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Date: 20241211

Dossiers: 566-34-41066 et 41067

 

Référence: 2024 CRTESPF 172

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations
de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

SUCCESSION DE John Kielley

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

employeur

Répertorié

Succession de John Kielley c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : David Jewitt, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Zachary Rodgers, avocat

Pour l’employeur : Peter Doherty, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 20 au 23 juin 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction — Ce qui est en cause dans la présente affaire

[1] Le grief en question a trait à un employé nommé pour une période déterminée qui n’était pas présent au travail en raison d’une déficience connue et à qui on a refusé de prolonger son emploi de durée déterminée pour cette raison.

[2] John Kielley (le «fonctionnaire s’estimant lésé») a intégré l’Agence du revenu du Canada (ARC) dans la dernière partie de sa vie. Il souhaitait entamer une seconde carrière en tant qu’agent des services aux contribuables (SP-04) au centre fiscal de Terre-Neuve de l’ARC. Le 22 mai 2018, son emploi d’une durée déterminée n’a pas été prolongé en raison d’un congé de maladie temporaire dû à ses séances de dialyse.

[3] Avant son arrivée à l’ARC, le fonctionnaire s’estimant lésé a travaillé 11 ans au sein des Forces armées canadiennes. Durant cet emploi, il avait une maladie rénale. Il a pris des mesures pour recevoir sa dialyse à la maison le soir afin de pouvoir travailler le jour et ainsi s’adapter à son horaire de travail.

[4] Il a divulgué sa déficience quand il a posé sa candidature à l’ARC, puis à son chef d’équipe au centre d’appels, parce que son affection l’empêchait de s’acquitter des heures supplémentaires obligatoires le soir. On lui a assuré que son affection n’influerait pas sur son emploi.

[5] En janvier 2018, il a contracté une grave infection à la jambe provoquée par la dialyse constante. Il a donc dû se rendre à l’hôpital cinq jours par semaine pour obtenir un traitement en chambre hyperbare afin d’accélérer la guérison.

[6] Il a remis un billet du médecin à l’employeur le 8 janvier 2018 et a pris un congé de maladie payé de deux semaines, suivi d’un congé de maladie non payé jusqu’à la fin de son emploi le 22 mai 2018, date à laquelle son contrat à durée déterminée n’a pas été renouvelé.

[7] Parallèlement à la fin de son emploi de durée déterminée, les autres agents des services aux contribuables nommés pour une période déterminée au sein de son équipe, eux, ont obtenu une prolongation. L’employeur n’a pas prolongé l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé, parce que ce dernier n’était pas apte à fournir un certificat médical confirmant qu’il pourrait revenir au travail au cours de la période prévue de renouvellement des contrats, comme l’exige la politique de l’employeur à cet égard.

[8] Le 6 juin 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief dans lequel il a déclaré que l’employeur contrevenait à la convention collective applicable et qu’il faisait preuve de discrimination à son égard, contrairement aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP), quand il a décidé de ne pas prolonger son emploi de durée déterminée au-delà du 22 mai 2018 en raison de sa déficience.

[9] Dans son grief, le fonctionnaire s’estimant lésé a réclamé des dommages-intérêts au titre de la LCDP, parce que l’employeur refusait de prolonger son emploi de durée déterminée en raison de sa déficience.

[10] Après que la procédure de règlement de grief eut pris fin et que le grief eut été renvoyé à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la «Commission»), M. Kielley est malheureusement décédé le 25 décembre 2021.

[11] Ainsi, le nom des parties au grief a été modifié afin de montrer que c’est la succession de John Kielley (la «succession») qui poursuit ce grief et qui fait progresser la réclamation en dommages-intérêts à l’encontre de l’employeur pour discrimination au titre de la LCDP. Dans ce qui suit, la désignation «fonctionnaire s’estimant lésé» fait expressément référence à M. Kielley.

[12] Comme le fonctionnaire s’estimant lésé est décédé avant que l’affaire en question soit entendue, la première question à trancher est celle du droit de la succession de poursuivre son grief devant la Commission et de maintenir sa réclamation en dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne.

A. La question de la succession

[13] L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a avancé que la Commission est habilitée à entendre le grief et que la succession peut poursuivre le grief pour le compte de son client. L’avocat de l’employeur ne s’est pas opposé à cette idée dans les circonstances de la présente affaire, mais n’était pas d’accord pour dire que la Commission est habilitée à trancher toute autre affaire où un fonctionnaire s’estimant lésé porte plainte au titre de la LCDP et décède avant que l’affaire soit entendue. Puisqu’il est ici question de la compétence de la Commission, la jurisprudence invoquée par les parties sera étudiée et une décision officielle sur la compétence de la Commission sera rendue.

[14] Vu l’importance de cette question, j’ai décidé d’étudier la jurisprudence invoquée par les parties et je rendrai une décision préliminaire au profit des autres arbitres de grief, dont on pourrait contester la compétence dans des situations présentant des faits similaires.

[15] En common law, il y a une maxime latine qui remonte à l’Angleterre médiévale : actio personalis moritur cum persona, c’est-à-dire que l’action personnelle s’éteint lorsque la personne concernée s’éteint. Elle s’applique surtout aux actions en responsabilité délictuelle d’un particulier, fondées sur la moralité du plaignant ou du demandeur, comme une action en diffamation. Selon les tribunaux, de telles actions prennent fin au décès du plaignant ou du demandeur.

[16] Dans le cas des actions civiles, cette règle a été abrogée par une loi en Angleterre et dans toutes les administrations de common law au Canada.

[17] Toutefois, la jurisprudence récente au Canada montre que les tribunaux se sont penchés sur la question de savoir si une succession peut, en droit, présenter une réclamation en dommages-intérêts pour discrimination sous le régime des lois applicables en matière de droits de la personne : voir Pankoff v. St. Thomas (City), 2019 HRTO 993.

[18] En 2007, dans un recours collectif en discrimination envers les conjoints de même sexe au sens de l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.); la «Charte»), la Cour suprême du Canada (CSC) a jugé qu’une succession ne jouit pas des droits d’une personne physique lui permettant de présenter une «demande de dommages‑intérêts»; voir Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10.

[19] En 2020, le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) s’est prononcé sur cette question dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2020 TCDP 7.

[20] Une indemnité a été versée aux personnes qui y auraient été admissibles, mais qui sont décédées avant de la recevoir, ce qui a soulevé la question du droit d’une succession à réclamer et à recevoir une part des indemnités versées aux victimes de discrimination au titre de la LCDP sur injonction du tribunal.

[21] Dans la décision Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, le procureur général a prétendu que même si l’arrêt Hislop avait trait aux droits garantis par la Charte en matière de discrimination contre les conjoints de même sexe, elle entérine aussi la proposition générale que « […] la succession d’une personne n’est pas, au sens de la loi, une entité juridique susceptible d’être victime de discrimination […] »

[22] Le TCDP n’a pas souscrit à cette prétention et a déclaré aux paragraphes 107 et 109 que :

[107] La formation souscrit également au raisonnement exposé dans l’arrêt Canada (Attorney General) v. Morgan, [1992] 2 CF 401 (FCA), au paragraphe 49, où le juge MacGuinan (dissident à d’autres égards) a écrit : [TRADUCTION] « Il y a lieu de se garder d’une analogie trop stricte avec la responsabilité délictuelle ou contractuelle dans le domaine des droits de la personne, puisqu’il n’est pas question d’une action en common law, mais plutôt d’une mesure de réparation juridique à caractère unique. »

[…]

[109] Sur ce point, la Cour suprême du Canada a statué que les tribunaux des droits de la personne et les tribunaux judiciaires ne pouvaient restreindre le sens des termes employés dans les lois sur les droits de la personne qui sont conçues pour favoriser les objets quasi constitutionnels de la LCDP : « [L]a Loi canadienne sur les droits de la personne est un texte quasi constitutionnel, qui commande que toute exception à son application soit énoncée clairement » (Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, au paragraphe 81).

 

[23] Au paragraphe 110, le TCDP a également cité son ancien vice-président, dans la décision Stevenson c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2001 CanLII 38288 (TCDP), à laquelle il souscrivait. Aux par. 31 à 33, celui-ci traitait de la capacité du TCDP sous le régime de la LCDP d’entendre une plainte après le décès du plaignant, affirmant ceci :

[31] À mon avis, eu égard au régime de la Loi, il faut conclure qu’une plainte relative aux droits de la personne déposée en vertu de la Loi n’est pas de par sa nature assimilable à une « action » intentée selon le principe de droit actio personalis. La Loi vise à éliminer la discrimination au Canada et non à résoudre des différends entre individus.

[32] Si le CN obtient gain de cause, le décès du plaignant aura pour effet d’éteindre non seulement les intérêts du plaignant, mais aussi tous les autres intérêts en cause, y compris le très important [sic] intérêt public.

[33] La maxime actio personalis, dont l’origine remonte à l’époque médiévale et dont le caractère anachronique est illustré par le fait que la règle a été abolie en Angleterre et dans les provinces canadiennes de common law, devrait-elle avoir priorité sur le but et les objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Je ne crois pas.

 

[24] J’en conclus que le raisonnement du TCDP est également applicable à la compétence de la Commission. Tout ce que la Commission doit trancher est une réclamation concernant une allégation de discrimination en matière d’emploi sur le motif d’une déficience connue fondée sur les articles 7 et 15 de la LCDP. Le grief à l’origine de cette allégation a été déposé et traité par le fonctionnaire s’estimant lésé de son vivant. La succession souhaite poursuivre sa réclamation en dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la personne en attente d’une décision.

[25] La maxime actio personalis moritur cum persona n’empêche pas la Commission de se prononcer sur les allégations du fonctionnaire s’estimant lésé au titre de la loi sur les droits de la personne. J’en conclus que la succession a le droit de poursuivre le grief que le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé en juin 2018, et que la Commission est habilitée à trancher la réclamation en dommages-intérêts fondée sur la discrimination soulevée dans le grief déposé au titre de la LCDP.

[26] La question principale du grief dans le présent cas au regard de la LCDP peut être énoncée ainsi : est-ce que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet de discrimination de la part de l’employeur, contrairement aux art. 7 et 15 de la LCDP, quand ce dernier a refusé de prolonger son emploi de durée déterminée en raison de sa déficience?

B. Ce qui n’est pas en litige

[27] Avant d’étudier les allégations contenues dans le grief, il est important de préciser ce qui n’est pas en litige dans la présente affaire. Les allégations ne remettent pas en cause la jurisprudence bien établie de la Commission selon laquelle ne pas prolonger un contrat à durée déterminée ne constitue pas un licenciement, un congédiement ou une mise en disponibilité qui peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage en vertu du par. 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. La Commission n’a pas la compétence d’ordonner à l’employeur de prolonger ou de renouveler un contrat à durée déterminée après son échéance (voir Dansereau c. Office national du film, 1978 CanLII 3697 (CAF), [1979] 1 CF 100; Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2001 CRTFP 100, au par. 45; Ikram c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CRTFP 4, au par. 8; Chouinard c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 133, et Loiselle c. Conseil du Trésor (Service Canada), 2021 CRTESPF 101, aux par. 17 à 19.

[28] Le fonctionnaire s’estimant lésé ne demandait pas de mesure corrective en matière de dotation; il n’avait pas non plus déposé de grief pour réclamer un salaire perdu, voire une ordonnance ou une déclaration pour prolonger son contrat à durée déterminée en droit. Il avait plutôt demandé à la Commission d’exercer sa compétence sous le régime de la LCDP et de lui accorder des dommages-intérêts pour discrimination parce que l’employeur avait offert de prolonger le contrat d’autres employés nommés pour une période déterminée occupant le même poste que le fonctionnaire s’estimant lésé, mais qu’il n’avait pas offert de prolonger celui de ce dernier, parce qu’il était en congé de maladie en raison de sa déficience.

C. La question principale

1. De quelle façon doit-on interpréter le critère de l’« avenir prévisible » du point de vue de la norme de la contrainte excessive de la CSC, puis l’appliquer à une relation d’emploi à durée déterminée?

[29] L’employeur a reconnu que ses actes étaient discriminatoires à première vue au sens de la LCDP, parce que sa décision de ne pas prolonger le contrat à durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé était liée à la déficience de ce dernier. Ses actes étaient fondés sur une politique révisée de relations de travail en vigueur dans le milieu de travail du fonctionnaire s’estimant lésé et applicable à la prolongation du contrat à durée déterminée des employés en congé de maladie.

[30] Puisque l’employeur a reconnu que ses actes étaient discriminatoires à première vue, la question principale que la Commission doit trancher est celle de savoir si l’employeur s’était acquitté de son fardeau de démontrer qu’il avait atteint le point de la contrainte excessive dans ses efforts pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé quand il a décidé de ne pas prolonger le contrat à durée déterminée de ce dernier, parce que le congé de maladie du fonctionnaire s’estimant lésé était lié à sa déficience.

[31] Du point de vue de l’employeur, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas apte à fournir un certificat médical confirmant qu’il pourrait revenir au travail au cours de la prochaine période de prolongation de contrat proposée, il avait atteint le point de la contrainte excessive compte tenu de son interprétation du critère d’« avenir prévisible » d’abord énoncé par la CSC dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 (« Hydro-Québec »). D’après son analyse des faits et de la jurisprudence, l’employeur a affirmé qu’il s’était acquitté de son fardeau de démontrer la présence d’une contrainte excessive et donc l’absence de discrimination de sa part, ce qui veut dire, selon lui, que la réclamation en dommages-intérêts du fonctionnaire s’estimant lésé devrait être rejetée.

[32] Du point de vue du fonctionnaire s’estimant lésé, les protections conférées par la LCDP qui assurent une relation d’emploi exempte de discrimination fondée sur la déficience sont « quasi constitutionnelles », et les droits individuels s’appliquent à toutes les relations d’emploi, qu’elles soient d’une durée indéterminée ou déterminée.

[33] En ce qui a trait à la politique de l’employeur et à son interprétation du critère d’« avenir prévisible » du point de vue de la contrainte excessive quand des employés nommés pour une période déterminée sont en congé de maladie, le fonctionnaire s’estimant lésé a avancé que ce critère, d’abord énoncé par la CSC dans la décision Hydro-Québec, était conçu pour être souple et qu’il doit donc être adapté aux circonstances de chacun.

[34] Le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu que la totalité de la preuve démontrait qu’il était apte à revenir au travail dans un avenir prévisible, mais que l’employeur a refusé de tenir compte de la preuve en s’appuyant sur sa politique, puis sur son interprétation de la contrainte excessive et du critère d’avenir prévisible. Il a déclaré que l’employeur n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau de réfuter son admission de discrimination à première vue. Par conséquent, le grief devrait être accueilli et des dommages-intérêts devraient être accordés.

[35] Manifestement, les parties ont deux visions très différentes du concept de contrainte excessive quand il est question de prolonger le contrat à durée déterminée d’employés qui sont en congé de maladie. Ainsi, vu les circonstances propres au fonctionnaire s’estimant lésé, la question au cœur du présent litige est de savoir comment appliquer le critère d’« avenir prévisible » énoncé par la CSC dans l’arrêt Hydro-Québec à l’emploi de durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé, ce qui comprend la question de la prolongation régulière des contrats à durée déterminée.

D. La décision

[36] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’employeur n’a pas réussi, selon la prépondérance des probabilités, à s’acquitter de son fardeau de démontrer qu’il avait atteint le point de contrainte excessive lorsqu’il a refusé de prolonger le contrat à durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé pendant que celui-ci était en congé de maladie.

[37] Je suis d’avis que la politique de l’employeur sur la prolongation du contrat à durée déterminée des employés en congé de maladie s’appuie sur une mauvaise interprétation du critère d’« avenir prévisible » pour l’évaluation de la preuve disponible sur la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé à revenir au travail dans un avenir prévisible, ce qui a entraîné le refus injuste de la prolongation de son emploi de durée déterminée.

[38] Je suis par ailleurs d’avis que, en raison des restrictions de la politique de l’employeur et de son application, celui-ci n’a pas tenu compte de toute la preuve médicale pertinente, puis qu’il a conclu à tort d’après les faits que le fonctionnaire s’estimant lésé ne serait pas en mesure de revenir au travail dans un avenir prévisible. Malheureusement, cette supposition erronée a conduit l’employeur à refuser d’accorder toute prolongation, sous prétexte qu’il avait atteint le point de contrainte excessive dans ses efforts pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé.

[39] Avant d’examiner la jurisprudence pertinente sur l’interprétation et l’application du critère d’« avenir prévisible », il est important de comprendre d’abord le contexte de l’emploi de durée déterminée et de la prolongation des emplois de durée déterminée dans le milieu de travail du fonctionnaire s’estimant lésé.

II. Le modèle opérationnel du centre d’appels de Terre-Neuve de l’ARC et la nature des emplois de durée déterminée à celui-ci

[40] Le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas le seul employé nommé pour une période déterminée au poste d’agent des services aux contribuables au centre d’appels de Terre-Neuve de l’ARC.

[41] Environ la moitié des 720 à 800 agents des services aux contribuables au centre d’appels de Terre-Neuve de l’ARC sont des employés nommés pour une période déterminée. Tous les ans, dans le cadre normal des activités, le centre embauche environ 120 employés nommés pour une période déterminée.

[42] Au moment de leur embauche, de même que dans leur contrat à durée déterminée, il est clairement dit aux employés qu’un emploi de durée indéterminée au sein de l’ARC n’est pas garanti au-delà de la période prévue à leur contrat. Toutefois, tous les contrats à durée déterminée comprennent une clause précisant que l’emploi de durée déterminée peut être prolongé ou écourté selon les exigences du service.

[43] D’après l’évaluation du rendement de l’employé et la prévision des besoins, l’ARC offre de prolonger ou de renouveler leur contrat à durée déterminée aux employés dont il a besoin pendant la prochaine période de l’année d’imposition.

[44] À différents moments de la période de production des déclarations de revenus, les chefs d’équipe doivent recommander à la direction d’offrir une prolongation ou un renouvellement de contrat aux employés nommés pour une période déterminée au sein de leur équipe qui ont un bon rendement.

[45] En automne, entre les mois d’octobre et de décembre, le centre d’appels connaît ce qui est qualifié de creux ou de période d’activité la plus faible pour les agents des services aux contribuables. Beaucoup d’employés nommés pour une période déterminée sont mis à pied ou ne reçoivent pas de prolongation de leur emploi pendant cette période.

[46] Les employés dont le contrat n’est pas prolongé pendant le creux des activités cessent d’être des employés et sont inscrits à ce que l’on appelle un répertoire de réembauche, de sorte que leur candidature sera prise en compte en janvier pour la prochaine année d’imposition s’il y a suffisamment de travail et que ces employés ont obtenu une évaluation de travail positive de leur chef d’équipe et de leur gestionnaire.

[47] Wayne Fagan, directeur adjoint de la division des centres d’appels de l’ARC, a déclaré dans un rapport d’enquête déposé à l’audience que la majorité des employés nommés pour une période déterminée ont pour objectif de devenir des employés essentiels nommés pour une période déterminée, c’est-à-dire des employés qui se sont bien acquittés de leur travail, qui ont reçu de la formation poussée ou polyvalente en cours d’emploi et qui ont terminé leur période de probation de 12 mois.

[48] Les employés essentiels nommés pour une période déterminée travaillent toute l’année et ne subissent plus de mises à pied saisonnières. Dans le cas des employés nommés pour une période déterminée, plus la période d’emploi continu est longue, plus ils sont susceptibles de devenir des employés essentiels nommés pour une période déterminée.

[49] La majorité des agents des services aux contribuables qui sont nommés à un poste permanent ou de durée indéterminée au centre d’appels appartiennent au groupe des employés essentiels nommés pour une période déterminée.

[50] Au cours de la première année d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé, le centre de données fiscales a connu une période de croissance. En raison de l’élargissement des services, le fonctionnaire s’estimant lésé et les membres de son équipe ont travaillé de façon continue durant toute leur première année d’emploi grâce à plusieurs prolongations de leur contrat à durée déterminée. Le fonctionnaire s’estimant lésé a terminé sa période de probation en janvier 2018, soit après 12 mois de travail continu.

[51] Dans son témoignage, la gestionnaire du fonctionnaire s’estimant lésé, Connie Lush, a décrit la situation ainsi :

[Traduction]

Le centre d’appels dépendait des employés nommés pour une période déterminée pour gérer les pointes de travail pendant l’année d’imposition.

Le plus responsable sur le plan financier était vraiment d’embaucher des employés nommés pour une période déterminée, sinon l’employeur aurait embauché 700 personnes et 400 d’entre elles se seraient tourné les pouces.

 

[52] Du point de vue de l’employeur, les employés nommés pour une période déterminée offrent une souplesse opérationnelle rentable qui lui permet de gérer les demandes saisonnières variables pendant la période de production des déclarations de revenus sans avoir à recourir à de longs processus de nomination et procédures de mises à pied et de réaménagement des effectifs. L’emploi d’une durée déterminée est profitable tant pour l’employeur que pour ses employés.

III. Les politiques de dotation de l’ARC applicables aux employés nommés pour une période déterminée au centre d’appels

[53] Le document sur les procédures de dotation à l’ARC précise diverses procédures et conditions d’admissibilité applicables aux employés nommés pour une période déterminée (voir la section 4.5, intitulée [traduction] « Gestion des employés nommés pour une période déterminée »). Parmi ces conditions d’admissibilité, il y a les prolongations d’employés temporaires (section 4.5.1), le service cumulatif (section 4.5.2), l’examen obligatoire après deux ans (section 4.5.3), la conversion administrative de cinq ans (section 4.5.4), l’avis ou l’indemnité tenant lieu de préavis en cas de fin anticipée de l’emploi de durée déterminée (section 4.5.5) et l’admissibilité au répertoire de rappel (section 4.5.6).

[54] Le service cumulatif détermine l’accès de l’employé nommé pour une période déterminée à plus d’avantages sociaux et à une plus grande sécurité d’emploi. La période de probation correspond à 12 mois de service cumulatif. Un examen obligatoire de l’emploi temporaire est mené après deux ans de service cumulatif afin d’établir si une nomination à un poste permanent est nécessaire. Après cinq ans de service cumulatif, une nomination pour une période déterminée doit être convertie, sur le plan administratif, en nomination permanente.

[55] À la section 4.5.2 du document mentionné ci-dessus, le [traduction] « service cumulatif » est défini ainsi : addition des périodes d’emploi temporaire admissibles sans interruption de plus de 30 jours civils consécutifs. À noter qu’un congé non payé de plus de 30 jours civils consécutifs accordé pour éviter toute discrimination sous le régime de la LCDP, c’est-à-dire un congé de maternité ou de paternité, serait considéré comme une période d’emploi admissible.

[56] Bref, le modèle opérationnel du centre d’appels de Terre-Neuve de l’ARC s’appuie sur un cycle de dotation complexe et bien rodé qui nécessite l’embauche, la formation et l’évaluation constantes d’employés nommés pour une période déterminée dont le contrat est constamment prolongé d’après des directives en matière de dotation et des dispositions de convention collective qui définissent le travail continu d’un employé nommé pour une période déterminée et en prévoient le suivi, de la fin de la période de probation à l’obtention de périodes d’avis ou d’indemnités tenant lieu de préavis plus substantielles, puis finalement à la prise en considération voire à la reconnaissance du service offert de sorte à convertir l’employé en employé nommé pour une période indéterminée.

[57] Fait important, une interruption de plus de 30 jours civils consécutifs stoppe la progression d’un employé nommé pour une période déterminée vers un emploi permanent. Pour la majorité des nouveaux employés nommés pour une période déterminée, les premières années, l’interruption se produit naturellement durant le creux d’activités d’octobre à décembre. S’ils ont eu un bon rendement, ils seront inscrits au répertoire de réembauche, et on tiendra compte de leur candidature en décembre ou en janvier, quand la charge de travail augmentera à nouveau pour les agents des services aux contribuables.

[58] Un congé non payé de plus de 30 jours civils consécutifs constitue une interruption pour un employé, à moins qu’on le lui accorde pour éviter toute discrimination, comme un congé non payé dû à une déficience. Dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé, le fait de ne pas prolonger son emploi en raison de sa condition médicale entraînait, après 30 jours, l’interruption de sa progression vers la permanence.

IV. Les politiques relatives aux relations de travail applicables aux employés nommés pour une période déterminée en congé de maladie de l’ARC au centre d’appels

A. L’ancienne politique

[59] D’après le témoignage des représentants de la direction, la politique appliquée aux employés nommés pour une période déterminée en congé de maladie, avant la demande de congé de maladie du fonctionnaire s’estimant lésé en 2018, était de leur offrir une prolongation jusqu’à ce que leur santé s’améliore et qu’ils soient en mesure de revenir au travail tant que le contrat des autres employés nommés pour une période déterminée de même niveau occupant le même poste était lui aussi prolongé.

[60] Cette politique s’est appliquée jusqu’à ce que les employés de cette catégorie ne soient plus nécessaires au regard des exigences du service, étant donné la réduction de la charge de travail. Quand d’autres employés en santé nommés pour une période déterminée n’ont plus obtenu de prolongation, ceux en congé de maladie n’en ont plus obtenu, eux non plus. On a laissé les contrats à durée déterminée des deux groupes venir à échéance sans renouvellement. Ceux dont le rendement était satisfaisant ont été inscrits au répertoire de réembauche pour éventuellement se faire offrir un retour au travail si les exigences du service changeaient.

[61] Mme Lush, la gestionnaire du fonctionnaire s’estimant lésé, a dit dans son témoignage qu’environ un an avant le congé de maladie de celui-ci, il y avait eu une réunion avec les Relations de travail où on les avait avisés d’un changement de politique; ils ne devaient plus offrir systématiquement aux employés en congé de maladie de prolonger leur contrat à durée déterminée.

B. La nouvelle politique

[62] La nouvelle politique en matière de relations de travail fait référence au [traduction] « critère de détermination de l’avenir prévisible » et a été résumée ainsi dans une note d’information de juillet 2018 à l’intention des gestionnaires :

[Traduction]

Prolongation du contrat à durée déterminée des employés en congé de maladie

[…]

La Région de l’Atlantique a pour pratique de traiter ce genre de situations au cas par cas afin de juger s’il convient de prolonger le contrat. En règle générale, si un employé est en congé de maladie et qu’il peut fournir des renseignements d’ordre médical qui montrent qu’il reviendra au travail avant la fin de son contrat à durée déterminée, ou à tout le moins « dans un avenir prévisible », le contrat est alors prolongé au même titre que celui des autres employés occupant le même poste. Toutefois, si les renseignements d’ordre médical indiquent que l’employé ne sera pas de retour au travail dans un avenir prévisible, il est possible de laisser expirer le contrat à durée déterminée, puis d’aviser l’employé de communiquer avec la direction s’il obtient l’autorisation de son médecin de reprendre le travail ou quand il l’obtiendra. Il sera alors réembauché dans le prochain groupe.

[…]

L’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’entraîne habituellement pas l’obligation de maintenir en poste des employés qui ne sont plus en mesure de respecter dans un avenir prévisible leurs obligations de base par rapport à leur relation d’emploi. L’execution d’un travail en échange d’une rémunération est une obligation fondamentale de la relation d’emploi. Dans le contexte actuel, on pourrait avancer que l’« avenir prévisible » devrait inclure des circonstances où un employé nommé pour une période déterminée ne serait pas en mesure de travailler pour toute la durée de son contrat. La décision d’un tribunal quant à l’absence de discrimination peut dépendre de divers facteurs, dont la durée du contrat et d’autres circonstances relatives à toute relation contractuelle passée ou actuelle (y compris les mesures d’adaptation antérieures); la preuve qu’une mesure d’adaptation est nécessaire pour que l’employé puisse travailler ultérieurement; la durée exigée du contrat futur, et l’incapacité de l’employé à travailler pour une période indéfinie, déterminée ou facile à établir.

[…]

 

[63] Mme Lush, la gestionnaire du fonctionnaire s’estimant lésé, a déclaré dans son témoignage que c’est elle qui décidait si un contrat à durée déterminée était prolongé ou non, mais qu’elle aurait eu besoin d’une très bonne raison pour ne pas suivre la nouvelle politique en matière de relations de travail dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé.

[64] Je conclus sans hésiter que c’est en raison de la politique révisée que l’employeur a refusé toute nouvelle prolongation de l’emploi de durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé pendant qu’il était en congé de maladie. Plus loin, je reviendrai sur les suppositions et le raisonnement sur lesquels s’appuie la politique et sur les obligations de l’employeur, du point de vue des droits de la personne, à prendre des mesures d’adaptation, jusqu’au point de contrainte excessive, à l’égard des employés nommés pour une période déterminée en congé de maladie.

V. Antécédents du fonctionnaire s’estimant lésé à titre d’employé nommé pour une période déterminée

[65] Le fonctionnaire s’estimant lésé a travaillé de façon continue, sans interruption, du 3 janvier 2017 au 22 mai 2018 dans le cadre de sept prolongations de son contrat à durée déterminée. Il a terminé sa période de probation après 12 mois de travail continu à titre d’employé nommé pour une période déterminée.

[66] Les sept contrats à durée déterminée étaient de diverses durées, ce qui était probablement attribuable à la charge de travail. Ils se détaillaient ainsi :

1) Du 3 janvier au 1er mai 2017, à raison de 25 heures par semaine; durée du contrat de 120 jours civils;

2) Du 2 mai au 4 août 2017, à raison de 37,5 heures par semaine; durée du contrat de 94 jours civils;

3) Du 5 août au 8 septembre 2017, à raison de 37,5 heures par semaine; durée du contrat de 35 jours civils;

4) Du 9 septembre au 27 octobre 2017, à raison de 37,5 heures par semaine; durée de contrat de 49 jours civils;

5) Du 28 octobre au 17 novembre 2017, à raison de 37,5 heures par semaine; durée du contrat de 21 jours civils;

6) Du 18 novembre 2017 au 29 mars 2018, à raison de 37,5 heures par semaine; durée du contrat de 133 jours civils;

7) Du 30 mars au 22 mai 2018, à raison de 37,5 heures par semaine; durée du contrat de 52 jours civils.

 

[67] Tous ces contrats à durée déterminée comprenaient une date de fin. Toutefois, ils comprenaient aussi une clause précisant que la durée de l’emploi [traduction] « […] pouvait être prolongée ou écourtée selon les besoins opérationnels et [le] rendement ».

[68] Tous les contrats à durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé ont été prolongés avant leur échéance, et celui-ci a travaillé de façon continue et active à son poste jusqu’en janvier 2018, où il a pris un congé de maladie pour traiter une infection due à sa dialyse.

[69] Après ce congé de maladie en janvier 2018, l’employeur a prolongé l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé une dernière fois, soit du 20 mars au 22 mai 2018, tout en prolongeant le contrat à durée déterminée d’autres employés occupant le même poste.

VI. Le congé de maladie du fonctionnaire s’estimant lésé et les communications avec l’employeur à propos de son retour au travail

[70] La maladie rénale du fonctionnaire s’estimant lésé ne l’a pas empêché de recevoir de la formation et de progresser dans son emploi jusqu’en janvier 2018, où il a commencé à subir des effets secondaires de la dialyse et où un grave ulcère s’est formé sur sa jambe. Pour favoriser le traitement de l’infection, le fonctionnaire s’estimant lésé a dû se rendre à l’hôpital six jours par semaine pour suivre une thérapie hyperbare.

[71] Le 8 janvier 2018, il a fourni à l’employeur un billet de son médecin traitant. Le billet, signé par le Dr. Sean Martin, est formulé ainsi : [traduction] « Madame, Monsieur, M. John Kielley est en arrêt de travail pour une durée indéterminée pour des raisons médicales. Il ne pourra pas travailler jusqu’à nouvel ordre. »

[72] Le 24 janvier 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a épuisé ses jours de congé de maladie payé et a pris un congé de maladie non payé.

[73] Le centre de paye de l’employeur lui a envoyé une lettre le 14 février dans laquelle on lui expliquait la procédure de demande de prestations d’invalidité de longue durée, s’il souhaitait s’en prévaloir.

[74] Le 20 mars, le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé de maladie et l’employeur a renouvelé son contrat à durée déterminée en même temps qu’il offrait la même prolongation aux autres employés nommés pour une période déterminée occupant le même poste. Ce renouvellement prolongeait l’emploi jusqu’au 22 mai 2018. Au moment du renouvellement du contrat du fonctionnaire s’estimant lésé, aucun certificat médical précisant la date exacte de son retour au travail ne lui a été demandé; aucune confirmation médicale de sa capacité à revenir au travail dans un avenir prévisible ne lui a été demandée non plus.

[75] La communication suivante entre le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur a eu lieu le 16 avril 2018. Il a envoyé une mise à jour à son chef d’équipe, Preston Farrell, et l’a avisé de ceci : [traduction] « Les choses ne vont pas si mal jusqu’à maintenant, mais je crois que ça va prendre encore un certain temps avant que je revienne au travail. C’est tellement long, ce processus, et j’avoue que gérer ça me rend fou. »

[76] Il a également demandé à M. Farrell de quelle façon faire un suivi auprès du fournisseur d’assurance-invalidité de longue durée, car il avait perdu son numéro de téléphone. Il a ajouté ceci : [traduction] « Je ne crois pas que j’en aurai besoin longtemps, mais j’essaie de régler tout ça. »

[77] M. Farrell lui a répondu et a demandé : [traduction] « Est-ce que tes médecins t’ont dit quand tu pourrais peut-être revenir au travail? »

[78] Le 17 avril, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu ceci :

[Traduction]

[…]

Malheureusement, les médecins ne veulent pas s’engager sur quoi que ce soit en ce moment, sauf pour dire que tout progresse bien. Tout avance, mais ils me disent que c’est une progression très lente.

Je reçois des traitements 34 heures par semaine – et, crois-moi, j’ai vraiment hâte de revenir au travail! Ce sera comme des vacances de toutes ces patentes médicales!

Dès que les médecins m’en disent plus, je te fais signe.

[…]

 

[79] Après cette mise à jour, M. Farrell a écrit à la conseillère régionale des relations de travail, Rochelle Oliver, le 19 avril, pour lui demander conseil sur la situation du fonctionnaire s’estimant lésé. Il s’est aussi renseigné à savoir si l’employeur devrait demander un formulaire d’évaluation de l’aptitude physique au travail (FEAPT) pour déterminer le travail que le fonctionnaire s’estimant lésé pourrait être apte à faire. Il a écrit ceci :

[Traduction]

[…]

Prolongation pour les employés en congé de longue durée

Bonjour. Un de mes employés, John Kielley, est en congé de longue durée (8 janvier 2018) en raison de complications associées à la dialyse. Son emploi actuel a été prolongé jusqu’au 22 mai et, dans un courriel qu’il m’a envoyé récemment, il a précisé que ses médecins ne lui avaient toujours pas dit quand il pourrait revenir au travail. Je me demandais si nous devions continuer à prolonger son contrat tant que nous prolongeons celui des autres ayant des antécédents semblables ou si je devais cerner ce que John est apte à faire au travail à ce point-ci. Peut-être remplir un FEAPT? Merci. Preston Farrell

[…]

 

[80] Mme Oliver a fourni le conseil ci-dessous le 24 avril, conformément à la nouvelle politique de relations de travail :

[Traduction]

Bonjour, Preston. Pour revenir sur notre conversation d’hier, vu que l’employé est en congé pour des raisons médicales depuis janvier 2018 sans date prévue de retour au travail, nous ne recommandons pas de prolonger son contrat actuel. Je suggérerais de communiquer avec l’employé pour l’aviser que, puisqu’il n’est pas en mesure de revenir au travail, nous ne prolongerons pas son contrat pour l’instant. Toutefois, il demeurera inscrit au répertoire de réembauche. Quand il sera apte à revenir au travail, il devra communiquer avec nous et, si nous embauchons, il pourra revenir à titre d’employé. À ce moment-là, nous aurons aussi besoin d’une attestation médicale.

[…]

 

[81] Cette communication avec les Relations de travail était importante. M. Farrell a ultérieurement affirmé avoir eu l’impression que, par son ton, la réponse de Mme Oliver signifiait que le fonctionnaire s’estimant lésé ne verrait pas son contrat prolongé. Après le courriel de Mme Oliver, tout dépendait de la réception avant la fin du contrat du fonctionnaire s’estimant lésé d’un certificat de retour au travail à une date précise au cours du contrat renouvelé. M. Farrell se demandait pourquoi la direction ne prolongeait pas le contrat du fonctionnaire s’estimant lésé, ne serait-ce que pour le motiver.

[82] En avril et en mai, le fonctionnaire s’estimant lésé a continué son suivi auprès de ses médecins, puisqu’il avait promis de vérifier s’ils pouvaient lui fournir une date de retour prévu au travail.

[83] Le 30 avril, le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit à M. Farrell, déclarant ceci : [traduction] « Preston, mes médecins sont en train de voir s’ils peuvent me fournir un certificat précisant la date où je pourrai retourner au travail. Encore un peu de patience. Je vais voir si je peux l’obtenir rapidement. John ».

[84] Peu de temps après, le 2 mai, M. Farrell lui a répondu et a transmis les conseils qu’il avait reçus de Mme Oliver ainsi : [traduction] « Bonjour, John. Il faudra une autorisation complète de ton médecin. Une fois que tu l’auras obtenue, je t’invite à communiquer avec nous. Nous pourrons alors tenir compte de ta candidature quand nous entamerons la réembauche des employés ».

[85] Le 4 mai, M. Farrell et le fonctionnaire s’estimant lésé ont conclu leurs communications par courriel sur le possible retour au travail de ce dernier par le message suivant :

[Traduction]

Salut Preston,

J’ai eu beau essayer, on dirait bien qu’il n’y aura pas de certificat médical pour encore quelques semaines puisque je suis de retour ici (à l’hôpital). Cette fois, c’est pour un problème différent, mais connexe.

Je te remercie pour ton soutien et pour les efforts que tu as déployés pour me garder dans l’équipe, mais je crois que je vais devoir accepter la décision de la direction, quelle qu’elle soit.

Je vais t’appeler une fois toute l’absurdité de cette situation à l’hôpital derrière moi.

Et juste au cas où j’oublierais de te le dire, bonne chance au CNVR!

John

 

[86] M. Farrell a envoyé une réponse le jour même : [traduction] « Bonjour, John. Je suis désolé d’apprendre que tu es de retour à l’hôpital, mais tu vas t’en sortir. Tu es un battant. Voici mon numéro de cellulaire […] N’hésite pas à m’appeler n’importe quand si tu veux discuter de quelque chose. Bonne chance! Merci. Preston ».

[87] Le 11 mai, M. Farrell a quitté le centre d’appels au profit d’un poste au Centre national de vérification et de recouvrement de St. John’s et a cessé d’être le superviseur immédiat du fonctionnaire s’estimant lésé.

[88] Le fonctionnaire s’estimant lésé a été en mesure d’obtenir un certificat de ses médecins avant la fin de son contrat, le 22 mai 2018. L’employeur a prolongé le contrat à durée déterminée d’autres agents des services aux contribuables occupant le même poste que le fonctionnaire s’estimant lésé pour trois mois, soit du 22 mai à septembre. Il n’a pas offert de prolonger le contrat de ce dernier, et son emploi a pris fin le 22 mai 2018.

[89] Le 6 juin 2018, il a déposé un grief dans lequel il déclare ceci :

[Traduction]

Je conteste la décision de la direction de ne pas prolonger mon contrat en raison de ma déficience. Je crois que cette décision de la direction est discriminatoire sous le régime des lois applicables en matière de droits de la personne et qu’elle contrevient à mes droits en tant qu’employé.

Mesures correctives demandées

Je demande que l’on prolonge mon emploi au même titre que si j’étais actuellement au travail.

Toute autre mesure corrective qui permettrait de m’indemniser entièrement.

 

[90] Ensuite, la demande de prolongation a été retirée, et la demande de mesures correctives a été limitée à des dommages-intérêts.

[91] À l’époque, le fonctionnaire s’estimant lésé avait également fourni une déclaration appuyant son grief :

[Traduction]

Allégations :

Mon contrat n’a pas été prolongé en raison de ma situation médicale.

Faits :

J’ai pris un congé de maladie au début de janvier, puis mon chef d’équipe m’a dit (d’après ce que lui avait dit la « direction ») que, à moins d’obtenir un certificat médical précisant la date où je pourrais revenir au travail et où je serais en pleine forme, mon contrat ne serait pas renouvelé (il s’agit du contrat qui a pris fin le 22 mai 2018). Avant cela, il n’y avait eu aucun problème de rendement.

[Les passages en évidence le sont dans l’original.]

 

VII. La preuve médicale obtenue après le congédiement

[92] Après le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé le 22 mai, des éléments de preuve d’ordre médical concernant son aptitude à s’acquitter de ses tâches usuelles à temps partiel ou après adaptation de son travail ont continué d’être produits à l’employeur au cours de la procédure de règlement du grief. À l’audience, l’employeur a contesté l’admissibilité de tous ces renseignements médicaux, sauf la demande de prestations d’invalidité de longue durée du fonctionnaire s’estimant lésé, qui a été approuvée en novembre 2018. Un résumé de cette preuve obtenue après le congédiement est exposé ci-dessous.

[93] Le 27 juillet 2018, les médecins qui traitaient le fonctionnaire s’estimant lésé au centre des sciences de la santé et qui ont fourni son premier certificat médical le 8 janvier 2018 ont fourni le certificat médical suivant :

[Traduction]

À qui de droit

[…]

La présente lettre a trait à M. John Kielley qui reçoit de temps à autre des services de médecine hyperbare à notre centre. La guérison de ses plaies est très avancée, et il peut se déplacer sans le moindre aide à la marche. Nous sommes d’avis qu’il peut entamer un retour au travail progressif, au besoin.

Si vous avez des questions ou des préoccupations, n’hésitez pas à communiquer avec nous.

[…]

 

[94] Le directeur du centre d’appels de Terre-Neuve a d’abord entendu parler de ce grief le 2 août, au deuxième palier de la procédure de règlement, et a été fort préoccupé par l’affirmation voulant qu’on ait dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il aurait à fournir un certificat médical affirmant qu’il pouvait reprendre le travail à temps plein avant de pouvoir revenir. Le directeur a déclaré qu’il s’agissait pour lui d’information nouvelle et troublante, puis que l’on aurait envisagé la prolongation du fonctionnaire s’estimant lésé s’il y avait eu un FEAPT qui confirmait sa capacité à revenir au travail à temps partiel.

[95] Ainsi, l’employeur a demandé qu’un FEAPT soit rempli pour déterminer l’aptitude au travail du fonctionnaire s’estimant lésé, les limites ou restrictions relatives à ses fonctions, de même que toute mesure d’adaptation que l’employeur pouvait offrir pour lui assurer un retour au travail réussi. Cette mesure faisait aussi partie de la procédure de règlement du grief. M. Farrell avait mentionné ce formulaire à Mme Oliver en avril.

[96] De plus, l’employeur a aussi exigé que le Centre d’expertise de la discrimination et du harcèlement mène une enquête en réaction au grief du fonctionnaire s’estimant lésé. Dans le cadre de celle-ci, le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé à l’enquêteur avoir reçu une autorisation médicale verbale de retour au travail à temps partiel le 29 mai 2018.

[97] Toutefois, il a déclaré ne pas avoir fait de suivi ni fourni le moindre document d’ordre médical à la direction à l’époque, puisqu’il avait déduit des propos de M. Farrell en avril 2018 qu’il n’était pas autorisé à revenir au travail à temps partiel.

[98] Le 7 septembre 2018, le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé a rempli le FEAPT à la demande de l’employeur. Il y a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé était apte à retourner au travail à raison de 2,5 jours par semaine, en augmentant graduellement le nombre de jours et en procédant à une réévaluation toutes les deux semaines.

[99] Le Centre d’expertise de la discrimination et du harcèlement a terminé son enquête en septembre 2019. Il a conclu qu’il y avait eu un malentendu entre le fonctionnaire s’estimant lésé et son chef d’équipe. Ce dernier lui avait dit qu’il avait besoin d’une autorisation médicale complète et non d’une autorisation médicale de retour au travail à temps plein avant que l’employeur lui offre un nouveau contrat. Dans ces circonstances, l’enquêteur a conclu que l’employeur n’avait pas fait preuve de discrimination par rapport aux allégations soulevées à l’audition du grief au deuxième palier, à savoir que l’employeur avait exigé du fonctionnaire s’estimant lésé d’être apte à travailler à temps plein avant de lui proposer un nouveau contrat à durée déterminée.

[100] Le rapport final de l’enquêteur a été déposé avec le consentement des deux parties en partant du principe que, à l’audience, je pourrais étudier la preuve et les déclarations qu’elles ont faites, y compris celle du fonctionnaire s’estimant lésé en cours d’enquête, mais que je n’étais pas lié par la décision de l’enquêteur, c’est-à-dire l’absence de discrimination, puisque la question litigieuse était tout à fait différente de celle sur laquelle je dois me prononcer. Il s’agit en effet de savoir si l’employeur a fait preuve de discrimination envers le fonctionnaire s’estimant lésé quand il a décidé de ne pas prolonger son contrat à durée déterminée en raison de sa déficience.

VIII. La demande de prestations d’invalidité de longue durée

[101] Comme il a été mentionné, le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu des formulaires pour demander des prestations d’invalidité de longue durée en mars 2018, une fois ses jours de congé de maladie payé épuisés. Le 9 novembre 2018, sa demande a été approuvée jusqu’à l’âge de 65 ans et de façon rétroactive au 24 avril 2018. Le fournisseur du régime d’avantages sociaux, la Sun Life, a conclu que, d’après la demande faite en avril, le fonctionnaire s’estimant lésé correspondait à la définition de sa politique qui exige qu’il soit tout à fait incapable d’effectuer les tâches de « son » poste.

[102] Dans sa confirmation de l’approbation envoyée à l’employeur, la Sun Life a précisé avoir [traduction] « jugé que l’état de M. Kielley ne lui permettra pas de reprendre le travail dans un avenir prévisible ». Le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu des prestations d’invalidité de longue durée après l’approbation de sa demande en novembre et n’est jamais retourné au travail.

IX. Analyse du droit applicable

A. La nature d’un emploi pour une période déterminée et d’un emploi pour une période indéterminée

[103] Comme je dois analyser, dans le présent cas, la jurisprudence portant sur la contrainte excessive dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée, j’examinerai brièvement ce qui caractérise un emploi pour une période déterminée et un emploi pour une période indéterminée avant d’examiner comment appliquer la jurisprudence à la situation du fonctionnaire s’estimant lésé, qui était nommé pour une période déterminée.

[104] En common law, les obligations de l’employeur à l’égard d’un employé nommé pour une période déterminée s’éteignent à l’expiration du contrat. L’employeur n’a aucune obligation de lui offrir un nouveau contrat de travail à durée déterminée et, de la même manière, l’employé embauché pour une période déterminée n’a aucune obligation de continuer à travailler pour l’employeur une fois le contrat à durée déterminée expiré.

[105] Les principes de base du droit des contrats s’appliquent à ce type d’emploi. Ainsi, l’employeur qui a toujours du travail à offrir à la fin du contrat à durée déterminée et qui souhaite prolonger l’emploi de la personne doit lui présenter un nouveau contrat aux fins de négociation, lequel sera conclu selon les conditions convenues entre les parties.

[106] Le nouveau contrat de travail pourrait être en vigueur pour une autre période déterminée ou être renouvelable pour plusieurs périodes déterminées. Après un certain temps, s’il y a du travail en quantité suffisante de façon continue et si l’employé a un rendement satisfaisant, ce dernier pourra recevoir une offre d’emploi permanent comprenant les obligations et les avantages qui s’y rattachent.

[107] Il s’agit d’une condition fondamentale du contrat de travail à durée indéterminée que celui-ci puisse être résilié seulement par la délivrance d’un préavis raisonnable ou pour un motif suffisant. Selon la common law, un employeur est tenu de garder en emploi un employé permanent à moins que le contrat ne devienne [traduction] « inexécutable » parce que l’employé, pour une raison quelconque, n’est plus en mesure d’exécuter les tâches habituelles liées au poste.

[108] L’obligation de l’employeur de prendre des mesures destinées à répondre aux besoins d’un employé ayant une déficience tant que celles-ci ne constituent pas une contrainte excessive, obligation qui découle de la législation en matière de droits de la personne, permet de déterminer à quel moment il peut cesser d’employer une personne nommée pour une période déterminée ou indéterminée ne pouvant fournir sa prestation de travail en raison d’absences liées à une déficience.

B. La LCDP

[109] La LCDP a été promulguée en 1977 afin de donner effet au principe selon lequel tous les individus ont droit à l’égalité des chances au sein de la société indépendamment de considérations fondées sur des motifs de discriminations, dont la déficience (voir art. 2 de la LCDP, dans la partie intitulée « Objet »).

[110] Les articles 7 et 15 de la LCDP, qui visent à éviter les actes discriminatoires en matière d’emploi, s’appliquent aux contrats de travail à durée tant déterminée qu’indéterminée. L’acte décrit dans le présent cas, par lequel l’employeur, pour répondre aux exigences du service, offre couramment aux employés nommés pour une période déterminée de prolonger leur contrat dans le but d’avoir constamment du personnel formé en nombre suffisant, doit également être exempt de discrimination.

[111] L’article 7 de la LCDP, qui énonce ce qui constitue un acte discriminatoire, est libellé ainsi :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de discrimination, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

 

on a prohibited ground of discrimination.

 

[112] L’article 7 de la LCDP établit le droit des employés de ne pas faire l’objet d’actes discriminatoires dans le cadre de leur emploi. Quant à l’article 15, il prévoit l’obligation, pour l’employeur, de prendre des mesures destinées à répondre aux besoins d’un employé ayant une déficience tant que ces mesures ne constituent pas une contrainte excessive, à moins qu’il puisse prouver que l’acte commis découle d’une exigence professionnelle justifiée (voir art. 15(1)a)).

[113] Un acte discriminatoire est fondé sur une exigence professionnelle justifiée « […] s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité » (voir art. 15(2) de la LCDP).

[114] Pour s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé ayant une déficience et devant s’absenter de manière chronique tant que les mesures ne constituent pas une contrainte excessive, l’employeur doit évaluer l’état de santé de chaque employé individuellement et prendre toute mesure d’adaptation susceptible d’aider l’employé à se présenter au travail dans un avenir prévisible.

[115] Lorsque l’état de santé d’un employé l’empêche de retourner au travail dans un avenir prévisible, le fait de cesser de l’employer ne constitue pas un acte discriminatoire dans de telles circonstances, puisque l’acte est fondé sur une exigence professionnelle justifiée, comme l’énonce l’article 15(1)a) de la LCDP. Dans ce cas, l’exigence professionnelle justifiée est celle portant que l’employé doit être apte, sur le plan médical, à effectuer le travail pour lequel il a été embauché.

[116] En 2008, dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême du Canada a établi le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un « avenir prévisible » afin de donner des indications sur ce qui constitue une contrainte excessive dans les cas où l’employeur cherche à mettre fin à l’emploi d’un employé permanent en raison d’absences chroniques causées par une déficience. Dans la jurisprudence publiée, le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un « avenir prévisible » a été appliqué dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée, sans date prévue de fin d’emploi.

[117] Le critère prévoit essentiellement que l’employeur n’a plus l’obligation contractuelle de poursuivre la relation de travail lorsqu’il est raisonnable pour lui de conclure, selon les antécédents d’absentéisme de l’employé et une évaluation des renseignements médicaux à sa disposition, qu’il ne peut plus répondre aux besoins de l’employé ayant une déficience et que ce dernier ne pourra pas retourner au travail dans un avenir prévisible.

[118] Dans le présent grief, la principale question porte sur la façon d’interpréter l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation tant que celles-ci ne constituent pas une contrainte excessive et le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un « avenir prévisible », et sur leur application à la présente situation, compte tenu de l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé et de la relation de travail qui reposait sur plusieurs contrats renouvelables à durée déterminée.

C. L’application de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation dans les cas de déficience de l’employé – Le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un avenir prévisible dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée

[119] Dans l’arrêt Hydro-Québec rendu en 2008, dans lequel elle a établi le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un « avenir prévisible », la Cour suprême du Canada a insisté sur l’importance d’évaluer chaque personne individuellement et a formulé les indications suivantes :

[…]

[17] En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l’employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l’employé de fournir sa prestation de travail, l’employeur devra alors ainsi accommoder l’employé. Ainsi, dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, 2007 CSC 4, l’employeur avait autorisé des absences non prévues à la convention collective. De même, en l’espèce, Hydro-Québec a tenté pendant plusieurs années d’adapter les conditions de travail de la plaignante : aménagement physique du poste de travail, horaires à temps partiel, attribution d’un nouveau poste, etc. Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive.

[18] L’incapacité totale d’un salarié de fournir toute prestation de travail dans un avenir prévisible n’est donc pas le critère de détermination de la contrainte excessive. Lorsque les caractéristiques d’une maladie sont telles que la bonne marche de l’entreprise est entravée de façon excessive ou lorsque l’employeur a tenté de convenir de mesures d’accommodement avec l’employé aux prises avec une telle maladie, mais que ce dernier demeure néanmoins incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible, l’employeur aura satisfait à son obligation. Dans ces circonstances, l’impact causé par la norme est légitime et le congédiement sera réputé non discriminatoire. Je reprends à mon compte l’énoncé de la juge Thibault dans l’arrêt que cite la Cour d’appel, Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), [2005] R.J.Q. 944, 2005 QCCA 311, « [dans ces cas] ce n’est pas tant son handicap qui fonde la mesure de congédiement que son incapacité de remplir les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail » (par. 76).

[19] L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

[…]

 

[120] Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême du Canada a jugé qu’étaient parfaitement conciliables le droit quasi constitutionnel des employés, découlant de la législation sur les droits de la personne, de ne pas faire l’objet de discrimination et les règles générales du droit du travail selon lesquelles les employés doivent être en mesure de fournir la prestation de travail pour laquelle ils ont été embauchés afin de conserver leur emploi pour une période indéterminée. L’obligation qui incombe à l’employeur de prendre des mesures d’adaptation cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

[121] Après que la Cour suprême eut rendu cet arrêt, dans pratiquement tous les cas d’absentéisme chronique où il fallait juger si une contrainte excessive était imposée à l’employeur, la preuve pertinente a été appréciée en vue d’établir si, selon la prépondérance des probabilités, « […] les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne p[ouvai]ent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible ».

[122] Dans certains cas, selon la maladie ou la déficience concernée et les renseignements médicaux à la disposition de l’employeur, il peut être très difficile pour ce dernier de procéder à une telle évaluation. Les traitements médicaux, par leur nature même, sont conçus pour soigner ou soulager les problèmes de santé qui ont amené l’employé à s’absenter en premier lieu. Il peut cependant être difficile pour les médecins d’établir avec certitude l’évolution et l’issue d’une maladie dans un avenir prévisible.

[123] De plus, dans le cas d’un emploi permanent, la période qui constitue un avenir prévisible peut varier considérablement selon le lieu de travail, l’état de santé de l’employé concerné et l’évolution du pronostic indiquant le rétablissement de la personne ou la progression de la maladie dans un avenir prévisible.

[124] Il n’est tout simplement pas possible de déterminer à l’avance ce qui constitue un « avenir prévisible » et à quel moment il sera justifié et non discriminatoire de cesser d’employer la personne.

[125] Dans l’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 (« McGill »), la convention collective prévoyait que l’employeur pouvait mettre fin à l’emploi d’une personne au terme d’un congé de trois ans et, dans ce cas, l’employée avait été absente depuis plus de trois ans. Aux paragraphes 22 et 28 de l’arrêt McGill, la Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi :

22 Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé. En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise. Tout au long de la relation d’emploi, l’employeur doit s’efforcer d’accommoder l’employé […] L’obligation de l’employeur, du syndicat et de l’employé est d’arriver à un compromis raisonnable. L’accommodement raisonnable est donc incompatible avec l’application mécanique d’une norme d’application générale. En ce sens, le syndicat a raison de dire que la détermination de la mesure de l’accommodement ne peut reposer sur l’application aveugle d’une clause conventionnelle. L’arbitre peut examiner la norme prévue par la convention collective pour s’assurer que son application satisfait à l’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur.

[…]

28 Bref, on ne saurait conclure que l’accommodement prévu par la convention collective constitue une réponse complète à la plainte d’un employé qui réclame un accommodement supplémentaire. Pas plus qu’on ne peut affirmer que l’avantage incorporé à la convention collective ne doit pas être pris en compte dans l’appréciation globale de la mesure d’accommodement consentie par l’employeur.

 

[126] Voici un résumé des principes clés établis par la Cour suprême du Canada relativement à l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation tant que celles-ci ne constituent pas une contrainte excessive, dans les cas qui concernent le licenciement d’un employé permanent ayant une déficience :

1) L’employeur a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à ce qu’il puisse démontrer « qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu » (voir Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 49);

2) « L’utilisation de l’adjectif “excessive” suppose qu’une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte “excessive” répond à ce critère » (voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, à la p. 984);

3) « Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé. En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise » (voir McGill, au par. 22);

4) « En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter » (voir Hydro-Québec, au par. 17);

5) Dans les cas d’absentéisme chronique ou d’incapacité d’un employé permanent, « […] si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive » (voir Hydro-Québec, au par. 17).

 

[127] Comme je le mentionne plus haut, la question est de savoir comment analyser les principes établis par la Cour suprême du Canada relativement à la contrainte excessive et les appliquer à la présente situation, où l’employeur a l’habitude de prolonger les contrats de travail des employés nommés pour une période déterminée en fonction des exigences du service et où l’employé est absent du travail pour des raisons médicales liées à sa déficience.

X. Position des parties

A. La position de l’employeur

[128] L’argument de l’employeur repose principalement sur les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec. L’employeur a fait valoir que la Cour suprême avait conclu, dans cet arrêt, que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation cessait là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne pouvaient plus être remplies par l’employé.

[129] L’employeur a également renvoyé aux paragraphes 1, 4, 171, 256 et 279 de la récente décision de la Commission Babb c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 42 (confirmée par 2022 CAF 55; « Babb CAF »). Dans ce cas, la Commission, qui s’était appuyée sur l’arrêt Hydro-Québec, avait confirmé la décision de l’employeur de licencier un employé nommé pour une période indéterminée parce que ce dernier n’avait pas été capable de démontrer qu’il pouvait retourner travailler dans un avenir prévisible.

[130] Dans le présent cas, l’avocat de l’employeur a fait valoir que la jurisprudence traitant du concept d’avenir prévisible, dans laquelle les tribunaux ont analysé ce qui constituait une contrainte excessive pour un employeur devant prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé permanent, établissait un [traduction] « critère » sur lequel la Commission pouvait s’appuyer pour juger si l’ARC avait atteint le seuil de la contrainte excessive lorsqu’elle avait décidé de ne pas renouveler le contrat de travail à durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé.

[131] L’employeur a fait valoir que, de façon générale, la nouvelle politique de relations de travail énonçait correctement l’obligation qui lui incombait de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé en congé de maladie nommé pour une période déterminée. L’employeur n’était pas tenu de renouveler un contrat à durée déterminée, sauf si l’employé pouvait fournir, avant la fin du contrat en vigueur, un certificat médical attestant qu’il serait capable de retourner travailler pendant la période visée par le prochain renouvellement du contrat.

[132] L’employeur a soutenu qu’aucune preuve médicale ne confirmait que le fonctionnaire s’estimant lésé était apte à retourner au travail pendant la période visée par le prochain contrat. Le seul certificat médical au dossier, présenté le 8 janvier, soit la date de début du congé de maladie, était formulé ainsi : [traduction] « M. John Kielley est en arrêt de travail pour une durée indéterminée pour des raisons médicales. Il ne pourra pas travailler jusqu’à nouvel ordre. »

[133] Des éléments de preuve et des courriels échangés en avril et en mai entre l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé démontrent que ce dernier savait qu’il devait obtenir une date de retour au travail pour que son contrat soit renouvelé. Malgré ses tentatives en ce sens, il n’a pas réussi à en obtenir une de ses médecins avant la fin de son contrat de travail, le 22 mai. Selon ces renseignements, il était raisonnable pour l’employeur de conclure que son employé ne pouvait pas retourner au travail dans un avenir prévisible.

[134] L’employeur a soulevé une objection relativement à la preuve médicale de juillet et de septembre 2018 qui lui avait été présentée par l’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé après qu’il avait cessé d’employer ce dernier. La preuve confirmait que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu reprendre le travail de façon progressive pendant la période visée par le prochain contrat, mais l’employeur n’avait pas ou n’aurait pas pu avoir l’information avant le 22 mai, lorsqu’il a décidé de laisser le contrat de travail expirer.

[135] L’employeur a toutefois soutenu que je pouvais prendre en compte la preuve présentée après qu’il eut cessé d’employer le fonctionnaire s’estimant lésé lorsque celle-ci permettait de [traduction] « juger » du caractère raisonnable de la décision au moment où elle a été rendue. De ce point de vue, l’employeur a fait valoir que la décision de novembre 2018 par laquelle la Sun Life avait approuvé la demande de prestations d’invalidité de longue durée, présentée le 18 avril par le fonctionnaire s’estimant lésé, était admissible parce que l’évaluation portait sur l’état de santé passé de ce dernier et aidait à [traduction] « juger » de sa capacité à travailler dans un avenir prévisible. La question de la preuve présentée après que l’employeur eut cessé d’employer le fonctionnaire s’estimant lésé sera traitée plus loin dans la présente décision, au paragraphe 172.

[136] L’avocat de l’employeur a soutenu que la preuve à la disposition de ce dernier le 22 mai lui permettait de s’acquitter de son fardeau de prouver que sa décision n’était pas discriminatoire, parce que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas pu fournir, avant la fin de son contrat, une date de retour au travail approuvée par son médecin. La seule preuve médicale qui était à la disposition de l’employeur à ce moment-là indiquait que le fonctionnaire devait être en [traduction] « arrêt de travail pour une durée indéterminée pour des raisons médicales ».

[137] L’avocat de l’employeur a aussi fait valoir que ce dernier n’était pas resté les bras croisés, sans prendre de mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé, et qu’il importait de souligner qu’après le début du congé de maladie du fonctionnaire en janvier, l’employeur avait prolongé le contrat de travail pour une autre période de deux mois, soit du 21 mars au 22 mai.

[138] Par conséquent, l’employeur a soutenu que sa décision était raisonnable et non discriminatoire, qu’elle était fondée sur les exigences du service et qu’il ne s’était pas soustrait à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de M. Kielley tant que celles-ci ne constituaient pas une contrainte excessive, étant donné qu’il était impossible de répondre aux besoins d’un employé dans l’incapacité de remplir les obligations fondamentales de son poste.

[139] En ce qui a trait aux mesures de réparation, l’employeur a fait valoir, dans l’éventualité où je concluais qu’il ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait, que je devais tenir compte des mesures d’adaptation qu’il avait prises à l’égard de la déficience du fonctionnaire s’estimant lésé et que je devais refuser d’accorder les indemnités sollicitées par ce dernier, parce qu’elles visaient les licenciements d’employés permanents. De plus, si le contrat du fonctionnaire avait été renouvelé, il ne l’aurait été que jusqu’au mois d’août.

[140] Tous ces facteurs énoncés dans les observations de l’employeur indiquent que les indemnités pour atteinte aux droits de la personne, si elles sont accordées, devraient se situer à l’extrémité inférieure de l’échelle.

B. La position du fonctionnaire s’estimant lésé

[141] L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que les employés ont un droit [traduction] « quasi constitutionnel », découlant de la législation en matière de droits de la personne, de ne pas faire l’objet de discrimination en emploi fondée sur la déficience, et ce, qu’ils soient nommés pour une période déterminée ou indéterminée. Le fait que l’embauche du fonctionnaire s’estimant lésé s’est faite au moyen de plusieurs contrats à durée déterminée ne dispense pas l’employeur de respecter l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de sa déficience tant que celles-ci ne constituent pas une contrainte excessive. Le fonctionnaire s’estimant lésé a perdu son emploi en raison de sa déficience. Ce fait incontesté oblige l’employeur à prouver, au titre de l’article 15 de la LCDP, que les mesures destinées à répondre aux besoins de son employé constituaient une contrainte excessive.

[142] L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que les parties avaient deux positions différentes sur ce qui constituait une contrainte excessive dans le présent cas. Selon l’employeur, qui s’appuie sur le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un « avenir prévisible » établi dans l’arrêt Hydro-Québec, il y a contrainte excessive lorsqu’aucune information médicale ne confirme que l’employé pourra retourner au travail pendant la période visée par le prochain renouvellement du contrat.

[143] Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il ne s’agit pas de la norme applicable et que ce qui constituait un « avenir prévisible » devait être évalué selon la situation propre à chaque employé. Il incombait à l’employeur d’établir, sur la base des faits, qu’il n’existait aucune probabilité raisonnable que le fonctionnaire s’estimant lésé soit apte à retourner au travail dans un avenir prévisible. L’employeur ne pouvait pas imposer une norme selon laquelle l’avenir prévisible correspondait à la durée du prochain contrat.

[144] L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la question centrale était celle de savoir si l’employeur avait atteint le seuil de la contrainte excessive lorsqu’il avait décidé de mettre fin à la relation de travail.

[145] Il a été convenu que l’information à la disposition de l’employeur le 22 mai, lorsqu’il avait décidé de ne pas renouveler le contrat du fonctionnaire s’estimant lésé, était importante, mais qu’il avait avant tout agi en l’absence d’information. Il ne disposait que d’un certificat médical de 20 mots déposé en janvier, lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé était parti en congé de maladie pour la première fois.

[146] L’employeur aurait pu communiquer avec les médecins du fonctionnaire s’estimant lésé et leur demander de remplir un formulaire médical, comme un FEAPT, avant de mettre fin à la relation de travail, et il n’aurait subi aucune contrainte excessive en raison de cette démarche. Celle-ci aurait pu donner des résultats favorables comme défavorables, mais elle aurait permis d’obtenir beaucoup plus de renseignements sur la situation de l’employé dans un avenir prévisible.

[147] Il s’avère que l’employeur a bel et bien demandé un FEAPT en juin, après qu’il eut cessé d’employer le fonctionnaire s’estimant lésé et durant la procédure de grief. Le FEAPT a été reçu en septembre et confirmait que le fonctionnaire s’estimant lésé était apte à retourner au travail en respectant certaines conditions.

[148] L’avocat de l’employeur a soutenu que la Commission ne devait pas tenir compte de cet élément de preuve, puisque celui-ci n’était pas à la disposition de l’employeur lorsqu’il avait rendu sa décision. L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’employeur ne pouvait pas empêcher la prise en compte du FEAPT à titre d’élément de preuve présenté [traduction] « après que l’employeur eut cessé d’employer le fonctionnaire », étant donné que l’employeur avait demandé à l’obtenir durant la procédure de grief afin de répondre à des allégations soulevées dans ce dernier.

XI. Analyse et décision

A. L’employeur n’a pas utilisé une démarche adéquate pour évaluer la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé à retourner au travail dans un avenir prévisible

[149] Je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il avait atteint le seuil de la contrainte excessive, puisqu’il n’a pas utilisé une démarche adéquate pour apprécier la preuve à sa disposition et conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas apte à retourner au travail dans un avenir prévisible.

[150] La politique de l’employeur concernant la prolongation des contrats des employés en congé de maladie nommés pour une période déterminée indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] De façon générale, si un employé en congé de maladie peut fournir des renseignements médicaux montrant qu’il retournera au travail avant la fin de son contrat à durée déterminée ou, à tout le moins, dans un « avenir prévisible », le contrat sera alors prolongé comme celui des autres employés occupant le même poste. Toutefois, si des renseignements médicaux indiquent que l’employé ne retournera pas au travail dans un avenir prévisible, l’employeur peut décider de laisser le contrat expirer naturellement et informer l’employé qu’il peut communiquer avec la gestion s’il est autorisé à retourner au travail afin d’être réembauché avec le prochain groupe.

[…]

 

[151] Mme Lush a témoigné que, selon sa compréhension de la nouvelle politique, un employé en congé de maladie ne verrait pas son contrat de travail prolongé à moins qu’il puisse présenter un certificat médical confirmant son aptitude à retourner au travail durant la période visée par le renouvellement du contrat. Elle a déclaré ceci : [traduction] « En fin de compte, il n’était pas disponible pour exécuter le contrat. C’est pourquoi nous ne lui avons pas offert de le prolonger. »

[152] Cette position, énoncée par Mme Lush et dans la nouvelle politique de relations de travail, concorde avec les obligations, en common law, d’un employeur à l’égard d’un employé nommé pour une période déterminée. Selon la common law, l’employeur n’a aucune obligation d’offrir un contrat à durée déterminée à un employé si celui-ci n’est pas disponible pour fournir la prestation de travail demandée.

[153] À mon avis toutefois, par sa nouvelle politique concernant la prolongation des contrats à durée déterminée des employés en congé de maladie, l’employeur confond ses obligations à l’égard des employés nommés pour une période déterminée découlant de la common law et son obligation, lorsqu’il prolonge des contrats à durée déterminée en vue de répondre aux exigences du service, de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des employés ayant une déficience tant que ces mesures ne constituent pas une contrainte excessive. Plus précisément, par sa politique, l’employeur interprète mal comment il faut appliquer le critère fondé sur la capacité de l’employé à fournir sa prestation de travail dans un « avenir prévisible » lorsqu’il examine s’il doit prolonger les contrats de travail à durée déterminée.

[154] Dans le présent cas, puisque l’employeur dépend de l’embauche continue d’employés nommés pour des périodes déterminées afin de répondre aux futures exigences du service, et comme je le fais remarquer plus loin, je juge que l’ancienne politique, par laquelle il prolongeait les contrats des employés en congé de maladie nommés pour une période déterminée s’il prolongeait celui des autres employés occupant le même poste, cadre avec son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard des employés en congé de maladie nommés pour une période déterminée. Il n’est cependant pas possible d’en dire autant de la nouvelle politique.

[155] Lorsqu’il s’agit d’analyser si un employé en congé de maladie nommé pour une période déterminée sera en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, l’avenir prévisible à considérer par l’employeur afin de ne pas faire preuve de discrimination correspond à la période pour laquelle les exigences du service justifieront qu’il prolonge, de façon générale, les contrats de travail des employés nommés pour une période déterminée occupant le même poste. Selon la nouvelle politique de l’employeur, si un employé en congé de maladie ne peut démontrer qu’il pourra retourner au travail avant la fin de la période visée par le prochain renouvellement du contrat, il ne sera pas réembauché. Cette ligne directrice fait en sorte qu’un employé ayant un contrat à durée déterminée peut être en congé de maladie seulement jusqu’à la fin de la période visée par la prochaine prolongation du contrat.

[156] Comme l’a fait remarquer l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé, la prolongation, par l’employeur, du congé de maladie du fonctionnaire s’estimant lésé ne lui aurait pas vraiment occasionné de contrainte excessive, pourvu qu’il y ait des tâches à lui faire faire lorsque l’employé aurait été apte à retourner au travail. Dans ces circonstances, la mesure d’adaptation que l’employeur devait prendre consistait simplement à prolonger le congé non payé du fonctionnaire. Le fait de permettre à un employé ayant une déficience de poursuivre son congé non payé ne constitue pas une contrainte excessive pour l’employeur et protège les futures chances d’emploi du fonctionnaire, qui pourra ainsi accumuler des années de service lui permettant, à la longue, de bénéficier d’avantages sociaux et de possiblement obtenir un emploi permanent s’il est autorisé par le médecin à retourner au travail.

[157] L’ancienne politique de l’employeur, par laquelle il prolongeait les contrats de travail surtout en fonction des exigences du service, tenait également compte de la nécessité d’obtenir un pronostic clair avant de prendre des mesures pour mettre fin à l’emploi d’une personne nommée pour une période déterminée ayant une déficience. Comme c’était le cas pour le fonctionnaire s’estimant lésé, le traitement de certaines maladies peut prendre plus de temps que la durée du prochain contrat, mais peut néanmoins prendre fin pendant que l’employeur a toujours besoin d’employés nommés pour une période déterminée afin de répondre aux exigences du service. L’employeur peut accorder ce délai sans contrainte excessive.

[158] La nouvelle politique de l’employeur accroît la pression sur un employé ayant une déficience, comme le fonctionnaire s’estimant lésé, afin qu’il obtienne un certificat médical de retour au travail avant la date de fin du contrat en vigueur. De plus, ce certificat médical doit confirmer que l’employé sera apte à retourner travailler dans un délai déterminé. Selon l’employeur, il s’agit de l’approche indiquée pour définir ce qui constitue un « avenir prévisible » dans le cas des agents des services aux contribuables nommés pour une période déterminée au centre d’appel et de renseignements de Terre-Neuve, comme le fonctionnaire s’estimant lésé.

[159] La nouvelle politique pose plusieurs problèmes, dont le principal est qu’elle vise à déterminer à l’avance ce qui constitue une contrainte excessive en ce qui a trait à toute prolongation de contrat. Dans le cas d’un employé nommé pour une période déterminée, l’employeur juge que l’avenir prévisible correspond à la période visée par le prochain contrat à durée déterminée. Si l’employé n’est pas en mesure de retourner au travail pendant cette période (à savoir, dans un avenir prévisible), l’employeur considère alors qu’il subit une contrainte excessive et qu’il n’a pas à prendre d’autres mesures d’adaptation à l’égard d’un employé ayant une déficience.

[160] Le fonctionnaire s’estimant lésé avait vu son contrat prolongé pour des périodes allant de 21 à 133 jours civils. La durée de son dernier contrat était de 52 jours. À mi-chemin au cours de celui-ci, pendant qu’il était en congé de maladie, il a été informé qu’il devait obtenir un certificat médical avant la fin du contrat, sans quoi ce dernier ne serait pas renouvelé. L’employeur n’a pas respecté ses obligations en matière de droits de la personne lorsqu’il a déterminé à l’avance, par une politique, à quel moment il subit une contrainte excessive en calculant combien de temps un employé nommé pour une période déterminée peut s’absenter pour des raisons médicales avant d’être considéré comme inapte à retourner au travail dans un avenir prévisible sur la base des périodes variables et arbitraires de renouvellement des contrats.

[161] L’approche énoncée dans la nouvelle politique de relations de travail signifie essentiellement qu’un employé en congé de maladie nommé pour une période déterminée sera jugé inapte à retourner au travail dans un avenir prévisible s’il ne peut fournir un certificat médical, avant la fin du contrat en vigueur, confirmant un retour au travail pendant la période visée par le prochain renouvellement de contrat. Le licenciement qui en découlera sera jugé non discriminatoire par l’employeur. À mon avis, la nouvelle politique ne semble pas éliminer les obstacles auxquels sont confrontés les employés du centre d’appel qui ont une déficience et qui sont nommés pour une période déterminée, mais semble plutôt les accroître.

[162] Dans un environnement de travail comme celui du centre d’appel de l’ARC à Terre-Neuve, où les activités dépendent de la nomination d’employés pour une période déterminée et de la prolongation de leurs contrats en raison des besoins qui varient selon la période de l’année, l’avenir prévisible, en ce qui concerne les postes pourvus par des prolongations de contrats à durée déterminée, pourrait facilement correspondre à plusieurs mois de plus que la période visée par le prochain renouvellement de contrat. À mon avis, lorsqu’un employeur doit évaluer si un employé en congé de maladie sera apte à retourner au travail dans un avenir prévisible, il convient bien davantage, et il est beaucoup moins discriminatoire pour lui, de considérer que cet avenir prévisible correspond à la période pour laquelle il a besoin d’employés nommés pour une période déterminée occupant le même poste que le fonctionnaire en congé; c’est le sens dans lequel la Cour suprême du Canada entendait le terme « avenir prévisible » dans l’arrêt Hydro-Québec. Cette façon de faire permettrait aux employés en congé de maladie de bénéficier de la période pour laquelle ils seraient autrement en emploi pour obtenir un certificat médical confirmant leur aptitude à retourner travailler auprès de leurs collègues. Si l’employeur, en raison d’un ralentissement des activités, décide qu’il n’a plus besoin de prolonger les contrats des employés nommés pour une période déterminée occupant le même poste que le fonctionnaire en congé de maladie, il ne serait alors pas discriminatoire de traiter l’employé en congé de maladie de la même façon que les autres et de ne pas prolonger son contrat. Dans une telle situation, tous les employés nommés pour une période déterminée seraient traités de la même manière. Tous subiraient les mêmes conséquences contractuelles liées à l’interruption de leurs années de service et tous bénéficieraient de la même possibilité d’être [traduction] « réembauchés », selon les termes de l’organisation, si les besoins augmentent.

[163] Étant donné ma conclusion selon laquelle l’employeur n’a pas utilisé une démarche adéquate pour évaluer la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé à retourner au travail dans un avenir prévisible, l’argument de l’ARC portant que ses actes n’étaient pas discriminatoires parce qu’elle avait atteint le seuil de la contrainte excessive, d’après les principes établis dans l’arrêt Hydro-Québec, doit être rejeté.

[164] La politique de l’employeur l’empêchait à tort de prendre en compte tous les éléments de preuve pertinents de nature médicale concernant l’aptitude du fonctionnaire s’estimant lésé à retourner au travail dans un avenir prévisible.

[165] L’application de la politique de l’employeur pose une autre difficulté lorsqu’il s’agit de prolonger les contrats des employés en congé de maladie nommés pour une période déterminée. Puisque la politique exige qu’un employé en congé de maladie nommé pour une période déterminée présente un certificat médical avant la fin du contrat en vigueur, cette période devient un délai obligatoire et arbitraire à l’intérieur duquel il doit présenter un certificat médical de retour au travail. Si un employé, comme le fonctionnaire s’estimant lésé, s’avérait incapable de convaincre son médecin de lui fournir un tel certificat dans ce bref délai ou, subsidiairement, s’il était incapable de se soumettre aux évaluations médicales nécessaires pour que son médecin l’autorise à retourner au travail dans un avenir prévisible, il n’obtiendrait alors aucune prolongation de contrat et il n’aurait plus d’emploi à l’expiration du contrat en cours, conformément à la politique.

[166] C’est précisément ce qui est arrivé au fonctionnaire s’estimant lésé dans le présent cas, malgré ses efforts soutenus en vue d’obtenir un certificat médical lui permettant de retourner travailler. Les Relations de travail, au lieu de prendre en compte la situation personnelle du fonctionnaire s’estimant lésé et de lui accorder plus de temps pour obtenir un certificat médical à jour, ont plutôt informé M. Farrell que le contrat du fonctionnaire s’estimant lésé ne serait pas prolongé s’il ne pouvait pas fournir un certificat médical de retour au travail avant le 22 mai.

[167] Comme l’a déclaré M. Farrell, après l’intervention des Relations de travail, tout dépendait de l’obtention d’un certificat médical avant le 22 mai, comme l’exigeait la politique.

[168] La Cour suprême du Canada a insisté à plusieurs reprises sur le fait que l’employeur, dans le cadre de son obligation de prendre des mesures d’adaptation, devait tenir compte de la situation propre à chaque personne. Dans le présent cas, la politique a été appliquée machinalement, et aucune exception n’a été envisagée pour le fonctionnaire s’estimant lésé, même après la transmission de renseignements médicaux à jour.

[169] Récemment, dans l’arrêt Babb CAF, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes concernant l’importance, pour l’employeur, de faire preuve de souplesse :

[…]

[49] […] Comme nous l’avons vu dans l’arrêt Hydro-Québec, lorsqu’il s’agit de restreindre l’obligation d’accommodement de l’employeur, l’obligation implique que l’employeur fasse preuve de souplesse dans l’application de sa norme si cet assouplissement permet à l’employé en question de retourner au travail sans que l’employeur ne subisse une contrainte excessive (Hydro-Québec au para. 13).

[…]

 

[170] La communication ci-après, qui a été envoyée à M. Farrell le 4 mai par le fonctionnaire s’estimant lésé et qui portait sur la difficulté de ce dernier à obtenir un certificat médical avant la date limite imposée par la politique de relations de travail, montre que celle-ci permettait peu de souplesse et de considération à l’égard de la situation personnelle du fonctionnaire. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait promis de transmettre un certificat médical à jour dans un bref délai, mais la politique ne permettait pas à l’employeur de lui accorder ne serait-ce que quelques semaines pour en obtenir un :

[Traduction]

Salut Preston,

J’ai eu beau essayer, on dirait bien qu’il n’y aura pas de certificat médical pour encore quelques semaines puisque je suis de retour ici (à l’hôpital). Cette fois, c’est pour un problème différent, mais connexe.

Je te remercie pour ton soutien et pour les efforts que tu as déployés pour me garder dans l’équipe, mais je crois que je vais devoir accepter la décision de la direction, quelle qu’elle soit.

Je vais t’appeler une fois toute l’absurdité de cette situation à l’hôpital derrière moi.

Et juste au cas où j’oublierais de te le dire, bonne chance au NCVR!

John

 

[171] Comme le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait fourni aucun certificat médical avant le 22 mai, son contrat de travail a expiré et l’employeur n’a pas pris en compte les renseignements médicaux pertinents, indiqués ci-dessous, que le fonctionnaire lui avait transmis peu de temps après :

· Le 2 août, à l’audition tenue au deuxième palier de la procédure de grief, le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué avoir reçu le 29 mai, soit sept jours après la fin de son contrat, l’autorisation verbale de ses médecins pour retourner travailler à temps partiel;

· Le 27 juillet, les médecins du fonctionnaire s’estimant lésé ont confirmé que ses blessures étaient guéries et qu’il pouvait retourner travailler progressivement;

· En septembre 2018, le FEAPT demandé par l’employeur durant la procédure de grief avait été rempli et confirmait que le fonctionnaire s’estimant lésé était apte à retourner progressivement au travail en respectant certaines conditions.

 

[172] À l’audience, l’employeur a contesté l’admissibilité et la pertinence de ces éléments de preuve médicaux au motif qu’ils avaient été présentés après que l’employeur eut cessé d’employer le fonctionnaire. L’employeur s’est appuyé sur le principe énoncé par la Cour suprême du Canada aux paragraphes 3, 13 et 14 de l’arrêt Cie minière Québec Cartier c. Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 RCS 1095, portant que la preuve [traduction] « postérieure à la cessation d’emploi » ne doit être examinée que si elle aide à juger du caractère raisonnable de la décision au moment où elle a été rendue.

[173] Toutefois, je suis d’avis que ce ne sont pas les principes relatifs à la preuve postérieure à la cessation d’emploi qui ont empêché l’employeur de tenir compte de ces éléments de preuve pertinents de nature médicale, mais plutôt les lignes directrices inadéquates et la définition erronée d’un avenir prévisible énoncées dans sa politique. De plus, l’employeur a appliqué la politique sans faire d’exception pour prendre en compte la situation personnelle du fonctionnaire s’estimant lésé.

[174] Si l’employeur avait adopté une démarche non discriminatoire pour décider s’il prolongeait les contrats des employés en congé de maladie nommés pour une période déterminée, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait obtenu une prolongation de son contrat et aurait pu présenter les renseignements médicaux mêmes que l’employeur cherchait à obtenir relativement à son futur retour au travail. Ces renseignements confirmaient d’ailleurs que le fonctionnaire aurait été apte, dans une certaine mesure, à retourner travailler dans un avenir prévisible. Dans ce contexte, je juge pertinents et admissibles les renseignements médicaux que le fonctionnaire s’estimant lésé a présentés après que l’employeur eut cessé de l’employer.

[175] Lorsque ces renseignements médicaux sont pris en compte, rien ne permet d’étayer l’argument de l’employeur selon lequel il avait atteint le seuil de la contrainte excessive. Les renseignements démontrent que le fonctionnaire s’estimant lésé était apte à retourner au travail dans un avenir prévisible et même fort probablement pendant la période visée par la prochaine prolongation du contrat.

[176] La preuve présentée par les parties concernant la durée de la prochaine prolongation du contrat était étonnamment vague, mais il a été convenu que les contrats des agents des services aux contribuables occupant le même poste que le fonctionnaire s’estimant lésé étaient prolongés au moins jusqu’en septembre, et peut-être même jusqu’à la prochaine période de production des déclarations de revenus, ce qui aurait inclus la période creuse de l’automne.

[177] Les parties étaient d’accord pour dire que le centre d’appel était en période de croissance à ce moment-là, et M. Farrell, le chef d’équipe du fonctionnaire s’estimant lésé, a témoigné que ce dernier était très près d’occuper un poste lui permettant de travailler tout au long de l’année. La décision de l’employeur de ne plus prolonger le contrat de travail à durée déterminée du fonctionnaire l’a privé de cette chance d’emploi future.

[178] Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, j’accueille le grief. Je conclus que l’employeur n’a pas respecté la LCDP lorsqu’il a refusé de prolonger de nouveau le contrat de travail à durée déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé pendant que ce dernier était en congé de maladie.

XII. Mesures de réparation

[179] À l’audience, la succession a demandé les mesures de réparation suivantes :

· une déclaration selon laquelle l’employeur a agi de manière contraire à la LCDP;

· une indemnité pour le préjudice moral causé au fonctionnaire s’estimant lésé en raison des actes discriminatoires commis par l’employeur;

· toute autre mesure de réparation jugée juste et équitable dans les circonstances.

 

[180] En vertu de l’article 226(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), la Commission peut rendre les ordonnances prévues aux articles 53(2)e) et 53(3) de la LCDP; ces deux dernières dispositions sont libellées ainsi :

[…]

53 (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

53 (2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

[…]

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice willfully or recklessly.

[…]

 

[181] Rien n’indique que la conduite de l’employeur dans le présent cas était délibérée ou inconsidérée et, par conséquent, je ne lui ordonne pas de payer une indemnité au fonctionnaire s’estimant lésé au titre de l’article 53(3) de la LCDP.

[182] Aux paragraphes 104 à 107 de la décision Rogers c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 101, la vice-présidente de la Commission, Marie-Claire Perreault, a examiné les principes pris en compte par le TCDP et la Commission lorsqu’il s’agissait d’indemniser, au titre de l’article 53(2)e) de la LCDP, une victime ayant souffert un préjudice moral. Elle s’est exprimée ainsi :

104 Dans les cas devant le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) et la présente Commission, ainsi que celle qui l’a précédée, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), l’indemnité à titre de préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) et l’indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP varient beaucoup.

105 Dans Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale) et Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 110, l’arbitre de grief a examiné un certain nombre de décisions rendues par l’ancienne Commission et le TCDP et, à la page 36, il arrive à la conclusion que voici :

36 Lors de mon analyse des huit décisions pertinentes auxquelles les parties m’ont renvoyé (en écartant donc Hughes), il m’est apparu que la plupart d’entre elles ne proposaient pas de raisonnement détaillé pour arriver à un montant précis à accorder à titre d’indemnité pour préjudice moral ou d’indemnité spéciale, selon le cas.Il m’apparaît toutefois évident que la gravité des répercussions psychologiques subies par les plaignants ou les fonctionnaires s’estimant lésés, selon le cas, et occasionnées par la discrimination à leur égard ou le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est le principal facteur invoqué pour justifier leur décision.Il ressort également que c’était plutôt la façon inconsidérée de traiter les fonctionnaires s’estimant lésés ou les plaignants, selon le cas, qui était invoquée pour justifier l’imposition d’une indemnité spéciale dans l’ordonnance.

106 Dans Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. L’arbitre de grief a accordé 10 000 $ pour préjudice moral et 2 500 $ à titre d’indemnité spéciale. Le deuxième montant était à l’extrémité inférieure de l’échelle puisque certains efforts ont été déployés dans le but de prendre des mesures d’adaptation.

107 Dans Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 15, l’arbitre de grief a conclu que le manque de consultation de la part de l’employeur avait entraîné des mesures d’adaptation insuffisantes et il a accordé à l’employée 6 000 $ pour préjudice moral. Dans Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 67, la même employée a encore une fois obtenu une indemnité en vertu de la LCDP, cette fois, une somme de 7 000 $ parce que l’employeur lui avait imposé une mutation latérale permanente, laquelle a par la suite a été annulée. La Commission a conclu que l’acte n’était pas inconsidéré, mais qu’il était discriminatoire puisque l’employée avait été assujettie à un traitement préjudiciable sans qu’il soit tenu compte de ses besoins, alors que la mesure a été prise sans que son médecin ait été suffisamment consulté.

 

[183] À mon avis, dans le présent cas, les répercussions psychologiques et la souffrance causées par l’acte discriminatoire sont considérables. À l’audience, Mme Kielley a témoigné qu’en juin, lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé avait appris qu’il ne retournerait pas travailler à l’ARC malgré tous les efforts qu’il avait déployés à cet égard, il l’avait regardée avec stupéfaction et lui avait dit que l’ARC ne le réembaucherait pas, parce qu’il n’avait pas de certificat confirmant qu’il pouvait retourner au travail à temps plein. Il lui a dit qu’il ne comprenait pas. Il se présentait au travail et ne comprenait pas pourquoi l’ARC se servait de ça contre lui. Elle a déclaré qu’après cette situation, l’état du fonctionnaire avait commencé à se détériorer. Il mangeait à peine. Il avait perdu tout intérêt pour ses loisirs. Il ne participait pas aux activités familiales. Il n’était plus lui-même après cela. Il avait l’air vaincu et agissait comme tel, et semblait sombrer dans la dépression.

[184] Mme Kielley a également témoigné à propos des conséquences de la décision sur la famille : [traduction] « J’ai ensuite perdu mon emploi à la fin du mois de juin, ce qui a eu un effet dévastateur sur la situation financière de la famille. Les voisins nous ont aidés à payer les factures et ont organisé une collecte de fonds pour nous. Nous n’avons donc pas perdu notre maison. On a dit aux deux enfants qu’ils devaient trouver un emploi à temps partiel. La décision a été dévastatrice pour tout le monde. »

[185] Lorsqu’il lui a été demandé pourquoi la perte d’emploi était si difficile pour son époux, elle a répondu ce qui suit : [traduction] « John se débrouillait et conservait son emploi tout en recevant des traitements de dialyse. Il avait une déficience, mais aussi une blessure qui mettait plus de temps à guérir. La dialyse n’était pas le problème. Il avait une blessure qui allait guérir et il allait revenir à son état de santé d’avant. Son état s’est bien amélioré, mais en raison de la décision de l’employeur, il n’en a pas tiré profit. »

[186] Bien qu’il soit difficile de savoir combien de temps exactement il aurait gardé son emploi au centre d’appel afin de répondre aux exigences du service, le refus injustifié de l’employeur de prolonger son contrat a bien éliminé toute chance pour lui d’obtenir un emploi jusqu’à la fin de sa vie.

[187] Étant donné les conséquences de la décision de l’employeur sur la vie du fonctionnaire s’estimant lésé, je conclus que la succession de John Kielley a droit, au titre de l’article 53(2)e) de la LCDP, à une indemnité de 15 000 $ pour le préjudice moral découlant de la discrimination dont le fonctionnaire a fait l’objet lorsqu’il s’est vu refuser à tort la prolongation de son contrat de travail pour une période déterminée en raison de sa déficience. L’indemnité doit être payée dans les 90 jours suivant la date de la présente décision.

(L’ordonnance se trouve à la page suivante.)


XIII. Ordonnance

[188] Le grief est accueilli.

[189] J’ordonne à l’employeur de payer, au titre de l’article 53(2)e) de la LCDP et dans les 90 jours suivant la date de la présente décision, une indemnité de 15 000 $ à la succession de John Kielley pour le préjudice moral causé au fonctionnaire s’estimant lésé parce que la prolongation de son contrat de travail à durée déterminée lui a été refusée à tort en raison de sa déficience.

[190] Je resterai saisi de ce grief pendant 90 jours à compter de la date de la présente ordonnance afin de régler toute question découlant de son application.

Le 11 décembre 2024.

Traduction de la CRTESPF

David Jewitt,

une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral

 

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