Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La demanderesse a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de proroger, par souci d’équité, le délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage, en vertu de l’art. 61b) du Règlement. Dans le cadre de son grief, la demanderesse conteste la décision du Conseil du Trésor (le « défendeur ») de la placer en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique. Le défendeur s’est opposé à la demande de prorogation du délai, en prétendant que la demande ne satisfait pas au critère à cinq volets énoncé dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Subsidiairement, la demanderesse a demandé à la Commission d’accueillir la demande de prorogation du délai afin d’exercer son pouvoir d’examen prévu à l’art. 43(1) de la Loi et ainsi remédier à une prétendue erreur commise lorsqu’elle a refusé le renvoi d’un premier grief dans une lettre de décision datée du 6 mars 2024. Dans cette lettre de décision, la Commission a conclu que le grief de la demanderesse n’était pas validement renvoyé et a accueilli l’objection du défendeur. Selon la demanderesse, le moyen le plus simple d’y remédier était de lui accorder la prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. La Commission a rejeté la demande de prorogation du délai, car, à son avis, la demanderesse n’avait pas offert des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard significatif. Pour ce qui est de l’argument de se prévaloir de son pouvoir de réexamen prévu à l’art. 43(1) de la Loi, la Commission l’a rejeté, car la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’un réexamen de la décision du 6 mars 2024 était justifié.
Objection accueillie.
Demande de prorogation du délai rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20250203
Référence: 2025 CRTESPF 12
Relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi dans le secteur public fédéral |
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ENTRE
StÉphanie Bernard
demanderesse
et
Conseil du Trésor
(Statistique Canada)
Répertorié
Bernard c. Conseil du Trésor (Statistique Canada)
Devant : Adrian Bieniasiewicz, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la demanderesse : Bernard Desgagné
Pour le défendeur : Richard Fader et Andréa Baldy, avocats
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 17 mai, le 19 juin, les 3 et 23 juillet et les 13 et 21 août 2024.
MOTIFS DE DÉCISION |
I. Demande devant la Commission
[1] Stéphanie Bernard (la « demanderesse ») a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de proroger, par souci d’équité, le délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage, conformément à l’article 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79); le « Règlement »).
[2] Dans son grief, la demanderesse conteste la décision du défendeur, le Conseil du Trésor, de la placer en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 pour l’administration publique centrale, y compris la Gendarmerie Royale du Canada (la « Politique »).
[3] Le défendeur s’est opposé à la demande de la demanderesse. Selon le défendeur, la demande ne satisfait pas au critère à cinq volets énoncé dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Il demande à la Commission de rejeter la demande de prorogation du délai.
[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande du défendeur et rejette la demande de prorogation du délai.
II. Contexte
[5] Vers le 4 novembre 2021, la demanderesse a déposé un grief pour contester la décision du défendeur de la placer en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique. Selon la demanderesse, cette décision constitue un licenciement implicite et viole ses droits en vertu de sa convention collective et ceux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.); la « Charte »).
[6] N’ayant pas obtenu de réponse du défendeur à son grief dans le délai prescrit, la demanderesse a décidé de renvoyer son grief à l’arbitrage le 21 janvier 2022, sans qu’il soit présenté à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs.
[7] Selon la demanderesse, puisque la décision du défendeur de la placer en congé sans solde équivalait à un licenciement déguisé ou un licenciement implicite, elle pouvait présenter son grief directement à un seul et dernier palier de la procédure de règlement des griefs en vertu de la clause 18.24 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada - Services des programmes et de l’administration (PA) (la « convention collective »).
[8] Le défendeur s’était opposé au renvoi à l’arbitrage au motif que le grief n’avait pas été présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, conformément aux articles pertinents de la convention collective, ainsi qu’aux articles 209(1) et 225 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Dans sa décision du 6 mars 2024 (voir l’annexe « A »), la Commission a accueilli l’objection du défendeur, a refusé le renvoi à l’arbitrage et a fermé le dossier.
[9] Le 27 avril 2022, soit après que la demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage, mais avant que la Commission ne rende sa décision du 6 mars 2024, le défendeur a répondu au grief de la demanderesse au dernier palier. Dans sa réponse, il a précisé que le grief aurait dû être présenté à chaque palier de la procédure de règlement des griefs. Le défendeur a rejeté le grief de la demanderesse au motif que sa décision de la placer en congé administratif sans solde ne constituait pas une mesure disciplinaire et ne violait ni la Charte, ni la convention collective.
[10] Le 3 avril 2024, après la décision de la Commission du 6 mars 2024, la demanderesse a présenté une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement, par souci d’équité, pour renvoyer son grief à l’arbitrage. Le défendeur s’y est opposée au motif que la demanderesse n’avait pas démontré que sa demande satisfaisait au critère à cinq volets établi dans Schenkman applicable aux demandes de prorogation du délai.
[11] Pour déterminer le bien-fondé de l’objection du défendeur, j’ai offert aux parties de présenter des arguments écrits supplémentaires, ce qu’elles ont fait. Je les ai attentivement examinés.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour le défendeur
[12] Le défendeur soumet que la demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage presque deux ans après que le délai de 40 jours prescrit à l’article 90(1) du Règlement se soit écoulé. En effet, la réponse au palier final de la procédure de règlement des griefs date du 27 avril 2022. Il s’ensuit que le grief aurait pu être renvoyé à l’arbitrage au plus tard le 6 juin 2022. Or, la demanderesse l’a renvoyé seulement que le 3 avril 2024.
[13] Le défendeur soutient que, bien que la Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour proroger un délai en vertu de l’article 61b) du Règlement, par souci d’équité, cette disposition ne vise pas à vider de leur sens les délais prescrits. De plus, une prorogation du délai ne devrait être accordée qu’à titre exceptionnel (voir Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39, aux paragraphes 57, 58 et 68).
[14] Selon le défendeur, les délais existent pour une bonne raison en relations de travail. Tout d’abord, la procédure de règlement des griefs et la procédure d’arbitrage sont destinées à fournir une méthode finale et exécutoire de règlement des litiges. Ensuite, les délais contribuent à la stabilité des relations de travail (voir Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, au par. 24). Pour décider si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin d’accorder une demande de prorogation du délai, la Commission applique le critère à cinq volets énoncé dans Schenkman, à savoir :
1. le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
2. la durée du retard;
3. la diligence raisonnable [de la partie demanderesse];
4. l’équilibre entre l’injustice causée à [la partie demanderesse] et le préjudice que subit [la partie défenderesse] si la prorogation est accordée;
5. les chances de succès du grief.
[15] L’importance de chaque volet doit être examinée par rapport aux faits de chaque cas (voir Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, au par. 51). À défaut de satisfaire au premier volet, à savoir si le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, il est difficile de concevoir qu’une prorogation du délai soit accordée (voir Andrews c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2021 CRTESPF 137).
[16] Le défendeur soumet que les explications fournies par la demanderesse pour justifier le retard ne sont pas claires, logiques et convaincantes. La demanderesse explique le retard par une croyance erronée que le renvoi initial à l’arbitrage le 21 janvier 2022 avait été fait en respectant la procédure de règlement des griefs. Or, il ressort de la décision du 6 mars 2024 que la demanderesse a fait fi de cette procédure. L’erreur ou la négligence n’est pas une raison claire, logique et convaincante pour expliquer le retard (voir Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33; Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110; St‑Laurent c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 4; Sonmor c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 20).
[17] La demanderesse n’était pas empêchée de renvoyer son grief à l’arbitrage dans les délais prescrits. Elle a plutôt choisi délibérément de ne pas suivre la procédure de règlement des griefs.
[18] La durée du retard est significative. Près de deux années se sont écoulées entre la date quand le défendeur a rendu la décision au palier final, et le 3 avril 2024, qui est la date à laquelle la demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage. Il ne faut pas perdre de vue le caractère obligatoire des délais prévus dans la Loi et les règlements applicables (voir Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, au par. 46).
[19] Le défendeur soumet que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable dans la poursuite de son grief. Au lieu de renvoyer son grief à l’arbitrage après avoir reçu la décision au palier final en date du 27 avril 2022, la demanderesse a préféré s’appuyer sur sa caractérisation de la situation (c’est-à-dire qu’elle a fait l’objet d’un licenciement implicite).
[20] Selon le défendeur, le quatrième volet concernant l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subirait le défendeur si la prorogation est accordée devrait recevoir une importance moindre parce que la demanderesse n’a pas fourni des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard ou démontré qu’elle a agi avec diligence raisonnable (voir Schenkman, au par. 80). Le défendeur est en droit de s’attendre que les conflits de travail soient réglés en temps opportun. Les délais ne sont pas élastiques.
[21] Quant aux chances de succès, elles sont faibles, selon le défendeur. La demanderesse a été placée en congé administratif non payé en vertu de la Politique. Elle n’a pas fait l’objet d’une mesure disciplinaire (voir Rehibi c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 47, au par. 287).
B. Pour la demanderesse’
[22] La demanderesse soumet qu’il serait équitable d’accueillir sa demande de prorogation du délai. D’abord, la demanderesse souligne que l’objection du défendeur fait abstraction du premier renvoi à l’arbitrage de son grief, qui a eu lieu le 21 janvier 2022, soit 53 jours ouvrables après la présentation de son grief au défendeur, le 4 novembre 2021. Cela a une importance déterminante, car la demanderesse est victime d’un manque d’équité. La demanderesse a constamment respecté les délais et a procédé avec diligence dans la présentation et le renvoi de son grief, tandis que le défendeur a enfreint la convention collective et s’est permis de dépasser largement les délais. Il serait injuste que la demanderesse soit punie et que le défendeur soit récompensé pour les fautes qu’il a commises.
[23] De surcroît, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur dans son analyse, dans sa décision du 6 mars 2024, en ne tenant pas compte de certains faits. Plus précisément, le défendeur a communiqué avec la demanderesse au sujet de son grief le 31 janvier 2022, soit 58 jours ouvrables après la présentation du grief et 6 jours ouvrables après son renvoi à l’arbitrage. Or, selon la clause 18.17 de la convention collective, le défendeur répond normalement dans le 10 jours ouvrables suivant la présentation du grief et dans les 20 jours ouvrables dans le cas du dernier palier. Le défendeur accusait un retard de 48 ou 38 jours ouvrables.
[24] La demanderesse estimait avoir droit à une réponse directement au dernier palier, selon la clause 18.23 de la convention collective. Le fait que la demanderesse était sans salaire depuis plus de deux mois, et ce pour une période indéterminée, « […] pour refus de se faire injecter irrémédiablement un traitement génique expérimental inutile, inefficace et dangereux […] », correspond parfaitement à la définition même d’un licenciement implicite.
[25] La demanderesse estimait que le défendeur violait son droit garanti à l’article 7 de la Charte. Selon la demanderesse « […] l’employeur avait recours à la coercition pour essayer de porter atteinte à [son] intégrité physique […], ce qui est l’équivalent d’une tentative de viol ».
[26] Au soutien de sa demande de prorogation du délai, la demanderesse renvoie la Commission à diverses statistiques concernant les effets indésirables graves causés par, selon ses mots, l’injection du traitement génique expérimental (vaccins contre la COVID-19), y compris les taux de mortalité.
[27] La demanderesse ne pouvait pas se douter que le défendeur préférait répondre au premier palier, étant donné qu’il n’avait pas communiqué avec elle avant qu’elle ne renvoie son grief à l’arbitrage. Elle était en droit de conclure que le défendeur ne s’opposait pas à la présentation du grief au dernier palier. De plus, le délai dont le défendeur disposait pour répondre au dernier palier avait expiré depuis 38 jours.
[28] En fournissant une réponse directement au dernier palier le 27 avril 2022, le défendeur a accepté que le grief soit présenté directement au dernier palier. Jusqu’au 6 mars 2024, la demanderesse attendait la décision de la Commission concernant son premier renvoi à l’arbitrage du 21 janvier 2022. Elle ne pouvait pas en présumer le résultat. Cela constitue une raison claire, logique et convaincante d’avoir procédé à un deuxième renvoi à l’arbitrage que le 3 avril 2024, accompagné d’une demande de prorogation. La Commission a pris deux ans pour se prononcer sur le premier renvoi à l’arbitrage.
[29] Il n’est pas équitable que les fonctionnaires s’estimant lésés qui n’avaient pas obtenu de réponse au dernier palier avant la décision du 6 mars 2024 puissent poursuivre la procédure de règlement des griefs et renvoyer leurs griefs à l’arbitrage, tandis que la demanderesse, qui a reçu une réponse au dernier palier le 27 avril 2022, ne puisse pas le faire.
[30] Au soutien de sa demande, la demanderesse fait référence à la décision Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, au par. 25, dans laquelle la Commission a accepté de proroger le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage avec 20 mois de retard.
C. Réplique du défendeur
[31] Le défendeur soumet que si la demanderesse estime que la décision de la Commission du 6 mars 2024 est erronée, elle aurait dû la contester en présentant une demande de contrôle judiciaire. Une demande de prorogation du délai n’est pas l’occasion pour la demanderesse de plaider son dossier de nouveau.
[32] La demanderesse ne contredit pas qu’elle n’était pas empêchée d’agir durant la période de deux ans, soit entre le 27 avril 2022 et le 3 avril 2024. Au contraire, elle confirme dans sa réponse qu’elle a choisi d’attendre la décision de la Commission au lieu de renvoyer son grief à l’arbitrage. Elle est demeurée ancrée sur sa position en continuant de s’appuyer uniquement sur la caractérisation de la situation (c’est-à-dire qu’elle a fait l’objet d’un licenciement implicite), plutôt que de se conformer à la procédure de règlement des griefs.
[33] Quoique, de façon générale, lorsque le premier volet du critère énoncé dans Schenkman n’est pas satisfait, les autres volets sont de peu d’intérêt (voir Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 65; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68, au par. 47), dans le présent cas, il y a lieu d’examiner le dernier volet concernant les chances de succès du grief.
[34] Selon le défendeur, compte tenu des conclusions de la Commission dans Rehibi et de l’absence de différence entre le grief de la demanderesse et les faits de cette décision, les chances de succès du grief sont pratiquement inexistantes. La Commission y a notamment conclu que l’application de la Politique et la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés constituait une mesure administrative, plutôt qu’une mesure disciplinaire, et ne portait pas atteinte à leurs droits protégés par l’article 7 de la Charte ou avait un impact sur les valeurs qui le sous-tendent.
D. Réponse supplémentaire de la demanderesse
[35] Sans y être préalablement autorisée, la demanderesse a déposé une réponse supplémentaire à la réplique du défendeur. Ce dernier s’y est opposé, invoquant que la demanderesse ne disposait pas d’un droit de réplique. J’ai accepté la réponse supplémentaire de la demanderesse tout en accordant au défendeur le droit d’y répliquer.
[36] La demanderesse soumet qu’à la lumière du paragraphe 43(1) de la Loi, qui permet à la Commission de réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ou réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet, il est tout à fait approprié de demander à la Commission de corriger ce qui appert être une erreur dans sa décision du 6 mars 2024, à la lumière des faits que la demanderesse a soumis dans ses arguments du 19 juin 2024. Selon la demanderesse, une demande de réexamen est conforme aux principes qui doivent guider le système de justice en général, et en particulier les principes d’accès à la justice et de l’économie des ressources judiciaires (voir Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22, au par. 90).
[37] La demanderesse soumet que l’erreur dans la décision du 6 mars 2024 peut être corrigée en lui accordant une prorogation du délai.
E. Réplique du défendeur à la réponse supplémentaire de la demanderesse
[38] Le défendeur soumet que la demanderesse n’a pas demandé le réexamen de la décision et la démarche qu’elle propose est inappropriée. Le pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi peut être exercé pour corriger une erreur procédurale, technique ou d’écriture ou pour réexaminer le bien-fondé de la décision ou de l’ordonnance (voir Association des agents financiers de l’Agence canadienne d’inspection des aliments c. Agence canadienne d’inspection des aliments et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2015 CRTEFP 68, aux paragraphes 67 et 68). Le réexamen d’une décision constitue une exception au caractère définitif des décisions. La partie qui demande le réexamen doit présenter des « raisons majeures » à l’appui de sa demande (voir Agence du revenu du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 32, au par. 18, et Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 39, au par. 29).
[39] Selon le défendeur, la demanderesse ne peut invoquer le paragraphe 43(1) de la Loi au soutien de sa demande de prorogation du délai. De plus, la demanderesse n’a pas présenté de demande de réexamen de la décision du 6 mars 2024 et n’a pas fourni des raisons majeures ou solides pour que la Commission réexamine sa décision.
IV. Motifs
[40] En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, la Commission peut, par souci d’équité, proroger tout délai, prévu par la Partie 2 du Règlement ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document.
[41] La Commission applique le critère à cinq volets pour déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais, par souci d’équité (voir Schenkman). L’importance accordée à chacun des volets n’est pas nécessairement la même, les volets ne sont pas tous pertinents et la valeur probante des facteurs est situationnelle, selon les faits du dossier (voir Martin, aux paragraphes 59 et 70, et Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, au par. 74).
[42] Je suis d’accord avec le défendeur que l’alinéa 61b) du Règlement n’a pas pour but de dénuer de tout le sens les délais négociés par les parties (voir Bowden, au par. 77, et Mark, au par. 24). Les délais sont prescrits et ne devraient être prorogés qu’à titre exceptionnel (voir Martin, aux paragraphes 57 et 68). Je suis également d’avis qu’en l’absence des raisons claires, logiques et convaincantes, il est difficile de voir comment une prorogation du délai pourrait être considérée comme juste et équitable (voir Andrews, au par. 28, et Lagacé, au par. 47). Le temps est un facteur essentiel dans les relations de travail. Une résolution rapide des litiges contribue au maintien de bonnes relations patronales-syndicales.
A. La prorogation du délai n’est pas justifiée
1. Le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes
[43] La demanderesse n’a pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant pourquoi elle avait attendu, à toutes fins pratiques, près de deux ans avant de renvoyer son grief à l’arbitrage. Plutôt que de concentrer ses arguments sur les raisons pour lesquelles elle n’avait pas renvoyé son grief à l’arbitrage dans les 40 jours suivant la réponse au dernier palier le 27 avril 2022, conformément au paragraphe 90(1) de la Règlement, la demanderesse consacre la grande majorité de ses arguments à expliquer pourquoi elle avait le droit, ou qu’elle était justifiée, de présenter son grief directement au palier final de la procédure de règlement des griefs et de le renvoyer à l’arbitrage sans l’avoir présenté à tous les paliers.
[44] Or, la Commission a tranché cette question dans sa décision du 6 mars 2024. En résumé, la Commission a conclu que la demanderesse ne pouvait pas renvoyer son grief à l’arbitrage sans l’avoir présenté à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, et l’a rejeté pour défaut de compétence. La demanderesse n’a pas contesté cette décision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, comme la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7) lui permet. Cette question est close. Je traiterai plus loin dans ces motifs de l’argument de la demanderesse concernant le recours prévu au paragraphe 43(1) de la Loi.
[45] La demanderesse soumet que l’impossibilité de présumer de la décision de la Commission rendue le 6 mars 2024 concernant son premier renvoi à l’arbitrage le 21 janvier 2022 constitue une raison claire, logique et convaincante de ne pas avoir procédé à un deuxième renvoi à l’arbitrage avant le 3 avril 2024. Je ne suis pas d’accord.
[46] La demanderesse ne nie pas qu’elle savait que son grief ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage qu’après avoir obtenu une réponse au palier final ou à l’expiration du délai prévu pour que le défendeur y réponde. Elle persiste plutôt à dire qu’elle avait le droit de présenter son grief directement au palier final. Elle avait tort (voir la décision du 6 mars 2024).
[47] Après avoir obtenu la réponse au grief au palier final le 27 avril 2022, plutôt que de renvoyer son grief à l’arbitrage, elle a choisi de ne rien faire, en espérant que la décision du 6 mars 2024 lui soit favorable. C’est un risque qu’elle a pris, et elle doit maintenant en assumer les conséquences. Comme elle ne pouvait pas présumer de la décision de la Commission du 6 mars 2024, il aurait été diligent de sa part de renvoyer son grief à l’arbitrage dans les 40 jours suivant le 27 avril 2022. Je m’explique mal ce manque de diligence de la part de la demanderesse.
[48] Je ne peux accepter que la décision consciente de la demanderesse de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage après avoir obtenu la réponse au dernier palier, et donc de n’avoir fait aucun effort pour protéger ses droits, constitue une raison claire, logique et convaincante pour justifier un retard d’environ deux ans.
[49] Les délais prescriptifs jouent un rôle important en droit du travail. Les procédures de règlement et d’arbitrage des griefs visent à offrir une solution définitive et exécutoire aux conflits qui surviennent et favorisent la stabilité des relations de travail (voir Mark, au par. 24, et Grouchy, au par. 46).
2. La durée du retard est significative
[50] Presque deux ans se sont écoulés entre la date où le défendeur a rendu sa décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et le moment où la demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage pour la deuxième fois. Comme je l’ai expliqué précédemment, ce retard est strictement attribuable à la décision de la demanderesse de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage dans le délai prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement, après avoir reçu la décision du défendeur au dernier palier.
[51] Il s’agit d’un délai considérable qui milite en faveur du rejet de la demande de prorogation du délai (voir Chan c. Conseil du Trésor (Bureau du directeur général des élections), 2008 CRTFP 86, au par. 20, et Van Duyvenbode c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CRTFP 90, au par. 46).
[52] Je ne suis pas d’accord avec l’argument de la demanderesse voulant que la durée du retard ne saurait lui être imputée au motif que c’est la Commission qui a pris deux ans pour se prononcer sur le premier renvoi à l’arbitrage. L’attente de cette décision n’avait pas pour effet de suspendre le délai prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement.
3. La demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable
[53] Comme je l’ai déjà précisé, la demanderesse n’a pas renvoyé son grief à l’arbitrage dans les délais impartis, après avoir reçu la décision au dernier palier, par choix et non par empêchement. Elle a plutôt préféré attendre la décision de la Commission, rendue le 6 mars 2024, avant de prendre cette initiative. Cela n’était pas diligent de sa part. La demanderesse était consciente des risques associés à ce choix.
4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse si la demande est refusée et le préjudice subi par le défendeur si elle est accordée
[54] Je suis sensible au fait qu’en rejetant la demande de prorogation du délai de la demanderesse, elle ne pourra pas faire valoir son grief. Toutefois, elle aurait facilement pu éviter cette situation. Elle a pris des risques inutiles.
[55] La demanderesse soutient qu’il ne serait pas équitable pour la Commission de rejeter sa demande de prorogation du délai au motif que d’autres fonctionnaires, qui eux n’ont pas reçu de réponse au palier final avant la décision du 6 mars 2024, peuvent continuer la procédure de règlement des griefs et, par la suite, renvoyer leurs griefs à l’arbitrage.
[56] Cet argument ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante pour justifier son inaction durant une période de presque deux ans. Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse a, en toute connaissance de cause, choisi de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage après avoir reçu la décision au dernier palier. La négligence n’est pas une justification acceptable et ne satisfait pas au critère à cinq volets énoncé dans Schenkman (voir Copp, au par. 29).
5. Les chances de succès du grief demeurent incertaines
[57] Le grief de la demanderesse a pour objet la décision du défendeur de la placer en congé sans solde pour ne pas s’être conformée à la Politique. Selon la demanderesse, il s’agit d’une mesure disciplinaire entraînant un licenciement implicite, en violation de la Charte et de la convention collective. La demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Cet alinéa permet à un fonctionnaire s’estimant lésé de renvoyer à l’arbitrage un grief individuel portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.
[58] Récemment, la Commission a déterminé que la Politique – c’est-à-dire son élaboration, sa mise en œuvre et son application aux fonctionnaires s’estimant lésés – constituait une mesure administrative plutôt qu’une mesure disciplinaire (voir Rehibi). De plus, la Commission a conclu que la Politique ne portait pas atteinte aux droits des fonctionnaires s’estimant lésés protégés par l’article 7 de la Charte et qu’elle n’avait pas d’impact sur les valeurs qui sous-tendent cet article. Conséquemment, la Commission a rejeté les griefs pour défaut de compétence.
[59] Le défendeur soutient que, puisque la demanderesse n’a pas réussi à distinguer son grief des circonstances de Rehibi, ses chances de succès sont presque nulles.
[60] Cela étant, je note toutefois que les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté la décision Rehibi dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale. Ils sont en attente d’une décision. Il ne serait pas approprié de ma part de spéculer sur l’issue de cette demande. Compte tenu de ce qui précède, j’accorde peu de poids à ce volet.
[61] Sans me prononcer sur le bien-fondé du raisonnement dans Barbe, citée par la demanderesse à l’appui de sa demande de prorogation du délai, celle-ci peut être facilement distinguée des faits du présent cas. Dans Barbe, les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés portaient sur leur droit au versement de leur salaire lors d’un congé pour accident de travail. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvaient pas renvoyer leurs griefs à l’arbitrage par eux-mêmes car ils s’appuyaient sur la convention collective. L’appui de leur agent négociateur était indispensable pour les renvoyer à l’arbitrage. Or, en raison de la confusion de l’agent négociateur, les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage avec un retard de 20 mois. Dans ces circonstances, et compte tenu que les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvaient pas agir seuls et dépendaient de l’action de leur agent négociateur, la Commission a accepté de proroger le délai.
[62] Or, dans le présent cas, comme il a été mentionné précédemment dans ces motifs, la décision de la demanderesse de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage dans les délais prescrits, après avoir reçu la réponse au grief au palier final, lui est entièrement imputable. En d’autres mots, contrairement aux fonctionnaires s’estimant lésés dans Barbe, la demanderesse n’était pas empêchée de renvoyer son grief à l’arbitrage.
[63] À la lumière de ce qui précède, bien que je sois sensible au fait que la demanderesse ne pourra obtenir une décision sur le bien-fondé de son grief, j’arrive à la conclusion que la demande de prorogation du délai doit être rejetée considérant l’absence des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard significatif et le manque de diligence raisonnable de la part de la demanderesse. Je tiens à réitérer que puisque le premier volet du critère n’a pas été satisfait, les autres volets de l’analyse deviennent secondaires (voir Schenkman, au par. 80, et Lagacé, au par. 53).
B. Le recours prévu au paragraphe 43(1) de la Loi
[64] De façon incidente, la demanderesse invoque le paragraphe 43(1) de la Loi au soutien de sa demande de prorogation du délai. À titre de rappel, ce paragraphe se lit comme suit : « La Commission peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ou réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet ».
[65] Plus précisément, la demanderesse soumet que la façon la plus simple de remédier à l’erreur dans la décision du 6 mars 2024, en s’appuyant sur le paragraphe 43(1) de la Loi, est d’accueillir sa demande de prorogation du délai. Comme précisé plus haut, la demanderesse allègue que l’erreur en question réside dans le fait que la Commission n’a pas pris en compte certains faits dans son analyse. Je m’empresse d’ajouter que la demanderesse n’a pas contesté cette décision devant la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, comme elle aurait pu le faire de plein droit.
[66] Une demande de prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement et une demande de réexamen en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sont deux voies procédurales distinctes et indépendantes. Le recours prévu au paragraphe 43(1) de la Loi donne le pouvoir à la Commission, qui agit en vertu de la Partie 1 de la Loi – Relations de travail, de réexaminer, d’annuler ou de modifier ses décisions ou ordonnances ou de réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet. Je précise la Partie 1 de la Loi, car une incertitude semble exister quant à savoir si la Commission siégeant en vertu de la Partie 2 de la Loi, qui traite des griefs, peut exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 43(1) (voir Canada (Procureur général) c. Philps, 2017 CAF 178; Kruse c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 28; Nash c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 121). L’alinéa 61b) du Règlement donne à la Commission le pouvoir de proroger les délais, par souci d’équité.
[67] Même en présumant, sans pour autant statuer sur la question, que la Commission agissant en vertu de la Partie 2 de la Loi peut exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 43(1) de la Loi, j’aurais tout de même rejeté la demande de réexamen. En effet, j’estime que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir qu’un réexamen de la décision du 6 mars 2024 est justifié.
[68] D’entrée de jeu, je tiens à rappeler qu’une demande en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi n’est pas un appel ou une demande pour une nouvelle décision. Il s’agit d’une exception limitée au caractère définitif des décisions de la Commission (voir Chaudhry c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 376, au par. 8, et le paragraphe 34(1) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTESPF)). Le recours prévu au paragraphe 43(1) n’est pas un recours de plein droit. Le principe fondamental de la stabilité des relations de travail exige que les décisions, une fois rendues, soient respectées et exécutées. Ce principe garantit l’intégrité et la finalité du processus décisionnel, évitant que des décisions ne soient constamment contestées et réévaluées.
[69] Il incombe à la partie qui fait la demande de démontrer que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi en raison des circonstances exceptionnelles (voir Agence du revenu du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 32, au par. 18, et Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 39). En l’absence de tels motifs, la demande de réexamen s’apparente à une tentative de réouverture indue du débat, ce qui pourrait compromettre la crédibilité et l’autorité de la décision finale. Or, dans le présent dossier, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’un réexamen de la décision du 6 mars 2024 en vertu du paragraphe 43(1) est justifié. Une simple allégation selon laquelle la Commission a erré ne satisfait pas à ce fardeau. Il faut plus.
[70] Enfin, j’aimerais également souligner qu’une demande de réexamen en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi doit être déposée en bonne et due forme, accompagnée d’arguments à l’appui, permettant à la Commission de déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de cette disposition. Or, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas présenté une telle demande dans le présent cas. À mon avis, le simple fait d’invoquer de manière incidente le paragraphe 43(1) de la Loi dans le cadre d’une demande de prorogation du délai, en soutenant que la Commission a erré dans son analyse dans une de ses décisions antérieures, ne saurait être considéré comme équivalant à la présentation d’une demande de réexamen en bonne et due forme. Toutefois, si je me trompe à cet égard et que ce qui précède suffit pour conclure que la demanderesse a effectivement présenté une demande de réexamen en bonne et due forme, je l’aurais tout de même rejetée, car la demanderesse n’a pas démontré, comme elle en avait le fardeau, que la demande satisfaisait notamment aux critères pertinents (voir Agence du revenu du Canada, au par. 18, et Chaudhry, au par. 29).
[71] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande visant à ce que la Commission s’appuie sur le paragraphe 43(1) de la Loi pour accueillir la demande de prorogation du délai en vue de corriger l’erreur alléguée dans la décision du 6 mars 2024 est rejetée.
[72] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[73] La demande de prorogation du délai de la demanderesse est rejetée.
[74] Le grief est rejeté.
Le 3 février 2025.
Adrian Bieniasiewicz,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral
ANNEXE A |
Le 6 mars 2024
Bernard Desgagné (Représentant des fonctionnaires s’estimant lésés) [adresse courriel caviardée] |
PAR COURRIEL |
Richard Fader (Représentant de l'employeur) [adresse courriel caviardée] |
PAR COURRIEL |
Objet : Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Dossiers 566-02-44068 (Boucher & Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 566-02-44219 (Normand & Ministère des travaux publics et des services gouvernementaux), 566-02-44069 (Bernard & Statistique Canada)
Entre le 21 janvier 2022 et le 9 février 2022, les fonctionnaires s’estimant lésés ci-dessus (les « fonctionnaires ») ont chacun renvoyé un grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). Le Conseil du Trésor (l’ « employeur ») a soulevé une objection préliminaire selon laquelle les griefs ne pouvaient être renvoyés à l’arbitrage parce qu’ils n’avaient pas été présentés au dernier palier de la procédure de grief, contrairement à la procédure de règlement de grief prévue dans la convention collective applicable (Services des programmes et de l’administration (PA)). L’article 225 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi ») prévoit également qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage avant d’avoir été présenté à tous les paliers requis de la procédure de grief applicable.
Les griefs portent sur la décision de l’employeur, conformément à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada (la politique), de placer les fonctionnaires en congé administratif non payé parce qu’ils refusaient d’obtempérer à la directive.
La Commission a reçu un grand nombre de griefs similaires, dont un certain nombre, comme ceux-ci, avaient été renvoyés hâtivement à la Commission. Ces griefs hâtifs ont été suspendus dans l’attente d’une décision sur l’objection préliminaire de l’employeur. La décision (Fauteux c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2022 CRTESPF 84) a été rendue le 7 octobre 2022. Elle a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale, demande retirée le 30 mars 2023.
La Commission a écarté l’argument selon lequel qualifier la politique de changement des conditions de travail, de sorte qu’il s’agissait d’un congédiement déguisé ou un licenciement implicite, permettait de passer directement au dernier palier de la procédure de grief, le cours habituel d’un grief contre un licenciement. Dans Fauteux, les griefs avait été entendus au premier palier, qui équivalait selon les fonctionnaires au dernier palier.
La Commission a conclu que puisque les fonctionnaires n’avaient pas suivi la procédure requise, leurs griefs ne pouvaient procéder à l’arbitrage. L’essentiel du raisonnement se trouve dans les paragraphes suivants :
[48] Je ne peux pas accepter qu’un fonctionnaire s’estimant lésé puisse unilatéralement faire fi de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective en s’appuyant uniquement sur sa description de son grief comme portant sur un congédiement déguisé ou un licenciement implicite. Un fonctionnaire n’est pas en droit de traiter la réponse, ou l’absence de réponse, de l’employeur au premier palier comme étant une décision au palier final de la procédure de règlement des griefs, et ce, uniquement en raison de sa caractérisation de la situation. Il irait à l’encontre de la convention collective et de l’esprit et l’objet de la Loi d’accepter la position mise de l’avant par les fonctionnaires.
[49] Les fonctionnaires sont libres d’interpréter la décision de l’Agence comme constituant un congédiement déguisé et de faire valoir leurs droits. Toutefois, ils doivent faire cela dans le respect de la procédure établie par la convention collective et la Loi. Permettre aux fonctionnaires de renvoyer leurs griefs à l’arbitrage sans qu’ils se soient conformés à la procédure de règlement des griefs serait contraire à l’objectif de la procédure de règlement des griefs telle qu’elle est décrite dans Laferrière.
[50] Étant donné que les fonctionnaires ne se sont pas conformés à la procédure de règlement des griefs, les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage en vertu de la Loi d’une manière appropriée et, à ce titre, la Commission n’a pas compétence pour les traiter.
Décision
L’obstacle au renvoi prématuré est triple : l’exigence de faire passer le grief par tous les paliers nécessaires est prévue, outre la convention collective, aux articles 225 et 209(1) de la Loi. Les passages pertinents se lisent comme suit :
Convention collective Services des programmes et de l’administration, date d’expiration 20 juin 2021
18.11 La procédure de règlement des griefs comprend quatre (4) paliers au maximum. […] Lorsque la procédure de règlement des griefs comprend quatre (4) paliers, l’employé-e- s’estimant lésé peut choisir de renoncer soit au palier2, soit au palier 3. […] 18.23 Lorsqu’il semble que la nature du grief est telle qu’une décision ne peut être rendue au- dessous d’un palier d’autorité particulier, on peut supprimer un ou l’ensemble des paliers sauf le dernier, par accord mutuel entre l’employeur et l’employé-e s’estimant lésé, et l’Alliance, le cas échéant. 18.24 Lorsqu’un employé fait l’objet d’un licenciement ou rétrogradation motivé déterminé aux termes des alinéas 12(1)c), d) et e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la présente convention s’applique, sauf que le grief devra être présenté au dernier palier seulement. [...] 18.26 L’employé-e s’estimant lésé qui ne présente pas son grief au palier suivant dans les délais prescrits est jugé avoir abandonné le grief à moins que, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, il ait été incapable de respecter les délais prescrits. 18.27 Lorsqu’un grief a été présenté jusqu’au dernier palier inclusivement de la procédure de règlement des griefs […] et que le grief n’a pas été réglé à sa satisfaction, ce dernier peut être référé à l’arbitrage aux termes des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral et de ses règlements d’application. |
18.11 There shall be no more than a maximum of four (4) levels in the grievance procedure. … Whenever there are four(4) levels in the grievance procedure, the grievor may elect to waive either level 2 or 3. … 18.23 Where it appears that the nature of the grievance is such that a decision cannot be given below a particular level of authority, any or all the levels except the final level may be eliminated by agreement of the Employer and the grievor, and, where applicable, the Alliance. 18.24 Where the Employer demotes or terminates an employee for cause pursuant to paragraph 12(1)(c), (d) or (e) of the Financial Administration Act, the grievance procedure set forth in this agreement shall apply except that the grievance shall be presented at the final level only. ... 18.26 Any grievor who fails to present a grievance to the next higher level within the prescribed time limits shall be deemed to have abandoned the grievance unless, due to circumstances beyond the grievor’s control, the grievor was unable to comply with the prescribed time limits. 18.27 Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance procedure … and the grievance has not been dealt with to the grievor’s satisfaction, it may be referred to adjudication in accordance with the provisions of the Federal Public Sector Labour Relations Act and Regulations. |
Articles de la Loi :
225 Le renvoi d’un grief à l’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable. |
225 No grievance may be referred to adjudication until the grievance has been presented at all required levels in accordance with the applicable grievance process. |
209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur [...] [Je mets en évidence] |
209 (1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction... |
Comme le souligne la décision Fauteux, l’obligation de respecter les étapes de la procédure de règlement de grief est encore renforcée par l’article 241 de la Loi qui se lit comme suit :
241 (1) Les procédures prévues par la présente partie ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure. |
241 (1) No proceeding under this Act is invalid by reason only of a defect in form or a technical irregularity. |
(2) Pour l’application du paragraphe (1), l’omission de présenter le grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable ne constitue pas un vice de forme ou de procédure. |
(2) The failure to present a grievance at all required levels in accordance with the applicable grievance process is not a defect in form or a technical irregularity for the purposes of subsection (1). |
Dans le cas des fonctionnaires, ils ont présenté leurs griefs au premier ou deuxième paliers de la procédure de règlement de grief, et ont demandé à l’employeur de rendre une décision de dernier palier, ce que l’employeur a refusé de faire. L’employeur exigeait des fonctionnaires qu’ils passent par tous les paliers, y compris le dernier. Les fonctionnaires ont choisi de renvoyer le grief à l’arbitrage plutôt que de l’envoyer au palier suivant. Les circonstances sont donc similaires à celles dans la décision Fauteux.
Avant de rendre la présente décision, la Commission a demandé aux fonctionnaires s’ils souhaitaient présenter des arguments pour distinguer la décision Fauteux de sorte qu’elle ne devrait pas s’appliquer à leur situation.
Les fonctionnaires ont présenté des arguments en ce sens.
Essentiellement, ils reprennent les arguments qui avaient déjà été soutenus devant la Commission dans le cadre de l’affaire Fauteux. Ils traitent notamment du bien-fondé du grief, soit que le vaccin était un traitement expérimental dangereux qu’ils étaient en droit de refuser. La privation de salaire était une forme de coercion, pour les forcer à accepter un traitement contre-indiqué. L’obligation de passer par tous les paliers de la procédure de grief ne faisait que renforcer cette coercion.
Tout comme dans Fauteux, les fonctionnaires reprennent l’argument que l’action de l’employeur est telle qu’on cherche à les forcer à démissionner, ce qui constituerait un licenciement implicite. Puisqu’un grief contre un licenciement peut être entendu directement au dernier palier de la procédure de règlement de grief, les griefs devraient être réputés avoir été entendus au dernier palier.
Les fonctionnaires prétendent que la décision Fauteux ne peut s’appliquer parce que cette décision omet de trancher l’essentiel du litige, soit l’allégation de licenciement implicite.
À l’instar de la Commission dans Fauteux, je ne me prononce pas à savoir si l’on peut voir dans l’action de l’employeur un congédiement déguisé ou licenciement implicite. Pour décider de la question, il faudrait que je sois validement saisie des griefs.
Or, le fait pour les fonctionnaires de ne pas suivre la procédure de grief prive la Commission de sa compétence. Le raisonnement de la décision Fauteux s’applique en l’espèce. La Commission n’a pas compétence pour traiter les griefs.
Dans le cas de Mme Bernard, le grief a été entendu au dernier palier et l’employeur a fourni sa réponse le 27 avril 2022. Toutefois, le grief avait déjà été renvoyé à l’arbitrage le 21 janvier 2022. Mme Bernard soutenait que puisqu’elle n’avait pas à cette date de réponse à son grief, et puisqu’elle considérait que le grief devrait dès le départ être entendu au dernier palier, elle pouvait le renvoyer à l’arbitrage. Autrement dit, elle refusait de se conformer aux exigences de la procédure de règlement de grief, qui prévoit plusieurs paliers, et permet le renvoi à l’arbitrage en l’absence d’une réponse au dernier palier, après un certain délai, pourvu que les étapes aient été suivies.
Les fonctionnaires soulèvent comme argument que le fait de sauter des paliers ne cause aucun tort à l’employeur; plutôt, cela lui épargnerait du travail.
Là n’est pas la question. La procédure a été négociée pour ordonner le traitement de griefs. Les parties à la convention collective reconnaissent l’importance d’avoir un système organisé et prévisible. Dans l’esprit de la Loi, on cherche à encourager des relations de travail harmonieuses, et non acrimonieuses. La procédure existe pour favoriser les échanges. Les parties peuvent y déroger, mais de consentement mutuel.
Le législateur a également reconnu l’importance de respecter les étapes, et impose cette exigence dans la loi habilitante de la Commission. Celle-ci n’a aucun pouvoir d’y déroger.
Je tiens à préciser que le défaut de compétence a trait au respect des étapes de la procédure de grief. Dans son objection préliminaire, l’employeur prétendait également que la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief, puisque le congé imposé aux fonctionnaires qui ne se conformaient pas à la politique est de nature administrative, et non disciplinaire, et n’ouvre donc pas droit à un recours au titre de l’article 209 de la Loi. La Commission ne se prononce pas sur cette deuxième objection dans le cadre de la présente décision.
L’objection préliminaire de l’employeur relative au non-respect de la procédure de grief est accueillie. Le renvoi à l’arbitrage est refusé et les dossiers seront clos.
Marie-Claire Perrault
Une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
c.c.
Ministère de l’agriculture de de l’agroalimentaire (Employeur)
Erica-Tessy Constant (Représentante du Ministère de l’Agriculture de de l’Agroalimentaire)
[adresse courriel caviardée]
Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (Employeur)
Céline Bertrand (Représentante du Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux)
[adresse courriel caviardée]
Statistique Canada (Employeur)
Myriam Allard (Représentante de Statistique Canada) [adresse courriel caviardée]
Anne Renée Bergeron (Autre)
[adresse courriel caviardée]