres, 2011 BCHRT 38
Judo (plus particulièrement, l’acte de saluer son adversaire) – Akiyama v. Judo B.C., 2002 BCHRT 27
Opinions politiques – Jazairi v. Ontario (Human Rights Commission), 1997 CanLII 12445 (ON SC) et 1999 CanLII 3744 (ON CA)
Véganisme éthique – Knauff v. Ontario (Natural Resources and Forestry), 2023 HRTO 1729
Autonomie corporelle – Genik v. Municipal Property Assessment Corporation, 2024 HRTO 1056
Méthodes traditionnelles de guérison naturelle – Patel v. Governing Council of the University of Toronto, 2024 HRTO 584
Conviction fondée sur une approche holistique qui consiste à n’utiliser que des produits naturels – Cassell v. ConnectWell Community Health, 2024 HRTO 1070
Individualisme ou choix individuel, autonomie personnelle, autonomie corporelle – Cala v. Sheridan College, 2022 HRTO 1016; Murota v. Governing Council of the University of Toronto, 2024 HRTO 602; Brown v. Planet Fitness (Dundas), 2022 HRTO 1178
Liberté académique – Graham v. University of Toronto, 2022 HRTO 999
Pastafarianisme (qui est une parodie d’autres religions) – Smith v. British Columbia (Human Rights Tribunal), 2021 BCSC 331
Optimiser sa santé – Affleck v. The Attorney General of Ontario, 2021 ONSC 1108
Organisation MOVE – Africa v. Pennsylvania, 662 F.2d 1025 (1981)