Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Le demandeur a déposé un grief afin de contester son licenciement du Service correctionnel du Canada (le « défendeur »). Le défendeur s’est opposé au renvoi du grief à l’arbitrage au motif qu’il était hors délai. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié en raison de poursuites criminelles intentées contre lui. Il a choisi d’être représenté par un avocat plutôt que par son agent négociateur pour son grief. Étant donné le lien entre son licenciement et les poursuites criminelles, il a répondu qu’il croyait devoir attendre la fin des poursuites criminelles avant de renvoyer son grief à l’arbitrage et a demandé une prorogation du délai pour le renvoyer. La Commission a appliqué les critères énoncés dans Schenkman lorsqu’elle a décidé d’accueillir ou non la demande de prorogation du délai du fonctionnaire s’estimant lésé. Elle a conclu que le délai de six mois était important, car le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fait preuve de diligence et n’avait pas démontré une raison claire, logique et convaincante pour le retard. Elle a noté que ses arguments étaient contradictoires quant à la raison du retard et qu’il n’avait pas fourni de renseignements sur les efforts qu’il avait déployés pour s’informer de la procédure ou des délais. Bien que la Commission ait reconnu que le fonctionnaire s’estimant lésé subirait un préjudice si elle refusait d’accueillir sa demande, elle a fait remarquer que le défendeur subirait un préjudice si elle l’accueillait. Elle a conclu que le préjudice du défendeur serait plus grand et a réitéré l’importance des délais dans les relations de travail. Enfin, la Commission n’a pas déterminé les chances de succès du grief. Après avoir examiné la préoccupation générale d’équité, la Commission a refusé d’accueillir la demande et a rejeté le grief.
Objection accueillie.
Demande de prorogation du délai rejetée.
Grief rejeté.
Contenu de la décision
Dossier: 568-02-50929
XR: 566-02-42663
Référence: 2025 CRTESPF 49
relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral |
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ENTRE
Frantz-Gregory Gracia
et
Administrateur général
(Service correctionnel du Canada)
défendeur
Répertorié
Gracia c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)
Devant : Audrey Lizotte, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le demandeur : Dominique Goudreault, avocat
Pour le défendeur : Philippe Giguère, avocat
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 24 mars et 14 avril 2021, et les 3 et 20 septembre 2024.
MOTIFS DE DÉCISION |
I. Demande devant la Commission
[1] La présente décision porte uniquement sur l’objection quant au respect du délai et la demande de prorogation de ce délai.
[2] Frantz-Gregory Gracia, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « demandeur »), a présenté un grief le 14 février 2020 pour contester son licenciement du Service correctionnel du Canada (le « défendeur »). Il faisait alors partie de l’unité de négociation dont les membres sont représentés par le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN ou l’« agent négociateur »).
[3] Le 3 mars 2021, l’agent négociateur a fait parvenir à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») un avis de renvoi a l’arbitrage (formulaire 21) à l’égard du grief en question. Le formulaire indiquait que le fonctionnaire était représenté par l’agent négociateur et que la date à laquelle le défendeur avait remis sa décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs était le 16 juin 2020.
[4] Le 24 mars 2021, le défendeur a informé la Commission qu’il s’opposait au renvoi du grief à l’arbitrage puisqu’il était hors délai, ayant été renvoyé plus de 8 mois après la réponse du défendeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.
[5] Selon l’article 90(1) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), « […] le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief ». La convention collective applicable entre le Conseil du Trésor et le UCCO-SACC-CSN stipule que les fins de semaine et les congés fériés payés sont exclus de ce calcul.
[6] Le 14 avril 2021, l’agent négociateur fourni la position suivante du demandeur relativement à l’objection du défendeur :
[…]
Bien que le grief ait été déposé et renvoyé au dernier palier de la procédure de grief à l’intérieur des délais prescrits, il n’est pas contesté que le grief fut renvoyé à l’arbitrage au-delà des délais prévus à l’article 90 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. Ceci étant dit, nous soumettons que ce retard est justifié par une raison claire, logique et convaincante.
Parallèlement, le fonctionnaire fait l’objet de poursuites criminelles. L’employeur se base notamment sur ces accusations pour discipliner [M. Gracia] en vertu du code de discipline du Service correctionnel du Canada, qui prévoit :
« 8. Commet une infraction l’employé qui :
(...)
d) : commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail ».
Le 5 février 2021, le fonctionnaire envoie un courriel à l’agent négociateur l’informant que l’audience de son dossier criminel est prévue en avril 2021 et que son avocat souhaite obtenir certaines informations et documents afin d’entamer le renvoi du grief à l’arbitrage.
Par la suite, l’agent négociateur entre en contact avec le fonctionnaire et réalise que l’avocat de ce dernier n’a pas encore renvoyé le grief à l’arbitrage. À tort ou à raison, le fonctionnaire croyait sincèrement qu’il fallait d’abord conclure son procès criminel avant de renvoyer le grief à l’arbitrage. Il est vrai que l’issue du procès criminel est importante en l’espèce, puisque le simple fait d’être accusé d’un acte criminel n’est pas considéré comme une infraction en vertu du code de discipline ; il faut « [commettre] un acte criminel » […] Le fonctionnaire étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné ou plaide coupable, l’issue du procès criminel s’avère donc déterminante pour le présent dossier.
À la lumière de cette nouvelle information, l’agent négociateur a donc conseillé au fonctionnaire de remplir la documentation nécessaire afin de renvoyer son grief à l’arbitrage sans attendre l’issue de son procès criminel, notamment en raison des délais prévus au Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral. Le grief fut renvoyé à la Commission le 3 mars 2021.
Il s’agit donc d’une erreur de bonne foi pour laquelle nous soumettons respectueusement que le fonctionnaire ne devrait pas être pénalisé.
De plus, considérant l’ampleur de l’enjeu pour le fonctionnaire (il s’agit d’un grief portant sur son congédiement), il serait déraisonnable de le priver de son droit à une audience pour une question de procédure. Comme les tribunaux d’appels l’ont maintes fois rappelé, la forme ne doit pas avoir préséance sur le fond.
En conclusion, le fonctionnaire demande que l’objection de l’employeur soit rejetée. Subsidiairement, le fonctionnaire demande que l’objection relative au respect des délais soit prise sous réserve et tranchée avec la décision sur le fond, afin de permettre au fonctionnaire de témoigner et d’administrer de la preuve sur cette question.
[…]
[7] Bien que la position de l’agent négociateur tente de fournir une raison pour le retard, aucune demande n’a été présentée pour la prorogation du délai en vertu de l’article 61b) du Règlement. Ce dernier prévoit que la Commission peut, par souci d’équité, accorder une prorogation du délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage « à la demande d’une partie ».
[8] Ce point fut discuté lors d’une conférence préparatoire avec les parties le 2 août 2024. J’ai convenu de donner aux parties une dernière opportunité de faire valoir leurs positions. Je les ai encouragées à me soumettre des propos plus étoffés et d’y inclure de la jurisprudence à l’appui de leurs arguments.
[9] Le 3 septembre 2024, le nouveau représentant du demandeur, Dominique Goudreault, a présenté une demande pour la prorogation du délai. Les points soulevés par l’agent négociateur le 14 avril 2021 (reproduit ci-haut) ont simplement été réitérés à nouveau de façon verbatim à l’appui de la demande. La demande ne renvoyait à aucune jurisprudence à l’appui de ses arguments.
[10] Le défendeur a soumis ses arguments supplémentaires le 20 septembre 2024, incluant la jurisprudence appuyant sa position. La conclusion suivante contenue dans son document résume bien sa position :
En l’espèce, les relations de travail retardées sont des relations de travail refusées. Il n’est pas dans l’intérêt des relations de travail et d’équité de proroger les délais. Le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Cela étant dit, même si la Commission évalue la totalité des critères, la demande devrait être rejetée. La durée du retard est mesurée en de nombreux mois. Le retard est long, considérable et déraisonnable. Le fonctionnaire n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable. Le préjudice à l’employeur, aux relations de travail, ainsi qu’à l’intérêt institutionnel de la Commission est considérable. Dernièrement, le principe d'économie judiciaire (administrative) s'oppose à la demande. Conséquemment, le grief devrait être rejeté puisqu’il a été renvoyé en arbitrage hors des délais.
[…]
[11] Le demandeur a choisi de ne présenter aucune réplique aux propos du défendeur.
[12] Pour les motifs suivants, je conclus que le demandeur n’a pas satisfait aux critères qui justifient l’octroi d’une prorogation de délai.
II. Analyse et motifs
[13] Selon ce qui précède, pour se conformer à l’article 90(1) du Règlement, le grief aurait dû être renvoyé à l’arbitrage au plus tard le 14 août 2020. Malgré cela, le renvoi du grief ne fut effectué qu’en date du 3 mars 2021, ce qui représente un retard de plus de six mois. Le demandeur demande que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 61b) du Règlement par souci d’équité, et que je lui accorde une prorogation du délai.
[14] Les critères élaborés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, sont habituellement utilisés par la Commission pour analyser les demandes de prorogation de délai. Ces critères sont les suivants :
· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
· la durée du retard;
· la diligence raisonnable du demandeur;
· l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur si la prorogation était refusée et le préjudice que subirait l’employeur si la prorogation était accordée;
· les chances de succès du grief.
A. La durée du retard
[15] La durée du retard est significative – ce n’est pas quelques jours ou quelques semaines, mais plus de six mois.
[16] Cependant, comme le démontre la jurisprudence de la Commission, il y a des instances ou de plus long retard se sont vu accorder une prorogation de délai. Tel qu’énoncé dans Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23, au par. 16) :
[16] Un retard de cinq mois peut être raisonnable ou déraisonnable, selon les faits. Il n’y a pas de point magique avant lequel tout ce qui est transmis l’est dans un délai raisonnable mais au delà duquel le retard devient déraisonnable. Cela dépend des faits dans chaque cas […]
[17] Mon interprétation de ce passage est que la simple durée du retard n’est pas déterminante. Il faut regarder le retard dans son contexte.
B. L’absence d’une raison claire, logique et convaincante
[18] Après avoir analysé la raison donnée par l’agent négociateur et réitérée à nouveau de façon verbatim par l’avocat du demandeur, je ne peux pas conclure qu’il a présenté une explication claire, logique et convaincante.
[19] Très peu a été fourni pour expliquer la raison du délai et de ce qui a été fourni, l’information est contradictoire. En effet, le demandeur a prétendu que le retard est dû au fait qu’il croyait devoir d’abord conclure son procès criminel avant de renvoyer le grief à l’arbitrage. Par contre, il a aussi indiqué que le 5 février 2021, il a envoyé un courriel à son agent négociateur demandant certaines informations afin d’entamer le renvoi de son grief à l’arbitrage. Ce même courriel indique que l’audience de son dossier criminel n’avait pas encore eu lieu. Cet énoncé contredit clairement sa prétention qu’il croyait devoir conclure son procès criminel avant de renvoyer son grief à l’arbitrage. Aucune autre explication a été fourni.
[20] Il n'appartient pas à la Commission de combler les lacunes ou de deviner ce qui s’est peut-être passer lorsque les justifications fournies par un demandeur sont insuffisantes ou illogique. Le fardeau de la preuve incombe au demandeur. C’est à lui de fournir une explication claire des raisons du retard.
[21] Dans cet instance, l’explication du demandeur n’est pas claire ou logique, et certainement pas convaincante.
C. L’absence de diligence raisonnable du demandeur
[22] Je ne trouve aucun élément de preuve établissant que le demandeur a fait preuve de diligence raisonnable. Selon son explication, il croyait devoir conclure son procès criminel avant de renvoyer son grief à l’arbitrage. Autrement dit, il allègue ne pas avoir été au courant de son obligation en vertu du Règlement.
[23] Pour établir de la diligence, il doit y avoir de l’action. La simple ignorance de la procédure à suivre n’est pas une excuse adéquate. Un demandeur doit au minimum démontrer qu’il a fait des efforts pour s’informer ou pour observer la procédure (voir Kunkel c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 28). L’information en question n’est aucunement difficile à trouver. Toutes les dispositions de la loi et des règlements de la Commission sont sur son site Internet. De plus, il existe des guides de procédures de la Commission expliquant cette information clairement et simplement.
[24] Comme il n’a fait allusion à aucun effort pour se renseigner, je ne peux pas conclure que le demandeur a fait preuve d’une diligence raisonnable.
D. Le préjudice subi par le défendeur excède l’injustice causée au demandeur
[25] Le demandeur soutient que puisque son grief porte sur son licenciement, il serait déraisonnable de le priver de son droit à une audience pour une question de procédure. Il soutient que les tribunaux d’appels ont maintes fois rappelé que la forme ne doit pas avoir préséance sur le fond. Malgré cette référence, aucune décision n’a été présentée dont les faits seraient semblables au cas en l’espèce.
[26] De toute façon, il ne s’agit pas dans le présent cas d’une erreur de procédure. Il s’agit plutôt d’une situation où le plaignant et son représentant n’ont simplement mis aucun effort pour s’informer de la procédure à suivre.
[27] Il est évident que le demandeur va subir un préjudice important si je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai. Par contre, ce fait ne peut pas être la seule raison de le faire. Autrement, dans tous les cas de licenciement, les délais seraient dénués de sens.
[28] Les délais prévus par les règlements de la Commission sont prescriptifs, obligatoires et doivent être respectés par les parties. Ils ne doivent pas être écartés à la légère. Je souscris sans réserve à la déclaration de la Commission dans Parker c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 57, au par. 4 ci‑dessous :
[4] Les délais prévus par la loi sont considérés comme obligatoires et toutes les parties sont censées les respecter. Le pouvoir discrétionnaire de proroger ces délais ne devrait être exercé qu’à titre exceptionnel et de manière judicieuse. En effet, en vertu du Règlement, la Commission ne doit proroger les délais que « par souci d’équité ». Ce que cela veut dire, et ce que la jurisprudence de la Commission a établi, c’est qu’une partie qui demande la prorogation d’un délai doit démontrer de manière convaincante que le délai doit être prorogé par souci d’équité.
[29] Il est clair que dans tout instance de demande de prorogation de délai, tout demandeur peut légitimement véhiculer qu’il souffrirait un préjudice si une prorogation était refusé puisqu’il perdrait l’opportunité de faire valoir leur grief. Mais dans tous ces instances, il est également clair que ces demandeurs avaient eu l’opportunité en premier lieu de protéger leur intérêt de faire valoir leur grief en observant tout simplement les délais qui s’imposaient. De là ressort l’importance de la raison du délai.
[30] Le demandeur ne peut pas uniquement se fier sur son préjudice. Il doit démontrer « […] de manière convaincante que le délai doit être prorogé par souci d’équité » tel que l’indique Parker. Dans ce cas, il n’a offert aucune explication claire, logique et convaincante et a fait preuve d’aucune diligence raisonnable pour protéger ses intérêts.
[31] Dans ce contexte, je conclu que le préjudice pour le défendeur est plus grand. Il a le droit de s’attendre qu’en matière de relation de travail, les délais prévues seront respectés par les parties et que la prorogation de délai par la Commission ne sera accordée que dans les cas qui le méritent et non pas de façon automatique.
[32] Le préjudice qu’engendre le non-respect des délais prescrits est bien expliqué dans Toppin (Re), [2006] 123 C.L.R.B.R. (2d) 253. Bien que cette décision date de 2006, et relève de la Commission des relations de travail de l’Alberta, je pense qu’elle résume néanmoins de façon éloquente les enjeux dans les relations de travail au Canada en matière de délai – incluant dans le secteur publique fédéral. Les paragraphes suivants résument bien ce point :
[Traduction]
[31] […] Nous partons du principe qu’il est très significatif que le législateur ait fixé un délai, même discrétionnaire, de 90 jours à compter du dépôt des plaintes devant la présente Commission. Comparativement aux limites imposées pour l’introduction de la plupart des actions civiles devant les tribunaux, il s’agit en effet d’un court délai de prescription. Cela rappelle le délai de prescription de 30 jours pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire des décisions de la Commission prévu à l’article 19(2) du Code. À notre avis, les deux dispositions portent sur ce que la Commission a appelé, dans le cas Sam Post, précité, [traduction] « l’effet particulièrement préjudiciable des retards dans des affaires en matière de travail » (au par. 19).
[32] Les retards dans les litiges en matière de relations de travail sont particulièrement préjudiciables et corrosifs pour au moins ces raisons que nous pouvons discerner. Premièrement, au lieu de la relation d’emploi bilatérale ordinaire, les lois sur les relations de travail régissent la relation trilatérale beaucoup plus complexe entre l’employeur, les employés et le syndicat. Ils le font en partie par l’intermédiaire de la convention collective, qui est elle-même le produit d’un processus complexe, non seulement pour équilibrer les intérêts de l’employeur et ceux des employés, mais aussi pour équilibrer les intérêts concurrents des employés. Les dispositions relatives à l’ancienneté ne sont qu’un exemple d’une clause de convention collective qui tient compte des intérêts concurrents des employés. Deuxièmement, les lois sur les relations de travail créent des systèmes de gouvernance en milieu de travail qui comportent de nombreux éléments sensibles au facteur temps […] Et une convention collective doit comporter une méthode de règlement des différends découlant de la convention, qui est presque toujours une procédure de règlement des griefs assortie de délais courts, aboutissant à un arbitrage des griefs par lequel le rétablissement de l’emploi est un recours commun.
[33] Ces facteurs signifient que les différends en matière de relations de travail touchent généralement de nombreuses personnes, et pas seulement les parties immédiates. Prenons l’exemple de l’arbitrage des griefs. Lorsqu’un employé est licencié, un autre employé le remplace souvent. Souvent, cela déclenche une chaîne d’offres d’emploi et de candidatures qui sont résolues par une combinaison de compétences et d’ancienneté. Les employés quittent d’anciens emplois, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation, pour en accepter de nouveaux, et ils comptent sur la stabilité du nouvel emploi pour faire leurs choix d’emploi. Plus le licenciement est contesté, plus la situation après le licenciement ne peut être que provisoire […]
[33] Dans ce grand écosystème de relations de travail décrit dans Toppin, j’en retire l’importance du respect des délais prescrits et de l’impact de la prorogation des délais sur le bon fonctionnement de ce system. Pour cette raison, la Commission se doit d’exercer de façon judicieuse son pouvoir discrétionnaire de proroger un délai. Si ce pouvoir était utilisé de façon courante et usuelle, les délais établis deviendraient de peu d’importance et il éroderait les raisons pour lesquelles ils ont été établis en premier lieu.
E. Les chances de succès du grief
[34] Je ne retiens pas ce critère aux fins de mon analyse puisqu’il est impossible à ce stade de s’y prononcer en l’absence de toute preuve relative au grief lui-même.
III. Conclusion
[35] La réglementation de la Commission prévoit de nombreux délais à respecter. Le respect de ces délais est essentiel au maintien de bonnes relations de travail et offrent aux parties une finalité dans le règlement de leurs différends. Si ces facteurs n’était pas important, il n’y aurait pas lieu d’avoir des délais.
[36] Après avoir révisé la jurisprudence qui m’a été présentée, je suis d’avis que cette situation soulève des considérations semblables à celle présentée dans Popov c. Agence spatiale canadienne, 2018 CRTESPF 49. Dans cette dernière, le fonctionnaire s’estimant lésé avait aussi été licencié et demandait une prorogation du délai pour le renvoi de son grief à l’arbitrage, ayant un retard de plus de 13 mois. Aux paragraphes 76 à 77 de cette décision, on y lit ce qui suit :
76 […] Il est facile de voir que le fonctionnaire pourrait être d’avis que le refus de la possibilité d’être entendu constitue une injustice. Toutefois, l’employeur a le droit de tourner la page lorsqu’il estime qu’une affaire a été réglée de manière définitive. L’idée sous-tendant les délais est précisément de donner aux parties une idée de ce à quoi s’attendre. Il semblerait injuste de soumettre l’employeur à une procédure de règlement des griefs à laquelle il ne s’attend plus à participer.
77 Les autres facteurs qui précèdent sont également en jeu. En présence de raisons claires et convaincantes, si le fonctionnaire fait preuve de diligence raisonnable, l’inconvénient que pourrait subir l’employeur pourrait être remplacé par l’injustice possible que pourrait subir le fonctionnaire. Toutefois, en l’espèce, puisque j’ai conclu que le fonctionnaire a simplement trop tardé pour renvoyer le grief à l’arbitrage, sans une bonne raison, je conclus que le préjudice subi par la défenderesse l’emporte sur le préjudice possible que subirait le fonctionnaire.
[37] Dans le présent cas, je conclus pareillement. Le demandeur n’a pas fourni une raison claire, logique et convaincante pour expliquer son retard ou fait preuve de diligence. Je conclus que les circonstances sont telles qu’elles ne m’ont pas convaincues d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et d’accorder une prorogation de délai.
[38] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
IV. Ordonnance
[39] L’objection est accueillie.
[40] La demande de prorogation de délai est rejetée.
[41] Le grief portant le numéro de dossier 566-02-42663 est rejeté.
Le 5 mai 2025.
Audrey Lizotte,
une formation de la Commission des
relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral