Date: 20250422
Dossier: 771-02-47542
Référence: 2025 CRTESPF 39
relations de travail et de l’emploi |
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ENTRE
Jolaine Bois
plaignante
et
administrateur général
(Gendarmerie royale du Canada)
intimé
Répertorié
Bois c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)
Devant : Goretti Fukamusenge, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante : Elle-même
Pour l’intimé : Alexandre Petterson, avocat
Pour la Commission de la fonction publique : Maude Bissonnette Trudeau, analyste principale
Affaire entendue par vidéoconférence
les 15 et 16 avril 2024.
MOTIFS DE DÉCISION |
I. Plainte devant la Commission
[1] Jolaine Bois (la « plaignante ») conteste un processus de nomination non annoncée qui a été fait par l’administrateur général de la Gendarmerie royale du Canada (GRC ou l’« intimé »). Le processus en question a servi à pourvoir un poste de gestionnaire en ressources humaines au groupe et au niveau PE-05.
[2] La plainte a été présentée en vertu des articles 77 (1)a) et 77 (1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). La plaignante a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite et dans le choix d’un processus de nomination non annoncé.
[3] Selon la plaignante, l’intimé aurait notamment caché ou communiqué des informations incohérentes au sujet d’une nomination intérimaire de la personne nommée, changé la structure organisationnelle, et baissé les exigences linguistiques — de CBC à BBB — dans le but de favoriser cette personne.
[4] L’intimé a soutenu que le poste visé par la présente plainte avait un profil linguistique BBB. Il a expliqué que pour les fins de la nomination, il avait utilisé un bassin de candidats partiellement qualifiés pour un poste similaire, mais exigeant un profil linguistique CBC. Il a précisé qu’il avait, en premier lieu, offert le même poste à un autre candidat inscrit dans le bassin avant de l’offrir à la personne nommée.
[5] Pour les motifs énoncés dans la présente décision, la plainte est rejetée. Certes, il semble qu’il y ait eu une défaillance dans la communication des étapes qui ont mené au transfert du poste et de l’utilisation du processus en question. Toutefois, la preuve présentée ne démontre pas l’existence d’un abus de pouvoir tel qu’un favoritisme personnel ou une mauvaise foi dans le choix du processus non annoncé ou dans l’évaluation du mérite.
[6] En somme, le rejet de la plainte repose principalement sur les points suivants :
· Le choix du processus non annoncé n’a pas été décidé pour favoriser la personne nommée; l’intimé avait même offert le poste à un autre candidat.
· L’intimé a choisi de garder le poste à un niveau linguistique BBB et il avait le pouvoir de le faire.
· La personne nommée a été évaluée selon les critères de mérite d’un poste similaire. Elle a été choisie dans un bassin préexistant, constitué sur base de cette évaluation.
· Le fait que l’intimé n’a pas informé son personnel de ses intentions quand il a instauré le nouveau poste sous sa direction peut être perçu comme un manque de transparence. Toutefois, ce fait ne constitue pas forcément un abus de pouvoir.
II. Résumé des éléments de preuve pertinents
A. Pour la plaignante
[7] Au moment des événements, la plaignante était une membre civile de la GRC. Elle occupait un poste d’Analyste principale des politiques et programmes en ressources humaines au sein de l’Unité de Dotation ministérielle, politiques, planification et promotion (l’« Unité de DMPPP »), dans le secteur des ressources humaines.
[8] Essentiellement, la plaignante allègue que la décision de l’intimé d’ajouter un poste supplémentaire de groupe et de niveau PE-05 au sein de l’Unité de DMPPP à la GRC a été prise de mauvaise foi. Elle fait valoir qu’il y a eu un abaissement des exigences linguistiques — de CBC à BBB — ce qui est une modification des critères de mérite liés au poste. Elle avance que cette modification a été faite en fonction du profil du candidat pour assurer sa nomination et que l’intimé a caché ou manipulé l’information, dans le seul but de l’avantager.
[9] De plus, la plaignante indique que Jonathan Caron, directeur de l’Unité de DMPPP, avait nommé la personne nommée au poste en question à titre intérimaire « d’une façon masquée et impérative ». La nomination aurait été faite sans consulter et sans en informer les autres employés au sein de l’Unité. La plaignante a ajouté que M. Caron avait caché et après nié ladite nomination, qu’il avait communiqué des informations conflictuelles sur la nomination intérimaire et que, quand elle avait demandé l’information concernant l’historique du poste, M. Caron l’avait plutôt questionnée sur sa pertinence.
[10] La plaignante a également soulevé que, le 25 mai 2023, M. Caron l’ait informée qu’il allait nommer rétroactivement au 25 janvier 2023 la personne nommée à titre intérimaire dans le poste concerné. M. Caron aurait indiqué que la personne avait occupé ce poste de façon intérimaire depuis cette date. La plaignante invoque que le 5 juillet 2023, elle a appris que le début de la nomination intérimaire était le 6 février 2023 et non le 25 janvier 2023.
[11] De même, la plaignante a remis en question les fonctions que la personne nommée avait exercées durant la période de sa nomination intérimaire, du 6 février 2023 jusqu’à sa nomination à titre indéterminé. Selon la plaignante, alors que le gestionnaire en ressources humaines gère, supervise et dirige une unité de travail, la personne nommée ne supervisait aucun employé pendant cette période.
[12] La plaignante a également mis en doute le fait que M. Caron a fait la demande de dotation concernant la nomination intérimaire de la personne nommée pour la période du 6 février 2023 au 5 juin 2023, le 11 mai 2023 ; date de la Notification de sa candidature pour une durée indéterminée.
[13] En outre, elle a remis en question la formulation de la décision de sélection présentée par M. Caron à la Dirigeante principale des ressources humaines. Cette démarche visait à obtenir une approbation d’utiliser un processus non annoncé pour la nomination à titre indéterminé. Selon la plaignante, cette formulation, contenue dans un courriel du 9 mai 2023 de M. Caron à la Dirigeante principale, manque de détails importants pour expliquer comment la personne nommée a été sélectionnée. La plaignante avance que ce courriel n’indique pas l’énoncé des critères de mérite et les méthodes d’évaluation. Elle allègue aussi qu’il n’est pas possible d’identifier les critères qui ont été utilisés puisqu’il n’y a pas de numéro de processus.
[14] Surtout, la plaignante a insisté sur ses allégations de favoritisme. À titre d’exemple, elle a expliqué que toutes les équipes sous M. Caron ont des gestionnaires qui occupent des postes de niveau PE-05/PN-05 et que ces postes ont un profil linguistique CBC. Selon elle, M. Caron a baissé les exigences linguistiques du nouveau poste, de CBC à BBB, dans le but de favoriser la personne nommée. Elle a aussi allégué que la nomination intérimaire, la nomination subséquente pour une période indéterminée et le choix d’un processus non annoncé ont été également faits pour favoriser la personne nommée. La plaignante a déclaré à plusieurs reprises que la façon dont le processus de nomination a été conduit démontre un manque de transparence et une manipulation de l’information. Selon elle, cela lui a causé un préjudice et a affecté son moral.
[15] Au moment de la présentation de sa plainte, la plaignante avait demandé la révocation de la nomination en cause. À l’audience, elle a renoncé à cette demande. Elle a demandé à la Commission de déclarer que l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée et qu’il y a eu abus de pouvoir.
B. Pour l’intimé
[16] L’intimé a appelé M. Caron comme témoin. Ce dernier a déclaré qu’il avait commencé à élaborer le processus de dotation dans le but de remplacer une gestionnaire qui avait exprimé un désir de partir à la retraite. Il a expliqué qu’il voulait assurer une transition et un transfert des dossiers et des connaissances.
[17] Selon son témoignage, le poste qui a été transféré sous sa direction existait dans la direction générale et avait un profil linguistique de niveau BBB. Il aurait été créé en 2012 avant son arrivée à la GRC. M. Caron a déclaré qu’il a fait une vérification, mais qu’il n’a pas trouvé une obligation d’avoir un profil linguistique CBC. Il a expliqué qu’il voulait remplacer la gestionnaire - membre civil- qui envisageait de partir à la retraite, mais qu’il avait constaté que tous les candidats dans le bassin préexistant étaient des fonctionnaires de la fonction publique. Il a précisé qu’il ne pouvait pas nommer un fonctionnaire dans un poste réservé aux membres civils.
[18] En termes d’utilisation du processus non annoncé, M. Caron a expliqué que sa stratégie de dotation avait été d’aller voir le bassin des personnes préqualifiées qui avait été constitué après un processus annoncé pour un poste similaire. Le profil linguistique de ce poste était CBC. Il a précisé qu’il restait deux candidats dans le bassin au moment de la nomination. Il a affirmé qu’il avait offert le poste visé par la présente plainte à l’une des deux personnes qui restaient dans le bassin, mais quand cette dernière a décliné l’offre, il a alors offert le poste à la personne nommée.
[19] Dans sa réponse aux allégations, l’intimé a justifié le choix du processus non annoncé de la façon suivante :
[...] le choix d’un processus non annoncé était adéquatement justifié et documenté par le gestionnaire d’embauche, Jonathan Caron, Directeur, Dotation ministérielle, et était basé sur des besoins opérationnels suite à l’annonce à la retraite de la gestionnaire et son désir de se décharger des tâches attribuables au rôle de gestionnaire avant son départ à la retraitre. Le gestionnaire d’embauche avait à sa disposition un bassin de candidats partiellement qualifiés (20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942), par conséquent, il a décidé de considérer les candidats du bassin pour être en mesure de de répondre au désir de sa gestionnaire suite à sa requête de se décharger des tâches du rôle de gestionnaire [...] Le processus 20-RCMIA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942 fut affiché avec un profil linguistique : bilingue impératif CBC/CBC et le poste utilisé pour cette nomination a un profil linguistique : bilingue impératif BBB/BBB, conséquemment, il n’était pas possible de procéder avec une nomination annoncée [...]
[...]
Le même énoncé de critères de mérite fut utilisé pour le processus annoncé et la nomination non annoncée. La personne nommée répond aux qualifications essentielles pour le poste de cette nomination et a démontré ses compétences durant son travail au sein de l’équipe.
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[20] À la question de savoir s’il s’est assuré que la personne nommée satisfaisait aux qualifications essentielles, M. Caron a affirmé que la personne nommée avait passé les étapes de la présélection, de l’entrevue et des références et qu’elle répondait aux exigences. Il a précisé que la dernière chose à évaluer était les qualifications linguistiques. M. Caron a ajouté qu’il avait travaillé avec l’équipe opérationnelle et qu’il avait eu l’information selon laquelle la personne nommée avait le profil linguistique BBB.
[21] Au sujet du favoritisme personnel, M. Caron a expliqué qu’il avait rencontré la personne nommée alors qu’il travaillait dans un autre ministère et qu’à ce moment-là, la personne nommée était un des candidats du Programme fédéral d’expérience de travail étudiant au cours de la période 2007-2008. Selon son témoignage, il l’a rencontré au bureau dépendamment de son horaire de travail mais elle ne relevait pas de son équipe. Par la suite, il l’a rencontrée à la GRC et ils se croisaient environ une à deux fois par semaine. Il a ajouté ceci :
J’ai beaucoup de difficultés à voir le lien qui est soumis, j’ai travaillé fort afin de s’assurer que le processus rencontrait toutes les exigences, le fait qu’on garde contact au sein de la communauté des ressources humaines fait partie d’une habitude professionnelle, je parle régulièrement avec les gens avec lesquelles j’ai été à l’université ou dans d’autres ministères.
C’est un domaine où on va utiliser notre réseautage, il peut y avoir une perception, mais il y a des règles qui doivent s’appliquer et j’aimerais réassurer qu’il y a des règles qui se sont appliquées.
[Sic pour l’ensemble de la citation]
III. Résumé de l’ argumentation
A. Pour la plaignante
[22] La plaignante a fait valoir qu’il y a eu un manque de transparence avant et pendant le processus, qu’elle n’a pas été traitée équitablement et qu’il y a eu un manque d’égalité pour les autres employés. Selon la plaignante, l’intimé a modifié les exigences linguistiques dans le but de favoriser la personne nommée car cette dernière n’avait pas le niveau CBC. L’intimé n’a pas mis en place une culture de transparence, les employés n’ont pas été informés et aucune communication n’a été faite. Elle a insisté qu’il y avait eu beaucoup de contradictions et qu’elle a perdu confiance dans la gestion supérieure par rapport à ce processus de nomination non annoncé.
[23] Pour étayer ses arguments au sujet du manque de transparence, la plaignante a cité les décisions Bergeron-Quirion c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2024 CRTESPF 19; Burt c. Sous-ministre d’Anciens Combattants Canada, 2019 CRTESPF 31; et Huard c. Administrateur général (Bureau de l’infrastructure du Canada), 2023 CRTESPF 9.
[24] La plaignante a également soulevé des questions de mauvaise foi. Selon elle, l’intimé a fait preuve de mauvaise foi en transférant un poste de façon non ouverte et en effectuant une nomination intérimaire sans en informer les employés dans l’Unité. Selon elle, il est clair que M. Caron a favorisé la personne nommée en lui donnant cette opportunité, qu’il n’y a pas eu un traitement égal et que les employés n’ont été informés de l’existence de ce poste qu’après les faits.
[25] En citant les paragraphes 138 et 139 de la décision Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21, la plaignante a fait valoir que la LEFP prévoit que la mauvaise foi et le favoritisme personnel figurent parmi les éléments qui constituent l’abus de pouvoir.
[26] La plaignante a également soutenu que ce qui est arrivé dans le présent cas ressemble aux événements décrits dans Beyak c. Sous-ministre des Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 35. Elle a expliqué que l’intimé a nommé la personne nommée à titre intérimaire de façon rétroactive et a délibérément omis d’aviser les employées alors que normalement, lorsqu’il y a des employés qui arrivent ou qui quittent, ces informations sont toujours partagées.
[27] La plaignante a soutenu qu’il n’y avait aucune volonté de la part de l’intimé de considérer d’autres candidats. Elle a invoqué le fait que M. Caron a utilisé un processus datant de 2020, alors qu’il y a eu beaucoup de changements depuis. Plusieurs personnes auraient été intéressées par ce poste, mais il a décidé de ne pas l’annoncer parce qu’il avait un parti pris. La plaignante a invoqué les commentaires au paragraphe 149 de la décision Beyak selon lesquels, dans cette affaire, la Commission a jugé que des processus de nomination non annoncés avaient été choisis parce que le gestionnaire voulait récompenser la personne nommée.
[28] La plaignante a ajouté que dans le présent cas, la nomination avait été faite de façon arbitraire. L’établissement des qualifications essentielles a été souillé par le favoritisme personnel. L’exigence linguistique a été déterminée de façon non objective dans le seul but de favoriser la personne nommée, qui ne détenait pas le profil linguistique CBC, ne répondait pas aux exigences réelles du poste qui est la supervision des employés, et tous les autres aspects du poste de groupe et de niveau PE-05.
B. Pour l’intimé
[29] L’intimé a insisté qu’il n’y avait eu aucune machination dans le choix du processus et dans la nomination de la personne nommée. M. Caron a expliqué qu’il restait deux candidats dans le bassin préexistant et que c’est seulement après que l’un des candidats a refusé l’offre du même poste avec le même profil linguistique BBB que le processus a été commencé pour nommer la personne nommée. Il n’y avait pas de lien étroit entre M. Caron et la personne nommée. La preuve démontre que la personne nommée satisfaisait à toutes les qualifications essentielles et que la nomination a été basée sur le mérite. La personne nommée a été évaluée et avait les qualifications nécessaires, avait la capacité de gérer une équipe, et la plaignante n’a présenté aucune preuve pour contester les qualifications du candidat. Selon l’intimé, les arguments de la plaignante ne sont pas convaincants.
[30] L’intimé soutient qu’il n’y a eu aucun abus de pouvoir quant au choix du processus ou de favoritisme, car la personne nommée répondait aux exigences avant et au moment de sa nomination. M. Caron a expliqué qu’il ne restait qu’un seul candidat, et que la nomination de celui-ci visait à répondre à un besoin opérationnel, soit remplacer une gestionnaire en prévision de son départ à la retraite, pour assurer une transition. M. Caron n’a pas nommé un étranger, il a nommé quelqu’un qui possédait de l’expérience et plusieurs années à la GRC. Suite à l’annonce du désir de la gestionnaire de partir à la retraite, les mesures transitoires ont été mises en place. M. Caron a fourni des explications, et la plaignante n’a pas contesté son témoignage.
[31] Il n’y a eu aucun favoritisme personnel tel qu’il est défini dans la jurisprudence. Il n’y avait pas non plus de lien direct entre la nomination non annoncée et la nomination intérimaire. S’il en existait un, il serait moindre. La plaignante a le fardeau de démontrer qu’il y a eu abus de pouvoir; elle doit fournir une preuve convaincante sans équivoque. Pour appuyer cet argument, l’intimé a renvoyé aux paragraphes 42 et 43 de la décision Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 11.
[32] De plus, l’intimé a souligné que l’abus de pouvoir implique plus qu’une erreur, il doit constituer une conduite outrageuse. Ce niveau n’est pas atteint. La plaignante n’a pas démontré qu’il y a eu une erreur grave. Pour appuyer cette affirmation, l’intimé a cité les paragraphes 61 et 62 de la décision Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684.
[33] L’intimé, citant Jarvo c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, aux paragraphes 32 à 35, a aussi soutenu que la LEFP ne dicte aucune préférence entre un processus annoncé ou un processus non annoncé. Une opportunité n’a pas à être offerte à tous les employés, et il n’y a pas d’obligation dans la LEFP de considérer plus d’un candidat dans le processus. Les processus non annoncés ne sont pas inéquitables parce que les employés n’y ont pas eu accès. L’impossibilité de postuler n’est pas un manque d’équité.
[34] La jurisprudence a établi un critère pour démontrer qu’il y a eu un favoritisme personnel : il faut une preuve convaincante; voir Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 7, aux paragraphes 39, 41 et 44 à 46. En utilisant le terme « favoritisme personnel », le législateur a amené le seuil à un niveau élevé, car ce n’est pas toute chose qui constitue du favoritisme personnel. Il peut s’agir, par exemple, d’une relation personnelle, ce qui n’est pas le cas ici. Ce qui ressort de la preuve est que M. Caron, durant sa carrière, a connu et côtoyé la personne nommée alors qu’il travaillait à la fonction publique. Il faut qu’il y ait une preuve qui démontre qu’il y a eu favoritisme; voir Carlson-Needham c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 38, aux paragraphes 52 à 54.
[35] Selon la décision Desalliers c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CRTESPF 70, aux paragraphes 139 à 146, un autre exemple de favoritisme serait une relation antérieure. La preuve devant la Commission ne démontre qu’une relation professionnelle. Un autre exemple serait un cas où un membre de sa famille ou un ami a été nommé. Selon l’intimé, l’allégation de favoritisme personnel n’est pas fondée.
[36] Le principe du mérite a été respecté, puisque l’autre candidat qui était dans le bassin a eu l’opportunité d’occuper le poste, mais il l’a décliné. Les éléments de preuve soutiennent que la personne nommée satisfaisait aux qualifications. De plus, l’intimé dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour choisir la bonne personne. M. Caron a expliqué pourquoi la personne nommée satisfaisait aux qualifications. Elle avait une vaste connaissance et de l’expérience dans le domaine de la dotation. La personne nommée avait aussi occupé des postes de groupe et de niveau PE-05 et elle avait une capacité de gérer les équipes de travail. La plaignante n’a pas expliqué comment la personne nommée ne satisfaisait pas aux critères.
[37] Le témoignage a établi que la gestionnaire qui envisageait de prendre la retraite avait cessé d’exercer les fonctions de gestion, ce qui laissait le poste vacant et que, en prévision de son départ à la retraite, elle a été mutée dans d’autres projets. Son départ à la retraite était programmé pour l’été 2023, mais il y avait tout de même un poste vacant.
[38] En 2020, l’intimé a conduit un processus annoncé 20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942, pour un poste similaire niveau PE-05/PN-05. Ce processus a permis d’établir un bassin duquel la personne nommée a été choisie. La plaignante avait postulé sur ce processus, mais n’a pas été retenue. Le choix du processus ne constitue pas un abus de pouvoir, car M. Caron devait répondre à un besoin de dotation. Il s’agit d’une mesure qui tombait sous la portée du pouvoir discrétionnaire que lui accorde la LEFP.
C. La Commission de la fonction publique
[39] La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas participé à l’audience de la présente plainte. Elle a toutefois présenté des arguments généraux et a indiqué qu’elle ne se prononce pas sur la question de savoir s’il y a eu abus de pouvoir ou si la Politique de nomination de la CFP a été respectée pour cette nomination.
IV. Analyse et décision
A. Les principes de base
[40] De prime abord, il est utile de rappeler certains principes incontournables que le législateur a prescrits dans la LEFP en matière de dotation dans la fonction publique fédérale. L’un de ces principes qui se dégage des dispositions applicables de la LEFP dicte que les nominations se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite suivant ce que l’administrateur général délégué estime indiqué pour décider si une personne possède les qualifications essentielles (voir les par. 30(2) et 36(1) de la LEFP). Un autre principe prévoit que le choix d’un processus ainsi que la définition des qualifications d’un poste à utiliser appartiennent exclusivement à l’administrateur général. (Voir l’art. 33 et le par. 36(1) de la LEFP.)
[41] Pour plus de commodité, les dispositions prévues à ces articles sont reproduites ci-après.
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[42] Il résulte de ces dispositions que le législateur a accordé à l’administrateur général un pouvoir discrétionnaire assez large. Cependant, il est crucial de noter qu’aucun pouvoir discrétionnaire n’est absolu. Il doit être exercé conformément aux objectifs de la loi. Cette interprétation est solidement établie dans la jurisprudence depuis de nombreuses années. Des exemples peuvent être trouvés dans les décisions suivantes : Myskiw c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2018 CRTESPF 70, aux paragraphes 32 et 53); Canada (Procureur général) c. Allard, 2008 CF 1294 , au paragraphe 52; Canada (Procureur général) c. Mercer, 2004 CAF 301, aux paragraphes 15 et 16; Hay c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2022 CRTESPF 106, au paragraphe 32; et Sachs c. Présidente de l’Agence de la santé publique du Canada, 2017 CRTESPF 3, au paragraphe 21.
B. Questions à trancher
[43] La plainte a été présentée en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la LEFP. Ainsi, les questions à trancher consistent à décider si d’une part, l’intimé a fait preuve d’un abus de pouvoir dans le choix du processus non annoncé et d’autre part, dans l’évaluation du mérite concernant la personne nommée. La plaignante a donc le fardeau de la preuve de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir en l’espèce.
1. L’intimé a-t-il utilisé un processus de nomination non annoncé dans le but de favoriser la personne nommée?
[44] Il n’y a pas de preuve qui permet d’arriver à une telle conclusion.
[45] La théorie de la plaignante est que tout le cheminement du processus de nomination, incluant le choix du processus, a été fait dans le but de favoriser la personne nommée. Elle prétend que cette dernière ne possédait pas les qualifications requises. Parmi les exemples que la plaignante a donnés pour démontrer l’abus de pouvoir figurent les allégations suivantes : l’intimé aurait changé la structure organisationnelle en y ajoutant un poste dans le but de favoriser la personne nommée. De plus, l’intimé aurait notamment caché ou manipulé l’information concernant l’existence du poste en question, les employés ont été informés du choix du processus et de la nomination après les faits, la justification de la décision de sélection ne comportait pas de numéro du processus, elle était trompeuse ou ne précisait pas les critères évalués.
[46] Non seulement cette théorie repose sur des allégations non justifiées, elle fait fi également d’une réalité incontournable: le fait que l’intimé avait le pouvoir discrétionnaire d’instaurer le nouveau poste sous sa direction, de choisir la nature du processus à utiliser et de définir les critères d’évaluation. Certes, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu. Il doit s’exercer avec une justification rationnelle et raisonnable. Cela étant, en l’absence d’une preuve qui démontre, selon la prépondérance des probabilités, que le choix du processus a été fait pour des raisons contraires aux objectifs de la LEFP, notamment la mauvaise foi, le favoritisme personnel ou toute autre conduite, comme une décision arbitraire ou discriminatoire, il ne serait pas sensé de conclure à l’abus du pouvoir. Les arguments de la plaignante reposent sur des allégations ou impressions non prouvées.
[47] Par exemple, la plaignante prétend que la personne nommée ne possédait pas les qualifications requises pour le poste. Or, la preuve versée au dossier démontre que les qualifications de la personne nommée avaient été évaluées, la personne avait été placée dans le bassin des candidats partiellement qualifiés pour ce processus de nomination similaire (20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942).
[48] Bien que l’exigence linguistique de ce dernier poste était de niveau CBC, l’intimé a décidé de garder le poste contesté au niveau BBB. L’énoncé des critères de mérite et la description du poste en question étaient les mêmes. L’intimé a utilisé les résultats de ce processus pour procéder au moyen d’un processus non annoncé. Je ne trouve pas que cette approche compromet la LEFP. Au contraire, il était légitime pour l’intimé de procéder ainsi (voir aussi Huard au par. 122). Tel qu’il a été noté dans plusieurs décisions incluant Huard au paragraphe 110, « [l]e fait de procéder à un processus non annoncé n’est pas en soi abusif [...] »
[49] La plaignante ne peut pas simplement alléguer que l’intimé a fait preuve d’un abus de pouvoir parce qu’un processus non annoncé a été choisi. Il lui revenait de démontrer que la décision de choisir le processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Elle ne l’a pas fait. Il est prévu par la LEFP (art. 33) et bien établi dans la jurisprudence que l’administrateur général, ici l’intimé, a le pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus annoncé ou un processus non annoncé (voir par exemple les décisions Huard au par. 110 et Burt au par. 120).
[50] Bien que la jurisprudence ait élargi la définition de la notion d’abus de pouvoir, elle exige toujours de démontrer plus qu’une simple erreur ou omission (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, au par. 73). Dans d’autres cas, on préconise qu’une conduite qui témoigne d’un abus de pouvoir « [...] peut inclure un geste, une omission ou une erreur que le législateur ne peut avoir envisagé comme faisant partie du pouvoir discrétionnaire accordé aux détenteurs des pouvoirs délégués de dotation [...] » (voir, par exemple, Abi‐Mansour c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2020 CRTESPF 36, au par. 91, et Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 226, au par. 25).
[51] D’autre part, la plaignante se plaint que l’intimé a choisi un processus non annoncé et n’en a pas informé le personnel. Le nom même du processus est on ne peut plus clair : il s’agit d’un « processus non annoncé », c’est-à-dire non dévoilé, le poste n’est pas publié que ce soit à l’interne de l’organisation ou à l’externe. Encore ici, à moins d’une preuve qui démontre une machination dans le choix du processus, on ne pourrait pas conclure qu’il y a eu un abus de pouvoir.
[52] Cela étant, j’estime que l’intimé a négligé d’informer les membres du personnel dès qu’il a eu l’opportunité d’instaurer le poste qui fait l’objet de la présente plainte à l’organigramme et qu’il a décidé de l’utiliser pour effectuer une nomination intérimaire avant de l’utiliser pour une nomination indéterminée. La preuve indique que le processus a commencé en janvier 2023. Or, selon le témoignage de la plaignante, ce n’est qu’à la fin du mois de mars 2023 que son gestionnaire l’a informée que son rapport hiérarchique allait changer à partir du mois d’avril 2023. De plus, la demande de dotation à titre intérimaire pour la période du 6 février 2023 au 5 juin 2023, est signée le 11 mai 2023, soit la même date que la Notification de candidature retenue à titre indéterminée. Il s’agit ici du même poste et les nominations concernent la même personne. Le retard à communiquer les informations concernant l’instauration de ce poste, ainsi que la nomination rétroactive, peuvent susciter des doutes et des perceptions fondées.
[53] Le défaut d’informer le personnel de l’ajout du poste à l’organigramme et des intentions quant à l’utilisation de ce poste, et le changement du rapport hiérarchique sans en informer dès le départ les employés concernés peuvent être perçus comme un manque de transparence. L’intimé avait le pouvoir de faire des changements dans la structure organisationnelle, d’utiliser le poste pour une nomination intérimaire, mais tout cela aurait pu être communiqué aux équipes concernées dès le début du cheminement de la dotation.
[54] Toutefois, à lui seul, le défaut d’informer le personnel des intentions de dotation ne constitue pas nécessairement un abus de pouvoir. Comme indiqué précédemment, l’abus de pouvoir constitue plus que de simples erreurs ou omissions.
[55] Certes, en l’absence d’information, il est défendable de se questionner, de soupçonner et de formuler des hypothèses. Toutefois, les soupçons et les hypothèses à eux seuls ne justifient pas des allégations d’abus de pouvoir. Il n’y a pas de preuve qui démontre que le défaut d’informer le personnel a été fait dans le but de favoriser la personne nommée, comme prétend la plaignante, ni qu’il a occasionné un préjudice quelconque à son égard. Quoi qu'il en soit, la plaignante ne faisait pas parti du bassin de candidats préqualifiées qui avait été utilisé pour faire la nomination.
[56] Lors de son témoignage, M. Caron a expliqué que l’idée d’emprunter un poste d’une autre Unité est venue de la direction générale et qu’au moment de la décision de la nomination, il y avait une mesure selon laquelle les nominations non annoncées devaient avoir une autorisation de la directrice générale. À cet effet, un échange de courriels daté du 9 mai 2023, qui a été déposé en preuve, montre que M. Caron a cherché et obtenu l’approbation de la directrice générale pour aller de l’avant avec le processus non annoncé.
[57] Selon le témoignage de M. Caron, le choix du processus a été décidé en raison d’une particularité unique à la GRC. Cette particularité est qu’il existe trois groupes d’employés : les membres réguliers, les membres civils et les fonctionnaires de la fonction publique. Il a expliqué que cette situation crée un dédoublement des postes, car on ne peut pas faire une nomination d’un membre civil dans un poste de fonctionnaire et vice-versa. Par exemple, si dans une unité il y a un poste pour les employés civils, ce poste ne peut pas être utilisé pour recruter un fonctionnaire.
[58] Dans le formulaire de la plainte, la plaignante a indiqué que cette assertion n’est pas vraie. Elle a expliqué que depuis l’harmonisation des activités de dotation des membres civils et des membres de la fonction publique, en date du 1er juin 2016, des employés de la fonction publique peuvent être placés dans des postes civils en procédant à une conversion du poste en question. À l’audience, le témoignage de M. Caron n’a toutefois pas été contredit. S’il y a une politique d’harmonisation des activités de dotation, elle n’a pas été mis en preuve.
[59] M. Caron a indiqué que ces contraintes en matière de mobilité des employés dans les différents groupes de la GRC l’ont poussé à utiliser ce nouveau poste alors qu’il existait déjà sous sa direction un poste similaire. Il a précisé qu’il avait constaté que les candidats qui restaient dans le bassin étaient tous des fonctionnaires de la fonction publique, alors qu’il devait remplacer une gestionnaire qui occupait un poste pour les membres civils. En raison de cette contrainte en matière de mobilité, il a expliqué qu’il ne pouvait pas nommer un fonctionnaire dans un poste réservé à des employés civils et qu’il fallait utiliser un autre poste.
[60] Dans le contexte expliqué par M. Caron, bien qu’il aurait été utile d’informer les équipes de toutes les planifications, je trouve que cette explication est acceptable. Particulièrement, il n’y pas de preuve qui démontre que le choix du processus non annoncé a été fait de mauvaise foi ou dans le but de favoriser personnellement la personne nommée. L’intimé a considéré les personnes qui avaient déjà été évaluées et qui faisaient partie d’un bassin préexistant pour un poste similaire. La décision a été celle de prendre une personne qualifiée et de la nommer au moyen d’un processus non annoncé. En vertu du paragraphe 30(4) de la LEFP, la CFP ou son délégué ne sont pas tenus de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite, et comme noté dans Huard, le processus non annoncé est nécessairement une sélection faite pour une personne.
[61] La plaignante a soutenu que le choix d’un processus non annoncé n’était pas justifié, que l’intimé a prétendu qu’il y avait un besoin de remplacer la gestionnaire qui avait annoncé partir à la retraite, mais qu’elle était toujours à l’emploi. Cet argument n’est pas pertinent. Le fait que la retraite supposée de la gestionnaire ne s’est pas matérialisée ne démontre pas une machination quelconque de la part de l’intimé. L’argument selon lequel l’intimé aurait amené cet élément pour camoufler le choix du processus non annoncé n’est qu’une allégation non fondée. Encore une fois, les allégations à elles seules, sans preuve, ne justifient pas la mauvaise foi ou le camouflage. La bonne foi se présume toujours, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver. (Voir par exemple D’Almeida c. Gendarmerie royale du Canada, 2020 CRTESPF 23, au par. 57.) Cette preuve n’a pas été présentée.
[62] La plaignante a cité les commentaires du paragraphe 138 de la décision Ayotte c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 21, selon lesquels « [l]a mauvaise foi et le favoritisme personnel figurent parmi les formes les plus graves d’abus de pouvoir ». La plaignante a raison à ce sujet. Toutefois, ces principes devraient être étayés par une preuve. La plaignante n’a pas présenté une preuve qui démontre de la mauvaise foi ou le favoritisme personnel.
[63] De plus, dans Ayotte au paragraphe 139, on peut lire ceci : « [p]rise dans un sens élargi, la mauvaise foi peut englober l’incurie ou l’insouciance grave, même en l’absence d’intention illégitime. » À mon sens, je ne trouve pas que le choix du processus non annoncé pour doter le poste visé par la présente plainte a été marqué par de « l’incurie » et moins encore qu’il a été fait délibérément dans le but de favoriser la personne nommée.
[64] Comme indiqué précédemment, les principes fondamentaux dictent que le choix du processus à utiliser relèvent uniquement de l’administrateur général, ici l’intimé. Bien que ce pouvoir ne soit pas absolu, il revenait à la plaignante de démontrer l’abus de pouvoir. Elle n’a pas apporté une preuve à cet effet. Les allégations selon lesquelles le choix du processus visait à favoriser la personne nommée ne sont pas fondées. L’intimé avait d’ailleurs offert en premier lieu le poste à un autre candidat du bassin préexistant. La preuve présentée ne porte pas à conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du processus.
2. Y-a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application du mérite?
[65] Encore ici, Il n’y a pas de preuve qui permet d’arriver à une telle conclusion.
[66] La plaignante a allégué que l’intimé avait donné un avantage indu à la personne nommée en baissant les exigences du profil linguistique. Elle a soutenu que le fait de transférer un poste d’une autre Direction en lui attribuant les exigences linguistiques BBB alors qu’il est identifié comme similaire au poste du processus de 2020 (20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942), qui exigeait un profil linguistique CBC, représente une modification des critères de mérite liés au poste en fonction du profil du candidat pour assurer sa nomination. Selon la plaignante, cela constitue du favoritisme personnel.
3. Y-at-il eu du favoritisme personnel?
[67] Bien que la plaignante ait affirmé que le favoritisme personnel a influencé le choix du processus et l’évaluation du mérite, aucune preuve ne vient étayer cette allégation. Selon une jurisprudence constante de cette Commission, on parle du favoritisme personnel, quand la personne nommée a été choisie, non pas en fonction de ses qualifications, mais en raison d’une relation personnelle existant entre elle et le décideur (Glasgow, aux paragraphes 36 à 41). Cela n’est pas le cas ici.
[68] Le favoritisme personnel exige une preuve (directe ou circonstancielle) qui démontre une relation personnelle. Au paragraphe 39 de la décision Glasgow, la Commission souligne que l’article 2(4) de la LEFP, qui définit l’abus de pouvoir parle spécifiquement du « favoritisme personnel », excluant ainsi toute autre forme de favoritisme, par l’ajout du mot « personnel » après « favoritisme ». Je dirais que le favoritisme personnel est une sous-catégorie du favoritisme général, où la raison de la préférence est une relation personnelle. Ainsi, le favoritisme en général peut avoir des bases variées ou plus larges selon les circonstances. En d’autres mots, tout favoritisme n’est pas nécessairement du favoritisme personnel.
[69] Par exemple le paragraphe 141 de la décision Desalliers illustre ce qui peut être considéré comme du favoritisme personnel. Il s’agit notamment de la modification d’un énoncé de critères de mérite en fonction du profil d’un candidat ou la modification de qualifications essentielles liées à un poste pour assurer la nomination d’un individu. C’est précisément ce que la plaignante allègue dans le présent cas. Essentiellement, elle maintient que l’intimé a modifié les critères de mérite en rabaissant le profil linguistique de CBC à BBB pour assurer la nomination de la personne nommée.
[70] Toutefois, contrairement à ces allégations, il n’y a aucune modification des critères de mérite ou des qualifications essentielles pour le poste qui fait l’objet de cette plainte. L’intimé a expliqué que ce le poste qui a été transféré sous sa direction aurait été créé en 2012 avec un profil linguistique BBB, avant même son transfert à l’Unité. Il a expliqué qu’il avait considéré le fait que le poste puisse exiger un niveau plus élevé, mais qu’il n’avait rien trouvé à cet effet, et qu’il a laissé ce poste avec un profil linguistique BBB. Il a ajouté qu’il avait offert le même poste à un autre candidat du bassin qui avait été créé sur base des résultats du processus de 2020 (20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942) avant de l’offrir à la personne nommée. Ce témoignage n’a fait l’objet d’aucune contestation. Dans ce contexte, j’estime que les allégations de la plaignante sont non fondées.
[71] La question de savoir si l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite se détermine en fonction des circonstances entourant chaque affaire. Dans le présent cas, il n’est pas contesté que le poste en question avait un profil linguistique BBB et que la personne nommée répondait aux exigences linguistiques BBB au moment de la nomination. Il n’est pas non plus contesté que la personne nommée avait été placée dans le bassin de candidats partiellement qualifiés pour le processus de 2020 (20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942), qui avait les mêmes critères sauf les exigences linguistiques.
[72] Le fait que la nomination de la personne nommée a été faite en utilisant les résultats de ce processus pour un poste avec un profil linguistique BBB peut attirer une perception négative, mais il ne signifie pas que l’intimé a modifié les critères de mérite pour donner un avantage injuste à la personne nommée. L’intimé a décidé de procéder au moyen d’un processus non annoncé, ce qui était prévu par la Loi, et les circonstances du présent cas ne sont pas telles que l’on peut dire que la personne nommée n’a pas satisfait aux critères de sélection ou que le processus utilisé.
[73] En vertu des dispositions de l’alinéa 30(2)a) de la LEFP, les compétences linguistiques font partie des qualifications essentielles et du mérite, et l’intimé a décidé de garder les exigences linguistiques au niveau BBB. La preuve versée au dossier indique que la personne nommée s’est qualifiée dans le cadre d’un autre processus pour un poste similaire et qu’elle satisfaisait aux critères linguistiques de niveau BBB. L’intimé avait le pouvoir discrétionnaire d’établir les qualifications essentielles incluant celles concernant les exigences linguistiques. Il ne semble pas que ce pouvoir ait été utilisé d’une manière déraisonnable ou abusive.
[74] La plaignante a aussi allégué que la formulation de la décision ne contient pas l’information nécessaire pour justifier les qualifications évaluées. Elle a aussi mis en question le fait que la nomination intérimaire n’est pas mentionnée dans la formulation de la décision de sélection alors qu’il s’agit du même poste qui a été doté de façon non annoncée.
[75] La formulation de la décision de sélection, qui a été transmise le 9 mai 2023 dans un courriel de M. Caron à la Dirigeante principale des ressources humaines, se lit comme suit :
[TRADUCTION]
[...]
Je vous écris aujourd’hui car votre approbation est requise pour procéder à la nomination non annoncée de [caviardé] au groupe et au niveau PE-05 en tant que gestionnaire de la dotation en personnel – politique des membres au sein de l’Unité de DMPPP.
Contexte :
•[Caviardé], la gestionnaire actuelle de la dotation en personnel – politique des membres, m’a informé de son intention de prendre sa retraite et de son souhait de se retirer de son poste pour le reste de l’exercice.
•[Caviardé] a participé et s’est qualifié jusqu’aux exigences linguistiques impératives CBC/CBC dans le cadre d’un processus PE-05 organisé par l’Unité de DMPPP en 2020. [Caviardé] a été placé dans un bassin de candidats partiellement qualifiés. C’est ce même processus qui a permis à [caviardé], [caviardé] et [caviardé] d’être également qualifiés.
• En raison de changements dans le PSP RH, j’ai eu la possibilité d’obtenir un PE-05 avec un profil linguistique BBB/BBB.
• [Caviardé] a travaillé avec le LRDG et sur son propre temps pour maintenir et améliorer sa deuxième langue et a récemment été évalué au niveau BBB en français.
• [Caviardé] a effectué un intérim au groupe et au niveau PE-05 à de nombreuses reprises dans le passé, plus particulièrement en travaillant avec les processus administratifs et les capacités de compte rendu de l’Unité nationale des promotions en 2021 et l’Unité de traitement du Programme national de recrutement, une évaluation sur place à Dépôt en 2022.
• Le processus PE-05 de l’Unité de DMPPP que j’ai mentionné ci-dessus a identifié les postes PE-05 comme étant des postes impératifs CBC uniquement. Un processus non annoncé respecterait le seuil des principes directeurs en matière de dotation, car je cherche à nommer [caviardé] à un poste BBB impératif.
• Une autorisation en matière de priorité a été effectuée et reçue. Les notifications (notification de prise en considération et notification de nomination/proposition de nomination) permettront d’aborder/de respecter les principes directeurs, en garantissant l’accessibilité, l’équité et la transparence.
Je suis disponible pour discuter de cette demande à votre convenance. Une réponse à ce courriel avec votre approbation suffira pour le dossier de recrutement.
Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps et d’avoir pris en compte cette demande.
[...]
[76] Bien que cette formulation de la décision de sélection n’indique pas que la personne nommée avait occupé le poste à titre intérimaire, elle inclut les informations nécessaires. Le courriel contient une description des raisons qui ont mené au choix du processus de nomination non annoncé, ainsi que les raisons justifiant le choix du candidat retenu et la manière dont le choix a été fait.
[77] Par ailleurs, la preuve présentée lors de l’audience détaille les évaluations de la personne nommée dans le processus 20-RCM-IA-N-N-NCR-CHRO/HRPPS-94942 dont les résultats ont été utilisés pour la nomination. Cette preuve non contestée indique que la personne nommée avait été placée dans le bassin des candidats partiellement qualifiés. Étant donné que la personne nommée avait été déjà évaluée, j’estime que ce courriel contient de l’information nécessaire pour justifier la nomination. Le contenu du courriel ne semble pas être trompeur, comme le prétend la plaignante. Il indique que la personne nommée s’est « partiellement » qualifiée dans un processus similaire, qui exigeait un profil linguistique CBC, mais que la personne nommée ne possédait que le niveau BBB.
[78] Encore une fois, la plaignante n’a pas contesté que la personne nommée eût participé à un processus annoncé pour un poste semblable et qu’elle s’était partiellement qualifiée. La description de tâches de ce poste et les évaluations de la personne nommée ont été également déposées en preuve. M. Caron a aussi expliqué que lors de cette évaluation, il avait demandé une lettre de présentation, fait des entrevues et vérifié les références. Il a précisé que la compétence de gérer une équipe avait été évaluée par une mise en situation à l’entrevue. L’argument selon lequel sa nomination a été arbitraire est non fondé.
[79] La personne nommée satisfaisait aux critères de mérite déterminés par l’intimé, et ce dernier avait le pouvoir de définir les qualifications qu’il estimait nécessaires, incluant les exigences linguistiques, et c’est ce qu’il a fait en gardant le poste au niveau BBB. Bien que la plaignante prétende que l’intimé a baissé les exigences linguistiques dans le seul but de favoriser la personne nommée, l’intimé avait en premier lieu offert le poste à une autre personne qui était dans le bassin. Dans les circonstances, il n’y a pas de preuve qui démontre que la nomination de la personne est allée à l’encontre du principe du mérite.
[80] Je conclus que la plaignante n’a pas démontré l’existence d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite.
[81] La plaignante se représentait elle-même. Il y avait un défi consistant à faire une distinction entre les faits, la preuve et l’argumentation. L’argumentaire de la plaignante est constitué d’allégations, de déclarations pures et simples, de soupçons, d’opinions personnelles ainsi que de spéculations. Ces éléments ne constituent pas des preuves. En l’absence de faits pertinents et de preuves à l’appui, ils ne peuvent pas établir l’existence d’un abus de pouvoir.
[82] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :
(L’ordonnance apparaît à la page suivante)
V. Ordonnance
[83] La plainte est rejetée.
Le 22 avril 2025.
Goretti Fukamusenge,
une formation de la Commission
des relations de travail et de l’emploi
dans le secteur public fédéral