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Date : 20250212

Dossier : 566-02-38336

 

Référence : 2025 CRTESPF 16

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Matt Kay

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Kay c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Ioanna Egarhos, avocate

Pour l’employeur : Peter Doherty, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 12 et 26 avril ainsi que le 10 mai 2024.
(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel devant la Commission

[1] Matt Kay, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), agent correctionnel de groupe et niveau CX2 au Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») à l’Établissement de Bath, en Ontario, a déposé un grief le 29 janvier 2018, dans lequel il se plaignait de ne pas avoir reçu sa prime de quart depuis le 1er octobre 2017.

[2] Le fonctionnaire travaillait selon un horaire adapté du lundi au vendredi, de 22 h 45 à 6 h 45 (l’« horaire adapté »), pour un total de huit heures par jour, soit 40 heures par semaine, avec deux jours de repos consécutifs. Il a affirmé qu’il effectuait du « travail par quarts », au sens de la clause 21.02, et qu’il avait droit à la prime de quart, conformément aux articles 25 et 37 de la convention collective alors en vigueur entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (l’« agent négociateur »), qui a expiré le 31 mai 2014 (la « convention collective »).

[3] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire travaillait selon un horaire de « travail de jour », tel que défini à la clause 21.01 et qu’il ne travaillait pas selon un horaire « irrégulier ou par roulement », tel que défini à la clause 21.02. Par conséquent, il n’effectuait pas du « travail par quarts », ce qui lui aurait donné droit à la prime de quart.

[4] Pour les motifs qui suivent, je devrai rejeter le grief. L’horaire adapté du fonctionnaire s’inscrit parfaitement dans les paramètres décrits à la clause 21.01, intitulée « Travail de jour ». Cet horaire ne répondait pas aux exigences de la clause 21.02, intitulée « Travail par quarts », qui auraient donné au fonctionnaire droit à la prime de quart prévue à la clause 25.01.

II. Résumé de la preuve

[5] Les parties ont convenu de procéder par voie d’observations écrites et ont soumis un exposé conjoint des faits. Avant de résumer les faits que je juge pertinents pour la demande du fonctionnaire, je vais situer le grief dans son contexte.

A. Contexte

[6] En 2017, le fonctionnaire travaillait comme CX-2 à l’Établissement de Bath. Il travaillait selon un horaire de type 9-16-9 heures (travail de jour ou de soir) sur différents postes. D’après ses observations, il recevait la prime de quart à cette époque. Cette situation a été confirmée dans les observations de l’employeur.

[7] À la suite d’un incident avec un détenu, incident survenu sur le lieu de travail, le fonctionnaire a déposé une demande d’indemnisation auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) et a commencé à prendre un congé pour accident de travail en juillet 2017.

[8] Vers le 26 septembre 2017, le fonctionnaire a présenté à l’employeur un certificat attestant sa capacité à retourner au travail pour une période indéterminée, avec les restrictions suivantes : [traduction] « Il devra travailler de nuit » et [traduction] « Il reprendra le travail progressivement, à raison de trois jours complets pendant les deux premières semaines, avant de commencer à travailler normalement cinq jours par semaine ».

[9] L’employeur a accepté le certificat et a accepté d’appliquer des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, grâce à l’horaire de travail adapté, pour lequel l’employeur a déterminé le début et la fin de la journée de travail. Comme condition de travail, le fonctionnaire a accepté de travailler occasionnellement pendant le jour, afin de suivre une formation obligatoire.

[10] Le fonctionnaire a repris le travail de manière progressive le 2 octobre 2017. Il a commencé à travailler à temps plein le 16 octobre 2017.

[11] Le fonctionnaire a travaillé selon l’horaire adapté jusqu’au 20 octobre 2022, date à laquelle il a repris son congé pour accident de travail. Il est retourné au travail le 31 octobre et a de nouveau repris un congé pour accident de travail le 8 novembre 2022. Enfin, il a été transféré au programme de paiement direct de la CSPAAT le 27 avril 2023.

[12] Du 2 octobre 2017 au 22 octobre 2022, le fonctionnaire n’a pas reçu la prime de quart prévue à l’article 25 de la convention collective.

B. Preuve par affidavit

[13] Bien que les parties se soient mises d’accord sur les faits qui ont conduit au dépôt du grief, elles ont débattu les faits suivants et ont soumis des éléments de preuve par affidavit pour étayer leurs positions respectives.

1. Preuve par affidavit du fonctionnaire

[14] Le fonctionnaire occupe un emploi d’agent correctionnel depuis le 6 septembre 2003.

[15] Le quart de nuit de cinq jours par semaine n’existait pas pour les agents correctionnels avant que le fonctionnaire ne commence à travailler selon l’horaire de travail adapté le 2 octobre 2017. Ses fonctions et ses tâches n’étaient pas limitées.

[16] Carole Desjardins, gestionnaire correctionnelle, Horaires et déploiement, a demandé au fonctionnaire de commencer à 22 h 45 et de travailler jusqu’à 6 h 45, afin que son quart de travail se termine en même temps que celui des autres agents correctionnels travaillant de nuit.

[17] L’employeur n’a pas informé le fonctionnaire que cet horaire était considéré comme un « travail de jour » et qu’il n’aurait pas droit à la prime de quart. Le fonctionnaire a affirmé qu’il effectuait toujours du « travail par quarts » avant l’adaptation de son horaire de travail.

[18] Le fonctionnaire a déclaré qu’il était affecté à des postes de 12, 12,50 ou 12,75 heures qui lui étaient attribués pour 8 heures. Un autre agent correctionnel commençait à travailler à 18 h ou 18 h 15 dans le poste donné auquel il était affecté, et il le remplaçait à 22 h 45.

[19] Le fonctionnaire a toujours travaillé dans des postes basés sur des unités, surveillant les détenus qui s’y trouvaient. Il a affirmé que, même s’il relayait des agents correctionnels dans ces postes, très souvent, aucun changement n’était effectué dans le Système des horaires de travail et du déploiement (le « SHD »), ce qui pourrait indiquer qu’il agissait en tant que [traduction] « réserve ».

[20] Tous ces postes étaient de 12, 12,50 ou 12,75 heures.

[21] Le fonctionnaire a affirmé qu’il était affecté, sur une base exceptionnelle, à des postes de services supplémentaires, pour des fouilles ou pour agir à titre d’escorte en cas d’urgence, parfois pour quelques heures lorsqu’il était de service, et ces situations pouvaient parfois se prolonger au-delà de 6 h 45.

2. Preuve par affidavit de Mme Desjardins

[22] Mme Desjardins a affirmé qu’elle était la gestionnaire en septembre 2017 et qu’elle était responsable de la création et de la gestion des horaires de travail des agents CX du Service correctionnel à l’Établissement de Bath, conformément aux exigences énoncées dans le bulletin relatif à l’établissement des horaires du Service correctionnel et la convention collective. Elle était chargée de traiter les demandes de la CSPAAT sur le plan de la mise en œuvre ainsi que de la coordination des dispositions de retour au travail et d’adaptation en milieu de travail.

[23] Dans son affidavit, Mme Desjardins a déclaré avoir parlé au téléphone avec le fonctionnaire le 14 septembre 2017. Il l’a informée qu’il souhaitait reprendre le travail et que son médecin lui avait recommandé de ne travailler que la nuit, du lundi au vendredi.

[24] Mme Desjardins a informé le fonctionnaire qu’il devait présenter un certificat médical pour confirmer ces dispositions de retour au travail. Elle lui a indiqué qu’il travaillerait de 22 h 45 à 6 h 45. Il a accepté cet horaire. Les détails de leur appel téléphonique ont été confirmés dans un courriel adressé au conseiller en ressources humaines.

[25] Le 26 septembre 2017, Mme Desjardins a reçu le certificat médical du psychologue traitant du fonctionnaire qui énonçait les restrictions de retour au travail.

[26] Le fonctionnaire a commencé son retour progressif au travail le 3 octobre 2017, conformément aux restrictions indiquées dans le certificat médical et à l’horaire qu’il avait accepté. Il travaillait du mercredi au vendredi de 22 h 45 à 6 h 45.

[27] Le 16 octobre 2017, le fonctionnaire a commencé à travailler du lundi au vendredi de 22 h 45 à 6 h 45. Son horaire dans le SHD en 2017 a été fourni pour appuyer la déclaration de Mme Desjardins.

III. Analyse et arguments

A. Dispositions pertinentes de la convention collective

[28] Mon autorité en tant que formation de la Commission chargée d’entendre ce grief découle de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), qui prévoit que je ne peux qu’interpréter et appliquer les modalités de la convention collective; elle interdit de modifier des modalités claires et d’en créer de nouvelles.

[29] La seule question que je dois trancher est celle de savoir si le fonctionnaire, un employé visé par des mesures d’adaptation, avait droit à la prime de quart conformément à la clause 25.01 de la convention collective, qui se lit ainsi :

25.01 Prime de quart

25.01 Shift premium

L’employé-e qui travaille par quarts touche une prime de quart de deux dollars (2 $) l’heure pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires, effectuées entre 15 h 00 et 7 h 00. La prime de quart ne sera pas payée pour les heures de travail effectuées entre 7 h 00 et 15 h 00.

An employee working on shifts will receive a shift premium of two dollars ($2.00) per hour for all hours worked, including overtime hours, between 3:00 p.m. and 7:00 a.m. The shift premium will not be paid for hours worked between 7:00 a.m. and 3:00 p.m.

[Je mets en évidence]

 

[30] Les parties ont convenu que, pour avoir droit à la prime de quart, le fonctionnaire devait répondre aux critères suivants : Travailler « par quarts » et travailler « entre 15 h 00 et 7 h 00 ». L’horaire adapté du fonctionnaire répondait au deuxième critère. Par conséquent, la seule question à trancher est celle de savoir s’il travaillait « par quarts » et s’il répondait aux exigences du « travail par quarts », tel que défini dans la clause 21.02.

[31] Le fonctionnaire a affirmé que l’horaire de travail adapté correspondait à du « travail par quarts ». L’employeur n’était pas d’accord et a soutenu qu’il s’agissait en fait de « travail de jour ».

[32] Les dispositions pertinentes de l’article 21 de la convention collective, intitulé « durée du travail et heures supplémentaires », décrivent le « Travail de jour » et le « Travail par quarts » ainsi :

Heures de travail

Hours of Work

Travail de jour

Day Work

21.01 Lorsque l’horaire de travail est établi de manière régulière, il doit être tel que les employé-e-s travaillent :

21.01 When hours of work are scheduled for employees on a regular basis, they shall be scheduled so that employees:

a) quarante (40) heures et cinq (5) jours par semaine et obtiennent deux (2) jours de repos consécutifs,

(a) on a weekly basis, work forty (40) hours and five (5) days per week, and obtain two (2) consecutive days of rest,

b) huit (8) heures par jour.

(b) on a daily basis, work eight (8) hours per day.

Travail par quarts

Shift Work

21.02 Lorsque le quart d’un-e employé-e est établi suivant un horaire irrégulier ou par roulement :

21.02 When a shift is scheduled for an employee on a rotating or irregular basis:

a) il doit être établi de façon à ce que l’employé-e :

(a) it shall be scheduled so that an employee:

(i) travaille une moyenne de quarante (40) heures par semaine pendant la durée de l’horaire de quarts,

(i) over the length of the shift schedule, works an average of forty (40) hours per week,

et

and

(ii) travaille huit virgule cinq (8,5) heures par jour.

(ii) on a daily basis, works eight decimal five (8.5) hours per day.

b) l’Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

(b) every reasonable effort shall be made by the Employer:

(i) pour ne pas fixer le début du quart de travail dans les huit (8) heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l’employé-e,

(i) not to schedule the commencement of an employee’s shift within eight (8) hours of the completion of the employee’s previous shift,

(ii) pour veiller à ce qu’un-e employé-e affecté à un cycle de quarts réguliers, ne doive pas changer de quart plus d’une fois au cours de ce cycle de quarts sans son consentement, sauf en situation d’urgence survenant dans un pénitencier. Un changement de quart suivi du retour au quart d’origine ne constitue qu’un seul changement,

(ii) to ensure an employee assigned to a regular shift cycle shall not be required to change his or her shift more than once during that shift cycle without his or her consent except as otherwise required by a penitentiary emergency. A change of shift followed by a return to the original shift is considered as one change;

et

and

(iii) pour éviter toute variation excessive de la durée du travail.

(iii) to avoid excessive fluctuations in hours of work;

c) sauf en situation d’urgence survenant dans un pénitencier, l’horaire de travail doit être fixé de telle façon que chaque quart puisse se terminer au plus tard neuf virgule cinq (9,5) heures après qu’il a commencé,

(c) they shall, except as otherwise required by a penitentiary emergency, be scheduled so that each shift ends not later than nine decimal five (9.5) hours after its commencement,

d) l’horaire de travail doit être fixé de telle façon que l’employé-e ne soit pas normalement tenu de travailler plus de huit (8) jours civils consécutifs. Des exceptions peuvent être permises, à la demande de l’employé-e et avec l’approbation de l’Employeur, ou après consultation entre l’Employeur et le Syndicat,

(d) they shall be scheduled so that an employee will not be regularly scheduled to work more than eight (8) consecutive calendar days. Exceptions may be scheduled at the request of an employee and with the approval of the Employer, or after consultation between the Employer and the Union,

e) l’horaire de quarts est d’un maximum de cinquante-deux (52) semaines.

(e) the shift schedule shall be of a maximum of fifty two (52) weeks,

f) l’employé-e doit bénéficier d’au moins deux (2) jours de repos consécutifs à la fois.

(f) an employee shall obtain at least two (2) consecutive days of rest at any one time,

g) une période de vingt-quatre (24) heures ou moins entre deux (2) quarts et à l’intérieur d’un cycle de quarts n’est pas considéré comme un (1) jour de repos.

(g) a period of twenty-four (24) hours or less between shifts and within a shift cycle shall not be considered a day of rest.

 

B. Interprétation de la convention collective

[33] Les parties se sont mises d’accord sur les principes de base à appliquer pour trancher les litiges relatifs aux conventions collectives. Elles se sont appuyées sur les conclusions du prédécesseur de la Commission, dans la décision Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, aux par. 50 et 51, et sur celles de la Commission, dans la décision Cruceru c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2021 CRTESPF 30, au par. 83. Dans ces affaires, la Commission a conclu que l’intention réelle des parties devait être déterminée en tenant compte du sens ordinaire des mots utilisés dans le contexte de la convention collective dans son ensemble.

[34] S’appuyant sur les par. 114 et 115 de la décision Cruceru, l’employeur a rappelé à la Commission la règle fondamentale d’interprétation des conventions collectives selon laquelle il faut conférer à chaque mot utilisé par les parties un certain sens, y compris les titres et les intitulés.

[35] L’employeur a fait valoir que ce n’était que lorsqu’il existait une certaine ambiguïté que la Commission devrait apprécier la preuve extrinsèque ou les circonstances d’une affaire et a cité l’arrêt Nowlan c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 83, au par. 41. Il a ajouté que, dans le présent cas, la Commission n’avait aucune raison d’examiner quoi que ce soit d’autre que ce qui était écrit dans la convention collective.

[36] Bien que je sois en partie d’accord avec l’employeur, je privilégie l’approche moderne que la Cour suprême du Canada a adoptée dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, dans lequel elle a déclaré qu’un décideur peut tenir compte des circonstances pour mieux comprendre les intentions des parties lorsqu’elles parviennent à une entente sur un contrat écrit.

[37] Pour conclure que le fonctionnaire ne travaillait pas « par quarts », j’ai examiné le sens ordinaire des termes « travailleur-se de jour », « employé-e-s travaillant par quarts » et « employé-e-s qui travaillent par quarts », dans le contexte de l’ensemble de la convention collective et de l’Établissement de Bath, où il travaillait comme agent correctionnel.

C. Preuve extrinsèque

[38] L’agent négociateur a fait valoir que les termes « travail par quarts », « travail de jour », « semaine de travail normale » et « employé-e qui travaille par quarts » n’étaient pas définis et que les paragraphes correspondants étaient ambigus. Il a fait valoir que le gros bon sens et la logique devaient orienter mon interprétation. À cet égard, il m’a renvoyé au [traduction] « Bulletin no 2013-01, un bulletin des relations de travail pour la gestion des ressources humaines » (le « bulletin »), dans lequel l’employeur a déterminé les postes comme étant du [traduction] « travail de jour » ou du [traduction] « travail par quarts ».

[39] Le bulletin traite de la détermination des roulements programmés au sein d’un établissement. Dans l’annexe A, l’employeur mentionne des [traduction] « types d’horaires » au lieu d’« heures de travail », qui est la terminologie utilisée dans la convention collective. Dans le paragraphe suivant, le bulletin fait référence aux [traduction] « horaires de travail par quarts » au lieu de « travail par quarts », qui est la terminologie utilisée dans la clause 21.02 de la convention collective.

[40] L’agent négociateur a fait valoir que le bulletin était pertinent, car il expliquait comment les postes étaient classés comme « travail de jour » ou « travail par quarts ». Le bulletin dressait une liste de plusieurs postes entrant dans la catégorie des [traduction] « travailleurs de jour » et précisait que [traduction] « les horaires [devaient] être élaborés sur la base de journées de 8 heures, du lundi au vendredi », dont aucun n’a été attribué au fonctionnaire de 22 h 45 à 6 h 45. Les postes de travailleurs de jour comprenaient ceux intitulés « Agents responsables de l’équipement de sécurité », « Admission et libération/analyse d’échantillons d’urine », « Placement à l’extérieur », « Visites et correspondance (coordonnateur de secteur) » et « Équipes régionales des transfèrements ».

[41] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il avait droit à la prime de quart, parce qu’il était affecté à des postes de « travail par quart » couverts par des horaires 12, 12,50 ou 12,75 heures. Il a déclaré qu’il était souvent affecté à des postes de services supplémentaires qui se prolongeaient au-delà de 6 h 45. Pendant toute cette période, il a travaillé sur des postes catégorisés comme des postes d’« employés travaillant par quarts ». Le bulletin précise également que les postes peuvent être placés dans un horaire de type travailleur de jour ou employé travaillant par quarts. Suivant cette logique, l’agent négociateur a fait valoir que les postes sont soit du « travail de jour », soit du « travail par quarts ». Les postes que le fonctionnaire couvrait étaient placés dans un horaire de type employé travaillant par quarts. L’agent négociateur a affirmé que, par conséquent, il avait droit à la prime de quart prévue à l’article 25. Je ne partage pas cet avis.

[42] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que le fonctionnaire a confondu la durée des postes avec celle des quarts de travail. L’article 21 fait référence aux heures de travail, et non à la durée des postes ou au type d’horaire. L’employeur avait raison lorsqu’il a déclaré que le bulletin indiquait précisément qu’à l’exception des postes spécifiquement énumérés, les postes pouvaient [traduction] « être placés soit dans un horaire de travailleur de jour, soit dans un horaire de type employé travaillant par quarts » [je mets en évidence]. Ce n’est pas parce qu’un employé travaillant par quarts occupe un poste un jour donné qu’un travailleur de jour ne peut pas occuper ce poste un autre jour.

[43] Même si j’admettais que le fonctionnaire a été affecté à des postes couverts par des horaires de type 12 heures et qu’il a travaillé sur des postes qui attiraient la prime de quart, cela ne changerait rien au fait qu’il a travaillé 8 heures par jour, du lundi au vendredi, pour un total de 40 heures par semaine, avec 2 jours de repos consécutifs. La convention collective ne mentionne que les heures de travail; elle ne mentionne pas les postes. En outre, je ne dispose d’aucun renseignement selon lequel le bulletin a été incorporé dans la convention collective. Je juge que le bulletin n’est pas utile pour conclure si le fonctionnaire travaillait « par quarts », comme le stipule la clause 25.01 de la convention collective. Le bulletin est un document de l’employeur, accessoire à la convention collective. La question dont je suis saisie peut être tranchée en interprétant les dispositions précises de la convention collective, sans avoir recours au bulletin.

D. Jurisprudence — définition du travail par quarts

[44] L’agent négociateur a fait valoir que le « travail par quarts » n’était pas défini dans la convention collective, mais il a reconnu qu’elle énumérait un certain nombre de conditions et de restrictions. La clause 25.01 fait référence à l’obligation de travailler « par quarts » pour bénéficier de la prime de quart. L’agent négociateur a invoqué la décision Bédard c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2019 CRTESPF 76, dans laquelle la Commission a conclu que l’expression « quarts » faisait référence à la situation d’un lieu de travail où le cycle de travail nécessitait la division des heures de travail en quarts pour terminer le cycle.

[45] En faisant référence à la décision Denboer c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 58, au par. 64, l’agent négociateur a fait valoir que les travailleurs de jour ne travaillaient pas régulièrement en soirée; ils ne commencent pas non plus leurs journées à une heure qui, pour le travailleur de jour stéréotypé, serait considérée comme la moitié de la journée, puisque la plupart des travailleurs de jour considèrent que midi correspond à l’heure du dîner.

[46] Conformément au raisonnement suivi dans la décision Bédard, l’agent négociateur s’est appuyé sur le raisonnement suivi dans la décision Chafe, dans laquelle l’arbitre avait déterminé que le sens ordinaire de l’expression « travail par quarts » décrivait une situation où les activités normales durant un cycle de 24 heures étaient divisées en deux ou trois périodes de travail, chaque période représentant une journée de travail complète d’un employé.

[47] Il n’est pas contesté que l’Établissement de Bath est un pénitencier dans lequel les opérations normales se déroulent 24 heures par jour, sept jours par semaine. Les agents correctionnels sont sollicités en permanence. Comme personne ne peut travailler régulièrement 24 heures par jour, le cycle de 24 heures est divisé en deux quarts de 12 heures ou en trois quarts de 8 heures. Quel que soit le cycle, il est suffisamment long pour ne pas pouvoir être normalement et systématiquement rempli par un seul employé; il doit être divisé en quarts. L’article 21, « Heures de travail », en particulier les clauses 21.01, « Travail de jour », et 21.02, « Travail par quarts », détermine si un employé travaille « par quarts » conformément à l’article 25.

[48] L’agent négociateur m’a exhorté à adopter le raisonnement de la décision Denboer, qui comportait des termes identiques à ceux contestés dans le présent grief. Dans la décision Denboer, l’arbitre a conclu que les termes « travail de jour » et « travail par quarts » n’étaient pas définis et qu’il y avait une ambiguïté dans la classification du travail de jour ou du travail par quarts. Au paragraphe 57, il a conclu qu’un employé travaillant du lundi au vendredi, mais ne travaillant que de 22 h à 6 h 30 suivant un horaire régulier, ne pourrait pas, au sens normal du mot, être désigné comme un travailleur de jour.

[49] L’agent négociateur a fait valoir qu’à l’instar de l’agent correctionnel dans la décision Denboer, le fonctionnaire travaillait des heures irrégulières, en ce sens qu’il ne travaillait pas une journée standard ou stéréotypée qui lui aurait permis d’être considéré comme un travailleur de jour. Par conséquent, il travaillait « par quarts ».

[50] L’employeur a répondu que l’argument de l’agent négociateur selon lequel les clauses 21.01 et 21.02 ne définissaient pas le « travail par quarts » et le « travail de jour » vidait ces paragraphes et leurs intitulés de toute signification. Il est bien établi en droit qu’il faut donner un sens à chaque mot dont les parties ont convenu dans la convention collective, y compris les titres « heures de travail », « travail de jour » et « travail par quarts ». C’est aussi mon avis.

[51] Je conclus que, dans le contexte de l’Établissement de Bath, et conformément au libellé clair de la convention collective, le « travail de jour » peut inclure des heures de soirée et de nuit. Le simple fait qu’un employé travaille le soir ou la nuit ne signifie pas automatiquement qu’il travaille « par quarts ». Le paragraphe de la convention collective relatif au « travail de jour » ne précise aucun horaire. On serait porté à croire qu’un paragraphe relatif au « travail de jour » préciserait les heures de travail entre 6 h et 18 h, mais ce n’est pas le cas; rien n’est mentionné sur les heures.

[52] Il n’est pas contesté que les heures de travail du fonctionnaire étaient les mêmes à partir du moment où les mesures d’adaptation médicales dont il bénéficiait ont été mises en place en octobre 2017. Son horaire ne faisait pas l’objet d’une rotation ou d’une variation au cours de l’année. Il travaillait selon un horaire établi « de manière régulière », selon le libellé de la clause 21.01, les mêmes huit heures par jour, 40 heures par semaine, du lundi au vendredi, avec les mêmes deux jours de repos consécutifs. Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que l’horaire adapté répondait sans ambiguïté à l’exigence de « travail de jour » et que la Commission n’a aucune raison d’aller au-delà du libellé des clauses 21.01 et 21.02.

[53] Je partage l’avis de l’employeur selon lequel la décision Denboer se distingue de la présente affaire. Dans cette décision, l’arbitre a conclu que les termes « travail par quarts » et « travail de jour » étaient ambigus, car ils ne s’appliquaient pas facilement aux heures de travail prévues du fonctionnaire. L’arbitre a conclu que les heures de travail du fonctionnaire n’entraient pas facilement dans les catégories « travail de jour » ou « travail par quarts ». Le fonctionnaire dans cette affaire occupait plusieurs postes et travaillait selon un horaire par roulement pendant les mois d’hiver et de façon régulière pendant les mois d’été. Dans l’affaire Denboer, c’est l’employeur qui a déterminé seul l’horaire du fonctionnaire, alors que dans le présent cas, l’horaire du fonctionnaire est un horaire adapté demandé par le fonctionnaire, conformément à ses restrictions médicales.

[54] À mon avis, l’arbitre dans l’affaire Denboer a conclu à tort qu’il y avait une ambiguïté dans l’application des termes définis relativement aux heures de travail des agents correctionnels, a élargi la définition du « travail par quarts » et a déclaré que le « travail de jour » devait être effectué pendant une période précise, soit « la semaine habituelle de 9 h à [17] h »; voir la décision Denboer, aux par. 70 et 73.

[55] Dans l’affaire Denboer ainsi que dans le présent cas, les fonctionnaires sont des agents correctionnels travaillant dans des pénitenciers. Un pénitencier fonctionne 24 heures sur 24, sept jours par semaine. Je ne peux souscrire aux conclusions de la Commission dans la décision Denboer selon lesquelles le « travail de jour » doit être accompli dans le cadre de la journée de travail habituelle de 9 h à 17 h. Si les parties avaient voulu qu’il en soit ainsi, elles auraient négocié une disposition à cet effet dans la convention collective. Par conséquent, les conclusions tirées par l’arbitre dans l’affaire Denboer ne sont pas utiles et ne sont pas déterminantes quant au droit du fonctionnaire à la prime de quart dans le présent cas.

[56] Contrairement à l’affaire Denboer, les faits du présent cas sont simples. Le 2 octobre 2017, le fonctionnaire est retourné au travail après une absence approuvée dans le cadre d’une demande auprès de la CSPAAT. Dans le plan d’adaptation au retour au travail établi par le médecin traitant du fonctionnaire, il a exigé des horaires commençant à 22 h 45 et se terminant à 6 h 45, selon un horaire régulier de 5 jours par semaine. Il a donc été placé dans un autre type d’horaire, un [traduction] « poste 250 », du lundi au vendredi, pour un horaire régulier de 40 heures par semaine, avec un maximum de 8 heures par jour.

[57] L’agent négociateur semble laisser entendre que l’horaire de travail adapté a imposé un fardeau au fonctionnaire. Il s’est de nouveau appuyé sur la décision Denboer, dans laquelle l’arbitre a conclu que le fait de travailler le soir et la nuit imposait une charge de travail supplémentaire à un employé, et pouvait être considéré comme étant anormal et dérangeant. L’arbitre a conclu que l’horaire du fonctionnaire dans cette affaire était anormal et dérangeant et qu’il avait droit à la prime de quart, car elle servirait à le dédommager de la charge de travail supplémentaire. Le fonctionnaire n’a pas expliqué en quoi ces heures de travail le gênaient. Je conclus que les inconvénients subis par le fonctionnaire résultaient de sa demande de mesures d’adaptation, et non d’une mesure prise par l’employeur en matière d’horaire. Il ne s’agissait pas d’un horaire imposé par l’employeur.

[58] Il me semble qu’en substance, le fonctionnaire demande d’adapter son horaire à un horaire de travail par quarts. Cela ne peut pas être l’objectif de l’article 25. Ça ne peut pas être ce que les parties avaient à l’esprit lorsqu’elles ont négocié le libellé de la prime de quart.

[59] Encore une fois, je dois souscrire à l’observation de l’employeur selon laquelle l’horaire du fonctionnaire résultait de ses restrictions médicales, qui stipulaient qu’il ne pouvait travailler que la nuit et [traduction] « régulièrement cinq jours par semaine ». Les restrictions médicales du fonctionnaire, dans le contexte de la convention collective selon laquelle les employés travaillent en moyenne 40 heures par semaine, signifiaient qu’il devait nécessairement travailler 8 heures par jour. L’employeur ne l’a pas forcé à devenir travailleur de jour.

[60] Je ne souscris pas à l’observation de l’agent négociateur selon laquelle l’adaptation de l’employeur aux restrictions médicales du fonctionnaire a été imposée à ce dernier et qu’elle constituait un inconvénient ou un fardeau supplémentaire important qui justifiait la prime de quart, comme dans l’affaire Denboer. Le fait d’effectuer occasionnellement des heures supplémentaires n’a pas rendu son horaire irrégulier. En outre, contrairement à la position de l’agent négociateur, l’employeur n’était pas tenu d’informer le fonctionnaire que l’horaire de travail adapté constituait un « travail de jour ». Il lui appartenait d’obtenir cette précision dès le début de sa demande de mesures d’adaptation auprès de son agent négociateur et de l’employeur. Si le fonctionnaire avait travaillé selon un horaire irrégulier ou par rotation, avec une moyenne de 40 heures par semaine et aucun jour de repos consécutif, ma conclusion aurait été différente.

IV. Conclusion

[61] Je conclus que le fonctionnaire ne travaillait pas par quarts. Lorsqu’il a repris le travail en octobre 2017, il travaillait du lundi au vendredi dans des postes de minuit seulement, et il ne travaillait pas la fin de semaine. Ses horaires de travail étaient de huit heures, de 22 h 45 à 6 h 45, 40 heures par semaine, cinq jours par semaine, avec deux jours de repos consécutifs. Il s’agissait de sa demande d’horaire adapté, qu’il a obtenu.

[62] En outre, l’horaire du fonctionnaire était constant à partir d’octobre 2017. Son horaire n’était pas « établi suivant un horaire irrégulier ou par roulement », et il ne travaillait pas 8,5 heures par jour, comme l’exige la clause 21.02. Le nombre total d’heures par semaine était de 40, et non une moyenne de 40 heures. En tant qu’employé bénéficiant de mesures d’adaptation, il aurait pu bénéficier de la prime de quart si son horaire avait été établi suivant un horaire irrégulier ou par roulement.

[63] Le fait que l’horaire de travail adapté ait été en place pendant plus de 52 semaines est une autre indication que le fonctionnaire ne travaillait pas par quarts. Selon la clause 21.02e), l’horaire de quarts est d’un maximum de 52 semaines.

[64] L’horaire du fonctionnaire ne répondait à aucune des exigences de la clause 21.02 concernant les employés travaillant « par quarts ». Par conséquent, l’horaire du fonctionnaire correspondait tout à fait à la définition de « Travail de jour » selon la clause 21.01. Il n’effectuait donc pas de « travail par quarts » lui donnant droit à la prime de quart prévue à l’article 25.

[65] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[66] Le grief est rejeté.

Le 12 février 2025.

Traduction de la CRTESPF

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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