Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
L'employeur a ordonné au fonctionnaire s’estimant lésé de retourner au bureau après une évaluation médicale certifiant qu’il était apte à reprendre le travail. Cependant, le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas se déplacer seul à Ottawa en raison de ses conditions de libération provisoire. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé le grief 1 en septembre 2017, contestant l’ordre lui enjoignant de retourner au bureau sans possibilité de travailler ailleurs, alléguant qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée. L'agent négociateur a renvoyé ce grief à l'arbitrage en février 2018 et le fonctionnaire s’estimant lésé l’a renvoyé de nouveau à l’arbitrage en juin 2022. En juin 2022, le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé le grief 2 à l'arbitrage concernant le manque de crédibilité accordée aux lettres médicales attestant de son aptitude au travail. Plusieurs requêtes et objections ont été présentées par les parties. L'employeur a demandé que l'audience se tienne en mode virtuel pour des raisons de sécurité, ce que la Commission a estimé fondé, compte tenu des comportements passés du fonctionnaire s’estimant lésé. La Commission a rejeté la requête d'ajournement du fonctionnaire s’estimant lésé, car il n'a pas présenté de motifs valables le justifiant, ni démontré un préjudice à son égard. La Commission a rejeté la demande du fonctionnaire s’estimant lésé qu'une formation de trois commissaires entende ses griefs, estimant que les griefs ne soulevaient pas de questions d'une complexité ou d'un intérêt public suffisants. La Commission a refusé d’émettre des assignations à comparaître pour trois personnes, car leurs témoignages n’auraient pas été pertinents ou elles étaient appelées par l’employeur. La Commission a rejeté la requête en récusation du fonctionnaire s’estimant lésé, jugeant qu'une personne raisonnable et bien renseignée ne conclurait pas à une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire. Quant aux objections de l’employeur sur la compétence de la Commission, la Commission a jugé qu'elle ne pouvait pas instruire le grief 1 renvoyé par l'agent négociateur en 2018, car il ne concernait pas une mesure disciplinaire, ni instruire les griefs 1 et 2 renvoyés par le fonctionnaire s’estimant lésé en 2022, car ils ont été renvoyés hors délai. La Commission a rejeté la demande de prorogation du délai présentée par le fonctionnaire s’estimant lésé, car il n'a présenté aucune raison claire, logique ou convaincante justifiant le retard.
Objections de l'employeur accueillies.
Griefs rejetés.
Contenu de la décision
Date: 20250327
Dossiers: 566-02-14869, 566-02-44894 et 566-02-44895
Référence: 2025 CRTESPF 30
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral |
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ENTRE
Guy Lafond
fonctionnaire s’estimant lésé
et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)
défendeur
Répertorié
Lafond c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)
Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
Devant : Adrian Bieniasiewicz, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui-même
Pour le défendeur : Andréanne Laurin et Jean-Charles Gendron, avocats
MOTIFS DE DÉCISION |
I. Survol
[1] Guy Lafond, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a présenté plusieurs griefs contre son employeur, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, communément appelé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC » ou l’« employeur »). Deux de ces griefs ont été renvoyés à l’arbitrage, à savoir le grief portant le numéro 502329 (le « grief 1 ») et le grief portant le numéro 502395 (le « grief 2 »).
[2] Dans le grief 1, le fonctionnaire conteste la demande de l’employeur de lui enjoindre de retourner au travail, sans pour autant lui permettre de travailler à partir d’un bureau à l’extérieur d’Ottawa. À son avis, cela constitue une mesure disciplinaire déguisée et une mesure discriminatoire à son endroit en contravention à l’article 41 de sa convention collective. En effet, aux termes des conditions de mise en liberté provisoire du fonctionnaire, il lui était interdit de circuler à Ottawa à moins d’être accompagné d’un garant. Ce grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).
[3] Dans le grief 2, le fonctionnaire reproche à l’employeur de ne pas avoir donné de crédibilité aux nombreuses lettres de médecins et psychiatres attestant sa bonne santé physique et mentale et son aptitude au travail. Il a renvoyé ce grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.
[4] Au moment de la présentation de ces griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs, soit respectivement en 2017 et en 2018, le fonctionnaire occupait le poste d’analyste aux opérations géographiques et agent d’immigration, classé au groupe et au niveau FS-02. Son lieu de travail était à Ottawa, en Ontario.
[5] L’employeur a soulevé des objections quant à la compétence de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour instruire ces griefs, au motif qu’ils ne portent pas sur des mesures disciplinaires et que certains d’entre eux ont été renvoyés à l’arbitrage hors délai.
[6] Avant le début de l’audience, l’employeur a présenté une requête afin que celle-ci se déroule à distance pour des raisons de sécurité. De son côté, le fonctionnaire a également présenté plusieurs requêtes, lesquelles sont détaillées plus loin dans les présents motifs. Après avoir entendu les arguments des parties en lien avec leurs requêtes à l’ouverture de l’audience, j’ai accueilli la requête de l’employeur et rejeté celles du fonctionnaire, avec motifs à suivre. À la suite de cette décision, le fonctionnaire m’a informé qu’il ne se présenterait pas à l’audience portant sur le fond de ses griefs, alléguant que je suis partial à son égard. Malgré les demandes répétées de l’agente de greffe, le fonctionnaire a refusé de se présenter à l’audience. Par conséquent, il n’a présenté ni preuve ni argument relativement au bien-fondé de ses griefs, ni répondu aux objections de l’employeur relatives à la compétence de la Commission d’entendre les griefs.
[7] Pour les raisons qui suivent, je rejette les griefs pour défaut de compétence.
II. Contexte et historique procédural
[8] Le 11 août 2017, la directrice de la gestion des effectifs a informé le fonctionnaire qu’il pouvait retourner au bureau le 21 août 2017, à la suite de la réception de l’évaluation médicale indépendante certifiant qu’il était apte à reprendre le travail sans limitation fonctionnelle. En réponse, le fonctionnaire l’a informée qu’en vertu des conditions de sa mise en liberté provisoire liées à des accusations criminelles déposées contre lui, il lui était interdit de circuler seul à Ottawa, à moins d’être accompagné d’un garant. Par conséquent, il a demandé à l’employeur de travailler ailleurs qu’à l’administration centrale en attendant de subir son procès.
[9] Le 25 août 2017, la directrice a informé le fonctionnaire que la situation légale du fonctionnaire n'était pas la responsabilité de l’employeur. Elle lui a suggéré de s’adresser à la cour pour modifier ses conditions de mise en liberté provisoire. Elle a précisé que, comme il ne s’était pas présenté au travail le 21 août 2017, sa paie ne serait pas réinstaurée et son absence non autorisée pourrait être considérée comme un abandon de poste.
[10] En lien avec ce qui précède, le fonctionnaire a présenté le grief 1 le 11 septembre 2017. L’énoncé du grief et les mesures correctives demandées comptent quatre pages. Comme il a été précisé précédemment, le fonctionnaire conteste la demande de l’employeur lui enjoignant de retourner au bureau, sans pour autant lui permettre de travailler à partir d’un bureau à l’extérieur d’Ottawa. Selon lui, cela équivaut à une suspension déguisée (voir la réponse au 3e palier de la procédure de règlement des griefs — 502329 du 14 février 2018). De plus, il allègue que les mesures récentes prises contre lui sont discriminatoires, en contravention à l’article 41 (élimination de la discrimination) de sa convention collective. L’employeur a rejeté ce grief.
[11] L’agent négociateur représentant le fonctionnaire a renvoyé le grief 1 à l’arbitrage le 28 février 2018, en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi. Ceux-ci se lisent comme suit :
209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :
a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;
b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;
[…]
[12] La Commission a attribué le numéro 566-02-14868 au dossier visant le renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, et le numéro 566-02-14869 au dossier visant le renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)b).
[13] Le 16 mai 2022, l’agent négociateur a informé la Commission qu’il cessait de représenter le fonctionnaire. Considérant qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sans l’approbation de son agent négociateur (voir le paragraphe 209(2) de la Loi), le dossier 566-02-14868 a été fermé. Le fonctionnaire a toutefois pu continuer avec le renvoi dans le dossier 566-02-14869.
[14] Environ deux semaines après que l’agent négociateur ait informé la Commission qu’il cessait de représenter le fonctionnaire, le 2 juin 2022, ce dernier a renvoyé à l’arbitrage deux griefs en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Les renvois n’identifiaient pas clairement quels griefs étaient visés. C’est seulement dans son courriel du 15 mai 2024 que le fonctionnaire a confirmé que ces renvois concernaient le grief 1 (grief no 502329) et le grief 2 (grief no 502395). Il est à noter que c’est la deuxième fois que le fonctionnaire renvoyait le grief 1 à l’arbitrage. La Commission a attribué les numéros de dossier 566-02-44894 et 566-02-44895 à ces renvois à l’arbitrage.
[15] Le libellé du grief 2 fait référence à la lettre du 7 mai 2018 signée par le fonctionnaire et adressée à Mark Giralt, directeur général du Réseau international d’IRCC. Dans cette lettre, le fonctionnaire dénonce le fait que l’employeur n’a pas « voulu donné [sic] de la crédibilité aux nombreuses lettres de médecins et psychiatres qui ont rapporté clairement [sa] bonne santé physique et mentale et par conséquent [son] aptitude au travail ». L’employeur a rejeté le grief au 3e palier le 20 novembre 2018.
[16] Le 13 juin 2022, le fonctionnaire a présenté une demande de prorogation du délai relativement aux renvois des griefs à l’arbitrage dans les dossiers 566-02-44894 et 566-02-44895. L’employeur s’y est opposé. L’objection devait être tranchée lors de l’audience initialement prévue du 11 au 13 septembre 2023.
A. Remise de l’audience prévue du 11 au 13 septembre 2023
[17] Le 30 août 2023, la Commission a accueilli la demande de remise de l’audience présentée par l’employeur en raison de l’indisponibilité de son avocate. L’employeur a proposé de remettre l’audience au 23 octobre 2023. Au lieu d’informer la Commission s’il était disponible de procéder au courant de la semaine du 23 octobre 2023, comme demandé par la Commission, le fonctionnaire a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de remettre l’audience. La Cour a rejeté la demande le 21 novembre 2023 au motif qu’elle était prématurée (Lafond c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2023 CAF 227).
B. Nouvelles dates et préparation pour l’audience
[18] Le 10 janvier 2024, la Commission a informé les parties que l’audience avait été mise à l’horaire du 10 au 14 juin 2024, en présentiel, et que les dates étaient considérées comme finales.
[19] Le lendemain, le fonctionnaire a accusé réception du courriel et a demandé que l’audience se déroule par vidéoconférence, car il habite à Montréal, au Québec. Afin d’accommoder le fonctionnaire, la Commission a ordonné que l’audience se tienne à Montréal, en présentiel, aux mêmes dates.
[20] Le 6 mai 2024, en préparation à l’audience, le fonctionnaire a demandé que la Commission émette des assignations à comparaitre pour les quatre personnes suivantes :
1) Son ex-épouse, pour expliquer pourquoi elle avait exigé du fonctionnaire qu’il lui verse une allocation de nourriture pour leur fille;
2) Anne Clark-McMunagle, travaillant alors pour l’agent négociateur dont le fonctionnaire était membre, pour témoigner qu’elle avait déposé une demande d’arbitrage le 9 mars 2018 pour le fonctionnaire;
3) Bertrand Myre, travaillant alors pour l’agent négociateur dont le fonctionnaire était membre, pour témoigner de sa décision de défendre le fonctionnaire pendant plusieurs mois et de retirer, par la suite, son support au fonctionnaire;
4) Olivier Jacques, pour témoigner pourquoi il avait refusé la demande du fonctionnaire d’être transféré au bureau d’IRCC à Montréal, en 2017, et expliquer pourquoi il avait décidé de retirer la mesure disciplinaire déposée contre le fonctionnaire par son prédécesseur.
[21] J’ai rejeté les demandes. Dans ma directive du 21 mai 2024, j’ai informé le fonctionnaire qu’il n’avait pas établi qu’il était probable que les témoignages de son ex-épouse, de Mme Clark-McMunagle et de M. Myre soient pertinents dans le cadre de ses griefs (voir Agnaou c. Canada (Services des poursuites pénales), 2022 CAF 140, au par. 81 (Agnaou), et Zündel, Re, 2004 CF 798, aux paragraphes 7 à 10 (Zündel)).
[22] Plus précisément, le fonctionnaire n’a pas démontré en quoi le témoignage de son ex-épouse relatif au versement de l’allocation en cause pourrait être pertinent dans le cadre de ses griefs. De même, en ce qui concerne les témoignages proposés de Mme Clark-McMunagle et de M. Myre, le fonctionnaire n’a pas établi, comme il lui appartenait de le faire, en quoi ceux-ci pourraient être pertinents pour l’examen de ses griefs. Le fait que Mme Clark-McMunagle ait référé le grief à l’arbitrage dans les délais prescrits (selon le dossier de la Commission, elle l’a référé le 28 février 2018, plutôt que le 9 mars 2018, comme le suggère le fonctionnaire) n’est pas en litige. De plus, le fait que l’agent négociateur ait retiré son appui au fonctionnaire ne constitue pas une question pertinente aux enjeux soulevés dans les griefs.
[23] En ce qui concerne le témoignage de M. Jacques, celui-ci aurait effectivement pu être pertinent aux questions soulevées dans les griefs renvoyés à l’arbitrage. Toutefois, considérant que l’employeur a confirmé par écrit son intention de citer M. Jacques comme témoin, j’ai informé le fonctionnaire qu’il n’était pas nécessaire d’émettre une assignation à comparaître pour le contraindre à témoigner.
[24] Le 22 mai 2024, le fonctionnaire a demandé à la Commission par écrit de reconsidérer sa décision de refuser d’émettre des assignations à comparaitre pour son ex-épouse, Mme Clark-McMunagle et M. Myre. Le 23 mai 2024, j’ai rejeté sa demande pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans ma directive du 21 mai 2024.
[25] Lors de la conférence préparatoire à l’audience le 22 mai 2024, j’ai expliqué au fonctionnaire qu’il avait le fardeau d’établir que les actions de l’employeur contestées dans ses griefs étaient des mesures disciplinaires déguisées, sans quoi, je ne pourrais pas les instruire (voir Lindsay c. Canada (Procureur Général), 2010 CF 389, aux paragraphes 46 et 48 (Lindsay); Wong c. Administrateur général (Service canadien du renseignement de sécurité), 2010 CRTFP 18, aux paragraphes 34 et 35 (Wong); Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, au par. 37 (Bergey). Le fonctionnaire a demandé de présenter sa preuve en premier, ce que j’ai accepté. Un compte rendu de la conférence a été communiqué aux parties le 23 mai 2024.
[26] Le 25 mai 2024, le fonctionnaire a demandé que ses griefs soient instruits par une formation de trois commissaires. Selon le fonctionnaire, mon manque de neutralité, lié à mon refus d’émettre des assignations pour son ex-épouse, Mme Clark‑McMunagle et M. Myre, constituait la base de sa demande. Le 28 mai 2024, j’ai informé le fonctionnaire que les renvois à l’arbitrage étaient normalement entendus par un seul commissaire. Cela dit, je l’ai informé qu’il pouvait présenter une requête en récusation s’il était d’avis que j’étais partial à son égard et manquais de neutralité. Il a présenté cette requête le premier jour d’audience.
C. L’employeur demande que l’audience soit virtuelle pour des raisons de sécurité
[27] Le 6 juin 2024, l’employeur a demandé que l’audience soit transformée en audience virtuelle pour des raisons de sécurité. L’employeur a présenté un résumé des éléments à l’appui de sa demande avec copie au fonctionnaire. Le même jour, j’ai informé les parties que j’allais entendre la requête de l’employeur sur une base urgente, le 7 juin 2024, à 10 h. Le même jour, le fonctionnaire a proposé que cette requête soit débattue le premier jour d’audience, soit le 10 juin 2024, car il n’était pas disponible le 7 juin.
[28] Considérant ce qui précède, le greffe a informé les parties que la requête de l’employeur sera entendue le lundi 10 juin 2024, à 9 h 30, soit le premier jour d’audience, à distance.
III. Le premier jour d’audience
A. Le fonctionnaire demande un ajournement d’audience
[29] Environ une heure avant le début de l’audience, le fonctionnaire a demandé par écrit que la Commission l’ajourne jusqu’au mercredi 12 juin 2024, à 9 h 30. À l’appui de sa demande, le fonctionnaire a fait valoir ce qui suit :
1) il a transmis une mise en demeure aux avocats de l’employeur et s’attend qu’ils lui répondent le mercredi 12 juin, à 9 h 30;
2) j’ai refusé d’émettre des assignations à comparaître pour les trois personnes identifiées précédemment;
3) l’ajournement permettrait à la Commission de répondre à sa demande qu’une formation de trois commissaires instruise ses griefs, en raison de mon manque de neutralité et de la complexité des dossiers;
4) il y a eu des problèmes avec le portail pour le dépôt de ses documents;
5) la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) n’a pas répondu à sa demande d’envoyer un représentant afin qu’il « […] puisse faire valoir son expertise dans le processus d’arbitrage en cours […] ».
[30] L’employeur s’est opposé par écrit à la demande. En résumé, l’employeur a souligné que, si le fonctionnaire ne se présente pas, il plaidera que le fonctionnaire a abandonné ses griefs, considérant que le fardeau en matière de mesure disciplinaire déguisée lui incombe, et que la date d’audience est connue depuis plusieurs mois.
[31] L’audience a commencé le 10 juin 2024, à 9 h 30, comme prévu. J’ai informé les parties qu’avant d’entendre la preuve du fonctionnaire, j’allais tout d’abord entendre la requête de l’employeur de transformer l’audience en une audience virtuelle et, par la suite, j’allais entendre les requêtes du fonctionnaire, s’il en avait.
B. Requête de l’employeur pour procéder en format virtuel
[32] L’employeur a invoqué des considérations de sécurité pour tous les intervenants appelés à se présenter physiquement à l’audience. Pour étayer sa demande, l’employeur a fait référence aux éléments mentionnés dans son courriel du 6 juin 2024, tirés principalement des jugements des cours de justice de l’Ontario et de deux documents présentés à l’appui de sa requête.
[33] Plus précisément, l’employeur a fait référence à la décision Van de Hoef c. Lafond, 2015 ONCS 6554 (Lafond) qui fait état des comportements problématiques du fonctionnaire, tant dans la salle d’audience qu’à l’extérieur, impliquant divers intervenants. En voici quelques extraits :
[…]
[4] L’incapacité du père à composer avec toute personne qui ne partage pas son point de vue a été, avant et pendant le procès, une question importante. […] Au cours de l’instance, le comportement du père a été inacceptable à certains moments, notamment lorsqu’il a fabriqué un avion en papier avec le document que lui avait remis l’avocat de la mère. Il a allégué que la mère et l’avocat de celle‑ci le harcelaient psychologiquement. Par surcroît, il a ou a eu maille à partir avec presque toutes les personnes appelées à intervenir dans la présente affaire dont les points de vue diffèrent du sien. En attisant le conflit et en adoptant un comportement souvent inquiétant et menaçant, le père a démontré qu’il n’était ni disposé ni apte à penser aux besoins de son enfant avant de penser aux siens.
[…]
[22] En décembre 2014, le père avait été expulsé du Centre Gloucester et s’en était fait interdire par les membres du personnel de sécurité à la suite d’un incident au cabinet de l’avocat de la mère, situé dans ce même Centre Gloucester. Également en décembre 2014, le comportement du père avait amené des agents du Service de police d’Ottawa à douter de sa capacité à s’occuper d’un enfant à la suite d’un incident au poste de police, où le père s’était fait dire que la plainte qu’il souhaitait déposer contre la mère était irrecevable en raison de sa nature civile […]
[…]
[27] […] Le père a montré qu’il est rarement en mesure d’accepter les opinions de personnes qui ne partagent pas son point de vue. Il a avoué avoir tendance à lever la voix lorsqu’il traite avec les autres, qui interprètent souvent son impatience comme de l’agressivité. […] Dans son témoignage, il a toutefois avoué perdre patience avec les autres, et il a indiqué qu’il continuera à se comporter de la sorte si les choses ne changent pas en sa faveur.
[…]
[33] […]
a) […] Les conflits du père avec les membres du personnel scolaire, les médecins, l’ancien dentiste, la gardienne, le mari de la gardienne, l’ancien propriétaire de la mère, et les agents du Service de police d’Ottawa témoignent tous de l’incapacité du père d’entretenir des rapports adaptés avec des personnes qui ne partagent pas ses opinions.
[…]
e) La preuve en l’espèce me porte à conclure qu’il y a lieu de s’inquiéter de la propension du père à recourir à la violence physique ou à exhiber un comportement menaçant. En plus de la confrontation avec un voisin en 2006, le père a avoué s’être senti bien après être entré en collision avec le mari de la gardienne, Marc‑André Pigeon, alors que ce dernier était à bicyclette. Des courriels déposés en preuve relatent la menace proférée par le père, à savoir que « des événements fâcheux » allaient se produire si les personnes qui s’opposent à lui continuent de s’obstiner. Finalement, un certain nombre d’incidents, notamment où le père a suivi monsieur Gagnon jusque chez lui, où il s’est tenu devant la maison de madame Gignac pendant une période prolongée, où il a stationné son véhicule devant la maison des Gignac, et où il s’est présenté à certains lieux publics où la mère pouvait se trouver, préoccupent grandement le tribunal quant à la mesure dans laquelle le père souhaite intimider les gens.
[…]
[36] […] Le comportement du père pendant le procès, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle d’audience, soulève beaucoup de questions sur sa santé mentale, et à ce jour, ces questions ne sont pas réglées. […].
[…]
[45] […] Durant la présente instance, il a aussi fait certains commentaires alarmants, comme « il n’est pas étonnant que des incidents fâcheux se produisent » (pièce « K »). […]
[…]
[34] Dans la décision Van de Hoef v. Lafond, 2018 ONSC 4440, la juge évoque également les comportements menaçants et hostiles du fonctionnaire envers son entourage. Il n’est pas nécessaire de les répéter ici, puisqu’ils figurent déjà dans la décision publique accessible à toute personne intéressée. Toutefois, il me semble pertinent de reproduire les extraits suivants, qui décrivent le comportement du fonctionnaire lors du procès :
[Traduction]
[…]
[59] […] Lorsqu’on lui demandait de se concentrer sur le bien-être de sa fille et sur la manière dont le maintien du droit de visite entre eux serait dans son intérêt, son discours était parfois belliqueux, confus et complètement incongru. Comme exemple du comportement étrange du père à la cour, je note sa demande à la cour d’ignorer le fait qu’il a été accusé au criminel de diverses infractions puisque la police est indigne de foi, comme le prouve le fait que le chef de la police de Montréal fait actuellement l’objet d’une enquête pour des actes potentiellement répréhensibles.
[…]
[62] Selon un rapport psychologique préparé par le Dr François Beaudoin le 20 novembre 2014 et qui fait partie du dossier de première instance devant le juge Labrosse, il a été conclu que le père était toujours sur le point d’exploser et qu’il souffrait d’un trouble de la personnalité causant des comportements inhabituels, bizarres et harcelants pour les gens qui l’entourent. […].
[…]
[35] Dans la décision R. c. Lafond, 2019 ONCJ 572, concernant un procès pour la désobéissance du fonctionnaire à une ordonnance de la Cour supérieure de justice, la juge fait également état des comportements intimidants, agressifs et hostiles du fonctionnaire envers son entourage.
[36] Outre ce qui précède, l’employeur m’a également renvoyé à la lettre de congédiement du 26 avril 2018, déposée au soutien de sa requête, selon laquelle le fonctionnaire aurait tenu des propos menaçants envers son superviseur. Plus précisément, selon le passage pertinent dans la lettre, le fonctionnaire aurait tenu les propos suivants : « Qu’est-ce que vous attendez pour me mettre à la porte? Faites-ça vite sinon la situation va écoper. Il y a des personnes qui vont écoper. Faites attention! »
[37] L’employeur m’a également renvoyé à un échange de courriels entre le fonctionnaire et sa représentante syndicale, du 6 mars 2018, déposé également au soutien de sa requête. Dans ce courriel, la représentante syndicale informe le fonctionnaire de ne plus se présenter aux bureaux de l’agent négociateur en raison des propos menaçants qu’il aurait tenus. L’extrait pertinent du courriel se lit comme suit :
[…] Aussi, pendant notre rencontre, vous m’avez dit qu’il « viendrait un jour où j’aurais peur de quitter la maison », ce que j’ai pris comme étant une menace. Nous vous demandons aussi de ne plus vous présenter à nos bureaux et de communiquer avec nous uniquement par courriel. […]
[38] En réponse, le fonctionnaire s’est dit en désaccord avec ce qui précède. Il a fait valoir que la requête était tardive et que l’avocate assignée au dossier initialement n’avait pas soulevé de craintes.
[39] Plus précisément, le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur faisait référence aux décisions des cours de justice de l’Ontario pour démontrer qu’il est imprévisible et dangereux avec les gens. Depuis 2012, son ex-épouse l’a quitté avec sa fille. Les jugements des cours lui sont défavorables. De plus, il a subi des mesures disciplinaires de la part de l’employeur depuis des années. Il a subi beaucoup de stress. La juge de la cour criminelle l’a condamné très sévèrement, toujours selon le fonctionnaire.
[40] En ce qui a trait à l’allégation de l’employeur selon laquelle il a eu des comportements inappropriés envers l’avocat de son ex-épouse, il explique ces comportements par le fait qu’il ne faisait pas confiance à cet avocat. Il a présenté une plainte contre lui au Barreau de l’Ontario, mais elle a été rejetée. Il a nié les faits décrits dans les jugements des cours de l’Ontario auxquels l’employeur a fait référence et n’était pas d’accord avec les conclusions des juges.
[41] Le fonctionnaire a admis qu’il était entré en collision avec la personne identifiée dans la décision Lafond, au par. 33e), alors que cette dernière était à bicyclette, mais que ce n’était pas de sa faute; c’était de la faute de cette personne. Depuis le jugement dans Lafond, il ne s’est passé rien de grave. Il a ajouté qu’il était sain d’esprit et que si les gens ont peur de lui, ils doivent aller chercher de l’aide.
[42] Lorsque j’ai demandé au fonctionnaire de préciser le préjudice qu’il subirait si je décidais d’accorder la requête de l’employeur et de poursuivre l’audience en format virtuel, il n’a pas été en mesure de m’en fournir un.
[43] Après avoir entendu les arguments des parties en lien avec la requête de l’employeur, j’ai invité le fonctionnaire à présenter ses requêtes, s’il en avait. Il en a présenté trois.
C. Le fonctionnaire présente ses requêtes
1. Requête d’ajournement
[44] Dans ses plaidoiries orales, le fonctionnaire a essentiellement repris les motifs à l’appui de sa demande d’ajournement qu’il avait présentés par écrit le matin même de l’audience, comme ils ont été détaillés précédemment. Il n’y a pas lieu de les répéter. Il a toutefois ajouté un motif supplémentaire au soutien de sa requête. Plus précisément, il a soutenu que, puisque les témoins pour lesquels j’avais refusé d’émettre des assignations à comparaître auraient dû témoigner pendant deux jours, soit le lundi et le mardi, cela justifiait un ajournement de l’audience jusqu’au mercredi 12 juin 2024.
[45] Le fonctionnaire a confirmé avoir reçu les documents de l’employeur le samedi 8 juin 2024. Il les a rapidement examinés et a admis qu’ils étaient « à peu près les mêmes » que ceux qu’il avait transmis à la Commission et qu’il souhaitait utiliser en preuve. Il était familier avec leur contenu.
2. Requête qu’une formation de trois commissaires instruise ses griefs
[46] Le fonctionnaire a réitéré sa demande qu’une formation de trois commissaires instruise ses griefs. Il a justifié cette demande en invoquant la complexité croissante de ses dossiers ainsi qu’en alléguant ma perte de neutralité et d’impartialité à son égard, en raison de mon refus d’émettre des assignations à comparaître.
3. Requête en récusation
[47] Enfin, le fonctionnaire a, une fois de plus, demandé que je me récuse en raison de mon manque d’impartialité et de neutralité. Il étaye son argument, encore une fois, par le fait que j’ai refusé d’émettre des assignations à comparaître.
4. Réponse de l’employeur
[48] L’employeur s’est opposé aux requêtes du fonctionnaire. Il a soutenu que la date d’audience avait été communiquée aux parties en janvier 2024. Le refus d’émettre des assignations à comparaître pour les trois personnes a été communiqué au fonctionnaire le 21 mai 2024. Rien n’a changé depuis. L'employeur a fait valoir qu'un ajournement de l’audience pourrait compromettre une partie du travail déjà réalisé en vue de la préparation de l’audience prévue jusqu’au 14 juin 2024. En effet, si l’audience est reportée au mercredi 12 juin 2024, et considérant que la preuve du fonctionnaire devrait durer environ deux jours, l’employeur ne disposera que d’une seule journée pour présenter sa preuve. Les témoins de l’employeur, dont deux devaient témoigner depuis l’étranger, étaient prêts à témoigner. Deux témoins de l’employeur sont aussi à la retraite. Ils ont consacré du temps pour se préparer pour l’audience et ont ajusté leur emploi du temps pour pouvoir témoigner. L'employeur et la Commission ont tous deux consacré des ressources importantes en lien avec l’audience.
[49] L’employeur a rappelé que le fonctionnaire avait d’ailleurs lui-même demandé au mois de janvier 2024 que l’audience se déroule de façon virtuelle. De plus, le fonctionnaire n’a pas été en mesure d’expliquer quel préjudice il subirait si l’audience procédait en mode virtuel.
[50] L’employeur a fait valoir que rien dans le présent dossier ne justifiait qu’une formation de trois commissaires entende les griefs du fonctionnaire. Les dossiers ne portent pas sur des enjeux d’intérêt public et ne soulèvent pas des questions de complexité notable. Cette demande n’est qu’une tactique dilatoire de la part du fonctionnaire.
[51] En ce qui a trait à l’échange des documents entre les parties, le fonctionnaire a confirmé avoir reçu les cahiers des documents que l’employeur souhaitait utiliser en preuve et en avoir pris connaissance, et il a précisé qu’il était familier avec leur contenu.
[52] L’employeur a demandé que la Commission rejette les requêtes du fonctionnaire et ordonne que l’audience se poursuive en mode virtuel.
[53] J’ai ajourné l’audience pour environ une demi-heure, afin d’étudier les requêtes présentées par les parties.
IV. Analyse et décisions interlocutoires
A. La requête de l’employeur pour une audience virtuelle était fondée
[54] J’ai attentivement examiné la demande de l’employeur à l’appui de sa requête visant à ce que l’audience se déroule en format virtuel. Les préoccupations de l’employeur quant à la sécurité des participants devant se présenter physiquement à l’audience sont fondées. Ces préoccupations reposent sur des comportements menaçants, harcelants et parfois violents attribués au fonctionnaire, tels qu’ils ont été documentés dans des décisions des cours de justice de l’Ontario, ainsi que dans les deux documents déposés dans le cadre de la requête.
[55] Bien que les incidents cités remontent à plusieurs années, je suis d’avis que leur ancienneté ne suffit pas à écarter les préoccupations soulevées par l’employeur. Le comportement passé du fonctionnaire, tel qu’il a été décrit, laisse entendre une propension à l’instabilité et à l’intimidation, qui pourrait se manifester de nouveau dans un contexte stressant comme celui d’une audience en personne.
[56] La pertinence des incidents rapportés dans les décisions des cours de justice de l’Ontario et d’autres éléments de preuve reste entière puisqu’ils démontrent des tendances comportementales inquiétantes. Ces tendances ne se dissipent pas automatiquement avec le simple passage du temps.
[57] Bien que le fonctionnaire affirme qu’il n’y a eu « rien de grave » depuis les incidents cités, cela ne constitue pas une preuve que le risque de comportement intimidant ou agressif est inexistant. Le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve concrète d’efforts entrepris pour atténuer les préoccupations (par exemple, thérapie, gestion de la colère ou autres mesures).
[58] La tendance du fonctionnaire à minimiser ses comportements problématiques décrits plus haut, ainsi que son refus de les reconnaître comme tels, accentuent les préoccupations quant à une possible répétition de ces comportements perturbateurs dans un contexte stressant, comme une audience en personne.
[59] Certes, j’aurais souhaité que l’employeur dépose sa requête bien avant la date de l’audience. L’employeur a expliqué le dépôt tardif de cette requête par le changement d’avocat quelques semaines avant l’audience. Environ trois semaines avant l’audience, le nouvel avocat a entrepris des démarches auprès du ministère de la Justice en lien avec les préoccupations relatives à la sécurité des participants à l’audience. Toutefois, peu de temps avant l’audience, il a été informé qu’il devait soumettre une demande officielle à la Commission à ce sujet.
[60] Cela étant, le dépôt tardif de la requête ne diminue en rien le sérieux des préoccupations liées à la sécurité, ni le besoin de mettre en place les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité des participants à une audience.
[61] Dans ma décision, j’ai également tenu compte du fait que le fonctionnaire n’a pas été en mesure de démontrer un préjudice concret qu’il subirait si l’audience se tenait en mode virtuel.
[62] Pour ces raisons, considérant qu’il n’y a rien d’intrinsèquement injuste dans le fait de tenir une audience virtuelle (voir Sanayhie v. Durham Regional Police Services Board, 2025 ONSC 287), et afin de garantir le bon déroulement de la procédure tout en préservant la sécurité de tous les participants, j’ai accueilli la requête de l’employeur et ordonné que l’audience se poursuive en mode virtuel.
[63] En revanche, j’ai rejeté les requêtes du fonctionnaire avec motifs à suivre. Voici ces motifs.
B. Aucune raison valable pour accorder l’ajournement
[64] La requête du fonctionnaire pour ajourner l’audience n’était pas appuyée par des motifs valables justifiant un ajournement, comme elle devait l’être selon le Guide de procédures pour les relations de travail de la Commission.
[65] L’argument du fonctionnaire selon lequel un ajournement est justifié car les témoins qu’il souhaitait contraindre à témoigner auraient témoigné pendant deux jours est difficile à comprendre. Ma décision refusant d’émettre les assignations à comparaître a été communiquée au fonctionnaire le 21 mai 2024. Il ne s’agissait pas d’un élément nouveau ou imprévu qui aurait pris le fonctionnaire par surprise le jour de l’audience. Le fonctionnaire savait depuis des semaines que les personnes qu’il souhaitait contraindre à témoigner n’allaient pas venir témoigner.
[66] Le fait que le fonctionnaire ait mis en demeure les avocats de l’employeur et qu’il s’attendait qu’ils lui répondent le mercredi 12 juin à 9 h 30 n’est pas une raison pour ajourner l’audience. D’ailleurs, malgré cette mise en demeure, l’avocat de l’employeur était prêt à procéder. Le fonctionnaire n’a présenté aucun argument démontrant en quoi cette mise en demeure pouvait avoir un impact sur le commencement et le déroulement de l’audience.
[67] Le fonctionnaire n’a pas établi en quoi les difficultés techniques alléguées liées à l’accès au Portail de partage de documents électroniques de la Commission justifiaient un ajournement. Premièrement, le fonctionnaire a confirmé avoir reçu les cahiers de documents de l’employeur le 8 juin 2024. Lorsque je lui ai demandé s’il avait eu le temps de les réviser, le fonctionnaire a précisé que ces cahiers contiennent essentiellement les mêmes documents que ceux qu’il avait transmis à la Commission et qu’il prévoyait utiliser pour présenter sa preuve. Il a confirmé qu’il connaissait le contenu des documents transmis par l’employeur.
[68] Le fait que la CCDP n’avait pas précisé si elle avait l’intention de présenter des observations relativement à la question soulevée par le fonctionnaire dans l’Avis à la Commission canadienne des droits de la personne (l’« Avis ») en vertu du paragraphe 92(1) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement ») du 25 mai 2024 n’a aucune incidence sur le début ou le déroulement de l’audience. Plus précisément, le fonctionnaire s’est plaint dans l’Avis à la CCDP que la Commission avait refusé d’émettre des assignations à comparaitre pour trois témoins et que l’employeur avait refusé de prendre en compte sa situation familiale. Comme mesure de réparation recherchée, le fonctionnaire a demandé dans l’Avis que la Commission autorise sa demande de convoquer les trois témoins en question.
[69] En lien avec ce qui précède, le dossier révèle qu’en février 2018, l’agent négociateur avait déjà transmis un Avis à la CCDP en lien avec le grief 1. La CCDP n’a pas manifesté son intention de présenter des observations en lien avec la question soulevée, comme elle pouvait le faire en vertu du paragraphe 210(2) de la Loi et du paragraphe 93(1) du Règlement. Encore une fois, le fonctionnaire ne pouvait pas expliquer en quoi le fait que la CCDP n’avait pas précisé si elle avait l’intention de présenter des observations en lien avec la question soulevée dans l’Avis du 25 mai 2024 lui aurait causé un préjudice. Enfin, et ce à titre informatif, je note que la CCDP n’a pas manifesté son intention de présenter des observations dans le présent dossier en lien avec l’Avis du 25 mai 2024.
[70] Enfin, le fonctionnaire a demandé que l’audience soit ajournée dans le but de permettre à la Commission de demander à l’employeur son avis en lien avec sa requête de me remplacer par une formation de trois commissaires pour instruire ses griefs. Or, l’avocat de l’employeur a répondu que rien dans le présent cas ne justifiait qu’une formation de trois commissaires entende les griefs du fonctionnaire. Les griefs ne portent pas sur des enjeux d’intérêt public et ne soulèvent pas des questions de complexité notable, comme il sera expliqué plus en détail dans la section suivante des présents motifs.
[71] Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis que les motifs avancés par le fonctionnaire ne constituent pas des motifs valables justifiant un ajournement. En effet, selon le Guide de procédures pour les relations de travail de la Commission — lequel est disponible sur son site Web — les demandes d’ajournement doivent être appuyées par des motifs valables.
[72] Outre ce qui précède, dans ma décision de rejeter la demande d’ajournement, j’ai également tenu compte de l’intérêt public en faveur d’une administration de la justice efficiente, qui évite les délais indus et favorise le règlement définitif des différends. En effet, l’ajournement de l’audience jusqu’au mercredi 12 juin aurait probablement nécessité des dates additionnelles pour compléter l’audience, engendrant ainsi des ressources et coûts supplémentaires inutiles.
[73] Je suis d’avis que, dans les circonstances du présent dossier, accorder un ajournement en l’absence de motifs valables irait à l’encontre de l’intérêt public en faveur d’une administration de la justice efficiente et minerait l’efficacité du processus décisionnel (voir Fletcher c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 39, par. 36; Lambert c. Santé Canada, 2013 TPFD 1, par. 93).
C. Une formation de trois commissaires n’est pas requise
[74] La deuxième requête du fonctionnaire porte sur sa demande d’ordonner que ses griefs soient instruits par une formation de trois commissaires. Le fonctionnaire a appuyé sa demande en alléguant une perte de neutralité de ma part à son égard, ainsi une complexité croissante de ses dossiers.
[75] Outre que d’alléguer de manière générale que la complexité de ses dossiers a évolué, le fonctionnaire n’était pas en mesure de préciser en quoi ses dossiers étaient devenus plus complexes. Je suis d’accord avec l’employeur que les griefs ne soulèvent pas des questions de complexité notable ou d’intérêt public justifiant la formation d’un panel composé de trois commissaires.
[76] En effet, les griefs du fonctionnaire soulèvent des questions relativement simples à savoir si les mesures contestées constituent des mesures disciplinaires déguisées et, dans l’affirmative, si elles sont justifiées. Ce genre de questions sont fréquemment soulevées devant la Commission et sont tranchées par un commissaire siégeant seul. De plus, les ressources limitées de la Commission, le principe de l’économie judiciaire et l’absence de circonstances exceptionnelles ne justifient pas que trois commissaires soient désignés pour instruire les griefs en question.
D. La requête en récusation n’est pas fondée
[77] En dernier lieu, le fonctionnaire a demandé que je me récuse. Il a soutenu que mon refus d'émettre les assignations à comparaître pour les trois personnes démontre une partialité et un manque de neutralité à son égard.
[78] Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, la Cour suprême du Canada a formulé le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité comme suit :
[…]
[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question […] de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
[…]
[79] Comme je l’ai déjà expliqué, après avoir analysé la portée proposée des témoignages des personnes visées par la demande d’assignations à comparaître, j’ai déterminé que le fonctionnaire n’avait pas établi qu’il était probable que les témoignages de son ex-épouse, de Mme Clark-McMunagle et de M. Myre seraient pertinents dans le cadre de ses griefs (voir Agnaou et Zündel). En effet, le fonctionnaire n’a pas démontré, comme il en avait le fardeau, qu’il était probable que la question du versement de l’allocation alimentaire par son ex-épouse, celle du dépôt du grief par Mme Clark-McMunagle — un fait qui n’est pas en litige — ou encore celle liée au retrait de la représentation par son agent négociateur soient pertinentes aux enjeux soulevés dans ses griefs. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé d’émettre des assignations à comparaître pour ces trois personnes.
[80] Quant au témoignage de M. Jacques, j’étais d’avis que son témoignage aurait effectivement pu être pertinent aux questions soulevées dans les griefs du fonctionnaire. Toutefois, j’ai informé le fonctionnaire qu’il n’était pas nécessaire d’émettre une assignation à comparaître pour M. Jacques considérant que l’employeur avait confirmé par écrit son intention de le citer comme témoin.
[81] Je suis d’avis qu’une personne sensée, raisonnable et bien renseignée, qui examinerait les motifs de ma décision de refuser d’émettre les assignations à comparaître de manière réaliste et pratique conclurait à l’absence d’une crainte raisonnable de partialité envers le fonctionnaire.
V. Le fonctionnaire refuse de se présenter pour la continuation de l’audience
[82] Après avoir tranché les requêtes des parties, le fonctionnaire m’a informé qu’il ne se présenterait pas à la reprise de l’audience à 13 h, après l’heure du dîner, au motif que j’étais « clairement » partial à son égard. Ses arguments s’appuyaient sur ma décision d’accueillir la requête de l’employeur et de rejeter ses requêtes. En réponse à ce qui précède, et ce, avant d’ajourner l’audience pour l’heure du dîner, j’ai rappelé au fonctionnaire l’importance de sa présence à l’audience, notamment en raison du fardeau de la preuve qui lui incombait dans le présent dossier. De plus, j’ai indiqué qu’à la reprise de l’audience, à 13 h, j’entendrais d’abord les objections de l’employeur concernant la compétence de la Commission pour instruire les griefs. Par la suite, le fonctionnaire pourrait y répondre et présenter sa preuve. Le fonctionnaire a réitéré qu’il ne se présenterait pas à la reprise de l’audience.
[83] Le fonctionnaire ne s’est pas présenté à la reprise de l’audience. Devant cette situation, l’employeur m’a informé qu’il souhaitait présenter une requête en rejet pour abandon, outre ses requêtes en rejet de griefs pour manque de compétence de la Commission de les instruire. Avant d’entendre l’employeur, j’ai demandé au greffe de la Commission de déployer des efforts pour contacter le fonctionnaire afin de lui expliquer encore une fois les conséquences potentielles de son refus de se présenter à l’audience sur le traitement de ses griefs.
[84] À cet effet, le greffe a envoyé un premier courriel au fonctionnaire à 13 h 19, l’invitant à se présenter à l’audience et en insistant sur les conséquences potentielles de son refus d’y participer. Ce courriel a été suivi d’un appel téléphonique vers 13 h 23, qui est resté sans réponse par le fonctionnaire. Dans un dernier effort de convaincre le fonctionnaire de se présenter à l’audience, j’ai demandé au greffe de lui envoyer un autre courriel, ce qui a été fait à 14 h 28. L’extrait pertinent du courriel se lit comme suit :
[…]
Afin de donner au fonctionnaire le temps de réfléchir à sa volonté de poursuivre ses renvois à l’arbitrage et aux conséquences potentielles de sa non-participation, notamment le rejet de ses griefs pour faute de compétence ou pour abandon, le Commissaire a décidé d’ajourner l’audience au mardi 11 juin 2024 à 9h30. À cette date, la Commission examinera les objections préliminaires de l’employeur et toute autre requête que celui-ci pourrait formuler en réaction à l’absence du fonctionnaire à l’audience.
[85] Dans une lettre du 10 juin 2024, le fonctionnaire a accusé réception des courriels en question. Il a informé le greffe qu’il ne se présenterait pas à la reprise de l’audience prévue le mardi 11 juin 2024, à 9 h 30, aux motifs que j’ai « rejeté toutes [s]es requêtes légitimes » qu’il avait présentées et qu’il entreprendrait des démarches auprès de la Cour d’appel fédérale pour contester mes décisions. Le fonctionnaire a déposé une demande de contrôle judiciaire de mes décisions devant la Cour fédérale, dans le dossier T-1728-24.
[86] Le 11 juin 2024, à 9 h 30, l’employeur a présenté ses objections préliminaires quant à la compétence de la Commission d’instruire les griefs, ainsi qu’une requête en rejet pour abandon.
VI. Analyse et décision disposant de chaque grief
[87] L’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission d’entendre les griefs au motif que les mesures qui y sont contestées ne sont pas des mesures disciplinaires, mais plutôt des mesures administratives. De plus, l’employeur a soutenu que la Commission n’avait pas la compétence d’entendre le grief 1 et le grief 2 renvoyés à l’arbitrage le 2 juin 2022 au motif qu’ils avaient été renvoyés à l’arbitrage hors délai.
A. La Commission n’a pas la compétence pour instruire le grief 1 renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur le 28 février 2018
[88] Ce grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu des alinéas 209(1)a) et b) de la Loi par l’agent négociateur, avant que celui-ci ne refuse de continuer à représenter le fonctionnaire. Toutefois, pour les raisons expliquées précédemment, le renvoi à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, concernant l’allégation de discrimination en contravention à l’article 41 de la convention collective, a été fermé. En revanche, le renvoi en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, dont le libellé est le suivant, a poursuivi son cours malgré le retrait de la représentation par l’agent négociateur :
209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :
[…]
b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;
[…]
[89] L’employeur a fait valoir que la Commission n’avait pas la compétence d’entendre ce grief, renvoyé en vertu de l’alinéa 209(1)b), car il ne portait pas sur une mesure disciplinaire. Plus précisément, l’employeur a soutenu que la décision de l’employeur d’ordonner au fonctionnaire de se présenter au travail le lundi 21 août 2017, à Ottawa, sans pour autant l’autoriser à travailler à partir d’un bureau situé à l’extérieur d’Ottawa était de nature administrative et, par conséquent, ne pouvait pas être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.
[90] Je constate, à la lecture du grief, que le fonctionnaire n’y allègue pas une seule fois qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Je comprends que la restriction de circuler seul à Ottawa imposée au fonctionnaire l’avait initialement empêchée de reprendre ses fonctions et de percevoir un salaire. Je dis initialement, car le 13 octobre 2017, la cour a modifié cette restriction afin de permettre au fonctionnaire de travailler à partir de son bureau de l’administration centrale. Le fait qu’il n’ait pas pu retourner au travail le 21 août 2017 en raison de cette restriction ne signifie pas automatiquement qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée.
[91] Il incombait au fonctionnaire de me convaincre que le refus de l’employeur de l’accommoder en lui permettant de travailler à partir d’un bureau à l’extérieur de l’administration centrale était une mesure disciplinaire déguisée, visant à le punir. Or, en toute connaissance de cause, il a choisi de ne pas le faire. En effet, je note que lors de la présentation du grief au troisième palier, la représentante de l’agent négociateur a clarifié que le refus de l’employeur d’accommoder les restrictions du fonctionnaire de circuler seul à Ottawa constituait une suspension déguisée (voir réponse au 3e palier de la procédure de grief — 502329, 14 février 2018). À ce moment, le fonctionnaire était représenté par son agent négociateur.
[92] Le fardeau d’établir que ce refus constituait une mesure disciplinaire déguisée (c’est-à-dire une suspension déguisée) reposait sur le fonctionnaire (voir Lindsay, aux paragraphes 46 et 48; Wong, aux paragraphes 34 et 35; Bergey, au par. 37). Or, il ne s’en est pas acquitté. Bref, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve pour établir qu’il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée et réfuter l’objection de l’employeur selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour entendre ce grief.
[93] La décision d’ordonner à un employé de retourner au travail ou de refuser une demande de relocalisation n’est normalement pas considérée comme une mesure disciplinaire. Celles-ci sont normalement considérées comme des mesures administratives prises en vertu des droits de gestion de l’employeur.
[94] En effet, à la lecture du libellé du grief du 11 septembre 2017 et de la réponse au 3ᵉ palier de la procédure de règlement des griefs du 14 février 2018, il appert que l’employeur avait demandé au fonctionnaire de retourner au travail car, selon l’évaluation médicale indépendante, il était apte à reprendre ses fonctions sans limitation. Rien dans cette trame factuelle ne suggère qu’il s’agit d’une mesure punitive.
[95] De plus, le fait de refuser à un employé — qui, comme le soutient l’employeur dans ses plaidoiries, éprouve des difficultés de rendement et de comportement — de travailler ailleurs qu’à partir de son lieu de travail habituel ne démontre pas une intention punitive. Il est légitime pour la gestion de superviser de près un employé en difficulté afin de l’encadrer, de favoriser son amélioration et de garantir le bon fonctionnement de l’équipe et de l’organisation. Là encore, à première vue et en l’absence d’une preuve contraire, il s’agit d’une mesure administrative.
[96] En raison de ce qui précède, j’accepte les arguments de l’employeur selon lesquels sa demande voulant que le fonctionnaire retourne au travail, sans pour autant lui permettre de travailler d’un bureau situé à l’extérieur d’Ottawa n’avait pas pour objectif de le punir ou de le discipliner de quelque manière que ce soit.
[97] Par conséquent, considérant que ce grief vise une mesure administrative plutôt qu’une mesure disciplinaire, j’accueille l’objection de l’employeur et je rejette ce grief pour défaut de compétence de l’instruire.
B. La Commission n’a pas la compétence d’instruire le grief 1 et 2 renvoyés à l’arbitrage par le fonctionnaire le 2 juin 2022
[98] En ce qui a trait aux griefs 1 et 2 renvoyés à l’arbitrage le 2 juin 2022 par le fonctionnaire, alors qu’il n’avait plus l’appui de son agent négociateur, l’employeur a soutenu que la Commission n’avait pas la compétence pour les entendre pour deux raisons : premièrement, ils ne concernent pas une mesure disciplinaire; deuxièmement le fonctionnaire les a renvoyés à l’arbitrage hors délai.
[99] Comme déjà expliqué, le grief 1 a été renvoyé à l’arbitrage à deux reprises : une première fois par son agent négociateur, en 2018, et une seconde fois par le fonctionnaire, en 2022. Dans la section précédente, j’ai déjà conclu que la Commission n’avait pas compétence pour instruire le grief 1, puisqu’il ne visait pas une mesure disciplinaire. De surcroît, pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai déterminé que le grief 1, renvoyé à l’arbitrage pour une deuxième fois le 2 juin 2022, l’a été hors délai, tout comme le grief 2.
[100] Le fonctionnaire a renvoyé ces griefs à l’arbitrage le 2 juin 2022. Toutefois, dans le cas du grief 1, l’employeur a rendu sa décision au 3e palier de la procédure de règlement des griefs le 14 février 2018. En ce qui a trait au grief 2, l’employeur a produit une réponse au 3e palier de la procédure de règlement des griefs le 20 novembre 2018. Il s’ensuit que, comme le fait valoir l’employeur, le fonctionnaire avait largement dépassé le délai de 40 jours prescrit par le paragraphe 90(1) du Règlement pour renvoyer ces griefs à l’arbitrage. Le paragraphe 90(1) se lit comme suit :
90 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.
[101] En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, la Commission peut, par souci d’équité, proroger le délai prévu par la Partie 2 du Règlement ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage.
[102] La Commission applique le critère à cinq volets pour déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais, par souci d’équité. Ces volets sont les suivants : la justification du retard par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du retard; la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé; l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée; et les chances de succès du grief (voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, au par. 75).
[103] Dans sa demande de prorogation du délai du 13 juin 2022, le fonctionnaire n’a toutefois présenté aucune raison claire, logique ou convaincante justifiant pourquoi il avait attendu plusieurs années avant de renvoyer ces griefs à l’arbitrage. De plus, il n’a pas abordé les autres volets du critère établi dans Schenkman. Sa demande de prorogation du délai se limite à une simple reproduction de l’article 61 du Règlement. Or, il incombait au fonctionnaire de convaincre la Commission qu’une prorogation du délai était justifiée, par souci d’équité. Il ne l’a pas fait.
[104] Par conséquent, je rejette la demande de prorogation du délai présentée par le fonctionnaire, j’accueille l’objection de l’employeur et je rejette les griefs pour défaut de compétence.
[105] L’employeur a également demandé à la Commission de rejeter les griefs au motif qu’ils ne visent pas une mesure disciplinaire et que, par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour les entendre. Comme indiqué dans la section précédente, j’ai déjà rejeté le grief 1 pour ce motif.
[106] En ce qui concerne le grief 2, puisque j’ai conclu que la Commission n’avait pas compétence pour l’entendre en raison de son renvoi à l’arbitrage hors délai, il n’est pas nécessaire de déterminer si, en outre, il devrait aussi être rejeté au motif qu’il ne concerne pas une mesure disciplinaire.
C. Requête en rejet pour abandon
[107] En dernier lieu, l’employeur m’a demandé de rejeter les griefs au motif que le fonctionnaire les avait abandonnés.
[108] En raison de ma décision de rejeter les griefs pour manque de compétence, il n’est pas nécessaire que je tranche la requête en rejet pour abandon.
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VII. Ordonnance
[109] J’accueille les objections de l’employeur.
[110] Je rejette les griefs pour défaut de compétence.
Le 27 mars 2025.
Adrian Bieniasiewicz,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral