Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
La politique sur la vaccination exigeait que les employés soient vaccinés contre la COVID-19, sous réserve de mesures d’adaptation pour des raisons de droits de la personne. Cinq fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé des mesures d’adaptation en raison de leurs croyances religieuses, mais l’employeur a rejeté leurs demandes. La Commission a évalué les allégations de chaque fonctionnaire s’estimant lésé conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, comme suit : 1) la personne a une pratique ou une croyance qui est liée à la religion; 2) sa croyance est sincère. La Commission a rejeté deux des griefs parce que les croyances de ces fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient aucun lien avec la religion. Aucun des deux fonctionnaires s’estimant lésés n’a témoigné pour établir un lien entre leurs croyances et un système de croyances global. Bien que la croyance du troisième fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle le vaccin était la « marque de la bête » ait un lien avec la religion, la Commission a rejeté son grief après avoir conclu que ses croyances n’étaient pas sincères parce qu’elles n’étaient conformes à aucune pratique religieuse faisant partie d’un système complet de croyances. Pour les deux derniers fonctionnaires s’estimant lésés, la Commission a conclu que leur croyance qu’ils ne pouvaient pas accepter le vaccin en raison de son développement à l’aide de lignées cellulaires fœtales était liée à la religion. La Commission a également conclu que leurs croyances étaient sincères parce qu’elles étaient conformes à leurs autres pratiques religieuses. Selon Amselem, la liberté religieuse est violée si l’ingérence dans la pratique ou la croyance religieuse est plus que négligeable ou insignifiante. Les deux derniers fonctionnaires s’estimant lésés ont choisi de ne pas se faire vacciner et ont été mis en congé sans solde, ce qui, selon la Commission, constituait une ingérence dans leurs croyances religieuses. Le grief était scindé sur la réparation. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé une déclaration selon laquelle ils avaient tous établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion. La Commission a fait cette déclaration.
Déclaration de preuve prima facie de discrimination pour deux griefs.
Trois griefs rejetés.
Contenu de la décision
Date: 20250514
Dossiers: 566‑09‑45234, 45237, 45239, 45458 et 45694
Référence: 2025 CRTESPF 57
Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et |
|
entre
MATTHIEU HARRISON, CAROLE JOANISSE, CHANTAL PRÉVOST, ALEXANDRU STEFANESCU ET RICHARD STEWART
fonctionnaires s’estimant lésés
et
Conseil national de recherches du Canada
employeur
Répertorié
Harrison et autres c. Conseil national de recherches du Canada
Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
Devant : Patricia H. Harewood, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Malini Vijaykumar et Melanie Sutton, avocats
Pour l’employeur : Larissa Volinets Schieven, avocate
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 2, 9, 23, 29 et 30 août et
les 6 et 26 septembre et le 4 octobre 2024.
(Traduction de la CRTESPF)
(TRADUCTION DE LA CRTESPF) |
I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage
[1] L’évaluation de la question de savoir si une croyance religieuse est sincère est essentielle pour trancher les présents griefs. Même si dans Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, la Cour suprême du Canada a affirmé que les cours, et par extension, les tribunaux, ne doivent pas agir comme arbitres des dogmes et des enseignements religieux, la majorité de la Cour a également conclu que les tribunaux sont bien placés pour évaluer si une croyance religieuse est sincère.
[2] La présente décision porte sur cinq griefs individuels que l’Association des employés du Conseil de recherches a déposés contre la politique sur la vaccination obligatoire contre la COVID‑19 du Conseil national de recherches du Canada (l’« employeur ») (la Politique sur la vaccination contre la COVID‑19 applicable au Conseil national de recherches du Canada; la « politique »). La politique de l’employeur était en vigueur pendant la pandémie de la COVID‑19 (la « pandémie ») de novembre 2020 à juin 2021. L’employeur ne fait pas partie de l’administration publique centrale. Cependant, il a reproduit la politique sur la vaccination obligatoire du gouvernement fédéral, qui s’appliquait aux fonctionnaires de la fonction publique fédérale dans l’administration publique centrale.
[3] Chacun des fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») a demandé une exemption de la politique pour des motifs religieux et a déposé un grief individuel contre l’employeur en vertu de l’article 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) lorsqu’il a refusé chaque demande, puis a ensuite placé chacun des fonctionnaires en congé non payé. Les parties ont convenu qu’une décision concurrente soit rendue pour les cinq griefs individuels. J’ai analysé chacun de manière indépendante, plus particulièrement en fonction des faits et des arguments des parties pour chacun.
[4] Les fonctionnaires, Matthieu Harrison, Carole Joanisse, Chantal Prévost, Alexandru Stefanescu et Richard Stewart, soutiennent que les refus de l’employeur de leur accorder des exemptions religieuses à la politique constituaient une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion, en vertu des conventions collectives applicables, de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6) et de l’article 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.); la « Charte »). À titre de réparation, ils demandent une déclaration selon laquelle chacun des fonctionnaires a présenté une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion.
[5] L’employeur fait valoir que chaque grief devrait être rejeté, car aucun des fonctionnaires n’a établi une preuve prima facie de discrimination.
[6] Selon l’article 22 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365), la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience. Les parties ont demandé que ces affaires soient tranchées ensemble au moyen d’arguments écrits, et la Commission a accepté.
[7] Comme la Commission l’a fait remarquer dans Bedirian c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement), 2024 CRTESPF 58, elle a la charge de plus de 350 cas comme ceux‑ci. Une méthode juste, efficiente et efficace pour les trancher est donc dans l’intérêt supérieur des parties et de la Commission. Ces cinq griefs individuels concernent le même employeur, l’application de la même politique et des matrices factuelles qui sont semblables, même s’il s’agit de griefs individuels.
[8] Après qu’une conférence de gestion des cas ait été tenue, la Commission a convenu d’un calendrier pour les arguments écrits et pour le dépôt des déclarations sous serment et pour les contre‑interrogatoires à leur sujet. Les parties ont également déposé un recueil conjoint de documents qui comprenait des déclarations sous serment individuelles qui ont été déposées lorsque les demandes d’exemption ont été présentées. Les parties ont également convenu de fournir un recueil de documents supplémentaire, au besoin, mais elles ne l’ont jamais fait. Elles ont eu la possibilité de déposer des déclarations sous serment supplémentaires dans le cadre du grief de Mme Prévost et de procéder au contre‑interrogatoire au sujet de toute déclaration sous serment. Les fonctionnaires et l’employeur ont déposé ces déclarations sous serment supplémentaires, mais aucun d’eux ne s’est prévalu de son droit de procéder au contre‑interrogatoire au sujet de la déclaration sous serment de l’autre partie.
[9] Pour les raisons expliquées ci‑dessous en détail, je conclus que Richard Stewart et Chantal Prévost ont établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion. M. Stefanescu, M. Harrison et Mme Joanisse n’ont pas atteint ce seuil. Les décisions individuelles ci‑dessous comprennent le contexte de tous les griefs, la question que je dois trancher et un examen de la jurisprudence applicable. Après cela, les faits et analyses liés à chaque grief individuel sont exposés. Par souci de commodité, j’ai fourni ci‑dessous une table des matières des décisions individuelles.
Table des matières
Contexte des griefs |
3 |
Questions en litige |
4 |
La jurisprudence applicable |
4 à 9 |
Faits et analyse |
9 |
Richard Stewart |
9 à 17 |
Alexandru Stefanescu |
17 à 22 |
Carole Joanisse |
22 à 30 |
Matthieu Harrison |
30 à 36 |
Chantal Prévost |
36 à 44 |
Ordonnance |
45 |
II. Contexte des griefs
[10] Les parties n’ont pas déposé un énoncé conjoint des faits, mais les faits contextuels importants concernant la mise en œuvre de la politique ne sont pas en litige.
[11] Le 6 octobre 2020, le gouvernement du Canada a fourni des détails sur sa politique de vaccination obligatoire, qui s’appliquait aux fonctionnaires au sein de l’administration publique centrale.
[12] Le même jour, l’employeur a annoncé son intention de reproduire la politique du gouvernement fédéral.
[13] La politique de l’employeur est entrée en vigueur le 8 novembre 2021. Conformément à cette politique, les employés devaient attester de leur statut vaccinal au plus tard le 30 novembre 2021, ce qui nécessitait la saisie de données dans le « Système de suivi pour l’attestation à la vaccination » de l’employeur.
[14] Les employés souhaitant une mesure d’adaptation pour des motifs liés aux droits de la personne pourraient également soumettre leurs demandes par l’intermédiaire du Système de suivi pour l’attestation à la vaccination de l’employeur. Ils devaient remplir un formulaire, répondre à un certain nombre de questions, puis procéder à une réunion de suivi avec leur gestionnaire direct.
[15] Tout fonctionnaire qui n’avait pas attesté de son statut vaccinal devait être placé en congé administratif non payé à compter du 15 décembre 2021.
[16] Tous les fonctionnaires ont présenté une demande d’exemption pour des motifs religieux. Tous se sont vu refuser une exemption et mis en congé non payé. Leurs circonstances individuelles seront décrites plus loin dans la présente décision.
[17] L’employeur a suspendu la politique obligatoire le 20 juin 2022.
III. Questions en litige
[18] La Commission a accepté de scinder la question de la réparation du bien‑fondé des griefs. Par conséquent, selon le libellé des griefs, la seule question en litige dans chacun des griefs consiste à savoir si le refus de l’employeur de la demande de mesure d’adaptation de chacun des fonctionnaires pour des motifs religieux constituait une discrimination prima facie, en violation de la convention collective applicable et de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 2a) de la Charte.
[19] Je résumerai d’abord brièvement la jurisprudence sur le moment où la liberté de religion est déclenchée – lorsqu’une preuve prima facie de discrimination est établie – puis j’appliquerai la loi aux faits particuliers de chaque cas. Même si j’ai lu attentivement tous les arguments et que j’ai examiné tous les documents qui ont été déposés, je ne répéterai pas les arguments des parties textuellement, mais j’y répondrai dans mon analyse sur le bien‑fondé.
IV. La jurisprudence applicable – Amselem et Bedirian
[20] Les fonctionnaires ont allégué une discrimination fondée sur des croyances religieuses qui contrevenait à la convention collective et à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi qu’à l’article 2a) de la Charte.
[21] Établir une preuve prima facie de discrimination exige qu’un fonctionnaire s’estimant lésé démontre qu’il possède une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu d’une convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu’il a subi un effet préjudiciable et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (voir Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33). La caractéristique protégée doit constituer uniquement un facteur et non le seul facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable qui a été subi. De plus, il importe peu de savoir s’il y avait intention de faire preuve de discrimination. Ce qui importe, c’est l’effet des mesures prises par le défendeur à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé. (Voir Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, aux paragraphes 111 et 112.)
[22] Les deux parties citent Amselem en tant qu’arrêt de principe qui énonce le critère pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion. Elles citent également souvent Bedirian, qui était le premier cas de la Commission dans lequel elle a appliqué le cadre énoncé dans Amselem, soit un cas concernant un fonctionnaire s’estimant lésé qui contestait la décision de l’employeur de refuser sa demande d’exemption de la politique sur la vaccination contre la COVID‑19 du Conseil du Trésor pour motif religieux. J’utiliserai le même cadre énoncé dans Amselem tel qu’il a été appliqué dans Bedirian, et je ferai également souvent référence à l’approche adoptée dans Bedirian lors de l’appréciation des éléments de preuve dans ces cas, car j’estime qu’il s’agit d’un point de repère important dans l’élaboration par la Commission de sa jurisprudence dans ce domaine.
[23] La majorité de la Cour suprême du Canada a établi le critère à deux étapes comme suit :
[…]
56 […] la personne qui présente un argument fondé sur cette liberté doit démontrer (1) qu’elle possède une pratique ou une croyance qui est liée à la religion et requiert une conduite particulière, soit parce qu’elle est objectivement ou subjectivement obligatoire ou coutumière, soit parce que, subjectivement, elle crée de façon générale un lien personnel avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi spirituelle, que cette pratique ou croyance soit ou non requise par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieux; (2) que sa croyance est sincère […]
[…]
[24] Dans Bedirian, au par. 28, la Commission a exposé de manière succincte les principes clés issus d’Amselem, qui doivent guider tout décideur chargé de déterminer s’il existe une preuve prima facie de discrimination fondée sur des motifs religieux, comme suit :
[…] · Seules les croyances, les convictions et les pratiques tirant leur source d’une religion sont protégées, et non celles qui soit possèdent une source séculière ou sociale, soit sont une manifestation de la conscience (au paragraphe 39).
· La religion s’entend « […] de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui‑ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle » (au paragraphe 39).
· L’accent porte sur le choix personnel exercé à l’égard des croyances religieuses, ce qui signifie donc que la liberté de religion ne protège pas uniquement les aspects d’une croyance qui sont objectivement reconnus par les experts religieux comme des préceptes obligatoires d’une religion (au paragraphe 43).
· La liberté de religion exige un « lien » entre la croyance ou la pratique et la religion de la personne (paragraphe 46).
[25] En ce qui concerne l’évaluation de la sincérité, je reproduis comme suit les directives des paragraphes 51 à 53 de la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada :
51 […] Toutefois, il importe de souligner qu’une croyance sincère s’entend simplement d’une croyance honnête : voir Thomas c. Review Board of the Indiana Employment Security Division, précité.
52 […] dans l’appréciation de la sincérité, le tribunal doit uniquement s’assurer que la croyance religieuse invoquée est avancée de bonne foi, qu’elle n’est ni fictive ni arbitraire et qu’elle ne constitue pas un artifice. Autrement, il faudrait rien de moins qu’une inquisition religieuse pour parvenir à découvrir les convictions les plus intimes des êtres humains.
53 L’appréciation de la sincérité est une question de fait qui repose sur une liste non exhaustive de critères, notamment la crédibilité du témoignage du demandeur (voir Woehrling, loc. cit., p. 394) et la question de savoir si la croyance invoquée par le demandeur est en accord avec les autres pratiques religieuses courantes de celui‑ci […]
[26] Une fois qu’une croyance religieuse et sa sincérité sont établies, la liberté de religion est déclenchée.
[27] La dernière étape de l’analyse consiste à ce que la personne établisse ensuite que la règle contestée a entravé sa croyance religieuse d’une manière plus que négligeable ou insignifiante. En d’autres termes, il doit exister une ingérence importante dans la croyance ou la pratique religieuse de la personne, de sorte qu’elle soit complètement empêchée de l’exécuter ou qu’elle soit effectivement privée de sa substance.
[28] Dans Amselem, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un règlement incorporé dans la déclaration de copropriété qui empêchait des plaignants juifs orthodoxes dans un immeuble de luxe de construire des abris temporaires sur leurs balcons pendant une fête religieuse contrevenait à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (« Charte québécoise ») et à l’article 2a) de la Charte. En discutant de l’incidence du règlement incorporé dans la déclaration de copropriété, la Cour a fait remarquer que puisque les plaignants croyaient subjectivement que leur foi juive leur imposait de construire des souccahs sur leurs balcons personnels, le règlement qui les empêchait de les faire constituait une atteinte à leur liberté de religion d’une manière plus que négligeable. En ce qui concerne la question de l’ingérence relative à la liberté de religion, au paragraphe 74, la majorité de la Cour a exprimé l’opinion suivante sur la façon dont il a été porté atteinte à la liberté de religion de M. Amselem :
74 Cependant, il ressort des principes applicables que, pour que le droit à la liberté de religion en cause ait subi une atteinte, l’entrave à son exercice doit être plus que négligeable ou insignifiante : voir Jones, précité. Il est évident que, dans le cas de M. Amselem, les clauses contestées de la déclaration de copropriété empiètent de façon importante sur son droit. En effet, si M. Amselem croit sincèrement que la religion juive l’oblige à installer sa propre souccah et à l’habiter, conclusion à laquelle le juge Rochon est lui‑même arrivé, l’interdiction qui est faite à M. Amselem de construire sa propre souccah vide de toute substance le droit reconnu à ce dernier, sans compter qu’elle entrave l’exercice de ce droit d’une manière non négligeable. La souccah commune n’est tout simplement pas une solution valable. Il y a donc nettement atteinte au droit de M. Amselem.
[29] Une fois qu’il est établi qu’il y a eu atteinte au droit, une preuve prima facie de discrimination est établie.
[30] Dans Bedirian, la Commission a conclu que le cadre énoncé dans Amselem, qui s’applique dans le contexte de la Charte québécoise et de la Charte, est applicable au contexte des droits de la personne, y compris les dispositions relatives aux droits de la personne qui interdisent la discrimination religieuse dans une convention collective ou dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Aux fins des présents griefs individuels, l’analyse prend fin à ce stade, car les fonctionnaires demandent une déclaration selon laquelle une preuve prima facie de discrimination a été établie en vertu de la convention collective, de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 2a) de la Charte. Par conséquent, si une discrimination prima facie est constatée à l’égard d’un grief individuel, je ne procéderai à aucune analyse en vertu de l’article 2a) pour déterminer si l’exercice du droit porte atteinte à autrui.
[31] Toutefois, afin d’établir une violation réelle de l’article 2a) de la Charte, je vais décrire l’étape supplémentaire décrite dans Amselem qui entre en jeu une fois qu’une personne établit une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion en démontrant qu’il a été porté atteinte à la croyance religieuse sincère.
[32] Conformément à la Charte, la liberté de religion, comme toute autre liberté, n’est pas absolue. Les personnes doivent toujours envisager la manière dont l’exercice de leur droit porte atteinte à autrui. La Cour suprême du Canada l’explique comme suit aux paragraphes 62 et 63 d’Amselem :
62 La liberté de religion, telle qu’elle a été définie plus haut, correspond bien à l’interprétation large et libérale de cette liberté garantie par la Charte québécoise et la Charte canadienne et ne devrait pas être prématurément interprétée de façon restrictive. Toutefois, notre jurisprudence n’autorise pas les gens à accomplir n’importe quel acte en son nom. Par exemple, même si une personne démontre qu’elle croit sincèrement au caractère religieux d’un acte ou qu’une pratique donnée crée subjectivement un lien véritable avec le divin ou avec le sujet ou l’objet de sa foi, et même si elle parvient à prouver l’existence d’une entrave non négligeable à cette pratique, elle doit en outre tenir compte de l’incidence de l’exercice de son droit sur ceux d’autrui. Une conduite susceptible de causer préjudice aux droits d’autrui ou d’entraver l’exercice de ces droits n’est pas automatiquement protégée. La protection ultime accordée par un droit garanti par la Charte doit être mesurée par rapport aux autres droits et au regard du contexte sous‑jacent dans lequel s’inscrit le conflit apparent.
63 De fait, à l’instar de tous les autres droits, la liberté de religion — qui peut être invoquée soit contre l’État, soit contre d’autres personnes, dans sa dimension privée, en vertu de la Charte québécoise — peut être subordonnée au respect de préoccupations sociales supérieures et, comme c’est le cas pour d’autres droits, toute entrave à l’exercice de la liberté de religion n’ouvre pas droit à action, compte tenu des restrictions à l’exercice des droits fondamentaux reconnus par la Charte québécoise.
[33] Les deux parties ont cité plusieurs exemples de l’application du cadre énoncé dans Amselem dans le contexte de fonctionnaires s’estimant lésés alléguant une discrimination fondée sur la religion, où l’employeur a refusé une exemption à une politique sur la vaccination obligatoire contre la COVID‑19. Même si j’ai lu toutes les décisions qui ont été fournies, je ne ferai référence qu’à celles que je considère les plus pertinentes aux questions en litige, soit parce qu’elles comportent des faits semblables, soit en raison de la nécessité de les distinguer du grief individuel en litige.
[34] Je vais maintenant exposer les faits de chaque grief individuel, puis appliquer la loi aux faits dans mon analyse de la question de savoir si chacun des fonctionnaires a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la religion, en violation de la convention collective, de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 2a) de la Charte.
V. Faits et analyse
A. Pour Richard Stewart
1. Faits
[35] M. Stewart travaillait comme analyste de l’information des affaires dans la Division des Services du savoir, de l’information et des technologies lorsqu’il a demandé une exemption à la politique, pour des motifs religieux. Il s’identifie comme chrétien et comme disciple de Jésus‑Christ.
[36] Le 26 novembre 2021, M. Stewart a demandé une exemption de la politique. Il a déposé une déclaration sous serment à l’appui. L’employeur n’a pas contre‑interrogé M. Stewart au sujet de sa déclaration sous serment, et j’en ai reproduit des extraits, comme suit :
[Traduction]
[…]
En réponse à l’obligation de vaccination contre la COVID‑19, je demande une mesure d’adaptation fondée sur la croyance ou la religion, car recevoir un vaccin contreviendrait à mes convictions sincères.
En tant que chrétien, je crois que la Bible est la façon dont Dieu parle à son peuple.
Hébreux 4:12 énonce ce qui suit : « Car la parole de Dieu est vivante, efficace et plus incisive qu’une épée à deux tranchants; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles; elle juge les intentions et les pensées du cœur. »
Je suis un disciple de Jésus‑Christ. Il est le chef de l’église. Je ne suis ni les décrets d’un prêtre ou d’un pasteur ni les directives d’une certaine confession chrétienne. Je fréquente régulièrement l’église Christ Church Ottawa https://www.christchurchottawa.com/ qui est une église évangélique Foursquare. Toutefois, ma vraie foi vient de la lecture de Sa parole (la Bible), de la prière et Dieu me donne des conseils par l’intermédiaire du Saint‑Esprit.
[…]
Je n’ai pris aucun vaccin depuis que je suis devenu chrétien il y a plus de 20 ans. Je fais confiance à Dieu pour me protéger.
Je crois qu’il m’a créé, ainsi que mon système immunitaire.
[…]
Dieu m’a créé avec un système immunitaire. Ses œuvres sont parfaites. Je fais confiance à mon corps pour faire ce qu’il l’a créé pour faire. J’ai déjà eu le virus COVID (avril 2020) et j’étais assez malade et j’ai perdu mes sens de goût et d’odeur qui sont les symptômes uniques de la COVID. Mon système immunitaire a fait ce qu’il était censé faire et a combattu le virus. Le système immunitaire qu’il a créé en moi est meilleur que tout ce que l’homme peut créer. Ce qui n’est pas seulement biblique, plus de 100 études scientifiques ont été effectuées au cours de la dernière année démontrant que l’immunité naturelle est meilleure que l’immunité acquise par le vaccin. Je vais inclure un certain nombre de ces études à la fin de la présente lettre.
[…]
Ma dernière raison pour refuser les vaccins est ma ferme conviction dans la valeur de la vie, de la conception à la mort naturelle. Cela est clairement montré tout au long des Écritures.
[…]
Des vaccins ont été développés et testés à l’aide de lignées cellulaires fœtales. L’avortement tue des bébés et utiliser leurs tissus pour la recherche médicale, peu importe à quel point cela est éloigné, viole le commandement de Dieu contre le meurtre.
Deut. 5:17 « Tu ne tueras point »
[…]
En tant que personne qui a eu la COVID, je crois qu’il serait immoral pour moi de prendre un vaccin alors que la plupart de la population mondiale n’y a pas accès. Même si j’ai confiance que Dieu peut me protéger, beaucoup de gens ne l’ont pas. Le continent africain dans son ensemble n’a que 3 % de sa population vaccinée (ce qui pourrait être plus élevé aujourd’hui). Même les personnes les plus à risque n’ont pas eu l’occasion. Le gouvernement canadien participe à une discrimination systémique en insistant sur le fait que l’ensemble de la population reçoive des vaccins (et maintenant les rappels) avant les pays pauvres qui ne peuvent pas se permettre de payer le vaccin. Aimer mon voisin comprend le monde entier, et non seulement ceux qui vivent à proximité.
[…]
[37] M. Stewart a également présenté une lettre de son pasteur, le révérend John Counsell, datée du 24 novembre 2021. M. Counsell est le pasteur principal de l’église Christ Church Ottawa, en Ontario, dont M. Stewart est un membre. J’ai reproduit les extraits pertinents de sa lettre personnalisée comme suit :
[Traduction]
[…]
Je suis pasteur à temps plein depuis plus de 40 ans, Rich et son épouse [caviardé] sont parmi les personnes les plus loyales, engagées et dévouées avec qui j’ai jamais travaillé. Ils, comme nous, croient que la vraie foi doit être un choix sinon elle est forcée et répressive. Les « conversions forcées » nous sont obscènes. Nous croyons que personne n’a le droit de prêcher l’Évangile du Christ sans « gagner le droit d’être entendu. » […]
[…]
Rich et [son épouse] [caviardé] sont encouragés par la « véritable affaire ». Ils sont vraiment des gens de loyauté et de foi monumentales, et comme notre rejet des « conversions forcées », notre attitude envers tout ce qui est forcé semble cruelle, et l’intimidation. Cela contraste directement avec le fait de suivre le Christ, qui, avant qu’il nous enjoigne de vivre […] il est décédé d’une horrible mort tortueuse pour payer le prix de notre péché, gagnant ainsi le droit d’être entendu. Nous suivons cette philosophie dans la mesure du possible.
Nous croyons que nos corps, étant le « Temple du Saint‑Esprit » selon les Écritures, sont sacrés. Nous sommes très prudents dans la façon dont nous les traitons, ce que nous y mettons. Ils ne sont pas les nôtres, ils appartiennent à notre Seigneur. Rich et [son épouse] [caviardé] Stewart témoignent de cette croyance ainsi que de n’importe laquelle des milliers de personnes pour lesquelles j’ai été pasteur. Je ne remettrais JAMAIS en question leur sincérité et leur loyauté envers notre système de croyances, parce que j’ai été témoin de la réalité, chaque semaine, privilégié de voir le Christ littéralement, l’amour, le service, et travailler par leur intermédiaire.
[…]
[38] Le 1er février 2022, le co‑dirigeant principal de l’information a répondu à la demande de mesure d’adaptation de M. Stewart. L’employeur a déterminé que son objection à être vacciné était fondée sur des raisons personnelles, et non religieuses. Par conséquent, sa demande a été rejetée.
[39] M. Stewart a été mis en congé non payé, à compter du 1er mars 2022.
[40] Il a déposé son grief vers le 9 février 2022.
2. Analyse
[41] M. Stewart soutient qu’il a présenté une preuve prima facie de discrimination fondée sur des motifs religieux parce que l’employeur n’a pas accueilli sa demande d’exemption. Il soutient une violation de l’article 51.1 de sa convention collective, de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Charte.
[42] Il fait valoir que ses croyances l’empêchent de recevoir le vaccin contre la COVID‑19 et qu’il existe un lien avec la religion. Je décris ses croyances comme suit :
1) son Dieu a créé son système immunitaire et Ses œuvres sont parfaites;
2) il aurait été immoral pour lui de recevoir le vaccin, étant donné que de nombreuses personnes vivant dans la pauvreté sur le continent africain n’y avaient pas accès;
3) le vaccin a été développé et testé à l’aide de lignées cellulaires fœtales; le recevoir violerait les ordres de son Dieu contre le fait de commettre un meurtre.
[43] J’examinerai chacun des arguments à tour de rôle.
a. L’argument concernant le système immunitaire n’a aucun lien avec la religion
[44] D’autres arbitres de différends ont accepté que l’argument concernant le système immunitaire a un lien avec la religion (voir Wilfrid Laurier University v. United Food and Commercial Workers Union, 2022 CanLII 120371 (ON LA), et Canadian Union of Public Employees, Local 129 v. The City of Pickering (Hepp) (non publiée, le 23 mai 2023; « Pickering/Hepp »)). Cependant, je conclus que M. Stewart ne qualifie pas sa croyance subjective comme une croyance qui l’empêcherait de recevoir le vaccin contre la COVID‑19 ou qui souillerait son alliance avec son Dieu. Son argument est un mélange de croyances laïques dans des études scientifiques présumées qui affirment que les réponses immunitaires naturelles sont efficaces. Il tente d’étayer cette croyance en citant des passages importants des Écritures sur la façon dont son Dieu a créé un système immunitaire parfait pour les humains. Il parle également de son expérience d’avoir contracté la COVID‑19 en avril 2020 et de la façon dont elle lui a conféré une immunité naturelle.
[45] Rien dans sa déclaration sous serment n’indique que cette croyance dans le système immunitaire soit ancrée dans la religion. La simple référence aux écritures bibliques ne rend pas la croyance religieuse, puisqu’il n’exprime aucune croyance subjective qui l’interdit de recevoir le vaccin contre la COVID‑19 en raison de son système immunitaire. Par conséquent, je conclus que cette croyance est ancrée dans sa croyance laïque concernant l’efficacité du système immunitaire naturel. Elle n’a aucun lien avec la religion.
b. L’argument concernant la moralité n’a aucun lien avec la religion
[46] Je conclus que sa croyance quant à l’immoralité de recevoir le vaccin contre la COVID‑19 n’a certainement aucun lien avec la religion. Dans sa déclaration sous serment, M. Stewart la qualifie comme une croyance morale et fait des déclarations quant à ce qu’il perçoit comme le racisme systémique du Canada en priorisant son besoin de vaccin par rapport à d’autres pays, en particulier ceux du continent africain. De même, je conclus qu’il ne s’agit pas d’une croyance ayant un lien avec la religion. Il s’agit plutôt d’une croyance fondée sur une critique laïque de la politique nationale du Canada concernant l’achat et la distribution des vaccins contre la COVID‑19 et son incidence mondiale.
c. L’argument concernant les lignées cellulaires fœtales a un lien avec la religion
[47] Néanmoins, M. Stewart a une croyance ayant un lien avec la religion. Il déclare dans sa déclaration sous serment qu’il croit que les vaccins ont été produits en utilisant des lignées cellulaires fœtales et que recevoir le vaccin contre la COVID‑19 violerait le commandement de Dieu « tu ne tueras point ».
[48] Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada, la question de savoir si une croyance est vraie et si elle est étayée par des chefs religieux, des dogmes religieux ou d’autres principes religieux ne fait pas partie de l’examen d’une cour ou d’un tribunal. Il ne s’agit pas d’une inquisition religieuse. Je dois plutôt évaluer si la croyance a un lien avec un système global qui est lié au « divin » ou au sens de l’accomplissement spirituel et des pratiques qui étayent un lien avec le divin. (Voir Amselem, au par. 46.)
[49] Les arbitres de différends ont conclu que les croyances selon lesquelles les fonctionnaires s’estimant lésés ne peuvent recevoir le vaccin contre la COVID‑19 parce qu’il a été testé et développé à l’aide de lignées cellulaires fœtales et qu’il serait donc contraire au commandement de leur Dieu contre le meurtre est une croyance ayant un lien avec la religion (Public Health Sudbury & Districts v Ontario Nurses’ Association, 2022 CanLII 48440 (ON LA), aux paragraphes 59 et 60 (« Sudbury Health District »); Island Health v. UFCW Local 1518, 2022 CanLII 127683 (BC LA), aux paragraphes 84 et 87 à 89; Canadian Union of Public Employees, Local 79 v. The City of Toronto, (de Castro) (non publiée, le 11 avril 2023, aux paragraphes 74 à 78). Dans le cas de M. Stewart, je suis d’avis que tout comme dans ces cas, il existe un lien clair avec sa croyance en tant que chrétien selon laquelle recevoir le vaccin violerait le commandement de son Dieu.
d. Les croyances de M. Stewart sont sincères
[50] La deuxième étape de l’analyse nécessite que je détermine si les croyances sont sincères. Il n’existe aucune liste de contrôle définie, mais l’évaluation est fondée sur un certain nombre de critères non exhaustifs (voir Amselem et Bedirian). J’ai énuméré comme suit certains des critères qui peuvent être examinés dans le cadre de l’évaluation de la sincérité :
· la crédibilité du témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé et d’autres éléments de preuve;
· moment où la croyance est née (c.‑à‑d. avant ou après le refus de l’exemption);
· le degré de cohérence de la croyance au cours de la période pertinente;
· si la croyance est compatible avec d’autres pratiques religieuses actuelles;
· la question de savoir si les actes du fonctionnaire s’estimant lésé reflètent sa croyance qui est objectivement ou subjectivement obligatoire (c.‑à‑d. dans les présents cas, la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé se fait vacciner).
[51] Étant donné qu’il n’y a qu’une croyance ayant un lien avec la religion, mon analyse porte sur la détermination de la sincérité de la croyance religieuse de M. Stewart.
[52] Je conclus que sa croyance est sincère.
[53] Même si l’employeur allègue que M. Stewart n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel sa croyance a un lien avec d’autres croyances ou pratiques religieuses, je me dois d’être en désaccord.
[54] Dans sa déclaration sous serment, M. Stewart déclare qu’il est un chrétien et qu’il n’a pas reçu de vaccins depuis 20 ans.
[55] Il déclare que puisque les chrétiens sont censés aider les personnes moins fortunées, lui et son épouse ont offert des services de sensibilisation sur les rues aux personnes pendant la pandémie, dont certaines luttaient contre la malnutrition, la dépendance et des problèmes de santé mentale.
[56] Son pasteur a affirmé dans une lettre datée du 25 novembre 2021 – soit deux jours avant que M. Stewart ne présente sa demande d’exemption – que M. Stewart est un chrétien loyal. Le pasteur a fait remarquer que l’objectif principal de l’église Christ Church consiste [traduction] « […] à servir les pauvres du centre‑ville d’Ottawa au moyen d’un soutien matériel, émotionnel et spirituel ». Il a écrit qu’il avait été pasteur pendant plus de 40 ans et que M. Stewart et son épouse sont [traduction] « […] parmi les personnes les plus loyales, engagées et dévouées avec qui [il avait] jamais travaillé […] ». Le pasteur a fait remarquer que M. Stewart est encouragé par la [traduction] « véritable affaire » et qu’il est une personne de [traduction] « loyauté et de foi monumentales ». Le pasteur a déclaré que l’église croit que le corps est le temple du Saint‑Esprit et qu’il est donc sacré, et a fait remarquer ce qui suit :
[Traduction]
[…]
[…] Ils ne sont pas les nôtres, ils appartiennent à notre Seigneur. Rich et [caviardé] Stewart témoignent de cette croyance ainsi que de n’importe laquelle des milliers de personnes pour lesquelles j’ai été pasteur. Je ne remettrais JAMAIS en question leur sincérité et leur loyauté envers notre système de croyances, parce que j’ai été témoin de la réalité, chaque semaine, privilégié de voir le Christ littéralement, l’amour, le service, et travailler par leur intermédiaire.
[…]
[57] Les éléments de preuve provenant de chefs ou d’experts religieux ne sont pas nécessaires pour établir la sincérité d’une croyance. Encore une fois, je me réfère aux mots de la Cour suprême du Canada dans Amselem au paragraphe 54 sur l’évaluation de la sincérité de la croyance :
54 […] Un « expert » ou une autorité en droit religieux ne saurait remplacer l’affirmation par l’intéressé de ses croyances religieuses. Celles‑ci ont un caractère éminemment personnel et peuvent facilement varier d’une personne à l’autre. Exiger la preuve des pratiques établies d’une religion pour apprécier la sincérité de la croyance diminue la liberté même que l’on cherche à protéger.
[58] Néanmoins, même si la lettre du pasteur de M. Stewart n’est pas nécessaire pour établir la sincérité de sa croyance, dans le présent cas, elle est pertinente. Je l’estime utile. Elle est personnalisée et intime. Il ne fait aucun doute que M. Stewart n’est pas étranger au pasteur, en tant que membre loyal de ses ouailles. Je lui attribue un certain poids dans le cadre de mon évaluation de la sincérité de la croyance de M. Stewart. Au minimum, elle permet d’établir que sa croyance religieuse sincère est compatible avec d’autres pratiques religieuses – la façon dont il vit sa vie avec la religion, y compris le service qu’il offre aux personnes qui vivent dans la pauvreté, fréquente régulièrement l’église, et traite son corps comme un temple sacré.
[59] Cela diffère considérablement de Bedirian, où la Commission a décidé que, plus important encore, il n’y avait aucun élément de preuve de la manière dont la religion faisait partie de la vie du fonctionnaire s’estimant lésé, de la manière dont la religion influait sur d’autres décisions qu’il avait prises, ou de la manière dont sa relation avec Dieu se manifestait dans sa vie quotidienne (voir le paragraphe 97). De plus, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant qu’il avait fréquenté l’église d’où il a obtenu la lettre du pasteur ni qu’il ait fréquenté l’église du tout, même s’il ne s’agit pas d’une exigence pour établir la sincérité de la croyance. Il n’y avait pas de lettre personnalisée, comme celle que M. Stewart a présentée.
[60] En fait, en contradiction directe avec le cas devant moi, dans Bedirian, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que M. Bedirian était un catholique pratiquant. Puisque l’examen porte sur la sincérité de la croyance au moment où l’interférence présumée a eu lieu, l’insuffisance de la preuve dans Bedirian concernant les activités religieuses actuelles de ce fonctionnaire s’estimant lésé était flagrante. Cette situation diffère considérablement du cas de M. Stewart qui comporte des éléments de preuve de ses activités religieuses actuelles.
[61] La majorité de la Cour suprême du Canada a déclaré qu’un examen de la sincérité d’une croyance doit être minimal. Dans Amselem, elle a insisté sur le fait que l’examen effectué par un tribunal doit se limiter à déterminer si la croyance religieuse est sincère et ne doit pas porter sur l’interprétation des préceptes religieux. Je conclus qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités, pour établir que M. Stewart satisfait au faible seuil pour établir la sincérité de sa croyance religieuse.
[62] Pour la plupart des gens, leur emploi est leur principale source de revenus. Le fait d’être mis en congé non payé en raison d’une croyance religieuse sincère interfère avec la liberté de religion d’une manière plus que négligeable ou insignifiante. Comme les arbitres de différends ont conclu dans Sudbury Health District et Pickering/Hepp, je conclus qu’il s’agit d’une interférence importante.
[63] Dans le présent cas, M. Stewart se retrouvait dans une situation où il devait choisir entre suivre sa croyance religieuse sincère ou de se passer de son salaire pendant une période indéfinie. Par conséquent, je conclus qu’il a établi une preuve prima facie de discrimination, contrairement à la convention collective, à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et à l’article 2a) de la Charte.
[64] Puisque les parties ont convenu de scinder la réparation, et que M. Stewart a demandé seulement que la Commission rende une déclaration de discrimination prima facie pour des motifs religieux, je déclare cela.
[65] Le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination. Les parties sont tenues d’informer la Commission dans les 90 jours si elles sont parvenues à une entente quant à la réparation. Si aucune entente n’est conclue à cette date, une audience sera mise au calendrier en temps utile afin de déterminer la réparation.
B. Pour Alexandru Stefanescu
1. Faits
[66] Pendant la période pertinente, M. Stefanescu travaillait en tant que chef d’équipe, également à la Division des Services du savoir, de l’information et des technologies.
[67] Il s’identifie comme un chrétien orthodoxe et comme un membre de l’Église orthodoxe roumaine.
[68] Le 2 décembre 2021, il a souscrit une déclaration sous serment manuscrite pour étayer sa demande de mesure d’adaptation pour motif de croyance religieuse. J’ai reproduit une partie de celle‑ci, comme suit :
[Traduction]
Je suis un chrétien orthodoxe fidèle et un membre actif de l’église et de la communauté orthodoxe roumaine. Je demande une mesure d’adaptation fondée sur mes croyances religieuses profondes.
Je ne suis pas opposé aux vaccins qui ont été développés et fabriqués de manière éthique; je suis cependant opposé au vaccin contre la COVID, car je crois sincèrement que ce vaccin représente la marque de la bête prophétisée et la venue de l’antéchrist, comme cela a été révélé dans l’Évangile de Jean dans le livre de l’Apocalypse. Dans Apocalypse 13:16, il est écrit :
« Elle fit que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, soient marqués […] et que personne ne puisse acheter ni vendre, s’il n’est marqué du nom de la bête ou du chiffre de son nom […] son chiffre est six cent soixante-six. » Dans Apocalypse 14, il est dit que quiconque reçoit la marque de la bête souffrira de la colère de Dieu et sera tourmenté pour l’éternité. Je crois sincèrement qu’en prenant un vaccin contre la COVID, je violerais mon alliance avec Dieu, et je ne peux pas en bonne conscience le faire.
Mes croyances sont appuyées par les saints Aînés de l’Église orthodoxe, dont je suis fidèlement les enseignements et les pratiques […]
En tant que croyant fidèle aux enseignements de l’Église, j’ai reçu l’ordre des Pères de l’Église de chérir et de protéger à jamais mon alliance avec Dieu. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de prendre le vaccin contre la COVID‑19, car cela violait le caractère sacré de ma conscience et de mes croyances religieuses profondes.
[…]
[69] Le 14 février 2022, l’employeur a informé M. Stefanescu que sa demande avait été refusée parce que son objection au vaccin contre la COVID‑19 était fondée sur un choix personnel, et non sur un impératif religieux.
[70] L’employeur a mis M. Stefanescu en congé administratif non payé, à compter du 15 mars 2022.
[71] M. Stefanescu a déposé un grief vers le 16 février 2022.
2. Analyse
[72] M. Stefanescu affirme que la décision de l’employeur de refuser sa demande de mesure d’adaptation constituait une discrimination prima facie fondée sur la religion et une violation de la clause 51.1 de la convention collective, de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 2a) de la Charte.
[73] L’employeur soutient que M. Stefanescu n’a pas démontré que ses croyances avaient un lien avec la religion ou qu’elles étaient sincères.
[74] Comme les arbitres de grief l’ont fait remarquer antérieurement, un fonctionnaire s’estimant lésé doit avoir au moins une croyance ayant un lien avec la religion (voir Nova Scotia Nurses’ Union v. IWK Health Centre, 2022 CanLII 57410 (NS LA) (IWK) et Wilfrid Laurier University).
[75] Je conclus que M. Stefanescu avait deux raisons de ne pas vouloir recevoir le vaccin contre la COVID‑19, 1) parce qu’il est contraire à l’éthique, et 2) parce qu’il s’agit de la « marque de la bête » et le fait de le recevoir violerait son alliance avec Dieu.
a. La croyance d’Alexandru Stefanescu selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 est contraire à l’éthique n’a aucun lien avec la religion
[76] Dans sa déclaration sous serment, il affirme clairement qu’il n’est pas opposé aux vaccins qui ont été fabriqués et développés de manière éthique et il laisse entendre que le vaccin contre la COVID‑19 n’en fait pas partie. Il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles il semble ne pas vouloir recevoir le vaccin. Il ne fournit aucune explication quant à la raison pour laquelle il croit que le vaccin a été développé de manière non éthique; il ne fournit non plus aucun exemple de vaccins qui ont été développés de manière éthique.
[77] De plus, il ne fournit aucune explication quant à ce qu’il entend par [traduction] « fabriqué ou développé de manière éthique ». Pour les défenseurs des droits des animaux, cela pourrait signifier un vaccin développé sans tests sur les animaux. Pour les humanitaires, cela pourrait signifier un vaccin développé sans recourir à la main‑d’œuvre enfantine ou à d’autres formes d’exploitation humaine. Il n’y a tout simplement rien dans la déclaration sous serment qui fournit une explication.
[78] Néanmoins, selon les quelques renseignements fournis, je conclus que cette première raison de ne pas souhaiter recevoir le vaccin contre la COVID‑19 est fondée sur une objection de conscience singulière aux vaccins qui ne sont pas fabriqués ou développés de manière éthique. Cette raison n’est pas enracinée dans la religion. M. Stefanescu n’établit à aucun moment un lien entre cette croyance et un système de croyances complet par rapport au divin ou de son accomplissement spirituel.
b. La croyance d’Alexandru Stefanescu selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 est la marque de la bête a un lien avec la religion
[79] D’autre part, la deuxième raison de M. Stefanescu pour ne pas vouloir recevoir le vaccin contre la COVID‑19 a un lien avec la religion.
[80] Dans sa déclaration sous serment, M. Stefanescu affirme que le vaccin contre la COVID‑19 représente la marque de la bête. Il explique qu’en vertu de sa foi spirituelle, la marque de la bête représente la venue de l’antéchrist, telle qu’elle est décrite dans le livre de l’Apocalypse 13:16 – l’un des livres fondamentaux de la Bible pour les chrétiens. Ce verset peut être résumé en indiquant qu’une personne souffrira et sera tourmentée par Dieu si elle a la marque de la bête. Il explique que recevoir le vaccin violerait son alliance avec Dieu.
[81] Il explique également que plusieurs chefs religieux partagent ses croyances, même s’il ne précise pas s’il fait référence à la croyance selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 est contraire à l’éthique ou qu’il s’agit de la marque de la bête, ou les deux.
[82] Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans Amselem, la question de savoir si des agents religieux ou des dogmes soutiennent la croyance est sans importance pour l’examen. De plus, il n’importe peu que la croyance soit ou non objectivement vraie. Au cœur de la première étape de l’analyse est la question de savoir si la croyance a un lien avec la religion.
[83] Dans certains cas, des arbitres de différends ont conclu que les croyances selon lesquelles le vaccin contre la COVID‑19 représente la marque de la bête, tel que cela est indiqué dans la Bible chrétienne, ont un lien avec la religion (voir IWK, au par. 62).
[84] Selon les faits dont je dispose, je conclus que la croyance de M. Stefanescu selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 représente la marque de la bête et que le recevoir violerait son alliance avec Dieu constitue une croyance ayant un lien avec la religion, notamment son christianisme orthodoxe.
c. La croyance de M. Stefanescu n’est pas sincère
[85] Toutefois, je ne suis pas d’avis que la croyance religieuse de M. Stefanescu soit sincère.
[86] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que, sauf le fait d’indiquer qu’il est un chrétien orthodoxe et un membre actif de l’Église orthodoxe roumaine, M. Stefanescu ne fournit aucun élément de preuve selon lequel sa croyance religieuse est compatible avec l’une de ses autres pratiques religieuses. En fait, sa déclaration sous serment est dépourvue de tout renseignement sur d’autres pratiques religieuses qui font partie d’un système de croyances complet.
[87] Puisque la question de savoir si une croyance est sincère est une question de fait, il incombait à M. Stefanescu de présenter ses arguments. Même si le seuil est faible pour établir la sincérité d’une croyance, faire valoir ses arguments nécessite plus qu’une affirmation déclarative dans une déclaration sous serment selon laquelle sa croyance religieuse est sincère et des renvois à des passages d’écritures bibliques.
[88] M. Stefanescu demeure silencieux sur ce que signifie être un membre actif de l’Église orthodoxe roumaine. Même s’il n’existe aucune liste d’activités approuvée pour établir la sincérité de la croyance religieuse d’une personne, même l’examen minimal exigé par la Cour suprême du Canada nécessite une évaluation de la compatibilité avec d’autres pratiques religieuses. En tant que membre de l’Église orthodoxe roumaine, M. Stefanescu peut très bien participer à d’autres pratiques religieuses. Il peut très bien avoir d’autres croyances qui sont compatibles avec sa croyance selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 représente la marque de la bête. Il ne fait tout simplement pas le minimum nécessaire pour l’établir.
[89] Il ne fournit aucun renseignement sur la façon dont il vit sa vie d’une manière qui est compatible avec sa croyance religieuse selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 constitue une marque de la bête et qu’ainsi, il est interdit de le recevoir.
[90] Son cas peut être distingué de IWK et de Sudbury Health District.
[91] Dans IWK, l’arbitre de différends Hollett a estimé que la fonctionnaire s’estimant lésée, une infirmière autorisée, n’avait pas examiné d’autres vaccins une fois que les obligations de vaccination avaient été annoncées en tant qu’éléments de preuve que sa croyance selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 représentait la marque de la bête était sincère. L’arbitre de différends disposait également d’éléments de preuve sur les croyances religieuses de la fonctionnaire s’estimant lésée concernant les relations sexuelles hors mariage et la sainteté de son corps en tant que temple spirituel créé à l’image de Dieu.
[92] Cette situation est tout à fait différente du présent cas, dans lequel les seuls éléments de preuve sont une déclaration dans la déclaration sous serment concernant le fait que M. Stefanescu est un chrétien orthodoxe et un membre actif de l’Église orthodoxe roumaine, sans aucune référence supplémentaire aux pratiques et croyances religieuses compatibles avec la croyance concernant la signification de la marque de la bête.
[93] De plus, les faits du présent cas sont très différents de ceux dans Sudbury Health District. Dans ce cas, l’arbitre de différends a conclu que la croyance religieuse de la fonctionnaire s’estimant lésée qui l’empêchait de recevoir le vaccin contre la COVID‑19 en raison de son lien perçu avec des lignées cellulaires fœtales était sincère. L’arbitre de différends s’est fortement appuyé sur des éléments de preuve concernant la façon dont la fonctionnaire s’estimant lésée vivait sa vie selon sa compréhension de la doctrine de la communauté de la messe latine (voir le paragraphe 57). Malgré un certain nombre d’incohérences dans la manière dont la fonctionnaire s’estimant lésée a expliqué la façon dont recevoir le vaccin serait contraire à sa foi, mais que le fait de prendre d’autres médicaments ne l’était pas, l’arbitre de différends a tout de même conclu que sa croyance religieuse selon laquelle elle ne pouvait pas recevoir le vaccin parce qu’il utilisait des lignées cellulaires fœtales était sincère.
[94] Le cas devant moi peut être distingué de Sudbury Health District en raison de l’insuffisance des éléments de preuve dont je dispose sur la façon dont M. Stefanescu vit sa vie selon sa foi chrétienne orthodoxe et en tant que membre de l’Église orthodoxe roumaine. Je ne dispose tout simplement d’aucun élément de preuve indiquant qu’il vit sa vie d’une manière compatible avec ses croyances religieuses.
[95] Par conséquent, le grief de M. Stefanescu est rejeté.
C. Pour Carole Joanisse
1. Faits
[96] Mme Joanisse travaillait en tant que conseillère en rémunération dans la Direction générale des ressources humaines de l’employeur pendant la période pertinente. Au moment où elle a déposé sa déclaration sous serment, elle comptait 19 années d’expérience auprès du gouvernement fédéral.
[97] Depuis le début de la pandémie, Mme Joanisse a travaillé exclusivement à domicile.
[98] Le 8 octobre 2021, elle a envoyé un courriel à l’employeur pour demander une exemption médicale de la vaccination contre la COVID‑19, que les parties ont incluse dans le recueil conjoint de documents. Il se lit comme suit :
[Traduction]
Bonjour,
Je communique avec vous aujourd’hui au sujet de l’« obligation » de vaccination contre la COVID.
Je souffre d’une allergie grave à la pénicilline et à ses dérivés, ma réaction à ce médicament est un choc anaphylactique. Si une trace de celle‑ci ou de ses dérivés se trouve dans l’un des vaccins, la vaccination pourrait être fatale pour moi.
Les ingrédients de la liste ne sont pas complètement connus et ces vaccins ne sont approuvés que pour une utilisation d’urgence, ce qui, je dois le dire, ne me rend pas très à l’aise à ce sujet.
Étant donné que je suis contrainte de recevoir le vaccin, si je devais subir des effets indésirables, qui sera responsable de tout problème de santé découlant du vaccin par la suite?
Comme je travaille à domicile, et ce, depuis mars 2020, je ne vois pas la logique de me faire vacciner puisque je ne vais pas dans un bureau où d’autres personnes se trouvent. Je suis seule à la maison.
Il pourrait y avoir des options au lieu d’un vaccin, un test d’anticorps par exemple ou d’autres options qui pourraient être offertes aux employés.
À l’heure actuelle, je souhaite demander une exemption médicale.
Merci,
Carole Joanisse
[99] Le 30 janvier 2022, Mme Joanisse a souscrit une déclaration sous serment et a demandé une exemption de la politique pour motif religieux, en déclarant ce qui suit :
[Traduction]
[…]
Selon mes convictions religieuses profondes, en vertu des lignes directrices des saintes Écritures, et sous les auspices de mes conseillers en conseils religieux mentionnés dans la présente lettre, ainsi que ma compréhension de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Charte canadienne des droits et libertés,
je choisis de demander une exemption à l’obligation de vaccination contre la COVID‑19 pour motif religieux. Les saintes Écritures, je crois, m’instruisent à m’opposer à tout système non biblique qui me prive de la liberté de déterminer ce qui est fait à mon corps, y compris la préservation de ma propre vie, si j’ai des raisons de croire que quelqu’un ou quelque chose pourrait causer un préjudice injustifié. Le livre de la Genèse déclare que Dieu a créé l’homme à Son image (Gen 1:27), c’est pourquoi nous, en tant que croyants, sommes profondément convaincus qu’en prenant le vaccin contre la COVID‑19, nous altérerions et marquerions de façon permanente nos corps en violation claire de nos propres obligations sacrées. Ces altérations biologiques de nos corps, plus particulièrement sans connaissance des effets à long terme d’un tel vaccin, nous placent en conflit direct avec les obligations bibliques de préserver sa propre vie (Deut. 30:11 à 14). En tant que disciples du Dieu biblique, nous acceptons l’obligation biblique de rejeter les tentatives faites par les législateurs de nous contraindre par la peur et l’intimidation plutôt que par la transparence et la raison (Proverbes 2925), et nous estimons personnellement qu’en raison de la stigmatisation de médicaments éprouvés comme l’hydroxychloroquine et le zinc, ainsi que l’ivermectine, le gouvernement est devenu complaisant dans le décès d’innombrables victimes du virus COVID‑19, et se sentir ainsi commandé par Dieu (Exode 23:2) de ne pas suivre la majorité en continuant ces actes du mal. Ci‑dessus figure une explication de mes croyances religieuses personnelles sincères. J’espère les avoir suffisamment décrites. Je demande que cette exemption pour motif religieux soit approuvée.
[…]
[100] Le 2 février 2022, l’employeur a écrit à Mme Joanisse pour l’informer que sa décision de ne pas se faire vacciner était une question de choix personnel et non un impératif religieux.
[101] Elle a été mise en congé non payé, à compter du 2 mars 2022.
[102] Elle a déposé son grief le 3 mars 2022.
2. Analyse
a. Les croyances de Mme Joanisse n’ont aucun lien avec la religion
[103] Pour les motifs suivants, je conclus que Mme Joanisse n’a pas établi que ses croyances sont sincères, et son grief est rejeté.
[104] Comme pour les autres fonctionnaires, Mme Joanisse soutient que l’employeur a violé la convention collective, la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Charte.
[105] Le 8 octobre 2021, Mme Joanisse a d’abord déclaré qu’elle demandait une exemption médicale de la vaccination contre la COVID‑19 en raison de son allergie anaphylactique à la pénicilline et de sa préoccupation que le vaccin puisse provoquer une réaction négative de son corps. Elle n’a présenté aucune preuve médicale, à ce moment‑là, pour étayer sa demande. Elle a également affirmé qu’il n’était pas logique pour elle de se faire vacciner puisqu’elle travaillait à domicile depuis mars 2020.
[106] Aucune des raisons fournies le 8 octobre 2021 n’a de lien avec la religion. Je conclus plutôt qu’il s’agit d’objections laïques liées à sa croyance sans fondement selon laquelle le vaccin contre la COVID‑19 pourrait provoquer une réaction allergique et à ce qu’elle considère comme logique pour un milieu de travail à distance.
[107] Dans sa déclaration sous serment, elle a fourni deux raisons supplémentaires pour lesquelles elle ne peut pas se faire vacciner, que je résume comme suit :
1) recevoir le vaccin contre la COVID‑19 altérerait et marquerait de manière permanente son corps, en violation des obligations sacrées;
2) recevoir le vaccin la contraindrait et agirait contre sa liberté, ce qui est contraire aux obligations bibliques;
3) recevoir le vaccin reviendrait à agir en complicité avec le gouvernement fédéral, qui refuse d’utiliser des médicaments de confiance, comme l’ivermectine, ce qui serait contraire à l’obligation biblique de ne pas suivre une foule qui fait du mal.
[108] Mme Joanisse soutient que sa croyance selon laquelle recevoir le vaccin contre la COVID‑19 altérerait son corps et violerait des obligations sacrées a un lien avec la religion. Elle invoque Wilfrid Laurier University pour étayer sa thèse selon laquelle les arbitres de différends ont jugé que ce type de croyance a un lien avec la religion.
[109] L’employeur soutient qu’elle n’a fourni aucun élément de preuve selon lequel sa croyance est liée à un système de croyances ou de foi complet ou qu’elle est sincère.
[110] Je suis du même avis.
[111] Dans le cadre de l’évaluation de la sincérité de la croyance religieuse d’un fonctionnaire s’estimant lésé qui l’empêche de recevoir le vaccin contre la COVID‑19, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada, l’accent doit être mis sur la période au cours de laquelle la croyance religieuse a été présumément violée. Je mets l’accent sur la période du 8 octobre 2021 jusqu’à ce que l’employeur décide de mettre Mme Joanisse en congé non payé.
[112] Même si Mme Joanisse mentionne dans sa déclaration sous serment que les obligations bibliques l’empêchent d’altérer son corps, d’agir contre sa liberté ou de suivre une foule qui fait du mal, elle n’établit aucun lien entre ces croyances et un système de croyances ou de foi complet; elle ne soutient pas non plus que violer ces croyances enfreindrait son alliance avec Dieu.
[113] Mme Joanisse semble s’attendre à ce que l’employeur suppose qu’elle est une chrétienne, mais nulle part dans sa déclaration sous serment elle ne déclare sa religion, sa communauté religieuse et le système de croyances ou de foi complet qu’elle respecte. Elle affirme simplement qu’elle est une disciple d’un Dieu biblique et cite plusieurs chapitres de la Bible chrétienne (Deutéronome, Exode, Proverbes et Psaumes) qui lui semblent étayer l’argument qu’elle souhaite présenter relativement à la vaccination contre la COVID‑19.
[114] Par conséquent, je ne suis pas d’avis que Mme Joanisse a établi que ses croyances ont un lien avec la religion, qui est un système de croyances ou de foi complet.
b. Les croyances de Mme Joanisse ne sont pas sincères
[115] Si j’ai tort quant à la première partie du critère, je conclus qu’il y a une insuffisance d’éléments de preuve pour établir que les croyances religieuses de Mme Joanisse sont sincères.
[116] La sincérité est une question de fait. Il faut examiner si la croyance religieuse alléguée est compatible avec d’autres pratiques religieuses. De plus, que la fonctionnaire s’estimant lésée soit cohérente dans sa croyance pendant la période pertinente, la force ou la conviction de cette croyance, et si la croyance est respectée constituent tous des facteurs à prendre en considération. (Voir Amselem, au par. 53.)
[117] À l’origine, Mme Joanisse a déclaré qu’elle ne pouvait pas recevoir le vaccin contre la COVID‑19 pour des raisons médicales parce qu’elle souffre d’une allergie anaphylactique à la pénicilline et qu’elle n’était pas sûre de ce qui pourrait se passer si elle le recevait. Elle n’a fourni aucune preuve médicale selon laquelle elle était allergique à l’un de ses ingrédients. De plus, elle a affirmé qu’il n’était pas logique qu’elle soit contrainte à recevoir le vaccin puisqu’elle travaillait à domicile. Ce n’est que le 30 janvier 2022 qu’elle a déclaré pour la première fois qu’elle était empêchée de recevoir le vaccin en raison de ses croyances religieuses.
c. Les croyances de Mme Joanisse ne sont pas cohérentes
[118] Même si la majorité de la Cour suprême du Canada a fait remarquer dans Amselem que les croyances religieuses peuvent changer au fil du temps et que leur sincérité doit être évaluée au moment de l’allégation d’infraction, j’ai accordé un certain poids au fait que Mme Joanisse n’était pas cohérente dans ses croyances religieuses.
[119] À l’origine, en octobre 2021, Mme Joanisse a présenté une forte objection médicale à recevoir le vaccin contre la COVID‑19, et non une objection religieuse. Après avoir reçu la lettre de l’employeur le 17 janvier 2022, exigeant qu’elle présente une attestation de vaccination ou une demande de mesure d’adaptation, elle a déposé une déclaration sous serment affirmant une objection au vaccin pour des motifs religieux.
[120] Même si une personne peut avoir à la fois des objections laïques et non laïques au vaccin contre la COVID‑19, je conclus que sa forte objection initiale à la vaccination fondée sur des motifs purement laïques, ainsi que le retard dans son objection, constituent des facteurs importants dans l’évaluation de la sincérité de sa croyance. Dans le présent cas, ces facteurs militent contre sa sincérité.
d. Aucun élément de preuve concernant d’autres pratiques religieuses
[121] De plus, lorsqu’elle a finalement demandé une exemption pour motif religieux, je conclus qu’elle a continué à fournir peu voir aucun élément de preuve pour étayer la sincérité de sa croyance.
[122] Le présent cas est semblable à International Brotherhood of Electrical Workers (System Council No. 11) v. Canadian National Railway Company, 2023 CanLII 44118 (CA LA) (« CN Rail ») (voir les paragraphes 110 à 112), dans lequel l’arbitre de différends a conclu qu’il était difficile d’évaluer la sincérité de la croyance du fonctionnaire s’estimant lésé, car celui‑ci n’a fourni aucun élément de preuve concernant d’autres pratiques religieuses. En fin de compte, le grief a été rejeté.
[123] De même, dans le présent cas, Mme Joanisse n’a présenté aucun élément de preuve concernant ses autres pratiques religieuses. Rien dans la première lettre à l’employeur du 8 octobre 2021, ou dans sa déclaration sous serment du 30 janvier 2022, ne fournit des renseignements sur ses autres pratiques religieuses. La déclaration sous serment est insuffisante. Elle se concentre plutôt sur des références aux écritures bibliques auxquelles elle souscrit au lieu de décrire la façon dont elle vit sa vie d’une manière compatible avec ses croyances religieuses.
[124] Dans Bedirian, aux paragraphes 97 et 98, la Commission a conclu que l’une des croyances du fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas avait un lien avec la religion (la croyance concernant les lignées cellulaires fœtales). Cependant, la Commission n’a pas conclu que sa croyance était sincère parce qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve concernant la manière dont la religion avait fait partie de sa vie, y compris des détails sur le moment où ses croyances religieuses avaient commencé et à quel point il les avait suivies de manière cohérente. Lorsqu’il a pondéré plusieurs facteurs pour évaluer sa sincérité, la Commission a déterminé que l’absence de la façon dont la religion faisait partie de sa vie avait fait pencher la balance. Elle a déclaré ce qui suit :
[97] D’abord et avant tout, M. Bedirian n’a fourni aucun élément de preuve quant à la façon dont la religion a fait partie de sa vie, sauf de ne pas vouloir se faire vacciner. Aucun des éléments de preuve n’indique qu’il a fréquenté l’église depuis qu’il est enfant, sauf des occasions spéciales. Il n’a présenté aucun élément de preuve concernant une autre décision qu’il aurait prise dans sa vie et qui aurait été influencée par la religion. Il a déclaré dans son courriel du 12 novembre 2021 que sa [traduction] « relation avec Dieu s’est renforcée » au fil du temps, mais il ne fournit aucun élément de preuve ni même aucune indication quant à la façon dont cette relation avec Dieu s’est manifestée dans la façon dont il a vécu sa vie.
[98] Je comprends cela, comme l’a souligné l’arbitre de grief dans Pickering/Posteraro, au paragraphe 55 :
[Traduction]
55. La décision de la Cour suprême repose implicitement sur l’idée que la preuve de la sincérité de la croyance religieuse devrait être une question relativement simple et que la contestation de la sincérité sera généralement difficile. Cela s’explique par le fait que les croyances religieuses sont extrêmement personnelles. Le plaignant doit simplement décrire ses croyances de manière honnête, de préférence en donnant des détails sur le moment où la croyance a commencé et la mesure dans laquelle elle a été suivie de manière constante. Et, comme la Cour l’a déclaré, en s’appuyant sur la jurisprudence américaine, tout examen de la sincérité de la croyance devrait être « minimal » et ne pas être fondé sur des croyances antérieures […]
[Je mets en évidence]
[125] Dans le présent cas, je conclus qu’il existe une insuffisance semblable d’éléments de preuve sur la façon dont la religion a fait partie de la vie de Mme Joanisse. Elle n’a fourni aucun renseignement sur la façon dont sa croyance religieuse est compatible avec d’autres pratiques religieuses. Elle est silencieuse quant à la façon dont la religion ou sa relation avec Dieu guide sa prise de décision dans d’autres domaines de sa vie. Sauf citer des passages bibliques qu’elle soutient respecter, elle ne fournit aucune description de la façon dont des croyances religieuses personnelles profondes sont suivies dans sa vie quotidienne.
[126] Par conséquent, en tenant compte de tous les facteurs que j’ai mentionnés, je conclus que Mme Joanisse n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, la sincérité de sa croyance selon laquelle recevoir le vaccin contre la COVID‑19 va à l’encontre de toute croyance religieuse qu’elle pourrait avoir.
e. La tentative de Mme Joanisse de présenter de nouveaux éléments de preuve a échoué
[127] De plus, Mme Joanisse a tenté de présenter des éléments de preuve dans le cadre de ses arguments écrits qui ne figuraient pas dans sa déclaration sous serment ou dans le recueil conjoint de documents que les parties avaient convenu mutuellement. Comme la Commission l’a fait remarquer dans Bedirian, au par. 88, il était injuste pour l’autre partie de déposer en preuve des documents au moyen d’arguments écrits, car l’employeur n’aurait pas eu l’occasion de procéder à un contre‑interrogatoire au sujet des documents, ce qui aurait été contraire à l’équité procédurale. Si Mme Joanisse souhaitait présenter les documents en tant qu’éléments de preuve, elle aurait dû les inclure dans le recueil conjoint de documents ou au moyen d’une déclaration sous serment.
[128] En conséquence, je ne peux pas me fier à l’affirmation de Mme Joanisse selon laquelle elle n’avait pas bénéficié de l’aide d’un avocat ou de conseils de son syndicat lorsqu’elle a souscrit sa déclaration sous serment et qu’elle ne savait pas que sa sincérité serait remise en question. Elle aurait pu présenter les éléments de preuve au moyen d’une déclaration sous serment, mais elle a choisi de ne pas le faire.
[129] Cependant, en ce qui concerne la réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs, ces documents introductifs d’instances font partie de ce qui a été renvoyé à la Commission. La réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs ne constitue pas un nouvel élément de preuve. Il s’agit des documents que l’employeur doit présenter conformément aux règlements pour établir la légalité du renvoi.
D. Pour Matthieu Harrison
1. Faits
[130] M. Harrison est un employé comptant plus de 23 ans d’expérience dans la fonction publique fédérale. Au cours des périodes pertinentes, il était un agent technique de l’aérospatiale auprès de l’employeur.
[131] M. Harrison a présenté sa demande de mesure d’adaptation à laquelle était jointe une déclaration sous serment datée du 11 novembre 2021, dans laquelle il s’est identifié comme un catholique baptisé fréquente l’église chaque semaine. Il a cité un certain nombre d’enseignements de l’Église catholique qui l’ont amené à refuser de recevoir le vaccin contre la COVID‑19.
[132] Le 16 décembre 2021, son directeur l’a rencontré pour mieux comprendre les raisons justifiant la demande de mesure d’adaptation.
[133] Le 1er février 2022, l’employeur a écrit à M. Harrison, refusant sa demande de mesure d’adaptation parce que son objection à la vaccination avait été considérée comme un choix personnel et non comme une croyance religieuse.
[134] M. Harrison a déposé son grief le 4 février 2022, contestant la décision de l’employeur de refuser sa demande de mesure d’adaptation.
[135] Il a également présenté une lettre du Père Erik Deprey, prêtre de la paroisse Saint‑Clément à Ottawa, datée du 19 mars 2022.
[136] Le 13 juin 2024, il a présenté une deuxième déclaration sous serment à laquelle étaient jointes ses notes de la réunion du 16 décembre avec son directeur.
2. Analyse
[137] M. Harrison soutient qu’en refusant d’accueillir sa demande de mesure d’adaptation, l’employeur a établi une discrimination prima facie fondée sur la religion, en violation de la clause 51.1 de la convention collective, de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de l’article 2a) de la Charte.
[138] L’employeur a fait remarquer que M. Harrison ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir des éléments de preuve prima facie de discrimination et que son objection à la vaccination était fondée sur sa conscience plutôt que sur sa religion.
[139] Dans le cadre de l’évaluation du grief de M. Harrison, la principale période est entre le 11 novembre 2021, date à laquelle il a présenté sa demande d’exemption, et le 1er février 2022, date à laquelle l’employeur a refusé de l’accueillir.
[140] L’employeur a tenté de présenter en preuve des documents, y compris un modèle de lettre et des certificats médicaux, au moyen d’arguments écrits.
[141] Comme dans Bedirian, au par. 88, il était injuste pour l’autre partie de déposer en preuve des documents au moyen d’arguments écrits, car M. Harrison n’aurait pas eu l’occasion de procéder à un contre‑interrogatoire au sujet des documents, ce qui aurait été contraire à l’équité procédurale. Si l’employeur souhaitait présenter les documents en tant qu’éléments de preuve, il aurait dû les inclure dans le recueil conjoint de documents ou au moyen d’une déclaration sous serment.
[142] Pour ces motifs, je ne les ai pas acceptés, et ma décision n’en tient pas compte. Ils ne font pas partie du dossier de la Commission. Je me suis plutôt fondée sur le recueil conjoint de documents.
a. Les croyances de M. Harrison n’ont aucun lien avec la religion
[143] Dans sa déclaration sous serment datée du 11 novembre 2021, M. Harrison cite généralement ce qui peut amener un catholique à refuser certains vaccins. J’ai fourni un résumé de ces enseignements catholiques qui figurent dans la déclaration sous serment, comme suit :
[…]
[…] une personne peut être amenée à refuser une intervention médicale, y compris une vaccination, si sa conscience éclairée en arrive à ce jugement sûr […]
[…]
‑ Il existe un devoir moral général de refuser l’utilisation de produits médicaux, y compris certains vaccins, qui sont produits à partir de lignées de cellules humaines, provenant d’avortements directs […]
[…]
‑ Une personne est moralement tenue d’obéir sa conscience sûre.
[…] un catholique peut refuser un vaccin en se basant sur les enseignements de l’Église concernant la proportionnalité thérapeutique […]
[…]
[…] la vaccination n’est pas une obligation universelle et une personne doit obéir au jugement de sa propre conscience […]
[…]
[Je mets en évidence]
[144] Cependant, en citant les raisons pour lesquelles un catholique peut s’opposer aux vaccins en général, il ne déclare, ni dans la déclaration sous serment jointe à sa demande d’exemption ni dans les notes de sa réunion du 16 décembre 2021 avec son gestionnaire, que sa croyance subjective l’empêche de se faire vacciner et qu’elle a un lien avec sa religion.
[145] Au contraire, il affirme dans sa déclaration sous serment ce qui suit : « […] l’Église catholique n’interdise pas l’utilisation d’aucun vaccin et qu’elle encourage généralement l’utilisation de vaccins sûrs et efficaces comme moyen de protéger la santé personnelle et publique […] ».
[146] Il fait également référence à un document du Dicastère pour la Doctrine de la Foi de l’Église catholique romaine dans sa déclaration sous serment, selon lequel « il est moralement acceptable d’utiliser les vaccins anti-COVID‑19 qui ont utilisé des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés dans leurs processus de recherche et de production » lorsque d’autres types de vaccins ne sont pas disponibles.
[147] Dans sa déclaration sous serment, il affirme plutôt qu’une personne doit suivre sa conscience. Elle est silencieuse dans son ensemble quant à la façon dont son objection personnelle à recevoir le vaccin contre la COVID‑19 a un lien avec la religion.
[148] Par conséquent, je suis d’accord avec la position de l’employeur énoncée aux paragraphes 20 à 22 de ses arguments, comme suit :
20. Dans l’affaire Bedirian, la Commission a clairement établi qu’une objection fondée sur la conscience d’un individu n’a pas de lien avec la religion. Comment [sic] l’indique la Commission, cet argument se résume à dire : « Je m’objecte consciencieusement au vaccin (pour des motifs que je n’explique pas) et les Catholiques se doivent de suivre leur conscience; par conséquent, mon objection est religieuse ».
21. Il existe un consensus arbitral qu’une telle objection ne peut être retenue. Cela équivaudrait à ce que n’importe quelle règle en milieu de travail puisse être contestée avec une objection de conscience, et à ce que n’importe quelle décision d’un employé soit protégée par la liberté de religion. De plus, le fait de suivre sa conscience s’applique à toute personne, et pas seulement aux personnes catholiques ou religieuses.
22. À cet égard, la situation du fonctionnaire s’estimant lésé est pratiquement identique à celle du fonctionnaire dans l’affaire Bedirian. Premièrement, le fonctionnaire s’estimant lésé n’explique pas dans son affidavit les raisons qui le mènent à personnellement conclure que sa conscience l’empêche de recevoir le vaccin. Dans son affidavit, il n’explique pas qu’il est contre l’avortement, ni en quoi recevoir un vaccin produit à partir de lignées de cellules humaines est incompatible avec sa conscience personnelle. Il n’explique pas non plus de quelle façon recevoir le vaccin serait incompatible avec le principe de proportionnalité thérapeutique, ou son raisonnement relativement à la considération du bien d’autrui et du bien commun. Comme dans Bedirian, sa déclaration se limite plutôt à affirmer de façon générale qu’« un catholique » peut refuser le vaccin pour ces raisons.
[149] Afin d’être admissible à une mesure d’adaptation pour des motifs religieux, il ne suffit pas d’affirmer que l’on s’oppose sciemment au vaccin contre la COVID‑19 parce que des lignées cellulaires fœtales sont utilisées et parce qu’il s’agit d’une thérapie médicale disproportionnée. M. Harrison doit expliquer le motif de son objection personnelle au vaccin et son lien avec sa religion, ce qu’il ne fait pas.
[150] M. Harrison se contente plutôt de faire référence à plusieurs notes et réflexions des dicastères sur la doctrine et la moralité de l’Église catholique, qui comportent d’importantes nuances et n’interdissent pas la vaccination. Par conséquent, il est impossible de déterminer la façon dont ses croyances personnelles ont un lien avec un système de foi complet, car il n’explique pas ses croyances religieuses subjectives qui interdisent l’utilisation d’un vaccin contre la COVID‑19 et leur lien avec la religion. Il n’y a tout simplement aucune articulation des croyances profondes du fonctionnaire s’estimant lésé et de leur lien avec la religion. Cette situation est semblable à celle dans Oulds v. Bluewater Health, 2023 HRTO 1134, dans laquelle le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a conclu que l’objection de la plaignante à recevoir le vaccin contre la COVID‑19 n’avait aucun lien avec un système de croyances global particulier.
[151] De plus, j’estime que la lettre du pasteur, fournie après que la demande de mesure d’adaptation de M. Harrison a été refusée, mais avant qu’il ne prenne un congé de maladie, ne l’aide pas à établir le lien. J’estime plutôt qu’elle confirme que ses objections sont fondées sur sa conscience et qu’elles n’ont aucun lien avec la religion.
[152] Évidemment, la majorité de la Cour suprême du Canada dans Amselem a insisté sur le fait qu’il n’est pas nécessaire que la croyance soit un dogme religieux ou un impératif objectif. En d’autres termes, la liberté de religion ne se limite pas à la protection des croyances objectivement reconnues par des experts ou des chefs religieux, comme le pasteur. Toutefois, il faut au moins établir qu’une croyance est enracinée dans la religion, ce que M. Harrison n’a pas fait.
b. Les croyances de M. Harrison ne sont pas sincères
[153] Il n’est pas nécessaire de retarder très longtemps la deuxième étape du critère. Si j’ai tort en ce qui concerne la première étape, pour les motifs qui suivent, je conclus que ses croyances ne sont pas sincères.
[154] En premier lieu, M. Harrison n’a pas réussi à me convaincre que ses croyances sont compatibles et cohérentes avec ses autres pratiques religieuses. En fait, il ne mentionne aucune autre pratique religieuse, sauf pour affirmer brièvement dans sa déclaration sous serment qu’il fréquente l’église chaque semaine et qu’il tente toujours de se perfectionner dans le cadre de sa foi. Il ne fournit aucun détail ni aucune explication concernant son église ou sa communauté religieuse, ni sa relation avec le divin, la façon dont il évolue dans le cadre de sa foi, ni toute autre pratique religieuse actuelle à laquelle il participe et qui a un lien avec sa croyance religieuse selon laquelle recevoir un vaccin contre la COVID‑19 est interdite en raison de l’utilisation de lignées cellulaires fœtales.
[155] En deuxième lieu, dans l’évaluation de la sincérité de sa croyance, je n’accorde aucun effet probant à la lettre provenant du Père Deprey de la paroisse de Saint‑Clément, à l’église Sainte‑Anne. Je suis d’accord avec les conclusions de l’employeur selon lesquelles le fait que la lettre a été présentée le 19 mars 2022, après que sa demande de mesure d’adaptation ait été refusée, constitue un facteur important qui milite contre son effet probant.
[156] De plus, comme dans Bedirian, au par. 38, le prêtre ne mentionne pas que M. Harrison est un catholique pratiquant de sa paroisse. Il ne fournit aucun détail sur sa relation avec M. Harrison – s’il connaît M. Harrison personnellement et depuis combien de temps ou si M. Harrison a communiqué avec lui uniquement pour rédiger la lettre. Je ne suis pas d’accord avec les arguments de M. Harrison en guise de réfutation selon lesquels il est clair d’après la lettre que le Père Deprey semble bien le connaître. Rien dans la lettre ou la déclaration sous serment de 2022 ne permet d’établir que M. Harrison connaît le prêtre. La lettre affirme simplement que le prêtre le soutient dans ses efforts pour obtenir une exemption du vaccin contre la COVID‑19.
[157] Par conséquent, la lettre n’a aucun effet probant pour évaluer la sincérité de la croyance de M. Harrison. Une telle lettre, qui manque de renseignements de base, n’aide ni les arbitres de grief ni les arbitres de différends à évaluer la sincérité d’une croyance religieuse (voir CN Rail, au par. 118).
[158] En ce qui concerne la déclaration sous serment de M. Harrison, il s’agit du même type de modèle de lettre qui a été présenté dans Bedirian (voir le paragraphe 38) et qui est disponible sur le site Web du Centre national catholique de bioéthique. Dans la déclaration sous serment, M. Harrison cite plusieurs enseignements de l’Église catholique qui figure dans le modèle de lettre. Il n’offre aucune explication pour ses croyances en ce qui concerne ses enseignements. Même si au cours de la réunion avec son gestionnaire, il a déclaré que ce n’est pas parce que le pape affirme que quelque chose est bon, comme la crème glacée, que c’est bon pour lui, il ne fournit aucun détail sur ses croyances religieuses et leur lien ou leur connexion avec un système de foi cohérent.
[159] En troisième lieu, il y a un manque de cohérence entre sa croyance à ne pas utiliser de lignées cellulaires fœtales dans les vaccins et les médicaments et son utilisation d’autres médicaments pendant la période pertinente.
[160] Au cours de la réunion avec son gestionnaire, M. Harrison a confirmé qu’il prenait d’autres médicaments pour son cœur et qu’il ne s’était jamais interrogé sur l’utilisation des lignées cellulaires fœtales, mais qu’il commencerait à le faire.
[161] Je conclus que ce facteur est en contradiction avec la sincérité de sa croyance religieuse selon laquelle il ne pouvait pas recevoir le vaccin contre la COVID‑19. Je parviens à cette conclusion en tenant compte du fait que, dans sa demande d’exemption, M. Harrison a invoqué des hypothèses qui permettent d’affirmer qu’il a un devoir moral général de refuser d’utiliser des médicaments, y compris des vaccins, qui utilisent des lignées cellulaires fœtales. Le fait qu’il n’ait pas remis en question l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans les autres médicaments qu’il prenait pendant la période pertinente contredit la sincérité de sa croyance selon laquelle il ne peut pas recevoir le vaccin contre la COVID‑19 en raison de sa religion. Il laisse entendre que la sienne est une objection particulière et précise au vaccin contre la COVID‑19 plutôt qu’une croyance ayant un lien avec sa religion.
[162] En tenant compte de tous ces facteurs, je conclus que les croyances de M. Harrison ne sont pas sincères, et je rejette son grief.
E. Pour Chantal Prévost
1. Faits
[163] Mme Prévost est une employée de l’employeur et s’identifie comme catholique. Pendant la période pertinente, elle travaillait dans sa Division de météorologie.
[164] Le 8 octobre 2021, Mme Prévost a présenté une déclaration sous serment pour étayer sa demande de mesure d’adaptation pour des motifs religieux relativement à la politique.
[165] Mme Prévost a fourni à l’employeur une copie d’un certificat d’adhésion à la Confrérie Notre-Dame de Fatima signée par l’évêque Athanasius Schneider.
[166] Elle a également envoyé plusieurs courriels à son directeur pendant la période pertinente. Elle l’a rencontré le 14 décembre 2021 pour discuter de sa demande de mesure d’adaptation. Lors de cette réunion, elle l’a informé qu’elle avait été membre de la Confrérie, mais qu’elle s’était récemment réinscrite.
[167] Après la réunion, Mme Prévost a envoyé plusieurs autres courriels à M. Thomson et a exprimé son objection à recevoir le vaccin contre la COVID‑19.
[168] Le 1er février 2022, l’employeur a envoyé un courriel à Mme Prévost, l’informant que la demande avait été refusée parce que son objection avait été établie en tant que question de choix personnel, et non comme un impératif religieux.
[169] Le 3 février 2022, Mme Prévost a présenté une deuxième demande de mesure d’adaptation fondée sur la religion.
[170] Le 11 février 2022, Mme Prévost a déposé un grief pour contester la décision de l’employeur de rejeter sa demande de mesure d’adaptation.
[171] Le 28 février 2022, l’employeur a écrit à Mme Prévost pour l’informer que, puisqu’elle n’avait pas été vaccinée, elle serait mise en congé administratif.
[172] Le 1er mars 2022, l’employeur a mis Mme Prévost en congé administratif non payé.
2. Analyse
[173] Mme Prévost soutient qu’elle a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa religion parce que sa demande de mesure d’adaptation avait été refusée. Elle affirme que ce refus a violé la clause 51.1 de la convention collective, l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 2a) de la Charte.
[174] L’employeur soutient que Mme Prévost n’a pas satisfait aux deux étapes du critère énoncé dans Amselem. Il soutient que ses croyances sont fondées sur des croyances laïques, et non sur une religion, et qu’elles ne sont pas sincères.
a. Au moins l’une des objections de Mme Prévost à recevoir le vaccin contre la COVID‑19 a un lien avec la religion
[175] Je commence en faisant remarquer qu’à l’origine, Mme Prévost a fait part de deux objections principales au vaccin contre la COVID‑19, l’une au motif qu’il est dérivé de lignées cellulaires fœtales, et l’autre fondée sur sa croyance en sa liberté de choix. Dans sa déclaration sous serment, datée du 8 octobre 2021, elle commence par la déclaration suivante :
[Traduction]
[…]
Je, Chantal Prévost, demande une exemption à la politique sur la vaccination contre la COVID‑19 pour les fonctionnaires fédéraux pour motif religieux.
Voici les motifs de ma demande :
1. Mes croyances religieuses personnelles m’empêchent de pouvoir recevoir les vaccins contre la COVID‑19 parce que, d’une manière ou d’une autre, ils utilisent tous des lignées cellulaires dérivées d’enfants avortés, et ma conviction religieuse personnelle m’oblige à m’abstenir de toute coopération, directe ou indirecte, à l’avortement, que je considère comme le meurtre d’innocents.
2. Ma religion est catholique. L’Église catholique enseigne que « la vaccination n’est pas, en règle générale, une obligation morale et que, par conséquent, elle doit être volontaire ». Ainsi, l’Église catholique enseigne que je ne dois pas être contrainte de recevoir un vaccin contre la COVID‑19.
[…]
[176] Lors de sa réunion avec son directeur le 14 décembre 2021, elle a fait remarquer que sa principale objection au vaccin contre la COVID‑19 était que tous les vaccins disponibles utilisent des lignées cellulaires fœtales. Elle s’est également opposée au vaccin parce qu’elle doutait de sa sûreté et de son utilité.
[177] Plus tard, dans les nombreuses communications qu’elle a envoyées par courriel à son directeur, elle a indiqué sa croyance en plusieurs opinions controversées à l’époque qui ne sont toujours pas fondées, y compris que Bill Gates a utilisé le vaccin contre la COVID‑19 comme un moyen de contrôle de la population, qu’il y avait des vaccins en Inde qui étaient plus efficaces, et qu’il y avait de la corruption gouvernementale à Santé Canada qui a obligé les fonctionnaires à céder en vue d’appuyer le vaccin.
[178] Même si les courriels de Mme Prévost du 8 octobre 2021 au 1er février 2022 étaient volumineux et se lisaient, parfois, comme des flux de conscience sans entrave, avec des hyperliens vers plusieurs sites Web qui étayent ses points de vue, je me préoccupe uniquement de la question de savoir si elle a soulevé une objection qui a un lien avec la religion.
[179] Je conclus qu’elle l’a fait.
[180] Notamment, je conclus que son objection à recevoir le vaccin contre la COVID‑19 au motif qu’il a été développé en utilisant des lignées cellulaires fœtales est enracinée dans la religion. Cette croyance a un lien avec la religion parce que Mme Prévost affirme clairement dans sa déclaration sous serment qu’elle est catholique et que sa conviction religieuse lui interdit de [traduction] « […] toute coopération, directe ou indirecte, à l’avortement […] », qu’elle considère comme le [traduction] « meurtre d’innocents ».
[181] Elle l’a défini comme sa [traduction] « principale objection » lorsqu’elle a rencontré son directeur. De plus, l’objection a persisté lorsque sa demande a été refusée et qu’elle a présenté une deuxième demande de mesure d’adaptation le 3 février 2022, jusqu’à ce qu’elle soit mise en congé non payé le 1er mars 2022.
[182] Lors de sa réunion avec son gestionnaire, elle a fait remarquer qu’elle avait déposé un grief parce que le pape de l’Église catholique romaine appuyait la réception du vaccin, mais qu’elle ne l’appuyait pas; son évêque ne l’appuyait pas non plus. Elle a affirmé qu’elle préférerait mourir que de le recevoir. Elle a fait remarquer qu’il utilise des lignées cellulaires fœtales et que ce serait un péché et une trahison de son Dieu de le recevoir.
[183] Même si je suis d’accord avec l’employeur pour dire que, d’octobre 2021 à février 2022, lorsque sa première demande de mesure d’adaptation a été refusée, Mme Prévost a également exprimé de nombreuses objections laïques au vaccin contre la COVID‑19, cela n’annule pas le fait qu’au moins l’une de ses objections pendant la période pertinente avait un lien avec la religion.
[184] Cette situation diffère de celle dans Nova Scotia Union of Public & Private Employees, Local 13 v. Halifax Regional Municipality, 2022 CanLII 129860 (NS LA), où l’arbitre de différends n’a pas conclu que les croyances du fonctionnaire s’estimant lésé avaient un lien avec la religion. L’arbitre de différends a plutôt conclu que les préoccupations du fonctionnaire s’estimant lésé selon lesquelles le vaccin contre la COVID‑19 était expérimental, dangereux et inutile étaient personnelles, fondées sur des facteurs laïques. Aucune objection n’a été formulée au sujet du vaccin, car le fait de le recevoir équivaudrait à approuver l’avortement.
[185] En fait, au paragraphe 186, l’arbitre de différends Poirier a clairement distingué le cas en fonction des faits qui lui étaient présentés de IWK et de Sudbury Health District, dans lesquels les objections des fonctionnaires s’estimant lésés quant à recevoir le vaccin contre la COVID‑19 ont été jugées fondées sur des croyances religieuses protégées (c.‑à‑d. une croyance dans la marque de la bête, et l’argument concernant les lignées cellulaires fœtales).
[186] De même, je conclus que dans le cas devant moi, il y a des objections au vaccin contre la COVID‑19 fondées sur des croyances laïques, mais que, comme dans IWK et Sudbury Health District, il y a également une objection au vaccin fondée sur une croyance religieuse protégée qui empêche Mme Prévost de le recevoir. Elle déclare que l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans le vaccin l’empêche de le recevoir parce que cela équivaut à appuyer l’avortement, ce qui, selon elle, constituerait une trahison envers son Dieu.
[187] Ma conclusion selon laquelle la croyance de Mme Prévost a un lien avec la religion est étayée par plusieurs autres cas d’arbitrage dans lesquels il a été conclu qu’une objection subjective à l’utilisation de lignées cellulaires fœtales dans le développement du vaccin contre la COVID‑19 avait un lien avec la religion (voir Sudbury Health District; Island Health v. UFCW Local 1518, 2023 CanLII 2827 (BC LA); Canadian Union of Public Employees, Local 79 v. The City of Toronto (De Castro) (non publiée, le 11 avril 2023); Pickering/Hepp; Canadian Union of Public Employees, Local 129 v. The City of Pickering (Flowers) (non publiée, le 23 mai 2023)).
[188] L’employeur fait valoir que l’affirmation de Mme Prévost selon laquelle elle serait opposée au vaccin contre la COVID‑19 même si elle était athée constitue une preuve que sa croyance concernant les lignées cellulaires fœtales est enracinée dans une objection séculière, et non dans la religion.
[189] Je ne suis pas du même avis.
[190] En premier lieu, je conclus que la déclaration de Mme Prévost est hypothétique au mieux, car elle a déclaré sous serment par affidavit qu’elle est une catholique, et non une athée, ce qui n’est pas contesté. La déclaration confirme peut-être simplement ma conclusion selon laquelle elle a plusieurs raisons de s’opposer au vaccin contre la COVID‑19, dont toutes ne sont pas enracinées dans la religion. Il est de connaissance commune qu’une personne religieuse peut avoir des croyances laïques et religieuses. Les êtres humains sont multidimensionnels. Dans les cas où la religion est présente, il ne s’agit qu’un facteur de l’identité de la personne.
[191] Un physicien nucléaire est peut‑être religieux, mais cela signifie‑t‑il que chaque croyance qu’il a est enracinée dans la religion? Non. Certaines croyances peuvent être enracinées dans des facteurs personnels, culturels et sociopolitiques ou dans la grande diversité des visions du monde qui existent.
[192] De même, je conclus que Mme Prévost est une personne religieuse avec des croyances religieuses, mais qu’elle a évidemment aussi des croyances laïques. Dans le présent cas, je conclus qu’elle a établi qu’au moins l’une de ses objections concernant le vaccin contre la COVID‑19 avait un lien avec la religion.
b. La croyance de Mme Prévost est sincère
[193] L’employeur soutient que Mme Prévost n’a pas établi que l’une de ses croyances est sincère. Il fait valoir qu’elle n’a expliqué aucune de ses croyances dans sa déclaration sous serment ni n’a fourni aucun renseignement ou élément de preuve concernant sa pratique religieuse actuelle.
[194] L’employeur soutient également que le certificat que Mme Prévost a produit de la Confrérie Notre-Dame de Fatima indique un manque de sincérité de sa croyance, car il s’agit d’un modèle de certificat sans renseignement sur ses croyances religieuses actuelles.
[195] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que le certificat ne fournit aucun détail sur les enseignements de la Confrérie Notre-Dame de Fatima. Cependant, Mme Prévost se qualifie de fervente catholique, ce qui n’est pas contesté.
[196] Mme Prévost fournit également des renseignements sur ses autres pratiques religieuses. Elle déclare qu’elle porte un rosaire et un scapulaire en bronze, tente d’assister à la messe quotidiennement et tente de vivre selon les enseignements de Notre-Dame de Fatima. Elle affirme qu’elle tente de suivre les enseignements de l’évêque Schneider et qu’elle prie.
[197] Elle fait également remarquer qu’elle est une ancienne militaire et qu’elle recevait auparavant des vaccins, mais qu’elle ne les reçoit plus; elle ne prend pas non plus d’antibiotiques parce qu’elle comprend qu’ils utilisent des cellules rénales embryonnaires humaines. Elle a également indiqué qu’elle ne recevrait aucune transfusion sanguine et qu’elle préférerait mourir plutôt que d’avoir des lignées de cellules fœtales dans son corps, puisque l’avortement est un péché, et que mettre n’importe quoi avec des lignées de cellules fœtales dans son corps trahirait sa relation avec Dieu.
[198] Je ne suis donc pas du même avis que l’employeur. Mme Prévost a fourni des renseignements sur la façon dont sa croyance religieuse est compatible avec d’autres pratiques religieuses. Même s’il aurait été utile pour elle de fournir de plus amples renseignements sur les enseignements de Notre-Dame de Fatima, elle a fourni des renseignements suffisants sur la façon dont elle vit sa vie en tant que catholique, sans antibiotiques, sans transfusions sanguines, sans vaccins, avec prière et consultation avec son évêque, et avec certains symboles religieux qui manifestent extérieurement sa foi catholique. Je conclus que lorsqu’ils sont examinés ensemble, ils sont suffisants pour satisfaire au seuil minimal de la sincérité de sa croyance.
c. Le certificat n’est pas utile pour établir la sincérité
[199] De plus, je n’estime pas que le certificat de Notre-Dame de Fatima est utile ou nécessaire pour aider Mme Prévost à établir la sincérité de sa croyance. Le certificat n’est pas daté. Il est signé par l’évêque Schneider, et il n’est pas clair si Mme Prévost fréquente son église virtuellement ou en personne, puisque la Confrérie est située en Ohio, aux États‑Unis, et qu’elle est à Ottawa.
[200] Il affirme que Mme Prévost est membre perpétuelle de la Confrérie Notre-Dame de Fatima en règle et qu’elle a [traduction] « une conviction religieuse profonde » selon laquelle l’avortement est un crime et qu’un catholique ne peut accepter le vaccin, en aucune circonstance. Il est signé par l’évêque Schneider, qui ne fournit aucun renseignement sur la durée de son adhésion à la confrérie, sur sa participation à celle‑ci et sur sa façon de vivre. Au minimum, il s’agit d’une preuve intéressée. Je n’y ai accordé aucun poids lorsque j’ai pris ma décision selon laquelle sa croyance est sincère.
[201] Même si des fonctionnaires s’estimant lésés peuvent estimer que le fait d’avoir une lettre ou un certificat d’adhésion provenant d’un chef religieux peut renforcer leurs arguments, un tel document n’est pas nécessaire étant donné que la majorité de la Cour suprême du Canada indique dans Amselem que les croyances religieuses sont profondément personnelles et subjectives, ayant un lien avec la religion qui peut même ne pas être appuyée ou approuvée par le leadership ou la communauté religieux auquel la personne appartient. Mais elles peuvent toujours être sincères. Notamment, Mme Prévost a fait remarquer, lors de sa réunion avec son gestionnaire, que le pape appuyait les vaccins, mais qu’elle ne les appuyait pas. En d’autres termes, une personne peut être en marge de la communauté religieuse majoritaire à laquelle elle appartient et avoir néanmoins des croyances personnelles profondément ancrées qui ont un lien avec la religion.
[202] Je m’appuie plutôt sur le moment précoce de l’objection de Mme Prévost au vaccin contre la COVID‑19 pour des motifs liés aux lignées cellulaires fœtales, la cohérence selon laquelle elle a exprimé cette croyance, et le fait qu’elle a pris d’autres décisions fondamentales concernant sa santé qui étaient compatibles avec cette objection religieuse en tant qu’éléments de preuve suffisants de la sincérité de sa croyance.
[203] Même si la fourniture de plus amples renseignements sur les enseignements de sa communauté religieuse et, plus particulièrement, sur la façon dont elle vit ces enseignements n’aurait pu qu’aider son cas, je conclus qu’elle a satisfait au seuil minimal pour démontrer que sa croyance est sincère.
[204] Je conclus que les faits du présent cas sont très différents de ceux dans Bedirian. Dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé a fourni un modèle de certificat, mais n’a également fourni aucun renseignement sur ses autres pratiques religieuses et sur la façon dont il vivait sa vie d’une manière qui était compatible avec celles‑ci. Il a aussi fini par se faire vacciner.
[205] Dans la présente affaire, je dispose d’éléments de preuve incontestés selon lesquels Mme Prévost a pris plusieurs décisions concernant sa santé qui ont également un lien avec ses croyances religieuses – elle ne prend pas d’antibiotiques, ne recevrait pas de transfusion sanguine et n’a reçu aucun vaccin depuis qu’elle a quitté les forces militaires. De plus, il existe des éléments de preuve incontestés indiquant qu’elle n’a jamais reçu le vaccin contre la COVID‑19. Dans le cas de Mme Prévost, depuis le moment où elle a exprimé sa première objection au vaccin, il existait une cohérence avec la façon dont elle vit sa vie en harmonisation avec ses croyances religieuses.
d. Les éléments de preuve supplémentaires au moyen d’arguments écrits n’ont pas été pris en considération
[206] De plus, je n’ai pas pris en considération les renseignements supplémentaires que l’employeur a tenté de présenter au moyen d’arguments écrits, notamment un modèle de la Confrérie Notre-Dame de Fatima. L’équité procédurale s’applique à toutes les parties. S’il avait souhaité présenter ces éléments de preuve, il aurait pu le faire au moyen du recueil conjoint de documents ou les inclure dans la déclaration sous serment de M. Thomson, ce qui aurait donné à Mme Prévost l’occasion de procéder au contre‑interrogatoire au sujet des éléments de preuve. Je suis d’accord avec les commentaires de l’arbitre de grief au paragraphe 88 de Bedirian selon lesquels il serait inéquitable d’admettre de tels éléments de preuve. Par conséquent, je n’ai pas pris en considération ces documents lorsque j’ai pris ma décision.
[207] La Cour suprême du Canada a fait remarquer qu’il n’est pas nécessaire de confirmer objectivement la sincérité d’une croyance religieuse. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que les chefs religieux ou que la majorité de la communauté religieuse donnent leur bénédiction qu’une croyance d’une personne est sincère, pour qu’un décideur conclut que cette croyance est sincère; la confirmation de l’adhésion à une institution religieuse n’est pas non plus nécessaire. Il n’est pas nécessaire qu’une personne soit une fervente membre d’une communauté religieuse pour avoir des croyances profondes ayant un lien avec la religion. Tout ce qui est requis de la Commission est de s’assurer que la croyance est de bonne foi, qu’elle n’est ni fictive ni arbitraire et qu’elle ne constitue pas un artifice (voir Amselem, au par. 52). Je suis convaincue que j’ai effectué l’examen minimal requis et je conclus que la croyance de Mme Prévost est sincère.
[208] Puisque j’ai conclu que Mme Prévost a satisfait au critère à deux étapes énoncé dans Amselem, je dois maintenant déterminer si la décision de l’employeur de la mettre en congé non payé a interféré avec sa liberté de religion d’une manière qui était plus qu’insignifiante ou négligeable. Je conclus par l’affirmative.
[209] Lorsque Mme Prévost a été mise en congé non payé, elle a perdu son salaire parce qu’elle a choisi de se conformer à ce qu’elle considérait comme un impératif religieux plutôt que de recevoir le vaccin contre la COVID‑19.
[210] Je conclus que cela équivaut à une interférence plus qu’insignifiante ou négligeable dans sa liberté de religion.
[211] Je conclus que Mme Prévost a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa religion contrairement à la convention collective, à l’article 2a) de la Charte et à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[212] Si les parties ne sont pas en mesure de parvenir à une entente sur la réparation dans les 90 jours suivant la date de la présente décision, une audience sur la réparation sera mise au calendrier.
[213] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
VI. Ordonnance
[214] M. Stewart a établi une preuve prima facie de discrimination.
[215] Le grief de M. Stefanescu est rejeté.
[216] Le grief de Mme Joanisse est rejeté.
[217] Le grief de M. Harrison est rejeté.
[218] Mme Prévost a établi une preuve prima facie de discrimination.
[219] Je demeure saisie des griefs pour lesquels une preuve prima facie de discrimination a été établie.
[220] Les parties disposent d’un délai de 90 jours à compter de la date de la présente décision pour informer la Commission si elles ont conclu un règlement. Si aucun règlement n’est conclu, l’affaire sera renvoyée à la Commission pour une audience sur la question relative à la réparation.
Traduction de la CRTESPF
Patricia H. Harewood,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral