Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La plaignante a allégué que le défendeur ne l’avait pas aidée à obtenir des mesures d’adaptation pour son retour au travail en raison de harcèlement racial au travail et de représailles de la part de l’employeur. Le défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte pour quatre raisons, à savoir qu’elle avait été présentée hors délai, qu’elle ne relevait pas de la compétence d’une plainte relative au DRE, que la plaignante n’avait pas suivi la procédure d’appel interne et qu’elle n’avait présenté aucune cause défendable. La Commission a conclu que la plainte avait été présentée dans les délais. Les allégations portaient sur une tendance sous-jacente dans la représentation du défendeur. Les circonstances qui ont donné lieu à la plainte se sont cristallisées 90 jours avant qu’elle ne soit présentée. La Commission a conclu que l’objet de la plainte, qui demandait de l’aide pour traiter des questions relatives aux droits de la personne et au droit de retourner dans un milieu de travail sécuritaire, relevait de la compétence d’une plainte relative au DRE. La Commission a conclu que même si la plaignante avait interjeté appel à l’interne, elle n’était pas tenue de le faire en vertu de l’article 190(3) de la Loi. La Commission a conclu qu’il y avait une cause défendable selon laquelle le défendeur avait agi arbitrairement lorsqu’il avait omis d’aider la plaignante ou de se pencher sérieusement sur ses allégations selon lesquelles son employeur avait exercé des représailles et de la discrimination à son égard.
Objections rejetées.
Plainte devant être mise au calendrier pour une audience.
Contenu de la décision
Date: 20250515
Dossier: 561‑02‑49325
Référence: 2025 CRTESPF 26
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et |
|
entre
PLAIGNANTE X
plaignante
et
DÉFENDEUR Y
défendeur
Répertorié
Plaignante X c. Défendeur Y
Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral
Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Plaignante X
Pour le défendeur : Zakia Jahan, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 1er et 22 avril, les 6 et 29 mai,
le 22 juillet et les 8 et 13 août 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Plainte devant la Commission
[1] Plaignante X (la « plaignante ») a présenté une plainte en vertu de l’article 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). La plaignante a allégué que Défendeur Y (le « défendeur ») avait manqué à son devoir de représentation équitable (DRE) en vertu de l’article 187 de la Loi lorsqu’il ne l’avait pas aidée relativement à son retour au travail. Cela était après qu’une enquête entreprise par l’employeur a révélé qu’elle avait été victime de harcèlement fondé sur la race.
[2] Le contexte dans la présente affaire est important, donc je le résumerai brièvement. La plaignante, qui s’identifie comme une femme noire, revenait au travail après son congé de maternité. L’enquête de l’employeur a permis de conclure qu’une plainte de harcèlement qu’elle avait présentée en novembre 2021 était fondée en partie. Selon le défendeur, la conclusion était fondée sur des déclarations racistes proférées par des collègues qui avaient toléré l’utilisation d’une casquette « Make America Great Again » et qui avaient comparé un grand café à un « George Floyd ».
[3] George Floyd est l’homme noir dont le meurtre brutal par un policier blanc à Minneapolis, au Minnesota, aux États‑Unis, le 25 mai 2020, a été filmé et a amplifié un mouvement mondial pour la justice raciale. Cela comprenait des manifestations de Black Lives Matter dans l’ensemble des États‑Unis et du Canada. L’expression « Make America Great Again » est un slogan politique controversé des États‑Unis, qui a été popularisé récemment par le président américain Donald Trump et que certains considèrent comme raciste et anti‑Noir. Même si les commentaires et les actions de ses collègues ne visaient pas la plaignante, l’enquête de l’employeur a permis de conclure qu’elle avait été victime de harcèlement fondé sur la race.
[4] Après avoir été victime du harcèlement fondé sur la race, elle a demandé de l’aide à son agent négociateur, le défendeur, pour obtenir des mesures d’adaptation en matière de retour au travail, y compris une demande de mutation vers un lieu de travail éloigné du milieu de travail, où elle avait vécu les incidents décrits. Elle allègue qu’elle était en communication constante avec le défendeur, mais qu’il n’a rien fait pour l’aider ou pour contester les prétendues mesures de représailles du défendeur contre elle parce qu’elle avait signalé le harcèlement et avait ensuite tenté de retourner au travail. Elle a dit qu’elle souhaitait simplement travailler dans un endroit qui ne tolérait pas les remarques racistes au sujet des personnes noires.
[5] Le défendeur a répondu à cette plainte relative au DRE le 2 avril 2024. Il a demandé que la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») rejette sommairement la plainte en vertu de l’article 21 de la Loi au motif qu’elle est frivole, vexatoire et de mauvaise foi. Il a également soutenu que la plainte est hors délai et qu’elle ne relève pas de l’article 185 parce qu’il s’agit principalement d’une plainte contre l’employeur concernant la dotation et non les actions du défendeur. Enfin, il a soutenu qu’il avait fourni de l’aide et des conseils opportuns concernant le retour au travail de la plaignante et qu’elle n’avait donc pas établi une cause défendable selon laquelle il avait manqué à son DRE.
[6] Une formation de la Commission a été assignée à l’affaire, et les parties ont fourni les arguments supplémentaires qui leur avaient été demandés. La Commission a également demandé des précisions supplémentaires aux parties, y compris une copie du processus d’appel interne du défendeur, une copie d’un courriel mentionné dans les arguments du défendeur que l’agent des relations de travail (ART) avait envoyé à la plaignante le 15 décembre 2023 et un courriel que la plaignante avait envoyé au président du défendeur le 14 décembre 2023. Tous les documents demandés ont été fournis.
[7] La présente décision porte sur la question de savoir si la plainte relève de la compétence de la Commission, si elle a été présentée dans les délais impartis et s’il existe une cause défendable selon laquelle le défendeur a agi d’une manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.
[8] Après l’émission de la décision aux parties le 18 mars 2025, la plaignante a demandé une ordonnance de confidentialité pour protéger sa sécurité. Le défendeur ne s’est pas opposé à cette demande. La Commission a accordé l’ordonnance avec une lettre de décision après avoir examiné sa Politique sur la transparence et la protection de la vie privée et appliqué le critère énoncé dans Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25. Par conséquent, ni le nom de la plaignante ni le nom du défendeur ne sont mentionnés. De plus, le milieu de travail de la plaignante n’est pas identifié.
[9] Pour les motifs qui suivent, je rejette toutes les objections à la compétence. La plainte a été déposée dans les délais impartis; ses questions, qui concernent la demande d’aide du défendeur relativement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et à la discrimination, relèvent de la portée d’une plainte relative au DRE. J’ai conclu que l’article 190(3) de la Loi ne s’applique pas et n’a pas empêché la plaignante de présenter une plainte relative au DRE. De plus, la plaignante a établi une cause défendable selon laquelle il y a eu violation de l’article 187.
II. Résumé des faits allégués
[10] La plaignante a présenté sa plainte relative au DRE en cochant deux cases sur le formulaire de dépôt électronique de la Commission, la case « Pratique déloyale de travail », dans laquelle une série de pratiques déloyales de l’employeur sont énumérées, et la case « Représentation inéquitable par l’agent négociateur (syndicat) en vertu de l’article 187 ».
[11] Cette explication et la demande de mesure corrective ont été fournies pour étayer la plainte :
[Traduction]
Mon employeur [caviardé] a soudainement refusé mes documents médicaux et a affirmé que si je ne retournais pas dans un milieu de travail dangereux, je subirais une interruption de ma paye, un licenciement et que je perdrais mon emploi. J’étais en communication constante avec le syndicat et il ne m’a pas aidé du tout. J’ai été forcée de demander des heures de vacances jusqu’à ce que l’employeur [caviardé] me mute à un autre lieu de travail à une heure de ma résidence et que j’aie reçu un préavis de quelques jours concernant le changement.
Quelle mesure corrective est demandée? (maximum de 500 caractères) (obligatoire)
Je voudrais que le syndicat prenne réellement des mesures pour traiter l’abus de pouvoir de la part de [caviardé]. Je souhaite obtenir une aide pour corriger l’intimidation flagrante dont [caviardé] a fait preuve envers moi.
[12] La plaignante a allégué que les mesures qui avaient donné lieu à la plainte étaient survenues le 14 décembre 2023.
[13] La Commission a demandé des précisions concernant la lettre envoyée au président du défendeur le 14 décembre 2023.
[14] La plaignante a fourni le courriel suivant au président du défendeur, ainsi que la réponse du défendeur :
[Traduction]
Monsieur,
Je dépose un grief concernant l’aide que j’ai reçue de la part [du défendeur]. Je vais tenter de vous donner une ventilation de mes plaintes.
· J’ai récemment envoyé un courriel au c. div. concernant mes problèmes persistants en matière de racisme au sein de [caviardé] (vous avez connaissance personnelle à [l’ancien milieu de travail de la plaignante] de l’un de ces incidents). Mon courriel demandait un milieu de travail exempt de racisme flagrant. L’ASS de [l’ancien milieu de travail de la plaignante] a été consulté par le DREE et j’ai fourni au syndicat une preuve médicale concernant mon diagnostic médical. L’ASS fait entièrement fi de la preuve médicale fournie et ne m’offre pas non plus de consulter un autre médecin pour une évaluation indépendante. L’ASS affirme que je suis apte au travail alors qu’il fait entièrement fi des restrictions médicales demandées par mon équipe médicale.
· Le syndicat ne m’a donné aucune aide concernant la situation où le DREE a menacé de m’imposer une mesure disciplinaire en vertu du code de conduite et de mettre fin à ma rémunération si je ne retournais pas à [caviardé] et lorsqu’il a affirmé que je n’ai aucun diagnostic médical.
· On m’a donné un délai de moins de quatre jours pour décider entre deux postes différents qui sont à une heure de route. J’ai appris que deux autres membres de mon ancien détachement ont été mutés à des postes qui seraient beaucoup plus proches de ma résidence (30 minutes).
Je demande un examen approfondi de mon dossier et tout type d’aide que [le défendeur] peut fournir. Il semble que [caviardé] continue de s’en prendre à moi pour avoir signalé le racisme.
[Signé par la plaignante]
[15] Le défendeur a écrit à la plaignante le 14 décembre 2023, en affirmant ce qui suit : [traduction] « Merci de prendre le temps de nous faire part de vos préoccupations. Nous avons acheminé vos préoccupations à un échelon supérieur, soit au président [caviardé]. Tous mes meilleurs vœux […]. »
[16] L’ART a écrit à la plaignante le 15 décembre 2023, en indiquant que le fait que certains employés ont reçu des mutations latérales plus souhaitables constitue une question de dotation et un droit de la direction. Le défendeur a indiqué qu’il n’offrait pas de représentation relativement aux questions de dotation. L’ART a proposé un suivi avec l’employeur.
[17] La plaignante a allégué qu’elle attendait une réponse du président national du défendeur concernant son grief.
[18] Après plusieurs mois sans réponse du président national du défendeur, elle a présenté la présente plainte auprès de la Commission le 14 mars 2023.
III. Résumé de l’argumentation
A. Pour le défendeur
[19] Le défendeur a répondu à la plainte en présentant un contexte factuel, qui n’est pas nécessaire de résumer aux fins de l’analyse de la Commission.
[20] Le défendeur a présenté les quatre moyens de défense suivants contre la plainte :
[Traduction]
[…]
i. La plainte ne relève pas de la portée de l’article 185.
ii. La plainte ne présente aucune cause défendable.
iii. La plainte est hors délai.
iv. La plaignante n’a pas suivi la procédure d’appel interne […]
1. La plainte est hors délai
[21] Le défendeur affirme que la plaignante avait connaissance, au 27 novembre 2023, des mesures qui ont donné lieu à la plainte, à la lumière de sa correspondance avec l’agent des relations de travail (ART) du défendeur.
[22] Le 22 novembre 2023, l’ART a écrit ce qui suit :
[Traduction]
[…]
3. Si les tentatives à un lieu de rechange sont refusées, je vous avertis que vous pourriez être ordonnée de retourner travailler à [caviardé] ou à un emplacement particulier. Nous ne pouvons pas garantir que vous ne serez pas confrontée aux conséquences d’une mesure disciplinaire en vertu du code de conduite ou de l’arrêt de la rémunération et de l’indemnité pour absence non autorisée pour avoir refusé de retourner au travail en raison d’un incident unique de harcèlement. Cela ne vise pas à minimiser votre expérience, mais les processus de [caviardé] ont examiné la situation et ont offert des recommandations pour restaurer le milieu de travail et la personne qui a proféré les commentaires a fait l’objet d’une mesure disciplinaire.
4. Si vous retournez à [caviardé] et que le harcèlement se poursuit, ou si d’autres doivent être traités, vous devriez déposer une autre plainte contre ces personnes.
[…]
[23] En réponse au courriel de l’ART du 22 novembre 2023, la plaignante a écrit ce qui suit le 27 novembre 2023 :
[Traduction]
[…]
Je tiens simplement à confirmer que le syndicat fait fi de mes documents médicaux et qu’il permet à [l’employeur] de menacer de me congédier? Il semble que le syndicat ne me représente pas du tout. À ce stade, j’ai discuté avec mon propre avocat et il a convenu que, légalement, [l’employeur] ne peut pas faire fi de mes documents médicaux et de mon diagnostic médical.
Si le syndicat fait fi de mes documents médicaux, pouvez‑vous me le faire savoir, car je vais probablement devoir payer un avocat à mes propres frais et déposer une action pour devoir de représentation équitable.
[…]
[24] Puisque la plaignante savait que le défendeur ne l’aidait pas au 27 novembre 2023, elle aurait dû présenter sa plainte au plus tard le 25 février 2024. Elle a plutôt présenté sa plainte le 14 mars 2024, ce qui était en dehors du délai de 90 jours prévu par la loi pour le faire. Par conséquent, elle devrait être rejetée pour ce seul motif.
2. La plainte ne relève pas de la compétence de la Commission
[25] Le défendeur a allégué que, puisque la plainte fait référence à un présumé milieu de travail toxique, le refus de la plaignante d’y retourner et les problèmes en matière de dotation, elle outrepasse la portée d’une plainte d’une plainte relative au DRE.
3. La plaignante n’a pas suivi le processus d’appel interne
[26] Le défendeur soutient que la plainte doit être rejetée parce que la plaignante n’a pas utilisé sa Politique sur la représentation, dont l’article 11.3.1 dispose que les membres doivent interjeter appel d’une décision du défendeur auprès du président du défendeur. Le défendeur allègue que la plaignante est donc empêchée de poursuivre sa plainte en vertu de l’article 190(3) de la Loi.
B. Pour la plaignante
[27] En réponse à l’allégation du défendeur selon laquelle les questions soulevées ne relèvent pas de la portée d’une plainte relative au DRE, la plaignante a fait remarquer que l’enquêteur avait conclu que les incidents en milieu de travail satisfaisaient à 3 des 13 motifs de harcèlement en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6) – race, origine ethnique et couleur. Elle a fait remarquer qu’elle avait besoin d’aide pour retourner dans un milieu sécuritaire, en fonction du traitement qu’elle avait reçu précédemment. Elle a soutenu que le défendeur était tenu de l’aider.
[28] La plaignante a soutenu que le défendeur n’avait rien fait pour l’aider. Il a plutôt laissé l’employeur menacer de la congédier pour avoir signalé du racisme. Elle a allégué que le défendeur avait permis à l’employeur de prendre des mesures de représailles contre elle en menaçant d’arrêter sa rémunération et même de la licencier si elle ne retournait pas au travail.
[29] La plaignante a allégué que les problèmes relatifs au retour au travail auxquels elle avait été confrontée étaient liés aux droits de la personne et constituaient des problèmes organisationnels.
[30] La plaignante a allégué que le défendeur avait laissé l’employeur la menacer de la congédier parce qu’elle avait signalé du racisme en milieu de travail. Après avoir présenté 250 heures de congé annuel lorsque l’employeur a refusé son diagnostic médical, on lui a donné l’option d’être mutée à un endroit à une heure de route de chez elle.
[31] La plaignante a en outre fait remarquer qu’elle avait besoin d’aide de la part du défendeur pour retourner au travail et qu’il était tenu de l’aider.
[32] La plaignante a allégué que son problème était un [traduction] « […] problème relatif aux droits de la personne et un problème organisationnel […] ».
[33] En réponse à l’affirmation selon laquelle elle aurait dû recourir au processus d’appel interne, la plaignante a soutenu qu’elle n’en avait pas connaissance. Elle allègue qu’on lui a dit de communiquer avec le président du défendeur, ce qu’elle a fait.
C. La contre‑preuve du défendeur
[34] Le défendeur a répondu en invoquant ses arguments du 2 avril.
[35] Le défendeur a fait remarquer que la plainte, au fond, concerne le retour au travail de la plaignante, ce qui constituait une question de dotation qui outrepasse la portée du DRE.
[36] En réponse à l’allégation de la plaignante selon laquelle elle n’était pas au courant du processus d’appel interne, le défendeur a fait remarquer qu’elle avait reçu une copie de la Politique sur la représentation et des renseignements sur le processus d’appel en novembre 2023. De plus, son grief au président national le 14 décembre 2023 ne constituait pas un appel; elle a demandé ce que le défendeur pouvait faire pour elle. Elle n’a pas interjeté appel de sa décision.
IV. Arguments écrits supplémentaires
[37] Le 25 juin 2024, la Commission a demandé des arguments supplémentaires sur les questions suivantes :
– Les questions soulevées dans la plainte relèvent‑elles de la portée de l’article 185 de la Loi?
– La plainte a‑t‑elle été présentée dans les délais impartis?
– Comment l’article 190(3) de la Loi s’applique‑t‑il dans le contexte particulier de la présente plainte?
– La plainte divulgue‑t‑elle une cause défendable?
A. Pour le défendeur
[38] Le défendeur a soutenu que, selon le libellé de la plainte et de la lettre envoyée à son président le 14 décembre, la principale préoccupation de la plaignante concerne la mesure prise par l’employeur, et non ses mesures. Puisque les articles 185 et 187 de la Loi portent sur les mesures prises par un agent négociateur, la plainte ne relève pas de la portée de la Loi.
[39] Le défendeur a cité Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2008 CRTFP 3, pour étayer sa thèse selon laquelle « […] le devoir de représentation juste vise les actions de l’agent négociateur concernant les rapports qu’un employé de l’unité de négociation peut avoir avec l’employeur […] ».
[40] En ce qui concerne le respect des délais de la plainte, le défendeur a ajouté que l’article 190(2) de la Loi exige qu’une plainte soit présentée dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu ou, selon la Commission, aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.
[41] La plaignante indique le 13 décembre comme la date applicable qui a donné lieu à la plainte, mais cette date est inexacte, car elle s’était déjà plainte concernant les mesures prises par l’employeur le 27 novembre 2023. Par conséquent, la date limite était le 26 février 2024. Subsidiairement, elle aurait dû en avoir connaissance le 29 novembre 2023, lorsqu’elle a été informée qu’il n’y aurait aucune représentation juridique à l’égard de son dossier.
[42] En ce qui concerne l’application de l’article 190(3)b) de la Loi à la présente plainte, le défendeur a reconnu que cette disposition ne s’appliquait pas nécessairement aux affaires découlant de l’article 187. Toutefois, Markey c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 36, souligne que l’existence d’un processus d’appel interne, et l’omission d’un plaignant de l’utiliser constitue un facteur pour décider si un agent négociateur a agi de manière arbitraire.
[43] Dans le présent cas, le défendeur fait valoir que la plaignante ne s’est pas dûment prévalue de son processus d’appel interne avant de présenter la plainte.
[44] En ce qui concerne le cadre de la cause défendable, le défendeur a ajouté une référence à Sganos c. Association canadienne des agents financiers, 2022 CRTESPF 30. Il a également fait remarquer que le droit à la représentation n’est pas absolu et qu’une plainte auprès de la Commission ne constitue pas un appel contre la décision d’un agent négociateur de ne pas fournir une représentation (voir Mongeon c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2022 CRTESPF 24).
[45] Le défendeur a invoqué principalement ses propres allégations, plutôt que celles de la plaignante, pour faire valoir qu’elle n’avait pas présenté une cause défendable du caractère arbitraire. Il a soutenu qu’elle n’avait présenté aucune allégation permettant d’établir de la discrimination. Enfin, en ce qui concerne la mauvaise foi, il a soutenu que la plaignante n’avait pas présenté une cause défendable d’hostilité personnelle ou de conduite vexatoire ou malveillante de sa part à son égard (voir Barrett c. Association canadienne des employés professionnels, 2023 CRTESPF 66).
B. Pour la plaignante
1. En ce qui concerne la question de la compétence
[46] La plaignante a soutenu qu’il ne s’agissait pas d’une question de dotation, mais d’une question concernant les droits de la personne.
[47] Elle a fait remarquer qu’elle est une personne noire et a allégué qu’elle travaillait dans un environnement qui tolérait des remarques racistes à l’égard des personnes noires.
[48] Elle a fait valoir qu’elle souhaitait aller au travail en sachant que les remarques racistes seraient immédiatement dénoncées.
[49] Elle a répété que le défendeur n’avait pas tenu les gens responsables de remarques racistes et qu’elle devait simplement continuer de travailler avec eux.
2. En ce qui concerne la question du respect des délais
[50] La plaignante a soutenu qu’elle attendait la réponse du président du défendeur à son grief. Elle a dit que le seul courriel qu’elle avait reçu au sujet de l’aide du défendeur était celui provenant de son président. Après plusieurs mois sans recevoir de réponse, elle a présenté la présente plainte.
[51] Elle a soutenu que les courriels démontraient que le défendeur n’avait vraiment rien fait pour l’aider.
3. En ce qui concerne la question relative au processus d’appel du défendeur
[52] La plaignante a soutenu qu’elle ne savait pas comment le processus d’appel interne empêcherait le défendeur de l’aider.
[53] La plaignante a fait valoir qu’elle cherchait de l’aide auprès du défendeur afin de ne pas être congédiée pour avoir signalé du racisme.
[54] Elle a demandé s’il était équitable de faire fi à sa demande et de prendre aucune mesure pour l’aider.
4. En ce qui concerne la question relative à une cause défendable
[55] La plaignante a soutenu que le défendeur n’avait pris aucune mesure pour l’aider, autre que d’envoyer des courriels sans prendre de mesures réelles.
[56] La plaignante a fait valoir que le défendeur s’était rangé du côté de l’employeur et qu’il refuse même de reconnaître le grief qu’elle a déposé auprès de son président national.
[57] La plaignante a soutenu qu’elle était une dénonciatrice qui avait dénoncé une organisation sans responsabilité, sans aucune aide de la part du défendeur.
[58] Elle a dit qu’elle souhaiterait savoir comment un agent négociateur peut ne prendre aucune mesure pour aider une personne à gérer une question relative aux droits de la personne.
C. La contre‑preuve du défendeur
[59] La contre‑preuve du défendeur a, en grande partie, répété et invoqué ses arguments précédents déposés le 22 juillet 2024.
[60] En ce qui concerne l’épuisement du processus d’appel interne, le défendeur a fait remarquer que le courriel de la plaignante à l’intention du président national du défendeur visait principalement à demander une aide supplémentaire du défendeur, et non à interjeter appel d’une décision ou d’une mesure interne du défendeur, ce qui est requis par le paragraphe 11.3.1 de la Politique sur la représentation du défendeur.
[61] En ce qui concerne le respect des délais, le défendeur a soutenu que l’allégation de la plaignante selon laquelle elle attendait une réponse du président du défendeur et qu’elle ne savait pas où présenter la plainte est malhonnête, car dès le 27 novembre 2023, elle a déclaré qu’elle avait l’intention de présenter une plainte relative au DRE.
[62] En réponse à l’allégation de la plaignante selon laquelle le défendeur n’a pris aucune mesure pour l’aider, il a fait valoir que des conseils opportuns et utiles avaient été fournis tout au long du processus de retour au travail par l’un de ses ART. Le défendeur a cité Osman c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, 2020 CRTESPF 40, au par. 20, pour souligner qu’un employé en désaccord avec son agent négociateur ne permet pas d’établir un manquement au DRE.
V. Motifs
[63] Dans sa plainte, la plaignante allègue que le défendeur a commis une pratique déloyale de travail lorsqu’il a refusé de l’aider relativement aux problèmes liés au retour au travail à la suite d’une enquête de l’employeur qui avait permis de conclure qu’elle avait été victime d’un harcèlement fondé sur la race en milieu de travail.
[64] Cependant, la présente décision ne fait aucune détermination quant au fond, puisque j’ai décidé qu’il serait préférable de procéder d’abord au moyen du cadre de la cause défendable. S’il n’existe aucune cause défendable, alors l’affaire ne peut pas procéder quant à son bien‑fondé.
[65] Le défendeur a également soulevé trois autres objections, notamment concernant ma compétence au motif du respect des délais et concernant une allégation selon laquelle le sujet de la plainte outrepasse la compétence de la Commission. Selon la dernière objection, la plaignante n’a pas épuisé le processus d’appel interne. Il a également soutenu que la plainte est frivole, vexatoire et de mauvaise foi et qu’elle devrait être rejetée sommairement en vertu de l’article 21 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, mais il n’a présenté aucun argument particulier pour étayer cet argument. Étant donné qu’en fin de compte j’ai conclu que la plaignante avait établi une cause défendable, je conclus que cet argument n’est pas fondé. Je vais commencer en mettant l’accent sur l’objection relative au respect des délais, puis j’aborderai les autres objections, y compris la raison pour laquelle la plaignante a établi une cause défendable.
A. Respect des délais : la plainte a été présentée dans les délais impartis
[66] En vertu de l’article 190(2) de la Loi, une plainte en vertu de l’article 190(1) doit être présentée à la Commission dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.
[67] Il s’agit d’un délai strict. En l’absence de circonstances exceptionnelles ou inhabituelles, la Commission ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour le proroger (Beaulieu c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2023 CRTESPF 100, au par. 41). Le seul pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission consiste à déterminer quand la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte. Il s’agit d’une décision purement factuelle fondée sur un examen minutieux des faits.
[68] De plus, la jurisprudence de la Commission sur la question de savoir si le processus d’appel interne existant d’un syndicat peut reporter le délai de 90 jours est divergente.
[69] Des cas récents tels que Dundas c. Association canadienne des employés professionnels, 2024 CRTESPF 55; Nemish c. King, Walker et Syndicat des employées et employés nationaux (Alliance de la Fonction publique du Canada), 2020 CRTESPF 76; et Esam c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employées et employés nationaux), 2014 CRTFP 90, au par. 32, renforcent le fait que le délai prévu par la loi en vertu de l’article 190(2) a été adopté par le Parlement et ne laisse absolument aucune marge de manœuvre pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Si le Parlement avait souhaité proroger le délai, compte tenu du processus d’appel interne existant, il aurait pu le faire.
[70] De plus, les tentatives visant à ce que le syndicat change d’avis ne prorogent pas le délai.
[71] D’autres cas comme Renaud laissent entendre que, dans des circonstances où le syndicat exige que les membres épuisent un processus d’appel, le délai de 90 jours ne peut logiquement commencer à courir qu’après l’épuisement du processus d’appel. En effet, des décisions comme Renaud et Markey (dans une remarque incidente) concluent que le délai de 90 jours est reporté ou ne peut être déclenché avant l’aboutissement du processus d’appel interne.
[72] Je souscrirais aux commentaires de la Commission dans Dundas au paragraphe 34 selon lesquels Renaud et Markey « ont mal interprété le libellé clair et sans ambiguïté de la Loi » lorsqu’elle laisse entendre que le délai prévu à l’article 190(2) ne commence pas à courir dans les cas où le plaignant a eu recours au processus d’appel interne du syndicat. En tant que création de la loi, la Commission est liée par le délai strict prévu à l’article 190(2) qui ne mentionne aucun processus d’appel interne.
[73] Cependant, la Commission est tenue d’examiner tous les faits et de déterminer quand la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. Cela nécessite de déterminer la nature essentielle de la plainte.
[74] La plainte concerne le manquement continu du syndicat à l’aider concernant la mesure d’adaptation en matière de retour au travail à la suite d’une conclusion selon laquelle elle a été victime d’un harcèlement fondé sur la race. La plaignante indique ce qui suit dans sa plainte :
[Traduction]
Mon employeur, [caviardé], a soudainement refusé mes documents médicaux et a affirmé que si je ne retournais pas dans un milieu de travail dangereux, je subirais une interruption de ma paye, un licenciement et je perdrais mon emploi. J’étais en communication constante avec le syndicat et il ne m’a pas aidé du tout. J’ai été forcée de demander des heures de vacances jusqu’à ce que [caviardé] me mute à un autre lieu de travail à une heure de ma résidence et que j’aie reçu un préavis de quelques jours concernant le changement.
[75] Par conséquent, comme dans le cas de Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100, au par. 22 (confirmé en contrôle judiciaire dans 2011 CAF 98), je conclus que les allégations de la fonctionnaire s’estimant lésée font référence à une tendance cumulative concernant la représentation qui a contrevenu à la Loi. Par conséquent, je dois décider si la plaignante avait connaissance de cette tendance pendant la période de 90 jours et cerner tout événement déclencheur ou cristallisant.
[76] La plainte a été déposée le 14 mars 2024. Quatre‑vingt‑dix (90) jours avant cette date est le 15 décembre 2023. Par conséquent, si la plaignante avait connaissance de cette tendance avant le 15 décembre 2023, sa plainte est hors délai.
[77] Je commence mon examen de la question du respect des délais en examinant le document introductif d’instance que la plaignante a déposé. Tous les plaignants qui affirment que leur agent négociateur a commis une pratique déloyale de travail en manquant à son DRE doivent remplir un formulaire par voie électronique et fournir des détails sur la nature de la plainte et la mesure corrective demandée.
[78] Le formulaire est court et assez simple et comporte une section à remplir au moyen des coordonnées de la partie déposante et le formulaire de plainte réel, sur lequel la partie déposante doit préciser la nature de la plainte, l’entité contre laquelle elle est déposée (c.‑à‑d. employeur par rapport à l’agent négociateur) et fournir des détails décrivant l’événement, les mesures ou les circonstances qui ont donné lieu à la plainte.
[79] Vers la fin du formulaire, il y a une exigence de fournir la date à laquelle la partie déposante a eu connaissance de la mesure, de l’omission ou de toute autre situation ayant donné lieu à la plainte.
[80] À l’origine, la plaignante a indiqué cette date comme étant le 14 décembre 2023.
[81] La plaignante a également indiqué « Non » en réponse à la question de savoir si l’agent négociateur avait fourni à la partie déposante une copie de la décision sur le grief ou l’appel.
[82] Juste en dessous, dans la case qui indique : [traduction] « Si non [c.‑à‑d. si aucune copie de la décision n’a été fournie], à quelle date la plainte ou l’appel a‑t‑il été présenté? », la plaignante a indiqué le 14 décembre 2023 comme la date à laquelle la plainte ou l’appel a été présenté.
[83] Les parties ne contestent pas que, le 14 décembre 2023, la plaignante a écrit au président du défendeur. Le différend porte sur la question de savoir si le délai devrait commencer à courir à partir du 14 décembre 2023, du 29 novembre ou à une autre date.
[84] Il n’y a également aucun différend sur le fait que la plaignante a écrit à l’ART le 13 décembre au sujet de sa récente découverte que d’autres membres avaient été mutés à un lieu de travail plus près de leur domicile et demandant si l’ART pouvait faire quelque chose à ce sujet.
[85] Lorsque la Commission a demandé au défendeur de fournir la réponse de l’ART au courriel du 13 décembre, il a fourni une copie du courriel de l’ART du 15 décembre dans lequel l’ART avait conclu que le défendeur n’avait aucune représentation relative aux affaires concernant la dotation. L’ART a fait remarquer qu’il s’agissait du droit de gestion de l’employeur de doter les postes à sa discrétion, donc elle pouvait communiquer avec son « CDRA » pour discuter des options. Il n’y a aucune explication quant à ce que signifie l’acronyme « CDRA », mais il ne s’agit pas de l’agent négociateur.
[86] La plaignante a fourni de faibles arguments concernant la question du respect des délais. Cependant, elle a fait remarquer dans ses arguments supplémentaires qu’elle attendait la réponse du président du défendeur à son courriel du 14 décembre 2023. En réponse à l’argument du défendeur selon lequel la plainte était hors délai, elle a soutenu qu’elle avait attendu plusieurs mois et qu’elle avait finalement déposé sa plainte après n’avoir reçu aucune réponse du président du défendeur.
[87] Le défendeur a fait valoir que le 27 novembre, la plaignante avait déjà porté plainte auprès de l’ART du défendeur pour son omission de l’aider. Subsidiairement, la dernière date à laquelle la plaignante aurait dû avoir connaissance des mesures ayant donné lieu à la plainte était le 29 novembre, lorsqu’elle a été informée qu’elle ne bénéficierait d’aucune représentation juridique pour ses problèmes de retour au travail et qu’elle a été informée de son droit d’interjeter appel de la décision auprès de son président national dans les 14 jours.
[88] De plus, le défendeur a soutenu que le courriel de la plaignante du 14 décembre 2023 à son président national ne constituait pas un appel dûment déposé contre la décision du défendeur de ne pas la représenter.
[89] Je ne suis pas du même avis.
[90] Selon un examen de la correspondance entre l’agent des relations de travail du défendeur et la plaignante, je conclus que le courriel envoyé à l’ART le 14 décembre 2023 constituait un appel de la décision du défendeur.
[91] Même si la plaignante a utilisé le terme « grief », plutôt que « appel », et qu’elle n’avait peut‑être pas été pleinement au courant des mécanismes du processus d’appel interne, il est évident d’après le contenu de la communication qu’il s’agissait d’une tentative d’interjeter appel de la décision du défendeur de lui refuser une représentation juridique concernant son dossier et d’obtenir de l’aide relativement aux problèmes liés à son retour au travail et à ses mesures d’adaptation en déposant un grief. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, l’existence d’un processus d’appel ne reporte pas délai en vertu de l’article 190(1). Il s’agit simplement d’un facteur pour déterminer la date à laquelle la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.
[92] Le 29 novembre, la plaignante a été informée que le défendeur ne lui fournirait pas une représentation juridique pour ses problèmes de retour au travail et qu’elle pouvait interjeter appel de cette décision auprès de son président national. Le 29 novembre, elle a répondu à l’ART du défendeur pour confirmer sa compréhension selon laquelle le défendeur ne lui fournirait aucune aide.
[93] Je conclus également que le courriel du 29 novembre de l’ART, indiquant que le défendeur ne fournirait aucune représentation juridique, ne constituait pas une fin aux circonstances qui avaient donné lieu à la plainte. L’ART a expressément indiqué que la décision pouvait faire l’objet d’un appel.
[94] Dans le courriel du 14 décembre de la plaignante au président du défendeur, elle indique qu’elle [traduction] « […] dépose un grief concernant l’aide que j’ai reçue du défendeur ». Dans le troisième paragraphe, elle attaque clairement l’inaction présumée du défendeur, notamment sa prétendue omission de l’aider lorsque l’employeur a menacé [traduction] « […] [d]’imposer une mesure disciplinaire en vertu du code de conduite et de mettre fin à [sa] rémunération […] » à moins qu’elle ne retourne à son ancien lieu de travail. Dans l’avant‑dernière phrase du courriel, elle affirme qu’elle demande un [traduction] « examen approfondi » de son dossier et [traduction] « tout type d’aide » que le défendeur peut fournir. Il ne s’agissait pas d’une demande d’aide passe‑partout du défendeur; il s’agissait d’une tentative de contester l’omission de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à son égard et d’obtenir de l’aide concernant les problèmes liés au retour au travail.
[95] Le défendeur a répondu au grief le 14 décembre 2023, en l’informant qu’il transmettrait ses préoccupations à l’échelon supérieur, soit à son président national.
[96] L’ART a répondu le 15 décembre 2023 au courriel de la plaignante du 13 décembre. En réponse à la préoccupation de la plaignante selon laquelle elle était traitée différemment de ses collègues en ce qui concerne sa demande de mesures d’adaptation, l’ART a fourni une réponse. L’ART a fait remarquer que le défendeur n’avait pas de représentation en dotation et a proposé qu’elle recherche un autre recours.
[97] Étant donné la formulation claire de la plainte et le nombre d’échanges entre la plaignante et le défendeur, je conclus qu’il n’existe aucune mesure seule qui a donné lieu à la plainte, mais plutôt un ensemble de circonstances – au pluriel – concernant la présumée omission de l’agent négociateur de lui fournir une aide quelconque concernant ses problèmes de retour au travail.
[98] Le dictionnaire Oxford en ligne définit les circonstances comme des faits ou des conditions liées à un événement ou à une action ou qui y sont pertinents.
[99] Dans le présent cas, la plaignante n’allègue pas des circonstances qui constituent un événement ou une situation unique. Elle allègue une tendance de la part du syndicat au fil du temps de refuser de lui fournir une aide quelconque et de ne pas prendre au sérieux ses préoccupations concernant des représailles et de la discrimination raciale de la part de son employeur dans le cadre du processus relatif aux mesures d’adaptation. Par conséquent, comme dans Boshra, au par. 22, j’ai conclu que les allégations de la plaignante se rapportent à une tendance sous‑jacente dans la représentation fournie par le défendeur. En conséquence, en examinant la plainte de manière holistique, une décision a été prise sur le moment où la connaissance de cette tendance s’est cristallisée.
[100] Le défendeur indique dans ses arguments que la communication entre la plaignante et lui concernant les problèmes liés au retour au travail et à la dotation a eu lieu sur une période de plusieurs mois, notamment entre mars et novembre 2023. La plaignante allègue qu’elle était en communication constante avec le syndicat et qu’il n’a rien fait pour l’aider. La plainte ne précise pas la période exacte à laquelle elle fait référence.
[101] Selon les arguments, je conclus que les circonstances donnant lieu à la plainte selon lesquelles le syndicat a fait preuve d’une tendance d’omission de l’aider comprennent les éléments suivants :
· Le 22 novembre, en réponse à la plaignante, l’ART a écrit que la plaignante pourrait être confrontée à une mesure d’adaptation en vertu du code de conduite, à un arrêt de rémunération et d’indemnité si elle refusait les tentatives de l’employeur de lui offrir un autre lieu et refusait de retourner au travail en raison de ce qu’il considérait comme un incident unique de harcèlement.
· Le 28 novembre, en réponse au courriel de la plaignante selon lequel elle avait jusqu’à vendredi pour décider si elle déménage sa famille pour un emploi à des heures de route, l’ART a demandé s’il y avait des changements dans son profil médical et a demandé à examiner les documents.
· Le défendeur a communiqué le 29 novembre qu’il ne fournirait aucune représentation juridique concernant ses problèmes de retour au travail. La plaignante a demandé et reçu des éclaircissements sur la position du défendeur le 29 novembre 2023, selon laquelle il n’offrait aucune représentation concernant les affaires liées à la dotation. Le défendeur a orienté la plaignante vers l’épuisement d’un processus d’appel interne si elle ne souscrivait pas à la décision.
· La plaignante a envoyé une demande à l’ART le 13 décembre 2023, indiquant qu’elle avait reçu des informations selon lesquelles d’autres employés recevaient des mutations latérales plus près de chez eux et demandant au défendeur s’il pouvait faire quelque chose à ce sujet.
· La plaignante a déposé un « grief » auprès du président national concernant l’omission de l’employeur de lui fournir une mesure d’adaptation, l’omission du défendeur de l’aider dans le cadre du processus de mesure d’adaptation, soulevant de nouvelles questions de traitement différentiel en matière de dotation.
· L’ART du défendeur a répondu le 15 décembre 2023 au courriel de la plaignante du 13 décembre en indiquant que le défendeur n’offrait pas une représentation concernant les affaires de dotation et que les chances de succès d’un grief n’étaient pas élevées.
· Le président national n’a répondu ni à son grief ni à son appel.
[102] Je souscris à la conclusion de la Commission dans Dundas selon laquelle la tâche consiste à déterminer quand la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte. L’existence d’un processus d’appel interne n’étend pas la détermination du moment où la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte. Toutefois, il s’agit d’un facteur pour déterminer quand la plaignante a eu connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.
[103] Dans sa plainte, la plaignante a indiqué qu’elle avait eu connaissance de la mesure ayant donné lieu à la plainte le 14 décembre 2023. En réponse à la question de savoir si elle a reçu une réponse à son grief ou à son appel, elle coche « Non ».
[104] L’employeur allègue que la plaignante aurait dû avoir connaissance des mesures donnant lieu à la plainte au plus tard le 29 novembre 2023, date à laquelle le défendeur a indiqué qu’il ne lui fournirait aucune représentation juridique concernant ses problèmes de retour au travail.
[105] Je conclus que la plaignante avait connaissance des circonstances donnant lieu à la plainte le 15 décembre lorsque, à la suite de nouveaux renseignements reçus par la plaignante le 13 décembre, l’ART a offert une explication sur les raisons pour lesquelles le syndicat ne pouvait même pas examiner la raison pour laquelle certains fonctionnaires obtenaient des mutations latérales plus près de chez eux et qu’elle n’obtenait pas de telles mutations. Je conclus que la décision du défendeur de ne pas représenter la plaignante sur ce qu’il a jugé être une question de dotation, même si la plaignante semblait proposer une tendance de traitement différentiel, constitue un élément intégral de la plainte qui a finalement été déposée.
[106] Je ne conclus pas que la plaignante aurait dû connaître les circonstances le 27 novembre, car elle a répondu par écrit en demandant une confirmation de la part du défendeur quant à savoir si elle l’aiderait ou non. La réponse de l’ART du 29 novembre 2023 l’a clairement orientée vers le président du défendeur, lui proposant qu’elle pourrait y trouver de l’aide, sous la forme d’un appel. De plus, la communication avec l’ART s’est poursuivie, la plaignante soumettant de nouvelles questions pour lesquelles elle avait demandé l’aide de l’agent négociateur.
[107] Par conséquent, je conclus que la plaignante n’avait connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte que le 15 décembre 2023. C’est à ce moment que les événements ayant donné lieu à sa plainte se sont cristallisés.
[108] Au 15 décembre, la plaignante savait que le syndicat ne ferait rien au sujet de son allégation selon laquelle elle était traitée différemment des autres employés. Elle savait que le syndicat ne l’aiderait pas relativement à sa demande de mesure d’adaptation. Même si elle n’avait reçu aucune réponse du président national concernant toutes les questions soulevées dans son grief ou son appel, elle savait certainement quelles étaient les circonstances qui avaient donné lieu à la plainte qui a finalement été déposée le 14 mars 2024, laquelle était largement axée sur les allégations selon lesquelles le syndicat faisait preuve d’une tendance de négligence à lui fournir toute aide concernant ses problèmes de retour au travail et ses allégations de représailles de la part de son employeur.
[109] De plus, je conclus que la présente affaire peut être distinguée de Dundas, dans laquelle il y avait un manquement unique allégué qui avait donné lieu à la plainte, notamment une allégation selon laquelle le syndicat n’avait pas représenté la plaignante de manière équitable parce que le représentant syndical assigné au dossier à l’origine était en situation de conflit d’intérêts.
[110] Je conclus également que la présente affaire peut être distinguée de Nemish où il y avait des éléments de preuve selon lesquels la plaignante continuait de communiquer avec le syndicat pour tenter de le convaincre sans présenter de nouveaux renseignements. Dans le présent cas, la plaignante a soulevé de nouvelles questions auprès du syndicat le 13 décembre concernant un traitement différentiel allégué dans les mutations latérales. Le syndicat a continué à lui fournir la même réponse : qu’il ne pouvait pas la représenter à l’égard des affaires concernant la dotation.
[111] Par conséquent, pour tous les motifs énoncés, la plainte de la fonctionnaire s’estimant lésée a été déposée dans les délais impartis, car le 15 décembre fait partie de la période de 90 jours pour déposer une plainte conformément à l’article 190(2) de la Loi.
[112] La demande du défendeur de rejeter la plainte en raison du respect des délais est donc rejetée.
B. Le sujet de la plainte relève de la portée d’une plainte relative au DRE
[113] Il est bien établi en droit que les plaintes relatives au DRE doivent porter sur les actions, inactions ou omissions d’un agent négociateur. Elles ne sont pas disponibles pour les plaignants en tant qu’instruments brutaux pour traiter les actions ou omissions d’un employeur. En même temps, une telle plainte fera nécessairement référence aux actions ou aux omissions de l’agent négociateur qui ont un lien avec la relation de l’employé avec l’employeur.
[114] En fin de compte, les plaintes relatives au DRE sont liées aux droits, aux obligations ou aux questions en vertu de la Loi ou d’une convention collective auxquels un plaignant est confronté en tant qu’employé auprès de son employeur (voir le paragraphe 188 d’Elliott). Un plaignant qui dépose une telle plainte demande en général et en fin de compte de l’aide auprès de son agent négociateur pour aider à régler les questions en suspens auxquelles il est confronté en milieu de travail.
[115] Dans le présent cas, et de manière quelque peu perplexe, dans sa réponse initiale, le défendeur soutient que les questions soulevées dans la présente plainte concernent une mutation en milieu de travail, le refus de la plaignante d’y retourner, et des problèmes de dotation qui ne relèvent pas de la portée d’une plainte relative au DRE. Dans ses arguments supplémentaires, le défendeur fournit plus de nuances, affirmant que la plainte et le courriel du 14 décembre au président du défendeur mettent tous les deux l’accent principalement sur les actions de l’employeur et non les actions du défendeur.
[116] Je ne peux pas être de cet avis.
[117] La caractérisation de la plainte par le défendeur est beaucoup trop étroite. Elle n’est tout simplement pas étayée par le libellé de la plainte.
[118] Au contraire, j’accepte l’explication de la plaignante selon laquelle la plainte concerne sa demande d’aide de la part du défendeur pour gérer des affaires de droits de la personne en milieu de travail et son droit de retourner dans un environnement de travail sûr à la suite de son expérience de harcèlement fondé sur la race. Ces affaires relèvent de la portée d’une plainte relative au DRE. En fait, il s’agit particulièrement des types d’affaires qui sont liés à la convention collective, à ses dispositions sur l’élimination de la discrimination et l’obligation de l’employeur d’assurer un milieu de travail sûr et sain. Réduire la plainte à des problèmes de dotation rate la cible quant à son essence.
[119] La plaignante a allégué à maintes reprises que le défendeur ne lui avait fourni aucune aide dont elle avait besoin pour retourner en toute sécurité au milieu de travail et pour la protéger des présumées représailles et du traitement différentiel de la part de son employeur pour avoir signalé du racisme. Elle avait besoin d’aide, y compris un mécanisme de recours pour contester les prétendues mesures de l’employeur.
[120] Les questions concernant l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, les interdictions de discrimination et les protections contre les représailles pour l’exercice des droits en vertu d’une convention collective relèvent toutes des responsabilités de l’agent négociateur en tant que représentant accrédité et exclusif de tous les employés au sein d’une unité de négociation d’un plaignant.
[121] Même si un certain nombre des allégations dans la plainte visent certainement l’employeur, la plainte soulève clairement des allégations concernant la façon dont le défendeur a représenté ou n’a pas représenté la plaignante (c.‑à‑d. de manière discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi), lesquels relèvent tous de la portée d’une plainte en vertu de l’article 187 de la Loi.
[122] Par conséquent, l’objection préliminaire du défendeur selon laquelle la plainte outrepasse la portée d’une plainte relative au DRE est rejetée.
[123] L’article 190(3) ne s’applique pas.
[124] La plaignante n’était pas tenue d’épuiser le processus d’appel interne. L’article 190(3) de la Loi ne s’applique pas aux plaintes alléguant une pratique déloyale de travail en vertu de l’article 187.
[125] Je reproduis la disposition pertinente comme suit :
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[Je mets en évidence; notes marginales : les passages en évidence le sont dans l’original]
[126] À l’origine, le défendeur a allégué qu’en vertu de l’article 190(3) de la Loi, la Commission était empêchée d’examiner la présente plainte parce que, à son avis, la plaignante n’avait pas épuisé son processus d’appel interne.
[127] Dans ses arguments supplémentaires, le défendeur a reconnu que la disposition ne s’appliquait pas nécessairement aux affaires découlant de l’article 187 de la Loi. Cependant, le fait de ne pas épuiser un processus d’appel interne constitue un facteur à prendre en considération pour déterminer si un agent négociateur a agi de manière arbitraire (voir Markey).
[128] L’article 190(3) de la Loi interdit aux plaignants alléguant une pratique déloyale de travail en vertu de l’article 188b) ou c) de présenter une plainte à moins que certaines conditions aient été satisfaites, y compris l’épuisement de la procédure de règlement des griefs interne ou du processus d’appel interne. Il s’agit de plaintes qui allèguent qu’un agent négociateur a appliqué ses normes de discipline internes ou ses règles d’adhésion de manière discriminatoire.
[129] Cependant, la plaignante n’allègue pas une pratique déloyale de travail en vertu de l’article 188b) ou c) de la Loi. Ses allégations concernent uniquement une contravention de l’article 187, qui est la disposition sur la représentation inéquitable par un agent négociateur.
[130] Par conséquent, je conclus que l’article 190(3) de la Loi ne s’applique pas à la présente affaire. En ce qui concerne les plaintes alléguant une violation de l’article 187, je suis d’accord avec la plaignante pour dire qu’il n’existe tout simplement aucune exigence d’épuiser un processus d’appel interne ou une procédure de règlement des griefs interne avant de déposer une telle plainte.
[131] De plus, je conclus que Markey n’est pas du tout utile aux fins des arguments du défendeur quant à l’application de l’article 190(3) de la Loi. Dans Markey, la plaignante a allégué que l’agent négociateur avait manqué à son DRE lorsqu’il avait omis de la représenter dans un grief concernant les droits de la personne. L’agent négociateur a fourni des commentaires et des recommandations et a mis à sa disposition un processus d’appel interne, mais elle a refusé de l’utiliser. L’ancienne Commission devait déterminer si la conduite de l’agent négociateur était discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi. Lorsqu’elle a évalué la plainte sur le fond, elle a pris en considération le fait que la plaignante avait reçu une décision préliminaire de l’agent négociateur et qu’elle avait choisi de ne pas utiliser son processus d’appel interne, qui était facilement accessible pour s’y opposer. Dans ce contexte, l’ancienne Commission a conclu que même si l’existence d’un processus d’appel interne n’empêche pas automatiquement la plaignante de déposer une plainte en vertu de l’article 187, cela aurait pu constituer un facteur à prendre en considération lors de la détermination de la question de savoir si l’agent négociateur a manqué à son DRE.
[132] Comme je l’ai déjà conclu, dans le présent cas, la plaignante a tenté d’utiliser le processus d’appel du défendeur, je conclus que les faits dans le présent cas peuvent être facilement distingués de Markey, dans lequel la plaignante a refusé de l’utiliser. En fin de compte, je conclus que Markey ne permet pas d’étayer l’argument du défendeur selon lequel l’article 190(3) de la Loi s’applique d’une manière quelconque au présent cas.
C. Il existe une cause défendable selon laquelle le défendeur a agi de manière arbitraire
[133] Le DRE est un pilier fondamental de la négociation collective et une pierre angulaire des relations de travail harmonieuses. Il existe dans la plupart des lois dans l’ensemble du Canada, et la Commission et son prédécesseur en ont discuté en profondeur.
[134] Conformément à la Loi, le DRE est énoncé aux articles 185, 187 et 190.
[135] Fondamentalement, le DRE exige que les agents négociateurs traitent tous les membres de manière équitable et d’une manière qui n’est ni arbitraire, ni discriminatoire, ni de mauvaise foi. Cela exige qu’ils agissent de manière impartiale, sans hostilité ni malveillance, lorsqu’ils exercent leur rôle de porte‑parole exclusif de tous leurs membres. Le DRE est maintenant fermement intégré dans le droit du travail canadien et la jurisprudence.
[136] La Cour suprême du Canada a examiné de manière exhaustive son évolution il y a 40 ans dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, dans laquelle elle a fait remarquer que le pouvoir exclusif d’un syndicat de négocier collectivement et d’agir en tant que représentant unique de tous les membres de l’unité de négociation en ce qui concerne les conditions d’emploi comporte un contrepoids sur la manière dont il exerce son pouvoir. La Cour a expliqué que cette réglementation du pouvoir d’un syndicat découle des tribunaux américains pour protéger les employés individuels contre « […] les abus de la majorité ».
[137] La Cour a également souligné que le devoir découlait du cas américain Steele v. Louisville & N.R. Co., 323 U.S. 192 (1944). Il s’agissait d’un cas dans lequel des chauffeurs de locomotive noirs ont contesté avec succès une clause d’ancienneté que leur syndicat ferroviaire avait négociée et qui restreignait leurs droits d’emploi et d’ancienneté. Le syndicat était le représentant exclusif de tous les chauffeurs, mais n’admettait que les chauffeurs blancs – qui constituaient la majorité des employés des chemins de fer – à devenir membres. Il a négocié avec l’employeur pour placer les chauffeurs noirs au bas de la liste d’ancienneté et pour restreindre l’accès aux promotions uniquement aux chauffeurs blancs, le tout dans le but de protéger les emplois des chauffeurs blancs.
[138] La Cour suprême du Canada a résumé le DRE dans Guilde de la marine marchande du Canada, à la page 527, comme suit :
1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte‑parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.
2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.
[139] De plus, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, la Cour suprême du Canada a donné des directives supplémentaires sur le concept de comportement arbitraire et de négligence grave en tant que composantes de la représentation inéquitable, comme suit :
[…]
50 Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle‑ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier. (Voir Adams, loc. cit., p. 13‑20.1 à 13‑20.6).
51 Le quatrième élément retenu dans l’art. 47.2 C.t. est la négligence grave. Une faute grossière dans le traitement d’un grief peut être assimilée à celle‑ci malgré l’absence d’une intention de nuire. Cependant, la simple incompétence dans le traitement du dossier ne violera pas l’obligation de représentation, l’art. 47.2 n’imposant pas une norme de perfection dans la définition de l’obligation de diligence qu’assume le syndicat. L’évaluation du comportement syndical tiendra compte des ressources disponibles, de l’expérience et de la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non juristes, ainsi que des priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation (voir Gagnon, op. cit., p. 310‑313; Veilleux, op. cit., p. 683‑687; Adams, op. cit., p. 13‑37).
[…]
[140] Même si Noël était un cas dans lequel la Cour suprême du Canada avait abordé le DRE dans le contexte du Code du travail du Québec (RLRQ c C‑27), qui codifie le DRE à l’article 47.2, le même principe du caractère arbitraire s’applique au présent cas.
[141] De plus, tel que cela a été indiqué dans Noël, en ce qui concerne le DRE, les questions concernant des effets graves sur un employé, comme un refus de le représenter dans un grief de licenciement, nécessitent un examen plus approfondi. Même si le présent cas ne concerne pas de telles allégations, je conclus qu’il comprend des allégations ayant des effets tout aussi graves sur un employé, notamment, le prétendu manquement à la représenter dans le cadre d’une mesure d’adaptation de retour au travail fondée sur les droits de la personne à la suite d’une conclusion de harcèlement fondé sur la race.
[142] En évaluant si la plaignante a établi une cause défendable d’un manquement au DRE, la Commission doit évaluer si, en considérant les faits allégués comme avérés, il existe une cause défendable selon laquelle le défendeur a agi de manière arbitraire, discriminatoire, ou de mauvaise foi. Puisque je ne constate aucune allégation de mauvaise foi ou de conduite discriminatoire de la part du défendeur, mon attention est axée sur la question de savoir si la plaignante a établi une cause défendable de conduite arbitraire contre le défendeur.
[143] L’ancienne Commission a décrit succinctement le critère dans Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, au par. 86.
[144] Les parties dans ce cas ont été invitées à déterminer particulièrement, si l’ancienne Commission a considéré tous les faits allégés dans les plaintes comme avérés, s’il existait une cause défendable selon laquelle le défendeur a contrevenu aux dispositions législatives de la Loi relatives à la pratique déloyale de travail.
[145] Dans Sganos, la Commission a comparé le critère au critère « évident et manifeste » dans les procédures civiles. Même si le fait de considérer les faits de la plaignante comme avérés constitue un faible seuil, les faits doivent être susceptibles d’être établis. Une personne ne peut pas établir une cause défendable en fonction de pures spéculations ou de faits allégués qui pourraient survenir à l’avenir.
[146] De plus, les faits allégués doivent être interprétés de façon générale, libérale et généreuse, afin de compenser les lacunes en matière de rédaction (voir Zbarsky c. Canada, 2022 CF 195, au par. 15).
[147] J’adopte le cadre de la cause défendable, en gardant à l’esprit ces leçons tirées de la jurisprudence.
[148] En considérant les faits allégués de la plaignante comme avérés, je conclus qu’elle a établi une cause défendable selon laquelle il y a eu violation de l’article 187 de la Loi. Je conclus particulièrement qu’il existe une cause défendable selon laquelle le défendeur a agi de manière arbitraire lorsqu’il ne lui a fourni aucune aide ou n’a pas examiné de manière sérieuse ses allégations selon lesquelles l’employeur prenait des mesures de représailles et faisait preuve de discrimination à son égard dans sa demande de mesure d’adaptation en vue de son retour au travail.
[149] Les faits allégués qui établissent une cause défendable peuvent être résumés comme suit :
• La plaignante a demandé de l’aide auprès du défendeur pour contester l’action alléguée de l’employeur de ne pas avoir pris une mesure d’adaptation à son retour au travail, y compris des allégations de représailles et des allégations de harcèlement fondé sur la race.
• Elle était en communication constante avec le défendeur, mais n’a reçu aucune aide.
• Elle a reçu la décision du défendeur qui a refusé sa représentation juridique parce qu’il a jugé ses allégations comme des questions de dotation, mais il l’a également informée qu’elle pouvait interjeter appel de la décision.
• Elle a présenté un grief ou un appel auprès du président national du défendeur. Le président n’a jamais répondu.
[150] Même si le fait de ne pas répondre n’établit pas automatiquement une cause défendable d’un manquement au DRE, dans le présent cas, le président national n’a jamais répondu.
[151] De plus, le cœur des allégations de la plaignante concerne une tendance de l’agent négociateur de refuser de prendre au sérieux ses allégations de représailles et de racisme anti‑Noir.
[152] L’argument du défendeur selon lequel il a fourni des conseils dans les délais et utiles est fondé sur ses allégations qui diffèrent de celles de la plaignante. Par conséquent, je conclus que, aux fins du cadre de la cause défendable, je dois considérer comme avérées les allégations que la plaignante a invoquées. La plaignante n’allègue à aucun moment que les conseils fournis par le syndicat étaient dans les délais ou utiles. Elle allègue plutôt que l’agent négociateur ne lui a fourni aucune aide.
[153] L’argument de la plaignante souligne clairement qu’elle avait désespérément besoin d’aide. Les allégations selon lesquelles le syndicat ne lui a fourni aucune aide et n’a pas pris au sérieux ses allégations de représailles et de discrimination fournissent les éléments requis pour une cause défendable de conduite arbitraire de la part du défendeur.
[154] De plus, il ne m’échappe certainement pas qu’il ne s’agissait pas d’une demande de soutien pour déposer un grief concernant des heures supplémentaires ou un refus déraisonnable de congé annuel. Il s’agissait d’un appel d’aide continu d’une employée revenant de son congé de maternité qui avait précédemment été victime de harcèlement fondé sur la race au travail et qui souhaitait simplement retourner dans un milieu de travail exempt de ce harcèlement.
[155] Puisque les allégations de la plaignante doivent être acceptées sans réserve, je conclus que la plaignante a établi une cause défendable de conduite arbitraire de la part du syndicat lorsqu’il n’a pas pris en considération de manière sérieuse ses allégations et lorsqu’il ne l’a pas aidé dans le cadre de son retour au travail.
[156] Les questions individuelles et systémiques de racisme anti‑Noir en milieu de travail sont souvent complexes. Elles sont généralement difficiles à aborder, tant pour les syndicats que pour les employeurs. Les solutions peuvent nécessiter de modifier la culture institutionnelle, les politiques et les attitudes intégrées et de longue date qui peuvent constituer des obstacles à l’égalité réelle. Il ne s’agit pas d’une tâche facile. Toutefois, le fait de ne pas répondre ou ne pas prendre au sérieux une demande d’une employée qui demande de l’aide à son agent négociateur pour traiter des mesures de représailles et le racisme anti‑Noir au travail n’est ni équitable ni recommandé. Je conclus que si les faits allégués sont considérés comme avérés, la plaignante a établi une cause défendable de conduite arbitraire de la part du défendeur.
[157] Je tiens à être claire, il ne s’agit pas d’une décision selon laquelle une violation de l’article 187 de la Loi a été établie. De plus, la Commission fait remarquer que le défendeur a indiqué dans ses arguments une volonté de tenter la médiation si la Commission conclut qu’une cause défendable a été établie. Même si la médiation a été refusée à l’origine par la plaignante, elle demeure une option que les parties pourraient étudier.
[158] Cependant, si la présente affaire devait faire l’objet d’une audience, il incomberait à la plaignante d’établir que, selon la prépondérance des probabilités, il y a eu manquement au DRE.
[159] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[160] Les objections à la compétence soulevées par le défendeur sont rejetées.
[161] La plaignante a établi l’existence d’une cause défendable de conduite arbitraire.
[162] L’affaire sera inscrite au calendrier pour une audience en temps voulu.
Le 15 mai 2025.
Traduction de la CRTESPF
Patricia H. Harewood,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral