Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une plainte en matière de dotation a été déposée en vertu des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) concernant la prolongation d’une nomination intérimaire. Le plaignant a allégué que la personne nommée ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques. Après le dépôt de la plainte, l’intimé a indiqué que la demande de dotation avait été annulée avant la date d’entrée en vigueur de la prolongation de la nomination intérimaire et a demandé que la plainte soit rejetée. D’après les renseignements fournis par les parties, il n’a pas été contesté que la mesure de dotation avait été annulée avant la date d’entrée en vigueur. Le plaignant a demandé que des mécanismes de contrôle soient mis en place pour s’assurer que cette erreur ne se reproduise plus. La Commission a appliqué la doctrine du caractère théorique et a conclu qu’il n’y avait plus de différend tangible et concret entre les parties parce que l’intimé avait annulé la nomination proposée avant la date d’entrée en vigueur. L’erreur a été corrigée avant que la prolongation ne prenne effet. Par conséquent, la plainte a été jugée sans objet. La Commission a également conclu qu’il n’y avait aucune raison justifiant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’entendre la plainte même si elle est sans objet.

Requête en rejet accueillie.
Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20250211

Dossier: 771-02-49292

 

Référence: 2025 CRTESPF 15

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Rudy Mehra

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Statistique Canada)

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Mehra c. Administrateur général (Statistique Canada)

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir déposée aux termes des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour l’intimé : Adam Feldman, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Guillaume Fontaine

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 24 juillet et les 8 et 13 août 2024, ainsi que le 7 janvier 2025
.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Rudy Mehra (le « plaignant ») a déposé une plainte en vertu des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »), au motif que l’administrateur général de Statistique Canada (l’« intimé ») a abusé du pouvoir que lui confèrent les articles 30(2) et 33 de la LEFP.

[2] L’intimé nie avoir commis un abus de pouvoir, soutenant que la demande de dotation a été annulée avant la date de prise d’effet de la prolongation de la nomination intérimaire. Il demande donc que la plainte soit rejetée.

[3] Le 11 mars 2024, l’intimé a annoncé au personnel du Secteur du recensement, des services régionaux et des opérations la prolongation de la nomination intérimaire de Darrick Cheuk au poste de directeur adjoint, Région de l’Ouest et des territoires du Nord, du 3 avril au 1er août 2024. L’annonce a été faite avant même que les détails de la nomination aient été finalisés. Par ce préavis, l’intimé se voulait proactif et transparent – selon sa version des faits.

[4] Le 13 mars 2024, le plaignant a déposé sa plainte à la Commission au motif que M. Cheuk, qui occupait le poste depuis un an, ne respectait toujours pas les exigences linguistiques. Il s’est demandé comment la nomination intérimaire pouvait être prolongée alors que, normalement, en pareille situation, la durée maximale d’un intérim est d’un an. Le plaignant a ajouté qu’aucun processus annoncé officiel n’avait été lancé lorsque M. Cheuk avait d’abord été nommé en avril 2023.

[5] Le 14 mars 2024, M. Cheuk a subi une évaluation de langue seconde à l’issue de laquelle il n’a pas atteint le niveau requis en communication orale.

[6] Par conséquent, l’intimé a supprimé l’annonce de son site Web interne, rendant ainsi nulle et non avenue la prolongation de la nomination intérimaire de M. Cheuk. La demande de dotation a donc été annulée avant la date de prise d’effet de la prolongation.

[7] Bien que l’intimé ait précisé qu’il n’aurait jamais prolongé l’intérim de M. Cheuk parce que l’erreur aurait été relevée en amont, le plaignant est d’avis que l’erreur n’aurait pas été remarquée n’eût été sa plainte. L’intimé n’a pas précisé de quelle manière il aurait relevé l’erreur. Chez l’intimé, tant le directeur de la Région de l’Ouest que le Comité de planification stratégique avaient déjà approuvé la prolongation; autrement dit, celle-ci avait franchi plusieurs étapes d’approbation sans que quiconque remarque qu’elle ne pouvait pas aller de l’avant. Le plaignant est d’avis que sa plainte est la seule raison pour laquelle l’intimé n’a pas prolongé la nomination intérimaire de M. Cheuk, et il a demandé comment il serait possible d’éviter une telle situation à l’avenir.

[8] Selon l’intimé, le plaignant demande à la Commission de corriger, par ordonnance, le processus d’approbation des nominations futures. L’intimé soutient toutefois que la Commission, dont les pouvoirs sont circonscrits par les articles 81 et 82 de la LEFP, n’est pas habilitée à prendre des mesures correctives pour des situations à venir.

[9] L’intimé a soutenu qu’il s’affairait sans cesse à diminuer le nombre d’erreurs administratives, mais qu’il lui était impossible de garantir qu’aucune n’allait être commise. Selon lui, l’essentiel est que toute erreur soit corrigée rapidement et adéquatement, comme cela a été fait dans le présent cas. En outre, l’intimé a souligné qu’il veillait à ce que ses conseillers en ressources humaines reçoivent de la formation tous les mois et que l’équipe de la dotation ministérielle assure le suivi des dossiers de dotation chaque année.

[10] L’intimé a soutenu qu’il n’y avait pas eu d’abus de pouvoir dans le choix du processus ni dans l’application du principe du mérite puisqu’il n’y avait eu aucune nomination, et a demandé à la Commission de rejeter la plainte. Le plaignant, comme il y avait été invité, a répondu à la requête en rejet de la plainte.

[11] Le plaignant a réitéré son observation selon laquelle l’intimé n’avait annulé la prolongation de la nomination intérimaire que lorsqu’il avait déposé sa plainte, et uniquement pour cette raison. À son avis, n’eût été la plainte, il n’y aurait probablement pas eu annulation. Il a souligné que l’intimé, mis au fait de la plainte, n’avait pas décidé d’emblée d’annuler la prolongation, mais plutôt de faire valoir que la plainte était hors délai. Or, la Commission a rejeté cet argument.

[12] Le plaignant a aussi avancé qu’en audience, M. Cheuk avait confirmé qu’on l’avait simplement avisé que sa nomination intérimaire était prolongée sans condition, sans qu’aucun problème relatif à la prolongation ne lui soit signalé.

[13] Le plaignant a conclu sa réponse en ces termes :

[Traduction]

[...]

Je crois que ma plainte devrait aller de l’avant afin que ce genre de situation ne se reproduise pas. J’ai demandé à l’intimé les procédures applicables aux nominations de ce type, mais il ne m’a rien fourni. Les nominations effectuées par le « comité stratégique » devraient être assujetties à des mécanismes de contrôle. Il aurait dû être facile de relever ce problème, car il est arrivé que des prolongations n’aient pas été accordées pour non-respect des exigences linguistiques (et ce, récemment). Cela montre simplement que l’intimé manque de transparence et affiche un parti pris dans ses procédures d’embauche.

 

II. Motifs

[14] Compte tenu des informations fournies par les parties, nul ne conteste que la mesure de dotation a été annulée avant sa date de prise d’effet. Ainsi, M. Cheuk a cessé d’occuper le poste de directeur adjoint, Région de l’Ouest et des territoires du Nord, alors que son mandat devait être reconduit le 3 avril 2024. Je souligne que le plaignant n’avance pas que la prolongation a été accordée délibérément, mais plutôt qu’il s’agissait d’une erreur. Il demande la mise en place de mécanismes de contrôle pour que la situation ne se reproduise pas.

[15] Dans Dubord c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2013 TDFP 10, le plaignant avait d’abord été éliminé du processus de nomination. Toutefois, après le dépôt de la plainte, l’intimé a procédé à une réévaluation et, concluant que le plaignant était qualifié, a procédé à sa nomination. Dans ce cas, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal ») a rejeté la plainte au motif qu’elle était devenue théorique, puisqu’il n’y avait plus de litige entre les parties.

[16] Au paragraphe 40 de sa décision, le Tribunal cite la Cour suprême du Canada dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, au sujet de la doctrine relative au caractère théorique. Au paragraphe 42, le Tribunal résume le critère applicable en deux questions.

40 Dans Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême a statué qu’en vertu de la doctrine relative au caractère théorique (« mootness » en anglais) un tribunal peut refuser d’instruire une cause si elle ne soulève qu’une question hypothétique. Cette doctrine peut s’appliquer quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a des conséquences sur les droits des parties (p. 353):

Le caractère théorique

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer [...]

[...]

42 Cette analyse comprend donc deux questions :

1. Existe-t-il encore un litige, c’est-à-dire un « différend concret et tangible » entre les parties?

2. S’il n’y a plus de litige entre les parties, le Tribunal devrait-il quand même utiliser son pouvoir discrétionnaire pour décider du fond de la plainte?

 

[17] Me fondant sur les informations que m’ont communiquées les parties, je constate qu’il n’y a plus entre elles de différend concret et tangible du fait que l’intimé a annulé la nomination proposée avant sa date de prise d’effet. La Commission n’a donc plus de nomination à évaluer relativement à une quelconque allégation d’abus de pouvoir. Le plaignant soulève une préoccupation légitime : l’intimé a presque prolongé, à tort, la nomination intérimaire de M. Cheuk. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas eu prolongation. L’erreur a été corrigée avant la prise d’effet de la prolongation. Par conséquent, je conclus que la plainte est devenue théorique.

[18] Il me faut maintenant déterminer si les circonstances justifient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour entendre la plainte, bien qu’elle soit devenue théorique. Au paragraphe 49 de Dubord, le Tribunal a expliqué que « [c]ela pourrait être le cas, par exemple, lorsqu’une plainte soulève des questions importantes qui pourraient avoir un effet sur la dotation en général ou si la conduite alléguée de l’intimé représente des manquements flagrants à la LEFP » (voir aussi Obioha c. Sous‐ministre de l’Emploi et du Développement social, 2016 CRTEFP 13).

[19] Le plaignant estime que sa plainte devrait aller de l’avant afin que la situation ne se reproduise pas et réclame la mise en place de mécanismes de contrôle. L’intimé a soutenu qu’il prenait des mesures pour diminuer le nombre d’erreurs administratives, mais qu’il lui était impossible de garantir qu’aucune n’allait être commise, ajoutant qu’il veillait à ce que ses conseillers en ressources humaines reçoivent de la formation tous les mois et que l’équipe de la dotation ministérielle assure le suivi des dossiers de dotation chaque année.

[20] Dans Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, la Cour fédérale a affirmé que la mesure corrective doit être liée à la plainte en cause et ne peut pas porter sur d’autres processus de nomination passés ou futurs :

[...]

[18] La lecture combinée des articles 77, 81 et 82 de la Loi indique que toute mesure corrective ordonnée par le Tribunal ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet des plaintes dont il est saisi. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié par le Tribunal lors de l’audition de la plainte dont il est saisi, et elle ne peut pas porter sur d’autres processus de nomination passés ou futurs dont le Tribunal n’est pas saisi par une plainte formulée selon la Loi.

[...]

 

[21] Il revient au même que l’intimé ait effectivement bien agi de sa propre initiative ou qu’il l’ait fait uniquement en raison de la plainte : il a fait ce qu’il fallait faire.

[22] Bien qu’elle mette en relief l’inquiétude du plaignant quant à l’avenir, la plainte ne soulève pas de questions importantes qui pourraient avoir un effet sur la dotation en général, et la conduite de l’intimé ne représente pas un manquement flagrant à la LEFP qui justifierait que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour entendre la plainte, bien qu’elle soit devenue théorique.

[23] Pour ces motifs, la requête de l’intimé en rejet de la plainte est accueillie, et la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante.)


III. Ordonnance

[24] La plainte est rejetée.

Le 11 février 2025.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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