Date: 20250131
Dossier: 566-02-44340
Référence: 2025 CRTESPF 11
des relations de travail et
le secteur public fédéral
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entre
Jacqueline Byrne
fonctionnaire s’estimant lésée
et
Administrateur général
(ministère de l’Emploi et du Développement social)
défendeur
Répertorié
Byrne c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)
Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage
Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Paul Champ, avocat
Pour le défendeur : Richard Fader, avocat
Affaire entendue à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)
(Traduction de la CRTESPF)
(TRADUCTION DE LA CRTESPF)
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I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage devant la Commission
[1] En mars 2020, alors que la pandémie de COVID-19 (la « pandémie ») a commencé à s’imposer au Canada, Jacqueline Byrne, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était une agente de prestations à temps plein de Service Canada classifiée au groupe et au niveau PM-02 travaillant pour Emploi et Développement social Canada (EDSC ou l’« employeur ») dans son programme d’assurance-emploi.
[2] La Prestation canadienne d’urgence (PCU) était un programme de prestations temporaire mis en place pour offrir une aide financière immédiate aux personnes qui étaient confrontées à une perte ou à une réduction de revenu importante en raison de la pandémie. EDSC, le ministère d’attache de la fonctionnaire, était chargé du programme de la PCU, mais il était administré par l’Agence du revenu du Canada (ARC). Les demandeurs qui satisfaisaient aux critères d’admissibilité pouvaient demander des paiements de la PCU de 2 000 $, pour un maximum de sept périodes de quatre semaines entre le 15 mars 2020 et le 26 septembre 2020.
[3] La fonctionnaire a demandé les sept cycles de paiements de la PCU pour un total de 14 000 $. Elle n’était pas admissible à les recevoir parce qu’elle a continué à travailler à temps plein, sans interruption ni réduction de son revenu d’emploi. Après avoir mené une enquête, l’employeur a révoqué sa cote de fiabilité et son autorisation de sécurité, ce qui a entraîné son licenciement automatique.
[4] Même si la fonctionnaire n’a pas perdu son emploi à EDSC ni aucun revenu d’emploi en raison de la pandémie, elle a déclaré qu’elle estimait que l’admissibilité aux paiements de la PCU pourrait être fondée sur une perte ou une réduction des revenus d’un emploi ou d’un travail indépendant, même si une personne tirait ces deux revenus. Ayant lancé une petite entreprise d’artisanat à domicile en 2019, elle avait prévu que sa deuxième année d’activité générerait des revenus accrus. Une fois que la pandémie s’est imposée, il semblait peu probable que ces recettes projetées se concrétiseraient. Considérant cela comme une perte de revenu de travail indépendant, elle a demandé la PCU.
[5] Toutefois, même si la pandémie l’avait forcée à fermer son entreprise à domicile, la fonctionnaire recevait toujours son salaire intégral d’EDSC, ce qui la rendait inadmissible à la PCU. Quoi qu’il en soit, ses revenus de travail indépendant n’ont pas diminué comme prévu, mais ils ont plutôt augmenté.
[6] La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’aurait jamais mis en péril son emploi si elle avait compris les critères de la PCU et constaté qu’elle n’y était pas admissible. Cependant, je conclus qu’elle savait ou soupçonnait fortement qu’il y avait des questions concernant son admissibilité, mais qu’elle a choisi de faire preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de celles-ci.
[7] Par conséquent, la révocation de sa cote de fiabilité était justifiée par des motifs appropriés et légitimes, et son licenciement reposait donc sur un motif valable. Le grief est rejeté.
II. La preuve
[8] L’incidence économique de la pandémie a été telle que de nombreux Canadiens ont connu une baisse soudaine de leurs revenus en raison d’une perte d’emploi, d’une mise en disponibilité ou d’une réduction des heures de travail. Les reportages des médias en avril 2020, fondés sur des données de l’Enquête sur la population active de Statistique Canada, ont indiqué que le Canada avait perdu plus de trois millions d’emplois et que le nombre de personnes travaillant moins de la moitié de leurs heures de travail habituelles avait augmenté de 2,5 millions. À la mi-avril 2020, le nombre total de travailleurs n’étant plus employés, ou travaillant beaucoup moins, était de 5,5 millions.
[9] Afin de remédier à cette situation, le programme temporaire de la PCU a été mis en place pour alléger le fardeau financier en versant rapidement des fonds aux Canadiens touchés afin de subvenir à leurs besoins essentiels de base – pour les aider à garder un toit au-dessus de leur tête et de la nourriture sur la table.
[10] Les demandes ont été présentées au moyen d’un processus d’attestation en ligne ou par téléphone. Les demandeurs devaient répondre à plusieurs questions et leur admissibilité était déterminée en fonction de leurs réponses.
[11] Tôt dans la brève existence du programme, le libellé de l’affirmation d’attestation a été modifié. Au début, il s’agissait de ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Veuillez confirmer ce qui suit pour recevoir votre paiement :
[…]
Pendant au moins 14 jours d’affilée au cours de la période de 4 semaines que vous avez choisi, vous avez arrêté ou vous arrêterez de travailler en raison de la COVID-19, ou vous avez perdu ou perdrez votre revenu d’emploi régulier ou votre revenu de travail indépendant.
[…]
[Je mets en évidence]
[12] La fonctionnaire a témoigné qu’elle estimait que cela pouvait signifier que l’admissibilité pouvait être fondée soit sur une perte de revenu d’emploi, soit sur une perte de revenu de travail indépendant. À son avis, elle aurait pu être admissible en se fondant sur la perte projetée de ses revenus de travail indépendant, malgré le fait qu’elle ait continué à tirer son revenu d’emploi intégral.
[13] Le 24 avril 2020, ce libellé initial a été clarifié, après quoi l’affirmation d’attestation pour une première demande était la suivante :
[Traduction]
[…]
Vous avez arrêté ou vous arrêterez de travaillerpour des raisons liées à la COVID-19, pendant au moins 14 jours d’affilée au cours de la période de 4 semaines de prestations et vous n’avez pas gagné, ou ne prévoyez pas gagner, plus de 1 000 $ en revenus d’emploi ou de travail indépendant combinés au cours de ces jours d’affilée.
[…]
[Je mets en évidence]
[
14
]
Pour les demandes ultérieures, l’affirmation d’attestation était la suivante :
[Traduction]
[…]
Vous avez arrêté de travailler pour des raisons liées à la COVID-19, et vous continuez de ne pas travailler et vous prévoyez être dans cette situation pendant la totalité de la période de 4 semaines visée par votre demande, et vous vous attendez à ne pas gagner plus de 1 000 $ en revenus d’emploi ou de revenus de travail indépendant combinés.
[…]
[Je mets en évidence]
[15] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait mal compris les critères d’admissibilité et avait estimé que son salaire d’EDSC n’était pas pris en considération. Toutefois, lorsqu’elle a été contre-interrogée au sujet du libellé révisé, elle a rapidement reconnu qu’elle pouvait maintenant voir qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de la PCU.
[16] Lorsqu’elle a été interrogée davantage sur ce point en contre-interrogatoire, la fonctionnaire a expliqué qu’elle n’avait pas réellement écouté les questions, qu’elle avait répondu aux questions [traduction] « hâtivement », autant lors de la relecture que de la vérification de ses réponses. Elle l’a décrit de cette façon : [traduction] « La personne n’a qu’à répondre oui ou non – la personne n’écoute pas tout, c’est comme pour l’assurance-emploi, oui ou non, je sais que par le passé, lorsque j’ai dû demander des prestations d’assurance-emploi, c’est ce que j’ai fait, alors oui, j’aurais connu les chiffres et je les aurais simplement indiqués. »
[17] La fonctionnaire comptait plus de 20 ans d’expérience de travail au sein du gouvernement fédéral, commençant avec l’ARC en 1997 dans plusieurs unités différentes. Elle a ensuite occupé plusieurs postes à durée déterminée, auprès de Santé Canada, de la Garde côtière canadienne, de l’ARC à nouveau, de Passeport Canada et, enfin, de Service Canada. Elle a déclaré que certains de ses mandats étaient des postes saisonniers, mais comme ils avaient tendance à être à chaque extrémité de l’année, elle travaillait souvent toute l’année. À Passeport Canada, elle avait détenu une autorisation de sécurité de niveau secret, car elle avait le contrôle des passeports; il y avait une procédure très stricte pour s’assurer que les passeports vierges non utilisés étaient retournés dans une chambre forte. Elle avait également de l’expérience de travail dans la fonction publique provinciale de Terre-Neuve-et-Labrador.
[18] En 2014, elle a commencé à travailler à EDSC dans un poste à durée déterminée au groupe et au niveau PM-01 dans un centre d’appels, suivi en 2015 par un poste à durée déterminée au groupe et au niveau PM-01 en tant qu’agente de prestations de Service Canada. Le 3 avril 2017, elle a été nommée à un poste à durée indéterminée au groupe et au niveau PM-02 en tant qu’agente de prestations de Service Canada dans le programme d’assurance-emploi.
[19] Dans ce poste, elle s’occupait des demandes de prestations régulières, de prestations de maladie, de prestations de maternité et de prestations parentales d’assurance-emploi. Elle vérifiait les faits sur des questions telles que les raisons de la perte d’emploi et la disponibilité pour travailler, déterminait l’admissibilité des demandeurs aux prestations d’assurance-emploi, statuait sur les demandes litigieuses et surveillait le versement des prestations tout au long de la durée d’une demande. Elle a déclaré que les demandes les plus litigieuses portaient sur les démissions et les licenciements.
[20] Elle n’avait jamais eu l’occasion de signaler une fraude, mais elle était chargée de signaler à son superviseur tout ce qui n’était pas habituel, et celui-ci signalait cette situation à la division de l’intégrité. Elle a déclaré qu’elle avait suivi une formation approfondie en tant qu’agente de prestations et que si elle n’était pas certaine de la marche à suivre pour une demande, elle pouvait obtenir des conseils.
[21] La fonctionnaire a déclaré qu’elle comprenait l’importance de bien comprendre les critères d’admissibilité et de s’y conformer, même lorsque cela était difficile. Elle a donné l’exemple de décisions déchirantes qu’elle a dû prendre lorsqu’elle était confrontée, par exemple, à un demandeur de prestations d’assurance-emploi atteint d’un cancer et n’ayant qu’une courte période de congé de maladie restante. Elle a déclaré qu’aussi difficile que cela puisse être, [traduction] « vous suivez les critères établis; soit vous y répondez ou vous n’y répondez pas ».
[22] Lorsque des renseignements défavorables concernant un employé sont découverts et qu’ils peuvent remettre en question sa fiabilité ou sa loyauté, une révision pour motif valable est effectuée. Il s’agit d’une réévaluation officielle pour déterminer s’il devrait continuer à détenir une cote de sécurité qui lui a été accordée précédemment. Il est nécessaire de mener à bien une entrevue d’enquête et une entrevue de sécurité. Stéphane Lavigne, un enquêteur principal de l’Unité des enquêtes internes d’EDSC, a mené les deux entrevues.
[23] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait indiqué par erreur à l’enquêteur qu’elle avait appelé la ligne de demandes de renseignements de l’ARC en mai ou en juin 2020, alors qu’en réalité, elle a appelé pour la première fois vers la fin de mars, puis de nouveau juste avant la fin de semaine prolongée du 24 mai. Elle a déclaré que lorsqu’elle a appelé, elle a simplement posé une question générale sur l’admissibilité et n’a pas donné son nom, son numéro d’assurance sociale (NAS) ni déclaré qu’elle était une employée d’EDSC. Elle a dit à l’agent de l’ARC qu’elle travaillait à temps plein et qu’elle avait une petite entreprise, mais que son revenu de la petite entreprise était nul en raison de la pandémie et des annulations pour une durée indéterminée des foires artisanales et autres.
[24] En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a été invitée à confirmer qu’elle avait dit à l’agent de l’ARC que son revenu de petite entreprise était nul. Elle l’a confirmé et a déclaré qu’en mars, il s’agissait d’une affirmation anticipée. En ce qui concerne l’appel en mai, elle a dit ce qui suit : [traduction] « Je suppose que je l’ai mal formulé. »
[25] Elle a déclaré que l’agent de l’ARC avait conseillé que, en raison de cette perte de revenu de travail indépendant, elle pourrait être admissible à la PCU, et s’il était déterminé plus tard qu’elle n’y était pas admissible, elle devrait rembourser les prestations reçues.
[26] Elle a déclaré qu’elle a rappelé en mai parce qu’elle avait entendu des renseignements contradictoires dans les médias, principalement dans une émission de radio qu’elle écoutait régulièrement. Elle a déclaré qu’elle tenait à s’assurer qu’elle était toujours admissible. Elle a dit à l’agent qu’elle travaillait toujours à temps plein et qu’elle avait une petite entreprise. Les mêmes conseils qu’elle avait reçus en mars lui ont été donnés à nouveau. Elle ne s’est pas identifiée non plus lors de cet appel.
[27] Elle n’a pris aucune note et ne connaissait pas le nom des agents avec qui elle avait parlé. Il n’y avait aucune note dans le système informatique de l’ARC concernant l’un ou l’autre appel.
[28] La fonctionnaire a reçu des paiements par virement électronique pour les ventes de son entreprise à domicile chaque mois pendant toute la période visée par sa demande de prestations de la PCU et pendant laquelle elle a touché ces prestations. Son revenu d’entreprise à domicile était inférieur à 1 000,00 $ chaque mois, sauf en mai 2020 où il était légèrement supérieur à ce montant.
[29] Lorsqu’elle a été interrogée par l’enquêteur, elle a déclaré que son revenu d’entreprise à domicile avait baissé de 60 %. En contre-interrogatoire, lorsqu’elle a été interrogée au sujet du fait que ses revenus provenant d’un travail indépendant avait en fait augmenté, elle a déclaré qu’elle avait simplement donné une estimation à l’enquêteur. Elle n’avait pas réellement examiné les chiffres.
[30] La fonctionnaire a témoigné que cette période d’événements a été extrêmement difficile et stressante pour elle, car sa mère est tombée gravement malade et a été hospitalisée pendant une longue période. La fonctionnaire a eu du mal à s’occuper de sa mère dans des circonstances difficiles compte tenu des restrictions liées à la pandémie imposées aux visites. Elle a également dû aider et soutenir son père, qui a été touché de manière importante par la maladie de son épouse et qui est également tombé gravement malade. Ses deux parents sont décédés au cours des premiers mois de 2021.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour l’employeur
[31] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire était une agente de prestations chevronnée, dont le travail même consistait à comprendre et à appliquer les critères d’admissibilité. Elle savait qu’elle n’avait pas droit à la PCU, mais elle en a fait la demande à sept reprises au cours de la période du 15 mars au 26 septembre 2020. Elle a répondu de manière inexacte aux questions d’attestation et a reçu un total de 14 000 $.
[32] Le programme de la PCU avait pour but de fournir un allégement à ceux qui ont subi les pleines répercussions de la crise économique découlant de la pandémie. La prestation avait pour objet de garder un toit au-dessus de la tête et de la nourriture sur la table. C’était dans ce contexte que la fonctionnaire, une employée à temps plein d’EDSC, a demandé et reçu des prestations de la PCU.
[33] Elle a soumis des renseignements frauduleux à sept reprises pour recevoir des prestations d’un programme dont son ministère d’attache était chargé. Elle n’a vu la lumière et ne s’est arrêtée à aucun moment au cours de ce processus; elle a continué de présenter des demandes jusqu’à la clôture du programme, tout en travaillant à temps plein, y compris des heures supplémentaires volontaires.
[34] Il ne s’agissait pas d’un cas d’erreur de bonne foi; il s’agissait d’une fraude. La fonctionnaire était une agente de prestations chevronnée; mais il n’était pas nécessaire de lire une loi pour comprendre les critères d’admissibilité à la PCU. Le texte de l’attestation était court, d’une seule page, et il demandait simplement au demandeur de répondre aux questions de manière honnête. La fonctionnaire ne l’a pas fait.
[35] Elle a également fourni des renseignements trompeurs à l’enquêteur et une partie de son témoignage lors de l’audience manquait de crédibilité.
[36] La fonctionnaire a obtenu un nouveau poste à l’ARC après ces événements et a répondu de manière inexacte à une question de sécurité, affirmant qu’elle n’avait pas déjà rempli un formulaire de vérification de sécurité. Cela démontrait son manque de crédibilité et sa volonté de truquer les réponses dans les processus officiels pour obtenir le résultat souhaité. Elle n’a pas non plus déclaré son entreprise dans sa déclaration de revenus de 2019; elle l’a exploitée au noir.
[37] Les arguments de la fonctionnaire selon lesquels la pandémie et ses circonstances personnelles difficiles ont créé une période extrêmement stressante ne sont pas pertinents, car elle n’avait aucune raison de demander des prestations de la PCU en premier lieu. Son emploi était intact et elle n’a connu aucune interruption de revenu. Il s’agissait d’une mesure positive qu’elle a prise.
[38] Même si le présent cas porte sur un licenciement pour des motifs non disciplinaires, l’évaluation de la fiabilité porte sur l’intégrité et plus particulièrement sur l’honnêteté et la fiabilité. Acquérir frauduleusement des prestations équivaut à un vol. Le vol est l’une des infractions les plus graves dans une relation d’emploi, et le fait qu’il se soit produit sept fois concerne directement ces problèmes.
[39] L’enquête de sécurité a permis de conclure qu’elle avait commis un abus de confiance envers son employeur. Cette conclusion était justifiée lorsque l’ensemble des faits est pris en considération. Il était raisonnable de conclure que ses actes étaient incompatibles avec le maintien de sa cote de fiabilité, car ils étaient incohérents avec la conduite attendue sur laquelle l’employeur devait pouvoir compter, à savoir qu’elle n’abuserait pas de la confiance qui lui était accordée.
B. Pour la fonctionnaire
[40] L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que, même s’il existait un quelque vœu pieux de sa part concernant son admissibilité à la PCU, l’employeur n’a pas établi qu’elle avait intentionnellement commis une fraude.
[41] L’année 2020 a été une période profondément perturbante, déstabilisante et confuse pour tout le monde, et même si la fonctionnaire n’a pas soutenu qu’elle avait été frappée d’une incapacité, il convient néanmoins de prendre en considération le fait qu’elle a vécu une période extrêmement difficile et confuse. Le stress de gérer la longue maladie de sa mère, exacerbé par les restrictions liées à la pandémie imposées aux visites à l’hôpital, a été suivi de la maladie de son père et des décès de ses deux parents. Lorsque ce contexte est pris en considération, l’employeur n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir une probabilité raisonnable qu’elle avait l’intention de commettre une fraude et était donc peu fiable.
[42] Il faut déterminer si certains risques sont acceptables. Des renseignements défavorables peuvent être obtenus, mais il faut tenir compte de la question de savoir s’ils étaient suffisamment graves pour conclure que la fonctionnaire présentait un risque en milieu de travail, ne pouvait pas être digne de confiance et était susceptible d’abuser de la confiance, de voler ou d’être vulnérable à la coercition.
[43] Les critères d’admissibilité à la PCU étaient déroutants pour tout le monde, dans une certaine mesure. Le libellé du script téléphonique était confus et ambigu, et il a été modifié au fil du temps. La phrase [traduction] « [votre revenu] d’emploi [régulier] ou [votre revenu] de travail indépendant » a été modifiée pour devenir [traduction] « [de revenus] d’emploi ou [de revenus] de travail indépendant combinés », sans avis de la modification. La question de savoir s’il s’agissait du revenu brut ou net qui était visé a également été modifiée. Le libellé qui exigeait que le demandeur ait [traduction] « arrêté de travailler » était ambigu, lorsqu’il était pris en considération avec la capacité ajoutée ultérieurement de gagner un revenu maximal de 1 000 $ et d’être toujours admissible. Aucun des scénarios fournis pour illustrer l’admissibilité n’était semblable à la situation de travail de la fonctionnaire, qui était également une travailleuse indépendante.
[44] Il s’agissait d’un programme urgent déployé rapidement pour éviter les préjudices. Il a été conçu et exécuté rapidement. Les renseignements publics n’étaient pas clairs. Contrairement à un programme comme l’assurance-emploi comportant des pages et des pages de règlements et de jurisprudence sur l’admissibilité, le programme de la PCU venait tout juste d’être lancé. Un document a simplement été envoyé aux agents à titre de formation.
[45] Le fait que la fonctionnaire ait appelé l’ARC laisse entendre qu’elle n’était pas certaine d’être admissible; sinon, elle n’aurait pas appelé. Cependant, il n’était pas clair qu’elle n’était pas admissible, et elle avait été informée que si elle ne l’était pas, elle pourrait la rembourser. Compte tenu de son état d’esprit à l’époque, au pire, il s’agissait d’un vœux pieux, d’un espoir et d’une compréhension selon laquelle elle pourrait devoir la rembourser. Le fait de ne pas prendre d’autres mesures pour déterminer son admissibilité constituait un mauvais jugement de sa part, mais il n’y avait aucune intention de dissimuler.
[46] En examinant les éléments de preuve selon la norme de la prépondérance des probabilités, on ne peut pas conclure que la fonctionnaire a commis délibérément une fraude. Elle peut être critiquée pour ses vœux pieux, des personnes raisonnables auraient pu mal comprendre les critères d’admissibilité, et peut-être qu’un agent de prestations aurait dû mieux les comprendre, mais la confusion de cette période de la pandémie et ses circonstances personnelles étaient telles qu’il n’était pas déraisonnable pour elle de demander la PCU, puisqu’elle avait été informée qu’elle devrait simplement la rembourser si elle n’y était pas admissible.
IV. Motifs
[47] Le cas de la fonctionnaire repose essentiellement sur son affirmation selon laquelle elle a demandé les paiements de la PCU de bonne foi et n’aurait jamais sciemment mis en péril son emploi. Une grande partie des éléments de preuve portait sur ses réponses aux affirmations d’attestation exigées par le processus de demande.
[48] Le libellé de la première version de l’affirmation d’attestation était ambigu. Une utilisation inappropriée de la disjonction [traduction] « soit » et [traduction] « ou » et une tentative d’englober trop de variables dans une seule phrase ont donné lieu à une expression qui, prise littéralement, pourrait être interprétée comme offrant trois voies distinctes vers l’admissibilité, à savoir :
1) que vous avez arrêté de travailler ou que vous arrêterez de travailler; ou
2) que vous avez perdu ou perdrez votre revenu d’emploi régulier; ou
3) que vous avez perdu ou perdrez votre revenu de travail indépendant.
[49] C’est ainsi que la fonctionnaire a déclaré qu’elle l’avait compris – qu’une perte de revenu de travail indépendant pouvait satisfaire à elle seule aux critères d’admissibilité, sans égard de son salaire d’emploi à temps plein. Je comprends son point de vue, en me fondant sur une interprétation littérale d’une affirmation d’attestation mal rédigée.
[50] Cependant, dans le présent cas, l’explication de la fonctionnaire comporte plusieurs problèmes.
A. L’affirmation d’attestation ambiguë a été clarifiée dès le début
[51] En premier lieu, le libellé de l’attestation a été clarifié le 24 avril 2020. Une mauvaise compréhension des critères en raison d’un libellé ambigu aurait pu s’appliquer à ses deux premières demandes, mais ne permettrait pas d’expliquer complètement les cinq demandes subséquentes. La première affirmation d’attestation aurait certainement dû être plus claire. Cependant, une fois qu’elle a été modifiée à [traduction] « Vous avez arrêté de travailler […] et vous continuez de ne pas travailler et vous vous attendez à ne pas gagner plus de 1 000 $ en revenus d’emploi ou de revenus de travail indépendant combinés. », elle était très claire.
[52] L’avocat de la fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait eu aucun préavis particulier de la modification du libellé. Même si chaque demande était distincte et que chacune nécessitait de répondre à l’affirmation d’attestation à nouveau, par souci d’équité envers les demandeurs, l’employeur aurait été bien avisé de fournir un tel préavis. À mon avis, lorsque les gens sont invités à faire une autoattestation, un préavis de toute modification peut constituer un élément important de transparence.
[53] Cependant, la fonctionnaire a déclaré avoir entendu des renseignements contradictoires à une émission-débat à la radio qui ont motivé son deuxième appel à la ligne de demandes de renseignements de l’ARC en mai. Elle n’a pas établi un lien particulier à une modification du libellé, mais elle a déclaré qu’elle souhaitait s’assurer qu’elle était toujours admissible. Cela m’indique qu’elle avait probablement conscience que quelque chose avait pu changer ou être clarifié. Toutefois, lorsqu’elle a rappelé la ligne une deuxième fois, elle a encore induit l’agent en erreur en répétant qu’elle travaillait à temps plein, mais avait perdu son revenu de travail indépendant.
[54] Elle n’a pas non plus écouté attentivement l’affirmation d’attestation elle-même, étant donné qu’elle avait des doutes persistants ou renouvelés quant à son admissibilité. Lorsque le libellé révisé lui a été présenté en contre-interrogatoire, la fonctionnaire a rapidement reconnu qu’elle pouvait voir qu’elle n’était pas admissible à la PCU. Elle était, après tout, une agente de prestations chevronnée.
[55] Lorsqu’elle a été interrogée davantage sur ce point, elle a expliqué qu’elle n’avait pas réellement écouté les questions, qu’elle avait répondu aux questions [traduction] « hâtivement », autant lors de la relecture que de la vérification de ses réponses. Elle l’a comparé au processus de certains demandeurs de prestations d’assurance-emploi, y compris elle-même, qui se contentent de mémoriser l’ordre des questions oui ou non et y répondent mécaniquement, sans réellement songer aux questions. Ce témoignage posait problème à plusieurs égards.
B. La fonctionnaire n’a subi aucune perte de revenu de travail indépendant
[56] En deuxième lieu, même si la fonctionnaire estimait qu’une perte de revenu de travail indépendant pouvait satisfaire aux critères d’admissibilité malgré son revenu d’emploi à temps plein, le fait est qu’elle n’avait pas arrêté d’exploiter son entreprise à domicile et n’avait subi aucune perte de ce genre. Même si elle a pu raisonnablement anticiper qu’une perte serait subie en raison de la pandémie, aucune perte de ce genre ne s’est concrétisée. En fait, ses revenus d’entreprise à domicile ont augmenté.
[57] Même si le revenu d’emploi à temps plein de la fonctionnaire a fait en sorte qu’elle était, quoi qu’il en soit, inadmissible à la PCU, le fait que son revenu d’emploi à domicile avait en fait augmenté est un élément concernant sa crédibilité. Elle a dit deux fois à un agent de la ligne de demandes de renseignements de l’ARC qu’elle avait perdu son revenu de travail indépendant. Elle a confirmé dans son témoignage qu’elle avait déclaré que ce revenu était nul, expliquant qu’en mars, il s’agissait d’une affirmation [traduction] « anticipée ». En ce qui concerne l’appel de mai, elle a déclaré qu’elle supposait qu’elle l’avait mal formulée.
[58] Le 1er mars 2021, la fonctionnaire a été informée de l’entrevue d’enquête, qui devait avoir lieu le 17 mars 2021. Elle a eu amplement de temps pour examiner les chiffres. Étant donné que son explication pour demander la PCU était qu’elle avait prévu une chute drastique de ses revenus, on pourrait penser qu’elle aurait vérifié si cette chute a eu lieu. Toutefois, même sans vérification et en faisant simplement une estimation, il est difficile de croire qu’elle estimait réellement que ses revenus d’entreprise avaient diminué de 60 % alors qu’en réalité, ils avaient augmenté. Pourtant, c’est ce qu’elle a dit à l’enquêteur.
C. La fonctionnaire était une agente de prestations chevronnée
[59] En troisième lieu, lorsqu’elle a demandé la PCU, la fonctionnaire était une agente de prestations chevronnée de Service Canada, un emploi qu’elle a occupé pendant cinq ans et dont l’essence même était de comprendre et d’appliquer les critères d’admissibilité aux prestations. Elle comprenait l’importance de bien comprendre les critères d’admissibilité et de s’y conformer, même lorsqu’elle était confrontée à des décisions déchirantes. Elle a déclaré qu’aussi difficile que cela était parfois, [traduction] « vous suivez les critères établis; vous y répondez ou vous n’y répondez pas ».
[60] Cependant, dans son propre cas, la fonctionnaire a semblé faire tout son possible pour ne pas comprendre clairement et ne pas obtenir des renseignements définitifs sur les critères d’admissibilité et sur le fait de savoir si elle y satisfaisait. Son objectif final semblait être de tenter d’assurer une possibilité de déni plausible. Le fait qu’elle a appelé la ligne de demandes de renseignements de l’ARC en mars et en mai a démontré qu’elle avait non seulement des doutes initiaux, mais également des préoccupations persistantes ou renouvelées concernant son admissibilité, même si elle continuait de demander et de recevoir les paiements de la PCU. En même temps, le fait d’appeler de manière anonyme et de fournir des renseignements limités et inexacts indique qu’elle n’était pas disposée à divulguer tous les faits afin d’être pleinement informée quant à savoir si elle satisfaisait aux critères.
[61] Quoi qu’il en soi, même si elle avait donné à l’agent de l’ARC tous ses renseignements, et même si l’agent de l’ARC avait déclaré qu’elle pourrait être admissible et qu’elle devrait présenter une demande et la rembourser, le cas échéant, aucun de ces éléments ne permettrait d’expliquer ou de justifier ses réponses répétées et inexactes pendant le processus de demande. Elle savait que les agents de l’ARC ne statuaient pas sur les demandes, que les demandeurs devaient présenter une demande et établir leur admissibilité au moyen de leurs attestations particulières dans chaque demande. Même en lui accordant le bénéfice du doute pour les deux premières demandes, elle a quand même répondu de manière inexacte au moins cinq fois.
D. Licenciement pour motif non disciplinaire fondé sur la révocation de sa cote de fiabilité
[62] Il ne s’agissait pas d’un licenciement pour motif disciplinaire. La question dont je suis saisie ne consiste pas à déterminer si la fonctionnaire s’est livrée à une inconduite ou, dans l’affirmative, si la sanction du licenciement était excessive ou si l’employeur a bien appliqué les principes de la mesure disciplinaire progressive. Aucune de ces questions ne s’applique à un licenciement pour motif non disciplinaire fondé uniquement sur la révocation de la cote de fiabilité d’un employé.
[63] Comme je l’ai déjà mentionné, une révision pour motif valable est une réévaluation officielle de l’admissibilité d’un employé à continuer de détenir une cote de fiabilité qui lui a été accordée précédemment. Elle est amorcée lorsque des renseignements défavorables sont découverts ou signalés au sujet d’un employé qui pourraient remettre en question sa fiabilité ou sa loyauté.
[64] Lorsqu’une révision pour motif valable entraîne la révocation de la cote de fiabilité d’un employé, un licenciement automatique de l’employé s’ensuit, car chaque poste dans l’administration publique fédérale exige au moins la cote de fiabilité. Il s’agit du niveau le plus bas d’autorisation de sécurité et une exigence fondamentale pour tous les postes.
[65] La question à trancher dans un tel cas est celle de savoir si le licenciement reposait sur un motif valable; c’est-à-dire si l’employeur avait des motifs raisonnables pour révoquer la cote de fiabilité de la fonctionnaire et si cette mesure était justifiée par des motifs appropriés et légitimes, ainsi que par les politiques pertinentes. Voir Canada (Procureur général) c. Féthière, 2017 CAF 66, au paragraphe 32, et Canada (Procureur général) c. Heyser, 2017 CAF 113, au paragraphe 77, qui énonce ce qui suit :
[…]
[77] […] lorsque l’employeur licencie un employé pour des motifs non disciplinaires, par exemple parce que l’employé a perdu sa cote de fiabilité […] la Commission doit décider si la révocation à l’origine du licenciement était justifiée. Si c’est le cas, alors l’employeur a démontré que le licenciement était motivé. Si, au contraire, l’employeur ne réussit pas à démontrer que la révocation était fondée sur des motifs valables, alors le licenciement n’est pas justifié et l’employé […] doit être réintégré dans ses fonctions.
[…]
[66] La Commission doit évaluer une décision de révocation au moyen de l’optique de la sécurité ou de la fiabilité. Une telle décision est régie par les principes énoncés dans les politiques de sécurité de l’employeur, plus particulièrement le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et le Code de conduite d’EDSC, qui exigent tous les deux que les employés agissent toujours avec intégrité. En vertu de l’article 2, intitulé « Valeurs et comportements attendus », l’alinéa c) « Intégrité » énonce ce qui suit :
[…]
Valeur : intégrité
L’intégrité est la pierre angulaire de la bonne gouvernance et de la démocratie. Forts des normes d’éthique les plus rigoureuses, les fonctionnaires maintiennent et renforcent la confiance du public en l’honnêteté, l’équité et l’impartialité du secteur public fédéral.
Comportements attendus
[…]
Les fonctionnaires servent l’intérêt public :
i) ils se conduisent toujours avec intégrité et d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.
• Vous devez faire votre travail de façon à respecter à la fois l’esprit et la lettre de la loi. Si vous doutez de la « légitimité » d’une action, ne la posez pas […]
[…]
[Traduction]
• Vos activités personnelles après les heures de travail ou à l’extérieur du lieu de travail (conduite en dehors des heures de travail) sont généralement des affaires privées. Elles pourraient devenir liées au travail, cependant, si elles :
nuisent à la réputation du Ministère (par exemple, violations personnelles des lois qu’EDSC applique) […]
ii) ils n’utilisent jamais leur rôle officiel en vue d’obtenir de façon inappropriée un avantage pour eux-mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu’un.
[…]
iii) ils prennent toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre, dans l’intérêt public, tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel entre leurs responsabilités officielles et leurs affaires personnelles;
[…]
iv) ils agissent de manière à préserver la confiance de leur employeur.
[…]
[67] La Norme sur le filtrage de sécurité du Conseil du Trésor énonce que les pratiques de filtrage de sécurité offrent une assurance raisonnable que des personnes fiables protègent les informations, les biens et les installations du gouvernement fédéral et s’acquittent de leurs fonctions de manière digne de confiance. Elle décrit l’objectif du filtrage de la cote de fiabilité nécessaire comme étant d’évaluer l’honnêteté d’une personne et la possibilité de faire confiance à cette personne pour protéger les intérêts de l’employeur.
[68] Le fardeau de la preuve dont l’employeur devait s’acquitter était de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, le licenciement pour motif non disciplinaire de la fonctionnaire reposait sur un motif valable, en ce sens qu’il découlait d’une révocation raisonnable et légitime de sa cote de fiabilité. Une révocation est légitime si l’employeur avait des motifs raisonnables de croire que la fonctionnaire pourrait voler ou utiliser de manière abusive des objets de valeur, exploiter ou ne pas protéger les renseignements ou les biens qui lui sont confiés, ou faire preuve d’un comportement qui pourrait discréditer sa fiabilité.
E. La révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était justifiée
[69] La prépondérance des probabilités dans le présent cas m’amène à conclure que les explications de la fonctionnaire pour avoir demandé la PCU en premier lieu, et surtout pour avoir continué à la demander, manquent de crédibilité. J’estime que, selon toute vraisemblance, elle savait ou soupçonnait fortement qu’elle n’était pas admissible à la recevoir, au moins une fois que le libellé de l’attestation a été clarifié. Le fait de présenter à maintes reprises une demande de prestations auxquelles elle savait ou soupçonnait qu’elle n’était pas admissible constituait manifestement un comportement qui enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et le Code de conduite d’EDSC et a une incidence négative sur sa fiabilité.
[70] Je conclus qu’elle avait des doutes quant à son admissibilité, ce qui a suscité deux appels à la ligne de demandes de renseignements de l’ARC. Cependant, ces mêmes doutes semblent l’avoir amenée à ne pas s’identifier, à ne pas mentionner qu’elle était une employée d’EDSC et à ne pas fournir son NAS. Elle a appelé de manière anonyme et, comme elle l’a dit, [traduction] « a simplement posé une question générale ».
[71] Elle a informé les agents de l’ARC qu’elle avait un emploi à temps plein, mais elle leur a également dit qu’elle avait perdu ses revenus de travail indépendant. Ce n’était pas vrai en mars, car il s’agissait simplement de sa projection selon laquelle elle les perdrait. À la fin de la fin de semaine du 24 mai, elle savait, ou aurait dû savoir, qu’elle n’avait pas perdu de revenu de travail indépendant. En fait, mai a été le mois où le revenu de son entreprise à domicile a légèrement dépassé le montant maximal de 1 000 $, faisant en sorte qu’elle n’était pas admissible à la PCU, même sans tenir compte de son revenu d’emploi.
[72] L’employeur a soutenu que la conduite de la fonctionnaire équivalait à de la fraude. Son avocat a fait valoir qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’intention de commettre une fraude; qu’au mieux, cela aurait pu être des vœux pieux. Je suis d’accord pour dire que les éléments de preuve ne démontrent pas une intention claire de commettre une fraude, mais il n’est pas nécessaire de le démontrer non plus. Comme je l’ai déjà mentionné, il ne s’agit pas d’un cas disciplinaire. La fonctionnaire n’a pas été licenciée pour fraude, mais plutôt parce que sa cote de fiabilité avait été révoquée en fonction de constatations selon lesquelles elle avait commis un abus de confiance et que son emploi continu présenterait un risque pour la sécurité; risque qui était inacceptable pour l’employeur.
[73] La fonctionnaire soupçonnait qu’elle n’était pas admissible à la PCU, mais elle a choisi de faire preuve d’aveuglement volontaire à l’égard de cette possibilité. Elle a appelé la ligne de demande de renseignements deux fois, mais elle a induit les agents en erreur et n’a jamais vraiment cherché à savoir si elle était admissible. Les conseils qu’elle a reçus correspondaient probablement au type de réponse qu’elle cherchait, à savoir qu’elle devrait simplement présenter une demande et la rembourser, le cas échéant. Elle a entendu des renseignements contradictoires à la radio qui étaient suffisamment préoccupants pour qu’elle fasse un deuxième appel, mais si l’on se fie à son témoignage, elle a continué à répondre aux questions de manière hâtive sans réellement les écouter.
[74] Dans Murphy c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 64, un fonctionnaire s’estimant lésé a rempli un formulaire de sécurité et n’a pas déclaré une condamnation pour laquelle il avait purgé une peine d’emprisonnement de quatre mois au Maroc de nombreuses années auparavant. Il a soutenu qu’il n’avait jamais bien compris exactement ce qui s’était passé au Maroc, c’est-à-dire s’il avait réellement été condamné. La Commission a déclaré ce qui suit :
[139]Quelle que soit la validité que pourrait avoir cette excuse de non-divulgation, elle s’envole lorsque le fonctionnaire avoue que malgré avoir rencontré en prison des représentants de l’ambassade canadienne (qui étaient probablement assez bien placés pour lever tout doute persistant sur ce qui aurait pu se passer dans cette salle d’audience marocaine), il ne leur a jamais posé aucune question. Il a témoigné n’avoir jamais formellement donné suite à sa curiosité quant à la validité des procédures marocaines.
[75] Il semble que la fonctionnaire dans le présent cas, qui n’était pas non plus très curieuse, souhaitait obtenir des renseignements sur l’admissibilité, mais pas trop. J’estime qu’elle cherchait à garder les choses vagues, peut-être pour assurer une possibilité de déni plausible si elle était jugée ne pas être admissible. Si elle avait vraiment voulu savoir, elle aurait été franche et se serait identifiée et aurait indiqué son emploi à temps plein auprès du gouvernement fédéral lors de son appel à la ligne de demandes de renseignements de l’ARC. Elle n’aurait certainement pas déclaré qu’elle avait perdu son revenu de travail indépendant, car ce n’était pas vrai. Comme le fonctionnaire s’estimant lésé dans Murphy, qui avait accès aux agents de l’ambassade du Canada, mais a choisi de ne pas poser la question, la fonctionnaire dans le présent cas avait également accès à l’information, mais n’a pas réellement posé la question.
[76] Dans son témoignage, la fonctionnaire a mentionné qu’elle avait récemment obtenu un nouveau poste à durée déterminée auprès de l’ARC et a confirmé qu’une cote de fiabilité lui avait été accordée pour ce poste. En contre-interrogatoire, un « Formulaire de vérification de sécurité, de consentement et d’autorisation du personnel » datant de 2010, qu’elle avait soumis aux fins d’un poste auprès de Passeport Canada, lui a été montré. Le formulaire comporte la question suivante : « Avez-vous déjà rempli auparavant un formulaire de vérification de sécurité du gouvernement du Canada? » La fonctionnaire a répondu « Oui » et a fourni le nom du ministère qui avait effectué le filtrage, ainsi que l’année où il a été effectué.
[77] Cependant, une autre copie de ce formulaire, qu’elle a rempli pour son nouveau poste à l’ARC, a montré qu’à la même question (« Avez-vous déjà rempli auparavant un formulaire de vérification de sécurité du gouvernement du Canada? »), elle avait répondu « Non ». En contre-interrogatoire, elle a indiqué qu’elle n’avait pas compris la question, qu’elle estimait que la question visait à savoir si elle possédait actuellement une autorisation de sécurité. Cette réponse n’était pas crédible compte tenu de toutes les circonstances.
[78] La fonctionnaire a occupé de nombreux postes à durée déterminée dans différents ministères et organismes du gouvernement fédéral. Elle ne peut que connaître cette question, et son refus d’y répondre honnêtement en dit long sur sa compréhension de son importance, sur son manque de crédibilité et, comme l’employeur l’a dit, sur sa volonté de truquer les réponses dans les processus officiels pour obtenir le résultat qu’elle souhaite. En l’absence d’une explication crédible, je conclus qu’elle a répondu non à cette question afin de dissimuler la révocation de sa cote de fiabilité et son licenciement d’EDSC.
[79] De plus, son témoignage selon lequel elle a non seulement répondu mécaniquement aux questions d’attestation de la PCU, mais qu’elle l’avait également fait pour l’assurance-emploi par le passé, témoigne d’une attitude cavalière envers les processus officiels et d’un manque de compréhension de l’éthique et de l’intégrité requises des fonctionnaires.
[80] Enfin, j’ai entendu et je comprends pleinement le témoignage émouvant de la fonctionnaire au sujet de la période extrêmement difficile pendant laquelle elle a eu du mal à prendre soin de sa mère en raison des restrictions liées à la pandémie imposées aux visites à l’hôpital, tout en tentant également de soutenir son père, qui est également tombé gravement malade. Évidemment, il s’agissait d’une période terriblement stressante de perte et de deuil pour elle et sa famille très unie.
[81] La fonctionnaire n’a pas soutenu qu’elle était dans l’incapacité, mais elle a demandé que cette situation soit prise en considération. Même si je ne doute pas qu’elle n’était peut-être pas à son meilleur pendant cette période stressante, je ne peux pas accepter que ses actes puissent être attribués aux crises médicales que les membres de sa famille ont vécues. Elle a travaillé à temps plein pour EDSC, n’a pris aucun congé pendant cette période, s’est portée volontaire pour un nombre important d’heures supplémentaires et a continué à faire croître son entreprise à domicile. La fonctionnaire, même si elle était indéniablement très stressée, semble avoir fonctionné raisonnablement bien.
[82] De plus, le fait de demander la PCU ne constituait pas une circonstance stressante supplémentaire qui s’est produite, obligeant la fonctionnaire à trouver les moyens de la gérer, à un moment déjà difficile de sa vie. Il s’agissait d’une mesure positive qu’elle a prise, tout à fait inutilement, car elle n’avait pas arrêté de travailler, avait travaillé un nombre important d’heures supplémentaires et n’avait subi aucune perte de revenu d’emploi ou de travail indépendant. Comme l’a dit simplement et succinctement l’avocat de l’employeur [traduction] « [e]lle n’avait pas besoin de présenter une demande en premier lieu ». Je suis du même avis. Même si sa situation familiale était difficile, d’un point de vue financier, la fonctionnaire a très bien traversé la pandémie.
[83] D’après tous les éléments de preuve, je conclus que la révocation de la cote de fiabilité de la fonctionnaire était justifiée par des motifs appropriés et légitimes et par les politiques pertinentes. Par conséquent, son licenciement reposait sur un motif valable.
[84] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[85] Le grief est rejeté.
Le 31 janvier 2025.
Traduction de la CRTESPF
Nancy Rosenberg,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral