Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a renvoyé un grief à l’arbitrage, alléguant qu’elle avait été soumise à une mesure disciplinaire déguisée lorsqu’elle a été placée en congé sans solde pour avoir omis de se conformer à la Politique. La défenderesse a soulevé deux objections préliminaires. La première était que le grief n’a pas été présenté en temps opportun et la deuxième était que la décision de mettre la demanderesse en congé sans solde ne constituait pas une mesure disciplinaire. La Commission a rejeté la deuxième objection, car elle exigeait un examen complet des faits et de la preuve relativement au grief et ne pouvait pas être tranchée sur une base préliminaire. En réponse à la première objection, la demanderesse a demandé une prorogation du délai pour déposer son grief. Pour déterminer l’objection relative au respect des délais, la Commission a appliqué les critères énoncés dans Schenkman. Pour ce qui est des raisons du retard, la demanderesse a allégué avoir reçu des renseignements contradictoires de son agent négociateur et de son employeur lorsqu’elle s’est renseignée sur le dépôt d’un grief; au début, l’agent négociateur a dit qu’il n’appuierait pas son grief, mais finalement, il a renversé sa position. De plus, la demanderesse a allégué que son employeur, ainsi qu’un avocat embauché à l’externe, l’avaient informée qu’elle avait besoin de l’appui de son agent négociateur pour déposer le grief. Il a été déposé en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), qui ne nécessite pas l’appui de l’agent négociateur. En fin de compte, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard. Elle a également conclu qu’elle n’avait pas fait preuve de diligence dans la poursuite de son grief. Néanmoins, elle a conclu que le préjudice subi par la demanderesse serait plus grand si la prorogation était refusée et que la durée du retard, soit quatre mois, n’était pas déraisonnable. Pour ces motifs, la Commission a fait droit à la demande de prorogation du délai et a rejeté l’objection de la défenderesse concernant le respect des délais.

Objection rejetée.
Prorogation du délai accordée.

Contenu de la décision

Date: 20250123

Dossier: 568-34-50024

XR: 566-34-49617

 

Référence: 2025 CRTESPF 6

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

SHIOW (SHARON) HO

demanderesse

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Ho c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Brian Russell, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Yuseph Katiya et Nasim Amiri, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour la défenderesse : Nicholas Gualtieri

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 22 mai, les 6 et 20 juin, le 10 juillet, le 13 novembre

ainsi que le 13 décembre 2024.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Le 24 avril 2024, Shiow (Sharon) Ho (la « demanderesse ») a renvoyé un grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») au titre de l’article 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La demanderesse allègue qu’elle a fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée, entraînant une sanction pécuniaire.

[2] Le grief porte sur la décision de l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse ») de la mettre en congé sans solde, conformément à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 de l’Agence du revenu du Canada (la « Politique »), en raison de sa décision de ne pas se faire vacciner et de ne pas divulguer son statut vaccinal conformément à la Politique.

[3] Le 22 mai 2024, la défenderesse a soulevé deux objections préliminaires selon lesquelles la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief, d’abord parce qu’il était hors délai, et ensuite parce que sa décision de mettre la demanderesse en congé sans solde ne constituait pas une mesure disciplinaire au sens de l’article 209(1)b) de la Loi. Elle a demandé que l’affaire soit rejetée sans tenir d’audience, pour défaut de compétence.

[4] Le 6 juin 2024, la demanderesse a déposé la présente demande de prorogation du délai.

[5] L’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) prévoit que la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

[6] La présente décision porte sur la demande de prorogation du délai. L’objection concernant l’argument selon lequel la décision de mettre la demanderesse en congé sans solde ne constituait pas une mesure disciplinaire ne sera pas traitée dans le cadre de la présente décision. Pour trancher l’objection, un examen des faits et de la preuve relativement au grief est nécessaire et sera abordé lors de l’audience sur le bien-fondé de l’affaire.

[7] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de prorogation du délai de la demanderesse, par souci d’équité.

II. Résumé de la preuve

[8] Le 6 octobre 2021, le gouvernement fédéral a introduit la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada, qui exigeait que tous les employés de l’administration publique centrale soient entièrement vaccinés, à moins qu’ils ne bénéficient d’une exemption fondée sur un motif de distinction illicite, au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Cette politique ne s’appliquait pas à la demanderesse.

[9] Le 8 novembre 2021, la Politique est entrée en vigueur et s’est appliquée à tous les employés travaillant pour la défenderesse, y compris la demanderesse. La Politique exigeait que les employés soient entièrement vaccinés, à moins qu’ils ne bénéficient d’une exemption fondée sur un motif de distinction illicite, au titre de la LCDP.

[10] Conformément à la politique, les employés devaient divulguer leur statut vaccinal à la défenderesse en l’attestant avant l’expiration du délai du 26 novembre 2021. Les employés qui ne souhaitaient pas divulguer leur statut vaccinal à cette date devaient suivre une formation en ligne sur la vaccination contre la COVID-19. Ceux qui n’étaient pas disposés à le divulguer après la formation en ligne ou dont la demande de mesures d’adaptation n’avait pas été approuvée devaient être mis en congé administratif sans solde.

[11] Le 10 novembre 2021, la demanderesse a présenté une demande de congé annuel du 13 décembre 2021 au 22 février 2022. La défenderesse a approuvé sa demande.

[12] Le 19 novembre 2021, la demanderesse a rencontré la défenderesse. Lors de la réunion, elle a fait ce qui suit :

· elle a révélé qu’elle avait contracté la COVID-19 dans le passé, qu’elle avait été malade pendant des mois et qu’il lui avait fallu six mois pour se rétablir;

· elle a révélé qu’elle n’avait pas confiance dans la vaccination;

· elle a demandé s’il était possible de demander une mesure d’adaptation ou une exemption, conformément à la Politique. La défenderesse a indiqué que ces demandes seraient examinées au cas par cas.

 

[13] Le 30 novembre 2021, la défenderesse a confirmé que la demanderesse n’avait pas attesté son statut vaccinal. Elle n’avait pas non plus demandé de mesures d’adaptation ou d’exemption, conformément à la Politique.

[14] Le 6 décembre 2021, la défenderesse a remis à la demanderesse une lettre l’informant de l’obligation de suivre une formation en ligne sur les avantages du vaccin contre la COVID-19 et de l’obligation de recevoir sa première dose de vaccin avant le 10 décembre 2022. En cas de non-conformité, elle serait mise en congé sans solde à compter du 22 février 2022, date prévue de son retour de congé annuel.

[15] Entre octobre 2021 et février 2022, la demanderesse a communiqué à dix reprises avec les représentants de son agent négociateur, demandant à être représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») et à déposer un grief. Elle a été informée qu’elle ne pouvait pas déposer de grief ou qu’elle pouvait le faire, mais qu’elle ne serait pas représentée.

[16] Le 22 février 2022, la demanderesse a été mise en congé sans solde, parce qu’elle ne s’était pas conformée à la Politique.

[17] Le 14 juin 2022, la défenderesse a suspendu la Politique avec effet au 20 juin 2022. Les employés en congé sans solde ont pu reprendre le travail à cette date. La demanderesse a repris le travail le 20 juin 2022, date à laquelle son agent négociateur l’a informée qu’elle pouvait déposer un grief individuel.

[18] Le 24 juin 2022, la demanderesse a déposé son grief, lequel a été rejeté aux quatre paliers de la procédure de règlement des griefs, parce qu’il était hors délai.

III. Résumé de l’argumentation

[19] Les deux parties soutiennent que la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, fait autorité pour décider s’il y a lieu d’accueillir une demande de prorogation du délai. Les critères suivants y sont définis :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable de la demanderesse;

· l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit la défenderesse si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

 

A. Pour la demanderesse

[20] La demanderesse soutient que la demande devrait être accueillie au titre de l’article 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), par souci d’équité.

[21] Les arguments de la demanderesse concernant les critères énoncés dans la décision Schenkman sont les suivants.

1. Retard justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[22] La demanderesse fait valoir qu’elle a été résolue dans sa décision de déposer un grief. Elle soutient que ce retard est dû au fait que son agent négociateur croyait que les décisions prises en vertu de la Politique ne pouvaient pas faire l’objet d’un grief et à sa décision de ne pas l’aider à déposer un grief, en dépit des nombreuses tentatives de la demanderesse pour obtenir son soutien.

[23] La demanderesse affirme avoir reçu des renseignements contradictoires, de la part de son chef d’équipe et de son gestionnaire, concernant le dépôt d’un grief sans le soutien de l’agent négociateur. Cette situation l’a amenée à penser qu’elle ne pouvait pas déposer de grief. Elle a également eu des problèmes de santé pendant son congé sans solde.

[24] La demanderesse soutient que des renseignements contradictoires, ou la négligence d’un agent négociateur, peuvent constituer une raison claire, logique et convaincante pour un retard et a cité la décision D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, à titre d’exemple.

2. Durée du retard

[25] La demanderesse soutient que la durée du retard, soit quatre mois après l’expiration du délai prescrit dans la convention collective conclue entre la défenderesse et l’agent négociateur de l’unité de l’Exécution des programmes et des services administratifs, qui a expiré le 31 octobre 2021 (la « convention collective »), n’est pas importante. Elle cite les décisions Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23, et Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144, à l’appui de son affirmation.

3. Diligence raisonnable de la demanderesse

[26] La demanderesse fait valoir qu’elle fait preuve de diligence. Elle a demandé de l’aide à l’agent négociateur d’octobre 2021 jusqu’à la date à laquelle elle a déposé son grief. Elle était déterminée à contester la décision de la défenderesse et à déposer un grief tout au long de la procédure, mais elle n’a pas reçu le soutien de son agent négociateur.

[27] La demanderesse n’a pas déposé de grief sans l’appui de son agent négociateur, parce que la défenderesse lui a fait croire qu’elle ne pouvait pas déposer de grief sans son appui. Elle a également consulté un avocat externe, qui l’a informée qu’elle ne pouvait pas être représentée par un avocat externe, parce qu’elle avait besoin du soutien de son agent négociateur.

[28] Une fois que la demanderesse a compris qu’il était possible de déposer un grief, elle a agi rapidement et l’a fait.

4. Équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit la défenderesse si la prorogation est accordée

[29] La demanderesse soutient que le rejet de la demande de prorogation du délai lui serait préjudiciable, parce qu’elle n’aurait pas la possibilité de faire entendre son grief par la Commission.

[30] La demanderesse fait également valoir que la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve du préjudice qu’elle subirait si la demande était accueillie et soutient qu’elle ne subirait qu’un préjudice minime, voire aucun préjudice.

5. Chances de succès

[31] La demanderesse fait valoir qu’il est prématuré d’apprécier le bien-fondé du grief à ce stade.

[32] La demanderesse cite les affaires suivantes à l’appui de sa thèse : Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228; Brown c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2024 CRTESPF 69; Duncan c. Conseil national de recherches du Canada, 2016 CRTEFP 75; Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59; Rinke; D’Alessandro; Trenholm c. Personnel des fonds non publics de Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65.

B. Pour la défenderesse

[33] La défenderesse fait valoir que, conformément à la convention collective, la demanderesse disposait de 25 jours pour présenter son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Selon la défenderesse, la mesure qui a donné lieu au grief a été prise lorsque la demanderesse a été mise en congé sans solde le 22 février 2022, et elle a déposé son grief le 24 juin 2022.

[34] Au cours de la procédure de règlement des griefs, la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi le grief avait été déposé en retard. Par conséquent, le grief est hors délai, et la Commission doit rejeter la demande.

[35] Les arguments de la défenderesse concernant les critères de la décision Schenkman sont les suivants.

1. Retard justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[36] La défenderesse fait valoir que la demanderesse n’a pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard.

[37] La demanderesse n’a pas suivi les conseils de son agent négociateur. Ce dernier lui a conseillé de déposer une demande d’exemption et a déclaré qu’une fois que la défenderesse aurait répondu, il la représenterait. Elle n’a pas non plus déposé de grief de son propre chef lorsque l’agent négociateur lui a indiqué qu’elle pouvait le faire, en décembre 2021.

[38] Lors de l’audience du grief au premier palier, le représentant de la demanderesse a reconnu que le grief était hors délai et a indiqué qu’elle avait décidé de ne pas y donner suite à l’époque, mais que l’agent négociateur la représentait désormais.

[39] Lorsque la demanderesse a déposé son grief, elle n’a pas demandé de proroger les délais sur consentement mutuel.

[40] La défenderesse souligne que 37 griefs relatifs à la COVID-19 ont été déposés par des membres représentés par l’agent négociateur dans la même région que la demanderesse entre le 22 février 2022, date à laquelle la demanderesse a été mise en congé sans solde, et le 24 juin 2022, date à laquelle elle a déposé son grief.

[41] La défenderesse soutient que rien n’appuie l’allégation selon laquelle ses représentants ont informé la demanderesse que, si elle déposait un grief sans l’appui de l’agent négociateur, celui-ci ne serait pas accepté.

[42] Enfin, la défenderesse fait valoir que rien ne donne à penser que la demanderesse n’était pas en mesure de déposer un grief pendant qu’elle était en congé de décembre 2021 à juin 2022.

2. Durée du retard

[43] La défenderesse fait valoir que, bien que la Commission ait accordé des prorogations pour des périodes plus longues et plus courtes que quatre mois, le retard dans le présent cas ne peut être considéré isolément.

[44] La défenderesse fait valoir qu’il est important pour la Commission d’examiner la durée du retard ainsi que la raison de ce retard afin de décider si cette durée est déraisonnable.

[45] Selon la défenderesse, la durée du retard dans le présent cas est importante, étant donné l’absence de preuve à l’appui pour la justifier.

3. Diligence raisonnable de la demanderesse

[46] La défenderesse soutient que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable dans la poursuite du grief. En décembre 2021, elle a été informée qu’elle pouvait déposer un grief sans l’appui de l’agent négociateur, mais elle ne l’a pas fait. La défenderesse soutient que rien ne démontre qu’un représentant de la direction lui a dit qu’elle ne pouvait pas déposer un grief sans l’appui de l’agent négociateur.

[47] La défenderesse fait valoir que la demanderesse ne s’est pas renseignée auprès d’elle ou de ses collègues sur la possibilité de déposer un grief. Elle travaille pour la défenderesse depuis environ 10 ans et devrait connaître les dispositions de sa convention collective et savoir à qui elle peut s’adresser, que ce soit la défenderesse ou ses collègues, pour s’informer quant à sa capacité à déposer un grief.

4. Équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit la défenderesse si la prorogation est accordée

[48] La défenderesse fait valoir qu’elle subirait un grave préjudice si la Commission accueillait la demande en l’absence de preuve selon laquelle le retard était justifié, et ce pour trois raisons. D’abord, cela ouvre la voie à l’octroi d’autres demandes de prorogation similaires. Ensuite, la défenderesse a pris connaissance de la demande de prorogation du délai à la date à laquelle l’agent négociateur l’a déposée, à savoir le 6 juin 2024. Enfin, trois ans plus tard, elle doit répondre à des allégations concernant des conversations qui auraient eu lieu entre la demanderesse, son chef d’équipe et son gestionnaire, au sujet du dépôt d’un grief. Le temps écoulé rend difficile pour les témoins de se souvenir des faits et de répondre aux allégations.

5. Chances de succès

[49] La défenderesse fait valoir que le grief a peu de chances de succès, parce qu’il n’y a pas eu de mesure disciplinaire. Elle fait valoir que ses interventions étaient de nature administrative et qu’il ne s’agissait pas de mesures disciplinaires déguisées. La demanderesse n’a pas présenté de demande officielle d’exemption ou de prise de mesures d’adaptation relativement à la politique. Elle a expliqué à la défenderesse qu’elle ne voulait pas déposer une demande officielle s’il n’y avait aucune chance qu’elle soit acceptée. Comme elle n’a pas présenté de demande officielle, elle n’a pas satisfait à ses conditions d’emploi et a été placée en congé sans solde, de sorte que le grief n’est pas fondé.

[50] Selon la défenderesse, la Commission a envisagé cette question dans l’affaire Rehibi c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 47. Elle soutient que le réexamen de la question serait une perte de temps et de ressources pour elle et pour la Commission.

[51] Selon la défenderesse, certaines contestations des politiques en matière de COVID-19 formulées dans les délais de prescription applicables ont été jugées sans objet après la suspension de la Politique.

IV. Motifs

[52] Par souci d’équité, j’estime qu’il convient d’accueillir la demande de prorogation du délai, pour les motifs exposés ci-après.

[53] L’article 18 de la convention collective décrit la procédure de règlement des griefs et les délais qui y sont associés. La clause 18.11 est ainsi libellée :

18.11 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.06 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l’employé est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

18.11 An employee may present a grievance to the first (1st) level of the procedure in the manner prescribed in clause 18.06, not later than the twenty-fifth (25th) day after the date on which they are notified orally or in writing or on which they first become aware of the action or circumstances giving rise to grievance.

 

[54] L’article 61b) du Règlement donne à la Commission le pouvoir de proroger le délai pour déposer un grief et est ainsi libellé :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

61 Despite anything in this Part, the time prescribed by this Part or provided for in a grievance procedure contained in a collective agreement for the doing of any act, the presentation of a grievance at any level of the grievance process, the referral of a grievance to adjudication or the providing or filing of any notice, reply or document may be extended, either before or after the expiry of that time,

a) soit par une entente entre les parties;

(a) by agreement between the parties; or

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

(b) in the interest of fairness, on the application of a party, by the Board or an adjudicator, as the case may be.

[Je mets en évidence]

 

[55] Comme le soulignent les deux parties, au moment de trancher la question de savoir si une telle demande doit être accueillie, la Commission tiendra compte des critères énoncés dans la décision Schenkman.

 

[56] La jurisprudence de la Commission en ce qui concerne les demandes de prorogation du délai présente deux tendances. Ces tendances sont décrites ainsi dans les décisions Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, aux par. 73 et 74, et Noor c. Conseil du Trésor (Services aux Autochtones Canada), 2023 CRTESPF 86, au par. 45 :

1) une raison claire et logique du retard a préséance sur les autres critères;

2) une approche plus équilibrée de l’application des critères énoncés dans la décision Schenkman est préférable.

 

[57] En ce qui concerne la demande dont je suis saisi, je préfère, dans un souci d’équité, utiliser une approche plus équilibrée pour appliquer les critères énoncés dans la décision Schenkman. Je souligne que les enjeux concernant la présente demande se sont manifestés au cours d’une pandémie mondiale sans précédent. Des décisions ont été prises sur la base de renseignements contradictoires et parfois inexacts.

A. Retard justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[58] La demanderesse n’a pas donné de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard. Elle a fait valoir qu’elle avait reçu des renseignements contradictoires de la part de son agent négociateur et de la défenderesse concernant le dépôt d’un grief. Son agent négociateur l’a informée à quatre reprises qu’il ne la soutiendrait pas si elle déposait un grief.

[59] Je souligne que le grief, qui a été renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 209(1)b) de la Loi, ne nécessitait pas l’appui de l’agent négociateur de la demanderesse, parce qu’il portait sur une mesure disciplinaire. Son agent négociateur lui a communiqué ces renseignements le 13 décembre 2021, mais elle n’a déposé son grief que le 24 juin 2022.

[60] Ce facteur milite donc en faveur de la défenderesse.

B. Durée du retard

[61] La demanderesse a déposé son grief environ quatre mois après la date limite prévue par la convention collective. Je souscris au raisonnement suivi au paragraphe 16 de la décision Rinke, à savoir qu’il n’existe pas de point à partir duquel une date est considérée comme raisonnable au regard d’un délai. Je conclus que le retard de quatre mois dans le présent cas est raisonnable. Bien qu’il soit nécessaire de résoudre efficacement les conflits du travail, la défenderesse savait que la demanderesse tentait de contester sa décision lorsqu’elle lui a demandé si elle pouvait déposer un grief. En outre, le délai est relativement court et ne cause guère de préjudice à la défenderesse.

[62] Ce facteur milite en faveur de la demanderesse.

C. Diligence raisonnable de la demanderesse

[63] Sur la base des observations des parties, je juge que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence. Son agent négociateur l’a informée qu’elle pourrait déposer un grief sans son soutien en décembre 2021. Elle n’a déposé un grief qu’en juin 2024.

[64] Ce facteur milite en faveur de la défenderesse.

D. Équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subit la défenderesse si la prorogation est accordée

[65] Je conclus que l’injustice pour la demanderesse serait plus importante si la demande n’était pas accueillie que le préjudice pour la défenderesse si elle était accueillie.

[66] Selon le grief, la décision de la défenderesse de mettre la demanderesse en congé sans solde constituait une sorte de mesure disciplinaire déguisée, et la période de congé sans solde a eu des répercussions financières sur la demanderesse. Si l’affaire n’était pas entendue, elle n’aurait pas d’autre recours.

[67] La défenderesse fait valoir qu’elle subirait un préjudice important si la Commission accueillait la demande, car une telle décision ouvrirait la voie à l’octroi d’autres demandes de prorogation similaires. Elle soutient également qu’elle a toujours invoqué le respect des délais pour justifier le rejet du grief et que la demanderesse n’a pas fourni de raison claire, logique ou convaincante pour justifier le retard dans la présentation du grief.

[68] La défenderesse fait également valoir qu’elle subit un préjudice, parce qu’elle doit répondre à l’explication de la demanderesse trois ans plus tard et que ses témoins doivent essayer de se souvenir et de répondre à son allégation de discussions avec son chef d’équipe et son gestionnaire au sujet du dépôt d’un grief.

[69] Je donne à ce facteur un poids en faveur de la demanderesse, parce que l’injustice qu’elle subirait si la demande n’était pas accueillie serait plus grande que le préjudice subi par la défenderesse si elle était accueillie.

E. Chances de succès du grief

[70] La défenderesse soutient que le grief n’a aucune chance de succès pour trois raisons. Tout d’abord, ses mesures étaient de nature administrative. Il n’y a pas eu de mesure disciplinaire. Ensuite, un examen de cette question constituerait un gaspillage de ressources pour la Commission et la défenderesse, parce que la Commission a déjà procédé à un tel examen dans l’affaire Rehibi. Enfin, certaines contestations des politiques relatives à la COVID-19 formulées dans les délais applicables ont été jugées sans objet après la suspension de la Politique. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire qu’il est prématuré d’apprécier le bien-fondé du grief à ce stade-ci, parce qu’aucune preuve quant à sa substance n’a été présentée. Par conséquent, j’accorde peu de poids à ce facteur.

[71] Pour les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[72] L’objection de la défenderesse concernant le respect du délai est rejetée.

[73] La demande de prorogation du délai présentée par la demanderesse est accueillie.

[74] Le grief sera inscrit au calendrier pour une audience conformément au processus d’établissement du calendrier de la Commission.

Le 23 janvier 2025.

Traduction de la CRTESPF

Brian Russell,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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