Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le défendeur a licencié la fonctionnaire s’estimant lésée pour des motifs disciplinaires. Il a allégué qu’elle avait accédé à ses bases de données sans autorisation pour un usage personnel et qu’elle avait accordé un traitement préférentiel aux membres de sa famille. Au cours de l’enquête interne et devant la Commission, la fonctionnaire s’estimant lésée a admis la faute de conduite. Bien qu’il y ait eu faute de conduite justifiant une mesure disciplinaire de la part du défendeur, la Commission a conclu que le licenciement était excessif. La preuve a révélé que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas compris que l’accès aux dossiers des membres de sa famille, comme elle l’a fait, constituait un traitement préférentiel. Elle ne savait pas que ce qu’elle faisait n’était pas permis, car l’employeur avait négligé ce genre de comportement dans le passé. La Commission a conclu que le défendeur n’avait pas tenu compte adéquatement des facteurs atténuants pertinents, notamment les années de service de la fonctionnaire s’estimant lésée, son dossier sans mesure disciplinaire, son honnêteté, sa franchise et ses remords. La Commission a également conclu que le défendeur avait omis d’appliquer le principe de proportionnalité parce que des collègues de la fonctionnaire s’estimant lésée qui avaient eu une conduite semblable avaient été suspendus pendant 3 et 15 jours. La Commission a ordonné que la fonctionnaire s’estimant lésée soit réintégrée et a substitué une suspension de 30 jours au licenciement.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20250501

Dossier: 566‑02‑42011

 

Référence: 2025 CRTESPF 48

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Adelina Mirabelli

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

défendeur

Répertorié

Mirabelli c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Caroline Engmann, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Geoff Dunlop, avocat

Pour l’employeur : David Labelle, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario),

du 31 octobre au 3 novembre 2023.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Adelina Mirabelli, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a travaillé au ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada et ses prédécesseurs (aux fins de la présente décision, appelé l’« employeur » ou EDSC) de 1980 au 17 juillet 2019, date à laquelle l’employeur l’a licenciée pour des motifs disciplinaires. Elle a déposé un grief contre son licenciement et l’a soumis à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») au titre de l’article 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

[2] Dans la présente décision, la Commission et ses prédécesseurs sont désignés comme la « Commission ».

[3] Il s’agit d’une affaire de sanction directe. La fonctionnaire a admis qu’elle avait accédé sans autorisation aux comptes d’EDSC des membres de sa famille, mais elle a fait valoir que la sanction de congédiement était excessive, compte tenu des circonstances. L’employeur, quant à lui, a fait valoir que la fonctionnaire n’avait démontré aucun remords et qu’il ne pouvait pas écarter le risque de récidive dans l’avenir.

[4] Comme une audience devant la Commission est une audience de novo, j’ai examiné tous les aspects de l’affaire conformément au cadre juridique approprié. J’ai conclu que les circonstances atténuantes justifiaient une sanction moins sévère. Par conséquent, j’accueille le grief et je réintègre la fonctionnaire dans le groupe professionnel et au niveau PM-02 à compter du 17 juillet 2019. Je substitue une suspension sans solde de 30 jours à la sanction.

[5] Je prends note du fait que la fonctionnaire a depuis lors pris sa retraite, ce qui constitue vraisemblablement une mesure d’atténuation compte tenu de son âge et de ses années de service. Dans ces conditions, j’encourage les parties à discuter d’une solution mutuellement acceptable au cas où la réintégration s’avérerait impossible. La Commission demeurera saisie pendant une période de 90 jours si les parties éprouvent des difficultés lors de la mise en œuvre de l’ordonnance.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

[6] L’employeur a cité les témoins suivants : Cathy Carlini, analyste principale des technologies de l’information sur l’intégrité, Unité des enquêtes spéciales, Direction générale des services d’intégrité; Eric Bossé, enquêteur principal, Unité des enquêtes spéciales, Direction générale des services d’intégrité; Olivero Rendace, directeur, Direction générale des services de versement des prestations, Région de l’Ontario; et Geoff Anderton, directeur général, Région de l’Ontario.

[7] En mars 2018, l’employeur a reçu une plainte interne à son Centre Service Canada de Richmond Hill, en Ontario, où travaillait la fonctionnaire. Selon la plainte, la fonctionnaire avait accédé aux renseignements relatifs à la demande d’assurance-emploi de son fils sans motif lié au travail, et elle aurait peut-être statué sur la demande.

[8] La fonctionnaire a admis avoir effectué les accès mentionnés dans le rapport qui a suivi l’enquête sur la plainte. Comme elle ne conteste pas les faits, je n’ai pas besoin d’examiner en détail les témoignages que j’ai entendus sur les accès en question. Je me limiterai aux éléments de preuve relatifs à la manière dont la sévérité de la mesure disciplinaire a été déterminée.

[9] Les pièces déposées à l’audience contenaient des renseignements sensibles de tiers et les renseignements personnels de la fonctionnaire. L’employeur a demandé une ordonnance de mise sous scellés, afin de protéger les renseignements sensibles; toutefois, il n’a pas identifié les éléments spécifiques à protéger. Je ne suis pas disposée à mettre l’intégralité de la pièce 1 sous scellés. J’ordonne à l’employeur de caviarder la pièce 1 de toute information permettant d’identifier les membres de la famille de la fonctionnaire et de remettre la version caviardée à la Commission. J’ordonne également que les renseignements personnels et fiscaux de la fonctionnaire figurant dans la pièce 2 soient mis sous scellés.

1. Mme Carlini

[10] Mme Carlini a reçu une demande du service de la technologie de l’information visant à identifier tous les dossiers traités par la fonctionnaire dans lesquels le nom de famille du client était « Mirabelli ». Elle a répondu à la demande en effectuant des recherches dans la base de données « Écrans texte intégral » (ETI) et dans le « Registre d’assurance sociale » (RAS) à l’aide des codes d’utilisateur uniques de la fonctionnaire.

[11] Mme Carlini a expliqué que pour accéder au RAS et à ETI, un employé doit avoir l’autorisation de son supérieur; il faut également un code d’utilisateur et un mot de passe unique. Les deux bases de données contiennent des mises en garde concernant l’accès des employés.

[12] Le site Web du RAS fournit les renseignements suivants :

[Traduction]

Remarque importante : Les renseignements personnels contenus dans le registre des NAS sont confidentiels et ne doivent pas être divulgués à des tiers. L’utilisation des renseignements relatifs au NAS est régie par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social et la Loi sur l’assurance-emploi. L’accès au RAS en ligne est contrôlé afin de protéger l’intégrité des données. Les employés qui utilisent, collectent ou divulguent de manière inappropriée les renseignements contenus dans le registre peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires allant de réprimandes verbales et écrites à la suspension et à la rétrogradation, et ces mesures peuvent entraîner le licenciement ou une amende maximale de 10 000 dollars ou une peine d’emprisonnement de six mois.

 

[13] La certification des employés pour ETI est requise tous les trois mois, comme suit :

[Traduction]

Écrans texte intégral

Les renseignements relatifs à l’assurance-emploi sont confidentiels et ne doivent pas être divulgués à des tiers non autorisés. L’utilisation de ces renseignements est régie par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’assurance-emploi.

J’accepte et certifie que je n’accède aux renseignements d’assurance-emploi relatifs aux demandeurs, et que je ne les utilise, que dans le cadre de l’exercice de mes fonctions habituelles.

Je comprends que la collecte inappropriée de renseignements relatifs aux demandeurs d’assurance-emploi ou leur divulgation à un tiers non autorisé peut faire l’objet de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

Je certifie également que je n’ai pas changé d’emploi au cours des trois (3) derniers mois.

Je souscris à l’attestation exposée ci-dessus.

Je souscris à l’attestation exposée ci-dessus; cependant, j’ai changé d’emploi au cours des trois (3) derniers mois.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[14] Elle a expliqué que chaque matin, lorsque les employés se connectent au système, un rappel concernant l’utilisation des systèmes électroniques de l’employeur s’affiche et empêche d’accéder à quoi que ce soit; le rappel est rédigé ainsi :

Les personnes autorisées à utiliser le système informatique d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) doivent le faire en respectant la Directive sur l’utilisation du réseau. Des mesures administratives, criminelles ou disciplinaires seront prises si une personne utilise celui-ci de façon à contrevenir aux politiques d’EDSC ou du Secrétariat du Conseil du Trésor.

Toute l’information transmise et stockée sur les réseaux et les dispositifs d’EDSC, que ce soit à des fins professionnelles ou personnelles, peut être accessible en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les activités sur les réseaux d’EDSC sont régulièrement surveillées en recueillant et en analysant l’information dans le but d’identifier l’utilisation non autorisée et les menaces à la sécurité.

[Je mets en évidence]

 

[15] Les résultats préliminaires de son enquête ont révélé que la fonctionnaire a exercé les activités suivantes :

1) De 2014 à 2017, elle a accédé 33 fois au dossier de son fils sur ETI, mais elle n’a apporté aucun changement.

2) Entre 2001 et 2017, elle a accédé 11 fois au numéro d’assurance sociale (le « NAS ») de son fils dans le RAS.

3) De 2013 à 2018, elle a accédé 21 fois au dossier de sa belle-fille sur ETI; elle a effectué 2 transactions au dossier, l’une pour un dépôt direct, l’autre pour le renouvellement ou la révision de prestations spéciales. Elle n’a pas accédé au RAS pour sa belle-fille.

4) De 2015 à 2017, elle a accédé 13 fois à son propre dossier de demande, mais n’a apporté aucun changement.

5) De 2001 à 2016, elle a consulté son NAS à 9 reprises dans le RAS.

6) De 2004 à 2015, elle a consulté le NAS de son mari à 7 reprises dans le RAS.

7) De 2006 à 2017, elle a consulté le NAS de sa fille à 15 reprises dans le RAS. Elle a également accédé à ETI pour sa fille afin de vérifier si une demande avait été consignée.

8) De 2015 à 2017, elle a consulté le dossier de la mère de sa belle-fille à 11 reprises sur ETI. Elle a effectué 1 transaction pour vérifier si un paiement avait été effectué.

 

[16] Sur le fondement de ces activités, Mme Carlini a estimé qu’il y avait lieu de procéder à une enquête administrative ainsi qu’à un examen du dossier de la belle-fille de la fonctionnaire par une consultante en expertise opérationnelle (CEO).

[17] En contre-interrogatoire, elle a précisé qu’avant mai 2018, les enquêtes administratives et les processus de recherche de faits concernant les accès non autorisés étaient déclenchés par des plaintes. EDSC dispose désormais d’un système d’alerte intégré qui peut également déclencher l’examen des accès non autorisés par les employés.

2. M. Bossé

[18] Pendant toute la période en cause, M. Bossé était enquêteur principal pour l’unité d’enquête interne d’EDSC. Il occupait ce poste depuis cinq ans au moment de l’enquête faisant l’objet de la présente décision. Il a décrit le processus, depuis le moment où la direction générale lui a confié le mandat jusqu’à la conclusion de son enquête.

[19] L’agent de sécurité du Ministère (l’« ASM ») a autorisé le mandat d’enquête visant les accès de la fonctionnaire le 22 juin 2018. Le 26 juin 2018, le gestionnaire de M. Bossé lui a confié l’enquête.

[20] Après avoir reçu un mandat, il doit d’abord informer le directeur de l’employé et demander que l’information soit communiquée à l’employé. Il examine ensuite le dossier et les résultats du processus de recherche de faits et élabore son plan d’enquête.

[21] Conformément à cette approche, le 4 juillet 2018, il a envoyé une lettre à la fonctionnaire par l’intermédiaire de son directeur, laquelle indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

La présente lettre vise à vous informer qu’une enquête administrative est en cours concernant, notamment, des allégations selon lesquelles vous auriez enfreint le Code de conduite d’Emploi et Développement social Canada en accédant sans autorisation à des bases de données ministérielles à des fins personnelles et en accordant un traitement préférentiel.

L’enquête administrative est menée par Eric Bossé, enquêteur principal de l’Unité des enquêtes spéciales d’EDSC. Le mandat consiste à vérifier les faits entourant l’allégation soulevée contre vous et à communiquer les conclusions à la haute direction d’EDSC afin qu’elle prenne toute mesure qu’elle jugera judicieuse sur le fondement des informations obtenues.

Dans une prochaine lettre, vous serez convoquée à une entrevue.

Une fois l’enquête terminée, vous aurez l’occasion de présenter tout éclaircissement ou toute circonstance atténuante qui, selon vous, n’auraient pas été pris en considération dans le cadre de l’enquête. S’il s’avère que l’allégation soulevée contre vous est fondée, des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement peuvent être imposées.

Votre attestation de fiabilité ou votre autorisation sécuritaire peut également être réexaminée si l’enquête révèle des informations défavorables.

Nous vous encourageons à collaborer pleinement à l’enquête administrative.

[…]

 

[22] Le 2 octobre 2018, il a envoyé une deuxième lettre à la fonctionnaire pour l’inviter à une entrevue prévue pour le 17 octobre 2018. Voici un extrait de la lettre :

[Traduction]

[…]

L’objectif de cette entrevue est de vous donner la possibilité de répondre aux allégations. Votre présence est obligatoire, mais la communication d’information est volontaire. Au cours de l’entrevue, vous pouvez être accompagnée d’une personne de votre choix qui vous conseillera, vous représentera ou vous assistera.

Une fois l’enquête administrative terminée, vous aurez l’occasion de présenter tout éclaircissement ou toute circonstance atténuante qui, selon vous, n’aurait pas été pris en considération dans le cadre de l’enquête.

Votre attestation de fiabilité ou votre autorisation sécuritaire peut également être réexaminée si l’enquête révèle des informations défavorables. Les informations recueillies au cours de cette enquête et de l’entrevue à venir pourraient être utilisées pour réexaminer votre attestation de fiabilité ou votre attestation de sécurité.

Nous vous encourageons à collaborer pleinement à l’enquête administrative.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[23] Compte tenu de la nature des allégations, il a discuté des mesures d’atténuation des risques avec la direction, et il a été décidé que la fonctionnaire serait réaffectée à d’autres tâches sans accès aux bases de données. Elle a été réaffectée à des tâches ne nécessitant pas l’accès au système électronique de l’employeur.

[24] L’entrevue a eu lieu comme prévu. M. Bossé a commencé par passer en revue les parties pertinentes du Code de conduite d’EDSC avec la fonctionnaire. La fonctionnaire a répondu de la manière suivante aux questions précises sur sa connaissance du Code d’EDSC et du Code de valeurs et d’éthique du secteur public (le « Code de valeurs et d’éthique ») :

[Traduction]

[…]

6. Connaissez-vous le Code de conduite d’ESDC? Elle le comprend mieux maintenant. Elle reconnaît les faits, et elle en comprend mieux la portée depuis l’enquête.

7. Quel type de formation avez-vous reçue? Elle ne s’en souvient pas. Elle se souvient avoir fait la formation sur les valeurs et l’éthique, mais ne se souvient pas d’avoir vu un exemple de mauvaise conduite.

8. Pourriez-vous définir ce qu’est un traitement préférentiel? Pouvez-vous me donner un exemple? Si quelqu’un lui demande de lui dire le nombre d’heures manquantes afin d’avoir droit à l’assurance-emploi.

[…]

 

[25] Selon M. Bossé, les réponses de la fonctionnaire aux questions étaient simples. Elle ne se souvient pas des détails de la plupart des transactions, mais cela est normal compte tenu du temps qui s’est écoulé. Elle n’a pas contesté la preuve qui lui a été présentée. Elle a expliqué qu’elle ne pensait pas avoir accordé un traitement préférentiel puisqu’elle n’avait pas contribué à accélérer le traitement des dossiers et qu’elle n’avait pas accordé de prestations.

[26] Après examen, la CEO a conclu que cinq des sept modifications effectuées par la fonctionnaire étaient des transactions réelles, c’est-à-dire qu’elle a ajouté quelque chose dans un dossier ou qu’elle l’a modifié. La CEO a indiqué que ces transactions étaient en ordre et qu’elle n’avait détecté aucune activité frauduleuse.

[27] M. Bossé n’a pas procédé à l’examen pour des raisons liées à l’attestation de fiabilité de la fonctionnaire, son rapport a été utilisé à cette fin. Il a déclaré qu’il n’était pas surpris qu’elle ait conservé son attestation de sécurité. Dans une lettre datée du 10 avril 2019, l’ASM a informé la fonctionnaire que son attestation de fiabilité était maintenue sur le fondement des faits inclus dans le rapport de M. Bossé, y compris le fait qu’elle avait été honnête et transparente au cours de l’enquête.

[28] M. Bossé a conclu que la fonctionnaire avait enfreint le Code de conduite d’EDSC en accédant sans autorisation aux bases de données du Ministère à des fins personnelles et en accordant un traitement préférentiel aux membres de sa famille. Il a conclu que les transactions qu’elle a effectuées étaient en ordre et qu’elles n’étaient pas frauduleuses. Il a également conclu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Au cours de l’entrevue, elle ne se souvenait pas des raisons pour lesquelles elle avait accédé aux dossiers de ses proches. Cependant, elle a été honnête, transparente et a fait preuve de remords tout en acceptant la responsabilité de ses actes répréhensibles. Mme Mirabelli avait mal compris ce qu’est un traitement préférentiel, mais elle en comprenait parfaitement la portée à la fin du processus d’entrevue.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[29] En contre-interrogatoire, M. Bossé a confirmé que la fonctionnaire avait dit la vérité lors de l’entrevue et qu’elle était honnête, franche et contrite.

3. M. Rendace

[30] En témoignage, M. Rendace a déclaré avoir travaillé pour EDSC pendant 25 ans, à divers titres. Il est devenu directeur de la Direction générale des services de versement des prestations en décembre 2014.

[31] Il a souligné que les principes de loyauté, d’intégrité et de la gestion de l’information sont au centre des préoccupations des employés d’EDSC en raison de la nature de leur travail. Ces principes sont constamment rappelés aux employés. Une formation obligatoire sur les valeurs et l’éthique a été organisée en 2014 et une formation d’actualisation des connaissances a été donnée en 2016. Il a pris note du fait que la fonctionnaire avait suivi la formation initiale et la formation d’actualisation des connaissances avec succès.

[32] Au cours de son témoignage, M. Rendace a examiné en détail le Code de conduite d’EDSC. Il a souligné que tous les employés d’EDSC doivent souscrire à la lettre et à l’esprit de ce code et qu’ils sont censés se comporter conformément aux valeurs du secteur public et aux comportements attendus. Il a expliqué que cet engagement est énoncé dans la lettre d’offre que chaque employé doit signer. Il a examiné la lettre d’offre de la fonctionnaire datée du 13 mai 2009, et il a souligné les engagements qu’elle a signés lorsqu’elle a accepté l’offre.

[33] Lorsqu’il a examiné le Code de conduite d’EDSC, M. Rendace a renvoyé spécifiquement à la disposition traitant de la préservation des renseignements et à leur confidentialité. Il a porté les dispositions suivantes à l’attention de la Commission :

[…]

Confidentialité des renseignements

Vous n’avez pas la permission d’accéder à des renseignements qui ne sont pas requis pour votre travail. Par exemple, vous n’avez pas la permission :

1. de vérifier si la demande d’assurance-emploi de votre fils a été approuvée;

2. de faire une recherche dans la base de données des clients en vue de trouver le numéro de téléphone d’un ancien ami;

3. de faire une recherche dans la base de données des clients en vue de fournir des renseignements à un collègue d’un autre ministère qui vous appelle dans le contexte de son emploi, mais en ne passant pas par « les voies officielles »; ces renseignements portent sur un client;

4. de faire une recherche dans la base de données des clients en vue d’obtenir des renseignements sur des locataires potentiels qui aimeraient peut-être louer votre propriété; ce n’est pas permis, même si vous avez obtenu le consentement des locataires.

Utiliser votre poste pour avoir accès à des renseignements dont vous n’avez pas besoin pour votre travail – soit par curiosité ou pour rendre service à un collègue, un ami ou un parent – est un manquement au Code de conduite d’EDSC. Les renseignements officiels sont réservés aux affaires du gouvernement et jamais pour votre avantage personnel ou celui de quelqu’un d’autre.

[…]

 

[34] Il a également attiré l’attention sur la section suivante, qui vise à éviter le traitement préférentiel :

[…]

viii) Évitement des traitements de faveur

Vous devez faire preuve d’objectivité et d’impartialité lorsque vous exercez vos fonctions et que vous prenez des décisions, que celles-ci soient liées au processus de dotation, à l’octroi de fonds ou à l’imposition de sanctions pécuniaires à des parties de l’extérieur, à des paiements de transfert, au fonctionnement des programmes ou à tout autre exercice de vos responsabilités

Cela veut dire qu’il vous est interdit d’accorder un traitement de faveur ou un avantage aux membres de votre famille, à vos amis ou à d’autres personnes ou entité. Vous ne devez pas offrir d’aide extraordinaire à quelque personne ou à une entité qui a des relations d’affaires avec le gouvernement, sans la connaissance et le soutien de votre superviseur. Qui plus est, vous ne devez pas désavantager aucune entité ou aucune personne qui a des relations d’affaires avec le gouvernement en raison d’un antagonisme ou de préjugés personnels.

Transmettre de l’information accessible au grand public n’est pas considéré comme un traitement de faveur, comme transmettre une brochure d’information affichée sur le site Web du Ministère.

Il faut éviter ce qui peut avoir l’apparence d’un parti pris en faveur d’une partie (un groupe ou une personne).

Vous devez éviter de traiter toute demande, dossier ou compte pour vous-même, des collègues, des parents par lien de sang ou de mariage (y compris les unions de fait) ou des amis. Pour de plus amples renseignements, veuillez consulter l’ouvrage Demandes, dossiers et comptes d’employés d’EDSC et de parents et d’amis d’employés d’EDSC

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[35] Selon lui, la fonctionnaire avait lu le Code de conduite d’EDSC, avait reçu la formation et connaissait donc les notions de traitement préférentiel et de préservation des renseignements. Il a déclaré qu’elle était une personne extravertie, très accueillante et très amicale. Il n’a pas examiné son rendement au travail. Si son rendement avait été excellent ou si elle n’avait pas répondu aux attentes, il en aurait entendu parler. Rien n’indiquait qu’elle avait des antécédents disciplinaires.

[36] Il a été impliqué dans le dossier de la fonctionnaire lorsque le responsable des services et le chef d’équipe l’ont rencontré dans son bureau et l’ont informé de l’allégation selon laquelle elle avait peut-être accédé aux dossiers de membres de sa famille et qu’elle avait peut-être été impliquée dans le traitement de la demande de son fils. Après la réunion, il a contacté son superviseur, M. Anderton. Ils ont décidé de contacter le bureau régional de sécurité pour passer aux prochaines étapes.

[37] Après avoir reçu le rapport d’enquête, il a travaillé en étroite collaboration avec son conseiller en relations du travail pour organiser une audience disciplinaire, à laquelle la fonctionnaire a été convoquée. Il a déclaré avoir été surpris qu’une personne ayant l’expérience et le rôle d’agent des prestations de Service Canada (« APSC ») puisse faire preuve d’un tel manque de jugement, en particulier compte tenu du nombre d’accès et de la période au cours de laquelle ils ont été effectués. Il était convaincu qu’elle savait qu’elle avait mal agi. Il a reconnu l’absence de fraude, de vol, d’intention criminelle ou de gain personnel de la part de la fonctionnaire. Il a considéré cette faute de conduite comme une mauvaise utilisation des bases de données de l’employeur, un traitement préférentiel et un conflit d’intérêts.

[38] Les notes de l’employeur concernant l’audience disciplinaire font état de l’échange suivant avec la fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

2. Savez-vous que l’accès au dossier d’un membre de votre famille est considéré comme un conflit d’intérêts et peut constituer une violation du Code de conduite d’EDSC, du Code de valeurs et d’éthique du secteur public et une atteinte à la vie privée?

Addy - Maintenant je comprends qu’en demandant à quelqu’un de remplir la demande de mon fils, cela revient à modifier un relevé d’emploi.

Oliver - Par conséquent, je fais référence à la belle-mère et au fait qu’elle a indiqué ne rien avoir reçu par la poste. Comprenez-vous maintenant comment cela peut être problématique?

Addy - Maintenant je le comprends Oliver. Je sais que je peux [sic] aider un voisin dans ma rue. Je sais maintenant que je peux [sic] plus faire ces choses. Je n’aurais jamais fait cela si j’avais su. Je me suis toujours soucié des clients. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si j’accordais un meilleur traitement à une personne qu’à une autre.

Oliver – parlé des vérifications et des contrôles et expliqué plus en détail les conflits d’intérêts.

3. Avez-vous eu l’impression d’être en situation de conflit d’intérêts à un moment quelconque au cours de votre emploi à ESDC?

Réponse : Honnêtement, je n’en ai jamais eu conscience! Aujourd’hui, oui.

4. Quelle est votre définition de « traitement préférentiel »? Avez-vous eu l’impression d’avoir accordé un traitement préférentiel lorsque vous avez consulté vos dossiers et ceux de membres de votre famille et lorsque vous avez apporté des modifications à leur demande, à tout moment dans le cadre de votre emploi à ESDC?

Réponse : Je comprends mieux maintenant, mais je n’ai jamais pensé que j’accordais un traitement préférentiel à quelqu’un, comme, par exemple, en prenant une personne en fauteuil roulant à part. Mais je n’ai jamais réalisé que je faisais quelque chose de mal.

[…]

 

[39] Les notes indiquaient également que la fonctionnaire était devenue émotive pendant la réunion et qu’elle avait déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’avait jamais réalisé qu’elle faisait quelque chose de mal.

[40] M. Rendace a déclaré que la fonctionnaire avait reçu une formation et qu’elle aurait dû être mieux informée. En fait, il était convaincu qu’elle savait qu’elle faisait quelque chose de mal. Il ne l’a pas crue lorsqu’elle a dit qu’elle ne savait pas qu’elle accordait des traitements préférentiels. Dans le cadre de leur formation, tous les APSC ont appris qu’il est interdit de consulter leur propre dossier. Selon lui, si de nombreuses années de formation et de nombreuses discussions n’ont pas suffi à faire passer le message, alors le lien de confiance est irrémédiablement rompu.

[41] Pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, M. Rendace a tenu compte du dossier disciplinaire vierge de la fonctionnaire et du fait qu’elle avait un bon rendement. Selon lui, le fait qu’elle était une bonne employée et qu’elle se souciait des clients constituait des facteurs aggravants, car après avoir été à l’emploi d’ESDC pendant plus de 30 ans, elle aurait dû faire preuve d’un meilleur discernement. Il estimait que la seule mesure disciplinaire judicieuse était le congédiement.

[42] En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il se trouvait au bureau d’ESDC à Richmond Hill un ou deux jours complets par semaine, mais qu’il ne voyait pas souvent la fonctionnaire ni n’avait d’interactions avec elle dans le cadre de ses fonctions. Il ne se souvenait d’aucune conversation particulière avec elle sur des sujets liés au travail. Elle était l’une des employées ayant le rang le plus élevé du bureau, et elle était extravertie, amicale et positive.

[43] Il n’a pas exclu la suspension; il s’agissait de déterminer si le lien de confiance était irrémédiablement rompu, et pour lui, c’était le cas. Il n’est pas convaincu qu’elle ait été totalement sincère au cours de l’enquête et de l’audience disciplinaire. Il estime qu’elle savait, ou aurait dû savoir, que ce qu’elle faisait constituait un traitement préférentiel. En insistant sur son ignorance, elle a démontré son refus de comprendre les règles et de s’y conformer.

[44] L’intervention de M. Rendace s’est achevée avec l’audience disciplinaire et sa recommandation concernant la mesure disciplinaire appropriée.

4. M. Anderton

[45] M. Anderton était à la retraite au moment de l’audience. Pendant toute la période en cause, il était directeur général de la Direction des services de versement des prestations pour sa région de l’Ontario.

[46] Lors de son témoignage, il a examiné les documents concernant les politiques, en particulier le Code de conduite d’EDSC et le Code de valeurs et d’éthique. Il a insisté sur le fait que les employés d’EDSC sont censés se conformer à ces exigences.

[47] Il a déclaré qu’il avait beaucoup de mal à croire que la fonctionnaire ne savait pas qu’elle faisait quelque chose de répréhensible.

[48] La décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire lui appartenait effectivement; cependant, il ne disposait pas de la délégation en matière des ressources humaines pour procéder au licenciement. Seule, Mme Mary Ann Triggs, la sous-ministre adjointe (« SMA ») avait la délégation, c’est pourquoi elle a signé la lettre de licenciement.

[49] M. Anderton a eu des discussions approfondies avec M. Rendace et les conseillers en ressources humaines. Il s’est également largement appuyé sur le rapport d’enquête et les informations supplémentaires obtenues lors de l’audience disciplinaire.

[50] En contre-interrogatoire, il ne pouvait se rappeler si M. Rendace avait spécifiquement mentionné que la fonctionnaire avait été honnête, sincère et authentique au cours de l’audience disciplinaire. Même s’il savait que l’ASM avait maintenu l’attestation de fiabilité de la fonctionnaire, ce seul facteur n’était pas suffisant pour influer sur la décision de la licencier.

B. Pour la fonctionnaire

[51] La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait commencé à travailler dans la fonction publique en 1980 et qu’elle avait occupé plusieurs postes au fil des ans. Au moment de son licenciement, elle occupait un poste d’APSC du groupe et du niveau PM-02. Elle travaillait au bureau d’EDSC de Richmond Hill. Elle aimait son travail et collaborait avec ses collègues.

[52] Elle n’avait aucun antécédent disciplinaire; et elle n’a jamais eu de problèmes de rendement ou de productivité. Elle était responsable en permanence d’une vingtaine de dossiers. Elle était l’une des employées les plus expérimentées du bureau et était souvent sélectionnée pour les projets spéciaux. Elle a préparé un classeur de référence que ses collègues étaient libres de consulter. Elle a décrit les différentes actions effectuées sur les écrans.

[53] Elle ne se souvenait pas de la raison pour laquelle elle avait accédé au RAS à neuf reprises entre 2001 et 2016 pour consulter son NAS. Entre 2015 et 2017, elle a interrogé ETI à 13 reprises sur son nom, mais elle ne se souvenait pas de la raison pour laquelle elle avait fait ces recherches.

[54] Elle s’est sentie stupide et embarrassée lorsque l’enquêteur lui a expliqué la gravité de ses actes. Elle n’avait pas compris qu’en agissant ainsi, elle accordait un traitement préférentiel aux membres de sa famille. De son point de vue, elle était efficace, puisque la vérification ne durait que deux ou trois minutes; ainsi, les membres de sa famille n’avaient pas à attendre sur les lignes téléphoniques. Elle comprend maintenant qu’en répondant aux demandes des membres de sa famille, elle leur accordait un traitement préférentiel.

[55] En témoignage, elle a déclaré que l’accès aux renseignements concernant les membres de la famille et leur vérification était une pratique courante dans le bureau; selon elle, ce n’était [traduction] « pas très grave » de consulter les dossiers des membres de sa famille, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas statuer sur leurs demandes. Les chefs d’équipe étaient au courant de cette pratique au sein du bureau. C’était la culture du bureau. Cette culture a changé avec l’arrivée de la nouvelle direction.

[56] La fonctionnaire n’a jamais eu l’impression de mettre son emploi en péril compte tenu de la culture du bureau à l’époque. Elle s’est sentie humiliée lorsqu’elle a été réaffectée à des tâches d’archivage et que son accès au système lui a été retiré. Tout le monde savait qu’elle faisait l’objet d’une enquête.

[57] Au cours de la réunion disciplinaire, elle s’est excusée et a expliqué qu’elle ne savait pas que ses actions équivalaient à des traitements préférentiels. Une fois que le concept de traitement préférentiel lui a été expliqué, elle a compris et elle a affirmé qu’elle n’adopterait plus ce comportement.

[58] Elle a été sincère pendant l’enquête et tout au long de la procédure disciplinaire. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle ferait pour prouver sa fiabilité à l’avenir, elle a répondu que l’employeur pouvait surveiller son ordinateur et tout ce qu’elle faisait et qu’elle ne se livrerait plus à ce genre de comportement, car elle avait compris son erreur.

[59] Elle n’a jamais demandé à son chef d’équipe de l’aider à gérer sa charge de travail ou à résoudre des problèmes éthiques. Elle n’a jamais vu ses collègues s’adresser à leur chef d’équipe pour obtenir des conseils sur des questions éthiques. Son chef d’équipe et son gestionnaire n’ont jamais abordé les questions éthiques avec l’équipe.

[60] Elle s’est remémoré la formation obligatoire sur le Code de valeurs et d’éthique et la formation sur la Gestion de l’information et les comportements en milieu de travail. Pendant la formation, elle et ses collègues ont triché en partageant les réponses aux questions. Elle voyait la formation comme une simple tâche à faire et dont il fallait se débarrasser. Elle ne se souvient pas d’avoir lu l’intégralité des documents de formation.

[61] Elle savait que deux collègues avaient fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir accédé aux dossiers des membres de leur famille. Comme elle était représentante syndicale, ces personnes l’ont informée directement de leur situation. L’une d’entre elles a été suspendue pendant trois jours en 2018 pour avoir saisi la déclaration du prestataire de trois membres de sa famille et avoir effectué un changement d’adresse. Elle savait également qu’une autre personne avait été suspendue pendant 15 jours. Elle a également appris que la plupart des personnes qui ont fait l’objet d’une enquête ont été suspendues pendant trois jours. À ce moment, elle n’avait jamais entendu dire que quelqu’un avait été congédié. Elle n’a jamais pensé que l’enquête pourrait entraîner son congédiement.

[62] En contre-interrogatoire, elle a reconnu que si elle avait pris la formation au sérieux et n’avait pas triché, elle aurait mieux compris les concepts de traitement préférentiel et de conflit d’intérêts. Elle a également expliqué qu’elle était une personne expressive et qu’elle apprenait et retenait mieux les informations grâce à la formation en classe.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[63] L’employeur m’a renvoyée aux affaires suivantes : Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 107, Bétournay c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 37, Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, Campbell c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 66, Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, Chopra c. Canada (Procureur général), 2014 CF 246, Gauthier c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 57, Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43, Ward et le Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), [1986] C.R.T.F.P.C. no 335, William Scott & Co c. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Wm. Scott »), et Woodcock c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 73.

[64] La fonctionnaire était à l’emploi d’EDSC depuis 34 ans. Elle a occupé un poste de PM-02 de 2008 jusqu’à la date de son congédiement. Son rôle exigeait qu’elle comprenne le Code de conduite pour exercer ses fonctions. Elle a commis 42 accès non autorisés au RAS et 79 accès non autorisés à ETI entre 2001 et 2018. Cinq de ces transactions ont eu lieu entre 2013 et 2018, après avoir reçu une formation qui portait précisément sur le Code de conduite. L’enquête a conclu que ses activités constituaient des traitements préférentiels.

[65] Le traitement de faveur va à l’encontre des fondements du mandat principal d’EDSC et de ses valeurs d’intégrité, de gestion de l’information et de traitement équitable. La population canadienne prend le temps de se rendre en personne ou d’attendre au téléphone pour obtenir des services, mais la fonctionnaire et les membres de sa famille ont simplement contourné cette procédure parce qu’elle avait accès aux systèmes de l’employeur. Le Code de valeurs et d’éthique et le Code de conduite font partie des conditions d’emploi qui permettent aux employés d’exercer leurs fonctions avec équité et intégrité et de préserver la réputation de l’employeur.

[66] L’agent négociateur de la fonctionnaire a contesté la sévérité de la mesure disciplinaire, mais pas l’enquête et les conclusions. Les témoins de l’employeur ont expliqué l’importance de la mise en place de ces politiques et les mesures prises pour former les employés, afin qu’ils comprennent bien leurs obligations.

[67] En tant qu’APSC, la fonctionnaire a traité des demandes litigieuses qui nécessitaient une solide connaissance du Code de conduite et du Code de valeurs et d’éthique. La nécessité d’éviter les conflits d’intérêts et les traitements préférentiels a été constamment communiquée aux membres du personnel par l’intermédiaire des gestionnaires et des chefs d’équipe. Il était clair, ou aurait dû être clair, pour les employés qu’il était interdit d’accéder aux renseignements personnels qui ne font pas partie de la charge de travail qui leur avait été attribuée.

[68] La mauvaise conduite de la fonctionnaire pourrait avoir une incidence négative sur la réputation de l’employeur. Il ne s’agit pas seulement des appels des clients; les employeurs sont aussi concernés. Les décisions concernant les demandes pourraient être contestées si l’on savait que des employés accèdent sans autorisation à des informations d’EDSC.

[69] La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait pas lu le Code de conduite ou le Code de valeurs et d’éthique; elle a dit qu’elle avait [traduction] « survolé » les documents. Elle n’avait pas lu non plus le contenu de la formation, car elle s’est sentie forcée de la terminer le plus rapidement possible. Tout au long de la procédure d’enquête, elle a été claire sur un point : elle n’avait pas conscience d’avoir commis quelque chose de mal. Elle ignorait qu’il lui était interdit d’accéder à ses renseignements personnels et à ceux des membres de sa famille. Elle a compris qu’elle ne pouvait pas accéder aux dossiers qui ne font pas partie de la charge de travail qui lui avait été attribuée. Soit elle ignorait délibérément les politiques lorsqu’il s’agissait des membres de sa famille, soit elle n’a pas dit la vérité dans son témoignage au sujet de ce qu’elle savait être un comportement acceptable ou inacceptable. Son témoignage n’était tout simplement pas crédible.

[70] Elle a admis que si elle avait suivi la formation requise, elle aurait eu les connaissances et la compréhension nécessaires pour prendre de meilleures décisions. Elle aurait également su qu’il y avait des conséquences disciplinaires potentielles en cas de violation des politiques. Contrairement à ce qu’elle affirme, à savoir qu’aucun représentant de l’employeur n’a vérifié qu’elle avait bien compris le contenu de la formation, il lui incombait de soulever toute question relative à la formation et de la porter à l’attention de l’employeur. Elle a réussi l’examen initial et la formation d’actualisation des connaissances, où elle a obtenu chaque fois un résultat de 90 % au test. Ce faisant, elle indiquait à l’employeur qu’elle comprenait le contenu de la formation. Elle a suivi la formation en 2014, et les accès non autorisés ont continué. Elle a suivi la formation d’actualisation des connaissances en 2016, mais l’activité illégale s’est poursuivie en 2017 et 2018.

[71] L’employeur a dûment pris en considération tous les facteurs atténuants pertinents lorsqu’il a déterminé la sévérité de la mesure disciplinaire. Les accès non autorisés de la fonctionnaire ont été nombreux et ont eu lieu à répétition; ils se sont étalés sur une période de 17 ans, même après avoir reçu une formation spécifique. On lui a demandé de fournir des informations supplémentaires, mais elle n’a jamais évoqué ses difficultés avec le mode de formation.

[72] Selon l’avocat de l’employeur, l’arbitre ne doit intervenir que si la sévérité de la mesure disciplinaire était manifestement déraisonnable ou erronée (voir la décision Cooper, au par. 13). Dans le présent cas, le licenciement était raisonnable et approprié, car le lien de confiance était irrémédiablement rompu.

[73] En termes de réparation, la réintégration était presque toujours le redressement privilégié; le pouvoir d’accorder une indemnité tenant lieu de réintégration doit être fondé sur des circonstances exceptionnelles (voir la décision Bahniuk, aux par. 349 à 359). Il n’y a pas de circonstances exceptionnelles dans le présent cas.

[74] L’avocat de l’employeur a renvoyé à la décision Bétournay pour faire valoir que le défaut pour la fonctionnaire de reconnaître la gravité de son écart de conduite signifie que l’employeur ne peut plus la croire lorsqu’elle affirme qu’elle ne commettra plus ce comportement à l’avenir. Dans le présent cas, l’absence de sanction disciplinaire constituait une circonstance atténuante, mais l’ancienneté de la fonctionnaire au sein d’ESDC constituait une circonstance aggravante. Avec autant d’années de service, elle aurait dû avoir conscience de la gravité de sa faute de conduite (voir la décision Bétournay, aux par. 105 à 108).

[75] En outre, lorsqu’on envisage la réintégration, il faut tenir compte du potentiel de réhabilitation de l’employé. Dans le présent cas, la preuve a démontré qu’il n’y avait aucun potentiel de réhabilitation, et ce pour plusieurs raisons. La fonctionnaire a délibérément choisi de ne pas examiner les documents de politique générale, mais a plutôt triché durant la formation, afin de réussir le test. Elle a continué à faire référence à la façon dont les choses étaient faites dans le [traduction] « bon vieux temps », ce qui montre une réticence au changement. Elle a également affirmé que la nouvelle direction se livrait à une [traduction] « chasse aux sorcières », ce qui témoignait une fois de plus d’une réticence au changement. Elle n’est pas une bonne candidate à la réhabilitation (voir la décision Brazeau, au par. 180).

[76] L’employeur a fait valoir que les faits du présent cas ainsi que l’attitude de la fonctionnaire reflétaient ceux de l’affaire Campbell, dans laquelle la Commission avait confirmé le licenciement. Dans l’affaire Campbell, le fonctionnaire avait plus de 33 ans de service et un dossier disciplinaire vierge. Il avait effectué 93 accès non autorisés, il avait accordé 14 traitements préférentiels, n’avait pas tiré d’avantages financiers et il n’y avait pas eu de fraude. Cependant, il estimait qu’il aurait agi de la même manière dans l’exercice de ses fonctions. Le long bilan de bons services de la fonctionnaire peut constituer un facteur atténuant, mais la gravité de l’infraction est un facteur aggravant qui l’emporte sur le fait qu’elle était une employée de longue date (voir les décisions Campbell, au par. 49, et Gauthier, au par. 87).

[77] L’avocat de l’employeur a fait valoir que les mesures disciplinaires progressives ne s’appliquent pas dans tous les cas. Dans le présent cas, l’employeur a perdu toute confiance en la plaignante, et la gravité de sa faute de conduite était telle que le congédiement était la seule sanction raisonnable et appropriée (voir les décisions Shaver, au par. 122, et Woodcock, aux par. 63 et 64).

[78] L’avocat de l’employeur a établi des distinctions entre le présent cas et les affaires citées par l’agent négociateur de la fonctionnaire dans son recueil de jurisprudence. Dans la décision Michaud c. Agence du revenu du Canada, 2018 CRTESPF 87, la Commission a substitué une suspension de 5 jours à une suspension de 30 jours sur le fondement d’accès non autorisés parce que dans cette affaire, le fonctionnaire avait exprimé des remords et reconnaissait ses erreurs, et qu’il avait cessé sa conduite. La Commission a conclu que le fonctionnaire avait agi honnêtement. Il faut établir une distinction entre l’affaire dont je suis saisi et la décision Hillis c. Conseil du trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2004 CRTFP 151 compte tenu des problèmes liés à l’enquête. Dans l’affaire Nova Scotia (Public Service Commission) v. NSGEU (2013), 238 L.A.C. (4th) 62 (« Hillier »), des circonstances atténuantes exceptionnelles ont été invoquées, et la fonctionnaire a été franche tout au long de l’enquête de l’employeur et lors de l’audience.

[79] Dans le présent cas, la fonctionnaire a soit menti, soit délibérément ignoré les politiques et les lignes directrices de l’employeur.

[80] En ce qui concerne la décision Mercer c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2016 CRTEFP 11, l’avocat de l’employeur a fait valoir que la Commission devait adopter une approche similaire parce que les faits sont semblables. Rien ne justifie l’intervention de la Commission dans la procédure disciplinaire.

B. Pour la fonctionnaire

[81] La fonctionnaire m’a renvoyé aux affaires suivantes : Wm. Scott, Mercer, Michaud, Hillis, Hillier, Alberta v. Alberta Union of Provincial Employees (AUPE), 2017 CanLII 149114 (AB GAA), Nova Scotia Government and General Employees Union v. Province of Nova Scotia (non publiée; 10 juillet 2012), et Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24.

[82] L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que le licenciement était excessif. L’employeur n’a pas pris tenu compte des très importantes circonstances atténuantes, à savoir le dossier disciplinaire vierge de 34 années de service, les remords immédiats, l’absence de préméditation et l’absence de tout gain personnel ou financier. D’autre part, il n’y avait aucun facteur aggravant, tel que la fraude, une intention cachée, une plainte publique embarrassante, la divulgation de renseignements ou une atteinte à la vie privée.

[83] Outre le fait qu’il n’a pas évalué de manière équitable les circonstances atténuantes et aggravantes, l’employeur s’est concentré presque exclusivement sur le nombre d’accès et a refusé d’admettre qu’une formation aurait pu être nécessaire. Les décideurs se sont montrés sceptiques et ont conclu que la fonctionnaire avait menti. Ils n’ont pas vérifié si les messages transmis par les responsables et les chefs d’équipe ont bien été relayés aux employés tels que la fonctionnaire. Ils n’avaient aucune raison valable de douter de sa sincérité concernant sa compréhension des concepts comme les traitements préférentiels et les conflits d’intérêts.

[84] Une fois les concepts expliqués, la fonctionnaire n’a pas contesté que ses actes constituaient des manquements graves à l’éthique. Elle a été honnête et a fait preuve de remords.

[85] L’employeur n’a pas démontré dans quelle mesure les messages de la direction générale ont été transmis aux employés dans les bureaux. Selon le témoignage non contredit de la fonctionnaire, les chefs d’équipe et les gestionnaires n’ont pas discuté des questions éthiques avec les employés avant l’enquête.

[86] La fonctionnaire a passé toute sa carrière à EDSC, où elle a occupé plusieurs postes. Elle était loyale et se consacrait au service du public. Malgré les hauts et les bas de sa vie personnelle, son témoignage était clair et sans contradiction : elle se souciait de son travail et de ses collègues. Lorsqu’elle est arrivée au bureau d’EDSC de Richmond Hill, le moral était au plus bas; elle a immédiatement créé un comité social, elle a mis son classeur à la disposition de ses collègues et est devenue la mère poule du bureau. Elle aidait tout le monde, était fière de son travail et traitait ses clients avec la même attention.

[87] Contrairement à la position de l’employeur concernant l’absence de potentiel de réhabilitation, la fonctionnaire a fait preuve de responsabilité et de réceptivité dans le passé. Elle a su s’adapter et peut le faire à nouveau. Une mesure disciplinaire se doit d’être corrective, et non punitive.

[88] Il ne s’agissait pas d’une faute de conduite préméditée. La fonctionnaire n’a pas compris la gravité de son comportement. En témoignage, elle a clairement affirmé qu’elle avait compris à l’époque qu’elle ne pouvait pas s’occuper des dossiers des membres de sa famille et de ses amis; elle ne pouvait pas décider de leur accorder des prestations et elle ne pouvait pas travailler sur ses propres dossiers. Elle était sincère lors de son témoignage concernant la recherche d’informations pour son fils; elle a dit que ce genre d’intervention ne lui prenait pas plus de deux secondes, et que ça n’avait tellement pas d’importance qu’elle ne se souvenait pas l’avoir fait.

[89] En témoignage, elle a affirmé qu’elle apprenait mieux en suivant lors de formations en personne et en salle de classe que lors de formations en ligne. La formation à la gestion de l’information s’est déroulée en ligne et aucun suivi n’a été effectué pour vérifier si les employés avaient bien compris les concepts. Elle a fait preuve de franchise en échangeant des réponses avec ses collègues, afin de terminer la formation au plus vite.

[90] Rien ne prouve qu’elle a reçu une formation portant spécifiquement sur le Code de valeurs et d’éthique.

[91] L’employeur a fait preuve de scepticisme à l’égard du fait qu’une employée ayant autant d’années de service et d’expérience pouvait ne pas comprendre les concepts en cause, mais il n’a présenté aucun élément de preuve concernant ce qui avait été discuté directement avec la fonctionnaire. Aucun chef d’équipe de son bureau n’a témoigné. Selon la fonctionnaire, les discussions éthiques entre les membres de la direction ne lui ont pas été relayées.

[92] L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que le congédiement était excessif et a fait référence à l’affaire Mercer, qui concernait une situation similaire dans laquelle l’employeur avait imposé une suspension de deux jours.

IV. Motifs

[93] L’article 228(2) de la Loi prévoit qu’après étude du grief, la Commission tranche celui-ci par l’ordonnance qu’elle juge indiquée.

[94] La jurisprudence arbitrale a établi depuis longtemps qu’un arbitre saisi d’un grief lié à une mesure disciplinaire doit poser trois questions distinctes. Premièrement, l’employé a-t-il fourni à l’employeur un motif juste et raisonnable de lui imposer des mesures disciplinaires? Si oui, la décision de l’employeur de congédier l’employé constituait-elle excessive compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire? Enfin, si l’arbitre estime que le congédiement était une mesure excessive, quelle autre mesure serait juste et équitable? Il s’agit du critère énoncé dans la décision « Wm. Scott ». La chambre l’a adopté et appliqué de manière cohérente (voir les décisions Basra, aux par. 24 à 29, et Wm. Scott, au par. 13).

[95] Les deux parties conviennent que c’est le critère à appliquer.

[96] Contrairement à la position de l’employeur, l’arbitrage de griefs liés à une mesure disciplinaire au titre de l’article 209(1)b) de la Loi constitue une audience de novo. Il ne s’agit pas du contrôle de la décision de l’employeur selon la norme de la décision raisonnable sur tous les aspects de celle-ci, y compris la sévérité de la mesure disciplinaire. Il incombe à l’employeur de justifier tous les aspects de sa décision disciplinaire, selon la prépondérance des probabilités.

A. La fonctionnaire a-t-elle commis une faute?

[97] Cette première question nécessite un examen des faits. Les parties s’accordent sur le fait qu’il y a eu faute, mais je dois néanmoins mener mon propre examen, car une audience devant la Commission est une audience de novo.

[98] Les parties ont présenté de nombreux éléments de preuve concernant le mandat de l’employeur, ses systèmes électroniques, ainsi que la formation d’actualisation des connaissances pour les employés. J’ai également entendu l’enquêteur qui a mené l’enquête administrative interne.

[99] Compte tenu des éléments de preuve documentaire et des témoignages, la prépondérance des probabilités m’amène à conclure que la fonctionnaire a accédé aux systèmes de l’employeur comme l’enquêteur l’a allégué.

[100] En effet, la fonctionnaire a admis devant l’enquêteur interne et devant la Commission qu’elle avait accédé aux systèmes et qu’elle avait fourni des services aux membres de sa famille. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas qu’elle faisait quelque chose de mal, car elle avait déjà agi de la sorte par le passé sans aucune répercussion.

[101] Indépendamment du niveau des connaissances de la fonctionnaire au sujet des politiques de l’employeur, je conclus qu’il y a eu une faute qui justifiait une mesure disciplinaire de la part de l’employeur. Elle a violé le Code de conduite et le Code de valeurs et d’éthique d’EDSC en effectuant des accès non autorisés aux bases de données d’EDSC afin d’accorder un traitement préférentiel aux membres de sa famille.

B. Le comportement fautif justifiait-il le congédiement?

[102] Après avoir établi l’existence d’une faute, je dois maintenant déterminer si la mesure disciplinaire imposée était excessive dans les circonstances. Cet exercice implique un examen approfondi de la situation de l’employé, de l’employeur et de la nature de la faute (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, aux paragraphes 7:62 et 7:68).

[103] Dans l’arrêt McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, la Cour suprême du Canada a expliqué que les décideurs doivent établir un équilibre utile entre la gravité de l’inconduite d’un employé et la sanction infligée. La Cour a expliqué ce qui suit :

[…]

53 […] Il faut établir un équilibre utile entre la gravité de l’inconduite d’un employé et la sanction infligée. On saisit mieux l’importance de cet équilibre si on tient compte du sens de l’identité et de la valorisation que les gens tirent fréquemment de leur emploi, un concept qui a été étudié dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313, où le juge en chef Dickson (dissident) a déclaré, à la p. 368 :

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien‑être sur le plan émotionnel.

Notre Cour a, par la suite, cité ce passage en l’approuvant dans l’arrêt Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986, p. 1002, et dans l’arrêt Wallace, précité, par. 95. Dans l’arrêt Wallace, les juges majoritaires ont développé cette notion en précisant que l’emploi lui-même n’est pas seulement essentiel à l’identité d’une personne, mais que « la façon dont il peut être mis fin à un emploi revêt tout autant d’importance ».

54 Compte tenu de cette reconnaissance du fait que l’emploi est une composante essentielle de la vie et de l’identité des personnes dans notre société, la prudence est de mise lorsqu’il s’agit de façonner des règles et des principes de droit qui permettront de mettre fin sans préavis à la relation employeur-employé. L’importance de cette prudence ressort de l’inégalité du rapport de force qui, selon notre Cour, caractérise la plupart des aspects de la relation employeur‑employé. Dans l’arrêt Wallace, tant les juges majoritaires que les juges dissidents ont reconnu l’inégalité du pouvoir de négociation qui caractérise habituellement ces relations et qui rend les employés vulnérables face à leur employeur. On a de plus reconnu que cette vulnérabilité subsiste, et s’accentue d’autant plus, au moment du congédiement.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[104] Au moment de déterminer si la mesure disciplinaire d’un employeur est excessive, l’arbitre de différends ou l’arbitre de grief doit tenir compte de plusieurs facteurs, notamment les facteurs suivants (voir la décision Wm. Scott, au par. 14) :

[Traduction]

[…]

(i) Quel est le degré de gravité de l’infraction présente commise par l’employé qui a donné lieu au congédiement (par exemple, la différence entre un vol et l’absentéisme)?

(ii) Le comportement de l’employé était-il prémédité ou récurrent; ou s’agissait-il plutôt d’une aberration passagère et émotive ayant pu être provoquée par autrui (par exemple, dans le contexte d’un conflit entre deux employés)?

(iii) L’employé travaillait-il depuis longtemps pour l’employeur? Au cours de ses années de service, l’employé a-t-il démontré qu’il était compétent? Son dossier disciplinaire est-il vierge ou presque?

(iv) [L]’employeur a-t-il tenté auparavant d’imposer à l’employé des mesures disciplinaires plus modérées qui n’ont pas réglé le problème (par exemple, retards chroniques ou absentéisme)?

(v) Le congédiement de cet employé cadre-t-il avec les politiques uniformes de l’employeur ou semble-t-il constituer un moyen de s’en prendre particulièrement à cette personne en la traitant de façon arbitraire et sévère (un problème qui semble survenir plus particulièrement dans les cas de mesures disciplinaires imposées en réponse à une grève sauvage)?

 

[105] Je m’appuie sur les principes énoncés ci-dessus.

[106] La fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas accordé suffisamment d’importance aux facteurs atténuants au moment de déterminer la mesure disciplinaire appropriée; pour sa part, il a fait valoir que le lien de confiance était irrémédiablement rompu et qu’il n’existait aucun potentiel de réhabilitation permettant de rétablir la relation de travail.

[107] Selon les notes de l’employeur concernant l’audience disciplinaire, la fonctionnaire est devenue émotive et a déclaré qu’elle n’avait jamais réalisé qu’elle faisait quelque chose de mal. Il est à noter que M. Rendace lui a expliqué la notion de conflit d’intérêts en détail. Lorsqu’on lui a demandé si elle savait que l’accès aux dossiers des membres de sa famille constituait un conflit d’intérêts et que cela pouvait constituer une violation du Code de conduite d’EDSC, elle a répondu qu’elle en avait maintenant conscience et qu’elle [traduction] « n’aurait jamais fait cela si [elle l’]avait su ». Elle a déclaré qu’elle avait toujours accordé la priorité aux clients et qu’elle ne considérait pas qu’elle avait accordé « un traitement préférentiel » aux membres de sa famille.

[108] Le directeur, M. Rendace, et le directeur général, M. Anderton, lesquels ont informé l’ADM que le congédiement était justifié, ont tous deux déclaré s’être appuyé sur le rapport d’enquête et les réponses de la fonctionnaire lors de l’audience disciplinaire.

[109] Les deux seules personnes qui ont parlé directement à la fonctionnaire et qui ont donc pu évaluer sa sincérité, sa fiabilité et son potentiel de réhabilitation sont M. Bossé, l’enquêteur, et M. Rendace, le directeur qui a mené l’audience disciplinaire. Il existe une différence de point de vue distincte et significative entre eux.

[110] L’analyse et la conclusion de l’enquêteur sont ainsi rédigées :

[Traduction]

[…]

L’enquête administrative a établi que Mme Mirabelli a enfreint le Code de conduite d’ESDC en accédant, sans autorisation, aux bases de données du Ministère (ETI et le RAS) à des fins personnelles et en accordant un traitement préférentiel à son mari, à sa fille, à son fils, à sa belle-fille et à la belle-mère de son fils.

L’examen de la CEO a montré qu’elle avait effectué cinq transactions. Toutes les transactions étaient en ordre.

Au cours de l’entrevue, elle ne se souvenait pas des raisons pour lesquelles elle avait accédé aux dossiers de ses proches. Cependant, elle a été honnête, transparente et a fait preuve de remords tout en acceptant la responsabilité de ses actes répréhensibles. Mme Mirabelli avait mal compris ce qu’est un traitement préférentiel, mais à la fin du processus d’entrevue, elle comprenait parfaitement le concept.

[Je mets en évidence]

 

[111] Le témoignage de M. Bossé devant la Commission était conforme à sa conclusion selon laquelle la fonctionnaire a été « honnête, transparente et a fait preuve de remords tout en acceptant la responsabilité de ses actes répréhensibles ». Il a également confirmé qu’elle avait une idée fausse de ce qui constitue un traitement préférentiel, mais qu’elle avait parfaitement compris ce concept à la fin du processus d’entrevue.

[112] D’autre part, M. Rendace a déclaré qu’il ne croyait pas à la sincérité de la plaignante lorsqu’elle a affirmé qu’avant l’enquête et l’entrevue, elle ne connaissait pas ou ne comprenait pas le concept de traitement préférentiel. Il a donc conclu qu’elle n’était pas digne de confiance. Il a fondé sa conclusion et son opinion sur le fait que tous les employés, y compris elle, avaient reçu une formation sur les valeurs et l’éthique et avaient certifié l’avoir suivie.

[113] Je conclus que les conclusions de M. Rendace ne sont pas convaincantes. Au cours de l’entrevue disciplinaire, il a expliqué en détail les concepts de conflit d’intérêts et de traitement préférentiel à la plaignante, qui a reconnu qu’elle ne les connaissait pas auparavant, mais qu’elle les comprenait maintenant grâce à l’entrevue avec M. Bossé et aux explications de M. Rendace. Aucun élément de preuve clair et convaincant n’a été déposé pour appuyer la position de l’employeur selon laquelle la fonctionnaire avait reçu une formation spécifique sur le Code de conduite d’ESDC et que les chefs d’équipe discutaient régulièrement des questions éthiques avec les employés. Le résumé de la formation de la fonctionnaire présenté en preuve montre seulement qu’elle a suivi la formation sur la Gestion de l’information et les comportements en milieu de travail. Il n’y avait aucune mention relative à la formation sur le Code de conduite d’ESDC.

[114] L’employeur s’est appuyé sur la formation en ligne et a fait valoir qu’en la réussissant, la plaignante reconnaissait avoir compris le contenu du cours. Cette hypothèse est directement contredite par son témoignage non contesté selon lequel ses collègues et elles ont triché et lors duquel elle a indiqué ne pas avoir intégré ou compris tout le contenu du cours.

[115] Je conclus que le témoignage de la fonctionnaire était sincère et crédible. En témoignage, elle a déclaré qu’elle ne savait pas que la manière dont elle a accédé aux dossiers des membres de sa famille constituait un traitement préférentiel. Ce témoignage est cohérent avec les déclarations qu’elle a faites au cours de l’enquête et lors de l’audience disciplinaire. Elle a expliqué que c’était la culture du bureau. Je conclus également que la fonctionnaire était crédible lorsqu’elle a affirmé que ses collègues et elle ont échangé leurs réponses lors du test, et qu’elle n’a pas prêté beaucoup d’attention au matériel de formation. Son explication selon laquelle elle retenait mieux les informations dans une salle de classe et dans le cadre d’une formation en personne n’a pas été contestée.

[116] Dans l’ensemble, je préfère la conclusion de M. Bossé selon laquelle la fonctionnaire était « honnête [et] transparente » à celle de M. Rendace, qui estime qu’elle était malhonnête et indigne de confiance. Mon point de vue est également étayé par le fait que le 10 avril 2019, l’ASM a recommandé le maintien de son attestation de fiabilité en raison de son honnêteté et de sa transparence. L’ASM a également recommandé qu’elle suive une séance d’information sur la sécurité pour lui rappeler ses responsabilités personnelles.

[117] L’employeur a insisté sur le fait que le lien de confiance était irrémédiablement rompu et que la relation de travail était irrécupérable, mais il n’a fourni aucun élément concret ou convaincant à l’appui de cette conclusion. L’employeur a également fait valoir que la mauvaise conduite de la fonctionnaire pouvait potentiellement affecter négativement sa réputation et que des demandes pourraient être contestées. Je ne suis pas d’accord. Elle a commis des accès non autorisés aux bases de données d’EDSC pour accorder un traitement préférentiel aux membres de sa famille, mais la preuve a établi que les transactions étaient en ordre et qu’il n’y avait pas d’activité frauduleuse.

[118] En revanche, le témoignage de la fonctionnaire a démontré qu’elle avait un potentiel de réhabilitation et qu’elle était sincère lorsqu’elle a affirmé qu’elle ne savait pas que ce qu’elle faisait était mal et que cela aurait pu lui coûter son emploi. Elle a fait preuve d’honnêteté et de transparence au cours de l’enquête et devant la Commission. Étrangement, elle pensait qu’elle était efficace parce qu’il ne lui fallait que deux ou trois minutes pour vérifier les renseignements. Elle a également déclaré que ce type de comportement faisait partie de la culture du bureau à l’époque. En témoignage, elle a déclaré qu’elle apprenait et retenait mieux les informations dans le cadre d’une formation en classe dirigée par un formateur. Elle a expliqué que le fait que la formation soit en ligne et gérée de manière autonome ne convenait pas à son style d’apprentissage.

[119] Je conclus que le congédiement dans le présent cas était excessif. Je n’ai pas tiré cette conclusion à la légère. Elle est fondée sur la preuve et les faits du présent cas.

C. Qu’est-ce qu’une mesure disciplinaire appropriée?

[120] Les deux parties m’ont renvoyé à plusieurs affaires concernant des accès non autorisés à des bases de données d’employeurs. La plupart des affaires citées par l’employeur concernaient l’Agence du revenu du Canada et l’accès illégal aux renseignements personnels des contribuables et à leur utilisation interdite. Parmi les affaires citées par la fonctionnaire, deux concernaient des accès non autorisés impliquant EDSC. J’ai examiné ces affaires et j’en ai tenu compte pour tirer ma conclusion.

[121] Dans les affaires concernant l’Agence du revenu du Canada, la preuve montrait que les employés recevaient régulièrement des rappels concernant les attentes de leur employeur en matière de conformité à ses politiques relatives à l’accès non autorisé aux renseignements personnels des contribuables, lesquels prenaient la forme de séances de discussions ouvertes et de courriels réguliers envoyés par son commissaire ou son service des ressources humaines. Dans ces affaires, cet employeur a présenté des éléments de preuve démontrant que les politiques et les notes explicatives étaient affichées sur les réseaux locaux (voir la décision Woodcock, aux par. 45 et 46). Une telle preuve n’a pas été présentée dans le présent cas. Outre le rappel qui apparaît lorsque les employés se connectent au système électronique, la seule preuve de l’existence de rappels est un courriel envoyé par l’ASM en 2012. La certification des employés pour ETI était requise tous les trois mois. L’employeur a souligné que les gestionnaires et les chefs d’équipe discutaient régulièrement des questions éthiques avec le personnel; toutefois, le témoignage de la fonctionnaire selon lequel les chefs d’équipe et les gestionnaires ne discutaient pas des questions d’éthique avec le personnel avant l’enquête n’a pas été contesté.

[122] Je conclus que les systèmes de rappel en place à l’époque étaient inadéquats. Les règles du lieu de travail qui entraînent des conséquences disciplinaires pour les employés doivent non seulement être claires, mais elles doivent aussi être clairement communiquées aux employés (voir l’arrêt Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537 v. KVP Co. Ltd., (1965), 16 L.A.C. 73 (Ont. Arb.), communément appelée KVP).

[123] L’employeur a renvoyé à la décision Cooper pour faire valoir que la Commission ne doit pas interférer à l’égard de la mesure disciplinaire à moins qu’elle ne soit manifestement déraisonnable ou erronée.

[124] Comme je l’ai déjà indiqué, le rôle de la Commission dans les affaires disciplinaires au titre de l’article 209(1)b) de la Loi n’est pas de procéder au contrôle de la décision de l’employeur selon la norme de la décision raisonnable. Dans la décision Viner c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2022 CRTESPF 74, la Commission a exprimé son point de vue sur l’approche « manifestement déraisonnable ou erronée » et a déclaré qu’elle « ne convient pas lorsqu’il est question d’un grief de licenciement. » La Commission s’est exprimée ainsi :

[326] L’employeur a fait valoir qu’en évaluant le degré de discipline, la Commission ne devrait alléger une sanction disciplinaire imposée par la direction que si elle est [traduction] « manifestement déraisonnable ou erronée » (voir Legere, au par. 177). Je souligne que la citation est tirée des observations de l’employeur dans cette affaire, et non des motifs de l’arbitre de grief. La déclaration selon laquelle les décideurs du secteur public fédéral ne devraient intervenir que si la sanction était « manifestement déraisonnable ou erronée » provient d’une décision antérieure; voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119.

[327] L’affaire Cooper concernait une sanction pécuniaire, et non un licenciement. À mon avis, l’approche de la sanction « manifestement déraisonnable ou erronée » n’est pas appropriée dans le cas de mesures disciplinaires. Une des premières utilisations de cette expression se trouve dans la décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Hogarth c. Conseil du Trésor (Approvisionnements et Services), dossier de la CRTFP 166-02-15583 (19870331), dans laquelle un arbitre de grief a déclaré qu’un ou une arbitre de grief ne devrait pas intervenir simplement parce qu’il ou elle estime qu’une sanction légèrement moins sévère aurait pu être suffisante, ajoutant « […] la détermination d’une mesure disciplinaire appropriée est un art et non une science ». Dans les cas où cette approche était adoptée, il était chaque fois question d’une suspension. Dans le cas d’un licenciement, une sanction « légèrement moins sévère » impliquerait nécessairement la réintégration, y compris la possibilité d’une suspension ou d’une rétrogradation. Il ne s’agit pas d’une affaire impliquant une différence de 5 ou 10 jours de suspension. Par conséquent, l’approche de la sanction « clairement déraisonnable ou erronée » ne convient pas lorsqu’il est question d’un grief de licenciement.

[328] Comme nous l’avons déjà mentionné, le rôle de la Commission dans le règlement d’un grief relatif à une mesure disciplinaire consiste à déterminer si l’administrateur général a démontré un motif valable pour imposer une mesure disciplinaire, puis à déterminer si la mesure disciplinaire imposée était excessive, compte tenu de la gravité de la conduite et des facteurs atténuants et aggravants (voir Wm. Scott et Basra).

[Je mets en évidence]

 

[125] Je retiens le raisonnement exposé dans la décision Viner.

[126] Je conclus que la mesure disciplinaire prise dans le présent cas est manifestement excessive au vu des circonstances et qu’elle justifie mon intervention.

[127] Je rejette l’argument de l’employeur selon lequel les 34 années de service de la fonctionnaire constituaient un facteur aggravant qui l’emportait sur d’autres facteurs, tels que son dossier disciplinaire vierge. À mon avis, les longues années de service de la fonctionnaire devraient constituer un important facteur atténuant lorsqu’elles sont considérées dans le contexte d’autres faits, comme son dossier disciplinaire vierge au cours de ses 34 années de service. Un dossier d’emploi long et sans tache est un facteur qui joue souvent en faveur du plaignant lorsqu’il s’agit de déterminer si une sanction disciplinaire devrait être modifiée (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au paragraphe 7:76).

[128] Dans le présent cas, l’employeur n’a pas suffisamment tenu compte des facteurs atténuants pertinents, notamment les années de service de la fonctionnaire, son dossier disciplinaire vierge, son honnêteté, sa franchise et ses remords.

[129] Il n’a pas non plus appliqué le principe de proportionnalité. En témoignage, elle a déclaré que ses collègues qui avaient eu des comportements similaires avaient reçu des suspensions de 3 et 15 jours. Cet élément de preuve n’a pas été contesté. Je prends également note du fait que dans la décision Mercer, l’employeur a suspendu le fonctionnaire pendant deux jours dans des circonstances similaires.

[130] L’employeur m’a incité à reprendre l’approche adoptée dans la décision Campbell parce que les faits sont similaires.

[131] Je ne suis pas d’accord.

[132] Dans l’affaire Campbell, le fonctionnaire a commis 93 accès non autorisés distincts et a accordé 14 traitements préférentiels à sa famille et à ses amis. Le groupe de contribuables qui ont bénéficié du traitement préférentiel accordé par ce fonctionnaire était bien plus important que le groupe de personnes auxquelles Mme Mirabelli a accordé un traitement préférentiel. Il est vrai que dans les deux cas, il n’y a eu aucun bénéfice personnel; et l’employeur n’a subi aucune perte.

[133] Il faut établir une distinction entre l’affaire Campbell et la situation de Mme Mirabelli compte tenu de deux faits essentiels. Tout d’abord, M. Campbell a admis qu’il savait qu’il faisait quelque chose de mal. Dans cette affaire, la preuve démontrait clairement de quelle manière l’employeur faisait constamment comprendre aux employés que les accès non autorisés aux renseignements personnels ont des répercussions sur les contribuables (voir la décision Campbell, aux par. 28 et 29).

[134] Deux facteurs ont convaincu la Commission de confirmer le licenciement dans l’affaire Campbell. Le premier facteur concernait le fait que la Commission était troublée par la déclaration du fonctionnaire selon laquelle il comprenait le caractère répréhensible de ce qu’il faisait. Le second facteur portait sur l’absence de tout remords de sa part. Aucun de ces facteurs ne s’applique dans le présent cas.

[135] En revanche, les éléments dont je dispose corroborent le témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle ignorait que ce qu’elle faisait était interdit. Ces éléments de preuve concordaient avec l’évaluation et la conclusion de l’enquêteur de l’employeur selon lesquelles la fonctionnaire ne comprenait pas que ses actes étaient répréhensibles. Je rejette l’argument de l’employeur selon lequel la fonctionnaire n’a pas de potentiel de réhabilitation parce qu’elle fait continuellement référence au « bon vieux temps ». Je pense plutôt que cette référence montrait que l’employeur avait négligé ce type de comportement dans le passé. L’employeur a démontré qu’à un certain moment, il avait mis en place une technologie permettant de déclencher une révision, à savoir la nouvelle méthode de détection automatisée.

[136] Dans la décision Shaver, le licenciement a été confirmé. Il faut établir une distinction entre les faits de l’affaire Shaver et ceux du présent cas. Dans la décision Shaver, l’arbitre de grief a conclu que la conduite du fonctionnaire était délibérée et répétée et qu’il avait divulgué des renseignements à des tiers. Il avait manqué de franchise lors de l’enquête interne de l’employeur ou lors de son témoignage devant l’arbitre de grief.

[137] Dans la décision Ward, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait attiré l’attention de la fonctionnaire et de ses collègues à plusieurs reprises sur l’interdiction d’utiliser les ordinateurs à des fins autres que professionnelles et sur la gravité de la divulgation à des personnes non autorisées de tout renseignement obtenu en accédant aux dossiers des contribuables. Dans cette affaire, la fonctionnaire avait divulgué des renseignements sur les contribuables à des tiers.

[138] Dans l’affaire Woodcock, le fonctionnaire a effectué des transactions sur les comptes auxquels il a eu accès. Dans un premier temps, il a nié ses activités et n’a pas été franc au cours de l’enquête. La Commission a conclu que sa crédibilité était sérieusement mise en doute et que son manque de franchise était le facteur aggravant le plus important qui l’a menée à confirmer le congédiement.

[139] Dans le présent cas, j’ai conclu que la fonctionnaire avait été crédible tout au long de la procédure. J’étais convaincue qu’elle avait une idée fausse de ce qu’est un traitement préférentiel et elle a candidement admis son ignorance. L’employeur n’a déposé aucun élément de preuve pour réfuter son témoignage selon lequel elle apprenait mieux par l’interaction directe et en classe et qu’elle avait donc négligé ou simplement survolé le matériel de formation.

[140] Dans la décision Michaud, la Commission a substitué une suspension de 5 jours à une suspension de 30 jours pour accès non autorisé. Elle a conclu que le fonctionnaire était repentant, qu’il reconnaissait ses erreurs, qu’il avait complètement cessé le comportement contesté et qu’il avait agi honnêtement tout au long du processus.

[141] Dans la décision Mercer, le même ministère était impliqué, et les allégations qui y ont été soulevées sont semblables à celles qui sont soulevées dans le présent cas. Le fonctionnaire a accordé un traitement préférentiel aux membres de sa famille. Des éléments de preuve ont été déposés concernant le fait que les employés de ce bureau n’avaient reçu aucune formation spécifique sur le Code de conduite et le Code de valeurs et d’éthique, bien qu’ils aient reçu des copies de ces deux documents. M. Mercer a déclaré qu’il ne savait pas que ses actes étaient répréhensibles et que maintenant qu’il est averti, il ne consulterait plus les dossiers des membres de sa famille. Il a également fait valoir que tous les autres employés du bureau faisaient la même chose. L’employeur a imposé une suspension de deux jours, que la Commission a confirmée. Dans cette affaire, la Commission a conclu que le fonctionnaire n’avait pas encore accepté la responsabilité de ses actes, ce qui constituait un important facteur aggravant.

[142] Les deux parties ont renvoyé à la décision Mercer. L’employeur m’a exhorté à adopter l’approche dans cette affaire et à rejeter le grief. D’autre part, la fonctionnaire m’a exhorté à considérer la sévérité de la mesure disciplinaire imposée par l’employeur dans cette affaire comme un guide pour modifier la sanction qui lui a été imposée. Fait remarquable, l’employeur n’a pas abordé la question de la sévérité de la mesure disciplinaire imposée dans cette affaire; de plus, il n’a pas tenu compte du témoignage de la fonctionnaire selon lequel ses collègues avaient reçu des sanctions moins sévères pour le même comportement dans le présent cas.

[143] J’estime que la décision Mercer est convaincante, car l’approche disciplinaire de l’employeur dans cette affaire reflétait le niveau de gravité ou de tolérance avec lequel il considérait ce type de comportement de l’employé à l’époque.

[144] Dans le présent cas, je n’ai pas l’intention de minimiser la gravité de la faute commise par la fonctionnaire. Les fonctionnaires qui adoptent un tel comportement donnent une piètre image de l’intégrité des services qu’ils fournissent à la population canadienne. Les gestionnaires et les employés du service public doivent s’efforcer de promouvoir une culture d’intégrité, afin d’attirer et de conserver la confiance de la population canadienne.

[145] J’ai examiné attentivement les dossiers déposés par les parties. J’ai également considéré le témoignage de la fonctionnaire selon lequel deux de ses collègues ayant fait l’objet d’une enquête ont été suspendus pendant 3 et 15 jours, respectivement. En témoignage, elle a également déclaré que la plupart des personnes avaient reçu une suspension de trois jours. Dans trois des affaires citées par la fonctionnaire, les arbitres ont substitué des suspensions de 12 mois, 9 mois et 6 mois au licenciement. J’ai déjà établi une distinction entre le présent cas et les affaires auxquelles l’employeur a fait référence et dans lesquelles des licenciements ont été confirmés. Je prends note du fait que la mesure disciplinaire choisie par l’employeur en réponse à un comportement similaire a été atténuée. Dans la décision Hillis, une suspension de 10 jours a été imposée à la fonctionnaire pour avoir divulgué des renseignements confidentiels à un tiers non autorisé. Dans l’affaire Mercer, l’employeur a imposé une suspension de deux jours sans solde au fonctionnaire pour avoir accordé un traitement préférentiel à des membres de sa famille. Je prends note également que dans l’affaire Michaud, la Commission a réduit une suspension de 30 jours pour accès non autorisé à une suspension de cinq jours. Il ne semble pas y avoir de critère pour déterminer le nombre approprié de jours de suspension.

[146] L’employeur n’a déposé aucun élément de preuve concernant la politique disciplinaire utilisée pour guider les cadres lorsqu’ils imposent des sanctions disciplinaires; je n’ai donc pas d’autre point de référence que la jurisprudence et les éléments de preuve dont je dispose. M. Rendace a fondé sa recommandation de congédiement sur son opinion subjective quant à la sincérité de la fonctionnaire, mais il a également déclaré qu’il n’excluait pas une suspension. L’ASM a conclu que la fonctionnaire pouvait conserver son attestation de fiabilité et qu’elle avait besoin de suivre une séance d’information sur la sécurité. Cela me donne à penser que les deux objectifs des mesures disciplinaires sont en jeu ici, à savoir la correction et la réhabilitation. L’ASM pensait que la fonctionnaire pouvait être réhabilitée en suivant une séance d’information sur la sécurité. M. Rendace n’a pas exclu la suspension, laquelle serait une mesure corrective. Un troisième objectif de la mesure disciplinaire est la dissuasion.

[147] J’ai examiné ces trois objectifs des sanctions disciplinaires; correction, réadaptation et dissuasion, et j’ai conclu qu’une sanction appropriée doit refléter ces trois objectifs. Je conclus qu’une suspension de 30 jours sans solde reflète adéquatement ces trois objectifs. Je conclus également que la réintégration est appropriée dans le présent cas. Pour les motifs exposés ci-dessus, j’ai conclu que la fonctionnaire avait le potentiel nécessaire pour être réhabilitée. Par conséquent, la fonctionnaire est réintégrée dans son poste au groupe et au niveau PM-02. Bien qu’une suspension de 30 jours sans solde puisse sembler excessive pour une première faute professionnelle commise par la fonctionnaire, dans le contexte du présent cas, elle souligne clairement que les fonctionnaires ne doivent pas accorder de traitement préférentiel et que la population canadienne a droit à un accès égal aux services et aux programmes gouvernementaux.

[148] J’accueille le grief et je remplace le licenciement par une suspension de 30 jours sans solde.

V. Ordonnances de confidentialité

[149] L’employeur a déposé un cahier de documents contenant 47 onglets qui a été joint en tant que pièce 1. La fonctionnaire a déposé un cahier de documents contenant 6 onglets, lequel a été joint en tant que pièce 2. Au début de l’audience, les parties ont demandé que les renseignements relatifs aux tiers contenus dans les pièces soient mis sous scellés.

[150] Je souligne que des renseignements tels que les NAS et les adresses ont déjà été caviardés de la pièce 1, conformément, semble-t-il, à la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission. Toutefois, je constate que les rapports d’enquête contiennent des détails sur des tiers qui n’étaient pas des employés. De même, la pièce 2 contient les renseignements personnels de la fonctionnaire, tels que son adresse personnelle et les détails de ses déclarations de revenus.

[151] Dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, la Cour suprême du Canada a exposé un critère en trois volets pour l’octroi d’ordonnances de confidentialité, limitant ainsi le principe de la publicité des débats judiciaires. La partie qui sollicite une ordonnance de confidentialité

[38] […] doit établir que :

(1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

(2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

(3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[…]

 

(Voir l’arrêt Sherman (Succession), au par. 38.)

[152] Le matériel de formation « Gestion de l’information et comportements en milieu de travail » prévoit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Compte tenu du volume de renseignements personnels sous le contrôle du Ministère et de l’importance de gérer ces informations avec soin, la partie 4 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social inclut des dispositions spécifiques en matière de protection de la vie privée, désignées sous le nom de Code sur la protection des renseignements personnels du Ministère, qui imposent des règles pour l’utilisation et la mise à disposition des renseignements personnels.

[…]

 

[153] Outre le Code sur la protection des renseignements personnels du Ministère, les personnes qui ont droit à des prestations sociales font confiance au gouvernement pour protéger leurs renseignements personnels et ne les utiliser qu’à des fins légitimes dans le cadre des programmes qu’il administre.

[154] Dans le présent cas, les rapports d’enquête contiennent des renseignements personnels sur les membres de la famille de la fonctionnaire. Ils ont fourni ces informations à EDSC pour la mise en œuvre de ses programmes dans le cadre de son mandat conféré par la loi. Il est important que le public s’intéresse à la protection des renseignements personnels fournis aux ministères pour la prestation des programmes. La publicité des débats dans le contexte de l’arbitrage des griefs représente un risque sérieux pour cet intérêt public d’importance.

[155] Le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Sherman (Succession) consiste à évaluer s’il existe des mesures alternatives raisonnables pour prévenir le risque en l’absence d’une ordonnance de confidentialité. Dans le contexte d’une décision d’arbitrage et de la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée de la Commission, je ne vois rien d’autre qu’une ordonnance de confidentialité pour éviter ce risque. Au titre de la politique de transparence judiciaire des débats de la Commission, les membres du public peuvent demander et obtenir l’accès aux pièces déposées au dossier. La Commission n’a aucun contrôle sur le moment où ces demandes sont faites, sur les personnes qui les font ou sur l’objet de la demande. Sans une ordonnance de confidentialité, ces renseignements personnels risqueraient d’être divulgués à toute personne demandant à y avoir accès.

[156] En application des principes énoncés dans l’arrêt Sherman (Succession), je suis disposée à limiter le principe de publicité des débats judiciaires en protégeant les renseignements personnels des membres de la famille de la fonctionnaire contenus dans la pièce 1.

[157] La pièce 2 contient les renseignements personnels de la fonctionnaire ainsi que ses déclarations de revenus. La fonctionnaire a présenté volontairement ses renseignements fiscaux en vue d’étayer son dossier, mais cela n’est pas pertinent au regard de l’analyse énoncée dans l’arrêt Sherman (Succession). La protection des renseignements que la population canadienne fournit au ministre du Revenu national est un fondement important du système fiscal canadien. Le législateur a inscrit cette protection à l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)), tout comme EDSC l’a inscrite dans son Code sur la protection des renseignements personnels. La présente Commission protège systématiquement les renseignements fiscaux des particuliers. Dans l’affaire Walker c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2024 CRTESPF 18, la Commission a écrit ce qui suit :

[9] La protection des renseignements des contribuables canadiens constitue un intérêt public important. L’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)) prévoit notamment qu’il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale « […] de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation; » (al. 241(1)a)), « […] de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel; » (al. 241(1)b)) ou « […] d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, […] » (al. 241(1)c)). La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit la définition suivante d’une entité gouvernementale : « conseil ou commission […] qui exerce une fonction gouvernementale ou municipale, selon le cas, d’ordre administratif ou réglementaire […] » (par. 241(10)).

[10] Il n’existe aucune solution de rechange à une ordonnance de mise sous scellés qui serait pratique pour le présent cas. La plupart des renseignements contenus dans les documents fiscaux sont personnels, de sorte que le caviardage ne serait pas approprié.

[11] J’estime également que, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de la protection des renseignements des contribuables l’emportent sur tout effet négatif. Les parties pertinentes des déclarations de revenus sont résumées dans la présente décision (revenu brut et revenu imposable), et aucun autre renseignement figurant dans les déclarations de revenus n’est pertinent au présent grief.

 

[158] J’adopte l’approche de la Commission dans la décision Walker. J’ordonne la mise sous scellés des renseignements personnels et des déclarations de revenus de la fonctionnaire (pièce 2, onglets 2 à 6).

[159] En rendant ces ordonnances de confidentialité, j’ai établi un équilibre entre le principe de transparence judiciaire et le risque de divulgation inutile de renseignements personnels.

[160] J’ordonne à l’employeur de caviarder la pièce 1 de toute information permettant d’identifier les membres de la famille de la fonctionnaire et de remettre la version caviardée du document à la Commission dans les 45 jours suivant la date de la présente décision.

[161] La pièce 1 contient le matériel pour la formation sur la Gestion de l’information et les comportements en milieu de travail (voir les onglets 8 et 12). Je n’ai reçu aucune information de la part de l’employeur quant à l’exclusivité du contenu des formations. La Commission est prête à recevoir les observations des parties sur la question de savoir si le contenu des formations doit être protégé.

[162] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[163] Le grief est accueilli.

[164] La fonctionnaire est réintégrée dans son poste de groupe et de niveau PM-02 à compter du 17 juillet 2019.

[165] Une suspension sans solde de 30 jours est substituée au licenciement de la fonctionnaire.

[166] J’ordonne la mise sous scellé des onglets 2, 3, 4, 5 et 6 de la pièce 2.

[167] Il est ordonné à l’employeur de caviarder la pièce 1 de toute information permettant d’identifier les membres de la famille de la fonctionnaire et de remettre la version caviardée du document à la Commission dans les 45 jours suivant la date de la présente décision.

[168] J’ordonne que la pièce 1 soit mise sous scellée jusqu’à ce que l’exercice de rédaction et de remplacement soit terminé. Une fois cet exercice terminé, le Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs est tenu de renvoyer la version non caviardée de la pièce 1 à l’employeur et de la supprimer du procès-verbal des délibérations de la Commission relatif à l’audience du 31 octobre au 3 novembre 2023.

[169] La Commission restera saisie de cette affaire pendant 90 jours, au cas où les parties rencontreraient des problèmes de mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces ordonnances.

Le 1er mai 2025.

Traduction de la CRTESPF

Caroline Engmann,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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