Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté plusieurs plaintes concernant le même processus de nomination. Il a allégué que le poste de gestionnaire de programmes en cause aurait dû être doté par une personne autochtone. Il a également allégué que la personne nommée s’était faussement identifiée comme étant autochtone au cours du processus de nomination et que des candidats autochtones et métis tout aussi qualifiés étaient disponibles pour occuper le poste. Le plaignant a également soulevé des allégations de discrimination systémique dans sa plainte relative à la dotation. La Commission a déterminé que l’Ojibway n’est pas une langue officielle en vertu de la LEFP. Par conséquent, le plaignant n’a pas démontré que l’intimé avait omis de l’évaluer dans la langue officielle de son choix. En ce qui concerne les plaintes d’abus de pouvoir, la Commission a déterminé que le plaignant n’avait pas démontré ou même allégué que le choix du processus de sélection constituait un abus de pouvoir. Elle a également déterminé qu’il n’y avait pas d’abus de pouvoir dans l’application du mérite. Elle a conclu que le plaignant n’avait pas démontré ni même allégué en quoi son élimination du processus de sélection constituait un abus de pouvoir. La documentation soumise par l’intimé a démontré que le plaignant ne satisfaisait pas à une qualification essentielle pour laquelle il avait été éliminé à la présélection. Il n’a pas contesté ce point. Il a plutôt allégué que la personne nommée n’aurait pas dû être nommée et que l’intimé aurait dû doter le poste avec une personne autochtone. La Commission a déterminé que cela ne constituait pas un motif de plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP, car un plaignant ne peut pas présenter de plainte au nom d’autrui. La Commission a également conclu que bon nombre des allégations du plaignant soulevaient des questions systémiques qui ne relevaient tout simplement pas de sa compétence, puisqu’elles ne pouvaient être liées à un motif de plainte en vertu de l’article 77. Enfin, en ce qui a trait à l’identité de la personne nommée, la Commission a déclaré qu’elle n’était pas pertinente puisque le processus de sélection n’avait pas été limité aux candidats autochtones. De plus, les renseignements fournis par l’intimé ont démontré que la personne nommée n’avait même pas rempli la partie de la demande portant sur l’auto-identification et qu’elle ne s’était donc pas auto-identifiée comme Autochtone. Par conséquent, la Commission a rejeté toutes les plaintes.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20250317

Dossiers: 771-02-43052, 43122, et 43123

 

Référence: 2025 CRTESPF 24

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

James Cooke

plaignant

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

intimé

Répertorié

Cooke c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir déposées en vertu de l’article 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Burcu Gurkan, Syndicat des employé-e-s de la sécurité et de la justice (SESJ-AFPC)

Pour l’intimé : Mélissa Lacroix, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 29 novembre et le 4 décembre 2023,

et le 29 janvier, les 14 et 28 février, le 19 mars et le 6 mai 2024.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Dans cette affaire, le plaignant, James Cooke, soulève des questions concernant l’identité autochtone et l’appel à la réconciliation avec les peuples autochtones. Lorsque ses plaintes ont été déposées, il était agent de programmes pour les Autochtones au Service correctionnel du Canada (SCC), à l’établissement de Stony Mountain, à Stony Mountain (Manitoba) (« Stony Mountain »).

[2] Les trois plaintes qu’il a formulées concernent la nomination de Kelly Penner (la « personne nommée ») au poste de gestionnaire de programme, à Stony Mountain, de groupe et niveau WP-05. Cette nomination a été faite sous l’autorité de l’administrateur général du SCC (l’« intimé »). Le numéro du processus de nomination était 2019-PEN-IA-PRA-147439-1, et l’avis de nomination ou de nomination proposée été publié le 12 mai 2021.

[3] La candidature du plaignant n’a pas été retenue dans le cadre du processus de nomination en question.

[4] Le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir de trois façons : dans l’application du principe du mérite, au titre de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP); dans sa décision d’avoir recours à un processus annoncé pour faire la nomination, au titre de l’article 77(1)b); en ne l’évaluant pas dans la langue officielle de son choix, au titre de l’article 77(1)c).

[5] Pour les motifs qui suivent, les plaintes sont rejetées.

[6] Je crois qu’il est important que les tribunaux administratifs prennent au sérieux les questions entourant la réconciliation avec les Autochtones. Des organisations comme le Conseil des tribunaux administratifs canadiens et l’Institut canadien d’administration de la justice encouragent les membres des tribunaux administratifs à le faire et à tirer des leçons de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et du rapport final que cette dernière a publié en 2015 et qui comprenait 94 « Appels à l’action ».

[7] Cela dit, les tribunaux administratifs ne peuvent statuer que sur les plaintes qui relèvent de leur compétence, laquelle est établie par leur loi habilitante.

[8] Dans les présentes plaintes, le plaignant a adopté pour position que l’intimé aurait dû exiger que les candidats retenus s’identifient comme étant autochtones. Il a également allégué qu’il aurait dû être évalué en ojibway, du moins en partie, et il a soulevé plusieurs questions liées au racisme systémique envers les Autochtones au sein du SCC.

[9] Aucune disposition de la LEFP ne prévoit la possibilité d’adresser à la Commission des relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Commission ») une plainte concernant la désignation d’un processus de nomination aux fins de l’équité en matière d’emploi.

[10] En vertu de la LEFP, l’ojibway n’est pas une langue officielle, ce qui signifie qu’une plainte déposée en vertu de l’article 77(1)c) de la LEFP parce que le plaignant n’a pas été évalué en ojibway ne peut être maintenue.

[11] En ce qui concerne les allégations de racisme systémique, j’expliquerai pourquoi la Commission n’a pas le pouvoir d’aborder les questions soulevées, puisqu’elles ne sont pas liées à une question relevant de sa compétence.

[12] Le plaignant a également allégué que l’intimé n’avait pas dûment évalué les critères concernant la sensibilisation aux Autochtones, que la nomination n’était donc pas fondée et que le processus de nomination était entaché par la discrimination. Ces questions relèvent de la compétence de la Commission. À la lumière des observations écrites des parties, j’ai décidé d’exercer le pouvoir conféré à la Commission par l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; la « Loi sur la Commission ») pour trancher les plaintes sans tenir d’audience, et ces allégations du plaignant sont rejetées sur le fond.

[13] Je tiens à souligner que dans certains des documents et des premiers exposés concernant les présentes plaintes, les deux parties ont parfois employé le terme Aboriginal lorsqu’elles faisaient référence aux postes, aux programmes, aux désignations aux fins de l’équité en matière d’emploi ou identités. Dans leurs exposés les plus récents, elles ont constamment utilisé le terme Indigenous pour désigner ces postes, programmes, désignations aux fins de l’équité en matière d’emploi ou identités. J’ai retenu le terme Indigenous tout au long de ma décision [en anglais], sauf pour citer directement les premiers exposés ou documents.

II. Contexte

[14] Pour mettre en contexte les motifs de décision qui suivent, je fournirai d’abord des détails sur les plaintes et sur l’historique de la procédure suivie par la Commission pour trancher ces plaintes.

[15] La plainte portant le numéro de dossier 771-02-43052 (« plainte no 1 ») a été déposée le 31 mai 2021.

[16] Dans la plainte no 1, le plaignant a expressément énuméré chacun des articles 77(1)a) (mérite), b) (choix du processus) et c) (langue officielle) en tant que motifs de plainte. Sans employer le terme exact « discrimination », il a également allégué que le processus [traduction] « [...] était décidé d’avance et reposait sur des privilèges et droits ».

[17] La plainte portant le numéro de dossier 771-02-43122 (« plainte no 2 ») a été déposée le 14 juin 2021. Elle concernait la même personne nommée, le même poste et le même processus de nomination que ceux visés par la plainte no 1. Le plaignant y a également soulevé des questions de discrimination fondée sur la race et sur l’origine nationale ou ethnique.

[18] La plainte portant le numéro de dossier 771-02-43123 (« plainte no 3 ») a également été déposée le 14 juin 2021. Elle concernait aussi la même personne nommée, le même poste et le même processus de nomination que ceux visés par les plaintes nos 1 et 2. La seule différence importante se situait dans la partie consacrée à la réparation. Dans la plainte no 2, le plaignant a demandé des mesures disciplinaires, une rétrogradation ou une perte d’emploi à titre de mesures de réparation. Dans la plainte no 3, il a également demandé que l’avis d’emploi soit publié une nouvelle fois et soit [traduction] « [...] fondé sur l’équité, la transparence et l’égalité des chances ».

[19] Le 6 juillet 2021, l’intimé a demandé à la Commission de regrouper les trois plaintes, car celles-ci étaient de nature similaire et concernaient le même processus de nomination et la même nomination. Le plaignant n’a pas répondu à la demande de regroupement.

[20] Le 13 juillet 2021, la Commission a regroupé les dossiers.

[21] Le plaignant a présenté ses allégations le 16 août 2021 (les « allégations du plaignant »). Ces allégations, numérotées pour faciliter la consultation, étaient les suivantes :

[Traduction]

1) L’Employeur a abusé de son pouvoir en n’exigeant pas que la sélection soit limitée aux Autochtones.

2) L’Employeur a abusé de son pouvoir en appliquant des critères inopportuns pour évaluer la sensibilisation à la culture, aux connaissances et à la diversité des peuples autochtones.

3) Abus de pouvoir commis par l’employeur en oppressant des groupes culturels, raciaux ou ethniques particuliers ou en les privant d’occasions d’avancement ou d’égalité des chances.

4) Abus de pouvoir commis par l’employeur en agissant de manière discriminatoire à l’égard des valeurs, traditions, modes de vie et pratiques culturelles des peuples autochtones.

5) L’abus de pouvoir commis par l’employeur est injuste lorsqu’il impose un fardeau ou retient des avantages ou des occasions à quiconque pour l’un des motifs illicites. Race, sexe, grossesse, origine éthique ou sociale, couleur, orientation sexuelle, âge, déficience, état matrimonial, croyance, culture.

6) Abus de pouvoir commis par l’employeur en omettant d’engager tous les ordres de gouvernement à travailler ensemble pour faire progresser la réconciliation. (Recommandation no 94 de la CVR)

 

[22] L’administrateur général a répondu aux allégations le 15 septembre 2021. Il a nié avoir abusé de son pouvoir, comme il est exposé ci-après.

[23] En ce qui concerne la première allégation, l’intimé a fait remarquer que les documents liés au processus de nomination précisaient que la sélection [traduction] « [...] pourrait se limiter aux membres des groupes désignés [...] », sans en faire une condition essentielle. Il a soutenu que la politique de gestion de la dotation du SCC permet au gestionnaire responsable de l’embauche d’établir les critères essentiels et les critères de mérite, et qu’il n’y avait [traduction] « [...] aucune obligation ou engagement organisationnel de nommer en priorité des Autochtones qualifiés plutôt que tout autre candidat qualifié dans le cadre d’un processus annoncé ».

[24] En ce qui concerne la deuxième allégation, l’intimé a confirmé que la [traduction] « sensibilisation à la diversité culturelle » faisait partie de l’énoncé des critères de mérite (ECM) du poste, mais pas [traduction] « aux connaissances et à la diversité des peuples autochtones ». Il a souligné que, dans le cadre du processus, le plaignant a été éliminé à l’étape de la présélection en raison d’une condition essentielle liée à l’expérience, de sorte que sa qualification liée à la sensibilisation culturelle n’a pas été évaluée. Par conséquent, le plaignant n’a pas eu accès à l’outil d’évaluation ou aux critères en question lorsqu’il a déposé sa plainte, selon ce qu’a déclaré l’intimé.

[25] En ce qui concerne les autres allégations (de discrimination), l’intimé a adopté pour position que le plaignant n’avait pas établi à première vue l’existence de discrimination, conformément au critère énoncé par l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) dans Murray c. Le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 2009 TDFP 33.

[26] L’audition des plaintes devait avoir lieu par vidéoconférence les 18 et 19 décembre 2023.

[27] Dans cette perspective, le 15 novembre 2023, la Commission a demandé aux parties de répondre à une série de questions sur les plaintes et de dire si elles étaient prêtes pour la procédure.

[28] Le 29 novembre 2023, le plaignant a fourni ses réponses aux questions de la Commission; il a également demandé le report de l’audience, car certains des sept témoins qu’il prévoyait faire entendre n’étaient pas disponibles.

[29] Le 4 décembre 2023, l’intimé a présenté ses réponses aux questions de la Commission.

[30] Compte tenu des observations des parties, j’ai accordé le report de l’audience et convoqué une conférence de gestion de cas (CGC) qui a eu lieu le premier jour prévu de l’audience, soit le 18 décembre 2023. Le but était d’aborder les questions soulevées dans les exposés des parties.

A. Allégations de discrimination

[31] Dans son courriel du 15 novembre 2023, la Commission a demandé au plaignant s’il avait avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) que ses plaintes soulevaient des questions de discrimination. Il a répondu qu’il ne l’avait pas fait.

[32] Avant et pendant la CGC, l’intimé a adopté pour position que la Commission ne devait pas accorder au plaignant plus de temps pour corriger son omission de donner l’avis requis, et qu’elle devait déclarer inadmissibles ses allégations de discrimination; voir Jacobson c. le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2009 TDFP 19, au par. 7.

[33] Après la CGC, j’ai décidé que si le plaignant souhaitait maintenir ses allégations de discrimination, il devrait en aviser la CCDP au plus tard le 31 janvier 2024.

[34] L’avis à la CCDP est exigé à l’article 78 de la LEFP, qui dispose :

78 Le plaignant qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements de la Commission des relations de travail et de l’emploi.

78 Where a complaint raises an issue involving the interpretation or application of the Canadian Human Rights Act, the complainant shall, in accordance with the regulations of the Board, notify the Canadian Human Rights Commission of the issue.

 

[35] L’article 20 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique (DORS/2006-6; le « Règlement ») énonce ce que doit contenir l’avis à la CCDP. Parmi les renseignements requis figure le formulaire de la Commission concernant les plaintes relatives à la dotation, accessible sur le site Web de la Commission.

[36] Ni la LEFP ni le Règlement n’établit de date limite à laquelle le plaignant doit donner avis à la CCDP. L’avis a pour objet important de permettre à la CCDP de déterminer si elle souhaite présenter des observations sur la plainte, et également de permettre à l’intimé de savoir plus précisément en quoi, selon ce qui est allégué, il aurait contrevenu aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C., 1985, ch. H-6; LCDP). Les délais fixés par la Commission devraient tenir compte de ces principes.

[37] J’ai décidé que le plaignant devrait se voir accorder du temps pour déposer son avis auprès de la CCDP, et j’ai fixé les délais de dépôt des exposés écrits des parties de manière à ce que l’intimé ait pleinement l’occasion de répondre aux allégations figurant dans l’avis donné à la CCDP. J’ai également pris des dispositions pour modifier le calendrier de dépôt des exposés écrits dans l’éventualité où la CCDP déciderait de participer à la procédure.

[38] Le plaignant a déposé son formulaire 5 auprès de la Commission le 29 janvier 2024 (les « observations du plaignant à l’intention de la CCDP »). Le 31 janvier 2024, il a confirmé avoir également déposé ces observations auprès de la CCDP.

[39] La Commission n’a jamais reçu de demande de dépôt d’observations sur les plaintes de la part de la CCDP.

B. Le processus de dépôt des exposés écrits

[40] Dans sa réponse aux questions de la Commission, le 4 décembre 2023, l’intimé a soutenu que le plaignant avait omis [traduction] « [...] de fournir un exposé complet des faits pertinents sur lesquels le plaignant entend se fonder pour étayer les allégations générales et vagues d’abus de pouvoir [...] ». Il a fait valoir que ces détails sont exigés par l’article 22(2)d) du Règlement et a présenté une requête pour demander à la Commission d’exercer les pouvoirs qui lui sont conférés à l’article 22(3) du Règlement et de l’article 22 de la Loi sur la Commission, afin de trancher les plaintes sans tenir d’audience. Il a également fait valoir ces points lors de la CGC.

[41] Lors de la CGC et après celle-ci, j’ai expliqué au plaignant que, pour examiner la requête de l’intimé, je me demanderais s’il avait établi que sa plainte était fondée. Je l’ai invité à présenter d’autres observations pour décrire les faits sur lesquels il avait l’intention de fonder la plainte et à y joindre les documents sur lesquels il entendait s’appuyer pour étayer ces faits. Le plaignant a été invité à présenter des arguments supplémentaires pour expliquer en quoi ces faits avaient donné lieu à ses allégations selon lesquelles l’intimé a abusé de son pouvoir en faisant la nomination visée par la présente plainte.

[42] Le plaignant a également été invité à fournir d’autres détails ou arguments concernant son allégation selon laquelle l’intimé a abusé de son pouvoir au titre de l’article 77(1)c) de la LEFP, qui renvoie à l’exigence énoncée à l’article 37(1), qui veut que le plaignant soit évalué dans la langue officielle de son choix.

[43] Le plaignant a aussi été invité à fournir d’autres détails ou arguments concernant son allégation selon laquelle l’intimé a abusé de son pouvoir en n’exigeant pas que le processus de nomination en question soit limité aux personnes autochtones. Il a été expressément invité à se reporter à deux décisions, soit l’une rendue par le TDFP et l’autre par la Commission, dans lesquelles il a été question de la compétence de la Commission en la matière : Umar-Khitab c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 5, aux par. 15 et 21, et Shafaie c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2022 CRTESPF 15, au par. 34.

[44] Le plaignant a présenté ses observations écrites le 14 février 2024. Les seuls documents joints étaient l’avis d’emploi lié au processus de nomination en question, dont la date limite était le 14 février 2019, ainsi qu’une version antérieure de l’avis, dont la date limite était le 11 février 2019.

[45] La CFP a choisi de ne pas présenter d’observations de fond. Elle n’a pas pris position sur la requête que l’intimé a déposée pour que la plainte soit rejetée sans audience, ni en réponse aux précisions fournies par le plaignant. Elle s’est réservé le droit de présenter d’autres observations dans l’éventualité où les plaintes feraient l’objet d’une audience.

[46] L’intimé a été invité à présenter ses observations au plus tard le 19 mars 2024. Il a également été invité à exposer les faits sur lesquels il avait l’intention de se fonder, à joindre tout document à l’appui de ces faits et à présenter des arguments en réponse à ceux du plaignant.

[47] Les observations de l’intimé étaient réunies en 24 pages et incluaient une trentaine d’onglets de documents.

[48] Dans mes directives aux parties au sujet du processus de dépôt des exposés écrits, j’ai expliqué ce qui suit : [traduction] « À la fin du processus de présentation des exposés écrits mentionné ci-dessus, la Commission pourrait rendre une décision écrite sur la plainte, convoquer une autre CGC, demander des observations écrites supplémentaires ou fixer la date de tenue d’une audience concernant la plainte. »

[49] Ayant pris en considération l’étendue des observations de l’intimé et de son recueil de documents, j’ai décidé qu’il serait dans l’intérêt de l’équité de donner au plaignant la possibilité de présenter des observations en réponse à celles de l’intimé.

[50] Les dernières observations du plaignant étaient attendues au plus tard le 6 mai 2024 et elles ont été présentées à cette date.

III. Résumé des observations

A. Pour le plaignant

[51] Je commencerai par résumer les allégations et les observations du plaignant en les regroupant en sept points principaux, que voici :

· pendant le processus annoncé en vue de la nomination en question, l’intimé aurait dû exiger que la personne retenue se soit identifiée comme étant autochtone;

· pendant le processus de sélection, l’intimé aurait dû lui permettre d’être évalué, du moins en partie, en ojibway;

· l’intimé a abusé de son pouvoir en nommant la personne nommée alors que deux autres candidats également qualifiés s’étaient identifiés comme étant autochtones ou métis;

· la personne nommée s’est faussement identifiée comme étant autochtone;

· l’intimé n’a pas évalué adéquatement certains critères de mérite liés à la connaissance des pratiques et de la culture autochtones;

· son exclusion du processus de nomination était entachée par la discrimination;

· l’intimé exerce une discrimination systémique à l’endroit des employés autochtones.

 

[52] Je vais maintenant examiner la chronologie des observations du plaignant et, dans certains cas, j’en citerai de nombreux extraits afin d’exprimer sa position dans les mots exacts qu’il a employés.

[53] Dans ses observations du 29 novembre 2023, le plaignant a déclaré qu’il avait l’intention d’aller de l’avant avec la plainte. Il a dressé une liste de sept témoins qu’il avait l’intention de convoquer. Il a réitéré ses allégations d’abus de pouvoir dans le choix d’un processus annoncé, comme suit :

[Traduction]

[...]

a. Les motifs de ma plainte sont fondés sur le privilège, la décision prise d’avance, la discrimination et la préparation pour protéger le code du Service correctionnel du Canada.

b. Ceux qui font entendre leur voix ou posent des questions s’exposent à des représailles, à une perte d’occasions d’avancement, à des abus et à de la manipulation pouvant mener à l’épuisement ou à la honte.

c. L’humiliation est une tactique abondamment utilisée pour discréditer l’employé.

d. Une mentalité de groupe qui vous assujettit à plus d’un gestionnaire qui protège le système.

e. Le privilège blanc, « ensemble incontesté et non mérité d’avantages, de droits, d’avantages et d’options accordés à des gens en raison de la couleur de leur peau uniquement ».

[...]

 

[54] En ce qui concerne ses allégations selon lesquelles l’intimé a abusé de son pouvoir en ne l’évaluant pas dans la langue officielle de son choix, le plaignant a écrit ce qui suit : [traduction] « Cette plainte est fondée sur l’anglais. Même si cette plainte concerne un poste fondé sur les perspectives, la langue, la culture et l’identité autochtones, aucune mesure d’adaptation n’a été prise dans cet esprit. »

[55] Dans son avis adressé à la CCDP le 31 janvier 2024, le plaignant a fait une série d’allégations, dont la plupart tombent dans la catégorie de la discrimination systémique prétendument exercée par l’intimé à l’encontre des employés autochtones. Les paragraphes suivants ont été extraits de l’avis :

[Traduction]

[...]

La discrimination indirecte et directe exercée par les gestionnaires à l’égard des peuples autochtones est accablante et douloureuse pour la plupart. Nous ne sommes pas autorisés à exprimer, sans craindre d’être punis, nos opinions, nos pensées ou nos idées à l’encontre de la direction, du traitement et de l’ensemble du système correctionnel. C’est un suicide politique, et ma propre carrière a été finie dès que je me suis levé pour dénoncer, au nom des autres, la discrimination, l’abus de pouvoir et la manipulation de l’avancement, ainsi qu’une longue liste d’autres doléances.

[...]

Les motifs de ma plainte sont fondés sur l’abus de pouvoir et l’application du principe du mérite. La personne en question s’est faussement identifiée comme une agente de programme autochtone et s’est vue accorder des occasions d’intérim et d’avancement aux dépens de réels Autochtones du Canada. Dans le cadre du processus d’auto-identification, des non-Autochtones enseignent des programmes et des services aux Autochtones, sans la langue, la culture, ou la communauté autochtone. Ce sont les peuples autochtones qui ont le droit de revitaliser, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.

[...]

Le processus d’embauche est injuste et nuit aux Autochtones. Comment exclure un processus d’embauche, quand deux employés autochtones obtiennent une note égale à celle d’un employé non autochtone s’étant faussement identifié. Ils allaient nommer cette personne non autochtone qui était choisie d’avance, et ils ne pouvaient pas le faire parce qu’un courriel avait été envoyé par erreur à tous les candidats qui avaient réussi.

[...]

 

[56] Dans ses observations du 14 février 2024, le plaignant a reconnu la jurisprudence établie dans Umar-Khitab et Shafaie et a déclaré que ces décisions [traduction] « [...] posent pour principe général que [la Commission] n’évalue habituellement pas le caractère raisonnable de la zone de sélection ». Il a fait valoir que les avis d’emploi incluaient des éléments liés au caractère autochtone et à la connaissance des pratiques autochtones en tant que [traduction] « critères cruciaux », et que le processus était injuste et avait mené à un abus de pouvoir, parce que la personne nommée l’avait emporté sur des candidats autochtones et métis qui avaient obtenu la même note qu’elle.

[57] Le plaignant a soutenu que l’intimé avait annulé l’avis initial quand il s’était rendu compte qu’il avait nommé par erreur une [traduction] « personne s’étant faussement identifiée, selon [lui], pour gérer le personnel des programmes pour les Autochtones ». Il a fait valoir que le plan des ressources humaines du SCC à Stony Mountain reconnaissait la nécessité de cibler l’embauche d’employés autochtones. Selon ce qu’il a fait valoir, le document « Formulation de la décision de sélection » contenait très peu d’éléments donnant à penser que la personne nommée avait une connaissance ou une expérience approfondie des communautés autochtones.

[58] Le plaignant a soutenu que la nomination d’une personne autre qu’un Autochtone qualifié allait à l’encontre des besoins pour le poste et que, bien que la LEFP accorde aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable en matière de dotation, ce pouvoir n’est pas absolu; voir Jacobsen c. Sous-ministre d’Environnement Canada, 2009 TDFP 8, au par. 36, and Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11, au par. 28. Il a fait valoir qu’étant donné le plan des ressources humaines du SCC et la nature du poste, il aurait été raisonnable d’inclure le caractère autochtone comme élément important à prendre en considération dans la détermination du mérite.

[59] En ce qui concerne ses allégations de discrimination, le plaignant a soutenu qu’une personne relativement bien informée aurait raisonnablement pu percevoir un parti pris dans tout le processus de dotation du poste; voir Monfourny c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 37, aux par. 90 et 97.

[60] Le plaignant a fait expressément référence aux 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation dans le contexte d’autres observations sur ses allégations de discrimination, comme suit :

[Traduction]

[...]

Les allégations de discrimination énoncées dans les plaintes ne sont pas des affirmations isolées, mais sont plutôt intrinsèquement liées aux questions fondamentales que sont l’abus de pouvoir, la partialité et l’injustice dans le processus de nomination. Ces allégations ne sont pas tangentielles, mais constituent plutôt un aspect fondamental des circonstances entourant les nominations en question. Il est clair que bien que l’établissement de Stony Mountain, par l’entremise de ses propres objectifs d’embauche des RH, prétende souhaiter être plus inclusif et combler l’écart pour ce qui concerne « une pénurie de personnel autochtone disponible pour soutenir les initiatives autochtones et la nécessité d’accroître la représentation des Autochtones à SM par rapport à la population carcérale autochtone », ses propres pratiques d’embauche interne contredisent cette intention. Tant dans l’avis d’emploi que dans la formulation de la nomination, très peu d’attention a été accordée à l’établissement d’une appartenance autochtone, ou d’un lien étroit ou familier avec les communautés autochtones.

De plus, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) soulignent l’importance du respect et de la protection des langues et des cultures autochtones. Plus précisément, les appels à l’action 13 à 17 portent sur l’éducation autochtone et la revitalisation des langues autochtones. Ces recommandations soulignent la nécessité d’un soutien accru pour les programmes de langues autochtones, d’une intégration des langues autochtones dans les programmes d’études et d’une affectation de ressources à l’appui des initiatives de préservation et de revitalisation des langues autochtones.

Bien que nous reconnaissions que cela puisse aller au-delà de la compétence de la Commission, en général, nous soutenons que, compte tenu des points susmentionnés, la promotion de la connaissance et de l’utilisation des langues autochtones, ou du moins la facilitation de l’accès aux langues autochtones dans le processus de sélection, serait une étape positive pour faire la promotion d’une meilleure inclusion et d’une diversité accrue.

[...]

 

B. Pour l’intimé

[61] Dans ses observations du 19 mars 2024, l’intimé s’est appuyé sur un certain nombre d’affirmations factuelles au sujet du processus de nomination en question, notamment :

· L’objectif du processus était de constituer un répertoire de candidats pour des postes de gestionnaire de programme WP-05, aux fins de nomination à durée indéterminée, par intérim ou autres types de nominations possibles dans la région des Prairies du SCC, en janvier 2019.

· Initialement, le processus a été annoncé en interne, portait le numéro 2019-PEN-IA-PRA-147439 et devait prendre fin le 11 février 2019.

· Peu après l’affichage d’emploi, l’intimé s’est rendu compte qu’il n’avait pas inclus Calgary (Alberta) comme lieu de travail possible. Par conséquent, le processus initial a été annulé. Un nouvel avis portant le numéro de processus de nomination 2019-PEN-IA-PRA-147439-1 et dont la date de clôture était le 14 février 2019 a été publié. Au total, neuf lieux de travail possibles étaient mentionnés dans l’avis révisé.

· L’annulation du premier avis et la publication d’un nouvel avis ont eu lieu avant que le comité de sélection ne commence à examiner les candidatures. Aucune nomination n’a été faite relativement à l’avis initial.

· Dans le cadre du processus interne annoncé, un ECM générique à l’échelle nationale a été utilisé afin d’englober différents postes de gestionnaires de programme.

· La zone de sélection mentionnée dans l’avis était circonscrite de la façon suivante : [traduction] « Personnes employées dans la fonction publique du Canada qui travaillent pour le Service correctionnel du Canada, la Commission des libérations conditionnelles du Canada ou le Bureau de l’enquêteur correctionnel, dans la région des Prairies (Alberta, Saskatchewan, Manitoba). » La zone de sélection pour le processus de nomination ne limitait pas les candidatures aux membres des groupes désignés; toutefois, l’avis précisait ceci : [traduction] « La préférence pourrait être accordée aux membres des groupes désignés suivants : Autochtones, personnes handicapées, membres des minorités visibles, femmes » [le passage en évidence l’est dans l’original].

· Parmi les qualifications énoncées comme étant essentielles pour qu’une candidature soit prise en considération, une se lisait comme suit : [traduction] « [...] 2) expérience appréciable* de la gestion ou de la formulation de recommandations sur la réinsertion sociale des délinquants [...] », et le terme [traduction] « appréciable » était défini comme qualifiant l’expérience [traduction] « [...] dont la profondeur et l’étendue sont normalement associées à l’exécution d’un vaste éventail d’activités complexes interreliées et à l’exercice de ces fonctions ».

· La [traduction] « sensibilité à la diversité culturelle » était également incluse comme qualification essentielle. Trois critères concernant l’expérience liée aux programmes pour délinquants autochtones étaient énumérés comme [traduction] « éventuellement requis pour le poste », soit : [traduction] « Expérience de l’exécution de programmes pour les Autochtones », [traduction] « Expérience de travail avec des femmes autochtones ayant des démêlés avec la justice » et [traduction] « Expérience appréciable* de travail dans une collectivité ou un organisme autochtone », le terme [traduction] « appréciable » ayant été défini de la même façon que dans la rubrique sur les qualifications essentielles, au point précédent.

 

[62] L’intimé a fait les affirmations factuelles suivantes au sujet de la candidature du plaignant dans le cadre du processus de nomination en question :

· Il a présenté sa candidature dans le cadre du processus 2019-PEN-IA-PRA-147439-1 le 13 février 2019. À l’époque, le plaignant était agent de programme correctionnel pour les Autochtones. Dans sa demande, il a déclaré être un Autochtone et a indiqué que Stony Mountain faisait partie des lieux de travail qui l’intéressaient.

· Le ou vers le 26 février 2019, le plaignant a été informé par erreur qu’il répondait aux exigences de présélection pour le processus de nomination. Deux jours plus tard, on l’a informé que la communication précédente était erronée et que sa candidature avait été écartée parce qu’il ne répondait pas à la qualification essentielle [traduction] « expérience appréciable* de la gestion ou de la formulation de recommandations sur la réinsertion sociale des délinquants ». Il a été informé qu’il pouvait demander la tenue d’une discussion informelle au sujet de son élimination du processus de sélection.

· En raison de son exclusion, le plaignant n’a pas participé aux outils d’évaluation subséquents dans le cadre du processus, y compris l’examen écrit, l’entrevue et la vérification des références.

· Le plaignant n’a pas demandé la tenue d’une discussion informelle.

 

[63] L’intimé a fait les affirmations factuelles suivantes au sujet de la candidature de la personne nommée dans le cadre du processus de nomination en question, et de sa nomination subséquente :

· La personne nommée a présenté sa candidature dans le cadre du processus 2019-PEN-IA-PRA-147439-1 le 12 février 2019. À l’époque, elle travaillait pour le SCC en tant qu’agente de programme correctionnel pour les Autochtones à Stony Mountain. Elle était également gestionnaire régionale de programme par intérim – animatrice et formatrice pour le modèle intégré de programme correctionnel pour les délinquants autochtones au SCC. Dans sa candidature, elle n’a pas fait de déclaration concernant l’équité en matière d’emploi. Elle a indiqué que Stony Mountain faisait partie des lieux de travail qui l’intéressaient.

· La personne nommée faisait partie des 68 candidats, sur 92, ayant été présélectionnés en fonction des exigences essentielles liées aux études et à l’expérience. À l’étape suivante, elle faisait partie des 39 candidats ayant réussi l’examen écrit. Sur ces 39 personnes, 12 avaient déclaré être autochtones, et 27 n’avaient pas fait d’autodéclaration.

· La personne nommée faisait partie des 27 candidats ayant été jugés qualifiés pour une nomination à la suite des étapes de l’entrevue finale et de la vérification des références dans le cadre du processus. De ces 27 personnes, 10 avaient déclaré être autochtones. Seulement 7 des candidats retenus avaient choisi Stony Mountain comme lieu d’intérêt; parmi eux, seulement une personne avait déclaré être autochtone.

· En avril 2021, le CSC avait un poste vacant de gestionnaire de programme, à durée indéterminée, à Stony Mountain, et il a choisi de doter le poste en ayant recours au processus de nomination annoncé en question. Le gestionnaire responsable de l’embauche a reçu les noms de cinq candidats qualifiés du répertoire, dont l’un avait déclaré être autochtone. Le gestionnaire responsable de l’embauche a évalué la personne nommée par rapport à l’ECM et a déterminé qu’il s’agissait de la bonne candidate pour la nomination de durée indéterminée. Le gestionnaire responsable de l’embauche a rempli un document de formulation de la décision de sélection expliquant que la personne nommée avait obtenu la note la plus élevée pour trois qualifications essentielles et donnant les raisons pour lesquelles ces critères de mérite avaient été retenus pour la décision de sélection en question.

· Une [traduction] « notification de candidature retenue » concernant la personne nommée a été publiée le ou vers le 6 mai 2021. L’avis de nomination ou de nomination proposée a été publié le 12 mai 2021, et la date limite pour déposer une plainte à cet égard était fixée au 27 mai 2021.

 

[64] En ce qui concerne les arguments de l’intimé, celui-ci a adopté pour position que la Commission n’a pas compétence sur une plainte alléguant qu’elle a abusé de son pouvoir en ne limitant pas la zone de sélection aux candidats autochtones. L’établissement d’une zone de sélection, y compris concernant un groupe désigné, est prévu à l’article 34 de la LEFP. L’intimé a fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour examiner les plaintes concernant l’article 34; voir Umar-Khitab, aux par. 15 et 16; Shafaie, au par. 34; Gulia c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires, 2020 CRTESPF 39, aux par. 19 et 20, et Lysak c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2024 CRTESPF 3, aux par. 25, 27 et 94.

[65] Même si la Commission devait conclure qu’elle a compétence sur une plainte concernant la zone de sélection, les politiques de la CFP prévoient que l’appartenance à un groupe désigné ne peut être exigée que si ce groupe est sous-représenté, a fait valoir l’intimé. Pendant le déroulement du processus de sélection en question (en 2019) et au moment de la nomination (en 2021), la représentation des Autochtones à Stony Mountain dans le groupe professionnel WP était supérieure d’environ 14 points au taux de disponibilité au sein de la population active. Par conséquent, compte tenu de la politique de la CFP, l’intimé n’aurait pu, et ne devait pas, limiter la zone de sélection comme le souhaitait le plaignant dans le cadre du processus annoncé.

[66] L’intimé a également soutenu que le plaignant n’avait pas démontré de façon convaincante qu’il avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la sensibilisation culturelle. L’intimé a affirmé que le plaignant n’avait pas établi de lien clair entre sa plainte et les qualifications essentielles énumérées dans l’avis d’emploi et dans l’ECM et n’avait pas expliqué en quoi l’intimé n’avait pas accordé suffisamment d’attention au caractère autochtone au cours du processus.

[67] L’intimé a soutenu que l’article 30(2) de la LEFP confère à l’administrateur général le pouvoir discrétionnaire d’établir les qualifications essentielles pour le travail à accomplir, ainsi que les méthodes utilisées pour évaluer les candidats. Bien que ce pouvoir discrétionnaire ne soit pas absolu, le plaignant, pour justifier une plainte d’abus de pouvoir, doit prouver que les méthodes utilisées pour évaluer les qualifications étaient déraisonnables ou équivalaient à une erreur grave, à une omission ou à un comportement inapproprié; voir Agboton c. Président de la Commission de la fonction publique, 2010 TDFP 13, aux par. 80 et 81.

[68] L’intimé a fait valoir que le plaignant n’a présenté aucune allégation ni aucun fait établissant que l’énoncé des critères de mérite était déraisonnable ou sans rapport avec le travail à accomplir par le gestionnaire de programme. Il a fait valoir que l’ECM retenu aux fins du processus de sélection était l’ECM générique à l’échelle nationale pour le poste, et que le processus d’évaluation qu’il avait utilisé pour faire la nomination reposait sur ces critères. Il a fait valoir que rien de ce qui est allégué par le plaignant ne permet de conclure qu’il y a eu erreur ou omission grave ou comportement inapproprié équivalant à un abus de pouvoir. Dans de telles situations, la Commission n’a aucun fondement pour intervenir, a‐t‐il fait valoir; voir Jacobsen, aux par. 35, 42 et 43, Jacobson, aux par. 74 et 77, Jolin, aux par. 26, 27 et 64 à 67, et Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, aux par. 40 et 59.

[69] L’intimé a ensuite répondu à l’allégation du plaignant selon laquelle la connaissance des questions liées aux Autochtones n’était pas une priorité dans le processus d’embauche, et que la formulation de la décision de sélection ne donnait qu’une indication minimale que la personne nommée possédait des connaissances et une expérience appréciables des communautés autochtones. Selon lui, le fait que la formulation de la décision de sélection ne mettait pas en exergue l’équité en matière d’emploi ou la façon dont la personne nommée répondait aux qualifications essentielles liées à la culture et aux programmes autochtones ne constituait pas de l’abus de pouvoir ou de la discrimination. L’intimé a déclaré avoir documenté en quoi la personne nommée répondait aux qualifications essentielles énumérées dans le processus de sélection, et que le plaignant avait admis que la personne nommée satisfaisait aux qualifications essentielles du poste lorsqu’il a affirmé qu’elle avait obtenu une note égale à celle de deux autres candidats (ce que conteste l’intimé, selon qui la personne nommée a obtenu une note plus élevée que les autres candidats).

[70] L’intimé a soutenu que la LEFP lui confère le pouvoir discrétionnaire d’établir la priorité de ses besoins opérationnels et organisationnels lorsqu’il fait une nomination. Il n’est pas obligatoire d’accorder la priorité à l’équité en matière d’emploi, selon lui; voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, au par. 44. Une fois que les critères essentiels sont remplis, l’intimé a le pouvoir discrétionnaire de choisir la bonne personne; voir Steeves c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 9, au par. 58, et Stamp c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2014 TDFP 4, au par. 38.

[71] En ce qui concerne les allégations de discrimination du plaignant, l’intimé a soutenu que la jurisprudence de la Commission exige que le plaignant établisse d’abord une preuve, et ce, de façon suffisante jusqu’à preuve contraire, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536. Dans le présent cas, l’intimé a soutenu qu’il faudrait que le plaignant prouve que la discrimination alléguée a joué dans la décision de nomination. À cet égard, la Commission devrait appliquer le critère à trois volets de la décision Shakes, comme il est énoncé au paragraphe 80 de la décision Murray, a-t-il fait valoir :

[80] [...] critère de la décision Shakes [...] rédigé ainsi :

a) le plaignant avait les compétences requises pour l’emploi;

b) le plaignant n’a pas été engagé; et

c) une personne qui n’était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans le principal chef d’accusation de la plainte déposée en matière des droits de la personne a obtenu le poste.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[72] L’intimé a fait valoir que, dans le présent cas, seul le deuxième volet du critère est satisfait. Le plaignant n’aurait pas pu être embauché, parce qu’il ne possède pas les qualifications essentielles du poste, comme l’exigeait le premier volet du critère.

[73] L’intimé a également soutenu que le plaignant avait posé des hypothèses inappropriées et non fondées au sujet de l’identité de la personne nommée et de sa capacité à remplir le poste, selon ses suppositions. L’intimé a fait valoir que la personne nommée avait le droit de ne pas divulguer de renseignements personnels concernant son identité. Elle n’était pas tenue de faire une déclaration au sujet de l’équité en matière d’emploi. L’intimé a affirmé que la plupart des allégations d’abus de pouvoir, de discrimination et de partialité du plaignant reposent sur ces hypothèses inappropriées et non fondées.

[74] Enfin, l’intimé a fait valoir que la Commission devrait exercer son droit de rejeter les plaintes sans tenir d’audience lorsque le plaignant ne présente pas de preuve défendable; voir Abi-Mansour c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 48, aux par. 46 à 48; Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, aux par. 8, 9, 20, 82, 83, 158 et 162, et Letnes c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2023 CRTESPF 33, aux par. 16 et 54 à 57. Selon l’intimé, dans deux des trois décisions citées par le plaignant dans ses arguments, le TDFP a en fait décidé de rendre sa décision sans tenir d’audience; voir Jacobsen, aux par. 4 et 57, et Jolin, aux par. 3 et 90.

C. Réponse du plaignant

[75] Les arguments en réponse du plaignant ont été déposés le 6 mai 2024. Le plaignant n’a contesté aucune des affirmations factuelles de l’intimé, n’a pas présenté d’exposé factuel différent et n’a fourni aucun document supplémentaire pour faire contrepoids à ceux présentés par l’intimé.

[76] Je résumerai les sept premiers arguments supplémentaires du plaignant comme suit :

· La Cour suprême du Canada décrit une démarche en trois étapes pour évaluer les allégations de discrimination, et le plaignant et d’autres candidats autochtones ont subi des effets préjudiciables associés à leur identité autochtone dans le cadre du processus de sélection.

· Il existe un contexte historique, y compris les séquelles des pensionnats et la privation systémique de droits, qui nuit aux efforts d’équité et d’inclusion au sein d’organismes comme le SCC.

· Le gouvernement provincial de l’Ontario a permis l’utilisation des langues autochtones à son assemblée législative, ce qui est un grand pas vers la réconciliation; les organismes fédéraux pourraient en faire plus pour respecter et promouvoir les langues et les droits des Autochtones.

· Le critère de la décision Shakes révèle que des candidats autochtones étaient qualifiés, mais n’ont pas été pris en considération. Cela indique que la priorité n’a pas été accordée aux compétences culturelles autochtones dans le cadre du processus de dotation.

· Selon l’expérience du plaignant, il existe une [traduction] « tendance systémique à accorder la priorité à la préservation organisationnelle plutôt qu’à l’inclusion et à l’équité véritables ».

· Le fait que l’avis d’emploi a été annulé puis publié à nouveau [traduction] « [...] fait ressortir des irrégularités procédurales considérables et d’éventuels préjugés ». L’intimé n’a pas expliqué de façon exhaustive pourquoi cela s’est produit.

· Le résultat de la sélection contredit la reconnaissance documentée de la nécessité d’embaucher plus de personnel autochtone pour appuyer des initiatives particulières.

 

[77] Je cite intégralement ses trois derniers arguments :

[Traduction]

[...]

8. Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation soulignent la nécessité de soutenir davantage les cultures et les langues autochtones. L’erreur commise dans le processus de sélection, qui n’a pas dûment tenu compte des compétences culturelles, contrevient directement à ces appels à l’action et aux objectifs allégués de l’organisme.

9. Compte tenu de la complexité et des iniquités systémiques et procédurales potentielles qui ressortent dans le présent cas, il est absolument nécessaire que la Commission procède à un examen exhaustif. Cet examen ne devrait pas seulement porter sur la discrimination potentielle, mais aussi sur les préjugés inhérents qui émanent des critères et du processus de sélection et qui sont susceptibles de perpétuer la marginalisation des candidats autochtones.

10. Nous sommes convaincus que la Commission reconnaîtra la gravité de ces problèmes et veillera à ce que les principes de justice, d’équité et de transparence régissent les processus de dotation dans le secteur public. Il est essentiel que la Commission se penche sur ces questions de façon globale, en reconnaissant que les allégations de discrimination sont au cœur de la compréhension du processus de nomination en général et des répercussions plus larges sur l’équité dans la fonction publique fédérale. Cette réponse vise à fournir une réfutation complète des allégations de l’intimé, en mettant l’accent sur les problèmes systémiques, la nécessité d’une reconnaissance législative des compétences culturelles, et la demande d’un examen approfondi pour harmoniser les pratiques de dotation avec les valeurs sociétales et les normes juridiques élargies en matière d’équité et d’inclusion.

 

IV. Analyse et motifs

[78] Je considère que la Commission est saisie des quatre questions suivantes :

1) Zone de sélection : la Commission a-t-elle compétence pour examiner l’allégation selon laquelle l’intimé a abusé de son pouvoir en n’exigeant pas que les candidats retenus s’identifient comme étant autochtones?

2) Langues officielles : l’intimé a-t-il omis d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix?

3) Le plaignant a-t-il démontré que l’intimé a abusé du pouvoir qui lui est conféré par la LEFP?

4) La Commission a-t-elle compétence sur les allégations de discrimination systémique du plaignant?

 

[79] L’examen de ces questions par la Commission doit faire fond sur le libellé de l’article 77(1) de la LEFP, à savoir :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi , présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process; or

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

 

A. Zone de sélection

[80] Cette question découle des allégations du plaignant selon lesquelles l’intimé a abusé de son pouvoir en n’exigeant pas que le processus de sélection soit limité aux candidats s’identifiant comme étant autochtones. La Commission n’a pas compétence pour examiner cette allégation.

[81] L’article 34 de la LEFP prévoit que la CFP (ou un administrateur général) peut définir la zone de sélection d’un processus de nomination. Cette disposition relative à la zone de sélection se lit comme suit et prévoit, à l’article 34(2), l’établissement de critères liés à l’équité en matière d’emploi :

Zone de sélection

Area of selection

34 (1) En vue de l’admissibilité à tout processus de nomination sauf un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, la Commission peut définir une zone de sélection en fixant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels, ou en fixant comme critère l’appartenance à un groupe désigné au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

34 (1) For purposes of eligibility in any appointment process, other than an incumbent-based process, the Commission may determine an area of selection by establishing geographic, organizational or occupational criteria or by establishing, as a criterion, belonging to any of the designated groups within the meaning of section 3 of the Employment Equity Act.

Groupes désignés

Designated groups

(2) La Commission peut établir, pour les groupes désignés au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, des critères géographiques, organisationnels ou professionnels différents de ceux qui sont applicables aux autres.

(2) The Commission may establish different geographic, organizational or occupational criteria for designated groups within the meaning of section 3 of the Employment Equity Act than for other persons.

 

[82] Aucune disposition de la LEFP ne permet à un employé de porter plainte devant la Commission au motif que l’intimé à abusé de son pouvoir dans l’établissement d’une zone de sélection. Il existe trois motifs pour lesquels une plainte peut être déposée devant la Commission, en vertu de l’article 77 de la LEFP : l’article 77(1)a) permet la présentation d’une plainte concernant la nomination fondée sur le mérite (par renvoi à l’article 30(2)); l’article 77(1)b) permet la présentation d’une plainte concernant le choix d’un processus annoncé ou non annoncé; l’article 77(1)c) permet la présentation d’une plainte concernant le droit de l’employé d’être évalué dans la langue officielle de son choix (par renvoi à l’article 37(1)). Aucune de ces dispositions ni aucune autre disposition de la LEFP ne permet qu’une plainte soit déposée devant la Commission au motif que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’établissement d’une zone de sélection en vertu de l’article 34(1).

[83] En fait, le plaignant a reconnu les précédents jurisprudentiels établis dans Umar-Khitab et Shafaie. Cependant, il a affirmé que ces décisions appuient la proposition selon laquelle la Commission [traduction] « [...] n’évalue habituellement pas le caractère raisonnable de la zone de sélection ». Cette affirmation rate le point essentiel de la jurisprudence de la Commission, celle-ci ayant toujours considéré ne pas avoir compétence sur des plaintes visant la définition d’une zone de sélection; voir Umar-Khitab, aux par. 15 et 16, Shafaie, au par. 34, Gulia, aux par. 19 et 20, et Lysak, aux par. 27 et 94. Le plaignant n’a pas fourni d’exemples de situations dans lesquelles la Commission ou ses prédécesseurs se sont écartés de cette jurisprudence, ni d’arguments expliquant pourquoi la Commission devrait s’en écarter. La Commission ne peut se dire compétente simplement parce que le plaignant en fait la demande.

B. Langues officielles

[84] Cette question découle des allégations du plaignant selon lesquelles l’intimé a abusé de son pouvoir en ne l’évaluant pas, du moins en partie, en ojibway.

[85] Le droit d’un employé d’être évalué dans la langue officielle de son choix est énoncé à l’article 37(1) de la LEFP, qui se lit comme suit :

37 (1) Les examens ou entrevues, lorsqu’ils ont pour objet d’évaluer les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i), à l’exception de la langue, se tiennent en français ou en anglais, ou dans les deux langues, au choix du candidat.

37 (1) An examination or interview, when conducted for the purpose of assessing qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i), other than language proficiency, shall be conducted in English or French or both at the option of the candidate.

 

[86] Conformément à l’article 77(1)c) de la LEFP, l’employé peut déposer une plainte auprès de la Commission au motif que l’intimé ne l’a pas évalué en français ou en anglais, ou les deux, comme il est exigé à l’article 37(1).

[87] La plaignante n’a fait aucune allégation pouvant donner lieu à une plainte en vertu de l’article 77(1)c). Sa seule allégation concernant la question linguistique était que l’intimé ne lui avait pas donné la possibilité d’être évalué, du moins en partie, en ojibway. Malgré son souhait que l’intimé intègre la reconnaissance de l’ojibway ou d’autres langues autochtones dans ses pratiques d’embauche, l’ojibway n’est pas une langue officielle au titre de la LEFP.

[88] Même s’il était considéré que l’ojibway est une langue officielle, le dossier montre que le plaignant a été écarté à l’étape de l’examen des candidatures et des curriculum vitæ du processus de nomination. Le plaignant n’a pas participé aux étapes de l’examen écrit et de l’entrevue. Rien n’indique qu’il ait demandé de présenter une partie ou la totalité de sa candidature en ojibway ou qu’il ait tenté de le faire.

C. Le plaignant a-t-il démontré que l’intimé a abusé du pouvoir qui lui est conféré par la LEFP?

[89] Comme il a été mentionné, avant et pendant la CGC convoquée par la Commission, l’intimé a soutenu que le plaignant n’avait pas fourni les détails factuels nécessaires pour établir à première vue l’existence d’un abus de pouvoir. Il a fait valoir que le plaignant était tenu de fournir « un exposé complet des faits pertinents » en application de l’article 22(2)d) du Règlement. Il a présenté une requête à la Commission afin qu’elle exerce les pouvoirs que lui confèrent l’article 22(3) du Règlement et l’article 22 de la Loi sur la Commission et tranche les plaintes sans tenir d’audience.

[90] Lors de la CGC, j’ai discuté avec les parties du recours à un processus de présentation d’arguments écrits aux fins de l’examen de la requête de l’intimé. Le plaignant ne s’est pas opposé la présentation d’arguments écrits à cette fin.

[91] Les deux parties ont été priées de présenter des arguments écrits sur la question de savoir si le plaignant avait établi une cause défendable selon laquelle l’intimé avait abusé de son pouvoir.

[92] Toutefois, dans le présent cas, compte tenu de la nature et de l’étendue des arguments des parties, j’ai déterminé qu’il convenait davantage d’examiner le bien-fondé de la plainte.

[93] Il a été difficile d’évaluer le résumé des faits et les arguments du plaignant, car après avoir lu toutes les observations du plaignant, il est manifeste que ce dernier a essentiellement pour position que l’intimé aurait dû exiger que le candidat retenu soit autochtone, et que le SCC devrait avoir en place un processus plus rigoureux que le processus d’auto-identification pour déterminer si un candidat est autochtone. Cela équivaut à un argument selon lequel l’intimé n’aurait pas dû retenir la personne nommée pour le poste et qu’il aurait dû nommer non seulement une personne s’identifiant comme étant autochtone, mais une personne qui le fait de façon démontrable.

[94] Autrement dit, l’essence de ses plaintes était liée à la question de la zone de sélection. Comme je l’ai déjà conclu, la Commission n’a pas compétence pour trancher une plainte à ce sujet.

[95] Néanmoins, j’ai examiné chacune des allégations du plaignant.

1. Il n’y a eu aucun abus de pouvoir dans le choix d’un processus annoncé

[96] Le plaignant a soutenu que l’intimé avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a pris la décision d’avoir recours à un processus annoncé, au titre de l’article 77(1)b) de la LEFP. Cependant, dans tous ses arguments, il ne précise pas clairement pourquoi il a fait cette allégation, ne fournit pas de faits pertinents concernant cette allégation et ne débat même pas de la question.

[97] L’intimé a fait valoir à ce sujet qu’il avait mené le processus de nomination numéro 2019-PEN-IA-PRA-147439 afin de constituer un répertoire de candidats préqualifiés pour une nomination à des postes de gestionnaire de programme, aux groupe et niveau WP-05, dans la région des Prairies du SCC. Il a annulé le processus annoncé et l’a publié à nouveau sous le numéro 2019-PEN-IA-PRA-147439-1, parce que Calgary n’était pas mentionné parmi les lieux de travail possible dans l’avis initial.

[98] L’évaluation des candidats a eu lieu en 2019. Le plaignant a présenté sa candidature au répertoire et a été éliminé à l’étape de l’examen des curriculum vitæ, parce qu’il ne possédait pas l’une des qualifications essentielles. La personne nommée a été présélectionnée et a fini par être jugée préqualifiée dans le répertoire. Deux ans plus tard, elle a été nommée au poste de gestionnaire de programme à Stony Mountain.

[99] Les arguments du plaignant ne font pas clairement ressortir en quoi l’intimé a abusé de son pouvoir dans le choix du processus, si ce n’est l’argument selon lequel l’intimé aurait dû désigner le poste comme devant être occupé par un Autochtone. L’intimé aurait-il dû avoir recours à un processus non annoncé en vue de la nomination à Stony Mountain? Aurait-il dû éviter d’avoir recours au répertoire en vue de la nomination? Le poste de Stony Mountain est-il si spécial qu’il s’agissait d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé de puiser dans le répertoire de candidats préqualifiés pour le pourvoir? Aucune de ces questions n’est même mentionnée par le plaignant. Il n’y a pas non plus de faits allégués qui pourraient appuyer des réponses à ces questions.

[100] La seule argumentation du plaignant qui pourrait être liée à une plainte concernant le choix du processus est celle qui porte sur l’annulation de l’avis d’emploi et sa nouvelle publication par la suite. Le plaignant a fait valoir que le fait que l’avis a été annulé, publié à nouveau, puis suivi du choix de la personne nommée [traduction] « [...] fait ressortir des irrégularités procédurales considérables et d’éventuels préjugés », qui [traduction] « jettent un doute sur l’intégrité et l’équité du processus de sélection [...] ». Il a affirmé que l’intimé n’avait pas expliqué en détail pourquoi le processus s’était déroulé comme il s’était déroulé, et il a suggéré que l’avis d’emploi avait été publié à nouveau pour favoriser la nomination de la personne nommée. En fait, il a laissé entendre que l’intimé avait publié l’avis à nouveau après s’être rendu compte qu’il [traduction] « avait fait une erreur » en nommant une personne s’étant faussement déclarée autochtone.

[101] Aucune de ces allégations ne tient la route. Le plaignant a fourni des copies des avis d’emploi original et révisé, et ces documents cadrent parfaitement avec la version des faits de l’intimé. Le seul changement apporté à l’avis a été l’ajout de Calgary comme lieu de travail possible. Le plaignant et la personne nommée ont posé leur candidature en réponse à l’avis révisé. Rien dans le changement apporté à l’avis d’emploi ne pourrait permettre d’affirmer que l’avis a été rédigé de façon à faciliter l’éventuelle nomination de la personne nommée.

[102] Les avis ont été publiés en 2019, et les candidats ont été évalués à ce moment-là. C’est deux ans plus tard que la personne nommée a été nommée au poste de Stony Mountain. À ce moment-là, elle était une employée du SCC à Stony Mountain, et Stony Mountain était l’un des lieux de travail pour lesquels elle avait demandé à être prise en considération. L’ajout de Calgary comme lieu de travail possible dans le cadre du processus de nomination n’a tout simplement pas joué dans la prise en considération de la personne nommée par l’intimé.

[103] L’intimé a choisi d’avoir recours à un processus interne annoncé afin de constituer un répertoire de candidats préqualifiés, en vue de nominations à des postes de groupe et niveau WP-05, et il a nommé la personne nommée à la suite de ce processus. Je ne vois aucun abus de pouvoir dans le choix du processus au titre de la LEFP.

2. Il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans l’évaluation du mérite

[104] Le plaignant n’a fait valoir aucun fait concernant son exclusion du processus de sélection. L’intimé a expliqué que le plaignant avait été éliminé parce qu’il n’avait pas démontré en quoi il respectait l’un des critères d’expérience essentiels figurant dans l’ECM. Le plaignant a choisi de ne pas donner suite à cette explication et de ne pas exposer de faits ou d’arguments pour étayer l’idée que l’intimé avait abusé de son pouvoir en faisant cette évaluation, de sorte que je doive accepter l’explication de l’intimé comme un fait.

[105] Le plaignant a plutôt allégué que le processus de sélection n’a pas permis d’évaluer adéquatement les candidats pour ce qui est de leur sensibilité aux questions et aux pratiques autochtones. Il a fait valoir que le poste exigeait une connaissance des programmes correctionnels relatifs aux délinquants autochtones, mais que la priorité n’avait pas été accordée à ces programmes dans le processus de sélection ou dans l’articulation du document de formulation de la décision de sélection utilisé pour justifier la nomination. Cependant, il n’a fourni aucun détail à cet égard.

[106] Le plaignant a également allégué qu’il y avait deux autres candidats [traduction] « également qualifiés » pour le poste à Stony Mountain, dont l’un était autochtone et l’autre, métis. Il a dit en avoir pris connaissance à titre de président de la section locale. Il a adopté la position selon laquelle l’intimé aurait dû favoriser un de ces candidats par rapport à la personne nommée. Il a cité un document de planification des ressources humaines pour 2020-2021 à Stony Mountain, selon lequel il y avait lieu de [traduction] « [...] continuer à s’efforcer de cibler l’embauche de personnel autochtone pour les initiatives autochtones [...] ». Il a cité une déclaration prise ailleurs dans le document, selon laquelle Stony Mountain présentait la lacune suivante : [traduction] « Il manque de personnel autochtone disponible pour appuyer les initiatives autochtones, et il y a lieu d’accroître la représentation des Autochtones à [Stony Mountain] par rapport à la population carcérale autochtone. »

[107] L’intimé a fourni une copie des résultats de l’examen et de l’entrevue de la personne nommée, ainsi qu’une copie du document de formulation de la décision de sélection. Bien que ce document ne semble pas mentionner les qualifications de la personne nommée par rapport aux critères liés aux Autochtones, les résultats de l’examen et les évaluations d’entrevue le font. La personne nommée a obtenu une note de 14/21 pour la [traduction] « Connaissance des programmes correctionnels, y compris les politiques, normes et lignes directrices relatives aux délinquantes, aux délinquants autochtones et aux délinquants appartenant aux minorités ethnoculturelles ». La personne nommée a réussi la partie de l’entrevue visant à évaluer la diversité culturelle.

[108] Il est bien établi que lorsqu’un plaignant allègue un abus de pouvoir dans le cadre d’une nomination fondée sur le mérite, il a le fardeau de prouver l’allégation; voir Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au par. 55. Tout en soulignant que les administrateurs généraux disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour établir les qualifications essentielles pour le travail à accomplir, en vertu de l’article 30(2)a) de la LEFP, ainsi que pour choisir les méthodes d’évaluation qu’il juge appropriées, en vertu de l’article 36(1), la Commission a conclu que des omissions ou erreurs graves dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire peuvent équivaloir à la conclusion qu’un sous-ministre a abusé de son pouvoir; voir, par exemple, Agboton, aux par. 80 et 81. L’erreur ou l’omission doit être si énorme qu’elle ne peut faire partie de la discrétion accordée au gestionnaire délégataire; voir Gulia, au par. 8.

[109] De plus, la Commission et ses prédécesseurs ont conclu que l’intimé dispose d’une grande latitude pour procéder à une nomination parmi les candidats jugés qualifiés; voir Visca, au par. 44, Steeves, au par. 58, et Stamp, au par. 38.

[110] Le plaignant n’a pas démontré que l’intimé avait commis une erreur ou une omission grave dans l’évaluation de la personne nommée. De toute évidence, il est d’avis que les critères auraient dû être soupesés différemment, évalués de façon plus appropriée et documentés de manière plus approfondie. Cependant, il n’a pas fourni d’exemples précis d’erreurs ou d’omissions qui pourraient être jugées énormes. Il a choisi de ne pas présenter de faits ou d’arguments supplémentaires pour réfuter les observations de l’intimé au sujet de son processus d’évaluation.

[111] Les arguments du plaignant minent également son allégation selon laquelle la personne nommée ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles pour le poste. L’expression [traduction] « également qualifiés » qu’il a retenue pour décrire les candidats autochtones et métis donne à penser, voire confirme carrément, que la personne nommée était qualifiée aux fins de la nomination. Le plaignant estime simplement que d’autres candidats auraient dû l’emporter sur elle.

[112] Plus important encore, la Commission et ses prédécesseurs ont statué qu’en vertu de la LEFP, il n’est pas possible de porter plainte pour abus de pouvoir au nom d’autres personnes; voir Silke c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 9, au par. 68, et Karoulis Newman c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 CRTESPF 22, au par. 41.

[113] En résumé, les allégations et les observations du plaignant ne traitent pas de sa propre élimination du processus de nomination, ce qui m’oblige à conclure qu’il a été éliminé parce qu’il ne possédait pas l’une des qualifications essentielles. J’estime que les allégations et les observations du plaignant concernant les qualifications de la personne nommée ne démontrent pas que cette personne a été nommée sans mérite. Ses observations ne démontrent pas qu’il y a eu des erreurs ou des omissions dans le processus d’évaluation. Enfin, j’ai conclu que la Commission ne peut pas tenir compte des allégations faites au nom d’autres personnes. Par conséquent, je conclus que le plaignant n’a pas réussi à prouver qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite.

3. L’identité de la personne nommée n’est pas une question pertinente dans la présente plainte

[114] Au départ, le plaignant a indiqué, dans le libellé de la plainte no 1, qu’il n’avait pas l’intention de remettre en question qui est un Autochtone et qui ne l’est pas. Cependant, dans ses observations ultérieures, il a allégué que la personne nommée s’était faussement identifiée comme agente de programmes autochtone. Il a affirmé qu’un candidat autochtone ou métis tout aussi qualifié aurait dû être nommé au poste, plutôt que la personne nommée. Dans son avis à la CCDP, il a affirmé que les gestionnaires encouragent les employés non autochtones à s’auto-identifier et que [traduction] « la fraude liée à l’identité autochtone est en voie de normalisation dans l’environnement [du SCC] ».

[115] Je prends acte du fait que le public accorde une grande attention au problème de l’[traduction]« usurpation d’identité autochtone », c’est-à-dire des personnes qui prétendraient faussement être autochtones pour accéder à la renommée, à des avantages ou à la reconnaissance. Des cas comme ceux de Joseph Boydon ou de Buffy Sainte-Marie ont fait grand bruit.

[116] Toutefois, j’estime que la question n’est pas du tout pertinente dans le contexte de la présente plainte. Étant donné que la zone de sélection retenue pour le processus de nomination n’exigeait pas que les candidats choisis soient autochtones, l’identité de la personne nommée n’a aucune pertinence pour l’évaluation du mérite. De plus, le plaignant n’a tout simplement fourni aucun fait à l’appui de l’allégation selon laquelle la personne nommée a faussement affirmé être autochtone. Sa plainte au sujet de la nomination de la personne nommée se résume à sa croyance selon laquelle la nomination en question aurait être assortie de l’exigence que le candidat soit autochtone et, par conséquent, que la personne ayant été nommée n’aurait pas dû l’être.

4. Le plaignant n’a pas établi à première vue que son élimination du processus de nomination était entachée de discrimination

[117] Dans une décision récente, la Commission a énoncé succinctement le critère d’évaluation de la discrimination dans le contexte d’une plainte en matière de dotation; voir Ngueyo c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2024 CRTESPF 107. Aux paragraphes 72 à 74, la Commission a résumé l’exigence d’établir à première vue l’existence de discrimination, comme suit, avec renvoi à l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 :

[72] Dans Moore, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à trois étapes pour établir à première vue l’existence de discrimination.

[73] En premier lieu, la plaignante doit démontrer qu’elle possède une caractéristique protégée contre la discrimination, ce que, comme il a été indiqué précédemment, elle a fait. La plaignante possède les caractéristiques protégées de la race et du sexe.

[74] La plaignante doit ensuite démontrer qu’elle a subi un effet préjudiciable et que les caractéristiques protégées ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Il s’agit des deuxième et troisième étapes du critère établi dans Moore. Dit autrement, la plaignante doit démontrer qu’elle a subi un effet préjudiciable en raison du choix du processus ou de l’évaluation de sa candidature, pour ensuite démontrer que l’une ou l’autre des caractéristiques protégées – ici, la race et le sexe –, ou les deux, constituaient un facteur dans le choix ayant mené à cet effet préjudiciable. La plaignante doit en faire la démonstration selon la prépondérance des probabilités.

 

[118] Dans les présentes plaintes, le plaignant a établi qu’il possède une caractéristique protégée contre la discrimination, comme le prévoit le critère à la première étape : il est autochtone. Deuxièmement, il a établi qu’il n’a pas été jugé qualifié au cours du processus de nomination. Je considère qu’il s’agit d’un effet préjudiciable, et que le critère est respecté à la deuxième étape.

[119] Le plaignant a allégué que la personne nommée avait été promue par rapport à deux autres candidats [traduction] « également qualifiés » autochtones ou métis. Toutefois, il ne s’agit pas d’un effet préjudiciable qu’il a lui-même subi. Comme il a déjà été mentionné, sous le régime des plaintes relatives à la dotation prévu par la LEFP, l’employé peut déposer une plainte pour dénoncer sa non-nomination, mais il ne peut pas le faire au nom d’autres personnes.

[120] En ce qui a trait à la troisième étape, le plaignant n’a fait valoir aucun fait qui m’amènerait à conclure que sa race a joué dans son exclusion au cours du processus de sélection. Il a déclaré avoir été éliminé parce qu’il ne satisfaisait pas à un des critères d’expérience, et l’intimé a documenté précisément lequel critère d’expérience n’a pas été rempli. Le plaignant n’a présenté aucun élément de preuve ou argument circonstanciel qui me permettrait de conclure que son identité autochtone a joué dans son exclusion du processus de sélection. Ainsi, le critère énoncé dans Moore n’est pas respecté à la troisième étape.

[121] Par conséquent, le plaignant n’a pas établi à première vue l’existence de discrimination.

D. La Commission a-t-elle compétence sur les allégations de discrimination systémique du plaignant?

[122] En majeure partie dans ses observations, le plaignant affirme que l’intimé exerce une discrimination systémique envers les employés autochtones. Il a indiqué que la décision de l’intimé de ne pas exiger des candidats qu’ils s’identifient comme étant autochtones était entachée de discrimination. Il a fait valoir que le processus d’auto-identification ne permet pas au SCC de vérifier si l’employé s’est légitimement déclaré comme étant autochtone. Dans son exposé, il fait un large éventail d’allégations concernant son expérience en tant qu’homme anishinaabe employé du SCC, l’expérience d’autres membres du personnel et détenus autochtones et le fait que le SCC, pour reprendre ses termes, échoue généralement à respecter les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.

[123] Malheureusement, concernant le cas que le plaignant souhaite soumettre à la Commission, cette dernière n’a pas compétence pour se pencher sur les allégations. Pour les motifs déjà exposés, la Commission ne peut intervenir dans la décision de l’intimé concernant la zone de sélection.

[124] Quant au reste des allégations du plaignant, qui sont longues, volumineuses et complexes, aucune n’est liée à la mesure de dotation particulière d’une manière qui pourrait relever de la compétence de la Commission au titre de l’article 77(1) de la LEFP. En l’absence de lien direct avec une plainte fondée en matière de dotation, il n’appartient pas à la Commission d’examiner ces allégations générales, de les trancher ou d’accorder un mécanisme de recours à cet égard.

[125] La compétence de la Commission découle de la loi habilitante qui lui confère des pouvoirs décisionnels. Pour une analyse de ce principe, voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 108.

[126] Pour la Commission, cette restriction est également prévue par la loi, nommément à l’article 19 de la Loi sur la Commission, qui est ainsi libellé :

Attributions

Powers, duties and functions

19 La Commission exerce les attributions que lui confère la présente loi ou toute autre loi fédérale.

19 The Board is to exercise the powers and perform the duties and functions that are conferred or imposed on it by this Act or any other Act of Parliament.

 

[127] En vertu de la LEFP, la Commission a compétence pour rendre des décisions uniquement sur les plaintes clairement énumérées, comme celles énoncées à l’article 77(1). De plus, la compétence de la Commission d’entendre les infractions à la LCDP dans le cadre d’une plainte en matière de dotation découle de l’article 65(7) de la LEFP, qui se lit comme suit :

65 (7) Lorsqu’elle décide si la plainte est fondée, la Commission des relations de travail et de l’emploi peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

65 (7) In considering whether a complaint is substantiated, the Board may interpret and apply the Canadian Human Rights Act, other than its provisions relating to the right to equal pay for work of equal value.

 

[128] Lorsqu’il soulève des questions de discrimination sous le régime de la LCDP, le plaignant doit lier ces questions à une qui relève de la compétence de la Commission, relativement à une affaire dont celle-ci est dûment saisie. Pour de plus amples renseignements sur ce principe, voir Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50, au par. 41; Rehibi c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2024 CRTESPF 47, au par. 309, et Mar c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2023 CRTESPF 25, au par. 41.

[129] Les limites de la compétence de la Commission ont été clairement énoncées dans Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17, qui énonce ce qui suit au paragraphe 340, en référence à des griefs déposés en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22., art. 2; la « Loi ») :

340 La Commission tire son origine de la loi et n’est pas un tribunal jouissant d’une compétence inhérente. Les parties ne peuvent pas lui conférer compétence lorsqu’elle n’en a aucune. Pour que les actions dont s’est plainte la fonctionnaire relèvent de la compétence de la Commission, elles doivent être visées par les questions établies à l’article 209 de la Loi [...]

 

[130] Pour d’autres réflexions sur ce principe, voir aussi Serediuk c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO‐SACC‐CSN), 2023 CRTESPF 71, au par. 51, et Killips c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique), 2024 CRTESPF 97, aux par. 70 à 75.

[131] Il n’appartient pas à la Commission de répondre à la question de savoir si le SCC aurait dû exiger que la personne nommée soit autochtone.

[132] Le SCC devrait-il avoir un processus plus rigoureux que le processus de déclaration volontaire auquel il a recours pour déterminer si un candidat est autochtone? Au vu des faits dans le présent cas, ce n’est pas une question à laquelle je dois répondre, même s’il devait être conclu qu’elle relève de la compétence de la Commission.

[133] Le plaignant a présenté plusieurs observations au sujet de l’expérience générale des employés autochtones au SCC, en particulier dans le contenu de son avis à la CCDP. Ces observations soulèvent des questions de justice, d’équité, de discrimination et de racisme systémique. Entre autres allégations, le plaignant a affirmé que les employés autochtones sont victimes de menaces de violence, d’intimidation et de harcèlement. Il a dit que les voix autochtones sont marginalisées.

[134] Il s’agit d’allégations graves. Or, une plainte en matière de dotation déposée devant la Commission n’est pas la tribune appropriée pour les traiter. Certaines des allégations auraient pu faire l’objet de griefs, d’autres auraient pu être dénoncées par des plaintes de violence en milieu de travail ou par des plaintes déposées en vertu de la LCDP. Ainsi, la Commission n’a pas compétence pour entendre ces allégations.

V. Conclusion

[135] Dans le cadre du processus qu’a suivi la Commission pour statuer sur la présente plainte, le plaignant a eu amplement l’occasion de fournir sa version des faits et d’étayer celle-ci au moyen de documents. Dans la plupart des cas, il a refusé de le faire, de sorte que ses allégations diverses et générales n’ont pas été étayées. Je comprends que le plaignant estime qu’il était difficile pour lui de travailler au SCC en tant qu’Anishinaabe. Toutefois, dans les limites des questions sur lesquelles la Commission peut se pencher sous le régime des plaintes relatives à la dotation prévu par la LEFP, le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir au cours du processus de nomination en question. J’estime qu’il était approprié de trancher la plainte sans tenir d’audience, d’autant plus que le plaignant souhaitait faire témoigner sept témoins sur des questions ne relevant pas de la compétence de la Commission.

[136] Pour tous les motifs qui précèdent, en vertu du pouvoir qui est conféré à la Commission à l’article 22 de la Loi sur la Commission, j’ai décidé de trancher l’affaire sans tenir d’audience et de rejeter les plaintes.

[137] Pour les motifs qui précèdent, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[138] Les plaintes sont rejetées.

Le 17 mars 2025.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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