Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La demanderesse a déposé un grief individuel, contestant la décision de la défenderesse de lui refuser une exemption de la Politique et de la mettre en congé sans solde. La défenderesse s’est opposée au grief pour deux motifs : 1) le grief était hors délai; 2) le fait de mettre la demanderesse en congé sans solde n’était pas une mesure disciplinaire, mais une mesure administrative, sur laquelle la Commission n’avait pas compétence. La Commission n’a examiné que la première objection dans sa décision, dans laquelle elle a accueilli la demande de prorogation du délai de la demanderesse. Lorsqu’elle a tranché la demande, la Commission a appliqué les critères de Schenkman. Bien que le grief n’ait été déposé que quatre jours après l’expiration du délai, l’agent négociateur n’a pas expliqué les raisons du retard, si ce n’est qu’il a admis sa négligence. La Commission a conclu que cette explication ne constituait pas une raison claire, logique et convaincante pour expliquer le retard. Toutefois, elle a reconnu que la préoccupation primordiale dans l’accueil d’une prorogation du délai est l’équité et que le poids de chaque critère de Schenkman dépend des circonstances. Elle a conclu que le délai relativement court et le préjudice que subirait la demanderesse si elle n’était pas autorisée à poursuivre son grief l’emportaient sur les autres critères, compte tenu des circonstances difficiles de la pandémie de COVID-19. Elle a conclu qu’il serait dans l’intérêt de l’équité d’accueillir la demande de prorogation du délai. Elle a rejeté l’objection de la défenderesse concernant le respect des délais.
Demande de prorogation du délai accueillie.
Objection rejetée.
Contenu de la décision
Date: 20250228
Dossier: 568‑34‑46757
XR: 566‑34‑46011
Référence: 2025 CRTESPF 21
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et |
|
entre
Perpetua Oladeinde
et
Agence du revenu du Canada
Répertorié
Oladeinde c. Agence du revenu du Canada
Devant : Deborah Cooper, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la demanderesse : Kalapi Roy, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour la défenderesse : Nicholas Gualtieri
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 28 novembre 2022, le 8 février 2023 et le 4 juin 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
[1] J’ai été nommée à titre de formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») afin de trancher la présente demande visant la prorogation d’un délai. Les parties ont eu la possibilité de fournir des arguments écrits à l’appui de leur point de vue sur la demande. Selon l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience. Après avoir examiné les arguments des parties et les cas qu’elles ont cités, je suis convaincue que la présente demande peut être tranchée sur la base des arguments écrits versés au dossier.
I. Demande devant la Commission
[2] Perpetua Oladeinde (la « demanderesse ») est une employée de l’Agence du revenu du Canada (ARC ou la « défenderesse »). Le 3 novembre 2022, elle a renvoyé un grief à l’arbitrage concernant la décision de la défenderesse de lui refuser une exemption de l’application de la Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 pour l’Agence du revenu du Canada (la « Politique ») et de la mettre en congé non payé à compter du 13 décembre 2021. Elle a renvoyé le grief en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Par conséquent, un dossier a été ouvert (dossier de la Commission 568‑34‑46757).
[3] Le 28 novembre 2022, la défenderesse a soulevé deux objections préliminaires dans lesquelles elle a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour entendre le grief. Elle a fait valoir que le grief n’avait pas été déposé conformément au délai énoncé dans la convention collective conclue entre elle et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Services et programmes (SP), qui a expiré le 31 octobre 2021 (la « convention collective »), et le grief est donc hors délai. En deuxième lieu, elle a soutenu que le fait de mettre la demanderesse en congé non payé constituait une mesure administrative sur laquelle la Commission n’a pas compétence. En conséquence, un deuxième dossier de la Commission a été ouvert (dossier de la Commission 566‑34‑46011).
[4] La présente décision ne porte que sur la demande de prorogation du délai et l’objection de la défenderesse concernant le respect des délais.
[5] Après que la défenderesse ait soulevé son objection préliminaire concernant le respect des délais, la Commission a écrit à la demanderesse le 30 janvier 2023 et lui a demandé sa réponse à cette objection.
[6] En conséquence, la demanderesse a déposé des arguments le 8 février 2023 dans lesquels elle a présenté une demande de prorogation du délai pour déposer son grief. Ses arguments portaient principalement sur sa position selon laquelle les délais pour déposer un grief devraient être prorogés, car le retard, qui était de quatre jours, était entièrement imputable à l’agent négociateur et qu’elle avait fait preuve de diligence raisonnable. Subsidiairement, l’agent négociateur a soutenu que le grief n’est pas hors délai, car il est continu. Cependant, aucun détail supplémentaire n’a été donné ni aucun argument à l’appui de ce point n’a été présenté. La défenderesse n’a déposé aucun autre argument à ce moment‑là.
[7] Le 15 février 2024, la Commission a écrit aux parties pour indiquer qu’elle envisageait de trancher l’objection préliminaire de la défenderesse concernant le respect des délais sur la base des arguments écrits. Cela leur a donné l’occasion de fournir des arguments écrits, selon une date limite établie. Le représentant de l’agent négociateur a demandé, et s’est vu accorder, une prorogation de ces délais. Malgré cela, ni l’agent négociateur ni la défenderesse n’ont déposé des arguments supplémentaires.
[8] Le 24 mai 2024, un autre commissaire a été désigné à l’objection préliminaire et a écrit de nouveau aux parties afin de leur offrir une occasion supplémentaire de présenter des arguments écrits. Comme précédemment, une date limite a été communiquée, et les deux parties ont été informées que l’affaire pourrait procéder à une décision sur la base de ces arguments. En conséquence, la défenderesse a déposé des arguments écrits le 4 juin 2024. Toutefois, la demanderesse n’a rien déposé en réponse. Le 10 juillet 2024, la Commission a écrit aux parties pour indiquer qu’elle trancherait l’affaire préliminaire sur la base des arguments écrits versés au dossier.
[9] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que, par souci d’équité, la demande de prorogation du délai de la demanderesse est accueillie, et l’objection de la défenderesse concernant le respect des délais est rejetée.
II. Résumé des faits, tels qu’ils sont décrits par les parties
[10] Les faits pertinents peuvent être résumés de manière concise. Les parties ne semblent pas être en désaccord à l’égard de ces faits, même si elles peuvent ne pas être d’accord sur la façon dont certaines parties devraient être interprétées.
[11] La Politique, qui est au cœur du présent grief, est entrée en vigueur en novembre 2021. En vertu de celle‑ci, tous les employés de l’ARC devaient être entièrement vaccinés, à moins qu’une exemption leur avait été accordée en raison d’un motif de distinction illicite selon la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985) ch. H‑6; LCDP). Les employés à qui une exemption n’avait pas été accordée devaient attester de leur statut vaccinal au plus tard le 26 novembre 2021.
[12] La Politique exigeait en outre que les employés qui refusaient de divulguer leur statut vaccinal à la date limite relative à l’attestation étaient tenus de suivre une formation en ligne sur la vaccination contre la COVID‑19 et étaient informés qu’ils seraient mis en congé administratif non payé (CNP) s’ils n’étaient toujours pas disposés à s’y conformer ou s’ils n’obtenaient pas une mesure d’adaptation approuvée. Ceux qui n’avaient pas obtenu une exemption et qui ne se conformaient pas à la Politique devaient être mis en CNP.
[13] Après l’entrée en vigueur de la Politique, la demanderesse n’a pas rempli l’attestation avant la date limite et a été mise en CNP le 13 décembre 2021. Le 20 décembre 2021, elle a demandé une exemption de la Politique fondée sur le motif de distinction illicite de la religion. Le 10 février 2022, elle a été informée dans une lettre de la direction que sa demande d’exemption avait été refusée.
[14] La demanderesse a déposé le grief en litige le 23 mars 2022 auprès de la défenderesse. Dans le grief, elle a allégué qu’elle lui avait refusé sa demande d’exemption, qui était fondée sur ses [traduction] « droits et libertés protégés ». Elle a également allégué que ce refus était contraire aux exigences de la Politique, à la LCDP, à la clause « Élimination de la discrimination » de la convention collective et aux articles 2, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (édictée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.)). Même si elle et son représentant ont signé le grief le 11 mars 2022, les deux parties semblent être d’accord qu’il a été déposé 4 jours après la date limite de 25 jours prévue dans la convention collective.
III. Résumé de l’argumentation sur le respect des délais
A. Pour la demanderesse
[15] Dans ses arguments datés du 8 février 2023, qui ont été présentés en réponse à l’objection préliminaire de la défenderesse, la demanderesse a présenté sa demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement »). Même si elle n’a pas explicitement reconnu que le cadre qui s’applique pour trancher une demande présentée en vertu de l’article 61 du Règlement est énoncé dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, les arguments qu’elle a présentés suivaient les critères énoncés dans Schenkman et comprenaient de brefs arguments sur les facteurs décrits davantage dans les paragraphes suivants.
[16] La demanderesse a convenu que la demande avait été présentée 4 jours après la date limite de 25 jours prévue dans la convention collective. Ses arguments ont indiqué en outre que le retard était entièrement imputable à l’agent négociateur et qu’il n’était en aucun cas de sa faute. Aucun détail particulier n’a été fourni quant à la manière dont le retard était attribuable à l’agent négociateur et à la raison pour laquelle le retard lui était attribuable. Dans ses arguments, elle a soutenu en outre qu’elle avait fait preuve de diligence dans ses efforts pour déposer le grief à temps, et à titre de preuve, elle l’a signé en temps opportun le 11 mars 2022. Par conséquent, elle a soutenu qu’il s’agit d’une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard.
[17] À l’appui de l’argument selon lequel la demanderesse a fait preuve de diligence et que l’erreur de l’agent négociateur constitue une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard dans le dépôt du grief, l’agent négociateur a cité D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 (« FIOE »), et Savard c. Conseil du Trésor (Passeport Canada), 2014 CRTFP 8.
[18] En ce qui concerne les autres critères, la demanderesse a soutenu que la durée du retard, soit quatre jours, n’est pas excessive.
[19] Ensuite, la demanderesse a soutenu que l’injustice qu’elle subirait serait importante et l’emporterait sur le préjudice causé à la défenderesse si la demande n’était pas accueillie, étant donné qu’elle contestait le refus d’une mesure d’adaptation et une mesure disciplinaire alléguée connexe, ainsi qu’une importante sanction pécuniaire qui l’accompagnait. Elle a en outre fait valoir que la défenderesse n’a démontré aucune preuve du préjudice qu’elle pourrait subir et que la défenderesse n’est pas autorisée à affirmer qu’elle subirait un préjudice sans présenter d’éléments de preuve quant à la manière dont elle subirait un préjudice.
[20] Le bien‑fondé du grief concerne une suspension non payée et une importante sanction pécuniaire. La demanderesse a présenté des documents en défense de sa demande de mesure d’adaptation, et elle a continué à présenter de solides éléments de preuve à l’ARC démontrant que ses croyances religieuses étaient sincères. Elle a cité Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, à l’appui de cet argument.
[21] La demanderesse a présenté une déclaration sous serment et a répondu aux questions supplémentaires de la défenderesse. La sanction pécuniaire qui lui a été imposée est importante et n’est pas contestée. Si le grief était rejeté, elle subirait un préjudice grave.
[22] Enfin, la demanderesse a soutenu que la défenderesse avait fourni des motifs sur le bien‑fondé dans sa réponse au dernier palier. Par conséquent, le dépôt du grief quatre jours en retard n’aurait eu aucune incidence sur la procédure de règlement des griefs au cours de son déroulement.
B. Pour la défenderesse
[23] La défenderesse a soutenu que la demanderesse n’avait pas rempli son attestation avant la date limite. La direction l’a informée qu’elle ne respectait pas la Politique. Elle a ensuite été mise en CNP, à compter du 13 décembre 2021. Le 20 décembre 2021, elle a demandé une exemption de la Politique fondée sur le motif de distinction illicite de la religion. Le 10 février 2022, elle a été informée dans une lettre de la direction que sa demande d’exemption avait été refusée. Elle a fourni des renseignements supplémentaires le 23 février 2022 pour appuyer sa demande d’exemption. Toutefois, les renseignements présentés n’ont fourni aucune autre précision ni aucun renseignement supplémentaire sur sa déclaration sous serment et, le 1er mars 2022, elle a été informée que la décision n’avait pas été modifiée. Le 23 mars 2022, elle a déposé son grief en retard, soit plusieurs mois après avoir été mise en CNP et 29 jours après avoir été informée que sa demande de mesure d’adaptation avait été refusée.
[24] La défenderesse a présenté des arguments portant particulièrement sur les critères énoncés dans Schenkman. En premier lieu, elle a soutenu que l’agent négociateur n’avait fourni aucune explication fondamentale justifiant le dépôt tardif, sauf affirmer qu’il était en retard de quatre jours et que le retard était attribuable à l’erreur de l’agent négociateur.
[25] En ce qui concerne la durée du retard, la défenderesse a fait valoir que les délais doivent être respectés. Elle a cité Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, pour appuyer l’argument selon lequel les délais ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles. Selon elle, la demanderesse n’a décrit aucune circonstance exceptionnelle.
[26] Même si la demanderesse a signé le grief le 11 mars 2022, aucun élément de preuve n’indique qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable et qu’elle a fait un suivi auprès de l’agent négociateur quant au dépôt de son grief. Même si elle était en congé lorsque le grief a été déposé, la convention collective était à sa disposition en tout temps et elle avait accès aux renseignements concernant ses droits à l’extérieur du lieu de travail.
[27] Ni la demanderesse ni l’agent négociateur n’ont fourni des explications claires, logiques et convaincantes justifiant le dépôt tardif du présent grief. Par conséquent, la défenderesse a soutenu que l’octroi d’une prorogation, en l’absence d’une telle explication, lui serait préjudiciable. De plus, en ce qui concerne l’injustice envers la demanderesse, sa décision était conforme à la Politique.
[28] En citant la décision Bowden au paragraphe 81, la défenderesse a fait valoir que peu de poids devrait être accordé aux chances de succès, citant comme suit : « Dans Bertrand, j’ai conclu qu’en l’absence d’une raison logique et convaincante justifiant le retard du dépôt d’un grief, il n’est pas nécessaire d’évaluer les autres facteurs. »
[29] Même si l’arbitre de grief dans Bowden a conclu qu’il existait une cause défendable, la défenderesse a soutenu que peu de poids devrait être accordé à ce facteur particulier.
IV. Motifs
[30] Les délais de traitement des griefs sont régis par les dispositions des lois et des conventions collectives applicables. Le paragraphe 237(1) de la Loi oblige la Commission à établir des règlements concernant les processus de traitement des griefs, y compris les délais. Ces dispositions sont énoncées de manière exhaustive dans le Règlement. La plupart des dispositions des conventions collectives qui portent sur le traitement des griefs sont inspirées de ces dispositions législatives.
[31] Dans le présent cas, la clause de la convention collective applicable est la clause 18.11.
[32] La demanderesse n’a pas nié que son grief avait été déposé au‑delà du délai de 25 jours prévu dans la convention collective. Elle a reconnu qu’elle avait été mise en CNP le 13 décembre 2021.
[33] La réponse de la défenderesse au dernier palier indiquait qu’elle avait reçu la décision définitive relative à sa demande de mesure d’adaptation le 10 février 2022. À compter de cette date, elle était au courant de la décision de la défenderesse de refuser sa demande de mesures d’adaptation. Son grief a été déposé plus de 25 jours après la date à laquelle elle a pris connaissance de la mesure qui a donné lieu au grief. À première vue, le grief est hors délai.
[34] L’article 61b) du Règlement autorise la Commission à exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger les délais prescrits « par souci d’équité ».
[35] La demanderesse a demandé une prorogation du délai pour déposer son grief. Si la Commission le lui accordait, son grief serait considéré comme étant déposé dans les délais et pourrait procéder à une décision sur le fond.
[36] La Commission évalue normalement les demandes de prorogation du délai en fonction des critères qui sont communément appelés les critères énoncés dans « Schenkman ». Voici les cinq critères : si le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du retard; la diligence raisonnable de la demanderesse; l’équilibre entre l’injustice que subirait la demanderesse si la demande est refusée et le préjudice que subirait la défenderesse si elle est accordée; les chances de succès du grief. Le fardeau de la preuve incombe à la demanderesse.
[37] Les critères ne sont pas nécessairement d’importance et de poids égaux (voir Bowden, au par. 55). Je préfère l’approche équilibrée pour déterminer si la prorogation devrait être accordée. À cet égard, l’objectif principal est que la Commission détermine ce qui est juste en fonction des faits de chaque cas. Cet objectif est bien exposé dans la décision de la Commission dans Van de Ven c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2023 CRTESPF 60, au par. 74 :
[74] Je souscris à la décision de la Commission dans FIOE selon laquelle, compte tenu du libellé de l’article 61, la considération générale est celle de l’équité. Je souscris également à l’affirmation de la Commission dans N.L., au paragraphe 28, qui énonce ce qui suit : « Les circonstances de chaque cas influencent l’importance et le poids qui seront accordés à chacun des critères. » […]
[38] Je vais examiner les critères énoncés dans Schenkman en fonction des arguments de la demanderesse et des arguments de la défenderesse. Je commencerai par le critère énoncé dans Schenkman qui exige que je détermine si la demanderesse a fourni une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard.
[39] Les renseignements limités fournis par l’agent négociateur concernant ce facteur constituaient un argument indiquant que le retard était entièrement attribuable à l’agent négociateur et non à la demanderesse. À l’appui de cet argument, l’agent négociateur a déclaré que la demanderesse avait signé le grief le 11 mars 2022, ce qui était dans le délai de 25 jours.
[40] La demanderesse a invoqué un certain nombre de cas pour étayer son argument selon lequel une erreur d’un agent négociateur constitue une raison claire, logique et convaincante pour accorder une prorogation du délai. Dans D’Alessandro et FIOE, une preuve importante a été entendue pour permettre à la Commission d’évaluer la négligence de la part de l’agent négociateur. Dans Prior c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 96, une preuve a également été entendue sur les raisons du retard, la demanderesse a été en mesure de démontrer sa diligence raisonnable dans une situation où elle‑même et le représentant de l’agent négociateur ont témoigné au sujet de la maladie en tant que facteur ayant contribué au dépôt tardif d’un grief. Le fait que la défenderesse ait fourni une réponse sur le bien‑fondé dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, en soi, ne peut pas surmonter une omission de fournir des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard dans le présent cas.
[41] Même si la demanderesse a signé le grief dans le délai imparti, elle n’a fourni aucun renseignement supplémentaire à la Commission sur la raison pour laquelle un grief a été déposé le 23 mars 2022, soit 4 jours après le délai de 25 jours prévu dans la convention collective. Ni elle ni l’agent négociateur n’ont indiqué une raison particulière pour le retard de l’agent négociateur, laissant ainsi la Commission dans l’incertitude quant à ce qu’elle pourrait être. Elle a soutenu que l’erreur de l’agent négociateur est la seule cause et qu’elle constitue une raison convaincante et logique justifiant un tel retard. La jurisprudence de la Commission a reconnu que la négligence ou l’erreur de la part d’un agent négociateur peut constituer des raisons claires, logiques et convaincantes, particulièrement lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fait preuve de diligence (voir D’Alessandro; Barbe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 42; Mercier c. Service correctionnel du Canada, 2023 CRTESPF 113, au par. 25); toutefois, comme la Commission l’a mentionné dans Cherid c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 8, au par. 23, elle doit être expliquée en détail :
[23] Cependant, toutes les situations dans lesquelles un syndicat tente de revendiquer la responsabilité ne correspondent pas à ces deux idées. Il ne suffit pas qu’un syndicat déclare qu’il était responsable du retard pour que le retard soit pardonnable. Un syndicat qui revendique la responsabilité du non‑respect d’un délai doit encore montrer à la Commission pourquoi le retard a eu lieu. Si le retard était le fruit d’une erreur (comme dans les sept cas que j’ai mentionnés plus tôt), le syndicat doit expliquer l’erreur qui a été commise et comment cela s’est produit.
[42] Le fardeau incombait à la demanderesse. Comme les raisons fournies dans le présent cas étaient insuffisantes, je suis d’avis que ce facteur milite en faveur de la défenderesse.
[43] Comme la Commission l’a déjà conclu, les délais prévus dans les conventions collectives doivent être respectés par les parties et ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles (voir Bowden, au par. 77). Le système de règlement des griefs est conçu de manière à constituer un moyen efficace et efficient de régler les différends en milieu de travail. Les délais doivent être généralement respectés et ne devraient être prorogés que s’il existe des raisons convaincantes. En même temps, dans l’intérêt de l’équité, je ne peux pas convenir que dans le présent cas un manquement à satisfaire au premier critère devrait annuler, en soi, une évaluation équilibrée des autres critères.
[44] Le prochain critère énoncé dans Schenkman concerne la durée du retard à présenter le grief à la défenderesse. Dans le présent cas, elle est de quatre jours. Il ne s’agissait pas d’un retard excessif. Comme l’a déclaré la Commission dans Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23, au par. 16, il n’existe aucun seuil avant lequel un retard est automatiquement considéré comme raisonnable. Au paragraphe 75 de Van de Ven, la Commission a légèrement reformulé ce critère pour tenir compte du stade auquel le retard est survenu dans la procédure de règlement des griefs. Un retard à l’étape du dépôt initial du grief milite généralement contre le fonctionnaire s’estimant lésé (Van de Ven, au par. 80; Cherid, au par. 28). Dans Trenholm c. Personnel des Fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65, une prorogation du délai était demandée pour la dernière étape de la procédure de règlement des griefs, soit le renvoi à l’arbitrage. Le grief avait été déposé à temps et avait été entendu par le défendeur dans le cadre de la procédure de règlement des griefs interne. Ce fait était, sans doute, d’une importance significative pour l’ancienne Commission. Elle a consacré tout un paragraphe de ses motifs au fait que dans ce cas, le retard est survenu à la dernière étape de la procédure (voir Trenholm, au par. 46). Ce n’est pas ainsi dans le présent cas.
[45] Dans le présent cas, même si le retard s’est produit au début de la procédure de règlement des griefs, le retard de quatre jours demeure minimal.
[46] Je vais maintenant me pencher sur la diligence raisonnable de la demanderesse.
[47] La demanderesse a soutenu qu’elle avait fait preuve de diligence en signant le grief le 11 mars 2022. À des fins d’analyse, j’accepte qu’elle a signé la formule de grief avant l’expiration du délai de 25 jours pour déposer un grief. Je conclus également qu’elle avait demandé de l’aide à son agent négociateur en temps opportun. Cependant, ses arguments ne fournissent aucun renseignement ni aucune action de sa part à ce sujet au‑delà de ce fait. Rien dans les éléments de preuve n’indique qu’elle a demandé à son agent négociateur de plaider en son nom ou de déposer un grief avant une date précise. Aucun courriel, ni aucun autre document, élément de preuve ou argument n’a été présenté pour expliquer ce qui s’est passé entre le 10 février et le 11 mars 2022, et du 11 au 23 mars 2022.
[48] Selon les arguments écrits de la demanderesse, je ne peux pas conclure qu’elle a demandé à son agent négociateur, dans les délais applicables, de s’assurer qu’il dépose un grief en son nom. De plus, elle n’a pas laissé entendre dans ses arguments qu’elle avait l’impression que l’agent négociateur déposerait un grief en son nom après qu’elle eut signé la formule de grief. Aucun élément de preuve n’a été fourni pour indiquer qu’elle a pris des mesures pour faire un suivi auprès de son agent négociateur entre le 11 et le 19 mars 2022 (la fin de la période de 25 jours), pour s’enquérir de l’état de son dossier ou du dépôt du grief. En même temps, aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel elle n’a pas particulièrement répondu à des demandes ou qu’elle n’a pas pris une mesure requise. Je fais remarquer que compte tenu du fait que, dans son grief, elle a allégué une mesure disciplinaire en vertu de l’article 209(1)b) de la Loi, elle aurait pu déposer le grief sans le soutien de l’agent négociateur. Cependant, elle avait un agent négociateur chevronné comme représentant. De plus, la demanderesse n’est vraisemblablement pas une experte en relations de travail.
[49] Selon les arguments, il semble que la demanderesse comprenait que sa demande de mesures d’adaptation avait été rejetée le 10 février 2022. Les arguments de la défenderesse mentionnent qu’elle a fourni des renseignements supplémentaires pour étayer cette demande après le refus. Fait intéressant, elle n’a fait aucune mention de ces renseignements supplémentaires dans ses arguments initiaux sur l’objection préliminaire concernant le respect des délais, et aucune réponse n’a été déposée qui aurait pu confirmer ou élaborer cet argument. Quoi qu’il en soit, ces renseignements supplémentaires n’ont pas modifié la décision, qui a été communiquée à la demanderesse le 1er mars 2022, selon les arguments de la défenderesse. Je conclus donc que la demanderesse était au courant de la situation et de l’obligation de déposer un grief. Cette conclusion est étayée par le fait que la formule a été signée le 11 mars 2022. Selon la prépondérance des probabilités, elle n’a pas fourni des éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable en donnant suite à son grief. Par conséquent, ce critère milite davantage en faveur de la défenderesse.
[50] La prochaine partie des arguments de la demanderesse était axée sur le critère énoncé dans Schenkman consistant à équilibrer l’injustice causée à la demanderesse si la demande de prorogation du délai était rejetée par rapport au préjudice causé à la défenderesse si elle était accordée. Elle a soutenu que l’injustice qu’elle subirait l’emporterait largement sur le préjudice causé à la défenderesse.
[51] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’injustice qu’elle subirait serait importante si la demande de prorogation du délai était rejetée comme étant hors délai. Elle serait privée de la possibilité de contester le CNP et de demander des réparations pour les salaires et avantages sociaux perdus. Je prends également note du fait que le présent grief a été entrepris dans un environnement exceptionnellement difficile pendant la pandémie de la COVID‑19. Les décisions étaient souvent prises sans tous les renseignements nécessaires, ou avec des renseignements contradictoires, et j’ai donc tenu compte de cette situation dans ces circonstances particulières. Même si les raisons du retard sont insuffisantes, un retard de quatre jours n’est pas significatif compte tenu du préjudice potentiel pour la demanderesse. De plus, lorsqu’il est comparé à toute injustice possible que pourrait subir la défenderesse, j’estime que ce facteur milite en faveur de la demanderesse.
[52] J’examine maintenant le dernier critère énoncé dans Schenkman, soit les chances de succès du grief. À ce stade préliminaire de la procédure, la Commission n’a reçu aucun élément de preuve sur le bien‑fondé du grief. Il est prématuré pour la Commission d’évaluer ce bien‑fondé. Dans Van de Ven, au par. 75, la Commission a reformulé ce critère quant à savoir si le grief n’avait aucune chance de succès ou était frivole ou vexatoire. Cela dit, à première vue, un grief visant à contester un CNP sur plusieurs mois, ainsi qu’un élément concernant une allégation de violation des droits de la personne, ne semble pas frivole et constitue une cause défendable. Par conséquent, j’accorde peu de poids à ce critère.
[53] Quelle que soit la raison pour laquelle l’agent négociateur a déposé le grief quatre jours en retard, la demanderesse n’a pas présenté son grief à temps, et ni elle ni l’agent négociateur n’ont saisi les occasions qui leur ont été offertes pour expliquer le retard de manière substantielle. Par conséquent, la question à trancher dans le présent cas consiste à savoir si elle a démontré qu’il est dans l’intérêt de l’équité que la Commission accueille sa demande de prorogation du délai pour déposer le grief.
[54] Le report des délais obligatoires peut être accueilli dans les cas où un demandeur a fait preuve de diligence, où le grief est fondé et où l’injustice causée au demandeur par le refus de la demande de prorogation du délai l’emporte sur le préjudice causé au défendeur par son accueil (voir Trenholm).
[55] Une demande de prorogation du délai n’est pas accueillie automatiquement, et une partie qui demande une prorogation doit fournir des arguments complets pour étayer sa demande. Une telle demande ne sera accueillie qu’après que le décideur aura évalué rigoureusement les circonstances et les arguments des parties. Cela est fait parce que les délais servent un objectif important en matière de relations de travail. Ils contribuent à la stabilité des relations de travail en assurant la certitude ou la clôture des différends en matière de relations de travail (voir Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, au par. 46, et Trenholm, au par. 54). Par ailleurs, dans Mercier, au par. 25, il a été conclu que les intérêts de l’équité tendent à militer en faveur d’une prorogation lorsque l’agent négociateur a commis une erreur.
[56] En établissant un équilibre entre les critères pour accorder une prorogation, je conclus que, dans l’intérêt de l’équité, il est approprié d’en accorder une dans le présent cas. Dans les circonstances du présent cas, j’ai priorisé les critères de la durée du retard et du préjudice potentiel pour la demanderesse comme étant significatifs et j’ai déterminé que cela l’emporte sur tout préjudice pour la défenderesse pour parvenir à cette conclusion. La demanderesse a signé le grief en temps opportun et a été active tout au long de la procédure. Elle était représentée par un agent négociateur expérimenté et chevronné et avait le droit de s’y fier. J’ai procédé à une analyse globale des critères. Même si les raisons justifiant le retard n’ont pas été bien expliquées, je conclus que les autres critères militent en faveur de la prorogation dans l’intérêt de l’équité.
[57] Cela dit, je fais remarquer que les parties qui fournissent des raisons insuffisantes pour justifier un retard le font à leurs propres risques et périls. Si le retard avait été plus long, ou si les faits relatifs au préjudice potentiel subi par l’une ou l’autre des parties avaient été évalués différemment, le résultat aurait pu être différent.
[58] La demanderesse a soutenu subsidiairement qu’il s’agit d’un grief continu. Toutefois, cet argument était très sommaire et n’était appuyé par aucun élément de preuve ni argument. Dans sa réponse, la défenderesse a exprimé son désaccord, sans toutefois fournir de détails fondamentaux.
[59] Dans Bowden, le commissaire a examiné la question d’un grief continu et a fait référence à sa définition, notamment comme suit au paragraphe 35 :
[35] L’arbitre de différends dans British Columbia v. B.C.N.U. (1982), 5 L.A.C. (3d) 404, s’est fondé sur la définition d’un grief continu énoncé dans l’ouvrage Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration du professeur Gorsky, à la page 35, comme suit :
[Traduction]
[…] La récurrence du dommage ne rend pas un grief isolé continu. Il faut que la partie qui manque à ses engagements manque à une obligation récurrente. Lorsque cette obligation existe à un certain intervalle et que la partie y manque chaque fois, il y a un manquement « continu » et la période de limitation du délai de contestation ne commence qu’avec le manquement le plus récent. Quand il n’y a pas d’obligation pareille et que le préjudice ne fait que continuer ou s’aggraver sans autre manquement, le grief est isolé et la période de limitation commence à partir du premier manquement, quel que soit le préjudice subi.
[60] Dans Ontario Public Service Employees Bargaining agent v. Ontario (Ministry of the Attorney General), 2003 CanLII 52888 (ON GSB), l’arbitre de différends a posé la question à laquelle il faut répondre comme suit : [traduction] « Concerne‑t‑il [le grief] une conduite continue plutôt qu’une seule action qui a des conséquences continues? »
[61] Dans Mazzini c. Agence du revenu du Canada, 2024 CRTESPF 105, au par. 19, la Commission a conclu que la décision de mettre le fonctionnaire s’estimant lésé en CNP (conformément à la politique sur la COVID) ne constituait pas un grief continu.
[19] Bien que, dans ses arguments écrits du 23 janvier 2023, l’agent négociateur ait soutenu que le grief se poursuit et que la question est demeurée en suspens pendant que le demandeur était en congé non payé, il n’a pas poursuivi cette argumentation dans ses arguments écrits du 11 janvier 2024. Même s’il avait maintenu cet argument, je ne l’aurais pas trouvé convaincant. Le libellé du grief est sans ambiguïté. Il indique clairement que le demandeur conteste le refus de l’employeur de sa demande d’exemption et sa décision de le mettre en congé non payé à compter du 30 décembre 2021. Le grief ne porte pas sur une violation répétée, par l’employeur, d’une obligation récurrente. Ses détails et les mesures correctives qu’il demande indiquent plutôt que le grief se rapporte à des décisions particulières prises en décembre 2021. Le fait que la décision de mettre le demandeur en congé non payé ait entraîné des conséquences continues ne fait pas en sorte, par ce seul fait, que le grief est continu (voir la discussion sur la nature des griefs continus dans Bowden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2021 CRTESPF 93, aux par. 33 à 36). De même, un désaccord continu avec les décisions de l’employeur ne fait pas en sorte qu’un grief est continu.
[62] En l’absence de tout argument fondamental de la part de la demanderesse, je conclus que le présent grief concerne des événements qui ont eu des conséquences continues : le refus d’accorder une exemption à la fonctionnaire s’estimant lésée et l’événement ultérieur de la mise en CNP de celle‑ci. Son libellé indique clairement qu’il concerne des décisions précises prises en décembre 2021 et en février 2022. Le fait que la décision de mettre la demanderesse en CNP ait eu des conséquences continues ne faisait pas, en soi, de cette décision un grief continu.
[63] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[64] La demande de prorogation du délai est accueillie.
[65] L’objection de la défenderesse quant au respect des délais est rejetée.
[66] Les griefs dans les dossiers de la Commission 568‑34‑46757 et 566‑34‑46011 seront mis au calendrier pour audience sur le fond.
Traduction de la CRTESPF
Deborah Cooper,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral