Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le plaignant a présenté une plainte à la Commission dans laquelle il a allégué que son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’il avait pris un temps excessif pour lui rembourser les dépenses qu’il avait engagées relativement à des activités organisées dans le cadre d’une semaine de sensibilisation. Il a laissé entendre que sa plainte portait sur la vendetta personnelle d’un membre de la direction de la section locale contre lui et un collègue, ce qui a abouti à la décision arbitraire de ne pas le rembourser dans les délais. Le défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte à titre préliminaire et sans audience sur le fond. Il s’est fondé sur trois motifs. Il a soutenu que la plainte portait sur des questions internes de l’agent négociateur, sur lesquelles la Commission n’a pas compétence. Il a également soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour ordonner la mesure corrective demandée, à savoir la révocation du trésorier de la section locale de son poste et la fourniture au président de la section locale d’une explication de ses responsabilités et obligations. Enfin, il a soutenu que la plainte devait être rejetée parce qu’elle était frivole, faite de mauvaise foi et qu’elle cherchait à le discréditer dans le contexte d’une autre plainte. Cette décision ne portait que sur la question de la compétence de la Commission à l’égard de l’objet de la plainte. La Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence parce que la plainte ne portait pas sur la représentation d’un agent négociateur dans le contexte des relations employé-employeur, ni sur une question assujettie à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2). La Commission a confirmé que les désaccords personnels concernant la gestion financière et les prétendues vendettas entre les membres d’une direction de la section locale ne relevaient pas du devoir de représentation équitable du défendeur. L’objection préliminaire du défendeur a été accueillie.
Objection préliminaire accueillie.
Plainte rejetée.
Contenu de la décision
Date : 20250328
Référence : 2025 CRTESPF 31
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral |
|
Entre
Ken Carter
plaignant
et
Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN)
Carter c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN)
Devant : Amélie Lavictoire, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant : Lui-même
Pour le défendeur : François Ouellette, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 9 et 14 novembre 2022, et les 25 novembre et 9 décembre 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
MOTIFS DE DÉCISION |
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Plainte devant la Commission
[1] En octobre 2022, Ken Carter (le « plaignant ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») dans laquelle il alléguait que son agent négociateur, le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN; le « défendeur » ou l’« agent négociateur »), avait manqué à son devoir de représentation équitable.
[2] Peu après, le défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte à titre préliminaire, sans tenir d’audience sur le fond. Il a invoqué trois motifs. Il a soutenu que la plainte porte sur des questions internes relatives à l’agent négociateur sur lesquelles la Commission n’a pas compétence. Il a également soutenu que la Commission n’a pas compétence pour ordonner la mesure corrective que le plaignant demande, à savoir la révocation du trésorier de la section locale du syndicat de son poste et la fourniture au président de la section locale du syndicat d’une explication de ses responsabilités et obligations. Enfin, il a soutenu que la plainte devrait être rejetée sans audience parce qu’elle est frivole, qu’elle a été déposée de mauvaise foi et qu’elle cherche à le discréditer dans le contexte d’une autre plainte, plus précisément celle d’une personne pour laquelle le plaignant agit à titre de représentant.
[3] Une audience sur cette affaire était prévue pour novembre 2024. À la suite d’une conférence préparatoire à l’audience tenue en octobre 2024, l’audience a été ajournée. La Commission a ordonné que l’objection du défendeur selon laquelle l’objet de la plainte ne relève pas de sa compétence soit tranchée en fonction des arguments écrits des parties, comme l’autorise l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365). La Commission a invité les parties à déposer des arguments écrits sur la question de la compétence de la Commission, c’est-à-dire sur la question de savoir si la plainte se rapporte à la représentation offerte par le défendeur. J’ai agi de la sorte parce que si je devais conclure que la Commission n’a pas compétence sur cette question, les autres motifs d’opposition du défendeur seraient sans objet.
[4] Un calendrier a été établi pour le dépôt des arguments écrits. Le plaignant a déposé une réponse à l’objection, et le défendeur a déposé une réponse peu après. Bien que le plaignant ait eu la possibilité de présenter une réfutation écrite, il ne l’a pas fait.
[5] Les présents motifs ne portent que sur la question de la compétence de la Commission à l’égard de l’objet de la plainte.
[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission n’a pas compétence. La plainte est rejetée.
II. Résumé des arguments écrits des parties
[7] Dans les paragraphes qui suivent, je résumerai brièvement les arguments écrits des parties dans la mesure où ces arguments éclairent la nature de la plainte et sont pertinents pour la décision de la Commission concernant l’objection de compétence du défendeur.
[8] La plainte déposée en 2022 porte sur des allégations selon lesquelles le défendeur aurait pris un temps excessif pour rembourser au plaignant les dépenses qu’il a engagées relativement à des activités organisées dans le cadre d’une semaine de sensibilisation à la gestion du stress lors d’incidents critiques.
[9] La plainte indique qu’en avril 2022, la direction locale du syndicat a adopté une proposition autorisant une contribution monétaire pour soutenir les activités tenues dans le cadre de la semaine de sensibilisation. La seule personne qui a voté contre la proposition était le trésorier de la section locale du syndicat.
[10] Après l’adoption de la proposition, le plaignant a été informé qu’il pouvait faire des achats pour appuyer la semaine de sensibilisation. Il serait remboursé par chèque. Il a fait des achats. Il a demandé le remboursement. Il n’a été remboursé qu’en octobre 2022. Sa plainte indique que la [traduction] « décision [du trésorier] de ne pas faire de chèque pour quelque chose qui a été adopté à juste titre par la direction est inacceptable [...] ».
[11] Sous la rubrique [traduction] « Autres questions pertinentes à la plainte » du formulaire de plainte, le plaignant fait référence à sa préoccupation concernant une prétendue utilisation abusive des fonds de l’agent négociateur dans le cadre d’un dossier impliquant une tierce partie. Cette autre question n’est pas liée à l’objet de la présente plainte, bien qu’elle soit indirectement liée à un thème général concernant la gestion de ces fonds par la direction locale du syndicat - et en particulier par son trésorier.
[12] La mesure corrective demandée dans la plainte comprend le fait que la Commission explique au président local ses responsabilités et obligations. Le plaignant demande également que le trésorier de la section locale du syndicat soit tenu de démissionner.
[13] Le 9 novembre 2022, le défendeur a répondu à la plainte. Comme il a été indiqué précédemment, il a demandé à la Commission de rejeter la plainte sans tenir d’audience, en soutenant que, entre autres, elle se rapporte à des questions internes relatives à l’agent négociateur, sur lesquelles la Commission n’a pas compétence. Selon le défendeur, l’objet de la plainte porte sur le temps qu’il a fallu au plaignant pour recevoir un chèque de l’agent négociateur après que la direction locale du syndicat a adopté la proposition. Son objet relève carrément des affaires internes de l’agent négociateur et n’a aucun rapport avec la relation entre les employés et leurs employeurs ou avec la représentation du plaignant devant son employeur. Il ne relève pas du devoir de représentation équitable du défendeur.
[14] Le défendeur s’est fondé sur les décisions suivantes : Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3; Bernard c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2020 CRTESPF 11; White c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 62; et Gilkinson c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2018 CRTESPF 62.
[15] Peu de temps après, le plaignant a déposé une réponse écrite dans laquelle il a décrit sa plainte comme étant liée au refus de rembourser les dépenses que la direction de la section locale de l’agent négociateur avait autorisées. Il a laissé entendre que le trésorier de la section locale du syndicat n’était pas d’accord avec la proposition autorisant les dépenses et qu’il a délibérément retardé le remboursement jusqu’à ce que des pressions externes soient exercées sur le trésorier. En ce qui concerne le trésorier, le plaignant a indiqué qu’il était [traduction] « [...] de mauvaise foi de ne pas s’acquitter de ses fonctions en tant que membre élu de la direction du syndicat ».
[16] Comme il a déjà été indiqué, en octobre 2024, les parties ont été invitées à présenter des arguments écrits sur la question de savoir si le plaignant avait fait valoir une cause défendable selon laquelle l’objet de sa plainte relève de la compétence de la Commission.
[17] Les arguments écrits du plaignant, déposés le 25 novembre 2024, sont brefs.
[18] Il soutient que sa plainte ne porte pas sur des questions internes relatives à l’agent négociateur. Bien qu’il ne l’affirme pas dans ces mots, il laisse entendre que sa plainte porte sur la vendetta personnelle d’un membre de la direction de la section locale du syndicat (c.-à-d. le trésorier) contre lui et un collègue. Il semble soutenir que cette vendetta a entraîné la décision arbitraire de ne pas le rembourser en temps opportun. Le fait que le défendeur ne l’ait pas remboursé en temps opportun a eu un impact financier sur lui.
[19] Si la Commission devait conclure que sa plainte porte sur des questions internes relatives à l’agent négociateur, le plaignant lui demande de reconnaître que certaines de ces questions doivent faire l’objet d’une surveillance par une autorité supérieure. Selon lui, une surveillance est nécessaire pour maintenir le décorum au sein de l’agent négociateur et pour s’assurer que ses cadres supérieurs sont tenus responsables de leurs actes.
[20] Dans ses arguments écrits du 9 décembre 2024, le défendeur soutient que la plainte ne porte pas sur sa représentation dans le cadre de la relation du plaignant avec son employeur ou sur une question visée par la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Il soutient que la jurisprudence de la Commission a reconnu deux critères pour que le devoir de représentation s’applique (voir Serediuk c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN), 2023 CRTESPF 71, au paragraphe 3) et que la présente affaire ne répond à ni l’un ni l’autre. Selon le défendeur, si les allégations du plaignant sont jugées vraies, elles tendent à démontrer seulement que les membres de la direction de la section locale du syndical avaient un conflit interpersonnel, ce qui a entraîné le retard à rembourser le plaignant.
III. Motifs
[21] Le défendeur soutient que la plainte devrait être rejetée sans tenir d’audience. Selon lui, la Commission n’a pas compétence, puisque la plainte ne porte pas sur la représentation d’un agent négociateur dans le contexte des relations employé-employeur, ni sur une question assujettie à la Loi.
[22] Je suis d’accord. Le libellé de la plainte et des arguments écrits subséquents du plaignant est clair. Il n’est pas d’accord avec la gestion des finances du syndicat local par la direction de ce même syndicat local – en particulier par le trésorier de la section locale du syndicat – et il estime que les actions du trésorier lui ont causé un préjudice financier, en sa qualité de membre de l’unité de négociation.
[23] Le devoir de représentation équitable ne s’applique que lorsqu’un agent négociateur représente un employé relativement à une question visée par une convention collective ou par la Loi et lorsque cette représentation concerne une question entre l’employé et son employeur (voir Serediuk, aux paragraphes 3 et 20).
[24] Les désaccords personnels au sujet de la gestion financière et les prétendues vendettas entre les membres de la direction d’une section locale d’un syndicat peuvent être perturbants et entraîner des dysfonctionnements au sein de cette direction. Aussi perturbantes et difficiles que puissent être ces situations pour les personnes concernées, de telles questions ne relèvent pas du devoir de représentation équitable du défendeur. La Commission n’a pas compétence pour intervenir, et une plainte relative au devoir de représentation équitable n’est pas le moyen par lequel ces questions peuvent être traitées.
[25] Il est bien établi dans la jurisprudence de la Commission que les questions qui se rapportent au fonctionnement interne d’un agent négociateur n’engagent pas les droits de représentation à l’égard d’un employeur. Par conséquent, les affaires internes de l’agent négociateur ou les différends interpersonnels ne relèvent pas du devoir de représentation équitable (voir, par exemple, Gilkinson, au paragraphe 20). Pour cette raison, la Commission a conclu à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas compétence sur les affaires internes des agents négociateurs (voir, entre autres, Sahota c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 114, Sturkenboom c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CRTFP 81, Hancock c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 51, et Serediuk).
[26] Cela ne veut pas dire que la Commission n’a aucune compétence sur les affaires internes des agents négociateurs. Le législateur lui a confié une compétence très étroite. Les seules questions sur lesquelles la Commission peut intervenir sont celles où il est allégué que les mesures disciplinaires prises par un agent négociateur contre l’un de ses membres étaient entachées de discrimination ou constituaient un déni de droits protégés par la Loi (voir l’article 188e) de la Loi; voir aussi, par exemple, Gilkinson, au paragraphe 16). Dans le présent cas, le plaignant n’a allégué ni l’un ni l’autre.
[27] Comme j’ai décidé que la Commission n’a pas compétence pour traiter la présente plainte en ce qui a trait aux questions internes relatives à l’agent négociateur, je n’aborderai pas l’objection du défendeur à l’égard de la compétence de la Commission en matière de réparation ni son argument selon lequel la plainte est frivole ou a été déposée de mauvaise foi.
[28] Je terminerai en répondant à la requête du plaignant à la Commission pour qu’elle surveille les questions qu’il décrit dans sa plainte. La Commission n’a que les pouvoirs que lui confère la Loi. Ces pouvoirs ne comprennent pas la surveillance ou l’application du décorum et de la responsabilité financière au sein des directions des sections locales du défendeur. Le plaignant pourrait fort bien juger cette réponse à sa requête insatisfaisante; cependant, c’est la seule réponse possible, compte tenu de la compétence et des pouvoirs de la Commission en vertu de la Loi.
[29] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
IV. Ordonnance
[30] L’objection préliminaire du défendeur est accueillie.
[31] La plainte est rejetée.
Traduction de la CRTESPF
Amélie Lavictoire,
une formation de la Commission des relations de
travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral