Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de proroger, par souci d’équité, le délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage, en vertu de l’art. 61b) du Règlement. Dans le cadre de son grief, la demanderesse conteste la décision de l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse ») de la placer en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique. La défenderesse s’est opposée à la demande de prorogation du délai, en prétendant que la demande ne satisfait pas au critère à cinq volets énoncé dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Subsidiairement, la demanderesse a demandé à la Commission d’accueillir la demande de prorogation du délai afin d’exercer son pouvoir de réexamen prévu à l’art. 43(1) de la Loi et ainsi remédier à une prétendue erreur commise lorsqu’elle a refusé le renvoi d’un premier grief dans une lettre de décision datée du 6 mars 2024. Dans cette lettre de décision, la Commission a conclu que le grief de la demanderesse n’était pas validement renvoyé et a accueilli l’objection de la défenderesse. Selon la demanderesse, le moyen le plus simple d’y remédier était de lui accorder la prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. La Commission a rejeté la demande de prorogation du délai, car, à son avis, la demanderesse n’avait pas offert des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard significatif. Pour ce qui est de l’argument de se prévaloir de son pouvoir de réexamen prévu à l’art. 43(1) de la Loi, la Commission l’a rejeté, car la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’un réexamen de la décision du 6 mars 2024 est justifié.

Objection accueillie.
Demande de prorogation du délai rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20250203

Dossier: 568-34-49442

 

Référence: 2025 CRTESPF 13

Loi sur la Commission

des relations de travail

et de l’emploi dans le secteur

public fédéral et Loi sur les relations de travail dans

le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Maya El-Haraké

demanderesse

 

et

 

Agence du revenu du Canada

 

défenderesse

Répertorié

El-Haraké c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’article 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Adrian Bieniasiewicz, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Bernard Desgagné

Pour la défenderesse : Nicholas Gualtieri

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
le 6 mai, les 22 et 29 juillet, le 5 août et le 30 octobre 2024.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Maya El-Haraké (la « demanderesse ») a demandé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») de proroger, par souci d’équité, le délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage, en vertu de l’article 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79); le « Règlement »).

[2] Dans son grief, la demanderesse conteste la décision de l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse ») de la placer en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 de l’Agence du revenu du Canada (la « Politique »).

[3] La défenderesse s’est opposée à la demande de la demanderesse. Selon la défenderesse, la demande ne satisfait pas au critère à cinq volets énoncé dans la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Elle demande à la Commission de rejeter la demande de prorogation du délai.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de la défenderesse et rejette la demande de prorogation du délai.

II. Contexte

[5] Le 7 décembre 2021, la demanderesse a déposé un grief pour contester la décision de la défenderesse de la placer en congé sans solde en raison de son refus de se conformer à la Politique. Selon la demanderesse, cette décision constitue un licenciement implicite. De plus, la demanderesse prétend que la Politique a enfreint notamment ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.U.); la « Charte »).

[6] Le 16 décembre 2021, la demanderesse a été invitée à une audition au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Elle a refusé d’y participer au motif que son grief contenait l’ensemble de ses arguments. Elle a aussi informé la défenderesse que son grief devrait procéder directement au palier final conformément à sa convention collective, soit celle intervenue entre l’Agence du revenu du Canada et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada pour le groupe Vérification, finances et sciences, expirant le 21 décembre 2022 (la « convention collective ») et à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), car il s’agissait d’un licenciement implicite.

[7] Le 10 janvier 2022, la défenderesse a rejeté le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été transmis au deuxième palier. Le 26 janvier 2022, la défenderesse a rejeté le grief et a informé la demanderesse que son grief sera transmis au palier final, conformément à la clause 34.08 de la convention collective. Les 23 et 29 mars et le 6 avril 2022, la demanderesse a transmis à la défenderesse des arguments supplémentaires pour les prendre en considération dans le cadre de son grief. Le 25 avril 2022, la défenderesse a rejeté le grief au palier final de la procédure de règlement des griefs.

[8] Toutefois, le 9 février 2022, et ce avant même que la défenderesse rende sa décision au palier final de la procédure de règlement des griefs, la demanderesse avait renvoyé son grief à l’arbitrage.

[9] La défenderesse s’y était opposée au motif que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage prématurément. Dans sa décision du 6 mars 2024 (voir l’annexe « A »), la Commission a conclu que le grief de la demanderesse n’était pas validement renvoyé devant la Commission, a accueilli l’objection de la défenderesse, a refusé le renvoi à l’arbitrage et a fermé le dossier.

[10] Le 2 avril 2024, la demanderesse a présenté une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement, par souci d’équité, pour renvoyer son grief à l’arbitrage. La défenderesse s’y est opposée au motif que la demanderesse n’avait pas démontré que sa demande satisfaisait au critère à cinq volets applicable aux demandes de prorogation du délai qui a été établi dans Schenkman. De plus, la défenderesse s’est également opposée à la compétence de la Commission d’entendre ce grief au motif qu’il ne portait pas sur une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire. Cette deuxième objection a été mise en suspens en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale dans le dossier A-154-24, Lavoie. c. le Procureur général du Canada. La présente décision ne porte que sur l’objection de la défenderesse concernant la demande de prorogation du délai.

[11] Pour déterminer le bien-fondé de l’objection de la défenderesse, j’ai offert aux parties de présenter des arguments écrits supplémentaires, ce qu’elles ont fait. Je les ai attentivement examinés.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la défenderesse

[12] Au soutien de son objection, la défenderesse s’appuie sur le paragraphe 90(1) du Règlement. Ce paragraphe prévoit qu’un grief doit être renvoyé à l’arbitrage au plus tard 40 jours après avoir reçu la décision au dernier palier de la procédure applicable au grief. Or, selon la défenderesse, près de deux années se sont écoulées entre la date à laquelle la demanderesse a reçu la décision au palier final, soit le 25 avril 2022, et la date du renvoi du grief à l’arbitrage, soit le 2 avril 2024.

[13] La défenderesse a brièvement fait référence au critère à cinq volets énoncé dans Schenkman applicable aux demandes de prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement. Selon la défenderesse, la demanderesse n’a fourni aucun motif claire, logique et convaincant pour justifier pourquoi elle n’avait pas renvoyé son grief dans le délai prescrit par le Règlement.

B. Pour la demanderesse

[14] La demanderesse soumet qu’il serait équitable d’accorder sa demande de prorogation du délai car elle s’est conformée rigoureusement aux clauses 34.13 et 34.17 de la convention collective. Puisqu’elle a présenté son grief le 7 décembre 2021, la défenderesse avait jusqu’au 21 janvier 2022 pour y répondre. Par conséquent, le délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage expirait le 2 mars 2022. Il s’en suit qu’initialement, elle a renvoyé son grief à l’intérieur du délai prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement.

[15] La demanderesse souligne qu’au moment de la présentation de son grief, elle a précisé à la défenderesse que la décision de la mettre en congé non payé pour une période indéterminée était un licenciement implicite, car la défenderesse lui imposait unilatéralement une nouvelle condition d’emploi à laquelle elle refusait de se conformer. Dans ses arguments, la demanderesse fait également référence à diverses statistiques concernant les effets indésirables graves causés par l’injection du traitement génique expérimental (vaccins contre la COVID-19), y compris les taux de mortalité.

[16] La demanderesse soumet que quoi qu’il en soit, la Commission a conclu, dans sa décision du 6 mars 2024, que la demanderesse avait renvoyé son grief à l’arbitrage avant l’écoulement de la période prévue pour la réponse de la défenderesse. Toutefois, elle soumet que la Commission a erré en concluant qu’elle n’était pas « validement saisie du grief » à défaut de trancher la question du licenciement implicite. Par conséquent, elle demande à la Commission, dans le cadre de la présente demande de prorogation du délai, de remédier à cette prétendue erreur en exerçant son pouvoir en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi. Selon elle, le moyen le plus simple d’y arriver est de lui accorder la prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. Le paragraphe 43(1) se lit comme suit : « La Commission peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ou réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet. »

[17] De plus, selon la demanderesse, un tribunal administratif n’est pas lié par ses décisions antérieures au même titre qu’une cour de justice (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65(CanLII), [2019] 4 R.C.S. 653, au par. 131). Par conséquent, la Commission n’est pas liée ni par Fauteux c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2022 CRTESPF 84, ni par la décision du 6 mars 2024.

[18] À défaut de remédier à la décision du 6 mars 2024, demanderesse soumet que la demande de prorogation du délai devrait être accordée, car sa demande satisfait au critère à cinq volets énoncé dans Schenkman. En effet, son grief a été mis en suspens par la Commission jusqu’à la décision du 6 mars 2024 concernant son premier renvoi à l’arbitrage du 9 février 2022. De plus, ni la demanderesse ni la défenderesse ne pouvaient présumer du résultat de la décision du 6 mars 2024. Enfin, elle avait de bonnes raisons de penser qu’elle était victime d’un licenciement implicite et qu’elle pouvait donc présenter son grief au dernier palier. L’attente de la décision du 6 mars 2024 est une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard. La Commission a pris deux ans pour se prononcer sur le premier renvoi à l’arbitrage.

[19] Quant au volet concernant la diligence raisonnable, la demanderesse a respecté les délais lors de son premier renvoi à l’arbitrage. De plus, elle a renvoyé son grief à l’arbitrage une deuxième fois le 2 avril 2024, soit 27 jours après la décision de la Commission du 6 mars 2024.

[20] Selon la demanderesse, il serait inéquitable que les fonctionnaires s’estimant lésés qui n’avaient pas obtenu de réponse au palier final avant le 6 mars 2024 puissent poursuivre la procédure et renvoyer leur grief à l’arbitrage, tandis que la demanderesse, qui a reçu une réponse au dernier palier le 25 avril 2022, ne puisse pas le faire. Enfin, il n’y a aucune raison de penser que son grief n’a pas des chances de succès.

[21] Au soutien de sa demande, la demanderesse fait référence à la décision Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42, au par. 25, dans laquelle la Commission a accepté de proroger le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage avec 20 mois de retard.

C. Réplique de la défenderesse

[22] La défenderesse réitère que la demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage près de deux ans après l’expiration du délai de 40 jours prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement. La défenderesse soumet que les délais sont censés être respectés et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles, en fonction des faits de chaque cas (voir Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, au par. 77).

[23] Par souci d’équité, la Commission a le pouvoir d’accorder une prorogation du délai, en appliquant le critère à cinq volets énoncé dans Schenkman. Toutefois, les volets n’ont pas nécessairement la même importance. Chaque volet doit être examiné par rapport aux circonstances de chaque cas (voir Lewis c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2023 CRTESPF 27, au par. 50, et Bowden, au par. 77). Certains volets ne s’appliquent pas, selon les circonstances de chaque cas (voir Lessard-Gauvin c. Conseil du Trésor (École de la fonction publique du Canada), 2022 CRTESPF 40, au par. 32).

[24] Selon la défenderesse, ni l’attente de la décision de la Commission rendue le 6 mars 2024, ni la prétendue erreur que la Commission aurait commise ne constituent des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard de deux ans.

[25] En effet, après avoir présenté son grief le 7 décembre 2021, la défenderesse a expliqué à la demanderesse la procédure de règlement des griefs applicable à sa situation, et que son grief ne pouvait pas être entendu directement au palier final. La demanderesse a fait fi des explications de la défenderesse. Une fois que la demanderesse a reçu la réponse au palier final le 25 avril 2022, rien ne l’empêchait de renvoyer son grief à l’arbitrage dans les délais impartis.

[26] Or, la demanderesse a sciemment choisi d’attendre la décision de la Commission du 6 mars 2024 traitant de l’objection de la défenderesse concernant le premier renvoi à l’arbitrage. Ce n’est pas une raison logique dans les circonstances. Le retard est entièrement attribuable à la demanderesse. Elle n’a jamais cherché à s’assurer que son renvoi avait été fait de la manière prescrite. L’omission ou la négligence ne constitue pas une raison logique et convaincante justifiant une prorogation du délai.

[27] Selon la défenderesse, la durée du retard est considérable. Les délais fixés par la Loi et le Règlement sont obligatoires et doivent être respectés (voir Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92).

[28] La défenderesse soutient que la demanderesse ne s’est pas comportée de manière diligente. Les raisons qu’elle a fournies ne démontrent en rien qu’elle a été empêchée d’agir après avoir reçu la réponse au palier final le 25 avril 2022 (voir Popov c. Agence spatiale canadienne, 2018 CRTESPF 49, au par. 52). La demanderesse a sapé la procédure de règlement des griefs. Elle a sciemment choisi de ne pas attendre la décision au palier final avant de renvoyer son grief à l’arbitrage le 9 févier 2022. Par la suite, elle s’est contentée d’attendre la décision de la Commission pendant près de deux ans.

[29] Selon la défenderesse, pour ce qui est du volet concernant l’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse et le préjudice que subirait la défenderesse, il devrait se voir accorder peu de poids car la demanderesse n’a pas établi des raisons claires, logiques et convaincantes. Accorder une prorogation, qui est une exception et non la règle, alors que le retard est considérable, mine sérieusement la confiance dans le respect des délais.

[30] Les chances de succès du grief sont faibles. Quoiqu’il en soit, ce volet devrait recevoir peu de poids, car il est difficile d’évaluer le bien-fondé d’un grief sans audience. Cela étant, dans Rehibi c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 47, portant sur un contexte factuel similaire, la Commission a notamment conclu que l’application de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada et la mise en congé sans solde des fonctionnaires s’estimant lésés constituaient une mesure administrative plutôt qu’une mesure disciplinaire. Le fait que les fonctionnaires s’estimant lésés aient contesté cette décision par une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale n’affecte pas le fait que les chances du succès du grief sont faibles.

D. Réponse de la demanderesse à la réplique de la défenderesse

[31] Avec le consentement de la défenderesse, j’ai autorisé la demanderesse à présenter des arguments supplémentaires au soutien de sa demande de prorogation. La demanderesse soumet que l’équité, l’accessibilité et le caractère moins formel de la procédure devant les tribunaux administratifs sont des principes cardinaux que les décideurs administratifs doivent respecter.

[32] Selon la demanderesse, la Commission doit déterminer si ses droits, notamment ceux garantis par la Charte, ont été violés (voir Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22, aux paragraphes 90 à 94). Quant à Rehibi, elle a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire parce que la commissaire a refusé de se prononcer sur la violation des droits des fonctionnaires s’estimant lésés. Dans ses arguments supplémentaires, la demanderesse attaque la décision dans Rehibi.

[33] La demanderesse réitère que la Commission a omis de déterminer, dans sa décision du 6 mars 2024, si elle a fait l’objet d’un licenciement implicite. Par conséquent, elle ne pouvait pas savoir si la clause 34.17 de la convention collective s’appliquait. Cela n’est pas équitable. Lors de la procédure interne de règlement des griefs, la défenderesse n’a pas respecté le principe fondamental de l’équité procédurale en permettant à la demanderesse de se faire entendre. Cela milite en faveur d’accueillir sa demande de prorogation du délai.

[34] Le deuxième renvoi à l’arbitrage de son grief n’aurait rien changé à la situation et son grief serait aujourd’hui en suspens, comme beaucoup d’autres. De plus, au lieu de se livrer à une démarche procédurale inutile sans aucune incidence sur le fond de l’affaire, la défenderesse aurait pu tout simplement interrompre la procédure interne de règlement des griefs aussitôt que le renvoi a eu lieu le 9 février 2022. Cela aurait permis à la demanderesse de poursuivre la procédure interne de règlement des griefs au palier final après la décision de la Commission du 6 mars 2024.

[35] Refuser la demande de prorogation du délai serait contraire à l’esprit ayant présidé la création des tribunaux administratifs canadiens, qui doivent faire preuve de souplesse, comme le confirment le paragraphe 43(1) de la Loi, le paragraphe 90(1) du Règlement, et le paragraphe 25 de Barbe.

E. Réplique de la défenderesse aux arguments supplémentaires de la demanderesse

1. Questions procédurales

[36] La défenderesse a demandé à la Commission l’autorisation de déposer une réplique aux arguments supplémentaires de la demanderesse. Lorsque la Commission a demandé à la demanderesse de fournir sa position sur la demande de la défenderesse, la demanderesse a précisé qu’elle ne s’y opposait pas, tout en profitant de cette occasion pour soumettre des arguments supplémentaires.

[37] Considérant ce qui précède, j’ai accepté la demande de la défenderesse en précisant que la réplique devait être limitée aux arguments soulevés par la demanderesse dans ses arguments supplémentaires déposés le 5 août 2024. En revanche, étant donné que la demanderesse avait déjà eu deux occasions de faire valoir ses arguments (le 22 juillet pour les premiers arguments et le 5 août 2024 pour des arguments supplémentaires), je l’ai informée que je ne tiendrai pas compte de ses arguments supplémentaires formulés dans son courriel du 25 octobre 2024.

[38] Cette décision ne cause aucun préjudice à la demanderesse, puisqu’elle a eu deux occasions de répondre aux arguments de la défenderesse. Par ailleurs, j’estime qu’autoriser la soumission continue d’arguments supplémentaires risquerait non seulement de retarder la conclusion du processus, mais également de nuire à l’efficacité et à la prévisibilité de la procédure. En appliquant la règle de clôture des échanges, cette décision assure que toutes les parties sont traitées équitablement dans le processus d’échange d’arguments.

2. Réplique de la défenderesse

[39] La défenderesse soumet que le fait que la demanderesse croyait qu’elle avait fait l’objet d’un licenciement implicite ne démontre en rien ce qui aurait pu l’empêcher de renvoyer son grief à l’arbitrage dans les délais impartis après la réception de la décision du palier final le 25 avril 2022.

[40] La défenderesse n’avait pas à interrompre la procédure de règlement des griefs parce que la demanderesse a choisi de ne pas la respecter. La procédure de règlement des griefs fait partie de la convention collective établie par les parties en respect avec la législation applicable.

[41] La défenderesse n’a jamais refusé d’entendre les arguments de la demanderesse. Le fait que la défenderesse ne soit pas d’accord avec sa position ne peut être confondu avec un manquement à l’équité procédurale. À chaque palier de la procédure de règlement des griefs, la demanderesse s’est vu offrir l’occasion d’être entendue et de présenter son argumentation. À chaque fois, elle a refusé d’y participer en précisant que tous ses arguments étaient déjà énoncés dans son grief. La défenderesse a examiné les documents de référence supplémentaires que la demanderesse lui avait transmis au palier final et a répondu aux arguments de la demanderesse selon lesquels elle avait fait l’objet d’un licenciement, d’un licenciement déguisé ou d’une mesure disciplinaire.

IV. Motifs

[42] En vertu de l’article 61b) du Règlement, la Commission peut, par souci d’équité, proroger tout délai, prévu par la Partie 2 du Règlement ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document.

[43] La Commission applique le critère à cinq volets pour déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais, par souci d’équité (voir Schenkman). L’importance accordée à chacun des volets n’est pas nécessairement la même, les volets ne sont pas tous pertinents et la valeur probante des facteurs est situationnelle, selon les faits du dossier (voir Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39, aux paragraphes 59 et 70, et Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, au par. 74).

[44] L’article 61b) du Règlement n’a pas pour but de dénuer de tout le sens les délais négociés par les parties (voir Bowden, au par. 77, et Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, au par. 24). Les délais sont prescrits et ne devraient être prorogés qu’à titre exceptionnel (voir Martin, aux paragraphes 57 et 68). En l’absence des raisons claires, logiques et convaincantes, il est difficile de voir comment une prorogation du délai pourrait être considérée comme juste et équitable (voir Andrews c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2021 CRTESPF 137, au par. 28, et Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68, au par. 47).

A. La prorogation du délai n’est pas justifiée

1. Le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[45] La demanderesse n’a pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant pourquoi elle avait attendu près de deux ans avant de renvoyer son grief à l’arbitrage. Plutôt que de concentrer ses arguments sur les raisons pour lesquelles elle n’avait pas renvoyé son grief à l’arbitrage dans les 40 jours suivant la réponse au dernier palier le 25 avril 2022, conformément au paragraphe 90(1) du Règlement, la demanderesse consacre la grande majorité de ses arguments à expliquer pourquoi elle avait le droit, ou qu’elle était justifiée, de présenter son grief directement au palier final de la procédure de règlement des griefs et de le renvoyer à l’arbitrage avant de recevoir la réponse au palier final de la procédure de règlement des griefs. De plus, elle essaie de convaincre la Commission que sa décision du 6 mars 2024 ainsi que Rehibi sont erronées.

[46] Or, dans sa décision du 6 mars 2024, la Commission a conclu que la demanderesse ne pouvait pas présenter son grief directement au palier final de la procédure de règlement des griefs et le renvoyer à l’arbitrage avant de recevoir la réponse au palier final. Par conséquent, la Commission l’a rejeté pour défaut de compétence. La demanderesse n’a pas contesté cette décision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, comme la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7) le lui permet. Cette question est close. Je traiterai plus loin dans ces motifs de l’argument de la demanderesse concernant le recours prévu au paragraphe 43(1) de la Loi.

[47] Quant à la décision Rehibi, elle a été contestée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale. Il appartiendra à la Cour, et non à la Commission dans le cadre d’une demande de prorogation du délai, de décider si cette décision est entachée d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[48] Le fait que la demanderesse attendait la décision de la Commission concernant son premier renvoi à l’arbitrage du 9 février 2022 ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante justifiant pourquoi elle n’avait pas renvoyé son grief à l’arbitrage après avoir reçu la réponse au palier final. L’attente de la décision du 6 mars 2024 n’avait pour effet de suspendre le délai de 40 jours prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement.

[49] D’ailleurs, la défenderesse a expliqué à la demanderesse que son grief ne pouvait pas être présenté directement au dernier palier et qu’il devait suivre la procédure de règlement des griefs en place. Or, la demanderesse a préféré renvoyer son grief à l’arbitrage avant même d’avoir reçu la réponse au dernier palier. C’est un risque qu’elle a pris. En étant consciente de ce risque, et ce afin de protéger ses droits, elle aurait pu renvoyer son grief à l’arbitrage après avoir reçu la réponse au palier final dans le délai prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement. Or, elle a choisi de ne pas le faire. Cette décision lui appartient. Je n’accepte pas que la demanderesse puisse invoquer sa propre négligence pour obtenir une prorogation du délai. La négligence n’est pas une raison claire, logique ou convaincante pour justifier le retard (voir Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, au par. 29).

[50] La demanderesse soumet que l’impossibilité de présumer de la décision de la Commission rendue le 6 mars 2024 concernant son premier renvoi à l’arbitrage le 9 février 2022 constitue une raison claire, logique et convaincante de ne pas avoir procédé à un deuxième renvoi à l’arbitrage avant le 2 avril 2024. Je ne suis pas d’accord. Je suis d’avis que l’impossibilité de présumer de la décision de la Commission du 6 mars 2024 aurait dû inciter la demanderesse à faire preuve de prudence et à renvoyer son grief à l’arbitrage dans les 40 jours suivant le 25 avril 2022. Je m’explique mal cette inaction de la part de la demanderesse.

2. La durée du retard est significative

[51] Presque deux ans se sont écoulés entre la date où la défenderesse a rendu sa décision au palier final de la procédure de règlement des griefs et le moment où la demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage pour la deuxième fois. Comme je l’ai expliqué précédemment, ce retard est strictement attribuable à la décision de la demanderesse de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage dans le délai prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement, après avoir reçu la décision de la défenderesse au dernier palier le 25 avril 2022.

[52] Il s’agit d’un délai considérable qui milite en faveur du rejet de la demande de prorogation du délai (voir Chan c. Conseil du Trésor (Bureau du directeur général des élections), 2008 CRTFP 86, au par. 20, et Van Duyvenbode c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CRTFP 90, au par. 46).

[53] Je ne suis pas d’accord avec l’argument de la demanderesse voulant que la durée du retard ne saurait lui être imputée au motif que c’est la Commission qui a pris deux ans pour se prononcer sur le premier renvoi à l’arbitrage. Comme je l’ai déjà mentionné, l’attente de cette décision n’avait pas pour effet de suspendre le délai prescrit au paragraphe 90(1) du Règlement.

3. La demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable

[54] La demanderesse n’a pas renvoyé son grief à l’arbitrage dans les délais impartis, après avoir reçu la décision au dernier palier, par choix et non par empêchement. Elle a plutôt préféré attendre la décision de la Commission, rendue le 6 mars 2024, avant de prendre cette initiative. Cela n’était pas diligent de sa part. La demanderesse était consciente des risques associés à ce choix.

[55] Je rejette l’argument de la demanderesse selon lequel elle a fait preuve de diligence raisonnable, car elle a respecté les délais lors de son premier renvoi à l’arbitrage et elle a renvoyé son grief à l’arbitrage une deuxième fois dans les 27 jours suivant la décision du 6 mars 2024. En renvoyant son grief à l’arbitrage prématurément, elle n’a clairement pas respecté les délais applicables. De plus, le fait de prétendre que la demanderesse a fait preuve de diligence en renvoyant son grief à l’arbitrage une deuxième fois dans les 27 jours suivant la décision de la Commission est fallacieux, car il repose sur une prémisse inexacte. Le délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage a commencé à courir à partir de la date de la réception de la réponse au dernier palier, le 25 avril 2022, et non à partir du 6 mars 2024.

4. L’équilibre entre l’injustice causée à la demanderesse si la demande est refusée et le préjudice subi par la défenderesse si elle est accordée

[56] Je suis sensible au fait qu’en rejetant la demande de prorogation du délai de la demanderesse, cette dernière ne pourra pas faire valoir son grief. Toutefois, elle aurait facilement pu éviter cette situation. Elle a pris des risques inutiles.

[57] La demanderesse soutient qu’il ne serait pas équitable pour la Commission de rejeter sa demande de prorogation du délai au motif que d’autres fonctionnaires, qui eux n’ont pas reçu de réponse au palier final avant la décision du 6 mars 2024, peuvent continuer la procédure de règlement des griefs et, par la suite, renvoyer leurs griefs à l’arbitrage.

[58] Cet argument ne constitue pas une raison claire, logique et convaincante pour justifier son inaction durant une période de presque deux ans. Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse a, en toute connaissance de cause, choisi de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage après avoir reçu la décision au dernier palier. La négligence n’est pas une justification acceptable et ne satisfait pas au critère à cinq volets (voir Copp, au par. 29).

5. Les chances de succès du grief demeurent incertaines

[59] Le grief de la demanderesse a pour objet la décision de la défenderesse de la placer en congé sans solde pour ne pas s’être conformée à la Politique. Selon la demanderesse, il s’agit d’une mesure disciplinaire entraînant un licenciement implicite, en violation de la Charte et de la convention collective. La demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi. Cet article permet à un fonctionnaire s’estimant lésé de renvoyer à l’arbitrage un grief individuel portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[60] Récemment, la Commission a déterminé que la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada – c’est-à-dire son élaboration, sa mise en œuvre et son application aux fonctionnaires s’estimant lésés – constituait une mesure administrative plutôt qu’une mesure disciplinaire (voir Rehibi). De plus, la Commission a conclu que cette politique ne portait pas atteinte aux droits des fonctionnaires s’estimant lésés protégés par l’article 7 de la Charte et qu’elle n’avait pas d’impact sur les valeurs qui sous-tendent cet article. Conséquemment, la Commission a rejeté les griefs pour défaut de compétence.

[61] La défenderesse soutient que, compte tenu de la décision Rehibi, les chances de succès du grief de la demanderesse sont faibles.

[62] Cela étant, je note que les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté la décision Rehibi dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale. Ils sont en attente d’une décision. Il ne serait pas approprié de ma part de spéculer sur l’issue de cette demande. Compte tenu de ce qui précède, j’accorde peu de poids à ce volet.

[63] Sans me prononcer sur le bien-fondé du raisonnement dans Barbe, citée par la demanderesse à l’appui de sa demande de prorogation du délai, celle-ci peut être facilement distinguée des faits du présent cas. Dans Barbe, les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés portaient sur leur droit au versement de leur salaire lors d’un congé pour accident de travail. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvaient pas renvoyer leurs griefs à l’arbitrage par eux-mêmes car ils s’appuyaient sur la convention collective. L’appui de leur agent négociateur était indispensable pour les renvoyer à l’arbitrage. Or, en raison de la confusion de l’agent négociateur, les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage avec un retard de 20 mois. Dans ces circonstances, et compte tenu que les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvaient pas agir seuls et dépendaient de l’action de leur agent négociateur, la Commission a accepté de proroger le délai.

[64] Or, dans le présent cas, comme il a été mentionné précédemment dans ces motifs, la décision de la demanderesse de ne pas renvoyer son grief à l’arbitrage dans les délais prescrits, après avoir reçu la réponse au grief au palier final, lui est entièrement imputable. En d’autres mots, contrairement aux fonctionnaires s’estimant lésés dans Barbe, la demanderesse n’était pas empêchée de renvoyer son grief à l’arbitrage.

[65] À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis que la demanderesse n’avait pas offert des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard. Vu cette conclusion, les autres volets de l’analyse deviennent secondaires (voir Schenkman, au par. 80, et Lagacé, au par. 53). Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt de l’équité de proroger le délai.

B. Le recours prévu au paragraphe 43(1) de la Loi

[66] De façon incidente, la demanderesse invoque le paragraphe 43(1) de la Loi au soutien de sa demande de prorogation du délai. À titre de rappel, ce paragraphe se lit comme suit : « La Commission peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ou réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet ».

[67] Plus précisément, la demanderesse soumet que la façon la plus simple de remédier à l’erreur dans la décision du 6 mars 2024, en s’appuyant sur le paragraphe 43(1) de la Loi, est d’accueillir sa demande de prorogation du délai. Selon elle, l’erreur en question réside dans la conclusion de la Commission qui a estimé ne pas être validement saisie du grief sans avoir tranché la question du licenciement implicite. Je m’empresse d’ajouter que la demanderesse n’a pas contesté cette décision devant la Cour d’appel fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, comme elle aurait pu le faire de plein droit.

[68] Une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement et une demande de réexamen en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi sont deux voies procédurales distinctes et indépendantes. Le recours prévu au paragraphe 43(1) de la Loi donne le pouvoir à la Commission, qui agit en vertu de la Partie 1 de la Loi – Relations de travail, de réexaminer, d’annuler ou de modifier ses décisions ou ordonnances ou de réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet. Je précise la Partie 1 de la Loi, car une incertitude semble exister quant à savoir si la Commission siégeant en vertu de la Partie 2 de la Loi, qui traite des griefs, peut exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 43(1) (voir Canada (Procureur général) c. Philps, 2017 CAF 178; Kruse c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 28; Nash c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 121). L’article 61b) du Règlement donne à la Commission le droit de proroger les délais, par souci d’équité.

[69] Même en présumant, sans pour autant statuer sur la question, que la Commission agissant en vertu de la Partie 2 de la Loi peut exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 43(1) de la Loi, j’aurais tout de même rejeté la demande de réexamen. En effet, j’estime que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir qu’un réexamen de la décision du 6 mars 2024 est justifié.

[70] D’entrée de jeu, je tiens à rappeler qu’une demande en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi n’est pas un appel ou une demande pour une nouvelle décision. Il s’agit d’une exception limitée au caractère définitif des décisions de la Commission (voir Chaudhry c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 376, au par. 8, et le paragraphe 34(1) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; LCRTESPF)). Le recours prévu au paragraphe 43(1) n’est pas un recours de plein droit. Le principe fondamental de la stabilité des relations de travail exige que les décisions, une fois rendues, soient respectées et exécutées. Ce principe garantit l’intégrité et la finalité du processus décisionnel, évitant que des décisions ne soient constamment contestées et réévaluées.

[71] Il incombe à la partie qui fait la demande de démontrer que la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi en raison des circonstances exceptionnelles (voir Agence du revenu du Canada c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 32, au par. 18, et Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 39). En l’absence de tels motifs, la demande de réexamen s’apparente à une tentative de réouverture indue du débat, ce qui pourrait compromettre la crédibilité et l’autorité de la décision finale. Or, dans le présent dossier, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’un réexamen de la décision du 6 mars 2024 en vertu du paragraphe 43(1) est justifié. Une simple allégation selon laquelle la Commission a erré ne satisfait pas à ce fardeau. Il faut plus. Enfin, j’aimerais également souligner qu’une demande de réexamen en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi doit être déposée en bonne et due forme, accompagnée d’arguments à l’appui, permettant à la Commission de déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de cette disposition. Or, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas présenté une telle demande dans le présent cas. À mon avis, le simple fait d’invoquer de manière incidente le paragraphe 43(1) de la Loi dans le cadre d’une demande de prorogation du délai, en soutenant que la Commission a erré dans son analyse dans une de ses décisions antérieures, ne saurait être considéré comme équivalant à la présentation d’une demande de réexamen en bonne et due forme. Toutefois, si je me trompe à cet égard et que ce qui précède suffit pour conclure que la demanderesse a effectivement présenté une demande de réexamen en bonne et due forme, je l’aurais tout de même rejetée, car la demanderesse n’a pas démontré, comme elle en avait le fardeau, que la demande satisfaisait notamment aux critères pertinents (voir Agence du revenu du Canada, au par. 18, et Chaudhry, au par. 29).

[72] Pour les motifs exprimés ci-dessus, l’argument selon lequel la Commission devrait s’appuyer sur le paragraphe 43(1) de la Loi pour remédier à la décision du 6 mars 2024, et ainsi accueillir la demande de prorogation de délai, est rejeté.

C. Les précédents favorisent la prévisibilité et la stabilité

[73] Enfin, je rejette la suggestion de la demanderesse selon laquelle je ne suis pas obligé de suivre la décision de la Commission dans Fauteux, ni celle du 6 mars 2024 au motif que la Commission n’est pas liée par ses décisions antérieures au même titre qu’une cour de justice.

[74] Quoique qu’il est vrai qu’en règle générale un tribunal administratif n’est pas lié par ses propres décisions au même titre qu’une cour de justice, je suis d’avis qu’un commissaire ne devrait s’écarter des décisions antérieures que s’il est d’avis qu’elles sont mal fondées. La certitude, l’uniformité, la stabilité et la prévisibilité sont des éléments essentiels au maintien d’un climat de relations de travail sain. Si le commissaire s’écarte de la jurisprudence, il devra en fournir des motifs (voir Canada (Procureur général) c. Fédération de la police nationale, 2022 CAF 80, aux paragraphes 48 à 50). Le simple fait que la demanderesse soit en désaccord avec la décision dans Fauteux ne suffit pas pour l’écarter.

[75] En ce qui concerne la décision du 6 mars 2024, dans la mesure où elle tranche la question en litige entre la demanderesse et la défenderesse, celle-ci est définitive et exécutoire (voir le paragraphe 34(1) de la LCRTESPF). Il ne m’est pas permis de l’ignorer, comme le propose la demanderesse.

[76] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[77] La demande de prorogation du délai de la demanderesse est rejetée.

[78] Le grief est rejeté.

Le 3 février 2025.

Adrian Bieniasiewicz,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral


ANNEXE A

 

 

 

Le 6 mars 2024

 

 

 

Bernard Desgagné (Représentant des fonctionnaires s’estimant lésés)

[adresse courriel caviardée]

PAR COURRIEL

 

Richard Fader (Représentant du Conseil du Trésor pour l’employeur)

[adresse courriel caviardée]

PAR COURRIEL

 

 

 

Objet : Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Dossiers 566-34-44056 (Landry), 566-34-44104 (Girard), 566-34-44208 (Boutet), 566-34-44218 (El-Haraké), 566-34-44226 (Gauthier), 566-34-44250 (Vilela), 566-34-44258 (Grenier) & Agence du revenu du Canada


 

Entre le 20 janvier 2022 et le 17 février 2022, les fonctionnaires s’estimant lésés ci-dessus (« les fonctionnaires ») ont renvoyé des griefs individuels à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). L’agence de revenu du Canada (l’« employeur ») a soulevé une objection préliminaire, selon laquelle les griefs ne pouvaient être renvoyés à l’arbitrage parce qu’ils n’avaient pas été présentés au dernier palier de la procédure de grief, contrairement à la procédure de grief prévue aux conventions collectives applicables ou, dans le cas de Maya El-Haraké (dossier 566-34-44218), que le renvoi du grief été prématuré. L’article 225 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 la Loi ») prévoit également qu’un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage avant d’avoir été présenté à tous les paliers requis de la procédure de grief applicable.

 

Les griefs portent sur la décision de l’employeur, conformément à la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 de l’Agence du revenu du Canada (la politique), de placer les fonctionnaires en congé administratif non payé parce qu’ils refusaient d’obtempérer à la directive.

 

La Commission a reçu un grand nombre de griefs similaires, dont un certain nombre, comme ceux-ci, avait été renvoyés hâtivement à la Commission. Ces griefs hâtifs ont été suspendus dans l’attente d’une décision sur l’objection préliminaire de l’employeur. La décision (Fauteux c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2022 CRTESPF 84) a été rendue le 7 octobre 2022. Elle a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale, demande retirée le 30 mars 2023.

 

La Commission a écarté l’argument selon lequel qualifier la politique de changement des conditions de travail, donnant lieu à un congédiement déguisé ou licenciement implicite, permettait de passer directement au dernier palier de la procédure de grief, le cours habituel d’un grief contre un licenciement. Dans Fauteux, les griefs avaient été entendus au premier palier, qui équivalait selon les fonctionnaires au dernier palier.

La Commission a conclu que puisque les fonctionnaires n’avaient pas suivi la procédure requise, leurs griefs ne pouvaient procéder à l’arbitrage. L’essentiel du raisonnement se trouve dans les paragraphes suivants :

 

[48] Je ne peux pas accepter qu’un fonctionnaire s’estimant lésé puisse unilatéralement faire fi de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective en s’appuyant uniquement sur sa description de son grief comme portant sur un congédiement déguisé ou un licenciement implicite. Un fonctionnaire n’est pas en droit de traiter la réponse, ou l’absence de réponse, de l’employeur au premier palier comme étant une décision au palier final de la procédure de règlement des griefs, et ce, uniquement en raison de sa caractérisation de la situation. Il irait à l’encontre de la convention collective et de l’esprit et l’objet de la Loi d’accepter la position mise de l’avant par les fonctionnaires.

[49] Les fonctionnaires sont libres d’interpréter la décision de l’Agence comme constituant un congédiement déguisé et de faire valoir leurs droits. Toutefois, ils doivent faire cela dans le respect de la procédure établie par la convention collective et la Loi. Permettre aux fonctionnaires de renvoyer leurs griefs à l’arbitrage sans qu’ils se soient conformés à la procédure de règlement des griefs serait contraire à l’objectif de la procédure de règlement des griefs telle qu’elle est décrite dans Laferrière.

[50] Étant donné que les fonctionnaires ne se sont pas conformés à la procédure de règlement des griefs, les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage en vertu de la Loi d’une manière appropriée et, à ce titre, la Commission n’a pas compétence pour les traiter.

 

Décision

 

L’obstacle au renvoi prématuré est triple : l’exigence de faire passer le grief par tous les paliers nécessaires est prévue, outre la convention collective, aux articles 225 et 209(1) de la Loi. Les passages pertinents se lisent comme suit :

 

Convention collective entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la fonction publique du Canada, date d’expiration 31 octobre 2021

 

18.08 La procédure de règlement des griefs comporte un maximum de quatre (4) paliers :

 

a. le palier 1 premier (1er) palier de direction;

b. les paliers 2 et 3 palier(s) intermédiaire(s), lorsqu’il existe de tel(s) palier(s) à l’ARC;

c. le palier final le Commissaire ou son représentant autorisé.

 

Lorsque la procédure de règlement des griefs comprend quatre (4) paliers, le plaignant peut choisir de renoncer soit au palier 2, soit au palier 3.

 

18.16 Lorsque la nature du grief est telle qu’une décision ne peut être rendue au-dessous d’un palier d’autorité donné, l’Employeur et l’employé et, s’il y a lieu, l’Alliance, peuvent s’entendre pour supprimer un palier ou tous les paliers, sauf le dernier.

 

18.17 Lorsque l’Employeur rétrograde ou licencie un employé pour un motif déterminé aux termes de l’un des alinéas 51(1)f) ou g) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la présente convention s’applique, sauf que le grief n’est présenté qu’au dernier palier.

 

18.19 L’employé qui néglige de présenter son grief au palier suivant dans les délais prescrits est réputé avoir renoncé à son grief, à moins que l'employé ne puisse invoquer des circonstances indépendantes de sa volonté qui l’ont empêché de respecter les délais prescrits.

 

18.21 Renvoi à l’arbitrage

Lorsque l’employé a présenté un grief jusqu’au et y compris le dernier palier de la procédure de règlement des griefs […]et que son grief n’a pas été réglé à sa satisfaction, l’employé peut le présenter à l’arbitrage selon les dispositions de la LRTSPF et de son règlement d’exécution.

18.08 There shall be no more than a maximum of four (4) levels in the grievance procedure:

 

a. Level 1 first (1st) level of management;

b. Levels 2 and 3 intermediate level(s), where such level or levels are established in the CRA;

c. Final level the Commissioner or their authorized representative.

 

Whenever there are four (4) levels in the grievance procedure, the grievor may elect to waive either Level 2 or 3.

 

 

18.16 Where it appears that the nature of the grievance is such that a decision cannot be given below a particular level of authority, any or all the levels except the final level may be eliminated by agreement of the Employer and the employee, and, where applicable, the Alliance.

 

18.17 Where the Employer demotes or terminates an employee for cause pursuant to paragraph 51(1)(f) or (g) of the Canada Revenue Agency Act, the grievance procedure set forth in this Agreement shall apply, except that the grievance may be presented at the final level only.

 

 

18.19 Any employee who fails to present a grievance to the next higher level within the prescribed time limits shall be deemed to have abandoned the grievance unless, due to circumstances beyond their control, they were unable to comply with the prescribed time limits.

 

18.21 Reference to adjudication

 

Where an employee has presented a grievance up to and including the Final Level in the grievance procedure … and the employee’s grievance has not been dealt with to their satisfaction; they may refer the grievance to adjudication in accordance with the provisions of the FPSLRA and Regulations.

 

Convention collective entre l’Agence du revenu du Canada et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, date d’expiration 21 décembre 2022

 

34.08 La procédure de règlement des griefs comporte un maximum de quatre (4) paliers :

 

 

(a) le palier 1 première palier de direction;

(b) les paliers 2 et 3 palier(s) intermédiaire, lorsqu'il existe de tel(s) palier(s) à l'Agence;

(c) le palier final le commissaire ou son représentant autorisé.

 

Lorsque la procédure de règlement des griefs comprend quatre (4) paliers, le plaignant peut choisir de renoncer soit au palier 2, soit au palier 3.

 

34.16 Lorsque la nature du grief est telle qu'une décision ne peut être rendue au dessous d'un palier d'autorité donné, l'Employeur et l'employé-e et, s'il y a lieu, l'Institut, peuvent s'entendre pour supprimer un palier ou tous les paliers, sauf le dernier.

 

 

34.17 Lorsque l'Employeur rétrograde ou licencie un employé-e pour un motif déterminé aux termes de l'un des alinéas 51(1)(f) ou (g) de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la présente convention s'applique, sauf que le grief n'est présenté qu'au dernier palier.

 

34.19 L'employé-e qui néglige de présenter son grief au palier suivant dans les délais prescrits est réputé avoir renoncé à son grief, à moins qu'il ou elle ne puisse invoquer des circonstances indépendantes de sa volonté qui l'ont empêché de respecter les délais prescrits.

 

34.21 Renvoi à l'arbitrage

 

(1) L'employé-e peut renvoyer à l'arbitrage un grief individuel qui a été présenté à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, y compris le dernier, et qui n'a pas été réglé à sa satisfaction […]

34.08 There shall be no more than a maximum of four (4) levels in the grievance procedure:

(a) Level 1 – first level of management;

(b) Levels 2 and 3 intermediate level(s), where such level or levels are established in the Agency;

(c) Final level the Commissioner or his authorized representative.

 

Whenever there are four (4) levels in the grievance procedure, the grievor may elect to waive either Level 2 or 3.

 

 

34.16 Where it appears that the nature of the grievance is such that a decision cannot be given below a particular level of authority, any or all the levels except the final level may be eliminated by agreement of the Employer and the employee, and, where applicable, the Institute.

 

34.17 Where the Employer demotes or terminates an employee for cause pursuant to paragraph 51(1)(f) or (g) of the Canada Revenue Agency Act, the grievance procedure set forth in this Agreement shall apply, except that the grievance may be presented at the final level only.

 

 

34.19 Any employee who fails to present a grievance to the next higher level within the prescribed time limits shall be deemed to have abandoned the grievance unless, due to circumstances beyond his control, he was unable to comply with the prescribed time limits.

 

34.21 Reference to adjudication

(1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee's satisfaction …

 

La Loi :

 

225 Le renvoi d’un grief à l’arbitrage ne peut avoir lieu qu’après la présentation du grief à

tous les paliers requis conformément à la procédure applicable.

 

 

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur [...]

 

[Je mets en évidence]

225 No grievance may be referred to adjudication until the grievance has been

presented at all required levels in accordance with the applicable grievance process.

 

209 (1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been

dealt with to the employee’s satisfaction...

 

Comme le souligne la décision Fauteux, l’obligation de respecter les étapes de la procédure de grief est encore renforcée par l’article 241 de la Loi qui se lit comme suit :

 

241 (1) Les procédures prévues par la présente partie ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), l’omission de présenter le grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable ne constitue pas un vice de forme ou de procédure.

241 (1) No proceeding under this Act is invalid by reason only of a defect in form or a technical irregularity.

 

(2) The failure to present a grievance at all required levels in accordance with the applicable grievance process is not a defect in form or a technical irregularity for the purposes of subsection (1).

 

Les fonctionnaires n’ont pas présenté leurs griefs à tous les paliers de la procédure de règlement de grief, et ils ont demandé à l’employeur de rendre une décision de dernier palier, ce que l’employeur a refusé de faire. L’employeur exigeait des fonctionnaires qu’ils passent par les paliers requis, y compris le dernier. Les fonctionnaires ont choisi de renvoyer le grief à l’arbitrage plutôt que de l’envoyer au palier suivant. Les circonstances sont donc similaires à celles dans la décision Fauteux.

 

Avant de prendre une décision, la Commission a demandé aux fonctionnaires s’ils souhaitaient présenter des arguments pour distinguer la décision Fauteux de sorte qu’elle ne devrait pas s’appliquer à leur situation.

 

Les fonctionnaires ont présenté des arguments en ce sens.

 

Essentiellement, ils reprennent les arguments qui avaient déjà été soutenus devant la Commission dans le cadre de l’affaire Fauteux. Ils traitent notamment du bien-fondé du grief, soit que le vaccin était un traitement expérimental dangereux qu’ils étaient en droit de refuser. La privation de salaire était une forme de coercion, pour les forcer à accepter un traitement contre-indiqué. L’obligation de passer par tous les paliers de la procédure de grief ne faisait que renforcer cette coercion.

 

Tout comme dans Fauteux, les fonctionnaires reprennent l’argument que l’action de l’employeur est telle qu’on cherche à les forcer à démissionner, ce qui constituerait un licenciement implicite. Puisqu’un grief contre un licenciement peut être entendu directement au dernier palier de la procédure de grief, le grief devrait être réputé avoir été entendu au dernier palier.

 

Dans le cas de Mme El-Haraké, le grief a été renvoyé au dernier palier, mais le renvoi à l’arbitrage s’est fait avant l’écoulement de la période prévue pour la réponse de l’employeur. Par conséquent il n’est pas validement devant la Commission. Les fonctionnaires prétendent que la décision Fauteux ne peut s’appliquer parce que cette décision omet de trancher l’essentiel du litige, soit l’allégation de licenciement implicite.

 

À l’instar de la Commission dans Fauteux, je ne me prononce pas à savoir si l’on peut voir dans l’action de l’employeur un congédiement déguisé ou licenciement implicite. Pour décider de la question, il faudrait que je sois validement saisie du grief.

 

Or, le fait pour les fonctionnaires de ne pas suivre la procédure de grief prive la Commission de sa compétence. Le raisonnement de la décision Fauteux s’applique en l’espèce. La Commission n’a pas compétence pour traiter les griefs.

 

Les fonctionnaires soutiennent que l’exigence de l’employeur de se plier à la procédure de règlement de griefs est une imposition unilatérale de sa volonté.

 

Les dispositions de la convention collective sont négociées. L’agent négociateur et l’employeur ont établi la procédure pour ordonner le traitement de griefs. Les parties à la convention collective reconnaissent l’importance d’avoir un système organisé et prévisible. Dans l’esprit de la Loi, on cherche à encourager des relations de travail harmonieuses, et non acrimonieuses. La procédure existe pour favoriser les échanges. Les parties peuvent y déroger, mais de consentement mutuel. L’employeur n’avait aucune obligation d’y consentir.

 

Le législateur a également reconnu l’importance de respecter les étapes, et impose cette exigence dans la loi habilitante de la Commission. Celle-ci n’a aucun pouvoir d’y déroger.

 

Je tiens à préciser que le défaut de compétence a trait au respect des étapes de la procédure de grief. Dans son objection préliminaire, l’employeur prétendait également que la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief, puisque le congé imposé aux fonctionnaires qui ne seconformaient pas à la politique est de nature administrative, et non disciplinaire, et n’ouvre donc pas droit à un recours au titre de l’article 209 de la Loi. La Commission ne se prononce pas sur cette deuxième objection dans le cadre de la présente décision.

 

L’objection préliminaire de l’employeur relative au non-respect de la procédure de grief est accueillie. Le renvoi à l’arbitrage est refusé et les dossiers seront clos.

 

 

Marie-Claire Perrault

Une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public

fédéral

 

 

c.c.

Nick Gualtieri (Représentant)

[adresse courriel caviardée]

 

Bryan Girard (Représentant de l'employeur)

[adresse courriel caviardée]

 

Nathan Hoo (Représentant syndical)

[adresse courriel caviardée]

 

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