Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La plaignante a déposé une plainte en mai 2024 alléguant qu’un représentant de la défenderesse ne l’avait pas aidée dans ses efforts pour déposer un grief. Avec l’aide d’un autre représentant syndical, elle a enfin déposé un grief qui, selon elle, était hors délai en raison des manquements du premier représentant. Dans le formulaire de plainte, elle a indiqué avoir pris connaissance de la situation ayant donné lieu à sa plainte en juillet 2019. La défenderesse a soulevé une objection préliminaire selon laquelle la plainte était manifestement hors délai, et la Commission n’avait donc pas compétence pour la trancher. La Commission a invité les parties à déposer des arguments écrits et les a informées qu’elle pourrait rendre une décision sur la base des renseignements au dossier si elles n’avaient pas d’arguments supplémentaires à présenter. La plaignante a confirmé qu’elle n’avait rien à ajouter au dossier en ce qui a trait à l’objection. La Commission a conclu que la plainte était manifestement hors délai et qu’il n’y avait rien au dossier qui laissait croire qu’il y avait des circonstances exceptionnelles ou inusitées hors du contrôle de la plaignante justifiant une prorogation du délai par la Commission.
Objection préliminaire accueillie.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20250206
Référence: 2025 CRTESPF 14
et de l’emploi dans le secteur Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral |
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ENTRE
Céline Corneau
plaignante
et
Alliance de la Fonction publique du Canada
défenderesse
Répertorié
Corneau c. Alliance de la Fonction publique du Canada
Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Elle-même
Pour la défenderesse : Sébastien Denoncourt, avocat
Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés le 2 mai, le 13 septembre et le 21 octobre 2024.
MOTIFS DE DÉCISION |
I. Plainte devant la Commission
[1] Le 2 mai 2024, Céline Corneau (la « plaignante ») a présenté une plainte de pratique déloyale auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »).
[2] La plainte a été présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), la disposition qui s’applique aux plaintes de pratiques déloyales de travail, y compris le défaut d’agir de manière équitable en matière de représentation.
[3] Dans le formulaire qu’elle a utilisé pour présenter sa plainte, la plaignante allègue qu’un représentant de la défenderesse ne l’a pas aidé dans ses efforts pour déposer un grief. Selon elle, le représentant la renvoyait vers d’autres personnes au lieu de répondre à ses questions. Elle indique que ce représentant aurait tenté de la dissuader de présenter un grief et il l’aurait laissé sans directives claires et précises. Selon elle, elle a « […] été dans le néant de juillet 2018 à juin 2019 […] », jusqu’au moment où un autre représentant syndical a répondu à ses questions et lui a indiqué comment procéder pour déposer son grief. Elle allègue que son grief a été déposé hors délai en raison des manquements du premier représentant. Son grief n’est toujours pas réglé.
[4] Sur le formulaire, la plaignante a indiqué la date du 4 juillet 2019 comme la date à laquelle elle a pris connaissance de la situation ayant donné lieu à sa plainte.
[5] Le 13 septembre 2024, la défenderesse a soulevé une objection préliminaire. Selon elle, la plainte a été présentée bien au-delà du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi pour le dépôt d’une plainte de pratique déloyale. Selon elle, la plainte est manifestement hors délai et la Commission n’a pas la compétence requise pour la trancher.
[6] La même journée, la Commission a invité la plaignante à déposer une réponse à l’objection préliminaire. Elle ne l’a pas fait.
[7] Quelques semaines plus tard, la Commission a écrit aux parties leur indiquant qu’elle considérait rendre une décision relativement à l’objection préliminaire sur la base des arguments écrits des parties. Les parties ont été invitées à déposer des arguments écrits. Un échéancier a été établi. Les parties ont également été informées que si l’une ou l’autre d’entre elles ne déposait pas d’arguments écrits, la Commission pourrait rendre une décision quant à l’objection en se fondant sur les renseignements et les documents au dossier.
[8] La défenderesse a indiqué ne pas avoir d’arguments supplémentaires à présenter. Elle a toutefois fait suivre à la Commission et à la plaignante deux décisions qu’elle avait citée dans son objection préliminaire, soit Nash c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 64 et Crête c. Ouellet, 2013 CRTFP 96.
[9] La plaignante n’a pas déposé d’arguments écrits supplémentaires à la date indiquée à l’échéancier établi par la Commission.
[10] Le 20 novembre 2024, à ma demande, le greffe de la Commission a communiqué avec la plaignante par téléphone pour confirmer qu’elle avait reçu les communications récentes de la Commission et pour s’enquérir auprès d’elle pour savoir si elle avait l’intention de déposer des arguments écrits en réponse à l’objection de la défenderesse. Cette même journée, la plaignante a confirmé par écrit dans un courriel qu’elle n’avait rien à ajouter.
[11] La présente décision traite uniquement de l’objection préliminaire voulant que la plainte soit hors délai et, par conséquent, que la Commission n’ait pas compétence pour la traiter.
[12] Conformément à l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.
[13] J’ai examiné attentivement la plainte et les motifs fournis par la défenderesse en appui à son objection préliminaire. Les parties ont été informées que la Commission considérait rendre une décision relativement à l’objection sur la base d’arguments écrits. Elles ont eu l’occasion de présenter des arguments écrits. Elles ne l’ont pas fait. Dans les circonstances, je suis convaincue que je peux trancher l’objection de la défenderesse concernant le respect des délais en me fondant sur les renseignements déjà au dossier de la Commission, soit la plainte, l’objection de la défenderesse et la jurisprudence citée par la défenderesse.
II. Analyse
[14] La plaignante a présenté sa plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, la disposition qui porte sur les plaintes de pratiques déloyales de travail, y compris le défaut d’agir de manière équitable en matière de représentation.
[15] Le paragraphe 190(2) de la Loi prévoit que les plaintes prévues au paragraphe 190(1) « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ». Cette disposition limite ainsi le pouvoir de la Commission d’examiner et d’instruire une plainte voulant qu’un agent négociateur s’est livré à une pratique déloyale de travail, au sens de l’article 185 de la Loi (voir Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, au par. 55).
[16] Dans sa plainte, la plaignante a indiqué que la date à laquelle elle avait pris connaissance de la situation ayant donné lieu à sa plainte était le 4 juillet 2019.
[17] Rien dans la plainte ne me permet de comprendre la pertinence de la date du 4 juillet 2019. Il est malheureux que la plaignante ait choisi de ne pas présenter des arguments écrits pouvant éclairer davantage la Commission à ce sujet. Toutefois, je constate que le 4 juillet 2019 suit de près la fin de la période d’un an pendant laquelle la plaignante indique avoir été laissée dans le néant par le représentant de son agent négociateur, période pendant laquelle elle indique avoir été dirigée vers d’autres personnes lorsqu’elle cherchait des renseignements relatifs à la présentation d’un grief.
[18] La plainte n’a été présentée que le 2 mai 2024, soit presque cinq ans plus tard.
[19] Le fait que le processus de grief dans lequel la plaignante a participé a échoué plusieurs années après les gestes qui ont donné lieu à la plainte ne change aucunement le fait que la plaignante savait, en juillet 2019, qu’elle était insatisfaite du soutien et de la représentation offerts par la défenderesse.
[20] La plainte est manifestement hors délai.
[21] Dans Beaulieu c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 100, une décision rendue après les décisions Nash et Crête citées par la défenderesse, la Commission s’est livrée à un exercice d’interprétation de la Loi dans l’objectif de déterminer si elle avait le pouvoir de proroger le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2).
[22] S’écartant de la jurisprudence antérieure de la Commission voulant que le délai de 90 jours était obligatoire et que la Commission ne pouvait y déroger, la Commission a conclu, dans Beaulieu, qu’elle avait le pouvoir implicite de libérer un plaignant des conséquences du non-respect du délai de 90 jours pour présenter une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi lorsque le non-respect est en raison de circonstances exceptionnelles ou inusitées hors du contrôle du plaignant, plus précisément, lorsque des circonstances totalement indépendantes de la volonté du plaignant l’empêchent de présenter sa plainte en temps voulu (voir Beaulieu, au paragraphes 30 à 44; voir aussi, entre autres, Fraser c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2024 CRTESPF 28, au par. 25, Dundas c. Association canadienne des employés professionnels, 2024 CRTESPF 55, au par. 26, Killips c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique), 2024 CRTESPF 97, au par. 78, Reid c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2024 CRTESPF 100, au par. 37, et Gauthier c. Association canadienne des employés professionnels, 2024 CRTESPF 125, au par. 40).
[23] Comme je l’ai indiqué précédemment, il est malheureux que la plaignante ait choisi de ne pas présenter d’arguments écrits pouvant contextualiser davantage sa plainte et pour expliquer le temps écoulé pour présenter sa plainte.
[24] La plaignante n’a pas demandé à la Commission de proroger le délai de présentation de sa plainte. Elle n’a présenté aucune explication pour la très longue période entre la date à laquelle elle a eu connaissance de la situation qui a donné lieu à sa plainte et la date à laquelle elle a présenté sa plainte. Rien ne laisse croire qu’une circonstance indépendante de sa volonté l’a empêchée de présenter sa plainte dans les 90 jours.
[25] La compétence de la Commission pour entendre et trancher une plainte découle entièrement de la Loi. Je suis limitée par le respect des délais, tel qu’il est défini dans l’article 190 de la Loi. La seule exception reconnue dans la jurisprudence de la Commission, soit l’existence de circonstances exceptionnelles ou inusitées hors du contrôle de la plaignante, ne s’applique pas dans les circonstances du présent cas.
[26] L’essentiel de la plainte concerne des événements qui ont eu lieu bien au-delà de la limite de 90 jours imposée par l’article 190 de la Loi. La plainte est hors délai, et elle est donc rejetée.
[27] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
III. Ordonnance
[28] L’objection préliminaire de la défenderesse est accueillie.
[29] La plainte est rejetée.
Le 6 février 2025.
Amélie Lavictoire,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral